SOPHONISBE

TRAGÉDIE en cinq actes

1774

Voltaire

Représentée pour la première fois le 15 janvier 1774 au Théâtre de la Comédie française.


publié par Paul FIEVRE, Septembre 2008

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:19:22.


PERSONNAGES

SCIPION, consul.

LÉLIE, lieutenant de Scipion.

SYPHAX, roi de Numidie.

SOPHONISBE, fille d'Asdrubal, femme de Syphax.

MASSINISSE, roi d'une partie de la Numidie.

ACTOR, attaché à Syphax et à Sophonisbe.

ALAMAR, officier de Massinisse.

PHAEDIME, dame numide, attachée à Sophonisbe.

Soldats romains.

Soldats numides.

Licteurs.

La scène est à Cirthe, dans une salle du château, depuis le commencement jusqu'à la fin.


ACTE I

SCÈNE I.
Syphax, une lettre à la main ; soldats.

SYPHAX.

Se peut-il qu'à ce point l'ingrate me trahisse ?

Sophonisbe ! Ma femme ! Écrire à Massinisse !

À l'ami des Romains ! Que dis-je ? À mon rival !

Au déserteur heureux du parti d'Annibal,

5   Qui me poursuit dans Cirthe, et qui bientôt peut-être

De mon trône usurpé sera l'indigne maître !

J'ai vécu trop longtemps. Ô vieillesse ! ô destins !

Ah ! Que nos derniers jours sont rarement sereins !

Que tout sert à ternir notre grandeur première !

10   Et qu'avec amertume on finit sa carrière !

A mes sujets lassés ma vie est un fardeau ;

On insulte à mon âge ; on ouvre mon tombeau.

Lâches, j'y descendrai, mais non pas sans vengeance.

Aux soldats.

Que la reine à l'instant paraisse en ma présence.

Il s'assied, et lit la lettre.

15   Qu'on l'amène, vous dis-je. Époux infortuné,

Vieux soldat qu'on trahit, monarque abandonné,

Quel fruit peux-tu tirer de ta fureur jalouse ?

Seras-tu moins à plaindre en perdant ton épouse ?

Cet objet criminel, à tes pieds immolé,

20   Raffermira-t-il mieux ton empire ébranlé ?

Dans la mort d'une femme est-il donc quelque gloire ?

Est-ce là tout l'honneur qui reste à ta mémoire ?

Venge-toi d'un rival, venge-toi des Romains ;

Ranime dans leur sang tes languissantes mains ;

25   Va finir sur la brèche un destin qui t'accable.

Qu'on te trahisse ou non, ta mort est honorable ;

Et l'on dira du moins, en respectant mon nom :

Il mourut en soldat des mains de Scipion.

SCÈNE II.
Syphax, Sophonisbe, Phaedime.

SOPHONISBE.

Que voulez-vous, Syphax ? Et quelle tyrannie

30   Traîne ici votre épouse avec ignominie ?

Vos Numides tremblants, courageux contre moi,

Pour la première fois ont bien servi leur roi ;

A votre ordre suprême ils ont été dociles.

Peut-être sur nos murs ils seraient plus utiles ;

35   Mais vous les employez dans votre tribunal

A conduire à vos pieds la nièce d'Annibal !

Je conçois leur valeur, et je lui rends justice,

Quel est mon crime enfin ? Quel sera mon supplice ?

SYPHAX, lui donnant la lettre.

Connaissez votre seing : rougissez, et tremblez.

SOPHONISBE.

40   Dans les malheurs communs qui nous ont désolés,

J'ai frémi, j'ai pleuré de voir la Numidie

Aux fiers brigands du Tibre en deux mois asservie.

Scipion, Massinisse, heureux dans les combats,

M'ont fait rougir, seigneur, mais je ne tremble pas.

SYPHAX.

45   Perfide !

SOPHONISBE.

  Épargnez-moi cette injure odieuse,

Pour vous, pour votre femme également honteuse.

Nos murs sont assiégés ; vous n'avez plus d'appui,

Et le dernier assaut se prépare aujourd'hui.

J'écris à Massinisse en cette conjoncture,

50   Je rappelle à son coeur les droits de la nature,

Les noeuds trop oubliés du sang qui nous unit :

Seigneur, si vous l'osez, condamnez cet écrit.

Elle lit.

« Vous êtes de mon sang ; je vous fus longtemps chère,

Et vous persécutez vos parents malheureux.

55   Soyez digne de vous ; le brave est généreux :

Reprenez votre gloire et votre caractère... »

Syphax lui arrache la lettre.

Eh bien ! ai-je trahi mon peuple et mon époux ?

Est-il temps d'écouter des sentiments jaloux ?

Répondez : quel reproche avez-vous à me faire ?

60   La fortune, en tout temps à tous deux trop sévère,

A mis, pour mon malheur, ma lettre en votre main.

Quel en était le but ? quel était mon dessein ?

Pouvez-vous l'ignorer ? et faut-il vous l'apprendre ?

Si la ville aujourd'hui n'est pas réduite en cendre,

65   S'il est quelque ressource à nos calamités,

Sur ces murs tout sanglants je marche à vos côtés.

Aux yeux de Scipion, de Massinisse même,

Ma main joint des lauriers à votre diadème ;

Elle combat pour vous, et sur ce mur fatal

70   Elle arbore avec vous l'étendard d'Annibal :

Mais si jusqu'à la fin le ciel vous abandonne,

Si vous êtes vaincu, je veux qu'on vous pardonne.

SYPHAX.

Qu'on me pardonne ! à moi ! De ce dernier affront

Votre indigne pitié voulait couvrir mon front !

75   Et, portant à ce point votre insultante audace,

C'est donc pour votre roi que vous demandez grâce ?

Allez, peut-être un jour vos funestes appas

L'imploreront pour vous, et ne l'obtiendront pas.

Massinisse, en tout temps mon fatal adversaire,

80   Et mon rival en tout ; se flatta de vous plaire ;

Il m'osa disputer mon trône et votre coeur :

C'est trahir notre hymen, votre foi, mon honneur,

Que de vous souvenir de son feu téméraire.

Vos soins injurieux redoublent ma colère ;

85   Et ce fatal aveu, dont je me sens confus,

A mes yeux indignés n'est qu'un crime de plus.

SOPHONISBE.

Seigneur, je ne veux point, dans l'état où vous êtes,

Fatiguer vos chagrins de plaintes indiscrètes :

Mais vos maux sont les miens ; qu'ils puissent vous toucher.

90   Ce n'est pas mon époux qui doit me reprocher

De l'avoir préféré (non sans quelque courage)

Au vainqueur de l'Afrique, au vainqueur de Carthage,

D'avoir tout oublié pour suivre votre sort,

Et d'attendre avec vous l'esclavage ou la mort.

95   Massinisse m'aimait, et j'aimais ma patrie ;

Je vous donnai ma main, prenez encor ma vie.

Mais si je suis coupable en implorant pour vous

Le vainqueur irrité dont vous êtes jaloux,

Si j'ai voulu briser le joug qui vous accable,

100   Si je veux vous sauver, la faute est excusable.

Vous avez, croyez-moi, des soins plus importants.

Bannissez des soupçons, partage des amants,

Des coeurs efféminés, dont l'oisive mollesse

Ne connaît d'intérêts que ceux de leur tendresse :

105   Un soin bien différent nous occupe en ce jour ;

Il s'agit de la vie, et non pas de l'amour :

Il n'est pas fait pour nous. Écoutez : le temps presse ;

Tandis que vos soupçons accusent ma faiblesse,

Tandis que nous parlons, la mort est en ces lieux.

SYPHAX.

110   Je vais donc la chercher ; je vais loin de vos yeux

Éteindre dans mon sang ma vie et mon outrage.

J'ai tout perdu ; les dieux m'ont laissé mon courage.

Cessez de prendre soin de la fin de mes jours.

Carthage m'a promis un plus noble secours ;

115   Je l'attends à toute heure, il peut venir encore :

Ce n'est pas mon rival qu'il faudra que j'implore.

Ne craignez rien pour moi, je sais sauver mes mains

Des fers de Massinisse, et des fers des Romains.

Sachez qu'un autre époux, et surtout un Numide,

120   Ne mourrait qu'en frappant le coeur d'une perfide.

Vous l'êtes ; j'ai des yeux : le fond de votre coeur,

Quoi que vous en disiez, était pour mon vainqueur.

Je n'ai point, Sophonisbe, exigé de votre âme

Les dehors affectés d'une inutile flamme ;

125   L'amour auprès de vous ne guida point mes pas ;

Je voulais un vrai zèle, et vous n'en avez pas.

Mais je sais mourir seul, j'y cours ; et cette épée

D'un sang que j'ai chéri ne sera point trempée.

Tremblez que les Romains, plus barbares que moi,

130   Ne recherchent sur vous le sang de votre roi.

Redoutez nos tyrans, et jusqu'à Massinisse ;

Si leurs bras sont armés, c'est pour votre supplice.

C'est le sang d'Annibal que leur haine poursuit ;

Ce jour est pour tous deux le dernier qui nous luit.

135   Je prodigue avec joie un vain reste de vie ;

Je péris glorieux, et vous mourrez punie :

Vous n'aurez, en tombant, que la honte et l'horreur

D'avoir prié pour moi mon superbe oppresseur.

Je cours aux murs sanglants que ses armes détruisent.

140   Laissez-moi : fuyez-moi ; vos remords me suffisent.

SOPHONISBE.

