MOMUS À PARIS

OPÉRA-COMIQUE EN UN ACTE

Représenté pour la première fois, à la Foire Saint-Germain, au mois de Février 1732.

M. DCC. LXX.

Par Messieurs PANARD et FAGAN

À AMSTERDAM, Et se trouve à PARIS, Chez les Libraires qui vendent les Nouveautés.


Texte établi par Paul FIEVRE, février 2019.

Publié par Paul FIEVRE, mars 2019.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:24:26.


ACTEURS.

MOMUS.

LA GIROUETTE.

ADRASTE.

MARTON.

FRONTIN.

LE CHEVALIER.

BROCHURE.

BAROCO.

ARMIDON.

MONSIEUR BOBINET.

MADAME BOBINET.

LISETTE.

DEUX LAQUAIS.

TROUPE DE MASQUES.

SUITE DE MOMUS.

La Scène est à Paris.

extrait de "THÉÂTRE de M. FAGAN et autres OEUVRES DU MÊME AUTEUR.", Tome quatrième, Théâtre de la Foire, 1760. pp 357-388


MOMUS À PARIS

SCÈNE PREMIÈRE.
Momus, La Girouette.

MOMUS.

AIR : Quand on a prononcé.

Illustres Calotins, Troupe aimable et badine,

Que sur un cas nouveau chacun de vous opine.

Ecoutez, chers amis, qui répétez mes lois :

Et du Dieu des grelots reconnaissez la voix.

AIR.

5   Il est honteux, ne vous déplaire,

Pour un corps aussi glorieux,

Pour un corps, qui, par parenthèse,

De tous les corps est le plus vieux,

De n'avoir point, dans cette ville,

10   Un hôtel, un honnête asile,

Où, selon les occasions,

Nous, nos agents ou commissaires,

Puissions remplir les fonctions

Pour le bon ordre nécessaires

15   Comme font les réceptions,

Les conseils les décisions

Les règlements capitulaires

Les ordonnances et décrets,

Les récompenses brevets.

AIR Patapan.

20   Il faut établir un séjour,

Où tout humain porte-calotte

Puisse, au premier coup de tambour,

Sous l'ëtendard de la marotte,

Patapan,

25   Joindre aussitôt le régiment.

LA GIROUETTE.

AIR Quand je tiens de ce jus d'octobre.

Je ne crois pas qu'aucun s'oppose

À l'utile établissement

Que notre souverain propose.

Tout doit suivre son sentiment.

MOMUS.

AIR.

30   Vous opinez tout seul, Monsieur La Girouette ;

Attendez, s'il vous plaît, qu'à ce que je projette

Mes sujets veuillent consentir.

Votre louange m'est suspecte.

Comme vous êtes Architecte,

35   Vous ne demandez qu'à bâtir.

Parlez, vous qui toujours consultez le caprice,

Parlez, Calotine Milice.

CHOEUR.

A 1 ÏL Tu n'manieraspas mon Minet.

Qu'on éleve dans 16sairs

Les merveilleux édifices

40   Qu'on éleve dans les airs ï

L'hôcel de tout l'Univers.

MOMUS.

AIR Tu croyais, en aimant Colette.

C'est donc une chose conclue ;

Amis, je ne balance plus.

Quand nous aurons pignon sur rue,

45   Nous en ferons plus absolus.

AIR: Sans dessus dessous.

Nous préviendrons mieux les abus

Qui peuvent blesser nos Statuts

Car on voit la troupe ratière,

Sans dessus dessous, sans devant derrière ;

50   Tout est, dans l'empire des fous,

Sans devant derrière, sans dessus dessous.

LA GIROUETTE.

AIR : Réveillez-vous, belle endormie.

Chacun comme vous, le souhaite

Tout le monde est de votre avis.

MOMUS.

Montrez, fameux la Girouette,

55   Montrez vos plans et vos devis.

LA GIROUETTE.

