ACHILLE ET POLIXÈNE

TRAGÉDIE EN MUSIQUE

representée par l'Academie royale de musique.

M. DC. LXXXVIII.

Imprimé à Paris, et on les vend À ANVERS, chez HENRY van DUNWALT, Libraire au Marché aux Oeufs, aux Trois moines.

Représenté pour la première fois le 7 novembre 1687 au Théâtre du Palais-Royal.


publié par Paul FIEVRE, février 2013, revu janvier 2017

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:22:09.


ACTEURS DU PROLOGUE.

MERCURE.

MELPOMÈNE, Muse de la Tragédie.

TERPSICORE, Muse de la Musique.

THALIE, Muse de la Comédie.

Troupe de Génies qui suivent Melpomène.

Troupe de Génies qui suivent Terpsicore.

Troupe de Genies qui fuivent Thalie.

JUPITER.

ACTEURS DE LA TRAGEDIE.

ACHILLE. Roi de Thessalie.

PATROCLE, Ami d'Achille.

DIOMÈDE, L'un des Chefs de l'Armée des Grecs.

VÉNUS.

Les GRÂCES, les AMOURS, et les PLAISIRS qui suivent Vénus.

ARCAS, confident d'Achille.

TROUPE DE CHEFS, et de SOLDATS GRECS.

AGAMEMNON, roi de Mycene, et d'Argo, Chef de tous les Grecs.

PRIAM, roi de Troie.

ANDROMAQUE, veuve d'Hector fils de Priam.

POLIXÈNE, fille de Priam.

BRISÉIS, princesse prisonnière d'Achille.

JUNON.

LA HAINE.

LA DISCORDE.

LA FUREUR.

L'ENVIE.

SUITE DE LA DISCORDE.

Troupe de TROYENS.

Troupe de TROYENNES.

Troupe de THESSALIENS.


PROLOGUE

Le théâtre représente un lieu propre à donner des spectacles, et qui peut convenir à la Tragedìe et à la Comédie ; ce lieu n'a plus n'a plus la magnificence qu'il paraît avoir eu autrefois, il est même presque détruit et ruiné. On y voit Melpomène, Terpsicore et Thalie sans aucune suite. Mercure descend du Ciel.

Mercure, Melpomène, Terpsicore, Thalie, Mercure.

MERCURE.

Savantes Soeurs, arbitres de la scène,

Quel accident funeste a fait cesser vos jeux ?

Je ne vois plus ici votre appareil pompeux,

Et je ne reconnais qu'a peine,

5   Thalie et Melpomène ;.

Et vous dont les charmants concerts,

En ces lieux autrefois, raisonneront dans les Airs ;

Quel trouble, ou quelle indifférence

Cause aujourd'hui votre silence ?

MELPOMÈNE.

10   Ignorez vous que le plus grand des rois

Étendant chaque jour ses conquêtes

Et signalant son bras, par de nouveaux exploits

A négligé nos plus superbes fêtes.

THALIE.

Depuis ce fatal moment,

15   Nos Spectacles privés de leur magnificence,

Ne sauraient plus avoir l'éclat et l'agrément

Qu'ils ne devaient qu'à sa présence,

TERPSICORE.

La tristesse règne en ces lieux,

Nous rougissons de ne pouvoir lui plaîre ;

20   Hélas ! Ne saurions-nous rien faire

Digne de paraître à ses yeux.

MELPOMÈNE, THALIE, TERPSICORE.

Hélas ! Ne saurions-nous rien faire

Digne de paraître à ses yeux ?

MERCURE.

Terminez vos regrets que votre douleur cesse.

25   Dans vôtre sort Jupiter s'intéresse,

Et veut ici revoir, dès ce même moment

Un spectacle charmant,

Ou'un changement favorable

Redonne à ces tristes lieux

30   Tout ce qu'ils ont est d'aimable?'

C'est l'ordre irrévocable

Du souverain des Dieux.

Ce lieu désert se détruit reprend tout d'un coup sa première magnificence.

MELPOMÈNE.

Vous, secourables Génies,

Nécessaire à nos jeux,

35   Hâtez-vous, secondez nos voeux ;

Venez, et prêtez-nous vos grâces infinies.

MELPOMÈME, TERPSICORE.

Animez d'une ardeur nouvelle

Venez remplir nos desseins,

Et faites que nos plaisirs

40   Doivent leur charme à votre zèle.

CHOEUR DE GÉNIES.

Animez d'une ardeur nouvelle

Nous venons remplir vos désirs,

Nous nous flattons que vos plaisirs

Devront leur charme à notre zèle.

THALIE.

45   Vous qui savez si bien, par une heureuse adresse

Calmer les noirs chagrins, bannir les soins fâcheux,

Favorisez mes soeurs, et mêlez dans leur quelques traits de votre allégresse.

MELPOMÈNE, THALIE, TERPSICORE.

Que nos jeux vont avoir de charmes !

Tous nos chants vont inciter l'Amour.

50   Venez tous, rendez-lui les armes,

Il est doux dans cet heureux séjour.

Que nos jeux vont avoir de charmes !

Tous nos chants vont inspirer l'Amour.

Ce n'est plus le temps des alarmes,

55   Les Plaisirs sont enfin de retour.

Que nos jeux vont avoir de charmes !

Tous nos chants vont inspirer l'Amour.

MERCURE.

Jupiter va paraître,

Redoublez vos efforts pour plaire à votre Maître.

LE CHOEUR.

60   Jupiter va paraître.

Redoublons nos efforts pour plaire à notre Maître.

Dans ce moment Jupiter paraît dans son char.

JUPITER.

Il ne manque aux apprêts de la fête nouvelle,

Que Mercure a fait préparé,

Que le choix du Héros qu'on y doit célébrer,

65   Le soin de le choisir auprès de vous m'appelle.

Renouvelez dans vos jeux

Le souvenir de l'invincible Achille,

Et rappelez dans une Cour tranquille,

L'Histoire et les combats de ce guerrier fameux.

MELPOMÈNE, THALIE, TERPSICORE.

70   Renouvelons dans vos jeux,

Le souvenir de l'invincible Achille,

Et rappelons dans une Cour tranquille.

L'Histoires et les combats de ce guerrier fameux.

JUPITER.