Non, seigneur ; malgré vous je marche sur vos pas ;

Vous m'accablez en vain, je ne vous quitte pas,

Je cherche autant que vous une mort glorieuse ;

Vos malheureux soupçons la rendraient trop honteuse :

145   Je vous suis.

SYPHAX.

  Demeurez, je l'ordonne : je pars ;

Et Syphax en tombant ne veut point vos regards.

SCÈNE III.
Sophonisbe, Phaedime.

SOPHONISBE.

Ah ! Phaedime !

PHAEDIME.

Il vous laisse, et vous devez tout craindre.

Je vous vois tous les deux également à plaindre :

Mais Syphax est injuste.

SOPHONISBE.

Il sort ; il a laissé

150   Dans ce coeur éperdu le trait qui l'a blessé.

J'ai cru, quand il parlait à sa femme éplorée,

Quand il nie présageait une mort assurée,

J'ai cru, je te l'avoue, entendre un dieu vengeur,

Dévoilant l'avenir, et lisant dans mon coeur,

155   Prononcer contre moi l'arrêt irrévocable

Qui dévoue au supplice une tête coupable.

PHAEDIME.

Vous coupable ! Il l'était d'oublier aujourd'hui

Tout ce que Sophonisbe osa faire pour lui.

SOPHONISBE.

J'ai tout fait. Cependant il m'a dit vrai, Phaedime ;

160   Dans les plis de mon âme il a cherché mon crime ;

Il l'a trouvé peut-être ; et ce triste entretien

Ne m'annonce que trop son désastre et le mien.

PHAEDIME.

Son malheur l'aigrissait ; il vous rendra justice.

Sa haine contre Rome et contre Massinisse

165   Empoisonnait son coeur déjà trop soupçonneux :

Lui-même en rougira, s'il est moins malheureux.

Il voit la mort de près, et l'esprit le plus ferme

Peut se sentir troublé quand il touche à ce terme.

Mais si quelque succès secondait sa valeur,

170   Si du fier Scipion Syphax était vainqueur,

Vous verriez aisément son amitié renaître.

Il doit vous respecter, puisqu'il doit vous connaître.

Vos charmes sur son coeur ont été trop puissants :

Ils le seront toujours.

SOPHONISBE.

Phaedime, il n'est plus temps.

175   Je vois de tous les deux la destinée affreuse :

Il s'avance au trépas ; je suis plus malheureuse.

PHAEDIME.

Espérez.

SOPHONISBE.

J'ai perdu mes États, mon repos,

L'estime d'un époux, et l'amour d'un héros.

Je suis déjà captive ; et dans ce jour peut-être

180   Il faut tendre les mains aux fers d'un nouveau maître,

Et recevoir des lois d'un amant indigné,

Qui m'eût rendue heureuse, et que j'ai dédaigné.

Quand ce fier Massinisse, oppresseur de Carthage,

Me présentait dans Cirthe un séduisant hommage,

185   Tu sais que j'étouffai, dans mon secret ennui,

L'intérêt et le sang qui me parlaient pour lui.

Te dirai-je encor plus ? j'étouffai l'amour même ;

Je soutins contre moi l'honneur du diadème ;

Je demeurai fidèle à mon père Asdrubal,

190   A Carthage, à Syphax, aux destins d'Annibal,

L'amour fuit de mon âme aux cris de ma patrie.

D'un amant irrité je bravai la furie :

Un front cicatrisé par la guerre et le temps

Effarouchait en vain mon coeur et mes beaux ans ;

195   Puisqu'il détestait Rome, il eut la préférence.

Massinisse revient, armé de la vengeance ;

Il entre en nos États, la victoire le suit ;

Aidé de Scipion, son bras a tout détruit :

Dans Cirthe ensanglantée un faible mur nous reste.

200   A quels dieux recourir dans ce péril funeste ?

Était-ce un si grand crime, était-il si honteux

D'avoir cru Massinisse et noble et généreux ;

D'avoir pour mon époux imploré sa clémence ?

Dans mon illusion j'avais quelque espérance ;

205   Ma prière et mes pleurs auraient pu le flatter ;

Mais il ne saura pas ce que j'osai tenter ;

Et, pour unique fruit d'un soin trop magnanime,

Mon époux me condamne, et mon amant m'opprime :

Tous deux sont contre moi, tous deux règlent mon sort ;

210   Et je n'attends ici que l'opprobre ou la mort.

SCÈNE IV.
Sophonisbe, Phaedime, Actor.

ACTOR.

Reine, dans ce moment le secours de Carthage

Sous nos remparts sanglants s'est ouvert un passage ;

On est aux mains. Ces lieux qui retenaient vos pas

Sont trop près du carnage, et du champ des combats.

215   Le roi, couvert de sang, m'ordonne de vous dire

Que loin de ce palais vous vous laissiez conduire.

J'obéis.

SOPHONISBE.

Je vous suis, Actor. Vous lui direz

Que ses ordres pour moi seront toujours sacrés ;

Mais que, dans les moments où le combat s'engage,

220   M'éloigner du danger c'est trop me faire outrage.

Dieux ! par quel sort cruel ai-je à craindre en un jour

Massinisse et Syphax, les Romains et l'amour ?

Ils m'ont tous entraînée au fond de cet abîme ;

Ils ont tous fait ma perte, et frappé leur victime.

ACTE II

SCÈNE I.
Sophonisbe, Phaedime.

PHAEDIME.

225   Quel tumulte effroyable au loin se fait entendre ?

Quels feux sont allumés ? la ville est-elle en cendre ?

Ceux qui veillaient sur vous se sont tous écartés.

Dans ces salons déserts, ouverts de tous côtés,

Il ne vous reste plus que des femmes tremblantes,

230   Au pied de ces autels avec moi gémissantes ;

Nous rappelons en vain par nos cris, par nos pleurs,

Des dieux qui sont passés dans le camp des vainqueurs.

SOPHONISBE.

Leurs plaintes, leurs douleurs, cette effrayante image,

Ont effrayé mes sens, ont troublé mon courage :

235   Phaedime, ce moment m'accable ainsi que toi.

Le sang que vingt héros ont transmis jusqu'à moi

Aujourd'hui dégénère en mes veines glacées ;

Le désordre et la crainte agitent mes pensées.

J'ai voulu pénétrer dans ces sombres détours

240   Qui, du pied du palais, conduisent à nos tours :

Tout est fermé pour moi. Je marchais égarée ;

L'ombre de mon époux à mes yeux s'est montrée

Pâle, sanglante, horrible, et l'air plus furieux

Que lorsque son courroux m'outrageait à tes yeux.

245   Est-ce une illusion sur mes sens répandue ?

Est-ce la main des dieux sur ma tête étendue,

Un présage, un arrêt des enfers et du sort ?

Syphax en ce moment est-il vivant ou mort ?

J'ai fui d'un pas tremblant, éperdue, éplorée :

250   Je ne sais où j'étais quand je t'ai rencontrée ;

Je ne sais où je vais. Tout m'alarme et me nuit.

Et je crois voir encor un dieu qui me poursuit.

Que veux-tu, dieu cruel ? Euménide implacable,

Frappe, voilà mon coeur ; il n'était point coupable ;

255   Tu n'y peux découvrir qu'un malheureux amour,

Vaincu dès sa naissance, et banni sans retour :

Je n'offensai jamais l'hymen et la nature.

Grand dieu ! tu peux frapper ; va, ta victime est pure.

PHAEDIME.

Ah ! nous allons du ciel savoir les volontés.

260   Déjà d'un bruit nouveau, dans ces murs désertés,

Jusqu'à notre prison les voûtes retentissent,

Et sur leurs gonds d'airain les portes en mugissent...

On entre, on vient à vous : je reconnais Actor.

SCÈNE II.
Sophonisbe, Phaedime, Actor.

SOPHONISBE.

Ministre de mon roi, qui vous amène encor ?

265   Qu'a-t-on fait ? que deviens-je ? et qu'allez-vous m'apprendre ?

ACTOR.

Le dernier des malheurs.

SOPHONISBE.

Ah ! je m'y dois attendre.

ACTOR.

Par l'ordre de Syphax, à l'abri de ces tours,

A peine en sûreté j'avais mis vos beaux jours,

Et j'avais refermé la barrière sacrée

270   Par qui de ce palais la ville est séparée ;

J'ai revolé soudain vers ce roi malheureux,

Digne d'un meilleur sort, et digne de vos voeux ;

Son courage, aussi grand qu'il était inutile,

D'un effort passager soutient son bras débile.

275   Sur la brèche à la fin, de cent coups renversé,

Dans ces débris sanglants, il tombe terrassé :

Il meurt.

SOPHONISBE.

Ah ! je devais, plus que lui poursuivie,

Tomber à ses côtés, ainsi que ma patrie :

Il ne l'a pas voulu.

ACTOR.

Si dans un tel malheur

280   Quelque soulagement reste à notre douleur,

Daignez apprendre au moins combien, dans sa victoire,

Le jeune Massinisse a mérité de gloire.

Qui croirait qu'un héros si fier, si redouté,

Dont l'Afrique éprouva le courage emporté,

285   Et dont l'esprit superbe a tant de violence,

Dans l'horreur du combat aurait tant de clémence ?

A peine il s'est vu maître, il nous a pardonné ;

De blessés, de mourants, de morts environné,

Il a donné soudain, de sa main triomphante,

290   Le signal de la paix au sein de l'épouvante.

Le carnage et la mort s'arrêtent à sa voix ;

Le peuple, encor tremblant, lui demande des lois ;

Tant le coeur des humains change avec la fortune !

SOPHONISBE.

Le ciel semble adoucir la misère commune,

295   Puisqu'au moins le pouvoir est remis dans les mains

D'un prince de ma race, et non pas des Romains.

