LE RHUMATISME

MONOLOGUE

SAYNETES ET MONOLOGUES - QUATRIÈME SÉRIE

1881. Tous droits réservés.

M. CHARLES MONSELET

PARIS, TRESSE, Éditeur, Galerie du Théâtre Français.


Texte établi par Paul FIEVRE, mars 2017

publié par Paul FIEVRE, mars 2017

© Théâtre classique - Version du texte du 31/05/2023 à 21:40:57.


PERSONNAGE.

UN MONSIEUR, de n'importe quel Age, vêtu comme il voudra.


LE RHUMATISME

UN MONSIEUR.

J'ai fait, ce printemps, de brillants débuts dans le rhumatisme, si brillants que je ne peux en parler même aujourd'hui sans un frisson d'épouvante.

C'était en voyage, dans un hôtel d'une ville du midi de la France.

J'en ai du regret pour le Midi.

Tout à coup, au milieu de la nuit : - Aïe ! Oh ! Aïe ! Ooooh !

Je me dresse en sursaut, les yeux dilatés à la façon des « bestiaux réveillés par un incendie » selon l'expression de Baudelaire, et je m'écrie :

- Qu'est-ce que j'ai donc dans le cou ? Qu'est-ce que j'ai donc dans le dos ? Qu'est-ce que j'ai donc dans le bras ?

Et essayant - sans succès - de m'affermir sur mon séant, je murmure avec effroi.

- C'est le châtiment !

Je l'attendais depuis longtemps déjà, je savais qu'il m'était dû, que j'avais fait tout ce qu'il est possible de faire pour le mériter, et même l'impossible. (Allons, un peu de fatuité ) -Mais je l'attendais sans l'attendre, comme un ennemi qui vous a dit :

- Nous nous retrouverons tôt ou tard !

L'ennemi m'avait retrouvé.

Et cet ennemi m'apparaissait sous la forme du rhumatisme, - je ne pouvais plus en douter au bout de quelques instants.

Le rhumatisme aux griffes aiguës, aux morsures endiablées, aux caprices de fer !

Le rhumatisme ! Il avait sauté sur moi comme un démon, et il m'avait empoigné par la nuque, et il me tenait crispé, courbé, effaré, criant.

Je rampai jusqu'au bouton de la sonnette électrique.

Un médecin ! Deux médecins ! Réveillez toute la ville ! Un médecin, ou je me précipite par la croisée. Et je discrédite votre hôtel en faisant un mot qui restera !

Le médecin arriva... trois heures après.

Je le regardai à peine. Je me tordais. Il me parut que c'était un homme distingué, voilà tout.

- Docteur, il était temps ! lui dis-je ; j'allais attenter à mes jours.

- Non, me répondit-il.

- Non ? Non ?

- On dit toujours cela, mais...

- Ne m'en défiez pas ! hurlais-je.

Déjà je me débattais et tentais de bondir hors de ma couverture, lorsque...

- Aïe ! Paf ! Ouf ! Ooooh!

- Vous voyez bien ; fit le docteur.

Vaincu, je balbutiai, après quelques minutes :

? Vous allez me guérir, n'est-ce pas ?

- Parbleu !

- Tout de suite ?

- Diable ! Comme vous y allez ! Vous n'avez donc jamais souffert ?

- Jamais autant que cela.

- Votre tête est libre cependànt.

? Je le crois bien !... J'apprécie entièrement et complètement mon déplorable état.

- Qu'est-ce que vous ressentez ?

- Voyons, docteur, pas de farces.

? Ai-je donc l'air d'un plaisant ?

- Pas précisément... mais vous vous apercevez bien que je souffre comme un damné.

- Êtes-vous un homme intelligent ?

- Et vous ?

- Allons, dit-il en souriant, je vois à qui j'ai affaire. Nous nous entendrons à merveille.

- Soit, mais hâtez-vous de me guérir.

Le médecin s'assit tranquillement en face de moi, m'examinant avec un semblant d'intérêt.

- Ainsi, me dit-il, vous voûtez que je vous enlève votre mal comme avec la main ? Ou comme avec un rasoir ?

Je fis signe que oui.

? Trop exigeant... Raisonnons un peu. Votre rhumatisme vient de se déclarer, disons mieux, d'éclater ; c'est le mot. Il se répand, il gronde. Et vous croyez que je vais l'arrêter tout de suite... et qu'il se laissera faire ! Laissez-moi étudier la marche du fléau, me rendre compte de ses développements, de ses progrès...

- Ses progrès !

Ensuite nous procéderons à une médication raisonnée et prudente.