Consacrez tous vos jeux au plus grand Roi du monde,

75   Formez sur lui tous les Portraits

De vos Héros les plus parfaits,

Sa valeur, sa bonté, sa sagesse profonde,

Vous prêteront d'inimitables traits.

LE CHOEUR.

Consacrons tous nos jeux au plus grand Roi du monde

80   Sa valeur, sa bonté, sa sagesse profonde

Nous prêterons d'inimitables traits,

Consacrons tous nos jeux au plus grand Roi du monde.

ACTE I

Le théâtre représente l'Île de Tenede, où Achille s'est retiré auprès de ses vaisseaux, depuis sa querelle avec Agamemnon.

SCÈNE PREMIÈRE.
Achille, Patrocle.

PATROCLE.

Non, je ne saurais plus me taire,

Je vous dois un conseil sincère.

85   Ne rougissez-vous point d'un indigne repos ?

Quand les Grecs agités de mortelles alarmes,

Implorent à genoux le secours de vos armes,

Contre Hector, après vous, le plus grand des Héros.

Tantôt ce guerrier terrible,

90   Des Grecs épouvantés, embrase les vaisseaux ;

Tantôt son bras invincible,

Fait rougir de leur sang et la terre et les eaux,

Il court de victoire en victoire,

Chaque jour, le bruit de la gloire,

95   Va remplir l'univers et vole jusqu'à vous,

Des honneurs qu'il obtient, n'êtes vous point jaloux ?

ACHILLE.

Je vois avec plaisir les pertes de la Grèce,

La valeur d'Hector m'a vengé,

Le fier Agamemnon connaîtra sa faiblesse,

100   Et se repentira de m'avoir outragé.

PATROCLE.

De quoi sert à ce Roi coupable

D'avoir osé vous ravir Briséis ?

Son attentat reçoit un digne prix,

Et pour lui Briséis paraît inexorable,  [ 1 Inexorable : Qui est ferme et dur ; qu'on ne saurait fléchir ; celui dont on ne saurait obtenir aucune grâce. [F]]

105   Quand un rival puissant vient troubler nos amours,

Si l'objet de nos voeux lui résiste toujours,

Est-il de plus douce vengeance

Que de voir ce rival aimer sans espérance ?

ACHILLE.

Connais mieux les raisons de mon juste courroux,

110   Ce n'est point seulement par un dépit jaloux,

Que je refuse aux Grecs un secours nécessaire,

Ils ont marqué trop de mépris pour moi,

Ils m'ont laissé subir la violente loi

De leur chef téméraire.

115   Non, jamais leurs malheurs ne sauraient m'émouvoir.

Leurs vaisseaux embrasés, leurs troupes fugitives ;

Leur camp détruit, tout leurs Rois sans pouvoir,

Leurs corps épars sur ces sanglantes rives

Szraient encor des objets impuissants,

120   Pour surprendre un moment la fureur que je sens.

PATROCLE.

Eh bien ! D'un oeil content regardez nos alarmés,

Mais quand vous nous méritez tous,

Du moins accordez-moi ces armes

Que Vulcain prépara pour vous ;

125   J'irai combattre Hector, et me combler de gloire,

Je remporterai la victoire,

Ou j'expirerai sous ces coups.

ACHILLE.

Qu'oses-tu proposer, Dieux ! Que viens-je d'entendre ?

Je commence à trembler pour la première fois.

130   Quand je songe au combat que tu veux entreprendre.

PATROCLE.

Au nom d'une amitié qui fut toujours si tendre,

Permettez-moi d'imiter vos exploits.

Je connais les périls où mon dessein m'engage,

Tout semble m'annoncer les fers ou le trépas ;

135   Mais si j'en crois mon courage,

Ce superbe ennemi ne triomphera pas.

ACHILLE.

D'une vaine terreur je n'ai plus l'âme atteinte,

Va combattre ; le Ciel prendra soin de ton sort,

Puisque ton coeur est sans crainte,

140   Ton bras ne sera que trop fort.

PATROCLE.

Je cours assurer ma mémoire,

J'ai tous les sentiments et les soins des Héros,

Non, les jours les plus doux passés dans le repos

Ne valent pas un jour marqué part la victoire.

SCÈNE II.

ACHILLE, seul.

145   Patrocle va combattre ? Et j'ai pu consentir

Qu'il courût aux dangers qui menacent sa vie ?

Ah ! Je devais l'empêcher de partir,

Hélas de quels regrets sa mort serait suivie ?

Si le sort irrité pour accabler mon coeur

150   Le faisait expirer sous le fer d'un vainqueur.

Prévenez justes Dieux, mon désespoir funeste !

Cet ami généreux, est le seul qui me reste,

Conservez ses jours par pitié !

On m'a privé de l'objet que j'adore,

155   Ce serait trop d'horreur de me priver encore

De l'objet de mon amitié.

SCÈNE III.
Achille, Diomède.

DIOMÈDE.

Ne répondrez-vous point aux désirs de la Grèce ?

Il faut qu'en sa faveur votre colère cesse,

Elle ne peut sans vous triompher des Troyens ;

160   En vain nous assiégeons leur Ville,

Nos Dieux sont moins forts que les siens.

Sa prise est réservée à la valeur d'Achille,

ACHILLE.

De quel emploi vous chargez-vous ?

N'espérez pas de fléchir mon courroux,

165   Diomède je veux achever ma vengeance,

Vos Rois et vos Peuples ingrats,

Auraient encor pour moi la même indifférence.

S'ils n'avaient besoin de mon bras.

DIOMÈDE.

Quoi ! Leur prompt repentir ne peut vous satisfaire ?

ACHILLE.

170   Ils ont pris trop de soin d'attirer ma colère.

DIOMÈDE.

Mais, pouvez-vous aimer un si triste séjour,

Et languir en ces lieux dans une vie obscure ?

Vous ! À qui les Destins promettaient chaque jour

Quelque glorieuse aventure.

ACHILLE.

175   Malgré mes cruels déplaisirs,

Le Déesse de Cythère

En faveur de Thétis ma mère

Interrompt mes regrets, et suspend mes soupirs.

Cette charmante déesse

180   Vient en ces lieux tous les jours,

Je vois avec elle sans cesse

Les grâces, les plaisirs, les jeux et les amours ;

Leur présence est d'un grand secours

Contre la plume sombre tristesse.

DIOMÈDE.