ACTOR.

Le juste et premier soin de l'heureux Massinisse

Est d'apaiser les dieux par un prompt sacrifice,

De dresser un bûcher à votre auguste époux.

300   Il garde jusqu'ici le silence sur vous :

Mais dès que j'ai paru, madame, en sa présence,

Il s'est ressouvenu qu'autrefois son enfance

Fut remise en mes mains, dans ces murs, dans ces lieux,

Où ce prince aujourd'hui rentre en victorieux.

305   Il m'a fait appeler ; et, respectant mon zèle,

Au malheureux Syphax en tous les temps fidèle,

Il m'a comblé d'honneurs. « Ayez, dit-il, pour moi

Cette même amitié qui servit votre roi. »

Enfin, à Syphax même il a donné des larmes ;

310   Il justifie en tout le succès de ses armes ;

Il répand des bienfaits, s'il fit des malheureux.

SOPHONISBE.

Plus Massinisse est grand, plus mon sort est affreux.

Quoi ! les Carthaginois, que je crus invincibles,

Sous les chefs de ma race à Rome si terribles,

315   Qui jusqu'au Capitole avaient porté leurs pas,

Ont paru devant Cirthe, et ne la sauvent pas !

ACTOR.

Scipion combattait : ils ne sont plus...

SOPHONISBE.

Carthage !

Tu seras, comme moi, réduite à l'esclavage ;

Nous périrons ensemble. O Cirthe ! ô mon époux !

320   Afrique, Asie, Europe, immolés avec nous,

Le sort des Scipion est donc de tout détruire !

ACTOR.

Annibal vit encore.

SOPHONISBE.

Ah ! tout sert à me nuire ;

Annibal est trop loin : je suis esclave.

ACTOR.

Ô dieux !

Fléchissez Massinisse... Il avance en ces lieux ;

325   Il vient suivi des siens ; il vous cherche peut-être.

SOPHONISBE.

Mes yeux, mes tristes yeux ne verront point un maître !

Ils pleureront Syphax, et nos murs abattus,

Et ma gloire passée, et tous mes dieux vaincus.

MASSINISSE, arrivant.

Sophonisbe me fuit.

SOPHONISBE, sortant.

Je dois fuir Massinisse.

SCÈNE III.
Massinisse, Alamar, un des chefs numides, Actor, guerriers numides.

MASSINISSE.

330   Il est juste, après tout, que son coeur me haïsse.

Elle m'a cru barbare. Eh ! le suis-je, grands dieux !

Devais-je être en effet si coupable à ses yeux ?

Actor, vous que je vois, dans ce moment prospère,

Avec les yeux d'un fils qui retrouve son père,

335   Je vous prends à témoin si l'inhumanité

A souillé ma victoire et ma félicité ;

Si, triste imitateur des vengeances romaines,

J'ai parlé de tributs, de triomphes, de chaînes.

Des guerriers généreux, par la mort épargnés,

340   Comme de vils troupeaux à mon char enchaînés,

A des dieux teints de sang offerts en sacrifice,

Sont-ils dans les cachots gardés pour le supplice ?

Je viens dans mon pays, et j'y reprends mon bien

En soldat, en monarque, et plus en citoyen.

345   Je ramène avec moi la liberté numide.

D'où vient que Sophonisbe, orgueilleuse ou timide,

Refusant seule ici d'accueillir un vainqueur,

Craint toujours Massinisse, et fuit avec horreur ?

Suis-je un Romain ?

ACTOR.

Seigneur, on la verra, sans doute,

350   Révérer avec nous la main qu'elle redoute ;

Mais vous savez assez tout ce qu'elle a perdu.

Le sang de son époux fut par vous répandu ;

Et, n'osant regarder son vainqueur et son juge,

Aux pieds des immortels elle cherche un refuge.

MASSINISSE.

355   Ils l'ont mal défendue ; et, pour vous dire plus,

Ils l'ont mal inspirée, alors que ses refus,

Ses outrages honteux au sang de Massinisse,

Sous ses pas égarés creusaient ce précipice :

Elle y tombe : elle en doit accuser son erreur.

360   Ah ! c'est bien malgré moi qu'elle a fait son malheur.

Allez ; et dites-lui qu'il est peu de prudence

A dédaigner un maître, à braver sa puissance.

Je veux qu'elle paraisse en ce même moment ;

Mon aspect odieux sera son châtiment :

365   Je n'en prendrai point d'autre ; et sa fierté farouche

S'humiliera du moins, puisque rien ne la touche.

Actor s'en va.

SCÈNE IV.
Massinisse, Alamar, guerriers numides.

MASSINISSE.

Eh bien ! nobles guerriers, chers appuis de mes droits,

Cirthe est-elle tranquille ? A-t-on suivi mes lois ?

Un seul des citoyens aurait-il à se plaindre ?

ALAMAR.

370   Sous votre loi, seigneur, ils n'auraient rien à craindre

Mais on craint les Romains, ces cruels conquérants,

De tant de nations ces illustres tyrans,

Descendants prétendus du grand dieu de la guerre,

Qui pensent être nés pour asservir la terre.

375   On dit que Scipion veut s'arroger le prix

De tant d'heureux travaux par vos mains entrepris ;

Qu'il veut seul commander.

MASSINISSE.

Qui ? lui ! dans mon partage !

Dans Cirthe, mon pays, mon premier héritage !

Lui, mon ami, mon guide, et qui m'a tout promis !

ALAMAR.

380   Lorsque Rome a parlé, les rois n'ont plus d'amis.

MASSINISSE.

Nous verrons : j'ai vaincu, je suis dans mon empire,

Je règne ; et je suis las, puisqu'il faut vous le dire,

Des hauteurs d'un sénat qui croit me protéger,

Sur son fier tribunal assis pour me juger

385   C'en est trop.

ALAMAR.

  Cependant nous devons vous apprendre

Qu'au milieu des débris, des remparts mis en cendre,

Au lieu même où Syphax est mort en combattant,

Nous avons retrouvé ce billet tout sanglant,

Qui peut-être aujourd'hui fut écrit pour vous-même.

MASSINISSE.

390   Donnez.

Il lit.

  Ah ! qu'ai-je lu ? ciel ! ô surprise extrême !

Sophonisbe à ma gloire enfin se confiait !

A fléchir son amant sa fierté se pliait !

Elle a connu mon âme, elle a vaincu la sienne ;

Ses yeux se sont ouverts ; et sa fatale haine,

395   Que je vis si longtemps contre moi s'obstiner,

Me croyait assez grand pour savoir pardonner !

Épouse de Syphax, tu m'as rendu justice ;

Ta lettre a mis le comble à mon destin propice ;

Ta main ceignait mon front de ce laurier nouveau :

400   Romains, vous n'avez point de triomphe plus beau...

Courons vers Sophonisbe. .. Ah ! je la vois paraître.

SCÈNE V.
Sophonisbe, Massinisse, Phaedime, gardes.

SOPHONISBE.

Si le sort eût voulu qu'un Romain fut mon maître,

Si j'eusse été réduite en un tel abandon

Qu'il m'eût fallu prier Lélie ou Scipion,

405   La veuve d'un monarque, à sa gloire fidèle,

Aurait choisi cent fois la mort la plus cruelle,

Plutôt que de forcer ma bouche à le fléchir.

Seigneur, à vos genoux je tombe sans rougir.

(Massinisse l'empêche de se jeter à genoux.)

410   Ne me retenez point, et laissez mon courage

S'honorer de vous rendre un légitime hommage ;

Non pas à vos succès, non pas à la terreur

Qui marchait devant vous, que suivait la fureur,

Et qui vous a donné cette grande victoire ;

415   Mais au coeur généreux, si digne de sa gloire,

Qui, de ses ennemis respectant la vertu,

A plaint son rival même, a fait ce qu'il a dû ;

Du malheureux Syphax a recueilli la cendre,

Qui partage les pleurs que sa main fait répandre,

420   Qui soumet les vaincus à force de bienfaits,

Et dont j'aurais voulu ne me plaindre jamais.

MASSINISSE.

C'est vous, auguste reine, en tout temps révérée,

Qui m'avez du devoir tracé la loi sacrée ;

Et je conserverai jusqu'au dernier moment

425   De vos nobles leçons ce digne monument.

La lettre que tantôt vous m'avez adressée,

Par la faveur des dieux sur la brèche laissée,

Remise en mon pouvoir, est plus chère à mon coeur

Que le bandeau des rois, et le nom de vainqueur.

SOPHONISBE.

430   Quoi, seigneur ! jusqu'à vous ma lettre est parvenue !

Et par tant de bontés vous m'aviez prévenue !

MASSINISSE.

J'ai voulu désarmer votre injuste courroux.

SOPHONISBE.

Je n'ai plus qu'une grâce a prétendre de vous.

MASSINISSE.

Parlez.

SOPHONISBE.

Je la demande au nom de ma patrie,

435   Du sang de mon époux, qui s'élève et qui crie,

De votre honneur surtout, et des rois nos aïeux,

Qui parlent par ma voix, et vivent dans nous deux.

Jurez-moi seulement de ne jamais permettre

Qu'au pouvoir des Romains on ose me remettre.

MASSINISSE.

440   Qui ? vous en leur pouvoir ! et d'un pareil affront

Vous auriez soupçonné qu'on pût couvrir mon front !

Je commande dans Cirthe ; et c'est assez vous dire

Que les Romains sur vous n'ont point ici d'empire.

SOPHONISBE.

En vous le demandant je n'en ai point douté.

MASSINISSE.

