LES BIENFAITS DE L'ÉDUCATION

1894. Tous droits réservés.

de GEORGES COURTELINE

PARIS, ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR, 26, rue RACINE, près l'Odéon.

ÉMILE COLIN - Imprimerie de Lagny.


Texte établi par Paul FIÈVRE, novembre 2021

Publié par Paul FIEVRE, septembre 2022

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:44.


PERSONNAGES.

BRISEMICHE.

LETRUFFÉ.

Extrait de COURTELINE, Georges, "Ombres parisiennes", Paris, Ernest Flammarion, 1894. pp 215-222


LES BIENFAITS DE L'É...

Les femmes qui ont trouvé de la place dans l'omnibus expriment la satisfaction que leur procure cet heureux événement par un sourire énigmatique, impénétrable et idiot.

La lèvre fleurie du sourire dont il est question ci-dessus, la dame dont il va être question ci-dessous a pris place dans le tramway, où restait juste un siège vacant : la stalle mobile fixée au fond de la voiture.

C'est une de ces vastes et imposantes personnes, qui, par leur air majestueux,la magnificence, de leur démarche, leur façon de porter haut la tête et de présenter à la foule un front qui n'a pas lieu de rougir, inspirent la considération et dont une profonde impression sur les gens de naturel timide.

Elle tire de sa poche sa bourse.

De sa bourse, elle tire son argent.

Tout ceci n'a l'air de rien.

Mais à la seule façon dont elle dissimule entre ses doigts ganté de noir les espèces destinées à acquitter sa dette, - les six sous de la place qu'elle occupe, - on devine en elle la femme d'ordre, la femme qui connaît la vie pour l'avoir expérimentée, et qui, enfermée par système en un prudent quant-à-soi, ne juge pas indispensable de révéler aux étrangers de quelle sorte de monnaie elle use pour payer l'argent qu'elle doit. À moins d'être fou ou aveugle, on ne saurait douter de l'austérité de ses moeurs, car elle est peinte sur son visage. De même y sont peintes en pleine pâte ses qualités de ménagère économe, son amour de la propreté et du bine-tenu.

Il est regrettable que son derrière soit étrangement disproportionné avec le siège qui le supporte. Celui-ci est à celui-là ce qu'est à un pavé une pièce de dix sous, à une tête d'épingle une tomate.

De chaque côté de la fragile planchette où repose sa splendeur élargie, le derrière de la voyageuse déborde ainsi qu'un potiron (évoquant une idée d'aérostat gonflé qu'accroupissent de force, à terre, les sacs pesants pendus aux mailles de son filet), en sorte que la dame est très mal. Elle pense être assise, la pauvre, sur une de ces pâtisseries sèches, percées de trous, qui se prennent avec du thé, et elle s'en montre fort marrie. Elle trouve que la Compagnie des Omnibus ne donne pas aux voyageurs, en confortable, l'équivalent de ce qu'elle reçoit d'eux en argent ; et ayant versé trente centimes entre les mains du conducteur, elle s'étonne de ne point recevoir, en retour, la libre disposition d'un sleeping-car. Le compagnie London-Chatam-Dover-railway possède d'admirables wagons qui ne sont point sans ressemblance avec les salons de l'Élysée : la dame éprouve quelque surprise à ne point sentir, sous son fessier, le moelleux exquis de leurs coussins.

Et elle gémit ! Et elle se lamente ! Et elle geint !

À la fin :

UN MONSIEUR, apitoyé, se levant de la place qu'il occupait.

Changez donc avec moi, Madame.

LA DAME, faisant sa poire.

Monsieur...   [ 1 Faire sa poire : Fig. et populairement, faire sa poire, avoir un air fier et important. [L]]

LE MONSIEUR.

Je vous en prie.

LA DAME, qui cède par obéissance.

En ce cas...

Échange de place entre la dame et le monsieur.

LA DAME.

Monsieur, je vous remercie mille fois.

LE MONSIEUR.

De rien madame, de rien du tout.

LA DAME.

Ne vous dérobez pas à mes remerciements. Vous venez d'agir en galant homme et je me fais un devoir de rendre à votre courtoise un hommage aussi public qu'éclatant.

LE MONSIEUR, ennuyé.

Mon Dieu, Madame, laissons cela.

LA DAME.

Pourquoi donc ?

LE MONSIEUR.

Parce que...

LA DAME.

Pardon ! Nous vivons dans un temps où les gens qui ont su garder le sentiment des convenances, ne se trouvent pas sous le pied des chevaux.

LE MONSIEUR, agacé.

Madame...

LA DAME, une amertume dans la voix.

La vieillesse est si peu habituée à recevoir des jeunes gens, les égards qu'elle serait en droit d'attendre d'eux... D'ailleurs, le bon procédé dont vous venez d'user envers moi n'a rien qui me surprenne de vous. On reconnaît tout de suite les personnes bien élevées...

LE MONSIEUR, rasé jusqu'au sang.

De grâce...

LA DAME, poursuivant.

Et Madame votre mère peut se vanter d'être une mère heureuse !... Ah ! Les bienfaits de l'éducation !!!... Tenez, Monsieur, je ne voudrais pas avoir l'air de répondre à votre galanterie par des flagorneries excessives, mais il suffit de vous regarder pour savoir tout de suite qui vous êtes. J'en appelle aux personnes présentes !...

LES PERSONNES PRÉSENTES.

Il est vrai !... Ce jeune homme est un galant homme. Il a reçu, dans le château de ses pères, une brillante éducation ; il est plein de bon sentiments, et on demeure stupéfait à voir combine il a gardé - chose rare !... - Le sentiment des convenances.

Ainsi s'exprime le choeur des voyageurs qu'enferme la caisse du tramway. Sur quoi le monsieur dit :

Très bien.

paye sa place, descend et prend un voiture.

 



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Notes

[1] Faire sa poire : Fig. et populairement, faire sa poire, avoir un air fier et important. [L]

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