AIR.

Holà Corinthien, la Frise.

Fidèles compagnons, dont le zèle empressé

Me seconde en mon entreprise

Apportez-moi le plan que je vous ai tracé.

SCÈNE II.
Momus, Corinthien, La Frise.

MOMUS.

60   Comment donc ! Ce projet surpasse mon attente.

Il est savamment destiné,

Bien conduit bien imaginé.

La construction est charmante.

Une échelle fait l'escalier

65   Des trappes fervent de passage

Les mansardes sont au premier,

Et l'entresol est au troisième étage.

AIR : Dans notre Village.

Si de notre Empire

Vous n'étiez sujet

70   Un si beau projet

Suffirait pour vous faire inscrire.

Mais expliquez-moi

Ce qu'ici je vois.

LA GIROUETTE.

C'est l'endroit devine pour placer les peintures ;

75   Qui des fous les plus importants

Apprendront les faits éclatants,

Et les diverses aventures.

Par exemple, dans le talion

Seront les plaideurs et plaideuses

80   Les Pédants et les Précieuses

Se verront dans ce pavillon.

Là, de riches vieillards épris de leurs cassettes,

Morts de faim sur un tas d'écus ;

Ici ceux qui dans les bassettes

85   Portent leurs fonds et revenus

Messieurs les peintres et poètes

Symphonies, musiciens

François, ainsi qu'Italiens,

Dans ce petit panneau seront les effigies

90   Des amants qui se sont pendus

Pour leurs maîtresses infidèles.

Plus bas, quelques auteurs de brochures nouvelles,

De contes bleus et de rébus.

Enfin de ce côté sera peinte une Clique,

95   Qui, dans certain pays, a tout mis en pratique

Tout remué pour obtenir

Le bail de l'Opéra-Comique,

Ayant pour but de s'enrichir.

MOMUS.

AIR de la Canicule.

Il suffit : présentement

100   Cherchons dans la Ville

Un lieu propre au bâtiment.

LA GIROUETTE.

Rien n'est plus facile.

Vous devez choisir l'endroit

Où le plus souvent on voit

105   Du calotinage,

L'endroit le moins sage.

MOMUS.

Oui, c'est-là mon intention ;

Mais le choix n'en est pas si facile qu'on pense

À quel quartier donner la préférence

110   Il faut, dans tout ceci, grande précaution.

Voyons ce qui le passe avec attention,

Et que de chaque endroit une légère idée

À nos yeux soit tracée.

Venez la Girouette un nouvel Asmodée  [ 1 Asmodée : Démon de la Bible (Tobie III ,8), roi des dévastateurs. [L]]

115   Vous va conduire par la main.

Nous sommes ce me semble au Faubourg Saint-Germain

Commençons-notre tournée.

LA GIROUETTE.

Vous m'y voyez tout prêt.

MOMUS.

Vous, cependant, allez

Où, par vos fonctions, vous êtes appelés. `

120   Nous pourrons bien sans vous prendre cet exercice.

CHOEUR.

Qu'on éleve dans les airs etc.

LA GIROUETTE.

Quelqu'un paraît.

MOMUS.

Mettons-nous à i'écart.

SCÈNE III.
Adraste, Frontin.

FRONTIN dit à son maître qu'il a toutes les peines du monde à tirer de l'argent de Monsieur Simon son usurier ordinaire mais qu'à la fin il lui a donné deux mille livres, après avoir rempli son blanc-seing de quatre mille livres. Ce sont deux mille livres qu'il m'en coûte, répond Adraste mais que ne ferait-on pas pour se tirer d'affaire avec honneur ? Va ajoûte-t-il à Frontin, assemble mes créanciers chez moi : je vais t'y joindre, et les payer.

SCÈNE IV.
Adraste, Marton.

