LA DÉCLAMATION THÉÂTRALE

POÈME DIDACTIQUE EN TROIS CHANTS précédé d'un discours

Claude Joseph DORAT


© Théâtre classique - Version du texte du 15/02/2015 à 16:39:43.



CHANT III.
DANSE.

Le jeune amant de Flore a déployé ses ailes ;

De ses nouveaux baisers naissent les fleurs nouvelles.

Les satires légers, aux accents du haut-bois,

Soulèvent, en riant, les nymphes de nos bois.

5   Voyez-vous ces tritons, dont les désirs avides

Font bouillonner les flots autour des Néréïdes ?

Ils nagent en cadence, et joignant leurs bras nus,

Agitent doucement la conque de Vénus.

Volez, jeunes beautés ; le front ceint de feuillages,

10   Traversez, en dansant, les vallons, les bocages :

Ressuscitons ces jeux, ces folâtres loisirs,

Par le Tibre adoptés, au retour des zéphyrs.

Pour orner votre sein, ces roses vous demandent ;

Pour vous peindre leurs feux, vos bergers vous attendent.

15   Tout vous sert ; cet ombrage, interceptant le jour,

Enhardit à la fois la pudeur et l'amour.

Loin de nous la sagesse et ses leçons austères !

Terpsichore, voici l'instant de tes mystères.

Ils naissent du plaisir, je dois les respecter :

20   Viens, ta harpe à la main, m'apprendre à les chanter.

Léger comme tes pas, fidèle à leur cadence,

Que mon rapide vers brille, parte et s'élance.

Déesse, la nature est soumise à tes lois,

Et ton silence actif le dispute à la voix.

25   Le voile ingénieux de tes allégories

Cache des vérités par ce voile embellies.

Rivale de Clio, tu sais conter aux yeux ;

Et tout, jusqu'à la fable, est vivant dans tes jeux.

Des pas tardifs ou prompts la liaison savante

30   M'offre de cent tableaux une scène mouvante.

J'y vois du désespoir le sombre accablement,

La colère d'un dieu, les transports d'un amant,

Mars courant aux combats, Daphné prenant la fuite,

Pour éviter l'amant qui vole à sa poursuite,

35   Les défis des pasteurs, les courses de Tempé,

Et celles de l'amour à Vénus échappé.

Mais de cet art charmant craignez la douce amorce.

Il rit à l'oeil trompé qui n'en voit que l'écorce.

D'un trop crédule espoir n'allez pas vous bercer,

40   Et sondez le terrain qu'il faut ensemencer.

Avant de faire un pas, voyez si la nature

N'a point sur les calots calqué votre figure.

Héros, que votre taille ait de la majesté :

Berger, qu'elle nous plaise en sa légèreté.

45   Que votre corps liant n'offre rien de pénible,

Et se ploie aisément sur le genou flexible.

Que les pieds, avec soin rejetés en dehors,

Des jarrets trop distants rapprochent les ressorts.

Que l'épaule s'efface, et que chaque partie,

50   En paraissant se fuir, soit pourtant assortie.

Quelque vice secret avec vous est-il né ?

Qu'avant le pli du temps il soit déraciné.

Profitez, profitez de ces jours de souplesse,

Où chaque fibre encor tressaille avec mollesse.

55   Quand l'âge raidira vos muscles engourdis,

Tous les moyens alors vous seront interdits.

Cet orme contrefait penche vers le rivage,

Et d'un tronc tortueux voit sortir son feuillage.

Il serait aujourd'hui l'ornement du hameau,

60   Si l'art l'eût redressé, quand il fut arbrisseau.

Que vos pas soient précis : d'une oreille sévère

Calculez chaque temps, sans jamais vous distraire.

Vos talents, quels qu'ils soient, n'auront qu'un faible éclat,

Sans ce juge subtil, ce tact si délicat,

65   Que la nature même, à nos plaisirs fidèle,

Pour épier les sons, a mis en sentinelle.

Ce tympan sinueux, où tout va retentir,

Doit marquer la mesure et vous en avertir.

Un danseur sans oreille est la vivante image

70   D'un fou qui ne met point de suite à son langage,

Qui de mots mal conçus forme son entretien,

S'étourdit en parlant, et ne dit jamais rien.

Par ce sens dirigés, riez de l'impuissance

Du burlesque rouleau, sceptre de l'ignorance,

75   Dont le geste ambulant semble vous menacer,

Et qui coupe les temps, au lieu de les fixer.

