LYNCÉE

TRAGÉDIE

M. DC LXXXI.

PAR Mr. ABEILLE

A LA HAYE, Chez ADRIAN MOETJENS, Marchand Libraire près de la Cour, à la Librairie Française

Représenté pour la première fois le 25 février 1678 à l'Hôtel de Bourgogne.


Édition critique établie par Housna Badat dans le cadre d'un mémoire de master I sous la direction de Georges Forestier 2006-2007

publié par Paul FIEVRE, février 2015, revu novembre 2016.

© Théâtre classique - Version du texte du 31/05/2023 à 21:41:15.


ACTEURS

DANAÜS, presque époux d'Erigone.

ÉRIGONE, promise à Danaüs.

IPHIS, fils d'Erigone et amant d'Hypermestre.

LYNCÉE, Amant d'Hypermestre.

HYPERMESTRE, fille de Danaüs, Amante de Lyncée.

LYCASTE, Gouverneur d'Iphis.

DIRCÉ, Confidente d'Erigone.

La Scène est à Nauplie ville maritime du Peloponese dans une salle du Palais Royal.


ACTE I.

SCÈNE I.
Érigone, Iphis.

IPHIS.

Non, Madame, ma mort ou celle de Lyncée,

Je dois ou l'une ou l'autre à ma gloire offensée,

A mon espoir éteint, à mon amour trahi,

J'ai trop cru vos conseils et trop bien obéi.

ÉRIGONE.

5   Mon fils à votre amour je ne mets plus d'obstacles,

Le Ciel même pour vous fait parler ses oracles,

Hypermestre bientôt aura moins de rigueur,

Aimez. Lyncée en vain se répond de son coeur.

IPHIS.

Eh Madame est ce ainsi que Danaüs s'explique ?

10   Ses neveux appelez des rivages d'Afrique,

Par son ordre à vos yeux au mépris de mes droits

Deviennent aujourd'hui ses gendres et nos Rois.

Il vient de les placer sur les trônes de Grèce,

Chacun d'eux dans sa ville auprès de sa Princesse,

15   D'un espoir assuré nourrissant son amour,

Pour être époux et roi n'attend plus que ce jour.

Nauplis est le séjour qu'on destine à Lyncée,  [ 1 Nauplis : Ville portuaire de Grèce située au sud d'Argos.]

Nous y voici Madame et la faveur passée,

Mes services, mes soins, les promesses du Roi,

20   Rien ne peut conserver Hypermestre à ma foi ;

Et dans ce même temps suspendant ma colère,

Vous me dites encore que j'aime, que j'espère.

ÉRIGONE.

Oui ; de Lyncée Iphis ne soyez point jaloux,

D'Hypermestre jamais il ne sera l'époux.

IPHIS.

25   Dites, dites aussi, pour endormir ma haine,

Qu'Hypermestre consent à soulager ma peine.

Que pour elle Lyncée est un objet d'horreur,

Que ces grands appareils se font en ma faveur;

Que ce n'est que pour moi que le Temple s'apprête,

30   Et tantôt quand l'hymen pour couronner la fête,

Livrera ma Princesse aux bras de mon rival...

Non ! Je n'attendrai point un moment si fatal !

En vain de ce malheur ma flamme est menacée !

Vous dites vrai, jamais je ne verrai Lyncée,

35   Maître ou tyran d'un coeur qu'il ne mérite pas.

J'espère, et mon espoir est ce fer et ce bras.

Adieu Madame.

ÉRIGONE.

Iphis c'est moi qui vous l'ordonne,

Arrêtez et craignez le courroux d'Érigone.

Je veux fermer les yeux à votre emportement,

40   Pour attendrir le fils en supportant l'amant,

Mais si vous ne quittez ce dessein téméraire...

IPHIS.

Eh regardez l'amant avec des yeux de mère,

Et voyez à quel point vous portez son ennui,

Prêtant à son Rival tous vos soins contre lui ;

45   Le Roi le veut, pour être à ses désirs contraire,

L'amour vous a rendu sa volonté trop chère,

S'il parvient à partager la Grèce à ses neveux,

Il vous réserve Argos et vous offre ses voeux,

Mais de quelques rayons que brille une couronne,

50   Vous devriez songer quelle main vous la donne,

La voir fumante encor du sang de vos parents,

Et soeur de Stenelus moins aimer ses tyrans.

ÉRIGONE.

J'aimerais Danaüs ! Ingrat, peux tu le croire ?

D'un frère massacré je perdrais la mémoire !

55   Je pourrais épouser son barbare assassin !

Ah je feins de l'aimer pour lui percer le sein.

Je l'ai vu ce cruel venu des bords d'Afrique,

Fuyant de ses parents le pouvoir tyrannique,

Ses filles avec lui ses tristes compagnons,

60   Mendier un asile à leurs Dieux vagabonds.

Il trouva Stenelus sensible à sa disgrâce ;

Ce cher frère en mourut. L'ingrat règne en sa place.

Après avoir pour prix de l'hospitalité,

Livré son bienfaiteur au peuple révolté,

65   À peine sur le trône a-t-il osé paraître,

Que des peuples voisins son bonheur l'a fait maître.

Mais pour le mieux livrer à mon ressentiment,

Son malheur aussitôt m'en a fait un amant,

Vois comme à la faveur de sa nouvelle flamme,

70   Pour le perdre j'ai lu jusqu'au fond de son âme ;

Il n'a pu me cacher l'invincible chagrin,

Où le plonge la peur d'un secret assassin,

Un oracle a parlé, si l'oracle est sincère,

Cet assassin doit être un des fils de son frère.

IPHIS.

75   Quel abîme de maux s'ouvre devant mes yeux !

Ces Princes par la paix attirés en ces lieux,

Chargés de tant d'honneurs...

ÉRIGONE.

Sont autant de victimes,

Sur qui de Danaüs je vais punir les crimes !

C'est trop peu de borner ma vengeance à sa mort,

80   Je me propose Iphis un plus illustre effort.

Et mon juste courroux veut avoir pour matière,

Tout le sang, tout l'honneur de sa famille entière !

L'Oracle vague, obscur, mes craintes, mes raisons,

Ont sur tous ses neveux étendu ses soupçons.

85   J'ai placé dans son coeur cette fausse tendresse,

Qui donne à chacun d'eux un trône dans la Grèce.

Je fais que sous l'appas des plaisirs les plus doux,

Par la crainte d'un seul on les immole tous.

Cette nuit est enfin celle de leur supplice,

90   Et le lit nuptial l'autel du sacrifice.

IPHIS.

Madame...

ÉRIGONE.

Tu frémis, il n'est pas encor temps,

Il faut, il faut des coups encor plus éclatants.

Pour un si grand dessein pour tant de morts cruelles,

Où crois tu que l'on trouve assez de bras fidèles ?

95   Danaüs dans la peur d'être mal obéi,

N'osant même en chercher se croit partout trahi,

Moi-même seul flambeau fatal aux deux familles,

Je lui fais emprunter le secours de ses filles :

Ses filles dans l'ardeur de défendre ses jours,

100   Ont promis de leurs mains l'infaillible secours.

Parle, reproche moi ma lâche complaisance,

Et cherche une plus noble et plus sûre vengeance,

IPHIS.

Madame pardonnez à mon étonnement,

Hypermestre perfide ingrate à son amant,

105   Démentant aujourd'hui tant de vertus charmantes,

Au milieu de ses soeurs du meurtre encor sanglantes,

Me viendra...

ÉRIGONE.

Lâche amant et plus lâche vengeur,

Tu veux perdre un rival et son sang te fait peur !

Feins tu de le poursuivre afin qu'on te retienne,

110   Et l'aveu de ma haine a-t-il éteint la tienne ?

IPHIS.

J'aime, je hais, je veux me venger ou mourir.

Je sais par quels chemins vous m'allez secourir,

Je vois par vos conseils deux familles éteintes,

Au meurtre des époux les épouses contraintes,

115   Danaüs accablé d'opprobres éternels,

Lui, ses filles en bute à l'horreur des mortels,

Tant de braves soldats épars dans nos provinces,

En état de venger le trépas de leurs Princes ;

Je n'ai pour terrasser le tyran plein d'effroi,

120   Qu'à marcher à leur tête, et la Grèce est à moi.

Ma main sur Danaüs accomplira l'oracle,

Mais pourrez vous souffrir ce barbare spectacle :

Hypermestre m'offrant la tête d'un époux,

Moi du sang de son père arrosant ses genoux ?

125   Ah serons nous après cette action cruelle,

Elle digne de moi, moi même digne d'elle ?

ÉRIGONE.

Non mon fils, je veux bien épargner sa vertu,

D'une si vaine peur ne sois pas combattu.

Mais ne t'empresse point d'en savoir davantage ;

130   J'en dis trop. Laisse moi poursuivre mon ouvrage

Et sois sûr de goûter avant la fin du jour,

Le fruit de la victoire et celui de l'amour.

IPHIS.

Je me tais, et je crois vos promesses sincères,

Je n'examine point quels en sont les mystères ;

135   Mais souffrez que demain si je n'en vois l'effet,

Je me fasse raison du tort qu'on m'aura fait.

SCÈNE II.
Érigone, Dircé.

ÉRIGONE.

Venez Dircé.

DIRCÉ.

Qu'Iphis est devenu traitable,

Madame, et qu'à vos soins Lyncée est redevable !

Pouvez vous témoigner un soin plus apparent,

140   Pour un Prince qui doit vous être indifférent ?

ÉRIGONE.

Hélas que ne l'est il !

DIRCÉ.

Ne l'est il pas Madame ?

ÉRIGONE.

Reconnais dans mes yeux le trouble de mon âme :

Lyncée à mon devoir m'empêche d'obéir,

Et J'ai mille raisons qui me le font haïr.

DIRCÉ.

145   Quoi vous voyez d'Iphis la flamme traversée.

Et quand vous le souffrez vous haïssez Lyncée !

ÉRIGONE.

Je le hais. Pour monter au rang de mes aïeux,

Des rivages d'Afrique il accourt en ces lieux,

Il porte sur son front nos dépouilles sanglantes.

150   Je le hais. Ses vertus paraissent trop brillantes,

Par tout de leur éclat les yeux sont éblouis.

Je le hais. Il dérobe Hypermestre à mon fils ;

Il croit en ce moment sa victoire certaine.

Je le hais. Mais enfin ce qui comble ma haine,

155   C'est que rival d'un fils, barbare, usurpateur,

Le cruel a surpris tout l'amour de mon coeur.

DIRCÉ.

Ce coeur dont Danaüs croit posséder l'Empire.

ÉRIGONE.

Il le croit, ce plaisir, Dircée, lui doit suffire,  [ 2 Dircée : Dans la mythologie grecque, femme de Lycos, régent de Thèbes. Suppliciée par l'attachement à la queue d'un taureau indompté et démembrée sur des rochers. ]

Et si j'obtiens du Ciel la faveur que j'attends,

160   Il n'aura pas celui de s'en flatter longtemps.

DIRCÉ.

Et Lyncée ?

ÉRIGONE.

Ose encor en douter pour ma gloire,

Depuis un mois je l'aime et je n'ose le croire,

Et je ne reconnais l'excès de mes ardeurs,

Qu'à l'horreur que pour lui m'inspirent ses froideurs.

DIRCÉ.

165   Quoi Madame peut il vous faire cet outrage ?

Est-il si peu sensible ?

ÉRIGONE.

Hypermestre l'engage,

Dircé. Peut il en moi rien voir que d'ennuyeux,

Et l'amour aux amants laisse-t-il de bons yeux ?