185   C'est pour servir nos ennemis

Qn'on prend ces soins mortels à votre gloire,

Songez que de vous seul dépend notre victoire,

Et que tout notre sort en vos mains est remis,

Faut-il que votre coeur se livre

190   À l'amour de vains plaisir ?

Quelque douceur que l'on goûte à les suivre,

Un héros doit former de plus nobles désirs.

ACHILLE.

La Déesse paraît et déjà sa présence

Donne à ces lieux mille beautés,

195   J'admire ses bienfaits, j'admire sa puissance,

Trop heureux de jouir sur les bords écartés

Des plaisirs innocents qui me l'ont présentée.

SCÈNE IV.
Vénus, Achille.

Vénus paraît en l'air avec l'Amour ; elle est accompagnée des Grâces, et des Plaisirs ; le nuage qui les porte descend jusques au bas du théâtre, ils en sortent tous, et le nuage se va perdre dans les airs.

VÉNUS.

J'abandonne les Cieux, je descends sur la Terre :

Pour finir de tes maux le déplorable cours,

200   En vain l'injuste sort t'a déclaré la guerre,

Espère tout de mon secours.

Vous, Divinités aimables,

Du plus grand des héros charmés le triste coeur,

Et faites succéder à sa vive douleur

205   Les plaisirs les plus agréables.

La Danse de ce Divertissement a été faite par Monsieur de Lestang.

SCÈNE V.
Achille, Les Grâces, les Plaisirs.

UNE DES GRÂCES.

Grand héros, le Ciel vous est propice,

Vos vertus se font rendre justice,

Tout conspire aujourd'hui.

À finir votre ennui.

UN PLAISIR.

210   Si l'Amour a causé vos alarmes,

Ses faveurs en auront plus de charmes ;

La Danse de ce Divertissement a été faite par Monsieur de Lestang.

Préparez votre coeur

Au plus parfait bonheur.

DEUX GRÂCES ET UN PLAISIR.

Quel mortel osa jamais prétendre

215   Les soins qu'ici nous venons vous rendre ?

Qu'il veut le mériter

N'a qu'à vous imiter.

UNE DES GRÂCES.

C'est pour vous que Vénus nous appelle,

Profitez de notre ardeur fidèle,

220   Vous aurez en ces lieux

Tous les plaisirs des Dieux.

UN PLAISIR.

C'est en vain que la haine et l'envie

Sont d'accord pour troubler votre vie,

Par notre heureux secours

225   Vous en triompherez toujours.

DEUX GRÂCES ET UN PLAISIR.

Puissiez-vous par nos soins favorables

Ne passer que des jours agréables !

Est-il rien de si doux

Que de vivre avec nous ?

SCÈNE VI.
Achille, les Grâces, les Plaisirs, Arcas.

ARCAS.

230   Ô déplorable coup du sort !

ACHILLE.

Je frémis parle !

ARCAS.

Patrocle est mort,

ACHILLE.

Ciel ! Quelle affreuse nouvelle !

Laissez-moi, fuyez de ces lieux,

Vos appas, vos concerts, et tous les soins des Dieux

235   Ne sauraient plus calmer ma tristesse mortelle.

SCENE VII.
Achille, Arcas.

ACHILLE, ARCAS.

Courons venger cet ami que je perds,

Que de sang et de morts tous ces champs soient couverts

Que son fier vainqueur périsse !

Je dois à l'amitié ce juste sacrifice.

240   Mânes de ce guerrier dont je pleure le sort,

Je vous promet une prompte vengeance,

J'en atteste des Dieux la suprême puissance,

Je cours chercher Hector, je cours hâter sa mort.

Dans l'éternelle nuit son ombre va vous suivre.

245   Ou moi-même aujourd'hui je cesserai de vivre,

ACTE II

Le théâtre représente le Camp des Grecs devant Troie ; cette superbe ville paraît dans l'éloignement.

SCÈNE PREMIÈRE.
Agamemnon, Ddiomède.

DIOMÈDE.

Puisqu'Achille combat, nous allons triompher

Notre victoire est certaine;

Cessez de le haïr, hâtez-vous d'étouffer

Le malheureux amour qui cause votre haine,

250   Vous devez rendre à ce héros

Le charmant objet de sa flamme.

AGAMEMNON.

Ah ! S'il faut à ce prix assurer son repos,

Dieux ! Qu'il en coûtera de tourments à mon âme !

DIOMÈDE.

Si vous pouviez fléchir la cruelle beauté,

255   Dont votre coeur est enchanté,

J'excuserais une injustice

Qui finirait votre sort rigoureux;

Mais je dois condamner un funeste caprice,

Qui vous rend, tout ensemble injuste et malheureux.

AGAMEMNON.

260   Il est vrai que j'attaque un coeur inexorable,

Je ne puis fléchir sa rigueur ;

Mais, comptez-vous pour rien la flatteuse douceur

De rendre un rival misérable ?

DIOMÈDE.

Le malheur d'un rival flatte-t-il votre ennui,

265   Quand vous êtes encor plus malheureux que lui ?

Rappelez votre courage,

Que la raison vous dégage

De vos fatales amours

AGAMEMNON.

Que peut la raison le triste et vain secours

270   Contre les traits vainqueurs d'une beauté cruelle ?

Quand l'amour à nos yeux vient l'offrir tous les jours,

Avec quelques grâces nouvelles.

Ranimons toutefois mon courage abattu,

C'est nourrir trop longtemps une vaine tendresse,

275   Surmontons ma faiblesse,

Par un dernier effort digne de ma vertu.

DIOMÈDE.

Achille est triomphant, je le vois qui s'avance

Suivi de nos soldats, charmés de sa valeur.

AGAMEMNON.

Éloignons-nous, évitons sa présence,

280   Je ne saurais encore répondre de mon coeur.

SCÈNE II.
Achille, Chefs et Soldats grecs.

LE CHOEUR.

La Danse de ce divertissement a été faite par Mr. Pécourt.

Guerrier terrible,

Soyez toujours invincible,

Que vos exploits

Fassent trembler tous les rois.

285   Ciel équitable,

Sois lui toujours favorable

Que son bonheur

Soit égal à sa valeur !

Guerrier terrible

290   Soyez toujours invincible ;

Que vos exploits

Fassent trembler tous les Rois.