De la prudence ? Que me chantez-vous là, docteur, et qu'est-ce que la prudence a à voir ici ? Donnez-moi tous les remèdes à la fois, je suis de force à les supporter. Si c'est une purgation, qu'elle soit terrible si c'est un vomitif, qu'il soit effroyable ; j'ai des bronches en acier. Des pilules ? Je les veux tempétueuses, à faire sauter un bâtiment ; j'ai une poitrine à trois ponts ! Ne reculez devant rien, osez tout. De l'audace, docteur, de l'audace !

Le docteur se leva et prononça froidement ces paroles :

- Monsieur, je ne suis pas un charlatan.

Le geste fut noble et digne.

Vous n'êtes pas un charlatan, dis-je ; tant pis pour vous et tant pis pour moi. Vous ne comprenez pas votre époque ; voilà tout. Un charlatan ! Pariez-en avec plus d'attention, monsieur ; ce n'est pas le premier venu ; au contraire. Un charlatan ! Y avez-vous bien pensé ? C'est la moitié de la guérison ; son aspect seul est un étonnement, un enfouissement, une consolation, un espoir ! Vous n'êtes pas un charlatan, monsieur, j'en suis fâché, car c'est un charlatan qu'il me faut, et rien qu'un charlatan. Un charlatan, entendez-vous, un vrai, un complet ! Et qu'il ait une robe écarlate, avec des serpents noirs découpés, des croissants et des étoiles ! Qu'il ait des babouches orientales et une baguette d'or à la main ! Qu'il fasse bouillir dans une marmite des crapauds, un os de sorcière, un doigt de Juif, un pied d'enfant non baptisé, une vipère, et qu'il fasse du tout un breuvage que je boirai avec transport ! Qu'il m'envoie à minuit ; sur une montagne, au lever de la lune, cueillir des herbes bizarres en prononçant de mystérieuses paroles, et je m'y traînerai avec enthousiasme !

Le médecin haussa légèrement les épaules. Je surpris ce mouvement et je continuai de la sorte :

? Eh bien ! Oui, je suis une âme faible ; oui, je suis un esprit crédule ; oui, je suis un gobeur ! J'ai besoin d'illusion et de pis que d'illusion, de charlatanisme. Je ne crois qu'en cela. Si vous saviez comme j'exècre Molière alors qu'il se moque des médecins en chapeau pointu et en longues manches ! Quel mal il a fait à l'humanité en conspirant contre le costume ! Mais votre habit sec et court me donne froid ! Mais vos paroles sensées et mesurées me désespèrent ! Pourquoi ne crachez-vous pas du latin, rien qu'un peu ? Le latin me soulagerait peut-être. On ne sait pas. Tout petit, à douze ans, lorsque je souffrais du mal de dents, à qui supposez-vous que je suis allé tout de suite ? À un charlatan, monsieur, à un charlatan de la rue et de la place publique. Ah ! Le beau et superbe charlatan ! Je le vois encore, je le verrai toute ma vie. Il était monté sur une voiture ; que dis-je ? Une voiture ; une berline ! Où y a-t-il des berlines aujourd'hui ? Ce charlatan avait une forêt de cheveux noirs comme vous n'en aurez jamais. Il commençait par jongler avec des boules d'or, puis avec des poignards, de vrais poignards, auxquels il faisait faire le tour de sa tête. Ensuite lorsqu'il avait réussi de la sorte à inspirer quelque confiance, de la confiance, oui, monsieur, il invitait le public à se faire arracher les dents. Je me suis fait arracher ma première dent avec un sabre, au bruit des cymbales et de la grosse caisse. Un sabre de cavalerie ! Ce fut une sensation sans pareille. J'étais heureux et fier à la fois !

Rien ne saurait peindre l'effarement du médecin.

Quant à moi, j'étais lancé, je ne pouvais plus m'arrêter :

Des charlatans ! Des empiriques ! Des rebouteux ! Mais il n'y en a pas assez, on en manque, on en invoque à cor et à cri ! Il faut me voir fouiller la quatrième page des journaux pour y chercher une panacée nouvelle. Quelle joie lorsque je découvre l'annonce d'un prêtre qui a trouvé un remède contre la grippe ou celle d'un major qui guérit les cors aux pieds. Un prêtre ! Un major ! Comprenez-vous, docteur ? Des gens qui n'en font pas leur état ! Voilà ce qu'il me faut. Vivent les charlatans !

Cette fois, le docteur ne put y tenir. Il me lança un regard foudroyant, et sortit en me considérant comme un homme perdu.

Cette secousse avait produit en moi un commencement de réaction salutaire.

Le lendemain, j'allais un peu mieux. Je continue à chercher le charlatan qui me guérira tout à fait.

Que voulez-vous ? Je ne puis me traiter que par l'imagination.

 


F. AUREAU - Imprimerie de Lagny


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