445   Je sais qu'ils sont jaloux de leur autorité ;

Mais ils n'auront jamais l'audace téméraire

D'outrager un ami qui leur est nécessaire.

Allez ; ne croyez pas qu'ils puissent m'avilir :

Je saurai les braver, si j'ai su les servir.

450   Ils vous respecteront ; vos frayeurs sont injustes.

Vous avez attesté tous ces mânes augustes,

Tous ces rois dont le sang, dans nos veines transmis,

S'indigna si longtemps de nous voir ennemis ;

Je les prends à témoin, et c'est pour vous apprendre

455   Que j'ai pu, comme vous, mériter d'en descendre.

La nièce d'Annibal, et la veuve d'un roi,

N'est captive en ces lieux des Romains ni de moi.

Je sais qu'un tel opprobre, un si barbare usage,

Est consacré dans Rome, et commun dans Carthage.

460   Il finirait pour vous, si je l'avais suivi.

Le sang dont vous sortez n'aura jamais servi :

Ce front n'était formé que pour le diadème.

Gardez dans ce palais l'honneur du rang suprême :

Ne pensez pas surtout qu'en ces tristes moments

465   Mon coeur laisse éclater ses premiers sentiments ;

Je n'en rappelle point la déplorable histoire :

Je sais trop respecter vos malheurs et ma gloire,

Et même cet amour par vous trop dédaigné.

Je règne dans ces murs où vous avez régné ;

470   Les trésors de Syphax y sont en ma puissance ;

Je vous les rends, madame, et voilà ma vengeance.

Ne regardez en moi qu'un vainqueur à vos pieds ;

Sophonisbe, il suffit que vous me connaissiez.

Vous me rendrez justice, et c'est ma récompense.

475   A mes nouveaux sujets je cours en diligence

Leur annoncer un bien qu'ils semblent demander,

Et que déjà leur maître eût dû leur accorder :

Ils vont renouveler leur hommage à leur reine ;

Sophonisbe en tous lieux est toujours souveraine.

SCÈNE VI.
Sophonisbe, Phaedime.

SOPHONISBE.

480   Je demeure interdite. Un si grand changement

A saisi mes esprits d'un long étonnement.

Que je l'ai mal connu !... Faut-il qu'un si grand homme

Ait détruit mon pays, et qu'il ait servi Rome ?

Tous mes sens sont ravis, mais ils sont effrayés ;

485   Scipion dans nos murs, Massinisse à mes pieds,

Sophonisbe, en un jour, captive et triomphante,

L'ombre de mon époux terrible et menaçante,

Le comble des horreurs et des prospérités,

Les fers, le diadème, à mes yeux présentés,

490   Ce rapide torrent de fortunes contraires

Me laisse encor douter de mes destins prospères.

PHAEDIME.

Ah ! croyez-en du moins le pouvoir de vos yeux.

S'il respecte dans vous le nom de vos aïeux,

S'il dépose à vos pieds l'orgueil de sa conquête,

495   Et les lauriers sanglants qui couronnent sa tête,

Peut-être un seul regard a plus fait sur son coeur

Que toutes les vertus, l'alliance, et l'honneur.

Mais ces vertus enfin, que dans Cirthe on admire,

Qui sur tous les esprits lui donnent tant d'empire,

500   Autorisent les feux que vous vous reprochiez :

La gloire qui le suit les a justifiés.

Non, ce n'est pas assez que, dans Cirthe étonnée,

Vous viviez sous le nom de reine détrônée,

Qu'on vous laisse un vain titre, et qu'un bandeau royal

505   D'un front chargé d'ennui soit l'ornement fatal :

La pitié peut donner ces honneurs inutiles,

D'un malheur véritable amusements stériles ;

L'amour ira plus loin ; j'ose vous en flatter :

Syphax est au tombeau...

SOPHONISBE.

Cesse de m'insulter ;

510   Ne me présente point ce qui me déshonore :

Tu parles à sa veuve, et son sang fume encore.

PHAEDIME.

Songez qu'au rang des rois vous pouvez remonter :

L'ombre de votre époux s'en peut-elle irriter ?

SOPHONISBE.

Ma gloire s'en irrite ; il faut t'ouvrir mon âme.

515   J'ai repoussé les traits de ma funeste flamme ;

Oui, ce feu, si longtemps dans mon sein renfermé,

S'est avec violence aujourd'hui rallumé.

Peut-être on m'aime encore, et j'oserais le croire :

Je pourrais me flatter d'une telle victoire ;

520   Je pourrais, à mon joug attachant mon vainqueur,

Arracher aux Romains l'appui de leur grandeur :

Ma flamme déclarée et si longtemps secrète,

Ma fierté, ma vengeance à la fin satisfaite,

Massinisse en mes bras, seraient d'un plus grand prix

525   Que l'empire du monde aux Romains tant promis.

Mais je vais, s'il se peut, t'étonner davantage :

Malgré l'illusion d'un si cher avantage,

Malgré l'amour enfin dont je ressens les coups,

Massinisse jamais ne sera mon époux.

PHAEDIME.

530   Pourquoi le refuser ? pourquoi, si son courage

Vous présentait un sceptre au lieu de l'esclavage,

Si de l'Afrique entière il faisait la grandeur,

Si, du sang de nos rois relevant la splendeur,

Si, du sang d'Annibal...

SCÈNE VII.
Sophonisbe, Phaedime, Actor.
 

ACTOR.

Reine, il faut vous apprendre

535   Qu'un insolent Romain vient ici de se rendre ;

On le nomme Lélie, et le bruit se répand

Qu'il est de Scipion le premier lieutenant :

Sa suite avec mépris nous insulte et nous brave ;

Des Romains, disent-ils, Sophonisbe est l'esclave ;

540   Leur fierté nous vantait je ne sais quel sénat,

Des préteurs, des tribuns, l'honneur du consulat,

La majesté de Rome : et, sans plus les entendre,

Je reviens à vos pieds périr ou vous défendre.

SOPHONISBE.

Brave et fidèle ami, je compte sur ta foi,

545   Sur les serments sacrés de notre nouveau roi ;

Sur moi-même, en un mot : Carthage m'a fait naître ;

Je mourrai digne d'elle, et sans trône, et sans maître.

ACTOR.

Que de maux à la fois accumulés sur nous !

SOPHONISBE.

Actor, quand il le faut, je sais les braver tous.

550   Syphax à ses côtés, au milieu du carnage,

Aurait vu Sophonisbe égaler son courage.

De ces Romains du moins j'égalerai l'orgueil,

Et je les défierai du bord de mon cercueil.

ACTE III

SCÈNE I.
Lélie, Massinisse, assis, soldats romains, soldats numides dans l'enfoncement, divisés en deux troupes.

LÉLIE.

Votre âme impatiente était trop alarmée

555   Des bruits qu'a répandus l'aveugle renommée.

Qu'importe un vain discours du soldat répété

Dans le sein de l'ivresse et de l'oisiveté ?

Laissons parler le peuple ; il ne peut rien connaître :

Il veut percer en vain les secrets de son maître ;

560   Et ceux de Scipion, dans son sein retenus,

Seigneur, avant le temps ne sont jamais connus.

MASSINISSE.

Quelquefois un bruit sourd annonce un grand orage ;

Tout aveugle qu'il est, le peuple le présage ;

Rien n'est à dédaigner : les publiques rumeurs

565   Souvent aux souverains annoncent leurs malheurs.

Je veux approfondir ces discours qu'on méprise.

Expliquez-vous, Lélie, avec cette franchise

Qu'attendent ma conduite et ma sincérité.

Les Romains autrefois aimaient la vérité :

570   Leur austère vertu, peut-être un peu farouche,

Laissait leur coeur altier d'accord avec leur bouche.

Auraient-ils aujourd'hui l'art de dissimuler ?

Après avoir vaincu n'oseriez-vous parler ?

Que pensez-vous, du moins, que Scipion prétende ?

LÉLIE.

575   Scipion ne fait rien que Rome ne commande,

Rien qui ne soit prescrit par nos communs traités ;

La justice et la loi règlent ses volontés.

Rome l'a revêtu de son pouvoir suprême ;

Il viendra dans ces lieux vous apprendre lui-même

580   Ce qu'il faut entreprendre ou qu'on peut différer ;

Sur vos grands intérêts vous pourrez conférer.

Il vous annoncera ses projets sur l'Afrique.

Vous savez qu'Annibal est déjà vers Utique ;

Qu'il fuit l'aigle romaine, et que, dans son pays,

585   De ses Carthaginois ramenant les débris,

Il vient de Scipion défier la fortune.

Cette guerre nouvelle à vous deux est commune.

Nous marcherons ensemble à de nouveaux combats.

MASSINISSE.

De la reine, seigneur, vous ne me parlez pas

LÉLIE.

590   Je parle d'Annibal ; Sophonisbe est sa nièce :

C'est vous en dire assez.

MASSINISSE, en se levant.

Écoutez ; le temps presse :

Je veux une réponse, et savoir à l'instant

Si sur mes prisonniers votre pouvoir s'étend.

LÉLIE.

Lieutenant du consul, je n'ai point sa puissance ;

595   Mais si vous demandez, seigneur, ce que je pense

Sur le sort des vaincus, sur la loi du combat,

Je crois que leur destin n'appartient qu'au sénat.

MASSINISSE.

Au sénat ! Et qui suis-je ?

LÉLIE.

Un allié, sans doute,

Un roi digne de nous, qu'on aime et qu'on écoute,

600   Que Rome favorise, et qui doit accorder

Tout ce que ce sénat a droit de demander.