Quelle allégresse !

Quel triomphe pour la Grèce !

295   Ses ennemis

Lui seront bientôt soumis.

Guerrier terrible

Soyez toujours invincible ;

Que vos exploits

300   Fassent trembler tous les Rois.

DEUX CAPITAINES GRECS.

Venez tous, à l'envie, secondez notre ardeur

Honorez votre heureux défenseur,

Célébrez sa victoire,

Chantez sa valeur et sa gloire,

305   Que tous nos rois

Charmés de ses exploits,

Soient soumis à ses lois !

LE CHOEUR.

Suivons, suivons sans cesse

Ce héros, ce fameux vainqueur

310   C'est à son bras que la Grèce

Doit sa force et son bonheur.

Chantons la valeur et sa gloire

Du héros qui nous a sauvé

Qu'ils jouissent après sa victoire

315   Des honneurs éclatants à lui seul réservés.

Chantons la valeur et la gloire

Du héros qui nous a sauvé.

De ses heureux travaux chérissons la mémoire,

Consacrons-lui des jours qu'il nous a conservés.

320   Chantons la valeur et la gloire

Du héros qui nous a sauvé.

ACHILLE.

Allez, que chacun court où son devoir l'appelle,

Vos soins pour moi feraient trop de jaloux,

Et de mes ennemis la vengeance cruelle

325   Ne pouvant m'accabler retomberait sur vous.

SCÈNE III.
Arcas, Priam, Andromaque, Polixène.

ARCAS.

Venez, marchez, sans défiance,

Les grecs vous ont donné leur foi

Achille est généreux, craignez moins sa présence

Et qu'une juste espérance succède à votre effroi.

SCÈNE IV.
Priam, Andromaque, Polixène.

PRIAM.

330   Restes infortunés du plus beau sang du monde,

Polixène, ma fille et vous, veuve d'Hector,

Mêlez vos pleurs aux miens, et s'il se peut encor

Que tout redouble ici notre douleur profonde.

TOUS TROIS.

Puissions-nous attendrir le coeur

335   De ce superbe vainqueur !

SCÈNE V.
Achille, Arcas, Priam, Andromaque, Polixène.

PRIAM.

Vous voyez, guerrier indomptable

Un roi qui fut longtemps le plus puissant des rois ;

C'est ce même Priam, qui tenait sous ses lois

Des Troyens renommés, l'empire redoutable;

340   C'est lui, que le dernier de vos fameux exploits

Vient de rendre plus misérable,

Qui ne fut heureux autrefois.

ACHILLE.

Le sort ne peut changer l'auguste caractère,

Dont les Dieux vous ont revêtu.

345   Je le respecte en vous, je plains votre vertu,

Je sens expirer ma colère,

Je cesse de haïr mes plus grands ennemis,

Sitôt que je les vois, ou vaincus ou soumis.

ANDROMAQUE.

J'ai perdu mon époux dans un combat funeste,

350   Votre valeur me l'a ravi ;

Mon amour, chez les morts, l'aurait déjà suivi,

Sans les soins que je dois au seul fils qui me reste.

Vous le savez, Dieux que j'atteste!

Au sort de cet enfant, mon sort est asservi ;

355   Je l'ai perdu cet époux que j'adore,

Et pour comble d'horreur, je sais qu'il est encore

Indignement privé, par des ordres cruels

D'un droit, que le trépas donne à tous les mortels :

Souffrez que je le rende aux murs qui l'ont vu naître,

360   Qu'un superbe tombeau fasse du moins connaître

La splendeur de son sang, son sort, et mon amour.

Ce tombeau servira de temple à votre gloire,

Puisque tout l'avenir y verra, quelque jour,

L'histoire de nos maux, et de votre victoire.

ACHILLE.

365   Quels regrets ! Quels tristes accents !

Dieux ! Que la douleur est tendre !

Que ses soupirs sont puissants !

Que je souffre à les entendre !

PRIAM.

Par vos sacrés aïeux ; par le nom de Thétis,

370   Laissez-moi recueillir les cendres de mon fils.

Pour m'accorder la grâce que j'espère,

Souvenez-vous de votre père,

Et songez quel amour il eût toujours pour vous

Je sentais pour mon fils une égale tendresse ;

375   Ah ! Jugez par l'excès de cet amour si doux

Quel doit être aujourd'hui l'excès de ma tristesse.

POLIXÈNE.

Que pourrais-je espérer du secours de mes pleurs,

Si mon père et ma soeur vous trouvent inflexible !

Si vous méprisez leurs douleurs,

380   À mes plaintes, hélas ! Serez-vous plus sensible ?

Sorti du sang des Dieux, imitez leur bonté,

À nos soupirs rendez-vous favorable,

N'augmentez point l'excès de notre adversité

Par un refus impitoyable.

ACHILLE.

385   Que peut-on refuser au pouvoir de vos yeux ?

Vous pouvez tout en ces lieux.

Rassurez-vous calmez la douleur qui vous presse,

Emportez dans vos murs, ce héros glorieux,

Ne craignez point les efforts de la Grèce,

390   J'arrêterai ses desseins furieux :

Suivez l'ardeur qui vous anime,

Rien ne vous troublera dans ce soin légitime :

Je ne vais songer désormais

Qu'à vous donner une éternelle paix.

ACTE III

Le théâtre représente le quartier d'Achille.

SCÈNE I.
[Achille, Arcas].

ACHILLE.

395   C'en est fait, cher Arcas, j'adore Polixène,

Quoiqu'il en coûte enfin, je veux la posséder ;

C'est toi que j'ai choisi, pour aller demander,

Cours à Troie, il est temps de soulager ma peine.

ARCAS.

Son père, à votre amour, voudra-t-il l'accorder ?

ACHILLE.

400   Il sera trop heureux de me donner sa fille,

Et de me voir devenir son époux ;

L'amitié, que ce noeud fera naître entre nous,

Soutiendra désormais son trône et sa famille.

ARCAS.

Juste Ciel ! Des Troyens vous devenez l'appui ?

405   Loin de les accabler, vous voulez les défendre.

ACHILLE.

Contre un peuple abattu, que pourrais-je entreprendre,

Après ce que mon bras vient de faire aujourd'hui ?

Hector seul méritait la gloire

De mourir par mes coups,

410   Le reste des Troyens après cette victoire

Est indigne de mon courroux.

