LE PETIT PRÉTENTIEUX

COMÉDIE.

1889

Adolphe CARCASSONNE.

PARIS C. MARPON et E. FLAMMARION, ÉDITEURS, rue Racine, 26 près de l'Odéon.

ÉMILE COLIN - IMPRIMERIE DE LAGNY.


Texte établi par Paul FIEVRE juin 2021

Publié par Paul FIEVRE juillet 2021.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:48.


PERSONNAGES

GEORGES, 11 ANS.

ALBERT, 11 ANS.

MARCEL, 10 ANS.

LUCIENNE, soeur de Georges, 6 ans.

MONSIEUR CONSTANT, père de Georges.

LE DIRECTEUR DE L'ÉCOLE.

GARÇONS ET FILLETTES.

Extrait de "Nouveau Théâtre d'enfants, Dix pièces en prose, à jouer dans les familles et dans les pensionnats, Paris, Marpon et Flammarion, Le Jay Libraires, 1889. pp. 211-237.


LE PETIT PRÉTENTIEUX

Un salon transformé en salle de distribution de prix. - Au fond, quatre marches conduisent è une estrade où se trouve une table devant laquelle sont rangés des fauteuils. - Derrière les fauteuils, une grande porte. - Sur la table, une boite de compas avec d'autres prix dont on trouvera la nomenclature au cours de la pièce. - Portes à droite et à gauche ? Des deux côtés, des bancs.

SCÈNE PREMIÈRE.
Georges devant la porte ? Albert, Marcel, Lucienne.

Au lever du rideau, Lucienne joue, a droite, avec une chambre à coucher dont elle a mis les meubles sur une chaise. - Georges est devant la porte de gauche avec la main sur le bouton. - Albert et Marcel sont en scène.

GEORGES.

Vous avez beau dire, vous ayez beau faire, celui qui obtiendra le prix au concours d'arithmétique, c'est moi.

Il sort fièrement.

MARCEL.

Qu'il est prétentieux !... Papa dit que la prétention est le partage de la sottise.

MARCEL.

C'est très vrai. De plus, Georges se croit sûr de la victoire parce que son père, Monsieur Constant, a prêté ce salon pour la distribution des prix qui va avoir lieu tout à l'heure.

MARCEL.

Le travail de Georges n'en vaudra pas mieux.

MARCEL.

Je le sais, mais cela augmente encore son orgueil. Il ne doute de rien, tout ce qu'il fait est bien fait et les autres ne sont que des imbéciles.

MARCEL.

Le plus grand imbécile, c'est lui.

Lucienne a tourné la tête en entendant le mot, mais elle se remet à ranger son petit ménage.

MARCEL.

Le prix, d'ailleurs, en vaut la peine. La boite est très belle : grands, moyens et petits compas, série de balustres, doubles tire-lignes, équerres, rapporteurs, c'est un prix superbe et je voudrais bien le gagner.

MARCEL.

Moi, je crois que tu le gagneras.

MARCEL.

Tu crois cela parce que tu es mon ami.

MARCEL.

Non. D'abord, nous n'avons été que quelques-uns a concourir.

MARCEL.

Nous avons été huit.

MARCEL.

Moi, je n'ai pas cherché à résoudre le problème, je l'ai trouvé trop difficile. Pierre, Gaston et Félix n'ont rien fait, non plus.

MARCEL.

Par la même raison ?

MARCEL.

Par la même raison.

MARCEL.

La solution est facile, pourtant.

MARCEL.

Comment ? Trouver une somme qui est augmentée chaque année de moitié et qui, au bout de la seconde année, s'élève à cinquante-quatre francs.

MARCEL.

Eh bien ! C'est simple comme bonjour.

MARCEL.

Comme bonjour ! Moi, j'ai dit : Bonsoir!

MARCEL.

Tu as été trop vite... Voyons, quelle est la moitié de deux ?

MARCEL.