Il se lève.

C'est au seul Scipion de faire le partage ;

Il récompensera votre noble courage,

Seigneur, et c'est à vous de recevoir ses lois,

605   Puisqu'il est notre chef, et qu'il commande aux rois.

MASSINISSE.

Je l'ignorais, Lélie, et ma condescendance

N'avait point reconnu tant de prééminence ;

Je pensais être égal à ce grand citoyen ;

Et j'ai cru que mon nom pouvait valoir le sien :

610   Je ne m'attendais pas qu'il s'expliquât en maître.

J'ai d'autres intérêts, et plus pressants peut-être,

Que ceux de disputer du rang des souverains,

Et d'opposer l'orgueil à l'orgueil des Romains.

Répondez ; ose-t-il disposer de la reine ?

LÉLIE.

615   Il le doit.

MASSINISSE.

  Lui !... Mon coeur ne se contient qu'à peine.

LÉLIE.

C'est un droit reconnu qu'il nous faut maintenir ;

Tout le sang d'Annibal nous doit appartenir.

Vous qui dans les combats brûliez de le répandre,

Quel étrange intérêt pourriez-vous bien y prendre,

620   Vous, de sa race entière éternel ennemi,

Vous, du peuple romain le vengeur et l'ami ?

MASSINISSE.

L'intérêt de mon sang, celui de la justice,

Et l'horreur que je sens d'un pareil sacrifice.

J'entrevois les projets qu'il me cache avec soin ;

625   Mais son ambition pourrait aller trop loin.

LÉLIE.

Seigneur, elle se borne à servir sa patrie.

MASSINISSE.

Dites mieux, à flatter l'infâme barbarie

D'un peuple qu'Annibal écrasa sous ses pieds.

Si Rome existe encor, c'est par ses alliés :

630   Mes secours l'ont sauvée ; et, dès qu'elle respire,

Sur les rois, sur moi-même elle affecte l'empire ;

Elle se fait un jeu, dans ses murs fortunés,

De prodiguer l'outrage à des fronts couronnés ;

Elle met à ce prix sa faveur passagère :

635   Scipion qui m'aima se dément pour lui plaire ;

Il me trahit.

LÉLIE.

Seigneur, qui vous a donc changé ?

Quoi ! vous seriez trahi quand vous seriez vengé !

J'ignore si la reine, en triomphe menée,

Au char de Scipion doit paraître enchaînée ;

640   Mais en perdrions-nous votre utile amitié ?

C'est pour une captive avoir trop de pitié.

MASSINISSE.

Que je la plaigne ou non, je veux qu'on la respecte.

La foi romaine enfin me devient trop suspecte.

De ma protection tout Numide honoré,

645   En quelque rang qu'il soit, doit vous être sacré :

Et vous insulteriez une femme, une reine !

Vous oseriez charger de votre indigne chaîne

Les mains, les mêmes mains que je viens d'affranchir !

LÉLIE.

Parlez à Scipion, vous pourrez le fléchir.

MASSINISSE.

650   Le fléchir ! apprenez qu'il est une autre voie

De priver les Romains de leur injuste proie.

Il est des droits plus saints : Sophonisbe aujourd'hui,

Seigneur, ne dépendra ni de vous ni de lui ;

Je l'espère du moins.

LÉLIE.

Tout ce que je puis dire,

655   C'est que nous soutiendrons les droits de notre empire ;

Et vous ne voudrez pas, par des caprices vains,

Vous priver des bontés qu'ont pour vous les Romains.

Croyez-moi, le sénat ne fait point d'injustices ;

Il a d'un digne prix reconnu vos services,

660   Il vous chérit encor, mais craignez qu'un refus

Ne vous attire ici des ordres absolus.

Il sort avec les soldats romains.

SCÈNE II.
Massimisse, Alamar ; les soldats numides restent au fond de la scène.

MASSINISSE.

Des ordres ! vous, Romains ! ingrats, dont ma vaillance

A fait tous les succès, et nourri l'insolence :

Des fers à Sophonisbe ! Et ces mots inouïs

665   A peine prononcés n'ont pas été punis !

Aide-moi, Sophonisbe, à venger ton injure ;

Règne, l'honneur l'ordonne, et l'amour t'en conjure ;

Règne pour être libre, et commande avec moi...

Va, Massinisse enfin sera digne de toi.

670   Des fers ! ah ! que je vais réparer cet outrage !

Que j'étais insensé de combattre Carthage !

À sa suite.

Approchez, mes amis ; parlez, braves guerriers ;

Verrez-vous dans vos mains flétrir tant de lauriers ?

Vous avez entendu ce discours téméraire.

ALAMAR.

675   Nous en avons rougi de honte et de colère.

Le joug de ces ingrats ne peut plus se porter ;

Sur leur superbe tête il faut le rejeter.

MASSINISSE.

Rome hait tous les rois, et les croit tyranniques ;

Ah ! les plus grands tyrans ce sont les républiques ;

680   Rome est la plus cruelle.

ALAMAR.

  Il est juste, il est temps

D'abattre pour jamais l'orgueil de ses enfants.

L'alliance avec eux n'était que passagère ;

La haine est éternelle.

MASSINISSE.

Aveugle en ma colère, :

Contre mon propre sang j'ai pu les soutenir !

685   Si je les ai sauvés, songeons à les punir.

Me seconderez-vous ?

ALAMAR.

Nous sommes prêts, sans doute ;

Il n'est rien avec vous qu'un Numide redoute.

Les Romains ont plus d'art, et non plus de valeur ;

Ils savent mieux tromper, et c'est là leur grandeur ;

690   Mais nous savons au moins combattre comme eux-mêmes :

Commandez, annoncez vos volontés suprêmes ;

Ce fameux Scipion n'est pas plus craint de nous

Que ce faible Syphax abattu sous nos coups.

MASSINISSE.

Écoutez ; Annibal est déjà dans l'Afrique ;

695   La nouvelle en est sûre, il marche vers Utique :

Pourrions-nous jusqu'à lui nous frayer des chemins ?

ALAMAR.

Nous vous en tracerons dans le sang des Romains.

MASSINISSE.

Enlevons Sophonisbe ; arrachons cette proie

Aux brigands insolents qu'un sénat nous envoie ;

700   Effaçons dans leur sang le crime trop honteux,

Et le malheur, surtout, d'avoir vaincu pour eux.

Annibal n'est pas loin ; croyez que ce grand homme

Peut encore une fois se montrer devant Rome :

Mais à nos fiers tyrans fermons-en le retour ;

705   Que ces bords africains, que ce sanglant séjour,

Deviennent, par vos mains, le tombeau de ces traîtres,

Qui, sous le nom d'amis, sont nos barbares maîtres.

La nuit approche ; allez, je viendrai vous guider ;

Les vaincus enhardis pourront nous seconder.

710   Vous savez en ces lieux combien Rome est haïe,

Et tout homme est soldat contre la tyrannie(24).

Préparez les esprits irrités et jaloux ;

Sans leur rien découvrir enflammez leur courroux :

Aux premiers coups portés, aux premières alarmes,

715   Au nom de Sophonisbe, ils voleront aux armes ;

Nos maîtres prétendus, plongés dans le sommeil,

Verront entre mes mains la mort à leur réveil.

ALAMAR.

Si l'on ne prévient pas cette grande entreprise,

Le succès en est sûr, et tout nous favorise :

720   Nous suivons Massinisse ; et ces tyrans surpris

Vont payer de leur sang leur superbe mépris.

MASSINISSE.

Revolez à mon camp, je vous joins dans une heure ;

J'arrache Sophonisbe à sa triste demeure :

Je marche à votre tête ; et, s'il vous faut périr,

725   Mes amis, j'ai su vaincre, et je saurai mourir.

SCÈNE III.
Sophonisbe, Massinisse.

SOPHONISBE.

Seigneur, en tous les temps par le ciel poursuivie,

Je n'attends que de vous le destin de ma vie.

Victorieux dans Cirthe, et mon libérateur,

Contre ces fiers Romains deux fois mon protecteur,

730   Vous avez, d'un seul mot, écarté les orages

Qui m'entouraient encore après tant de naufrages ;

Et, dans ce grand reflux des horreurs de mon sort,

Dans ce jour étonnant de clémence et de mort,

Par vous seul confondue, et par vous rassurée,

735   J'ai cru que d'un héros la promesse sacrée,

Ce généreux appui, le seul qui m'est resté,

Me servirait d'égide, et serait respecté :

Je ne m'attendais pas qu'on flétrît votre ouvrage,

Qu'on osât prononcer le nom de l'esclavage,

740   Et que je dusse encore ; après tant de tourments,

Après tous vos bienfaits, réclamer vos serments.

MASSINISSE.

Ne les réclamez point ; ils étaient inutiles,

Je n'en eus pas besoin : vous aurez des asiles

Que l'orgueil des Romains ne pourra violer ;

745   Et ce n'est pas à vous désormais de trembler.

Il m'appartenait peu de parler d'hyménée

Dans ce même palais, dans la même journée

Où le sort a voulu que le sang d'un époux,

Répandu par les miens, rejaillît jusqu'à vous.

750   Mais la nécessité rompt toutes les barrières ;

Tout se tait à sa voix ; ses lois sont les premières.

La cendre de Syphax ne peut vous accuser ;

Vous n'avez qu'un parti, celui de m'épouser ;

Du pied de nos autels au trône remontée,

755   Sur les bords africains chérie et redoutée,

Le diadème au front, marchez à mon côté :

Votre sceptre et mon bras sont votre sûreté.

SOPHONISBE.