SCÈNE II.

ACHILLE.

Quand après un cruel tourment,

L'hymen succède

Aux tendre désirs d'un amant,

415   Que le trouble qui précède

Ce bien heureux moment

Est doux et charmant!

Mais, on vient en ces lieux, ma surprise est extrême !

C'est Agamemnon lui-même.

SCÈNE III.
Achille, Agamemnon.

AGAMEMNON.

420   Je ne saurais plus longtemps

Conserver contre vous mes chagrins et ma haine,

Après vos exploits éclatants,

Un mouvement plus doux près de vous me ramène :

Avec les jours d'Hector nos périls sont passés,

425   Troie a perdu la bras qui pouvait la défendre.

ACHILLE.

J'ai fait mon devoir, c'est assez,

Vous n'avez point de grâces à mes rendre :

Je n'ai point crû servir ceux qui m'ont outragé,

Et c'est Patrocle seul que mon bras a vengé.

AGAMEMNON.

430   Votre colère dure encore,

Elle éclate dans vos discours :

Il faut, pour en finir le cours,

Vous rendre la beauté qui vous aime toujours,

Et que votre coeur adore.

435   Venez, charmant objet, revoyez votre amant.

SCÈNE IV.
Achille, Briseis, Agamemnon, Diomède.

ACHILLE.

Ah Ciel ! Ma raison cède à mon étonnement.

AGAMEMNON.

Mes respects, mes soupirs, les marques de ma flamme

N'ont fait qu'allumer son courroux ;

Ses constantes rigueurs m'ont appris que son âme

440   Ne peut brûler que pour vous.

DIOMÈDE.

Jouissez du bonheur que l'amour vous présente,

Que votre ardeur s'augmente

De moment en moment !

Que c'est un plaisir charmant,

445   Après une absence cruelle,

De retrouver sa maîtresse fidèle !

SCÈNE V.
Achille, Briséis.

BRISEIS.

Quel triste accueil, Dieux ! Qu'est-ce que je vois?

Suis-je encor Briseis ? N'êtes-vous plus Achille ?

Pouvez vous me revoir, et demeurer tranquille ?

450   Qu'est devenu l'amour dont vous brûliez pour moi ?

Vous ne répondez point ?...

ACHILLE.

Hélas !

BRISEIS.

Que me veut dire

Ce regard, ce soupir échappé malgré vous ?

Ah ! Que mon destin sera doux,

Si c'est encor pour moi que votre coeur soupire ?

ACHILLE.

455   Ô Ciel ! Que je suis malheureux !

Dans quel temps venez-vous m'accabler de vos larmes ?

Que ne suis-je, à mon gré, le maître de mes voeux !

Je finirais bientôt vos mortelles alarmes

Mais un charme fatal...

BRISEIS.

Perfide c'est assez.

460   Je vois toute mon infortune,

Un autre amour te rend ma tendresse importune,

Je te fatigue enfin par mes soins empressés :

Le bruit de cette amour nouvelle

Était venu jusques à moi,

465   Mais je n'ai pu le croire, et soupçonner ta foi,

J'ai cru ton coeur trop grand, pour n'être pas fidèle.

C'en est donc fait ? Je ne dois plus penser

À l'hymen qui faisait toute mon espérance,

À ce suprême honneur il me faut renoncer,

470   D'un amour si parfait, funeste récompense !

Dieux ! Quelle est ma douleur ! Je cède à son effort,

Cruel, peux-tu la voir avec indifférence ?

Et ne sais-tu pas que ma mort

Suivra de près ton inconstance ?

ACHILLE.

475   Je ne puis entendre

Une plainte si tendre

Je souffre autant que vous, les Dieux m'en sont témoins,

Faut-il vous immoler ma vie ?

Ordonnez, ce sera le plus doux de mes soins

480   De satisfaire à votre envie :

Mais, calmez vos transports, et ne m'affligez plus

Par des reproches superflus.

Vous connaissez mon coeur incapable de feindre,

Je suis moins criminel, que je ne suis à plaindre,

485   Du sort et de l'Amour l'indispensable loi

M'entraîne ailleurs malgré moi.

SCÈNE VI.

BRISEIS.

Quel amant m'est ravi ! Sa valeur, sa noblesse

L'élèvent au dessus du reste des mortels,

La victoire le suit sans cesse,

490   Et ses moindres vertus méritent des autels,

Dans le haut rang où son destin l'appelle

Il eut été parfait, s'il eut été fidèle.

Mais n'est-il pas quelque moyen

De détourner l'hymen où son coeur se prépare ?

495   Ah ! Faisons que Junon contre lui se déclare,

Elle hait tout le sang Troyen,

Et ne souffrira pas que cet hymen funeste

Sauve un peuple qu'elle déteste,

Puissante Reine des Cieux !

500   Écoutez moi, daignez jeter les yeux

Sur le malheur qui me menace,

Prévenez ma honte et ma mort,

En prenant pitié de mon sort.

Des perfides Troyens vous contrez l'audace ?

505   Mes voeux sont exaucés, Junon descend des cieux,

Et pour me secourir s'approche de ces lieux.

Junon descend sur son char.

SCÈNE VII.
Junon, Briséis.

JUNON.

Calme tes déplaisirs, ne verse plus de larmes,

L'Hymen qui cause tes alarmes

Ne sera jamais achevé

510   En vain Priam croit son pays sauvé,

Son trône doit tomber, et de toute sa gloire

Il ne restera rien qu'une triste mémoire.

Je vais évoquer des Enfers

La Haine, la Fureur, la Discorde et l'Envie,

515   Leur présence sera suivie

De cent prodiges divers.

Sortez de la nuit infernale,

Noires Divinités, vos antres sont ouverts.

Dans le temps que les Divinités sortent des enfers, tout le théâtre est obscurci.

BRISEIS.

L'horreur de leur séjour, se répand dans les airs !

JUNON.

520   Volez, portez par tout votre rage fatale,

Versez dans tous les coeurs votre mortel poison,

Chassez la paix de cette terre,

Et faites y régner la guerre,

La vengeance et la trahison.

525   Versez dans tous les coeurs votre mortel poison.

Junon remonte dans son char.

Poursuivez votre carrière,

Soleil, et rendez-nous votre clarté première.

BRISEIS.