La moitié de deux, c'est un.

MARCEL.

Et le tiers de trois ?

MARCEL.

C'est aussi un.

MARCEL.

Eh bien ! Voilà.

MARCEL.

Voilà ?

MARCEL.

Tu comprends, n'est-ce pas ?

MARCEL.

Pas du tout.

MARCEL.

As-tu dans ta poche un crayon et un morceau de papier ?

MARCEL, sortant l'un et l'autre.

Oui.

MARCEL.

Divise cinquante-quatre par trois.

MARCEL, après avoir fait quelques chiffres

Le résultat est dix-huit.

MARCEL.

Cinquante-quatre moins dix-huit, égale ?

MARCEL.

Trente-six.

MARCEL.

Divise trente-six par trois.

MARCEL.

Cela fait douze.

MARCEL.

Trente-six moins douze ?

MARCEL.

Vingt-quatre.

MARCEL.

Vingt-quatre, voilà le chiffre : Vingt-quatre, augmenté de moitié, égale trente six à la fin de la première année. Trente six, augmenté de dix-huit, égale cinquante quatre. À la fin de là seconde. Tu vois que c'est bien simple.

MARCEL.

C'est vrai, c'est plus facile que je ne croyais.

MARCEL.

Donc, les autres ont pu résoudre aussi le problème.

MARCEL.

Non, je les connais, ils ne sont pas plus forts que moi.

MARCEL.

Ah ?... Et Georges ?

MARCEL.

Encore Georges ! Mais tu sais que les prétentieux sont bêtes... J'ai suivi son travail du coin de l'oeil et j'ai vu qu'il a rempli trois pages de chiffres.

MARCEL.

Trois pages de chiffres, quand il y a assez de trois lignes ! Je respire un peu.

MARCEL.

Il est sûr d'avoir le prix ; moi, je dis qu'il ne l'aura pas, parce que, je le répète, prétentieux et imbécile, c'est la même chose.

Lucienne a encore entendu le propos et elle s'est remise à son petit ménage.

MARCEL.

L'heure approche ; viens, mon cher Marcel, rejoignons nos camarades, nous devons entrer avec eux.

Ils sortent par la gauche.

SCÈNE II.

LUCIENNE.

Il manque quelque chose à cette chambre... Je cherche ce que c'est et je ne trouve pas...

Indiquant chaque meuble.

Le lit, l'armoire à glace, le fauteuil, le sofa, le guéridon au milieu... Qu'est-ce qu'il manque donc ?...

Après un silence.

Tiens ! Que je suis bête !... C'est la table de nuit... Il faut une table de nuit... On ne peut coucher dans une chambre où il n'y en a pas... Il faut...

Georges rentre par la gauche et il entend les derniers mots de Lucienne.

SCÈNE III.
Lucienne, Georges.

GEORGES.

Que faut-il, petite soeur ?

LUCIENNE.

Regarde ce qui manque à cette chambre.

GEORGES, après avoir regardé un moment et en riant.

Ah ! Je vois ce qui manque... L'indispensable. Sais-tu ce que cela prouve ?

LUCIENNE.

Quoi donc ?

GEORGES.

Que le marchand est un fripon ou un imbécile.

LUCIENNE.

Un imbécile ! Qu'est-ce que c'est, dis?

GEORGES.

C'est quelqu'un qui ne sait rien, qui n'est bon à rien et qui fait mal tout ce qu'il fait.

LUCIENNE.

C'est étonnant.

GEORGES.

Mais non, ce n'est pas étonnant ; tout le monde te dira la même chose.

LUCIENNE.

Et un prétentieux, qu'est-ce que c'est ?

GEORGES.

C'est quelqu'un qui croit avoir un mérite qu'il n'a pas et qui, sans aucune raison, se met au-dessus des autres.

LUCIENNE.

C'est étonnant.

GEORGES.

Encore ! Beaucoup de choses t'étonnent aujourd'hui, petite soeur.