Il est vrai jusqu'ici j'ai caché ma pensée,

170   Ma constance au besoin ne m'a point délaissée,

Il ne m'est échappé que des soupirs perdus,

Que Lyncée a causés et n'a pas entendus.

Il est temps de parler ; Dircé, je sais ton zèle,

Aujourd'hui j'en demande une preuve nouvelle.

175   Admire où me conduit le caprice du sort :

De tous mes ennemis j'ai conspiré la mort,

L'amour a fait tomber Danaüs dans ma chaîne,

Ses neveux sont venus chercher ici ma haine,

Je les ai de l'Afrique attirés sous mes coups,

180   J'allais laisser sur eux répandre mon courroux ;

Déjà dans chaque Prince envisageant ma proie,

De leur trépas futur je prévenais la joie,

Et je considérais d'un regard curieux,

Par quel endroit chacun m'était plus odieux.

185   À peine hélas ! Mes yeux virent ceux de Lyncée,

Que d'un trait imprévu je me sentis blessée ;

L'ardeur de le revoir croissait de jour en jour,

J'y cherchais de la haine et j'y pris de l'amour.

Ah qu'il m'a fait sentir des coups bien plus sévères,

190   Que tous ceux qu'en secret je prépare à ses frères !

Ma vengeance dès lors fut pour moi sans plaisir,

Des qu'il me regardait j'en perdais le désir,

J'aurais tout pardonné. Mais son indifférence

Vient soutenir ma haine et hâter ma vengeance,

195   Ils périront. Lui seul plus coupable qu'eux tous,

Puis je le dérober moi-même à mon courroux ?

Oui, c'est par là qu'il faut que mon amour éclate,

Que le poids du bienfait accable une âme ingrate,

Qu'au milieu de l'horreur du plus affreux trépas,

200   Au centre du péril je conduise ses pas,

Et que là ma pitié lui permettant de vivre,

Pour prix d'un tel effort son coeur au mien se livre ;

Ou que, s'il m'y contraint, pour prix de ses dédains,

Moi-même je le livre à ses cruels destins.

205   C'est là Dircé qu'il faut signaler ta prudence,

L'aller trouver...

DIRCÉ.

Je vois Danaüs qui s'avance,

Il est triste, ses yeux accablés de langueur...

ÉRIGONE.

Laisse moi pénétrer le trouble de son coeur,

Dircé retire toi.

SCÈNE III.
Danüs, Érigone.

ÉRIGONE.

Quel funeste nuage,

210   Seigneur, à contre-temps vous couvre le visage ?

L'approche d'une nuit de qui l'heureux secours,

Va si bien assurer le repos de vos jours,

Ne devrait elle pas bannir cette tristesse ?

DANAÜS.

Que ne puis-je à vos yeux déguiser ma faiblesse !

215   Si près de ce moment si longtemps souhaité,

Des chagrins les plus noirs je me sens agité :

Mille spectres affreux, mille craintes funèbres,

Ces serments violés, ces cruelles ténèbres,

Tant de sang répandu Dieux et par quelles mains,

220   Tout trouble, tout confond mes esprits incertains.

Hypermestre surtout est ma plus rude peine,

Sa vertu me fait peur et son amour me gêne,

Et puisqu'il n'est plus temps de rien dissimuler,

Je n'ai pu me résoudre encore à lui parler.

ÉRIGONE.

225   Que dites vous Seigneur, l'ennui qui vous dévore,

L'oracle, l'entreprise, Hypermestre l'ignore ?

Tant de bras loin d'ici s'arment pour vous venger,

Et le seul près de vous vous reste à ménager ?

DANAÜS.

Que voulez vous ? Cent fois rallumant ma colère,

230   Affectant devant elle un air sombre et sévère,

Je me suis vu tout prêt d'exiger de sa foi,

Un effort où ses soeurs se hasardent pour moi ;

Mais quoi je la voyais au seul nom de Lyncée,

Rappeler sur son front sa tendresse passée,

235   Et la subite ardeur de ses yeux languissants,

Rabattait aussitôt mes regards menaçants.

J'aime. Aux maux des amants l'amour m'a fait sensible,

Quoi ? disais je, troubler un amour si paisible ?

Ses soeurs d'un tel amour n'ont point senti les coups,

240   Et leurs époux enfin ne sont que leurs époux.

Mais que la raison veuille ou que l'amour consente,

Qu'au meurtre de l'amant je contraigne l'amante,

Mon coeur à ses fureurs peut il s'abandonner,

Et l'amour se résoudre à me le pardonner ?

ÉRIGONE.

245   Et croyez vous Seigneur que l'amour vous pardonne,

Les douloureux assauts que votre coeur me donne,

Quand je le vois, saisi d'un frivole chagrin,

S'armer pour l'intérêt de son propre assassin ?

Mais Seigneur après tout quelle est votre pensée ?

250   Qu'allez vous devenir si vous sauvez Lyncée ?

Du sang de tous les siens quel fruit tirerez vous ?

Vous les devez tous perdre ou les épargnez tous.

Par la même raison leur mort est arrêtée,

Ou nul d'eux n'en est digne, ou tous, l'ont méritée,

255   Votre trépas est sûr s'il en échappe aucun,

Et pour vous perdre enfin l'oracle n'en veut qu'un.

DANAÜS.

L'oracle n'en veut qu'un Madame je l'avoue,

Mais des périls d'un homme un Dieu souvent se joue,

Et ne lui donne avis qu'il peut y succomber,

260   Qu'afin que l'oeil ouvert il s'y laisse tomber.

Combien dans l'univers ont fait naître des troubles

Ces oracles tissus de mots confus et doubles,

Qui de vastes horreurs et de périls affreux,

N'enveloppaient souvent que d'inutiles jeux,

265   Qui me dit qu'aujourd'hui touchés de mes misères,

Ces Dieux en ma faveur sont devenus sincères ?

Tu crois, me disent-ils, n'avoir plus d'ennemis,

Pour avoir fui ton frère et quitté ta patrie,

Évite si tu peux le fer d'un de ses fils,

270   Qui te doit arracher la vie.

Et par ces mots cruels et peut être ambigus,

Neveux infortunés, vous êtes tous perdus.

ÉRIGONE.

Eh bien Seigneur quittez une lâche entreprise,

Un généreux dépit jamais ne se déguise.

275   Lyncée est en ces lieux, méprisez mes douleurs,

Allez le fer en main chargé d'ans et d'honneurs,

Pour laver votre nom d'une honte importune,

De ce jeune guerrier défier la fortune.

Moi cependant tremblante et sans appui que vous,

280   De ce triste combat ressentant tous les coups,

J'irai baigner partout les autels de mes larmes,

Implorer tous les Dieux en faveur de vos armes...

Mais après tous ces Dieux vainement implorés,

À qui me laissez vous Seigneur si vous mourez ?

DANAÜS.

285   Ah Madame voyez où vous m'allez réduire !

Je sens qu'à vos soupirs je me laisse séduire,

L'horreur de mon péril ne m'a point abattu,

Mais l'image du vôtre emporte ma vertu.

N'en doutez plus, je veux qu'Hypermestre obéisse,

290   Qu'elle offre à mon destin Lyncée en sacrifice,

Qu'elle reçoive Iphis aujourd'hui pour époux,

Et que vous connaissiez que je n'aime que vous.

Il sort.

ÉRIGONE.

Va, cours de tous les tiens achever le supplice !

Enfin je tiens Lyncée au bord du précipice :

295   Ma haine et mon amour ont de quoi le braver,

Et je puis à mon choix le perdre ou le sauver.

Ombres autour de moi sans cesse gémissantes,

Tristes parents prenez ces victimes sanglantes,

Mais si l'amour encore est connu parmi vous,

300   Souffrez qu'il en dérobe une seule à mes coups.

ACTE II

SCÈNE I.
Lyncée, Hypermestre.

LYNCÉE.

Madame est il donc vrai qu'après tant de misères,

Le Ciel ait arrêté les fureurs de nos pères,

Que de tant de périls notre amour soit sauvé,

Et que notre heureux jour enfin soit arrivé ?

305   Je vous vois ma Princesse et vous vois sans contrainte,

Mes respects ne sont plus retenus par la crainte,

Et mon coeur à vous plaire attachant tous ses soins,

Pour s'expliquer à vous ne fuit plus les témoins.

Parlez, quels Dieux Madame, ont rompu tant d'obstacles ?

HYPERMESTRE.

310   Ceux par qui votre bras produit tant de miracles,

Ceux de qui vous tenez cette illustre valeur

Qui jusques dans ces lieux a porté la terreur,

A forcé Danaüs à craindre votre gloire.

LYNCÉE.

Eh laissons loin de nous cette faible victoire !

315   Celle de mon amour m'occupe tout entier,

Et l'amour près de vous me fait tout oublier.

Je ne vous dirai point après trois ans d'absence,

Quels peuples j'ai soumis à mon obéissance...

Dans mes plus grands succès soupirant en secret,

320   Aimer sans espérance est tout ce que j'ai fait.

HYPERMESTRE.

C'est beaucoup mais Seigneur j'ai bien fait davantage,

Et l'aveu que j'en fais ne me fait point d'outrage.

Puis qu'un père aujourd'hui m'attache à votre sort

Et qu'enfin le devoir et l'amour sont d'accord,

325   Sachez ce qu'à jamais la vertu m'eut fait taire,

Si le Roi n'eut cessé d'être à mes voeux contraire,

Quels tourments j'ai soufferts, quels combats j'ai rendus,

Pour vous garder un coeur que vous n'espériez plus.

Des victoires d'un père à ses yeux satisfaite,

330   J'en ressentais dans l'âme une douleur secrète :

La guerre dans ces lieux assurant son pouvoir,

Semblait me dérober les moyens de vous voir,

Et j'en eusse gardé quelque faible espérance,

Si son bonheur en Grèce eut eu moins de constance.

335   Sentiments criminels que le devoir calmait,

Mais qu'un tendre retour aussitôt ranimait !

Lorsque des mille amants me voyant accablée,

Surtout des yeux d'Iphis incessamment troublée,

Craignant en sa faveur un ordre exprès du Roi,

340   Je me disais tout bas, non ma timide foi

À s'engager ailleurs peut bien être forcée,

Mais ce coeur malheureux n'est fait que pour Lyncée.

LYNCÉE.

Ah Princesse ! Au moment qu'il fallut nous quitter,

D'un espoir si charmant vous deviez me flatter :

345   Un mot eut prévenu le sujet de mes plaintes,

Malgré tous mes rivaux calmé mes justes craintes,

Pourquoi me laissiez vous privé de ce secours ?

HYPERMESTRE.

Hélas croyais je alors vous quitter pour toujours ?

Vous me laissiez paisible au sein de ma patrie,

350   ...............................

J'ignorais que mon père eut dessein d'en sortir,

Et pensais au retour en vous voyant partir.

Vous souvient-il Seigneur de l'affreuse journée,

Où sans prévoir encor ma triste destinée,

355   Faisant pour vos succès mille voeux incertains,

Moi-même je voulus vous armer de mes mains ?

Combien en couvrant de ces fatales armes,

Fis-je de vains efforts pour retenir mes larmes !

Et quand mes tristes pleurs intimidaient mes voeux,

360   Votre amour en tirait des présages heureux.

LYNCÉE.

Madame, et mon attente a-t-elle été trompée ?

Quoi vos pleurs n'ont ils pas consacré cette épée ?

Et partout où depuis j'en ai porté les coups,

N'ai-je pas tout vaincu pour m'approcher de vous ?