La Danse des Furies a été faite par Mr. Lestang.

Favorable Déesse,

J'attends le succès de vos soins.

JUNON.

530   Avant la fin du jour tes yeux seront témoins

De l'effet de ma promesse.

SCÈNE VIII.

BRISEIS.

Junon pour moi vient de se déclarer,

Elle a fait, à mes yeux, éclater sa puissance,

Je dois tout espérer

535   Se sa divine assistance.

On entend un bruit de haut-bois et de flûtes.

Mais quel bruit harmonieux

Se fait entendre dans ces lieux !

Ah ? Je vois les bergers que l'horreur de la guerre

Avait chassé de cette terre,

540   La trêve les rappelle à leur premier séjour,

Et déjà leurs chansons annoncent leur retour.

Que leurs chants irritent la peine

Et la douleur que je sens !

Fuyons, je ne puis voir leurs plaisirs innocents,

545   Puisqu'ils sont dûs à Polixène.

SCÈNE IX.
Troupe de Bergers et des Bergères.

La Danse de ce divertissement a été fait pas M. P. Cours.

UN BERGER.

Après tant de trouble et de larmes,

Un doux repos succède à nos alarmes,

Bénissons à jamais

Le généreux vainqueur, qui nous donne la paix.

UN BERGER ET UNE BERGÈRE.

550   Cet heureux jour doit nous charmer,

Dans ces champs mille fleurs vont renaître,

Recommençons d'aimer

En les voyant paraître.

TROIS BERGERS.

Cherchons, avec empressement,

555   Ces retraites, ces lieux paisibles,

Que le ciel a fait seulement

Pour le plaisir des coeurs sensibles.

UN BERGER ET UNE BERGÈRE.

Tristes bocages,

Reprenez vos feuillages,

560   Servez nous toujours

D'asile à nos amours.

LE CHOEUR.

Tristes bocages,  [ 2 Dans l'édition originale, il n'y a pas de teexte associé au Choeur, la couplet précédent est répliqué comme pour les répliques suivantes.]

Reprenez vos feuillages,

Servez nous toujours

565   D'asile à nos amours.

UN BERGER ET UNE BERGÈRE.

Paix adorable,

Soyez toujours durable,

Sans vous, hélas !

Ces lieux n'ont point d'appas.

LE CHOEUR.

570   Paix adorable,

Soyez toujours durable,

Sans vous, hélas !

Ces lieux n'ont point d'appas.

Après tant de troubles et de larmes,

575   Un doux repos succède à nos alarmes,

Bénissons à jamais

Le généreux vainqueur, qui nous donne la paix.

ACTE IV

Le théâtre représente le magnifique Palais de Priam.

SCÈNE I.

POLIXÈNE, seule.

Enfin je me vois seule, et je puis sans contrainte,

Faire éclater les divers mouvements

580   Dont mon âme est atteinte,

Et connaître du moins quels sont mes sentiments.

Depuis l'instant fatal où l'invincible Achille

A daigné, par ses soins, soulager notre ennui,

Je suis cent fois moins tranquille,

585   Et je songe toujours à lui.

Serait-ce qu'en effet une indigne faiblesse

Me préviendrait en sa faveur ?

Non, non, je me souviens sans cesse

Des maux que m'a causé sa funeste valeur,

590   Et le vainqueur d'Hector, le vengeur de la Grèce

Ne peut avoir aucun droit sur mon coeur.

C'en est fait je triomphe, et dès ce moment même

Je ne veux plus m'en souvenir.

Puisse, grand Dieux, votre pouvoir suprême

595   Me condamner et me punir !

Si jamais... Ciel ! Que fais-je ? Et quel transport m'inspire ?

Malheureuse, qu'allais-je dire ?

Dois-je un serment pour ne le pas tenir ?

Je souffre trop dans les cruels combats.

600   Qu'il m'en coûte pour me défendre !

Et je trouve mille appas

À me rendre.

Mais, puis-je avouer, sans honte,

Que l'Amour me surmonte ?

605   N'écouterai-je plus ni raison, ni devoir ?

Contre ce Dieu leur force est impuissante ?

Est il un coeur s'exempte

De reconnaître son pouvoir ?

Je lui cède aujourd'hui. Tous mes efforts sont vains.

610   Je ne puis résister à l'ardeur qui m'enflamme ;

Du moins, si l'Amour dispose mon âme,

C'est en faveur du plus grand des humains.

SCÈNE II.
Polixène, Andromaque.

ANDROMAQUE.

Ah ! Ma soeur, savez-vous qu'Achille

Se flatte qu'un hymen tranquille

615   Avant la fin du jour doit vous unir tous deux ?

Souffrirez-vous que ce noeud s'accomplisse ?

Et pouvez-vous, sans injustice,

De ce fier ennemi favoriser les voeux ?

Auriez-vous oublié que sa valeur barbare

620   D'un frère tant aimé pour jamais vous sépare ?

D'un frère la terreur, et l'amour des mortels :

Cette sanglante mort, cette affreuse victoire

Toujours présente à ma mémoire,

A condamné mes yeux à des pleurs éternels.

POLIXÈNE.

625   Est-ce de moi que mon sort doit dépendre ?

Priam seul en peut disposer.

ANDROMAQUE.

Par ce détour croyez-vous m'abuser ?

Non, non, je commence à comprendre

Quels sont vos sentiments secrets,

630   Vos yeux timides et distraits

Ne me les font que trop entendre.

POLIXÈNE.

Que voulez-vous me dire ? Et que soupçonnez-vous ?

ANDROMAQUE.

Que loin de seconder ma haine,

Vous verrez, sans peine,

635   Ce funeste ennemi devenir votre époux.

Vous voulez jouir de la gloire

De triompher de sa fierté,

C'est une agréable victoire

Pour votre vanité.

POLIXÈNE.

640   Quand je vois ce héros digne de mon estime,

Sentir pour moi l'amour le plus parfait,

Est-ce un grand crime

De m'en applaudir en secret ?

ANDROMAQUE.

Après un tel aveu je n'ai plus rien à craindre,

645   C'est le dernier malheur que je puis redouter.

Hélas ! Que me sert de me plaindre ?

Personne ne veut m'écouter.