MARTON, après avoir assuré Adraste que la comédienne Doris n'aime que lui, lui insinue adroitement que sa maîtresse est au défefpoir d'un vol que lui a fait un Laquais qui lui a enlevé habits et diamants. Adraste lui donne les deux mille livres qu'il vient de recevoir, en lui disant :

ADRASTE.

AIR : Je veux boire à ma Lisette.

Prends Marton cette ressource

125   Adoucira fon malheur.

Peut-on ménager fa bourbe

Quand on a donné son coeur

Il la prie d'écarter Doris certain nouvel auteur qui lui adresse ses poésies.

MARTON.

N'en prenez point d'ombrage.

AIR : Objet charmant et doux.

Les vers sont ennuyeux.

bis.

Faire grande dépenfe, et montrer l'or aux yeux :

130   C'est parler, croyez-moi, le langage des Dieux.

ADRASTE.

Va, Marton.

AIR : C'est un excellent élixir.

De cet objet plein de douceur

Tâche de calmer la douleur.

MARTON.

Contre le mal qui la possède

Je tiens un excellent remède.

135   Oui, votre argent, pour la guérir,

Est un admirable,

Est un agréable,

Est un excellent élixir.

SCÈNE V.

ADRASTE.

Je n'ai pu faire autrement. Il faudra que je me retourne d'un autre côté.

SCÈNE VI.
Adraste, Frontin.

FRONTIN.

La plupart de vos créanciers sont chez vous.

AIR : Attendez-moi sous l'orme.

Je leur ai fait entendre

140   Que, moins impertinents,

Ils seraient bien d'apprendre

À connaître les gens.

Ils vont chez vous se rendre

Bien joyeux, bien contents.

ADRASTE.

145   Ils m'y peuvent attendre ;

Ils attendront longtemps.

Il lui avoue l'emploi qu'il a fait de son argent.

FRONTIN.

AIR: Les Trembleurs.

Une femme claire et nette,

Que d'un Arabe il achète

Pour acquitter une dette,

150   Disparaît en un instant.

Cela me semble incroyable,

Impossible, inconcevable.

Il faut enfin que le diable

Ait emporté votre argent.

SCÈNE VII.
Adraste, Le chevalier, Frontin.

LE CHEVALIER raconte à Adraste, comme une chose fort plasante, que Doris lui a donné une somme de deux mille livres, dont il avait besoin, que sa suivante a adroitement tirée d'un jeune innocent qui croit en être aimé.

SCÈNE VIII.
Adraste, Frontin.

Adraste déclame contre la perfidie de sa maîtresse.

FRONTIN.

AIR : Grimaudin.

155   Pour vous consoler, vos affaires

Sont en bon train.

De créanciers et créancières

Un noir essaim

Viendra bloquer soir et matin,

160   Votre Château de Gaillardin.

SCÈNE IX.
Momus, La Girouette.

LA GIROUETTE.

Ma foi, pour ce quartier, ce trait me détermine.

Je pense qu'il n'est pas besoin,

De chercher, ni d'aller plus loin.

MOMUS.

Il est bon que chacun passe par l'étamine.

165   Par exemple, écoutons deux Auteurs que voici :

Ils sont avec un tiers qui parle et se démène

Du pays Latin jusqu'ici.

Ils le suivent.

LA GIROUETTE.

Tant mieux, ils nous sauvent la peine

170   D'aller courir la pretantaine.

Seigneur, ce carrefour tumultueux, passant,

De calotins à la douzaine,

Offre un tableau divertissant.

Restons-y, nous pourrons y voir plus d'une scène.

MOMUS.

175   J'y consens. Nous irons de-là

Finir notre recherche au bal de l'Opéra.

SCÈNE X.
Brochure, Armidon, Baroco.

BAROCO.

AIR : Bouchez, Naïades.

Il faut l'avouer les libraires,

Avec nous, sont de francs corsaires.

ARMIDON.

Daignez un moment m'écouter.

BAROCO.

180   Je n'ai plus qu'un mot à vous dire.

BROCHURE.