Que chaque mouvement soit naturel et libre.

Soumettez votre corps aux lois de l'équilibre.

Élevé dans les airs, soyez assujetti

80   Au point déterminé d'où vous êtes parti.

Émule de Gardel, dans votre essor habile,

Tombez sur un pied seul, et restez immobile.

Pour atteindre au fini de tous ces déploiements,

N'allez point vous créer d'inutiles tourments,

85   Étudier votre art comme de vils esclaves,

Ni vous emprisonner dans ces dures entraves

Qui du jeu des ressorts vous ôtent la douceur,

En font mille martyrs, sans former un danseur.

C'est peu de m'étaler une danse savante,

90   Et ces sauts périlleux dont l'effort m'épouvante,

De battre l'entrechat, de jouer du poignet,

De hasarder un rond, de faire un moulinet.

La médiocrité brigue ces avantages :

L'art a d'autres secrets, pour gagner nos suffrages.

95   Sur le bloc arrondi d'un célèbre sculpteur

Quand l'amour agita son flambeau créateur,

Il en fit rejaillir une vive étincelle,

Et soudain vit éclore une Vénus nouvelle,

Dont le premier regard peignit un sentiment,

100   Dont le premier soupir demandait un amant.

L'heureux Pygmalion brûle pour son ouvrage :

Le marbre est animé ; l'amour veut davantage.

Les grâces, qu'il appelle, accourent sur ses pas,

Et la nymphe naissante a volé dans leurs bras.

105   Leurs lois sont des plaisirs ; leurs leçons, des caresses.

L'écolière bientôt égale ses maîtresses,

S'instruit dans l'art de plaire, et plaît en l'oubliant,

Met dans chaque attitude un jeu doux et liant,

De la simplicité se fait une parure,

110   Déploie avec pudeur les dons de la nature,

Laisse errer sur sa bouche un sourire charmant,

Et, grâce à ses regards, se tait éloquemment.

Voilà votre modèle, enfants de Terpsichore.

La nature vous sert, il faut l'aider encore.

115   Imaginez des temps et des groupes nouveaux,

Entassez pas sur pas, et travaux sur travaux,

Sautez sur le gazon, sans y laisser vos traces ;

Vous ne possédez rien, si vous n'avez les grâces.

Elles vous donneront le poli des ressorts,

120   D'un buste harmonieux les tranquilles accords,

Le moelleux contour d'une tête flexible,

Des passages divers la nuance insensible ;

Ces pas demi formés, ces bras que le désir,

Dans un doux abandon, semble tendre au plaisir,

125   Tous ces ébranlements, ces secousses légères,

Que la volupté compte au rang de ses mystères,

Et ces gestes de feu, ces repos languissants,

Qui jusqu'en leur foyer vont réchauffer nos sens.

Des éléments de l'art connaissez l'importance :

130   Formez vos premiers pas sous un maître qui pense.

Vous avancerez plus avec moins de travaux :

Il saura profiter même de vos défauts.

C'est ainsi que Marcel, l'Albane de la danse,

Communiquait à tout la noblesse et l'aisance.

135   Des mouvements du corps il fixa l'unisson,

Et dans un art frivole il admit la raison.

La beauté qu'il formait venait-elle à paraître ?

Elle emportait le prix, et décelait son maître ;

Telle brille une rose entre les autres fleurs.

140   Il dotait la jeunesse, en lui gagnant des coeurs.

Il me semble le voir, dans un jardin fertile,

Assujettir à l'art chaque tige indocile,

Tendre au lys incliné la main qui le suspend,

Resserrer le bouton où l'oeillet se répand,

145   Distribuer partout cet accord, cette grâce

Qui pare la nature, et jamais ne l'efface.

De cette servitude affranchis une fois,

Plus sûrs de votre vol, créez-vous d'autres lois.

Lisez au coeur de l'homme : amour, fureur, délire,

150   Dans vos jeux animés il faut tout reproduire.

De chaque sentiment épiez les secrets,

Démêlez les ressorts, combinez les effets.

Inventeurs de cet art, et Pilade et Bathile

Nous ont assez appris combien il est fertile.

155   Dans l'action du corps puisant leur coloris,

L'un arrachait les pleurs, l'autre excitait les ris ;

Et loin du cercle étroit de cent mimes profanes,

Leurs gestes et leurs pas leur tenaient lieu d'organes.