365   En effet, si la paix n'eut fini nos querelles,

Vous m'auriez vu suivi de mes troupes fidèles,

Les armes à la main sur mes vaisseaux vainqueurs,

Vous disputer en Grèce à vos adorateurs...

Mais quoi ce souvenir rappelle vos alarmes ?

HYPERMESTRE.

370   Ah Prince si ces pleurs dont j'arrosai vos armes,

D'augures fortunés flattaient votre valeur,

Qu'ils devinrent hélas funestes à mon coeur !

Mon père dès longtemps persécuté du vôtre,

Las d'un sort si cruel voulant s'en faire un autre,

375   Fit armer promptement quelques vaisseaux légers :

Fuyons, me vint il dire, en des bords étrangers,

Il fuit, mes soeurs et moi nous marchons à sa suite,

Son adresse et la nuit dérobent notre fuite,

Le jour qui n'atteignit que bien loin nos vaisseaux

380   N'offrit plus à mes yeux que le Ciel et les eaux ;

Plus de Lyncée. Alors dans ma douleur extrême,

Ah je sentis mon coeur s'arracher de moi-même,

Et maudissant les vents de mon bonheur jaloux,

Faire de vains efforts pour se rejoindre à vous.

LYNCÉE.

385   Madame sentez vous que cette affreuse image,

Nous fait du sort présent mieux goûter l'avantage,

Et que les justes Dieux par de si grands malheurs,

À de plus doux plaisirs ont disposé nos coeurs ?

Après trois ans entiers de chagrins et d'absence,

390   Nous voyons couronner votre persévérance,

Et le Ciel adouci va rendre dès ce jour,

Nos plaisirs éternels ainsi que notre amour.

HYPERMESTRE.

Prince, voici le Roi.

SCÈNE II.
Danaüs, Lyncée, Hypermestre.

DANAÜS.

Je trouble votre joie,

Mais il faut qu'à vos yeux la mienne se déploie,

395   Il faut que je la mêle à vos communs plaisirs,

Prince n'opposez point d'obstacle à mes désirs.

LYNCÉE.

Moi Seigneur, à l'auteur du repos de ma vie,

J'irais...

DANAÜS.

D'aucun rival ne craignez plus l'envie,

Iphis qui se voulait absenter de la cour,

400   Qui seul par ses chagrins troublait un si beau jour,

S'est enfin laissé vaincre aux avis de sa mère,

Et prêts à vous jurer une amitié sincère,

Tous deux vont de ce pas chez vous pour vous l'offrir.

LYNCÉE.

Seigneur au devant d'eux vous me voyez courir,

405   Pour mériter Madame une amitié si rare,

Souffrez pour un moment qu'un rival nous sépare.

HYPERMESTRE.

Allez Prince, l'amour ne sera point jaloux,

Des droits que l'amitié peut exiger de vous.

SCÈNE III.
Danaüs, Hypermestre.

DANAÜS.

Ma fille je connais l'ardeur de votre flamme,

410   Mais enfin il est temps de vous ouvrir mon âme.

L'amour que vous inspire un époux prétendu,

Ne fait il point de tort à celui qui m'est dû ?

Ne l'a-t-il point éteint ?

HYPERMESTRE.

Seigneur quel avantage,

Prétendez vous tirer d'un doute qui m'outrage ?

415   La nature et l'amour ont leurs droits séparés.

DANAÜS.

Je le sais mais les miens sont ils bien assurés ?

Quand je songe combien depuis votre naissance,

Entre vos soeurs et vous j'ai mis de différence,

Que pour vous faire un sort digne de votre choix,

420   De l'aînesse pour vous je violai les droits,

Que dispersant vos soeurs dans le fond de la Grèce,

De mes plus chers États je vous fais la maîtresse,

Et que par le plaisir d'être plus près de vous,

Je quitte pour Argos les plaisirs les plus doux,

425   Lorsque je me souviens que fuyant de Libye,

Ma plus sensible crainte était pour votre vie,

De pareils sentiments suivis de tant d'honneurs,

Ma fille, attendent plus de vous que de vos soeurs.

HYPERMESTRE.

Oui, Seigneur, oui de moi vous devez tout attendre,

430   Et mon amour pour vous ne peut être assez tendre.

Mais vous joignez mon sort à celui d'un époux,

Qui saura par ses soins m'acquitter envers vous,

Vous savez à quel point cet époux vous révère,

Qu'il voudrait de son sang...

DANAÜS.

Ah ma fille !

HYPERMESTRE.

Mon père !

435   Que vois je ? Juste Ciel ! Qu'un chagrin si profond,

Dans un jour si serein me trouble et me confond.

Quoi quand vous invitez tout le monde à la joie,

Que sans crainte à vos yeux la mienne se déploie,

Votre coeur malgré vous se trahit devant moi,

440   Et des soupirs contraints...

DANAÜS.

  Aussi n'est ce qu'à toi,

Qu'un Roi persécuté, qu'un père misérable,

Ose ouvrir le secret du tourment qui l'accable :

On en veut à mes jours.

HYPERMESTRE.

Ô Dieux !

DANAÜS.

Un assassin,

Peut-être avant la nuit tranchera mon destin,

445   Peut-être...

HYPERMESTRE.

  Et vous parlez d'hyménée et de fête,

Au moment que le Ciel menace votre tête !

Songeons à vos périls, prévenons l'attentat,

Prenons du criminel vengeance avec éclat ;

Seigneur quelque pouvoir qui le rende terrible,

450   Vous avez pour le vaincre un secours infaillible :

La flotte de Lyncée, un million de bras,

Armés pour vous défendre et vous et vos états,

Ses braves chefs épars au palais, dans la ville,

Rendent de l'assassin l'entreprise inutile ;

455   Lyncée à tous moments lui-même auprès de vous...

DANAÜS.

Oui pour porter sur moi plus sûrement ses coups.

HYPERMESTRE.

Lui sur vous, justes Dieux ! L'effroyable pensée,

Pouvez-vous sans horreur en accuser Lyncée ?

DANAÜS.

Lui, ses frères, ses chefs, ses amis, ses soldats,

460   Sa flotte, tous, ma fille ont juré mon trépas.

HYPERMESTRE.

Que dites vous Lyncée aurait l'âme assez noire,

Pour former un dessein... Non je ne le puis croire.

Je prévois l'artifice et j'en connais l'auteur,

Iphis est seul ici jaloux de son bonheur.

465   Ah cher Prince, est-ce là l'amitié qu'on te jure ?

Tandis que loin de moi... vous verrez l'imposture

Allons Seigneur, voyons Érigone et son fils,

Qu'ils parlent c'est assez.

DANAÜS.

N'accusez point Iphis.

Accusez s'il le faut un oracle céleste,

470   Qui m'explique en ces mots leur pratique funeste,

En vain tu crois n'avoir plus d'ennemis,

Pour avoir fui ton frère et quitté ta patrie,

Évite si tu peux le fer d'un de ses fils,

Qui te doit arracher la vie.

475   Consultez là-dessus la nature et l'amour,

Pour sauver votre amant trouvez y quelque jour.

Ce n'est point un effet des complots d'Érigone,

Argos ne m'avait point encor vu sur son trône,

Mon nom était encore inconnu dans ces lieux,

480   Quand je fus averti par l'oracle des Dieux.

Trois ans pour mon repos refusant de le croire,

J'ai tâché vainement d'en perdre la mémoire,

J'ai fait pour me tromper mille efforts impuissants,

J'ai cherché des détours pour en troubler le sens,

485   Mais le Ciel m'a donné des réponses trop claires :

S'il ne marque pas Lyncée il marque un de ses frères,

Et s'il faut dans leur sort ne point l'envelopper,

Montrez moi l'assassin sur qui je dois frapper.

HYPERMESTRE.

Ah le Ciel vous rendra sensible à ma prière.

490   Mais puisqu'il vous parlait avec tant de lumière,

Dites moi fallait il rappeler près de vous,

Un de vos assassins pour être mon époux ?

À quelle extrémité votre courroux me livre,

Seigneur quand mon devoir me force de vous suivre ?

495   Je l'aimais et dès lors sans examiner rien,

Mon coeur pour obéir se sépara du sien ;

Ni dans notre départ ni durant notre fuite,

Vous n'avez pas eu lieu de blâmer ma conduite,

J'ai vu durant trois ans mon espoir abattu,

500   Sans que mon feu secret ait trahi ma vertu.

Vous n'aviez qu'à parler ne pouvant plus l'éteindre,

Au moins jusqu'au tombeau j'aurais su le contraindre,

Et pour ne pas troubler vos tranquilles plaisirs,

Seigneur j'aurais toujours étouffé mes soupirs.

505   Ah vous avez cherché jusqu'au fond de mon âme,

Les restes malheureux d'une secrète flamme,

Et pour faire éclater ces fatales ardeurs,

Vous avez inspiré même amour à mes soeurs !

Eh bien vous vouliez voir si par obéissance,

510   Votre amour sur le mien aurait la préférence,

Oui Seigneur vous l'aurez, tout mon coeur est à vous,

Je bannis cet amour dont le vôtre est jaloux,

Que l'hymen soit rompu : faites partir Lyncée,

J'en veux perdre à jamais jusques à la pensée.

515   Il ne recevra point mes adieux en partant,

Qu'il parte ; votre amour mon père est il content ?

DANAÜS.

Non vous l'épouserez. La pompe est déjà prête,

Et votre seul hymen peut garantir ma tête ;

Mais alors consultant l'amour et le devoir,

520   Songez que mes destins sont en votre pouvoir.

HYPERMESTRE.

Eh bien Seigneur ?

DANAÜS.

Alors prévenant le barbare,

Vous tournerez sur lui le coup qu'il me prépare.

HYPERMESTRE.

Moi sur lui Justes Dieux ! Seigneur qu'ordonnez vous ?

Que je trempe ma main dans le sang d'un époux ?

525   Cette perfide main qui jointe avec la sienne,

Va recevoir sa foi, lui va donner la mienne ?

Ô coup ! Ô trahison ! Mais vous même Seigneur,

Pouvez vous en souffrir l'image sans horreur ?

Pouvez vous m'ordonner...

DANAÜS.

Non remplissez l'oracle,

530   Voyez avec plaisir le barbare spectacle,

D'un père massacré par la main d'un époux,

Dont votre cruauté veut seconder les coups.

Laissez, laissez, perfide, à des mains plus fidèles,

Le soin de m'affranchir de mes craintes mortelles.

535   Joignez vos coups à ceux d'un époux assassin,

Pour me percer le coeur prêtez lui votre main,

Vos soeurs seront sans vous...

HYPERMESTRE.

Ô mes soeurs ! Ô mon père !

Si votre amour pour nous fut toujours si sincère,

Hélas n'avez vous pu choisir d'autre secours,

540   Que nos tremblantes mains pour assurer vos jours ?

Pourquoi sur votre tête assembler tant de crimes,

À votre sûreté faut il tant de victimes ?

Si mes soeurs ont promis le secours de leurs bras,

Tant de sang répandu ne vous suffit il pas ?

545   Voulez vous ajouter pour comble de misères,

Le fidèle Lyncée à ses malheureux frères ?

Mais ne craignez vous point ses chefs et ses soldats,

Qui sont ici tout prêts pour venger son trépas ?

DANAÜS.

Je les crains ; et je veux prévenir la tempête,

550   Trancher à ce grand corps sa principale tête,

Tous périront ; je veux qu'une juste fureur,

M'ôte avec l'assassin la crainte du vengeur,

L'oracle les a tous livrés à ma vengeance,

Quand il n'a sur aucun fixé ma défiance.