Quoi toujours me persécuter !

Messieurs, souffrez que je respire.

Me suivre depuis la rue Saint-Jacques qu'au carrefour de Bussy ? Je n'y puis plus tenir.

BAROCO.

Quoi ! Vous ne convenez pas de l'excellence de mes ouvrages ?

ARMIDON.

Vous n'êtes pas frappé de la beauté du mien ?

BROCHURE.

AIR : Sois complaisant. etc.

Vos écrits sont pleins d'esprit et de verve

Et je les crois avoués de Minerve.

185   Mais,

Que le destin me préserve

De les imprimer jamais.

ARMIDON.

Je ne veux point de vos cantates en prose, ni de vos harangues en vers.

BAROCO.

AIR : Changement pique l'appétit.

Les vers valent mieux que la prose.

ARMIDON.

Et ma cantate est une chose

190   Nouvelle et qui flatte l'esprit.

Changement pique l'appétit.

BAROCO.

Réfuter une harangue, que j'ai pris plaisir à composer en vers en décasyllabes imitée de Demostènes ! Procté ! Siphoué !

ARMIDON.

Vous ne remarquez pas quelle noble simplicité règne dans ma cantate.

Tircis pour Daphné avait de l'inclination.

Dans la prairie les deux amants

S'amusaient ensemble... C'est pourquoi...

BROCHURE.

C'est pourquoi !

ARMIDON.

C'est pourquoi.

BROCHURE.

Cela est détestable.

BAROCO.

Savez-vous lire, mon ami ?

BROCHURE.

Belle demande un libraire !

BAROCO.

Vous allez convenir... Où sont donc mes harangues ?

AIR : Diogene.

195   Le déluge, la foudre,

Qui réduit tout en poudre

Les vents impétueux,

La grêle, la tempête,

Tout tombe sur ma tête

200   En ce moment affreux.

Quel téméraire a osé porter sa main profane sur mon bien, ma vie, mes trésors, l'ouvrage de vingt ans ! On me vole ! O Jupeter altitonans ! Souffrirez-vous ce nefandum facinus. Il faut les que je les aye perdus dans ce maudit café.

ARMIDON.

AIR : Vivons pour le sfillettes.

De désespoir, il est saisi.

bis.

BROCHURE.

Pendant qu'il extravague ainsi

Tirons-nous de ses pattes.

L'ami, je vous conseille aussi

205   De perdre vos cantates.

SCÈNE XI.

BAROCO.

AIR : Non, je ne ferai pas.

Non ce que les enfers ont de plus effroyable

Aux maux que je ressens n'ont rien de comparable.

Rien d'un coup si cruel, ne peut me consoler.

Je n'y saurais survivre il me faut immoler.

Ah ! Les voici dans ma poche. Approchez, Monsieur Brochure. Mais que vois-je ? Evafit !

210   Je vous retrouve donc, dignes fruits de mes veilles !

Écrits ingénieux, harangues non-pareilles !

Si, dans ce siècle rare en parfaits connaisseurs,

Vous n'avez encor pu trouver d'imprimeurs,

Vous en serez vengés et vous aurez la gloire

215   D'être inscrits pour jamais au temple de Mémoire.

SCÈNE XII.
Monsieur et Madame Bobinet, Lisette.

Madame Bobinet se plaint de sottes façons d'agir les habitants du Faubourg Saint-Germain, où se trouvent [...]

[LISETTE].

AIR : Cordon bleu.

Un Plaisant qui récite des vers ;  [ 2 Cette réplique ne comporte aucune entête de personnage.]

Un Abbé qui sans cesses ricane ;

Un sot qui parle à tort et à travers,

Et qui gesticule avec sa canne ;

220   Deux précieuses sur un sofa,

D'un air d'indolence,

Gardant le silence ;

Trois Anglais, un acteur d'opéra,

Le bel assemblage de gens que voilà !