LUCIENNE, se rapprochant un peu

Dis, frère, est-ce que tu ne sais rien ?

GEORGES.

Moi ? Mais je sais beaucoup, au contraire. Je connais la grammaire, l'orthographe, la géographie, l'histoire... Pourquoi demandes-tu cela ?

LUCIENNE.

Est-ce que tu te mets au-dessus des autres ?

GEORGES.

Ceci est un droit pour moi, puisque je suis le plus fort de ma classe. Mais, encore une fois, pourquoi toutes ces questions ?

LUCIENNE.

Parce que Marcel disait tout à l'heure à Albert que tu es un prétentieux et un imbécile.

GEORGES.

Ce qu'ils peuvent avoir dit ne me surprend pas ; ils sont jaloux de moi, ils savent que j'aurai le prix au concours d'arithmétique et cela les enrage.

LUCIENNE.

Alors, tu es sûr d'avoir le prix ?

GEORGES.

Si j'en suis sûr ! Mais je n'en doute pas un seul moment.

Une heure sonne.

D'ailleurs, il est une heure, on va ouvrir les portes pour la cérémonie... Viens, soeur, allons rejoindre les autres élèves et bientôt tu verras qui sera nommé.

Lucienne remet les meubles dans la boite et elle sort avec Georges par la gauche.

Une marche au piano se fait entendre. La porte de droite s'ouvre ; des jeunes filles entrent en scène et viennent prendre place sur les bancs de droite ; Lucienne vient ensuite et elle s'assied sur le premier banc, près du public. Les jeunes garçons entrent, à leur tour, par la gauche et prennent place sur les bancs de ce côté ; Albert et Marcel entrent ensuite ; puis, Georges vient s'asseoir ; il se trouve ainsi lepremier et vis-à-vis Lucienne. La porte du fond s'ouvre alors. Le Directeur del'école entre, il est suivi des professeurs, des maîtresses d'études et de monsieur Constant. Ils prennent place sur les fauteuils devant la table.

SCÈNE IV.
Le Directeur de l'école, Monsieur Constant, Georges, Albert, Marcel, Lucienne, Maîtresses d'études, Professeurs, Petits garçons, Fillettes.

LE DIRECTEUR.

Mes chers enfants, hier nous vous avons distribué les récompenses que vous avez méritées aux derniers examens. Nous n'avons réservé qu'un seul concours, celui d'arithmétique dont le prix sera décerné à la fin de la séance.   [ Si l'on n'avait pas un personnel suffisant pour cette mise en scène, on pourrait réduire le nombre des garçons et des fillettes et les appeler deux fois à la distribution.]

GEORGES, à Albert.

Je sais bien à qui, quoi qu'on dise.

LE DIRECTEUR.

La cérémonie d'aujourd'hui a pour but de récompenser les qualités qu'on a reconnues chez vous. On ne peut pas tout mettre au concours ; il est des aptitudes naturelles et des qualités de coeur qu'on ne peut comparer et qui ont cependant une grande valeur. Nous allons donc récompenser vos aptitudes et les dons que vous avez reçus. Cela n'a pas encore été fait, mais je crois que c'est une innovation juste et qu'elle aura des imitateurs.

Il prend sur la table une feuille de papier. Il nomme les lauréats qui viennent prendre leurs prix à mesure qu'on les appelle et il ajoute la nature du prix.

LE DIRECTEUR.

PRIX DE MODESTIE : Alice Duquesne, une couronne de violettes.

PRIX D'ACTIVITÉ : Léon Dufay, une abeille en argent.

PRIX DE POLITESSE : Berthe Maunoir, une boite à gants.

PRIX DE GYMNASTIQUE : Louis Cassien, un beau pantin.

PRIX DE BONTÉ : Julie Dervieu, un coeur en or.

PRIX DE BONNE MINE : Paul Berthier, un petit panier de pommes d 'api.