555   Si nous faisons un crime en prévenant leur coup,

Le Ciel qui m'avertit en est chargé pour nous.

Pourquoi donc quand les Dieux me livrent ma victime,

Le soin de l'immoler vous semble-t-il un crime ?

Parmi tant d'ennemis envieux de mon rang,

560   Est-il de sûres mains pour verser tant de sang ?

Si même parmi vous qui me devez la vie,

Infortuné je trouve une fille ennemie,

Qui fuit pour me sauver l'exemple de ses soeurs,

Que ne devais je pas appréhender ailleurs ?

565   Hypermestre est-ce assez de me donner des larmes ?

HYPERMESTRE.

Hélas ces faibles pleurs sont mes uniques armes,

Elles ne peuvent rien contre votre courroux,

Mais elles pourront tout sur le coeur d'un époux.

Laissez moi m'en servir, sûres de leur victoire,

570   Elles conserveront votre vie et ma gloire,

Et si je ne le rends plus traitable que vous,

Je n'ai qu'un coeur à mettre au devant de ses coups ;

Mais si jamais ma main à la sienne est unie,

Non je n'ai plus de main pour attaquer sa vie.

DANAÜS.

575   Eh bien votre pitié n'ose me secourir,

Cruelle, poursuivez, et me laissez mourir.

SCÈNE IV.

HYPERMESTRE.

Mourir, dit il, et moi dénaturée, impie,

Au bruit de son trépas je demeure assoupie ;

Et même à ce trépas si plein de cruauté,

580   Je prête le secours de ma timidité,

J'aime peut-être hélas l'assassin de mon père,

Mais dois je exécuter un ordre si sévère ?

Non dussai-je vous voir à mes pieds abattu.

J'aime votre repos moins que votre vertu,

585   Et je dois souhaiter que le sort vous opprime,

S'il faut pour vous sauver qu'il m'en coûte un seul crime.

La nature sur moi vous a cédé ses droits,

Mais l'honneur, la vertu ne sont point sous vos lois.

Que dis je malheureuse et quelle est ma pensée ?

590   En désobéissant crois-je sauver Lyncée ?

Mon père a-t-il pour lui désarmé sa fureur ?

N'a-t-il point d'autre main pour lui percer le coeur ?

Ah faudra-t-il toujours redouter la colère,

Du père pour l'époux, de l'époux pour le père ?

595   Juste Ciel qui semblez encourager mes voeux,

Montrez moi les moyens de les sauver tous deux.

ACTE III

SCÈNE I.
Érigone, Dircé.

ÉRIGONE.

Dircé, que Danaüs me fait souffrir de peine !

J'avais calmé les flots de son âme incertaine,

Il m'avait tout promis et tout peut-être en vain...

600   Je ne le trouve plus. Le jour tend à sa fin.

Hypermestre sans doute a fléchi sa colère,

S'il est ainsi, Dircé, que faut il que j'espère ?

Par où mon triste amour pourra-t-il éclater ?

DIRCÉ.

Eh Madame pourquoi vous tant inquiéter ?

605   Vous en savez, au point que l'affaire est conduite,

Assez pour obliger son amant à la fuite.

Laissez moi lui parler, pour troubler leurs amours,

Je lui dirai quels soins vous prenez de ses jours,

Quels pièges on lui tend quelles mains on emploie.

610   Qu'il fuie, ou que du moins il recule sa joie,

Qu'il diffère l'hymen ; demain ses frères morts,

Justifieront vos soins, changeront ses transports,

Hypermestre à ses yeux paraîtra criminelle,

Vous parlerez...

ÉRIGONE.

Dircé je dois trop à ton zèle,

615   Va de ce triste hymen troubler les vains apprêts,

Mais ne découvre point mes sentiments secrets.

Dis lui de quels périls sa tête est menacée ;

Le reste languirait sur ta langue glacée :

Pour peindre des amants les douloureux combats,

620   Il faut un coeur bien tendre et le tien ne l'est pas.

Eh quoi ! Toujours Iphis !

SCÈNE II.
Iphis, Érigone.

IPHIS.

Mon coeur s'ouvre à la joie,

Madame et je vois bien que mon sort se déploie,

Je ne puis en comprendre encor tous les secrets,

Mais déjà de vos soins je prévois les effets.

625   Du bonheur que j'attends tout flatte mon Idée :

De ce fatal hymen la pompe est retardée,

Les prêtres dans le temple attendant les époux,

Lisent sur les autels le céleste courroux,

Et le peuple qui court les attendre au passage,

630   Tire de la nuit même un funeste présage.

Que vous dirai je enfin cette heureuse lenteur,

Fait la crainte publique et l'espoir de mon coeur.

Tantôt d'un noir chagrin Hypermestre occupée,

Sortait de chez le Roi de pleurs encor trempée ;

635   Confus de ses dédains, les yeux humiliés,

J'ai voulu la voyant me jeter à ses pieds,

Elle m'a retenu. Mon coeur toujours fidèle,

S'est en mille soupirs répandu devant elle,

Je n'ai pu dire un mot. Mais d'un air douloureux :

640   Hélas ! M'a-t-elle dit, que vous êtes heureux.

Puis sans vouloir m'entendre et de mes cris émue,

Elle s'est à l'instant dérobée à ma vue.

Ah puisque ma fortune est toute entre vos mains,

Madame au nom de Dieux avancez mes destins,

645   Arrêtez en rompant cet ennuyeux silence,

Le combat de ma crainte et de mon espérance.

Dites moi le secret.

ÉRIGONE.

Je ne le puis Iphis.

Mais que votre récit m'épargne de soucis ;

Vous êtes trop heureux c'est assez vous en dire,

650   Et jusques à demain ce mot vous doit suffire.

SCÈNE III.
Danaüs, Érigone.

DANAÜS.

Qu'on nous laisse. Madame admirez mon bonheur,

De l'amour d'Hypermestre enfin je suis vainqueur.

De la grandeur du coup d'abord épouvantée,

Contre un ordre si dur elle s'est révoltée,

655   Je sortais en fureur, elle a suivi mes pas,

Et s'est rendue après quelques légers combats.

La grâce que j'accorde à sa vertu timide,

Pour lui sauver le nom d'épouse parricide,

C'est qu'avant qu'à Lyncée elle ait donné la main,

660   Elle exécutera cet important dessein ;

Ainsi sans outrager les Dieux de l'Hyménée,

Elle doit à l'instant fixer ma destinée.

Mais quoi ce changement alarme votre esprit ?

ÉRIGONE.

C'est prévenir le temps que vous aviez prescrit,

665   Et pour peu que ses soeurs à vous servir trop lentes,

Diffèrent le moment de leurs noces sanglantes,

Du trépas de Lyncée on sèmera le bruit.

DANAÜS.

Eh j'en recule exprès la pompe dans la nuit.

Contre la peur du bruit qui pourrait se répandre,

670   La distance des lieux suffit pour nous défendre,

Ses frères écartés sans secours, sans support

Pourraient ils profiter de l'avis de sa mort ?

Leurs amis sont loin d'eux épars dans cette ville,

S'ils osent résister leur défaite est facile,

675   Et la flotte sans chef aisée à repousser,

Est toute en proie aux feux que j'y ferai lancer ;

Par honneur à présent mes soldats sous les armes,

Se trouveront tous prêts aux premières alarmes,

La tête de Lyncée en sera le signal,

680   Tout dépend d'opprimer cet ennemi fatal.

Vous aux soins de ma fille unissez votre zèle,

On les attend au Temple et son amant fidèle,

La viendra bientôt prendre en cet appartement ;

Opposez quelque obstacle à son empressement,

685   Madame, en attendant qu'Hypermestre affermie,

Y vienne aider les Dieux à conserver ma vie.

C'est pour vous obéir que je prends tous ces soins,

Et sans vous mes périls m'épouvanteraient moins.

Adieu ; je vais donner le peu de temps qui reste,

690   Aux derniers appareils de cet hymen funeste.

SCÈNE IV.

ÉRIGONE.

Trop cruelle Hypermestre à quoi te résous tu ?

Qu'avec peu de raison je craignais ta vertu,

Quoi le sang d'un amant ne coûte à ta constance,

Que quelques vains efforts de feinte résistance ?

695   Un mérite si grand devait bien te toucher,

Perfide ton courroux te l'a-t-il pu cacher ?

Ah quand ta lâche main s'arme pour son supplice,

L'amour pour le sauver veut que je te trahisse !

Tu l'attends comme époux mais tes barbares yeux,

700   Ne le reverront plus qu'en vainqueur furieux,

Te reprochant l'horreur de ces sanglants mystères,

Et se faisant raison du meurtre de ses frères.

C'est alors qu'unissant mes sentiments aux siens,

Je me ferai raison du sang de tous les miens,

705   Que Danaüs objet d'une commune haine,

Nous verra... Viens Dircé, viens me tirer de ma peine,

Qu'a-t-il dit ?

SCÈNE V.
Érigone, Dircé.

DIRCÉ.

Ah Madame il marche sur mes pas,

Je l'ai vu, j'ai parlé : l'ingrat ne me croit pas.

Il vous soupçonne, il croit qu'un fils vous a séduite,

710   Et qu'en faveur d'Iphis on lui parle de fuite.

ÉRIGONE.

Qu'entends-je ?

DIRCÉ.

À peine a-t-il écouté mes discours,

Enivré du succès de ses tendres amours,

Affectant à mes yeux une folle assurance,

Il a voulu sortir sans armes, sans défense,

715   Il a laissé sa suite en son appartement.

Il vient seul.

ÉRIGONE.

Quel succès de tant d'empressement,

Ah si j'avais parlé, sans doute il m'aurait crue.

Tu n'étais du péril que faiblement émue.

Je te l'avais bien dit. L'espoir que je conçois,

720   Eut donné plus de grâce et de force à ma voix.

Le voici.

SCÈNE VI.
Lyncée, Érigone, Dircé.

LYNCÉE.

C'est donc vous à qui le Ciel m'adresse,

Madame, et de vos mains j'obtiendrai ma Princesse,

Vous voyez que l'amour a bien conduit mes pas,

Je vis encor, je viens, entrons, ne tardons pas.

ÉRIGONE.

725   Lyncée, où courez vous ?

LYNCÉE.

  Eh quoi la nuit s'avance,

Et vous vous étonnez de mon impatience !

Mes frères dans la Grèce en ce moment heureux,

Sont déjà parvenus au comble de leurs voeux.

Voulez-vous retarder le bonheur où j'aspire ?

ÉRIGONE.

730   Non, mais au nom des Dieux Prince... Que dois je dire ?

J'ai trahi des secrets confiez à ma foi,

Le trône, Danaüs, tout est perdu pour moi.

Je mets la Grèce entière et l'univers en flamme,

Mais pour y consentir le crime est trop infâme,

735   Il faut mieux du tyran mériter le courroux ;

Je veux vous sauver, Prince, ou me perdre avec vous,

Sortez de ce Palais : votre mort est conclue,

Danaüs, Hypermestre enfin l'a résolue.

LYNCÉE.

Hypermestre.

ÉRIGONE.

À ce nom vous demeurez confus,

740   Elle même ; en un mot vos frères ne sont plus,

Ils ont en cet instant reçu le coup funeste.

Fuyez et profitez du peu de temps qui reste,

Vous seul êtes encor maître de votre sort,

Mais si vous ne fuyez, Prince, vous êtes mort.

LYNCÉE.

