PATRICE BUET
BOULORD éditeur, 78, avenue Saint-Jean NIORT
IMP. GARNIER, SAINT-MAIXENT-L'ÉCOLE
Publié par Paul FIEVRE, janvier 2025
Texte établi par Paul FIEVRE, décembre 2024
© Théâtre classique - Version du texte du 29/12/2024 à 11:55:12.
PERSONNAGE.
UNE JEUNE FEMME
Texte extrait de "CINQ MONOLOGUES-SAYNÈTES pour jeunes filles", Patrice BUET, Niort : Boulord, 1938. pp. 5-7
Une pièce quelconque. Il y a une glace, et, sur une table ou une console, un manteau, un chapeau, des gants, un sac de dame, un parapluie. On entend en coulisses la voix de Madame, qui termine une discussion avec Monsieur.
« Mais non, mais non, je n'aurai jamais le temps de faire tant de choses !... Enfin, c'est terrible, ça !... Évidemment, ce n'est pas toi qui les fera, mes commissions, non... Alors ?... »
Une porte claque, et Madame parait, très affairée... Coup de vent qui passe.
C'est extraordinaire !... Les hommes ne comprennent rien !...
Elle prend son sac en passant el va directe ment à la glace pour se poudrer.
Rien de rien !... Ils devraient se rendre compte pourtant... de ce que c'est qu'un ménage à tenir... des enfants à surveiller... une bonne à diriger... des repas à préparer... des invitations à faire... et à rendre... et à refuser... des relations à entretenir...
Revenant.
Sans compter le linge à raccommoder, les chaussettes à repriser... tes boutons à recoudre...
Elle pose son sac.
Les fournisseurs à recevoir, les factures à vérifier, les provisions à faire...
Venant à l'avant-scène.
Et le coiffeur, la manucure, la pédicure, le professeur de tennis, la couturière, la modiste... Est-ce que je sais ?...
S'adressant à l'assistance.
Enfin, est-ce vrai ?...
Coup d'oeil à son bracelet-montre.
Mon Dieu !...Déjà celle heure-là !... Jamais je n'y arriverai...
Elle va chercher son manteau.
Quelle vie !... Je n'ai encore rien fait aujourd'hui, et il faut pourtant que je sorte...
Mettant son manteau.
« Madame sort » dit mon mari...
Haussant les épaules.
Bien entendu : Madame sort... Je ne suis pas prisonnière, non ?... Nous ne sommes pas chez les Turcs d'Amérique ici ?... Dieu merci !...
Prenant son carnet dans son sac.
Voyons, ne nous affolons pas... Heureusement que j'ai de l'ordre, moi... Je marque toujours tout ce que j'ai à faire, comme ça, je suis sûre de ne rien oublier... Voyons... voyons... 15 avril... 15 avril... Ah ! Voilà, mardi, 15 avril... À 3 heures, Ratatout... C'est le couturier... Itou, j'y serai... J'y serai à trois heures et demie... Ça va !... À quatre heures, Julien... Julien, c'est la permanente... Bien !... À quatre heures et demie, conférence au Foyer National sur « Les Femmes qui n'ont rien à faire »... Ah ! La, la !... Elles sont bien heureuses, celles-là !... Quatre heures, le coiffeur ; quatre heures et demie, la conférence... Hé, hé, ce sera court... Avec le coiffeur, j'en ai bien pour deux heures, au moins...
Continuant à lire.
À cinq heures thé chez Madeleine... Très bien !... Je ferai sauter la conférence... J'ai une excuse, puisque je prends le thé chez Madeleine... Une bien gentille amie, si bonne, si douce, si spirituelle... Ah, en voilà une, qui a la vie facile ! Tandis que moi...
Continuant à lire.
Ah, mais, ah, mais... Qu'est-ce que j'ai marqué là ? À cinq heures, thé avec Gertrude aux Galeries ?... Je devais être distraite... Ne perdons pas de temps...
Elle pose son carnet et va mettre son chapeau devant la glace.
J'irai d'abord rejoindre Gertrude... Comme, pour Madeleine, c'est chez elle, ça n'a pas d'importance que j'arrive un peu en retard. J'en serai quitte pour ne prendre que trois tasses et quatre gâteaux aux Galeries, parce que, chez Madeleine, il y a toujours une table !... J'espère qu'elle aura fait son gâteau aux marrons...
Revenant et regardant encore une fois machinalement son carnet.
Hé là !... Que vois-je ?... À cinq heures, goûter chez les Durandal... Ah, diable, où avais-je la tète ?... Les Durandal, impossible d'y couper. Madame Durandal est la femme du chef de bureau de mon mari... Malheureusement, son thé est exécrable... Pour moi, elle doit le repasser cinq ou six fois par économie. Oui, mais elle a un porto remarquable... et des petits fours d'une fraîcheur !... J'y ferai un saut en quittant Gertrude... Le temps d'en grignoter une demi-douzaine et je serai chez Madeleine à cinq heures et demie.
Elle met son carnet, dans son sac.
Pas plus tard, par exemple, parce que, à six heures, je dois être au Tennis-Monopole... À propos de tennis, ça me fait penser que je devais aller hier chercher la raquette d'Isabelle... Naturellement, j'ai oublié. Il faudra que j'y passe avant d'aller aux Galeries... Ou bien en montant chez Madeleine... Ou alors, en en sortant... Enfin, n'importe, je trouverai bien une minute...
Mettant ses gants.
Est-ce que j'ai bien tout ?... Mon sac... mes gants...
S'inspectant.
Ça va...
Remarquant un petit trou dans son manteau.
Tiens, qu'est-ce que c'est que ce trou ?... Oh, tant pis... en le ramenant comme ça, ça ne se verra pas... Seulement, ça me rappelle que mon mari en a un à son veston... et celui-là, il se voit. Un trou de cigarette, parbleu... Il ne fait jamais attention... Il m'avait demandé de lui arranger ça pour de main... Pour demain !... Les hommes ne doutent de rien... Comme si je n'avais que ça à faire... Demain, je déjeune à Auteuil, j'ai deux essayages, quatre expositions, un coktail-party et dix-huit personnes à dîner chez moi... Mon époux est un petit plaisantin !... Il gardera son costume neuf un jour de plus, voilà tout... Par exemple, j'aurais dû lui dire que je ne rentrerai qu'à sept heures ce soir... Il va m'attendre, et il fera encore la tête... Bah, comme je ne serai sûrement pas là avant huit heures, huit heures et demie, ça n'a d'importance... pas. Allez, filons...
Elle se précipite à la porte du fond et revient aussitôt.
Mon parapluie que j'oubliais !...
Elle le prend.
Il pleut à verse... Je prendrai un taxi...
Sortant en trombe.
Quelle vie, mon Dieu, quelle vie!...
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