PRIX D'EXACTITUDE: Lucienne Constant, une montre en vermeil.

PRIX DE MÉMOIRE : Jean Duvernoy, une carte de France avant 1870.

Jean prend la carte, puis, il se tourne vers le public et il porte ses lèvres du côté de l'Alsace-Lorraine.

JEAN.

J'embrasse les absents.

Il retourne à sa place.

LE DIRECTEUR, continuant.

PRIX DE CORDIALITÉ : Hortense Jalais, une poignée de main en argent.

PRIX DE DISCRÉTION : Pierre Audry, un presse-papier surmonté d'un chien en bronze.

PRIX D'ATTACHEMENT : Antoinette Vidal, un noeud de ruban bleu.

PRIX DE COURAGE : Edmond Vadier, un képi de soldat.

PRIX DE GÉNÉROSITÉ : Jeanne Leduc, une bourse ouverte.

PRIX D'ADRESSE : Félix Deydier, une boite d'enveloppes.

MONSIEUR CONSTANT, au Directeur.

J'approuve votre innovation et j'espère avec vous qu'elle aura des imitateurs.

LE DIRECTEUR.

Il reste à décerner le prix du concours d'arithmétique : Prix unique : Albert Geoffroy.

MARCEL, à Albert.

Je te l'avais bien dit.

Albert va sur l'estrade et le Directeur lui remet la boite de compas.

LE DIRECTEUR.

Je vous félicite, mon jeune ami.

GEORGES, se levant et s'avançant un peu.

C'est une injustice ! Ce prix m'appartient, c'est moi qui l'ai gagné.

LE DIRECTEUR.

Si vous l'aviez gagné, on vous l'aurait donné.

GEORGES.

Alors, vous n'avez pas examiné mon travail.

LE DIRECTEUR.

C'est parce que je l'ai examiné, que je ne vous ai pas donné le prix.

Pendant la réplique du Directeur, Monsieur Constant est descendu sur le devant de la scène.

MONSIEUR CONSTANT.

Moi aussi, mon fils, j'ai examiné votre travail.

GEORGES.

Eh bien, mon père ?

MONSIEUR CONSTANT.

Et je l'ai trouvé très mauvais. Non seulement vous n'avez pas compris l'énoncé du problème, mais vous avez fait des calculs inutiles et qui, pour la plupart sont faux.

GEORGES.

Pourtant...

MONSIEUR CONSTANT.

N'insistez pas. J'aurais été heureux d'un succès pour vous comme je l'ai été tout à l'heure devant celui de ma chère Lucienne ; mais votre travail ne pouvait être récompensé, sachez-le bien.

GEORGES.

Mais...

MONSIEUR CONSTANT.

Vous êtes prétentieux, mon fils, et ce défaut dépare les qualités de votre esprit et de votre coeur.

GEORGES, après un silence.

Alors, mon père ?

MONSIEUR CONSTANT.

Il faut vous en corriger.

GEORGES, après un nouveau silence.

Mes maîtres sont sévères pour moi et mes camarades ne m'aiment pas.

MONSIEUR CONSTANT.

Corrigez-vous et vous retrouverez la bonté de vos maîtres et l'amitié de vos camarades.

GEORGES.

Je vais essayer, mon père, et je profiterai de la leçon que j'ai reçue. Je vais, dès demain, me consacrer entièrement à mes études.

LUCIENNE, venant auprès de Georges.

Et moi, grand frère, je te réveillerai chaque jour, j'ai pour cela une montre...

MONSIEUR CONSTANT, riant.

Qui deviendra un réveil-matin.

LE DIRECTEUR.

Et maintenant, mes enfants, nous allons danser.

Les groupes se forment et l'on danse.

 



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Notes

[1] Si l'on n'avait pas un personnel suffisant pour cette mise en scène, on pourrait réduire le nombre des garçons et des fillettes et les appeler deux fois à la distribution.

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