745   Moi contre Danaüs qu'aurais-je pu commettre ?

Quel fruit de notre mort se pourrait-il promettre ?

Se repend il des biens qu'il vient de nous donner ?

Et nous a-t-il fait Rois pour nous assassiner ?

Non de pareils soupçons n'entrent point dans mon âme ?

750   Je ne le saurais croire, on vous trompe Madame.

Je reconnais assez à ce subit effroi,

Jusqu'où vont les bontés que vous avez pour moi.

Un autre vous dirait qu'une jalouse envie,

Fait prendre à quelques gens trop de soin de ma vie,

755   Qu'on veut en m'inspirant une vaine terreur,

Me faire renoncer moi-même à mon bonheur,

M'engager à quitter la beauté que j'adore,

M'irriter contre un Roi qui m'aime, que j'honore,

Des différents passés aigrir le souvenir,

760   Et séparer deux coeurs qui sont prêts de s'unir.

L'artifice est trop bas, cessez donc de me plaindre.

En l'état où je suis l'amour ne sait rien craindre,

Et j'ai contre le coup que l'on m'a préparé,

Dans les bras d'Hypermestre un asile assuré.

ÉRIGONE.

765   Non vous n'y trouverez qu'une mort assurée,

À la face des Dieux Danaüs l'a jurée.

Averti par la voix d'un oracle inhumain,

Que d'un fils d'Oegiptus il doit craindre la main,

Il vous fait tous périr et ses filles cruelles,

770   Sont de ses attentats les ministres fidèles.

Hypermestre...

LYNCÉE.

Ah ! c'est là que j'ouvre enfin les yeux,

Que je vois les ressorts d'un complot furieux.

Je crois, malgré le sang qui joint nos deux familles,

L'artifice du Roi, la haine de ses filles ;

775   Je crois mes frères morts et si vous le voulez,

Ils méritaient les coups qui les ont accablés ;

Je les mérite même il faut que je périsse,

Le cruel Danaüs ordonne mon supplice ;

Je dois m'y préparer, après tant d'attentats,

780   Sa criminelle main ne m'épargnera pas.

Mais qu'Hypermestre ait part au malheur qui m'accable,

Non c'est ce qui me rend tout le reste incroyable,

On vous trompe Madame.

ÉRIGONE.

Oui, Seigneur je le vois,

C'est donc moi qui me trompe et vous trompe après moi.

785   Je sais tout, du secret seule dépositaire,

Pour vous persuader je n'aurais qu'à me taire ;

Je parle, je vous dis quels sont vos assassins,

À votre fuite enfin j'ouvre tous les chemins.

Je fais plus. Suivez moi rejoignons votre armée,

790   Sauvez moi des frayeurs dont je suis alarmée :

Je vois déjà le sang couler de toutes parts,

Je ne puis sur personne arrêter mes regards,

Sur des sujets sans foi, sur un tyran qui m'aime,

Sauvons nous, par pitié pour vous ou pour moi même,

795   Montons sur vos vaisseaux : allons loin de ces bords,

Élever des autels à tant d'Illustres morts,

D'un père abandonné charmer l'inquiétude,

Et de sa triste cour remplir la solitude ;

Vous lui direz Seigneur me présentant à lui,

800   Que j'ai de ses vieux jours sauvé l'unique appui,

Qu'on l'aurait vu sans moi survivre à sa famille,

Que je lui tiendrai lieu d'Hypermestre et de fille,

Et qu'après tant d'efforts un coeur comme le mien,

Mérite assez... Ingrat vous ne me dites rien !

LYNCÉE.

805   Madame, qu'à ma mort Hypermestre consente,

Je ne la fuirai point elle sera contente ;

J'aurai du moins l'honneur de répandre à ses yeux,

Un sang infortuné qui leur est odieux.

Loin de parer ses coups, d'éviter sa présence,

810   Je n'y paraîtrai point en état de défense,

Et le fer qu'autre fois je reçus de ses mains,

Ne mettra nul obstacle à ses justes desseins.

Je l'ai quitté je vais déplorable victime,

Subir à ses genoux la peine de mon crime.

815   Vous Madame gardez à ce barbare Roi,

Un coeur dont son amour a mérité la foi ;

Pour moi puisqu'à la mort ma Princesse me livre,

Je suis trop criminel pour mériter de vivre,

Et quoi que d'un beau feu tendrement animé,

820   Je suis d'elle et de vous indigne d'être aimé.

Faites donc à l'amour succéder la vengeance,

Punissez un ingrat de son indifférence,

Et rebutant un coeur qu'Hypermestre me rend,

Livrez un malheureux à la mort qui l'attend.

ÉRIGONE.

825   C'en est trop; et je sens ma pitié dissipée,

Qu'ai je dit, ma vertu m'aurait-elle trompée ?

À travers la pitié, l'amour s'est il fait voir ?

Lâche, t'aurais-je aimé sans m'en apercevoir ?

Puisque par mon bienfait tu refuses de vivre,

830   Meurs, et vois dans ta mort que c'est moi qui te livre.

Je règne enfin, ce jour va venger mes parents,

Dans tes frères dans toi je poursuis les tyrans,

Je veux que Danaüs pour victoire dernière,

Se baigne dans le sang de sa famille entière,

835   Qu'il s'y noie, hier encor il voulait t'épargner,

Mais de ce sentiment j'ai bien su l'éloigner,

J'ai choisi pour te perdre Hypermestre elle-même,

Tu mourras, c'est ainsi, Barbare, que je t'aime.

Mais de quelque fureur que mon coeur soit armé,

840   Il n'a tenu qu'à toi d'être autrement aimé.

Elle sort.

SCÈNE VII.
Hypermestre, Lyncée.

HYPERMESTRE.

Eh quoi vous me fuyez Lyncée ?

LYNCÉE.

Ah ma Princesse,

Me soupçonneriez vous d'une telle faiblesse ?

Je ne fuis point la mort puisqu'elle vient de vous,

Et mon coeur désarmé vient s'offrir à vos coups.

HYPERMESTRE.

845   Ah que me dites vous ! C'est moi qui suis coupable,

Puisque d'un tel forfait vous me croyez capable,

Et que plus empressée à vous sauver le jour,

Une autre a prévenu les soins de mon amour.

LYNCÉE.

Eh Madame cessez de différer ma peine,

850   Sauvez moi par ma mort de l'amour de la Reine,

Elle m'aime : j'ai pu l'écouter un moment,

Est-il pour un tel crime un trop rude tourment ?

HYPERMESTRE.

Que ne la croyiez vous ? Dans cette nuit funeste,

Vos frères ont péri, vous savez tout le reste,

855   Mon père à votre mort attache mon bonheur,

Je feins pour vous sauver de servir sa fureur,

Mais d'un autre assassin évitez la poursuite.

Venez, l'amour m'a fait pourvoir à votre fuite,

À l'ancre près d'ici vos vaisseaux sont tous prêts.

860   De ce côté la mer bat les murs du Palais ;

N'abusons point du temps la nuit sombre et tranquille,

À votre éloignement offre un moyen facile.

Je ne puis plus ici vous parler sans effroi,

Venez Seigneur l'amour vous parlera pour moi,

865   Mais sans plus différer contentez mon envie.

LYNCÉE.

Non puisque votre amour me rend ainsi la vie,

Je saurai la défendre et je cours de ce pas,

Par un chemin sanglant rejoindre mes soldats.

HYPERMESTRE.

Eh de quel sang Seigneur, de celui de mon père,

870   Est-ce là le dessein que l'amour vous suggère ?

Ô Ciel que dites vous, mon père, moi, mes soeurs,

Voila les seuls objets de vos justes fureurs,

C'est notre mort qui doit réparer votre offense.

Tandis que nous vivrons vous serez sans vengeance,

875   Cher Prince seriez vous ce cruel assassin,

Ce ministre fatal d'un injuste destin,

Et moi dans le dessein de m'épargner un crime,

N'aurai-je à vos bourreaux arraché leur victime,

Pour conserver vos jours abandonné des miens,

880   Que pour ôter la vie à ceux dont je la tiens ?

LYNCÉE.

Non vous ne serez point funeste à votre père.

Dissipez vos frayeurs ma promesse est sincère :

Je ne vois plus en lui l'ennemi qui me perd,

Votre seule vertu met son crime à couvert ;

885   Et lorsque la raison semble exiger sa peine,

Mon amour dans mon coeur est plus fort que ma haine :

J'oublierai que ma vie attira son courroux,

Quand je me souviendrai que je la tiens de vous.

Si ma présence alarme ici votre tendresse,

890   Madame je consens à sortir de la Grèce :

Allons passer en paix nos jours hors de ces lieux,

Dont les tristes horreurs doivent blesser vos yeux.

Dérobons la vertu de deux coeurs déplorables,

Au sort qui malgré nous, nous veut rendre coupables.

895   Marchons ; et s'il faut perdre un empire à ce prix,

Au moins sauvons l'amour de ces cruels débris.

HYPERMESTRE.

Eh quoi ! Tant d'yeux jaloux ouverts sur ma conduite,

Me verraient d'un amant accompagner la fuite,

Et les siècles futurs m'accuseraient un jour,

900   D'avoir trahi ma gloire en servant mon amour,

Non, d'offenser mon Roi je n'eus jamais envie,

Et puisqu'à ses fureurs j'arrache votre vie,

Je veux pour l'empêcher de redouter vos coups,

Demeurer dans ses mains en otage pour vous.

LYNCÉE.

905   Et moi timide amant sans craindre votre père,

Tandis que vous serez en proie à sa colère,

Me cherchant un asile aux climats étrangers,

J'irai goûter en paix le fruit de vos dangers ?

HYPERMESTRE.

Lyncée à cet effort il faut bien vous résoudre,

910   Jamais le Ciel sur vous ne suspendra sa foudre,

De vos frères trahis les mânes négligés,

Jamais ne se tairont si vous ne les vengez ;

Jamais à quelques maux que l'absence me livre,

Je ne voudrai quitter mon père pour vous suivre ;

915   Jamais mon père enfin n'éteindra son courroux,

Et jamais... et jamais je n'aimerai que vous.

LYNCÉE.

Aimez moi. Mais au moins pour finir votre peine,

Tarissez dans mon sang la source de sa haine,

Répandez le Madame il me sera plus doux,

920   De mourir à vos yeux que de vivre sans vous.

Ainsi libre à jamais des chagrins de l'absence,

Jusqu'au dernier soupir vous verrez ma constance,

Et sans vous consumer en regrets superflus,

Vous m'aimerez toujours et ne me craindrez plus.

HYPERMESTRE.

925   Et moi je vous demande un plus grand sacrifice,

La mort pour notre sort est un trop doux supplice,

Vivez, partez, fuyez, et sans tant de discours,

Ne nous voyons jamais et nous aimons toujours.

LYNCÉE.

Eh quoi ! Dans le moment que la paix nous rassemble,

930   Que l'hymen se prépare à nous unir ensemble,

Que mon coeur fatigué de tant de vains désirs,

Semble déjà toucher l'ombre de ses plaisirs,

Vous même de douleur et d'amour éperdue,

Vous venez m'ordonner d'éviter votre vue ?

935   Que dis je ? Dans mon coeur étouffant tout espoir,

Vous osez m'ordonner de ne vous plus revoir ?

HYPERMESTRE.

Ah que vous savez bien prendre votre avantage !