Ah ! que m'avez-vous dit ? Sophonisbe éperdue

Doit dévoiler enfin son âme à votre vue :

760   J'étais votre ennemie, et l'ai toujours été,

Seigneur, je vous ai fui, je vous ai rebuté ;

Syphax obtint mon choix, sans consulter son âge ;

Je n'acceptai sa main que pour vous faire outrage ;

J'encourageai les miens à poursuivre vos jours :

765   Mais connaissez mon coeur, il vous aima toujours.

MASSINISSE.

Est-il possible ! ô dieux ! vous, dont l'âme inhumaine

Fut chez les Africains célèbre par la haine,

Vous m'aimiez, Sophonisbe ! et dans ses déplaisirs,

Massinisse accablé vous coûtait des soupirs !

SOPHONISBE.

770   Oui, nièce d'Annibal, j'ai dû haïr, sans doute,

L'ami de Scipion, quelque effort qu'il m'en coûte ;

Je le voulus en vain : c'est à vous de juger

Si le seul des humains qui veut me protéger,

Quand il revient à moi, quand son noble courage

775   Peut sauver Sophonisbe, Annibal, et Carthage,

En m'arrachant des fers et du sein de l'horreur,

En me donnant son trône, en me gardant son coeur,

Peut rallumer en moi les feux qu'il y fit naître,

Et dont tout mon courroux fut à peine le maître.

780   D'un bonheur inouï vous venez me flatter ;

Vous m'offrez votre main, je ne puis l'accepter.

MASSINISSE.

Vous ! quels dieux ennemis à vos bontés s'opposent ?

SOPHONISBE.

Les dieux qui de mon sort en tous les temps disposent,

Les dieux qui d'Annibal ont reçu les serments

785   Quand au pied des autels, en ses plus jeunes ans,

Il jurait aux Romains une haine immortelle :

Ce serment est le mien, je lui serai fidèle ;

Je meurs sans être à vous.

MASSINISSE.

Sophonisbe, arrêtez :

Connaissez qui je suis, et qui vous insultez :

790   C'est ce même serment qui devant vous m'amène ;

Et ma haine pour Rome égale votre haine.

SOPHONISBE.

Vous, seigneur ! vous pourriez enfin vous repentir

De vous être abaissé jusques à la servir ?

MASSINISSE.

Je me repens de tout, puisque je vous adore ;

795   Je ne vois plus que vous, si vous m'aimez encore.

J'apporte à cet autel, en vous donnant la main,

L'horreur que Massinisse a pour le nom romain ;

Plus irrité que vous, et plus qu'Annibal même,

Oui, je déteste Rome autant que je vous aime.

SOPHONISBE.

800   Massinisse !

MASSINISSE.

  Écoutez ; vous n'avez qu'un instant ;

Vos fers sont préparés... un trône vous attend.

Scipion va venir... Carthage vous appelle ;

Et si vous balancez, c'est un crime envers elle.

Suivez-moi, tout le veut... Dieux justes, protégez

805   L'hymen où je l'entraîne, et soyons tous vengés !

SOPHONISBE.

Eh bien ! à ce seul prix j'accepte la couronne ;

La veuve de Syphax à son vengeur se donne :

Oui, Carthage l'emporte. O mes dieux souverains,

Vous m'unissez à lui pour punir les Romains !

MASSINISSE.

810   Honteusement ici soumis à leur puissance,

Cherchons en d'autres lieux la gloire et la vengeance.

Les Romains sont dans Cirthe, ils y donnent des lois ;

Un consul y commande, et l'on tremble à sa voix.

Sachez que sous leurs pas je vais ouvrir l'abîme

815   Où doit s'ensevelir l'orgueil qui nous opprime ;

Scipion va tomber dans le piège fatal.

La gloire et le bonheur sont au camp d'Annibal.

Dès que l'astre du jour aura cessé de luire,

Parmi des flots de sang ma main va vous conduire :

820   La veuve de Syphax, en fuyant ses tyrans,

Doit marcher avec moi sur leurs corps expirants ;

Il n'est point d'autre route, et nous allons la prendre.

SOPHONISBE.

Dans le camp d'Annibal enfin j'irai me rendre ;

C'est là qu'est ma patrie, et mon trône, et ma cour :

825   Là je puis sans rougir écouter votre amour :

Mais comment m'assurer...

MASSINISSE.

La plus juste espérance

Flatte d'un prompt succès ma flamme et ma vengeance.

Je crains peu les Romains, et, prêt à les frapper,

J'ai honte seulement de descendre à tromper.

SOPHONISBE.

830   Ils savent mieux que vous cet art de l'Italie.

SCÈNE IV.
Sophonisbe, Massinisse, Phaedime.

PHAEDIME.

Seigneur, cet étranger, ce superbe Lélie,

Et qui dans ce palais parlait si hautement,

Accompagné des siens, arrive en ce moment.

Il veut que, sans tarder, à vous-même on l'annonce ;

835   Il dit que d'un consul il porte la réponse.

MASSINISSE.

Il suffit... qu'il m'attende, et que, sans nous braver,

Aux pieds de Sophonisbe il vienne ici tomber.

ACTE IV

SCÈNE I.
Lélie, Romains.

LÉLIE, à ses centurions.

Allez, observez tout ; les plus légers soupçons

Dans de pareils moments sont de fortes raisons.

840   Sophonisbe en ces lieux peut faire des perfides ;

Scipion dans la ville enferme les Numides.

À un autre.

C'est à vous de garder le palais et la tour,

Tandis que, n'écoutant qu'un imprudent amour,

Massinisse, occupé du vain noeud qui l'engage,

845   D'un moment précieux nous laisse l'avantage.

À tous.

Vous avez désarmé sans peine et sans effort

Le peu de ses soldats répandus dans ce fort,

Et déjà, trop puni par sa propre faiblesse,

Il ne sait pas encor le péril qui le presse.

850   Au moindre mouvement qu'on vienne m'avertir

Qu'aucun ne puisse entrer, qu'aucun n ose sortir :

Surtout de vos soldats contenez la licence ;

Respectez ce palais ; que nulle violence

Ne souille sous mes yeux l'honneur du nom romain.

855   Le sort de Massinisse est tout en notre main.

On craignait que ce prince, aveugle en sa colère,

N'eût tramé contre nous un complot téméraire ;

Mais, de son amitié gardant le souvenir,

Scipion le prévient sans vouloir le punir.

860   Soyez prêts, c'est assez ; cette âme impétueuse

Verra de ses desseins la suite infructueuse,

Et dans quelques moments tout doit être éclairci...

Vous, gardez cette porte ; et vous, veillez ici.

(Les licteurs restent un peu cachés dans le fond.)

SCÈNE II.
Massinisse, Lélie, Licteurs.

MASSINISSE.

Eh bien ! de Scipion ministre respectable,

865   Venez-vous m'annoncer son ordre irrévocable ?

LÉLIE.

J'annonce du sénat les décrets souverains,

Que le consul de Rome a remis en mes mains.

Pouvez-vous écouter ce que je dois vous dire ?

Vous paraissez troublé !

MASSINISSE.

Je suis prêt à souscrire

870   Aux projets des Romains, que vous me présentez,

Si par l'équité seule ils ont été dictés,

Et s'ils n'outragent point ma gloire et ma couronne.

Parlez ; quel est le prix que le sénat me donne ?

LÉLIE.

Le trône de Syphax déjà vous est rendu ;

875   C'est pour le conquérir que l'on a combattu ;

À vos nouveaux États, à votre Numidie,

Pour vous favoriser, on joint la Mazénie :

Ainsi, dans tous les temps et de guerre et de paix,

Rome à ses alliés prodigue ses bienfaits.

880   On vous a déjà dit que Cirthe, Hippone, Utique,

Tout, jusqu'au mont Atlas, est à la république.

Décidez maintenant si vous voulez demain

De Scipion vainqueur accomplir le dessein,

De l'Afrique avec lui soumettre le rivage,

885   Et, fidèle allié, camper devant Carthage.

MASSINISSE.

Carthage ! Oubliez-vous qu'Annibal la défend,

Que sur votre chemin ce héros vous attend ?

Craignez d'y retrouver Trasimène et Trébie.

LÉLIE.

La fortune a changé : l'Afrique est asservie.

890   Choisissez de nous suivre, ou de rompre avec nous.

MASSINISSE, à part.

Puis-je encore un moment retenir mon courroux !

LÉLIE.

Vous voyez vos devoirs et tous vos avantages.

De Rome maintenant connaissez les usages :

Elle élève les rois, et sait les renverser ;

895   Au pied du Capitole ils viennent s'abaisser.

La veuve de Syphax était notre ennemie :

Dans un sang odieux elle a reçu la vie ;

Et son seul châtiment sera de voir nos dieux,

Et d'apprendre dans Rome à nous connaître mieux.

MASSINISSE.

900   Téméraire ! arrêtez... Sophonisbe est ma femme ;

Tremblez de m'outrager.

LÉLIE.

Je connais votre flamme ;

Je la respecte peu lorsque dans vos États

Vous-même devant moi ne vous respectez pas :

Sachez que Sophonisbe, à nos chaînes livrée,

905   De ce titre d'épouse en vain s'est honorée,

Qu'un prétexte de plus ne peut nous éblouir,

Que j'ai donné mon ordre, et qu'il faut obéir.

MASSINISSE.

Ah ! c'en est trop enfin : cet excès d'insolence

Pour la dernière fois tente ma patience.

910   (Mettant la main à son épée.)

Traître ! Ôte-moi la vie, ou meurs de cette main.

LÉLIE.