Elle parle surtout d'une certaine Clorinde, qui ne l'a reconduite qu'à la porte de sa chambre. Monsieur Bobinet trouve fort ridicule que pendant tout le temps de la visite, on ne l'ait pas prié de mettre son chapeau.

MADAME BOBINET.

AIR : Ô reguingué.

225   Peut-on voir moins d'empressement !  [ La Fontaine de l'échaudé, rue Vieille du Temple, à l'angle de la rue du Poitou. Datée de 1671, c'est la plus ancienne fontaine de ce quartier.]

Me regardait-on seulement !

ROBINET.

Moi, sur un mot de compliment,

Qu'à Clorinde j'ai voulu dire,

Tout le monde s'est mis à rire.

Retournons, dit Monsieur Robinet, dans notre quartier de la fontaine de l'échaudé.

MONSIEUR BOBINET.

AIR : Agréable espérance.

230   Depuis chère Poulette,

Que je suis marié,

De moi vous devez être satisfaite.

Je vous ai toujours mis sur le bon pied.

Madame Bobinet demande son équipage. Un laquais lui dit que ne donnant que vingt écus de gages de son cocher, il allé faire une course pour son compte.

SCENE XIII et dernière.
Momus, La Girouette.

LA GIROUETTE.

AIR : Des Rats.

Que dans cette ville

235   L'on voie de travers

C'est la plus fertile

De tout l'Univers.

Notre choix fera difficile :

Ma foi, nous ne finirons pas.

240   Dieux ! Que d'embarras

Pour fixer notre domicile !

Dieux ! Que d'embarras

Pour connaitre les plus grands rats.

MOMUS.

Il est vrai qu'on ne peut bien juger de la chose ;

245   Le pays Latin, le Marais~

Dont nous venons de voir, en passant, quelque traits,

Étant pourvus de même doqe

Que le quartier du Faubourg Saint-Germain,

Rendent de plus en plus mon esprit incertain.

LA GIROUETTE.

250   Moi, je l'avouerai ; plus j'y pense,

Moins je puis décider, et quand pour l'un des trois,

Je fuis prêt à fixer mon choix,

Unanie, sur le champ, fait pencher la balance.

MOMUS.

Je l'avais bien prévu mais ce n'est pas là tout.

255   Il faut aller jusqu'au bout.

Un quatrième peut tenir en concurrence.

LA GIROUETTE.

Serait-ce s'il vous plait le bal de l'Opèra ?

Car je crois que nous y voilà,

Du moins, ce que je vois en a quelque apparence.

MOMUS.

260   Oui, pour examiner ce qui s'y passera,

Tous deux, incognito, nous y tiendrons séance.

AIR : Le bon branle.

Terpsichore dans ce séjour,  [ 4 Terpsichore : Nymphe de la mythologie grecque qui préside à la danse.]

Met tout Paris en branle.

C'est à qui lui fera sa cour.

265   On y voit jusqu'au point du jour,

Danser un joli branle.  [ 5 Branle : Espèce de danse. Le branle ou branle gai est le nom générique de toutes les danses où un ou deux danseurs conduisent tous les autres, qui répètent ce qu'ont fait les premiers. [L]]

Souvent même, après le retour

On est encore en branle.

LA GIROUETTE.

AIR.

Oh vraiment, je connais cet asile charmant ;

270   C'est où le tendre amour débite sa recette.

Des plaisirs il est la retraite,

Et le centre du mouvement.

AIR.

Jour et nuit, d'une ardeur extrême,

On y voit chacun s'empresser.

MOMUS.

275   te jour, c'est pour y voir danser ;

La nuit, pour y danser foi-même.

bis. [les deux vers]

LA GIROUETTE.

Nous sommes encor seuls mais certaine rumeur

M'annonce que bientôt nous aurons compagnie.