Cruel, au lieu d'armer mon timide courage,

Votre douleur m'accable et ne fait qu'irriter,

940   Le mortel désespoir que j'ai de vous quitter ;

J'oublie en ce moment le péril où vous êtes,

Par pitié pour vous seul voyez ce que vous faites :

Vous vous perdez Lyncée et me perdez aussi,

Mon père portera sa fureur jusqu'ici,

945   De mon retardement se défiant sans doute...

Je crains qu'on ne nous voie et qu'on ne nous écoute;

Je tremble qu'à mes yeux Seigneur, entre mes bras,

Mille soldats en foule... Allons suivez mes pas,

Ne tardez point, hélas qui vous retient encore ?

LYNCÉE.

950   L'horreur de m'éloigner de tout ce que j'adore.

Je n'y puis consentir.

HYPERMESTRE.

Je l'ai trop dit, partez !

Iphis me vengera si vous y résistez,

Je ne vous dis plus rien.

LYNCÉE.

J'obéis ma Princesse,

Je ne résiste plus à l'ordre qui me presse,

955   Vous le voulez, je pars ; votre absence et l'amour,

Sont des maux assez grands pour me priver du jour.

De tous mes déplaisirs cet espoir me console :

De peu de jours au Roi vous manquez de parole,

Vous promettiez ma mort à ses soupçons jaloux.

960   Adieu. Bientôt le bruit en viendra jusqu'à vous.

ACTE IV

SCÈNE I.
Danaüs, Iphis, un Garde.

DANAÜS.

Faites venir ma fille ; entrons : c'est trop attendre.

Le coup est fait Iphis, je te reçois pour gendre.

J'attendais ce moment pour te le déclarer :

Hypermestre est à toi.

IPHIS.

L'oserai je espérer ?

965   Quoi Lyncée...

DANAÜS.

  À son sort ne porte plus d'envie,

Cet Insolent rival vient de perdre la vie.

IPHIS.

Lui Seigneur, se peut il ?

DANAÜS.

Calme ce vain effroi,

Et songe à mériter ce que je fais pour toi.

Lyncée est mort ; avant que le bruit en éclate,

970   Cours t'assurer des chefs de cette race ingrate,

Tous entrés après lui l'attendent ici près,

J'ai fait fermer sur eux les portes du Palais ;

Ces traîtres mis aux fers je suis ici le maître.

Pour faire tout plier nous n'avons qu'à paraître,

975   Et qu'à montrer aux yeux des soldats étonnés,

La tête de leur Prince et leurs chefs enchaînez.

Cours, et viens recevoir ici ta récompense.

IPHIS.

Attendez tout Seigneur de ma reconnaissance.

DANAÜS.

Voyons ma fille et loin d'un objet plein d'effroi,

980   Détournons ses regards... Mais elle vient à moi.

Scène II.
Danaüs, Hypemestre, un Garde.

DANAÜS.

Ma fille c'en est fait je vois sur ton visage,

Briller encor le feu de ce mâle courage,

Qui t'a fait immoler un amant couronné,

Et rendre à Danaüs le jour qu'il t'a donné.

985   Sur le bord du tombeau je commence à revivre,

J'y vois cet assassin dont ta main me délivre,

Et libre des chagrins qui m'allaient consumer,

Je n'ai plus aucun soin que celui de t'aimer.

HYPERMESTRE.

Je suis par amour trop bien récompensée,

990   Des pleurs que m'a coûté la perte de Lyncée.

Seigneur ni vous ni moi nous ne le verrons plus,

Vivez, régnez en paix.

DANAÜS.

Trop heureux Danaüs !

Allez gardes qu'au peuple on en montre la tête.

HYPERMESTRE.

Ah Seigneur, songez vous... Gardes, que l'on arrête !

995   Mon Père...

DANAÜS.

  Je pardonne à ce tendre retour,

Quelque pitié peut bien survivre à tant d'amour.

Allez.

HYPERMESTRE.

Pour cet amour ayez quelque indulgence,

À l'effort que j'ai fait bornez votre vengeance,

Voulez vous insulter aux restes tous fumants,

1000   D'un époux que j'immole à vos ressentiments ?

Le sacrifice est fait, respectez la victime,

Et ne me pensez pas forcer à plus d'un crime.

Cruelle à ses beaux jours je ne le serai pas,

Jusqu'à porter l'outrage au-delà du trépas.

DANAÜS.

1005   Je tremble, je frémis, c'est trop de résistance ;

Non ma fille je veux jouir de ma vengeance,

Voir si malgré l'amour vous m'avez obéi.

Vous vous troublez perfide, ah vous m'avez trahi,

Que l'on cherche, qu'on coure, et que la ville entière...

1010   Parlez ! Qu'avez vous fait de l'assassin d'un père ?

D'un assassin ! Lui, moi, mes secrets, mes destins,

D'un trône, j'ai tout mis en vos perfides mains,

Rendez, rendez-moi tout.

HYPERMESTRE.

C'est trop longtemps me taire,

Et d'une douleur feinte emprunter le mystère.

1015   Je vous rends plus Seigneur que vous ne prétendiez,

L'honneur et la vertu, sans moi vous les perdiez :

En sauvant mon amant j'ai sauvé l'un et l'autre,

Et périsse à ce prix ma grandeur et la vôtre,

Mon amour, mon repos.

DANAÜS.

Périssent à ce prix,

1020   Père, soeurs et parents, objets de ses mépris,

Pourvu que l'assassin se dérobe à sa peine,

Qu'il survive à ma mort, qu'importe à l'inhumaine ?

Montre le moi que j'aille m'offrant à ses coups,

Avancer un moment qui doit t'être si doux.

1025   De quel endroit caché me viendra-t-il surprendre ?

Ingrate où l'as tu mis ?

HYPERMESTRE.

Seigneur daignez m'entendre.

Ni vos yeux ni les miens jamais ne le verront :

Bientôt loin de ces bords les vents le porteront,

À tous les attentats de sa fureur guerrière,

1030   Le vaste sein des mers servira de barrière,

C'est pour toujours ; mais plus que les mers et les vents,

Croyez en sa vertu, croyez en ses serments.

DANAÜS.

Ses serments ! Vains appuis d'une mourante vie,

Qu'à finir par sa main les Dieux ont asservie,

1035   Dis que pour garantir la foi de ton amant,

Les Dieux de m'épargner t'ont fait aussi serment ;

Dis que de mon repos rompant tous les obstacles,

Ils ont en ma faveur démenti leurs Oracles ;

Que mes jours par un frère autrefois traversés,

1040   Du fer de ses enfants ne sont point menacés ;

Et pour mieux éluder la céleste menace,

Viens toi-même à l'instant m'immoler en leur place,

Dérobe à ton amant l'honneur de mon trépas,

Et cours digne de lui te jeter dans ses bras.

HYPERMESTRE.

1045   Je suis entre vos mains ; disposez de ma vie,

Ou selon mon mérite, ou selon votre envie.

Oui ma tête à vos pieds est prête de tomber,

Mais mon coeur aux forfaits ne saurait succomber.

Si vous en attendiez de mon obéissance,

1050   Il fallait autrement élever mon enfance,

Dérober à mes yeux tant d'illustres exploits :

Les peuples bénissant la douceur de vos lois,

La Grèce par vos soins de ses tyrans purgée,

Les vices confondus, l'innocence vengée ;

1055   Quand vous me demandiez ce criminel secours,

Vos exemples Seigneur démentaient vos discours,

Je n'ai point cru qu'un Roi qui depuis tant d'années

............................................

Conduit par tant d'honneurs au comble de ses jours,

1060   Voulut au prix d'un crime en prolonger le cours,

Et de quelques moments honteux à sa mémoire,

Reculer son trépas pour survivre à sa gloire.

DANAÜS.

Oui, selon tes désirs j'ai trop longtemps vécu,

Cruelle, il faut mourir j'en suis bien convaincu.

1065   Oracles trop obscurs il n'est plus temps de feindre,

Enfin j'ouvre les yeux je vois qui je dois craindre :

Tant de bras à mes lois ailleurs obéissant,

Ne m'ont donc immolé que des coeurs innocents ?

Le seul qui se dérobe était le seul coupable,

1070   Sa fureur n'en devient que plus inévitable,

Et tant de sang versé ne sert qu'à lui fournir,

De plus justes raisons pour oser m'en punir.

Parricide est ce là l'effet de tes promesses,

Le fruit de tes amours, le prix de mes tendresses ?

1075   Ah tu prétends un jour fidèle à ton serment,

Venir sur mon tombeau couronner ton amant !

Mais je saurai briser vos noeuds illégitimes,

Tu m'as trahi, c'est là le dernier de tes crimes.

SCÈNE III.
Iphis, Danaüs, Hypemestre.

IPHIS.

Tout est calme Seigneur, les chefs sont arrêtez

1080   Vos soldats par la ville épars de tous côtés...

DANAÜS.

Qu'avons nous fait ? Il fuit, il m'échappe, il me brave,

IPHIS.

Qui Seigneur ?

DANAÜS.

Le rival dont tu deviens l'esclave,

L'assassin que les Dieux sont maître de mon sort.

IPHIS.

Vous m'aviez dit Seigneur, que Lyncée était mort !

DANAÜS.

1085   Et pouvais-je penser qu'une fille ennemie,

En faveur d'un amant dût hasarder ma vie,

Le soustraire à mes coups pour me livrer aux siens ?

Iphis, n'y pense plus, romps ces honteux liens,

Arrache pour jamais l'ingrate de ton âme,

1090   Indigne de la vie elle l'est de ta flamme.

Attends un autre prix de ta fidélité.

Et toi, lâche, celui de ton impiété.

IPHIS.

Et quoi ! Dans ce moment je me crois votre gendre,

Vous même vous venez Seigneur de me l'apprendre,

1095   Charmé de voir enfin tous mes voeux couronnés,

Je cours exécuter ce que vous m'ordonnez ;

Je reviens à vos pieds, à ceux de ma Princesse,

J'attends le prompt effet d'une juste promesse,

Et vous me condamnez à la perdre, à mourir,

1100   Ah Seigneur est ce ainsi qu'on voulait nous unir ?

HYPERMESTRE.

Iphis vous ne sauriez prodiguer qu'avec honte,

Des jours dont mon amour ne vous tiendrait pas compte.

Vivez vous n'avez point de part à mon forfait,

Et vous n'en aurez point à l'amour qui l'a fait.

1105   Non Seigneur, puisqu'il faut justifier ma haine,

Je n'aimerai jamais le fils d'une inhumaine,

Dont le perfide amour votre unique assassin,

S'apprête à vous porter un poignard dans le sein.

DANAÜS.

Que me dit elle, Iphis ?

HYPERMESTRE.

Que la fière Érigone

1110   Par des meurtres sans fin veut remonter au trône,

Qu'immolant vos neveux par les mains de mes soeurs,

Elle veut avant vous, détruire vos vengeurs,

Qu'hier même en voyant flotter votre pensée,

Elle vous fit résoudre à la mort de Lyncée.

DANAÜS.

1115   Perfide c'est trop loin pousser la cruauté.

HYPERMESTRE.

Encore un mot Seigneur pour votre sûreté.

On vous trompe : Lyncée est aimé d'Érigone.

Au mépris de la foi que l'ingrate vous donne,

Des sceptres que l'amour vous fait mettre à ses pieds,

1120   Aux dépens des secrets que vous lui confiez,

Lui dépeignant l'horreur de nos noces cruelles,

S'offrant à le tirer de mes mains criminelles,

Contre moi, contre vous excitant sa fureur,

Elle s'est hasardée à mendier son coeur.