Prince, si je n'étais qu'un citoyen romain,

Un tribun de l'armée, un guerrier ordinaire,

Vous me verriez bientôt prêt à vous satisfaire ;

915   Lélie avec plaisir recevrait cet honneur :

Mais, député de Rome et de mon empereur,

Commandant en ces lieux, tout ce que je dois faire

C'est d'arrêter d'un mot votre vaine colère...

Romains, qu'on m'en réponde.

Les licteurs entourent Massinisse, et le désarment.

MASSINISSE.

Ah ! Lâche !... Mes soldats

920   Me laissent sans défense !

LÉLIE.

  Ils ne paraîtront pas ;

Ils sont, ainsi que vous, tombés en ma puissance.

Vous avez abusé de notre confiance :

Quels que soient vos desseins, ils sont tous prévenus ;

Et nous vous épargnons des malheurs superflus.

925   Si vous voulez de Rome obtenir quelque grâce,

Scipion va venir, il n'est rien que n'efface

A ses yeux indulgents un juste repentir.

Rentrez dans le devoir dont vous osiez sortir.

On vous rendra, seigneur, vos soldats et vos armes,

930   Quand sur votre conduite on aura moins d'alarmes,

Et quand vous cesserez de préférer en vain

Une Carthaginoise à l'empire romain.

Vous avez combattu sous nous avec courage ;

Mais on est quelquefois imprudent à vôtre âge.

SCÈNE III.

MASSINISSE.

935   Tu survis, Massinisse, à de pareils affronts !

Ce sont là ces Romains, juges des nations,

Qui voulaient faire au monde adorer leur puissance,

Et des dieux, disaient-ils, imiter la clémence !

Fourbes dans leurs traités, cruels dans leurs exploits,

940   Déprédateurs du peuple, et fiers tyrans des rois !

Je me repens, sans doute, et c'est de vivre encore

Sans pouvoir me baigner dans leur sang que j'abhorre.

Scipion prévient tout ; soit prudence ou bonheur,

Son étonnant génie en tout temps est vainqueur.

945   Sous les pas des Romains la tombe était ouverte ;

Je vengeais Sophonisbe, et j'ai causé sa perte.

Je n'ai pas su tromper, j'en recueille le fruit ;

Dans l'art des trahisons j'étais trop mal instruit.

Roi, vainqueur et captif, outragé, sans vengeance,

950   Victime de l'amour et de mon imprudence,

Mon coeur fut trop ouvert. Ah ! tu l'avais prévu,

Sophonisbe ; en effet, ma candeur m'a perdu.

Ô ciel ! c'est Scipion ! c'est Rome tout entière !

SCÈNE IV.
Scipion, Massinisse, Licteurs.

Scipion tient un rouleau à la main.

MASSINISSE.

Venez-vous insulter à mon heure dernière ?

955   Dans l'abîme où je suis venez-vous m'enfoncer ;

Marcher sur mes débris ?

SCIPION.

Je viens vous embrasser.

J'ai su votre faiblesse, et j'en ai craint la suite.

Vous devez pardonner si de votre conduite

Ma vigilance heureuse a conçu des soupçons ;

960   Plus d'une fois l'Afrique a vu des trahisons.

La nièce d'Annibal, à votre coeur trop chère,

M'a forcé malgré moi de me montrer sévère.

Du nom de votre ami je fus toujours jaloux,

Mais je me dois à Rome, et beaucoup plus qu'à vous.

965   Je n'ai point démêlé les intrigues secrètes

Que pouvaient préparer vos fureurs inquiètes,

Et de tout prévenir je me suis contenté.

Mais, à quelque attentat que l'on vous ait porté,

Voulez-vous maintenant écouter la justice,

970   Et rendre à Scipion le coeur de Massinisse ?

Je ne demande rien que la foi des traités ;

Vous les avez toujours sans réserve attestés :

Les voici ; c'est par vous qu'à moi-même promise

Sophonisbe en mon camp devait être remise.

975   Lisez. Voilà mon nom ; et voilà votre seing.

Il les lui montre.

En est-ce assez ? Vos yeux s'ouvriront-ils enfin ?

Avez-vous contre moi quelque droit légitime ?

Vous plaindrez-vous toujours que Rome vous opprime ?

MASSINISSE.

Oui. Quand, dans la fureur de mes ressentiments,

980   Je fis entre vos mains ces malheureux serments,

Je voulais me venger d'une reine ennemie

De mon coeur irrité je la croyais haïe ;

Vos yeux furent témoins de mes jaloux transports ;

Ils étaient imprudents ; mais vous m'aimiez alors :

985   Je vous confiai tout, ma colère et ma flamme.

J'ai revu Sophonisbe, et j'ai connu son âme ;

Tout est changé ; mon coeur est rentré dans ses droits ;

La veuve de Syphax a mérité mon choix.

Elle est reine, elle est digne encor d'un plus grand titre.

990   De son sort et du mien j'étais le seul arbitre ;

Je devais l'être au moins ; je l'aime, c'est assez ;

Sophonisbe est ma femme, et vous la ravissez !

SCIPION.

Elle n'est point à vous, elle est notre captive ;

La loi des nations pour jamais vous en prive ;

995   Rome ne peut changer ses résolutions

Au gré de vos erreurs et de vos passions.

Je ne veux point ici vous parler de moi-même ;

Mais jeune comme vous, et dans un rang suprême,

Vous savez si mon coeur a jamais succombé

1000   A ce piège fatal où vous êtes tombé.

Soyez digne de vous, vous pouvez encor l'être.

MASSINISSE.

Il est vrai qu'en Espagne, où vous régnez en maître,

Le soin de contenir un peuple effarouché,

La gloire, l'intérêt, seigneur,. vous ont touché ;

1005   Vous n'enlevâtes point une femme éplorée,

De l'amant qu'elle aimait justement adorée :

Pourquoi démentez-vous pour un infortuné

Cet exemple éclatant que. vous avez donné ?

L'Espagnol vous bénit, mais je vous dois ma haine ;

1010   Vous lui rendez sa femme, et m'arrachez la mienne.

SCIPION.

A vos plaintes, seigneur, à tant d'emportements,

Je ne réponds qu'un mot, remplissez vos serments.

MASSINISSE.

Ah ! ne me parlez plus d'un serment téméraire

Qu'ont dicté le dépit et l'amour en colère ;

1015   Il fut trop démenti dans mon coeur ulcéré.

SCIPION.

Les dieux l'ont entendu : tout serment est sacré.

MASSINISSE.

Consul, il me suffit ; j'avais cru vous connaître,

Je m'étais bien trompé : mais vous êtes le maître.

Ces dieux, dont vous savez interpréter la loi,

1020   Aidés de Scipion, sont trop forts contre moi.

Je sais que mon épouse à Rome fut promise ;

Voulez-vous en effet qu'à Rome on la conduise ?

SCIPION.

Je le veux, puisque ainsi le sénat l'a voulu,

Que vous-même avec moi vous l'aviez résolu.

1025   Ne vous figurez pas qu'un appareil frivole,

Une marche pompeuse aux murs du Capitole,

Et d'un peuple inconstant la faveur et l'amour

Que le destin nous donne et nous ôte en un jour,

Soient un charme si grand pour mon âme éblouie ;

1030   De soins plus importants croyez qu'elle est remplie :

Mais quand Rome a parlé, j'obéis à sa loi.

Secondez mon devoir, et revenez à moi ;

Rendez à votre ami la première tendresse

Dont le noeud respectable unit notre jeunesse ;

1035   Compagnons dans la guerre, et rivaux en vertu,

Sous les mêmes drapeaux nous avons combattu :

Nous rougirions tous deux qu'au sein de la victoire

Une femme, une esclave, eût flétri tant de gloire ;

Réunissons deux coeurs qu'elle avait divisés :

1040   Oubliez vos liens ; l'honneur les a brisés(26) :

MASSINISSE.

L'honneur ! Quoi, vous osez !... Mais je ne puis prétendre,

Quand je suis désarmé, que vous vouliez m'entendre.

Je vous ai déjà dit que vous seriez content ;

Ma femme subira le destin qui l'attend.

1045   Un roi doit obéir quand un consul ordonne.

Sophonisbe ! oui, seigneur, enfin je l'abandonne(27) :

Je ne veux que la voir pour la dernière fois ;

Après cet entretien, j'attends ici vos lois.

SCIPION.

N'attendez qu'un ami, si vous êtes fidèle.

SCÈNE V.

MASSINISSE.

1050   Un ami ! jusque-là ma fortune cruelle

De mes jours détestés déshonore la fin !

Il me flétrit du nom de l'ami d'un Romain !

Je n'ai que Sophonisbe, elle seule me reste ;

Il le sait, il insulte à mon état funeste ;

1055   Sa cruauté tranquille, avec dérision,

Affectait de descendre à la compassion !

Il a su mon projet, et, ne pouvant le craindre,

Il feint de l'ignorer, et même de me plaindre ;

Il feint de dédaigner ce misérable honneur

1060   De traîner une femme au char de son vainqueur ;

Il n'aspire en effet qu'à cette gloire infâme :

Il jouit de ma honte : et peut-être en son âme

Il pense à m'y traîner avec le même éclat,

Comme un roi révolté jugé par le sénat.

SCÈNE VI.
Massinisse, Sophonisbe.

MASSINISSE.

1065   Eh bien ! connaissez-vous quelle horreur vous opprime,

D'où nous sommes tombés, dans quel affreux abîme

Un jour, un seul moment nous a tous deux conduits ?

De notre heureux hymen ce sont les premiers fruits.