Je ne me trompe pas. Tenez, voyez, Seigneur,

280   De quel nombreux concours l'entrée est investie

L'Orchestre, cependant, n'est pas encore en train.

MOMUS.

L'Orchestre ? Il est, sans doute, au cabaret prochain.

AIR.

En attendant qu'il en revienne,

Les masques que je vois venir

285   Et le motif qui les amène,

Pourront aisément nous fournir

Matière à nous entretenir.

LA GIROUETTE.

AIR : Berger d'Amphrise.

Quelle est cette Égyptienne

Qui montre un transport jaloux ?

MOMUS.

290   Elle aperçoit son époux

Près d'une comédienne.

Dans ce bal en rendez-vous,

Tous les deux se font les yeux doux.

Pour la venger de l'injure,

295   Vient un jeune homme à son gré.

LA GIROUETTE.

La bonne aventure, ô gué,

Ô gué, etc.

AIR Du pouvoir.

Quelle est cette chauve-souris ?

MOMUS.

Un suppôt de Thémis,

bis.

300   Qui va droit, en sortant du bal,

Dormir au tribunal.

bis.

LA GIROUETTE.

Même air.

Savez-vous quel est ce coureur ?

MOMUS.

Un jeune Procureur.

bis.

LA GIROUETTE.

Cet autre qui porte un turban ?

MOMUS.

305   C'est un gros partisan.

bis.

LA GIROUETTE.

AIR.

Il accoste une Espagnolette.  [ 6 Espagnolette : Il s'est dit quelquefois pour jeune fille espagnole. [L]]

La Belle me paraît écouter la fleurette.

MOMUS.

Cette friponne a son dessein.

LA GIROUETTE.

Se font-ils quelque confidence ?

310   Je vois qu'il lui serre la main.

MOMUS.

Il lui promet une ambulance  [ 7 Ambulance : Vendeur en ambulance, homme qui établit son échoppe, son lieu de vente, dans les passages, dans les marchés. [L]]

Que son époux aura demain.

LA GIROUETTE.

Un coeur d'acier ne pourrait se défendre

Sollicité par de si doux appas.

MOMUS.

315   Celui que vous voyez plus bas,

Est un chimiste à sec, qui vient ici se rendre,

Pour y dissiper ses ennuis.

Il ne fort jamais que les nuits :

Cela, pour deux raisons que je vais vous apprendre.

AIR : Monsieur le Prévot des Marchands.

320   Primo, c'est que plusieurs Marchands,

Ont mis après lui les Sergents ;

Il craint le jour qu'on ne le gobe,  [ 8 Gober : Populairement Faire prisonnier quelqu'un que l'on guette. [L]]

S'il prend l'essor. Et, secundo,

C'est que toute sa garde-robe

325   Est réduite à son domino.  [ 9 Domino : Costume de bal masqué ou costumé qui consiste en une robe avec un capuchon ou camail. [L]]

LA GIROUETTE.

AIR : Que de gentilles pélerines.

J'aperçois une pélerine

Qui porte sous la capeline,

Des yeux brillants, friande mine,

Qui ne marchande point un coeur.

330   Celui qui de près l'examine,

Est-ce un époux ? Est-ce un tuteur ?

MOMUS.

AIR : Il n'est plus temps.

C'est un époux sexagénaire,

Et sa moitié n'a pas vingt ans :

Tens tens, tens.

335   Il s'adonise, il tache encor de plaire.  [ 10 S'adoniser : S'ajuster avec un trop grand soin. [L]]

LA GIROUETTE.

Tens, terens, rens, tens,

Il n'est plus temps.

AIR : Non, je ne ferai pas.

Je les crois fort unis : mais, entre nous, je gage

Qu'avec impatience elle attend le veuvage.

MOMUS.

340   N'en doutez pas. Bien plus, pour remplir ce désir,

D'un fort plaisant moyen on la voit se servir.