1125   Et quel coeur à ce prix n'eut pas été volage ?

Ce héros insensible à ses pleurs, à sa rage,

Toujours constant, fidèle à moi bien moins qu'à vous,

Est venu sans trembler se livrer à mes coups ;

Je l'ai sauvé. Voila ce que m'a dit Lyncée,

1130   Ce qu'à vous découvrir mon devoir m'a forcée.

Ce n'est que par ma mort que je puis le prouver,

Punissez moi, Seigneur, mais daignez vous sauver.

Elle sort.

DANAÜS.

Ô Dieux !

IPHIS.

Eh quoi ! Seigneur, ma vertu dépend elle,

De l'aveugle fureur d'une amante cruelle ?

1135   Votre bonté pour nous peut elle chanceler ?

Doutez vous quel dessein la fait ainsi parler ?

Croyez vous...

DANAÜS.

Je ne crois ni n'accuse personne.

Iphis laissez moi seul... Je veux voir Érigone :

Vous savez, si mon coeur vous fut jamais connu,

1140   Qu'il n'est en sa faveur que trop bien prévenu.

SCÈNE IV.

DANAÜS.

Ô vous, par mes hauts faits si longtemps soutenues,

Grandeur, gloire, vertu, qu'êtes vous devenues ?

Barbare Danaüs, où me vois je réduit ?

Vois je le jour après cette sanglante nuit ?

1145   Tyran couvert du sang des plus nobles familles,

Bourreau de mes neveux, séducteur de mes filles,

Criminel tant de fois haï dans tous les coeurs,

Et ce qui de mes jours va combler les horreurs,

Après tant d'attentats, de coups illégitimes,

1150   Malheureux, et privé du fruit de tous mes crimes,

Qu'ai je fait, et quel prix me suis je proposé ?

Un seul coeur qu'à aimer je croyais disposé ;

L'ardeur de cet amour m'a fait aimer la vie,

C'est à cet amour seul que je vous sacrifie :

1155   Filles, neveux, sujets, grandeur, gloire, vertu.

Amour, cruel amour, m'abandonnerais-tu ?

Érigone oubliant sa conduite passée,

Aurait elle tourné ses regards vers Lyncée ?

Et par quelle autre voie aurait-il donc appris,

1160   Que c'est par ses conseils que j'ai tout entrepris,

Qu'hier même à l'aspect de cette nuit sanglante,

Elle enhardit au coup mon âme chancelante ?

La perfide a tout dit, son crime est trop certain,

Roi, père, amant, je hais et j'aime donc en vain.

1165   Je hais ; mon ennemi prêt à subir sa peine,

Par une fille impie, est soustrait à ma haine ;

J'aime ; et l'objet fatal dont je me crois vainqueur,

Offre à mon ennemi l'empire de son coeur.

Qui de vous, fille ingrate et maîtresse infidèle,

1170   Ou me fut la plus chère ou m'est la plus cruelle.

Vains oracles à qui je me suis trop soumis,

Pourquoi me cachiez vous mes plus grands ennemis ?

Je fuis des assassins dont la mer me sépare,

Et tiens à mes côtes une fille barbare,

1175   Une amante perfide et je vois en un jour,

S'élever contre moi la nature et l'amour.

Et bien bravons aussi l'amour et la nature,

Étouffons pour jamais leur insolent murmure,

Je ne veux plus chez moi de tyrans absolus,

1180   J'étais amant et père et je ne le suis plus.

SCÈNE V.
Danaüs, Érigone.

DANAÜS.

Venez, venez pleurer nos communes disgrâces,

Venez de votre amant reconnaître les traces,

Voir ces lieux imprimés de ses pas fugitifs,

Ces marbres attendris par vos soupirs craintifs,

1185   Fidèles à cacher la honte de ma vie,

Et témoins éternels de votre perfidie.

C'est ici que tantôt vos feux ont éclaté :

Vous avez d'un héros éprouvé la fierté,

L'ingrat a disparu par le secours d'une autre,

1190   Sans vous laisser son coeur il emporte le vôtre ;

Sur un coeur prodigue je ne prétends plus rien,

Laissez le lui, perfide, et me rendez le mien.

ÉRIGONE.

Seigneur je ressens bien la douleur qui vous presse,

Et mon dessein n'est pas d'excuser la Princesse,

1195   Vous trouverez le temps de lui parler ainsi ;

Mais Seigneur songez-vous qu'elle n'est pas ici !

À trop de grands éclats votre âme s'abandonne :

Apaisez vous, voyez, connaissez Érigone,

L'excès de la douleur a-t-il fermé vos yeux ?

DANAÜS.

1200   Ah juste Ciel ! Jamais je ne la connus mieux,

Je sens à votre aspect mes premières alarmes,

Je vois, j'admire en vous la force de vos charmes,

Ces discours si puissants à calmer mes douleurs,

Et ces yeux si savants à répandre des pleurs ;

1205   Mais ce que vous cachiez à mon amour timide,

Sous tant d'appas si doux je vois un coeur perfide,

Oui, vous m'avez trahi vous aimez en secret,

Un Prince que pour vous j'immolai à regret ;

Vous m'avez arraché l'aveu de son supplice,

1210   Pour acheter son coeur par ce lâche artifice,

Pour le sauver après me l'avoir fait trahir.

Si vous l'aimiez pourquoi me le faire haïr ?

Vous n'aviez près de moi qu'à prendre sa défense,

Qu'à blâmer à propos ma juste défiance,

1215   Il eut eu le loisir de mesurer ses coups,

Et j'aurais expiré sans me plaindre de vous ;

Vous vouliez de ces coups vous réserver la joie,

Eh bien vous en aviez une plus sûre voie,

Sans qu'il vous fut besoin d'employer le forfait :

1220   Ce qui vous coûte un crime un dédain l'aurait fait,

Un mépris, je mourais et vous étiez vengée.

Qu'ai je donc fait depuis et qui vous a changée ?

Parlez, ou sûre encore du pouvoir de vos yeux,

Faites parler vos pleurs, ils me séduiront mieux.

ÉRIGONE.

1225   Non Danaüs c'est trop témoigner ma faiblesse,

Vos reproches cruels ont éteint ma tendresse,

N'attendez plus de moi que ce que je vous dois,

Vous avez vu mes pleurs pour la dernière fois ;

Après ce grand éclat de votre jalousie,

1230   Vous ne méritez pas que je me justifie,

Et si l'amour n'a pu dissiper vos soupçons,

Pour vous en délivrer je n'ai point de raisons;

Allez soyez en proie à votre juste crainte,

Croyez qu'à vous trahir la haine m'a contrainte,

1235   Croyez votre ennemi maître de mon coeur,

Croyez tout sur la foi d'une fille en fureur.

Allez enfin cédant à votre destinée,

Resserrer les liens de son triste hyménée,

Rappelez en ces lieux son époux assassin,

1240   Et courez à ses coups présenter votre sein.

DANAÜS.

Érigone un moment, le coup que je redoute,

N'est pas...

ÉRIGONE.

Depuis deux ans, ingrat, je vous écoute,

Vous payez mes bontés d'un caprice jaloux.

Laissez moi, je n'ai plus aucun moment pour vous.

DANAÜS.

1245   Elle fuit, qu'ai je dit ! Avecque quelle imprudence,

Ai-je si fièrement attaqué sa confiance,

Mes soupçons étaient-ils assez bien assurés ?

Suivons ses pas, allons...

SCÈNE VI.
Lycaste, Danaüs.

LYCASTE.

Ah Seigneur accourez,

Du dernier des malheurs la ville est menacée.

DANAÜS.

1250   Que dis tu ?

LYCASTE.

  Tout est plein des vaisseaux de Lyncée,

Ils semblaient s'éloigner lorsqu'un nouvel effort,

Les a soudainement ramenés dans le port ;

Ils abordent. Leurs cris de tous côtés s'entendent,

Hypermestre, Hypermestre est tout ce qu'ils demandent,

1255   Ils sont prêts, disent ils, s'ils peuvent l'obtenir,

D'abandonner nos bords pour n'y plus revenir.

DANAÜS.

Vain prétexte ! Et mes gens ont quitté le Rivage,

Ils ont cédé. Destins, achevez vos ouvrages,

Et puisque vainement je m'oppose à vos coups,

1260   Frappez de tous côtés je m'abandonne à vous.

ACTE V

SCÈNE I.
Érigone, Iphis.

ÉRIGONE.

Non, si de mon tyran la tête est menacée,

Il ne doit point périr par la main de Lyncée.

De ce fer, seul laissé dans son appartement,

J'attends de Danaüs le juste châtiment.

1265   Enfin de son destin j'ai percé le mystère :

En vain, lui dit l'oracle, en vain tu fuis ton frère,

Évite si tu peux le fer de ses fils,

Et c'est ce même fer qu'en tes mains j'ai remis.

Aux soupçons du tyran tu me vois asservie,

1270   Je perds et son amour et peut-être la vie,

Préviens le, du succès j'ai les Dieux pour garant,

Venge ta mère enfin ton amour, tes parents.

IPHIS.

Oui je vois à quel coup vous devez vous attendre,

Danaüs vous accuse : il peut tout entreprendre,

1275   Il est inexorable, et ses soupçons jaloux,

Sont pour lui des raisons et des crimes pour vous.

Je sens bien qu'Hypermestre a mérité ma haine,

Que loin de mon espoir votre dessein m'entraîne,

Mais de quelque dépit dont je sois animé,

1280   Pour haïr à ce point j'ai trop longtemps aimé,

Je ne punirai point, quoi qu'elle m'ait pu faire,

La fierté de son coeur sur le coeur de son père,

ÉRIGONE.

Punis son père au moins de ses propres forfaits,

Et n'abandonne pas le fruit de tes souhaits ;

1285   Souviens-toi du moment que je t'ai fait attendre,

Le voici. C'est par là que tu peux tout prétendre,

Hypermestre est à toi si tu me sers.

IPHIS.

Eh quoi,

Perdre son père ô Dieux ! Et prétendre à sa foi.

ÉRIGONE.

Le perdre, et par l'aspect de la fatale épée,

1290   Rendre l'amant suspect à l'amante trompée,

Sur Lyncée en un mot en détourner l'horreur,

De la fière Hypermestre amuser la douleur,

La flatter d'un espoir de vengeance frivole...

IPHIS.

Ah Madame est ce ainsi que l'on me tient parole ?

1295   L'assassinat, la fourbe, et l'infidélité,

Sont ce là les secours dont vous m'aviez flatté ?

Non, j'ai d'autres moyens de sauver votre vie,

De ravir Hypermestre à qui me l'a ravie,

De vous justifier auprès d'un Roi jaloux ;

1300   C'est sur Lyncée enfin qu'il faut tourner mes coups.

Maître dans un instant du port et de la ville,

Il croit de ce palais l'accès aussi facile,

Il accourt, c'est à moi d'arrêter ses efforts.

ÉRIGONE.

Et de m'abandonner aux barbares transports,

1305   D'un Roi dont tu soutiens l'injurieux caprice,

Tandis que sa fureur mérite mon supplice !

Je ne te retiens plus, va, cours le secourir,

Renonce à la vengeance et me laisse mourir ;

Ou plutôt puni moi prévenant son envie,

1310   Du crime que j'ai fait d'attenter sur sa vie,

Qu'est ce qui te retient ?

IPHIS.

Madame...

ÉRIGONE.

Que veux tu ?

Esclave scrupuleux d'une fausse vertu,

Indigne protecteur d'un tyran qui m'opprime,

Et d'un honteux amour malheureuse victime,

1315   Rends moi Rends moi ce fer inutile en tes mains ;

J'irai sans ton secours poursuivre mes desseins,

Et mon bras plus fidèle à servir ma colère,

À tes yeux fils ingrat joindra la fille au père.