Savez-vous des Romains la barbare insolence,

1070   Et qu'il nous faut enfin tout souffrir sans vengeance ?

SOPHONISBE.

Nous n'avons qu'un recours : le fer ou le poison.

MASSINISSE.

Nous sommes désarmés ; ces murs sont ma prison.

Scipion vivrait-il si j'avais eu des armes ?

SOPHONISBE.

Ah ! cherchons les moyens de finir tant d'alarmes.

1075   Trop de honte nous suit, et c'est trop de revers.

J'ai deux fois aujourd'hui passé du trône aux fers.

Je ne puis me venger de mes indignes maîtres ;

Je ne puis me baigner dans le sang de ces traîtres ;

Arrache-moi la vie, et meurs auprès de moi ;

1080   Sophonisbe deux fois sera libre par toi.

MASSINISSE.

Tu le veux ?

SOPHONISBE.

Tu le dois.

MASSINISSE.

Je frémis, je t'admire.

SOPHONISBE.

Je te devrai ma mort, je te devais l'empire ;

J'aurai reçu de toi tous mes biens en un jour.

MASSINISSE.

Quels biens ! ah ! Sophonisbe !

SOPHONISBE.

Objet de mon amour !

1085   Âme tendre ! âme noble ! expie avec courage

Le crime que tu fis en combattant Carthage.

Sauve-moi.

MASSINISSE.

Par ta mort ?

SOPHONISBE.

Sans doute. Aimes-tu mieux

Me voir avec opprobre arracher de ces lieux ?

Roi soumis aux Romains, et mari d'une esclave,

1090   Aimes-tu mieux servir le tyran qui te brave ;

Me voir sacrifiée à son ambition ?

Écrasons, en mourant, l'orgueil de Scipion.

MASSINISSE.

Va, sors : je vois de loin des Romains qui m'épient ;

De tous les malheureux ces monstres se défient.

1095   Va, nous nous rejoindrons.

SOPHONISBE.

  Arbitre de mon sort,

Souviens-toi de ma gloire : adieu, jusqu'à ma mort.

Elle sort.

SCÈNE VII.

MASSINISSE.

Dieux des Carthaginois ! vous à qui je m'immole

Dieux que j'avais trahis pour ceux du Capitole !

Vous que ma femme implore, et qui l'abandonnez,

1100   Donnerez-vous la force à mes sens forcenés,

À cette main tremblante, à mon âme égarée,

De me souiller du sang d'une épouse adorée ?

ACTE V

SCÈNE I.
Lélie, Scipion, Romains.

SCIPION.

Amis, la fermeté jointe avec la clémence

Peut enfin subjuguer sa fatale inconstance.

1105   Je vois dans ce Numide un coursier indompté

Que son maître réprime après l'avoir flatté ;

Tour à tour on ménage, on dompte son caprice ;

Il marche en écumant, mais il nous rend service.

Massinisse a senti qu'il doit porter ce frein

1110   Dont sa fureur s'indigne, et qu'il secoue en vain ;

Que je suis en effet maître de son armée ;

Qu'enfin Rome commande à l'Afrique alarmée ;

Que nous pouvons d'un mot le perdre ou le sauver.

Pensez-vous qu'il s'obstine encore à nous braver ?

1115   Il est temps qu'il choisisse entre Rome et Carthage ;

Point de milieu pour lui, le trône ou l'esclavage :

Il s'est soumis à tout ; ses serments l'ont lié :

Il a vu de quel prix était mon amitié.

La reine l'égarait ; mais Rome est la plus forte :

1120   L'amour parle un moment ; mais l'intérêt l'emporte :

Il doit rendre aux Romains Sophonisbe aujourd'hui.

LÉLIE.

Pouvez-vous y compter ? Vous fiez-vous à lui ?

SCIPION.

Il ne peut empêcher qu'on l'enlève à sa vue.

Je voulais à son âme, encor tout éperdue,

1125   Épargner un affront trop dur, trop douloureux ;

Il me faisait pitié. Tout prince malheureux

Doit être ménagé, fût-ce Annibal lui-même.

LÉLIE.

Je crains son désespoir ; il est Numide, il aime.

Surtout de Sophonisbe il faut vous assurer.

1130   Ce triomphe éclatant, qui va se préparer,

Plus que vous ne pensez vous devient nécessaire

Pour imposer aux grands, pour charmer le vulgaire,

Pour captiver un peuple inquiet et jaloux,

Ennemi des grands noms, et peut-être de vous.

1135   La veuve de Syphax à votre char traînée

Fera taire l'envie à vous nuire obstinée ;

Et le vieux Fabius, et le jaloux Caton,

Se cacheront dans l'ombre en voyant Scipion.

SCÈNE II.
Scipion, Lélie, Phaedime.
 

PHAEDIME.

Sophonisbe, seigneur, à vos ordres soumise,

1140   Par le roi Massinisse entre vos mains remise,

Va bientôt, à vos pieds déposant sa douleur,

Reconnaître dans vous son maître et son vainqueur ;

Elle est prête à partir.

SCIPION.

Que Sophonisbe apprenne

Qu'à Rome, en ma maison, toujours servie en reine,

1145   Elle n'y recevra que les soins, les honneurs,

Que l'on doit à son rang, et même à ses malheurs :

Le Tibre avec respect verra sur son rivage

Le noble rejeton des héros de Carthage.

Phaedime sort.

À un tribun.

Vous, jusques à ma flotte ayez soin de guider

1150   Et la reine et les siens, qu'il vous faudra garder.

SCÈNE III.
Scipion, Lélie, Massinisse, Licteurs.
 

SCIPION.

Le roi vient je le plains ; un si grand sacrifice

Doit lui coûter sans doute. Approchez, Massinisse ;

Ne vous repentez pas de votre fermeté.

MASSINISSE, troublé et chancelant.

Il m'en faut en effet.

SCIPION.

Votre coeur s'est dompté.

MASSINISSE.

1155   La victime par vous si longtemps désirée

S'est offerte elle-même : elle vous est livrée.

Scipion, j'ai plus fait que je n'avais promis ;

Tout est prêt.

SCIPION.

La raison vous rend à vos amis.

Vous revenez à moi : pardonnez à Lélie

1160   Cette sévérité dans mon coeur démentie :

L'intérêt de l'État exigeait nos rigueurs ;

Rome y fera bientôt succéder ses faveurs.

Il tend la main à Massinisse, qui recule.

Point de ressentiment ; goûtez l'honneur suprême

D'avoir réparé tout en vous domptant vous-même.

MASSINISSE.

1165   Épargnez-vous, seigneur, un vain remercîment :

Il m'en coûte assez cher en cet affreux moment.

SCIPION.

Vous pleurez !

MASSINISSE.

Qui ? moi ! non.

SCIPION.

Ce regret qui vous presse

N'est aux yeux d'un ami qu'un reste de faiblesse

Que votre âme subjugue, et que vous oublierez.

MASSINISSE.

1170   Si vous avez un coeur vous vous en souviendrez.

SCIPION.

Sophonisbe à mes yeux sans crainte peut paraître :

J'aurais de son destin voulu vous laisser maître ;

Mais Rome la demande : il faut, loin de ces lieux...

On ouvre la porte ; Sophonisbe paraît étendue sur une banquette, un poignard enfoncé dans le sein.

MASSINISSE.

Tiens, la voilà, perfide ! elle est devant tes yeux ;

1175   La connais-tu ?

SCIPION.

Cruel !

SOPHONISBE, à Massinisse penché vers elle.

  Viens, que ta main chérie

Achève de m'ôter ce fardeau de la vie.

Digne époux, je meurs libre, et je meurs dans tes bras.

MASSINISSE.

Je vous la rends, Romains, elle est à vous.

SCIPION.

Hélas !

Malheureux ! qu'as-tu fait ?

MASSINISSE.

Ses volontés, les miennes.

1180   Sur ses bras tout sanglants viens essayer tes chaînes :

Approche : où sont tes fers ?

LÉLIE.

Ô spectacle d'horreur !

MASSINISSE, à Scipion.

Tu recules d'effroi ! Que devient ton grand coeur ?

Il se met entre Sophonisbe et les Romains.

Monstres, qui par mes mains avez commis mon crime,

Allez au Capitole offrir votre victime :

1185   Montrez à votre peuple, autour d'elle empressé,

Ce coeur, ce noble coeur que vous avez percé.

Détestables Romains, si les dieux qui m'entendent

Accordent les faveurs que les mourants demandent ;

Si, devançant le temps, le grand voile du sort

1190   Se lève à nos regards au moment de là mort,

Je vois dans l'avenir Sophonisbe vengée,

Et Rome qu'on immole à la terre outragée ;

Je vois dans votre sang vos temples renversés,

Ces temples qu'Annibal a du moins menacés ;

1195   Tous ces fiers descendants des Nérons, des Camilles,

Aux fers des étrangers tendant des bras serviles ;

Ton Capitole en cendre, et tes dieux pleins d'effroi

Détruits par des tyrans moins funestes que toi.

Avant que Rome tombe au gré de ma furie,

1200   Va mourir oublié, chassé de ta patrie.

Je meurs, mais dans la mienne, et c'est en te bravant ;

Le poison que j'ai pris dans ce fatal moment

Me délivre à la fois d'un tyran et d'un traître.

Je meurs chéri des miens, qui vengeront leur maître :

1205   Va, je ne veux pas même un tombeau de tes mains.

LÉLIE.

Que tous deux sont à plaindre !

SCIPION.

Ils sont morts en Romains.

Grands dieux ! puissé-je un jour, ayant dompté Carthage,

Quitter Rome et la vie avec même courage !

 


***


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