AIR : Branle de Metz

Pour lui cette épouse tendre,

Le force à se réjouir ;

Par la route du plaisir,

345   Au tombeau le fait descendre.

Pour aller au noir séjour,  [ 11 Noir séjour : tombeau.]

Divers chemins on peut prendre ;

Pour aller au noir séjour,

Le barbon prend le plus court.  [ 12 Barbon : Vieillard, avec une idée de dénigrement. [L]]

LA GIROUETTE.

350   Vers nous en tumulte on s'avance.

MOMUS.

Prenons la loge que voici.

Nous verrons que ce quartier-ci

A droit, autant qu'un autre, à notre résidence.

UN PAYSAN.

AIR : Ces filles sont si sottes.

À mon panier si quelqu'un va,

355   J'ai le bras lourd, il en saura

Sur le champ des nouvelles ;

Arrêtez-vous, laissez cela.

Mon fruit est pour les Belles

Lon la.

360   Mon fruit est pour les Belles.

LA BOUQUETIÈRE.

AIR.

La rose et le bouton,

Ton, ton,

La rose et le bouton,

AIR.

La rose et le bouton.

365   Pour Javotte,

Charlotte

Jeanneton,

Margoton,

Nanette, Fanchon,

370   Lisette, Suzon

Colette

Ça, ça, que l'on achète

La rose et le bouton,

Ton, ton,

375   La rose et le bouton.

De ma petite

Marguerite

Faire emplette, beau garçon.

Souvent, dans les jardins, la fleur la plus parfaite

380   Ne vaut pas la fleurette

Qui naît dans un vallon.

Pour Javotte etc.

LE FROTTEUR.

AIR.

Je suis frotteur de mon métier,  [ 13 Frotteur : Celui qui frotte les parquets. [L]]

Aux plus fameux je fais la nique ;

385   Tous les jours, dans chaque quartier,

Je vais cherchant de la pratique.  [ 14 Pratique : ouvrage, travail.]

Regardez si je suis au fait,

Comme je frotte,

Comme je frotte

390   Sur le parquet.

Dans la chambre et le cabinet,

Si je suis à votre service,

Mesdames, tout sera bien net ;

Car je ne suis pas un novice.

395   Regardez etc.

Me dit-on de monter du bois,

Si c'est pour un mari, je vole ;

Je fuis à tout, et quelque fois,

Je tire de l'eau pour Nicole.

400   Regardez, etc.

LA GIROUETTE.

Ces masques me semblent aimables.

À votre tribunal, les croyez-vous coupables ?

MOMUS.

Ils le font l'un plein d'enjouement,

Plein de saillie et d'agrément ;

405   Dans une fête, un bal, a ce qu'il faut pour plaire ;

Toujours rire, danser folâtrer est son tic ;

Mais ce tic ne lui convient guère :

II était né pour ne rien taire

Et le sort a permis qu'il fût homme public.

410   L'autre masquée en bouquetière ;

Est un morceau friand, gentille douairière.

Elle est riche, elle est belle, et de condition ;

Sur son compte, bien plus, il n'est rien à redire :

Mais vivant sans précaution,

415   Elle donne à jaser. La mordante satire

Noircit sa réputation.

Les rendez-vous, le tête-à-tête,

Les nocturnes repas

Tout lui convient, rien ne l'arrête,

420   Qu'on en parle ou n'en parle pas.

N'est-ce point un travers ayant de la sagesse,

De n'en pas recueillir le prix ?

Elle a le coeur d'une Lucrèce,

Et le dehors d'une Laïs.  [ 15 Laïs : Fig. Femme galante dont la réputation fait grand bruit. [L]]

LA GIROUETTE.

425   Que de sujets pour votre empire.

Mais, enfin, voilà donc le bâtiment à bas,

Pour le choix du quartier où l'on doit le construire,

C'est toujours nouvel embarras.

Que faire ?...

MOMUS.

Il faudra nous conduire,

430   À cet égard, le mieux que nous pourrons

Avec le temps nous en déciderons.