Cher époux, dont l'illustre vie

Fut si digne d'envie,

650   Tout ton sang te trahit pour plaire à ton vainqueur,

Je pleure en vain ta mort, triste effet de tes armes,

Je vois mépriser mes larmes,

Et par ton père, et ta soeur :

Mais, leur exemple au moins ne peut rien sur mon âme,

655   Je sens encor la même flamme,

Et la même douleur.

Le seul espoir dont mon coeur est flatté,

C'est qu'en donnant toujours des pleurs à ta mémoire,

Je rendrai ma fidélité

660   Aussi fameuse que ta gloire.

SCÈNE III.

POLIXÈNE, seule.

Quel reproche fatal ! Je rougis de l'entendre,

Il me fait souvenir des conseils de Cassandre :

Elle me prédit chaque jour,

Que si jamais mon coeur s'abandonne à l'amour,

665   Ma faiblesse sera suivie

D'éternelles douleurs ;

Elle m'annonce enfin de si cruels malheurs,

Qu'ils pourront me coûter la vie :

N'importe, je ne puis changer de sentiment,

670   Mon coeur est occupé d'un objet trop charmant.

Malgré les conseils qu'on me donne,

D'une plus vive ardeur je me sens enflammer,

Un coeur que le péril étonne

N'est pas digne d'aimer.

SCÈNE IV.
Priam, Polixène, Arcas, Suite de Priam et d'Arcas.

PRIAM.

675   Ma fille, il n'est plus temps de répandre des pleurs,

Voici le jour heureux qui finit nos malheurs ;

Le fier Achille rend les armes

À tes charmes,

Et malgré tous les grecs, jaloux de ton bonheur,

680   Il te donne aujourd'hui son empire et son coeur.

ARCAS.

Princesse, ce héros ne cherche qu'à vous plaire ;

Vous avez en vos mains et la vie et la mort

C'est à vous de régler son sort ;

Il a déjà l'aveu de votre père,

685   Mais, pour assurer son bonheur,

Il veut savoir si votre coeur

À ses tendres désirs

Ne sera pas contraire.

POLIXÈNE.

C'est assez que le Roi m'ordonne d'obéir

690   Je connais mon devoir, je ne le puis trahir.

PRIAM.

Quel changement favorable

Flatte aujourd'hui mes désirs;

Aurais-je cru mon coeur encor capable

De sentir quelques plaisirs ?

695   Malgré ce changement un chagrin légitime

En trouble la douceur, et s'oppose à la paix ;

Mais le soin de l'État et le seul qui m'anime,

Et je préfère à tout le bien de mes sujets.

Vous, que votre sort intéresse

700   Dans cet événement heureux,

Peuples, montrez votre allégresse

Par les jeux les plus pompeux.

SCÈNE V.
Polixène, Arcas, Troupe de Troyens et de Troyenne.

La danse de ce divertissement a été faite par Mr. Pécourt.

UN TROYEN.

Vos beaux yeux, adorable princesse,

Ont détruit les desseins de la Grèce,

705   Un seul de vos regrets a rangé sous vos lois

Un héros dont le nom fait trembler tous ses rois.

LE CHOEUR.

Vos beaux yeux, adorable princesse,

Ont détruit les desseins de la Grèce,

Un seul de vos regrets a rangé sous vos lois

710   Un héros dont le nom fait trembler tous ses rois.

UNE TROYENNE.

Que ne peuvent point vos charmes ?

Tout leur est soumis,

Ils arrachent les armes

À nos ennemis.

715   Que ne peuvent point vos charmes,

Tout leur est soumis.

LE CHOEUR.

Que ne peuvent point vos charmes ?

Tout leur est soumis,

Ils arrachent les armes

720   À nos ennemis.

Que ne peuvent point vos charmes,

Tout leur est soumis.

DEUX TROYENS.

Que l'amour est puissant sur les coeurs :

Il enchaîne

725   Sans peine,

Les plus redoutables vainqueurs.

UNE TROYENNE.

Qu'après une grande victoire

Une guerrier est heureux

S'il sait mêler aux charmes de la gloire

730   Le doux amusement des plaisirs amoureux ?

UNE TROYENNE.

Vous, si longtemps banni de se sacré séjour

Jeux charmants, revenez dans cette auguste cour.

UN TROYEN.

La paix ramène ici l'abondance,

Faites voir votre magnificence,

735   Par vos chants redoublés, célébrez ce grand jour,

Et de votre bonheur rendez grâce à l'amour.

LE CHOEUR.

La paix ramène ici l'abondance,

Faisons voir notre magnificence,

Par nos chants redoublés, célébrons ce grand jour,

740   Et de notre bonheur rendons grâce à l'amour.

ACTE V

Le théâtre représente l'avenue et le temple d'Apollon.

SCÈNE I.

ACHILLE.

Ah ! Que sur moi, l'Amour règne avec violence !

Que de transports puissants mon coeur est agité !

Mais j'aperçois la divine beauté

Qui cause mon impatience,

745   Son père l'a conduit, et vient sur ces autels

Entendre et confirmer nos serments mutuels.

SCÈNE II.
Achille, Arcas, Polixène, Choeur de Grecs de la suite d'Achille, Choeur de Troyens et de filles troyennes qui suivent Priam et Polixène.

ACHILLE.

Princesse enfin le Ciel répond à mon attente,

Il assure à mon coeur les plaisirs les plus doux,

Ah ! Que mon sort doit faire de jaloux !

750   Si l'Hymen, dont l'espoir m'enchante

N'est pas un supplice pour vous.

Quoi ! Ce transport ne sert qu'à vous confondre ?

Craignez-vous de me répondre ?

Pourquoi tourner vos yeux de toute part ?

755   N'osez-vous sur moi seul arrêter vos regards ?

Parlez, beauté charmante,

Le don de votre coeur suivra-t-il de votre foi ?

POLIXÈNE.

Hélas ! Plus je vous vois,

Et plus mon trouble s'augmente.

ACHILLE.

760   Puis-je, du moins en ma faveur,

Expliquer ce profond silence ?

POLIXÈNE.

Un héros tel que vous, quand il donne son coeur,

N'est-il pas assuré de la reconnaissance ?

ACHILLE.

C'en est trop ; vos bontés passent mon espérance.

SCÈNE III.
Achille, Priam, Polixène, Arbas, Troupe de Grecs, de Troyens et de Troyennes.

PRIAM.