Nous verrons si l'ardeur de défendre leurs jours,

1320   Te fera contre moi courir à leur secours,

Car ne te flattes pas d'une vaine espérance,

C'est par ma mort qu'il faut que ton bonheur commence,

Et je ne veux traîner ma vie et mes douleurs,

Que pour te voir en proie à d'éternels malheurs.

IPHIS.

1325   Vous l'avez déjà fait vivez, vivez contente,

L'excès de mes malheurs doit remplir votre attente,

Je ne puis me sauver d'un opprobre éternel,

Ni devenir heureux sans être criminel.

À vous, à ma Princesse également fidèle,

1330   J'ai du respect pour vous, j'eus de l'amour pour elle,

Fils zélé, tendre amant j'espérais en ce jour,

Accorder la vertu, la nature et l'amour,

Vous me le défendez. Vous serez obéie,

Je sacrifierai tout pour sauver votre vie,

1335   Je perdrai Danaüs, j'éteindrai dans mon coeur,

Cet amour dont vous même entreteniez l'ardeur,

Mais après avoir fait ce que j'aurai dû faire

Pour venger mes parents, pour sauver une mère,

Infortuné vengeur, amant désespéré,

1340   Triste vertu c'est vous que je sacrifierai.

SCÈNE II.

ÉRIGONE [, seule].

Il menace je crois. N'importe, qu'il achève,

Et qu'après contre moi sa vertu se soulève ;

Pour sortir de ces lieux j'ai les chemins ouverts,

Et de quoi m'attirer les yeux de l'univers.

1345   Mais je veux voir ici ma vengeance assurée,

Danaüs mort, sa fille entre mes mains livrée,

Aux yeux de ses amants la traîner dans Argos,

Et là par ses périls assurer mon repos.

Hélas ! Il n'est plus temps.

SCÈNE III.
Danaüs, Hypermestre, Érigone.

ÉRIGONE.

Quoi la ville est en flamme,

1350   Le Palais assiégé, tout un peuple...

DANAÜS.

  Oui Madame,

J'entends les tristes cris des peuples pleins d'effroi,

J'entends la voix des Dieux irrités contre moi,

Je vois qu'à l'assassin leur fureur m'abandonne,

Et je viens...

ÉRIGONE.

Vous venez vous venger d'Érigone,

1355   A vos lâches soupçons mettre une digne fin.

DANAÜS.

Et je viens à vos yeux accomplir mon destin,

A de cruels soupçons mon âme s'est livrée,

Plus que jamais encore elle en est déchirée ;

Mais quoi de vos parents j'occupe ici le rang,

1360   La pourpre qui me couvre est teinte de leur sang,

Me perdre et me haïr n'est pas pour vous un crime,

C'est le mien seul qui rend mon soupçon légitime.

Oui vengez vous, joignez ma fille à mes destins,

Et mon coeur et le sien, tout est entre vos mains.

ÉRIGONE.

1365   Seigneur, plus de soupirs ; courez, courez aux armes,

Et ne vous laissez point attendrir par les larmes,

Vos périls ont tari leur source dans mon coeur,

Je tremble, et ne suis plus sensible qu'à la peur,

C'est là de mon amour le plus sûr témoignage.

1370   Courez de vos soldats relever le courage,

Vous trouverez mon fils, vous saurez là de lui,

Comment de vos soupçons je me venge aujourd'hui,

Pour vous convaincre enfin combien j'en suis blessée

Allez, apportez-moi la tête de Lyncée.

DANAÜS.

1375   J'y cours puisque mes jours vous sont si précieux,

Je les disputerai même contre les Dieux.

HYPERMESTRE.

Seigneur, que je vous suive et que je vous défende.

DANAÜS.

Demeurez.

SCÈNE IV.
Hypemestre, Érigone.

HYPERMESTRE.

Et c'est moi que l'assassin demande,

Livrez moi seule aux coups de ces fiers ennemis.

ÉRIGONE.

1380   Laissez ce soin, Princesse, au malheureux Iphis,

Ne lui dérobez point cette dernière joie,

Pour gagner votre amour il n'a que cette voie,

Il y court.

HYPERMESTRE.

Triste amour source de mon malheur,

C'en est fait, pour jamais je t'ai fermé mon coeur,

1385   Ne parlons plus d'aimer, parlons de mon supplice,

Au Roi que j'ai trahi je dois ce sacrifice,

À votre fils qui voit son espoir abattu,

À vous dont j'ai tâché de noircir la vertu.

Madame, il n'est plus temps que je le dissimule,

1390   Pardonnez aux soupçons d'une amante crédule :

Sur la foi d'un ingrat prodigue de serments,

J'ai cru que votre amour causait tous mes tourments,

Qu'à perdre tous les miens vous mettiez votre gloire,

Et de sa bouche hélas ! Qu'ai je pu ne pas croire ?

1395   Il avait sur mon âme un pouvoir absolu,

Il disait qu'il m'aimait et je l'avais bien cru.

Vous même eussiez vous pu le soupçonner de feinte ?

Mon péril, non le sien, causait toute sa crainte,

Il semblait en baignant ces marbres de ses pleurs,

1400   Oublier à mes pieds le crime de mes soeurs.

Aveugle, j'aimais mieux à mon devoir rebelle,

Croire les Dieux trompeurs que Lyncée infidèle,

Je démentais le Ciel sur la foi d'un amant,

Et l'oracle m'était plus suspect qu'un serment.

1405   Qu'ai je fait ? Faux serment oracle trop sincère,

J'ai sauvé mon amant, sans songer à mon père,

Et pour me préserver d'un forfait incertain,

D'un amant vertueux j'ai fait un assassin.

ÉRIGONE.

Non, Princesse, le Ciel sera plus favorable,

1410   Au zèle généreux qui vous a fait coupable,

Les Dieux auront égard à vos voeux innocents ;

Leur oracle toujours enferme un double sens,

Et si l'effet répond à mes heureux présages,

Vous verrez du milieu de ces sombres nuages,

1415   Qui font dans votre coeur naître tant de combats,

Sortir quelque clarté que vous n'attendez pas.

Laissons combattre Iphis autour de votre père,

Allons attendre ailleurs le succès que j'espère ;

Tout aigrit en ces lieux notre commun souci,

1420   Nous serons dans Argos plus tranquilles qu'ici.

HYPERMESTRE.

Ah ! Mon père mourrait de ce départ funeste,

Il croit que votre coeur est le seul qui lui reste,

Ne l'abandonnez pas. Son plus ferme secours,

C'est qu'il croit vous défendre en défendant ses jours,

1425   Ne balançons donc point, s'il meurt il faut le suivre.

Après lui, vous et moi ne pensons plus à vivre,

Ajoutons cet exemple à l'horreur de ce jour,

Moi de mon repentir et vous de votre amour.

SCÈNE V.
Érigone, Hypemestre, Lycaste, Dircé.

LYCASTE.

Ah Princesses fuyez ! Il n'est plus d'espérance,

1430   Rien ne résiste !

HYPERMESTRE.

  Eh quoi ! Mon père est sans défense,

Est ce là le secours que j'attendais d'Iphis ?

LYCASTE.

Iphis n'est plus.

HYPERMESTRE.

Ô Ciel ! Et mon père ?

ÉRIGONE.

Ô mon fils !

LYCASTE.

Avant qu'il eut paru la porte était forcée,

Nos soldats confondus avec ceux de Lyncée,

1435   La surprise, l'horreur, le désespoir, les cris,

Un aveugle courroux trouble tous les esprits,

On frappe, on perce tout sans distinguer personne,

Et l'on reçoit la mort sans savoir qui la donne.

Danaüs entouré d'ennemis irrités,

1440   Tient ferme. Iphis et moi marchons à ses côtés,

Nous avançons, nos coups écartent la mêlée,

La valeur est enfin par le nombre accablée,

Danaüs renversé voit sur lui mille bras,

Disputer à l'envi l'honneur de son trépas,

1445   Lyncée accourt. Alors sa voix et sa présence,

Du soldat furieux répriment l'insolence,

On s'arrête. Vivez ô mon père, ô mon Roi,

Dit il, reconnaissez mon amour et ma foi,

Ne me refusez point ce que le Ciel ordonne,

1450   Le pardon d'Hypermestre et la mort d'Érigone.

ÉRIGONE.

Le Traître!

LYCASTE.

Iphis se trouble, et Danaüs Jaloux,

Tremble à ce que Lyncée ajoute contre vous,

Il pâlit, il partage entre Iphis et Lyncée,

Ses regards incertains, sa timide pensée,

1455   Et déjà trop charmé des respects du vainqueur,

Il vous croit infidèle et l'oracle trompeur,

Quand Iphis (je frémis au récit de son crime)

Non non, vous n'aurez point ma mère pour victime,

Leur dit il, et les Dieux ne seront point trompeurs.

HYPERMESTRE.

1460   Juste Ciel !

LYCASTE.

  À ces mots déployant ses fureurs,

Au sein de Danaüs il plonge son épée.

HYPERMESTRE.

Ah cruelle ! Est-ce ainsi que vous m'avez trompé ?

LYCASTE.

Et fumante qu'elle est de cet illustre sang,

D'un second coup lui-même il s'en perce le flanc.

ÉRIGONE.

1465   Il est mort. Mais sa mort achève mon ouvrage,

De mes parents vaincus j'ai vengé le carnage,

Les oracles des Dieux enfin sont accomplis,

Je ne leur ai prêté que le bras de mon fils,

Lyncée a fait le reste il a sa part au crime,

1470   Et c'est son fer qui vient d'immoler la victime.

Je m'attends à mourir et ne crains point la mort,

Je me suis préparée à ce dernier effort :

Je vais de mon trépas lui dérober la gloire,

Allez, heureux époux, goûter votre victoire,

1475   Et montez sur un trône où je ne prétends rien,

Couvert de votre sang encor plus que du mien.

Dircé, je vois Lyncée, ôtons nous de sa vue.

HYPERMESTRE.

Suivez ses pas Lycaste.

SCÈNE VI et DERNIÈRE.
Lyncée, Hypermestre.

HYPERMESTRE.

Ô Lumière imprévue,

Ô départ, ô retour cause de mes tourments,

1480   Ah Lyncée ! Est-ce là l'effet de vos serments ?

LYNCÉE.

Hélas ! J'ai tout promis dans l'ardeur de vous plaire,

Je vous ai fait serment d'épargner votre père,

De ne vous plus revoir, d'aimer et de souffrir,

Mais ai-je fait serment de vous laisser mourir ?

1485   Je vous laissais ici sans appui, sans défense,

Je viens de vos tyrans calmer la violence,

Pour sauver Danaüs je fais un vain effort,

Quand je lui rends la vie on lui donne la mort.

Si vous vous repentez d'avoir sauvé ma vie,

1490   Rendez moi donc la mort que vous m'avez ravie,

Achevez, prononcez l'arrêt de mon trépas,

Mais en le prononçant ne me haïssez pas.

HYPERMESTRE.

Vous haïr je ne puis, vous aimer je ne l'ose,

Vous voyez mes soupirs, vous en êtes la cause.

1495   Il suffit. Laissez moi dans ce malheureux jour,

Douter au moins s'ils sont de douleur ou d'amour.

 



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Notes

[1] Nauplis : Ville portuaire de Grèce située au sud d'Argos.

[2] Dircée : Dans la mythologie grecque, femme de Lycos, régent de Thèbes. Suppliciée par l'attachement à la queue d'un taureau indompté et démembrée sur des rochers.

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