Au surplus, je prétends sur un point vous induire,

Si plus qu'un autre pays,

À mon pouvoir paraît soumis.

435   Loin que ses habitants en soient moins agréables,

C'est ce qui les rend plus aimables.

AIR : O reguingué.

Les Calotins, en quantité,

Que l'on voit en cette Cité,

Viennent de leur vivacité

440   Et c'est où brille la saillie,

Que l'on voit régner la folie.

COMPLIMENT Fait à la Clôture de la Foire Saint-Laurent au mois d'octobre 1731.

[LA TROUPE].

MESSIEURS,

AIR Un Berger de notre village.

Dans cette fatale journée

Qui doit mettre fin à nos jeux

C'est moi que l'on a destinée

445   Pour faire de tristes adieux.

Je ne sais ce que je vais dire

Mais je sens mon coeur qui soupire.

AIR Des triolets.

Les moments où je puis vous voir,

Sont les plus heureux de ma vie ;

450   Il n'est rien qui puisse valoir

Les moments où je puis vous voir.

Mais hélas de quel désespoir

Mon âme est aujourd'hui saisie

Je perds, en vous quittant, ce soir,

455   Les plus doux plaisirs de la vie.

AIR : Je vous le donne.

Ah ! Quel dommage !

Lorsque notre théâtre est plein

Pourquoi faut-il plier bagage ?

S'arrêter en si beau chemin,

460   Ah ! Quel dommage ?

Mais tous ces regrets sont inutiles, il faut nous séparer. Du moins,

AIR : Que j'estime mon cher voisin !

Messieurs, pendant les quatre mois

Que je dois être absente,

Qu'il vous souvienne quelque fois

De la petite Tante.

465   Nous allons employer cet intervalle

À nous mettre en état de mériter vos suffrages.

AIR : La jeune Isabelle.

Que votre présence,

Qui nous charme tant,

Soit la récompense

470   D'un zèle constant.

L'Opéra lui-même

Vous dit clairement

Aimez qui vous aime,

Rien n'est si charmant.

Oui, Messieurs,

AIR. le Prévôt des Marchands.

475   Si notre Opéra quelques jours

Vous amusa dans les Faubourgs,

Que cela nous devienne utile ;

J'ose aujourd'hui vous en prier.

Venez tous nous voir à la Ville,

480   Le troisième de Février.

 



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Notes

[1] Asmodée : Démon de la Bible (Tobie III ,8), roi des dévastateurs. [L]

[2] Cette réplique ne comporte aucune entête de personnage.

[3] La Fontaine de l'échaudé, rue Vieille du Temple, à l'angle de la rue du Poitou. Datée de 1671, c'est la plus ancienne fontaine de ce quartier.

[4] Terpsichore : Nymphe de la mythologie grecque qui préside à la danse.

[5] Branle : Espèce de danse. Le branle ou branle gai est le nom générique de toutes les danses où un ou deux danseurs conduisent tous les autres, qui répètent ce qu'ont fait les premiers. [L]

[6] Espagnolette : Il s'est dit quelquefois pour jeune fille espagnole. [L]

[7] Ambulance : Vendeur en ambulance, homme qui établit son échoppe, son lieu de vente, dans les passages, dans les marchés. [L]

[8] Gober : Populairement Faire prisonnier quelqu'un que l'on guette. [L]

[9] Domino : Costume de bal masqué ou costumé qui consiste en une robe avec un capuchon ou camail. [L]

[10] S'adoniser : S'ajuster avec un trop grand soin. [L]

[11] Noir séjour : tombeau.

[12] Barbon : Vieillard, avec une idée de dénigrement. [L]

[13] Frotteur : Celui qui frotte les parquets. [L]

[14] Pratique : ouvrage, travail.

[15] Laïs : Fig. Femme galante dont la réputation fait grand bruit. [L]

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