765   Commençons à jouir en ce jour,

Des plaisirs que la Paix nous ramène,

Les feux de la Haine

Cèdent à ceux de l'Amour.

PRIAM, ACHILLE et POLIXÈNE.

Commençons à jouir en ce jour,

770   Des plaisirs que la Paix nous ramène,

Les feux de la Haine

Cèdent à ceux de l'Amour.

ACHILLE.

Peuples soumis à mes lois,

Secondez les transports de mon âme ;

775   Joignez nos voix,

Pour chanter les beautés de l'objet qui m'enflamme.

PRIAM.

Peuples soumis à mes lois,

Jouissez d'un sort tranquille

Joignez nos voix,

780   Pour chanter les vertus et le bonheur d'Achille.

LE CHOEUR.

La danse de ce divertissement a été faite par Monsieur Lestang.

Que tous ces lieux retentissent

Du nom de ces heureux époux,

Que l'amour et l'hymen les unissent

De leurs noeuds les plus doux.

UN GREC.

785   Ah ! Que vos chaînes sont belles !

Tendres amants, que vous serez heureux,

Seuls, dignes l'un de l'autre, et pleins des mêmes feux,

Également charmés, également fidèles,

Tendres amants, que vous serez heureux.

LE CHOEUR.

790   Tendres Amants, que vous serez heureux !

UN GREC et DEUX TROYENNES.

Chacun de vous connaît le prix de ce qu'il aime

Et lui consacre tous ses voeux ;

Chacun de son amour fait la gloire suprême,

Tendres amants, que vous serez heureux.

LE CHOEUR.

795   Tendres Amants, que vous serez heureux.

PRIAM.

Ne perdons plus de précieux moments,

Allons sur les autels consacrer les serments

D'une paix éternelle.

ACHILLE ET POLIXÈNE.

Ne perdons plus de précieux moments,

800   Allons sur les autels consacrer les serments,

D'une paix éternelle

Et d'un amour tendre et fidèle.

SCÈNE IV.

BRISEIS.

Que vois-je ? C'en est fait et mon perfide amant

Épouse, en ce moment,

805   Sa nouvelle maîtresse.

Ah ! Junon, est-ce ainsi que tu tiens ta promesse ?

Est-ce ainsi que tu romps ces funestes liens ?

Qui vont causer ma mort, et sauver les Troyens ?

Un juste désespoir m'anime,

810   Mon amour outragé demande une victime,

Courons l'immoler ou périr ;

Si mes transports jaloux me font commettre un crime,

Pour l'expier, je suis prête à mourir.

SCÈNE V.
Briséis, Choeur de Grecs, qui sortent en désordre du temple d'Apollon, Arcas.

LE CHOEUR.

Fuyons, une mort certaine

815   Nous n'avons plus de défenseur.

BRISEIS.

Où courez-vous ? Quelle terreur

Loin de ces lieux vous entraîne ?

ARCAS.

Achille ne vit plus !

BRISEIS.

Ciel ! Quel est son vainqueur ?

ARCAS.

L'indigne ravisseur d'Hélène

820   Par une trahison a terminé son sort.

BRISEIS.

Quoi ? Le traître Pâris est l'auteur de sa mort.

SCÈNE VI.
Polixène, Briseis.

POLIXÈNE.

Dieux ! Quel horrible spectacle !

Le perfide Pâris triomphe sans obstacle ;

Il jouit de son crime et ne permet pas

825   D'embrasser mon époux, même après son trépas,

D'un coup mortel j'ai vu frapper Achille,

J'ai retiré le trait dont il était percé ;

Hélas ! Dans les douleurs dont mon coeur est pressé

Ce trait fatal peut m'être utile.

BRISEIS.

830   Je vais presser nos chefs et nos soldats

De venger le meurtre d'Achille.

Oui, dans mon désespoir, je conduirai leur pas

Sur les remparts de votre ville,

Puisse le juste Ciel se déclarer pour nous !

835   Et puisse aujourd'hui les Troyens périr tous.

SCÈNE DERNIÈRE.

POLIXÈNE.

Va punir les Troyens, cours hâter la vengeance

D'un héros qu'on vient d'immoler :

Laisse moi seule ici ; Ne viens plus me troubler

Par son odieuse présence.

840   Par ces soins éclatants, va prouver ton amour ;

Poursuis Pâris, fais lui ravir le jour

Au héros que tu perds l'on te fera survivre.

Depuis qu'il ne vit plus, rien ne plaît à mes yeux,

Une sanglante mort va finir, en ces lieux,

845   Les horribles tourments où sa perte me livre,

Ah ! N'est-il pas moins glorieux,

De se venger que de le suivre ?

Mais quels tristes objets viennent s'offrir à moi ?

Dieux ! Quel saisissement ! Quel transport ! Quel effroi !

850   Ah ! Je vois mon époux sur l'infernale rive

J'entends les cris de son ombre plaintive,

Elle m'appelle, elle me tend les bras.

Ciel ! Je vois dans ses yeux éclater sa colère ;

Chère ombre, attends, je vais te satisfaire,

855   S'il ne faut pour te plaire,

Que courir au trépas.

Quel sort d'un amour si tendre !

J'éprouve enfin tous les malheurs

Que Cassandre cent fois, pleine de ses fureurs,

860   Voulut en vain me faire entendre.

Et toi ? Qui teint encor du sang de mon époux,

A passé dans mes mains pour terminer ma vie,

Funeste trait, seconde mon envie,

Que ton secours sera doux,

865   Si tu frappes mon coeur d'une atteinte mortelle,

Il s'avance lui-même au devant de tes coups,

Trop heureux si tu m'es fidèle.

S'en est fait le succès répond à mon attente,

Je n'ai plus guère à souffrir,

870   Je sens que je vais mourir

Et c'est assez pour me rendre contente.

Reçois mon sang après mes pleurs,

Achille, c'est à toi que je me sacrifie...

Sans toi, je déteste la vie...

875   Oui, je le jure... Hélas... Je frissonne... Je meurs.

 



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Notes

[1] Inexorable : Qui est ferme et dur ; qu'on ne saurait fléchir ; celui dont on ne saurait obtenir aucune grâce. [F]

[2] Dans l'édition originale, il n'y a pas de teexte associé au Choeur, la couplet précédent est répliqué comme pour les répliques suivantes.

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