Pour atteindre à leur palme et vous rapprocher d'eux,

160   Laissez la gargouillade et les pas hasardeux.

Que par l'expression vos traits s'épanouissent :

L'âme doit commander, que les pieds obéissent.

Un méchanisme vain suffit pour un sauteur ;

Mariez les talents du peintre et de l'acteur ;

165   Et prenant votre essor loin des routes tracées,

Dans vos pas, s'il se peut, enchaînez des pensées.

Mais, si vous prétendez aux immortels festons,

De masques odieux débarrassez vos fronts.

De chaque passion le turbulent orage

170   Avec des traits de feu se peint sur le visage :

On y voit le chagrin d'un crêpe se voiler,

Sourire le bonheur, la joie étinceler ;

L'âme se montre à nu dans ce miroir sincère.

Pourquoi donc le charger d'une forme étrangère ?

175   Un visage postiche et privé de contour,

Un plâtre enluminé me rendra-t-il l'amour ?

Comment les passions, dans leur fougue énergique,

Pourront-elles percer l'enveloppe gothique,

L'immobile carton inventé par l'ennui,

180   Qu'un danseur met toujours entre nos coeurs et lui ?

Filles des sombres bords, déités infernales,

Éteignez sur vos fronts ces flammes sépulcrales.

Fleuves, ondains, tritons, dieux soumis au trident,

Quittez vos teints verd-pré, vos visages d'argent.

185   Vents, ayez plus d'adresse, et moins de bouffissure.

Monstres de nos ballets, respectez la nature.

Indifférente et libre, une nymphe des bois

Pour seule arme aux amours opposait son carquois,

Et souvent renversait de ses flèches rapides

190   Le faon aux pieds légers, et les biches timides.

Errante, l'arc en main, de réduit en réduit,

Un faune l'aperçoit, s'enflamme et la poursuit.

Voyez les mouvements dont leur âme est atteinte,

Et l'aile du désir, et le vol de la crainte.

195   Quelle ardeur dans tous deux ! Que d'agiles détours !

Le faune joint la nymphe ; elle échappe toujours.

Elle se sauve enfin, tremblante, sans compagne,

Et gagne, en haletant, le haut d'une montagne.

Là, se laissant aller près d'un arbre voisin,

200   Son col abandonné touche aux lys de son sein.

Le faune reparaît : il tressaille de joie,

Et retrouve sa force, en retrouvant sa proie.

Ses yeux sont des flambeaux ; ses pas sont des éclairs :

Une flèche est moins prompte à traverser les airs.

205   La nouvelle Daphné frémit, tremble, chancelle :

Au front de son amant l'espérance étincelle ;

Du fugitif objet, qu'effarouchent ses voeux,

Déjà son souffle ardent fait voler les cheveux ;

Il l'atteint, il soupire, il demande sa grâce :

210   Le faune s'embellit, la nymphe s'embarrasse,

Se livre par degrés à ce trouble enchanteur,

Tombe, se laisse vaincre, et pardonne au vainqueur.

D'un simulacre vain la froide dissonance

De ces divers combats rendra-t-il la nuance ?

215   Y verrai-je la crainte et ses frémissements,

Le trouble, les d2sirs et l'ardeur des amants ?

Que n'ai-je le génie et le pinceau d'Apelle !

Allard, à mes esprits ce tableau te rappelle.

Jamais nymphe des bois n'eut tant d'agilité :

220   Toujours l'essaim des ris voltige à ton côté.

Que tu mélanges bien, ô belle enchanteresse,

La force avec la grâce, et l'aisance et l'adresse !

Tu sais avec tant d'art entremêler tes pas,

Que l'oeil ne peut les suivre, et ne les confond pas.

225   Le papillon s'envole avec moins de vitesse,

Et pèse plus que toi sur les fleurs qu'il caresse.

Te peindre, c'est louer ton émule divin :

Je place au même rang la nymphe et le sylvain ;

Il partage l'honneur de ta palme brillante ;

230   Hippomene à la course égalait Atalante.

Tous deux dans cette arène, où vous régnez sur moi,

Vous cueillez le laurier ; mais la pomme est pour toi.

Mon oeil sur ces objets trop longtemps se repose ;

Muse, reprends le joug que Terpsichore impose :

235   Amants de la déesse, elle a choisi ma voix

Pour consacrer son art, et vous dicter ses lois.

Fuyez loin de ses yeux, pagodes vernissées,

Dans vos groupes sans goût tristement compassées ;

Fuyez... qui vous donna le droit, le droit affreux

240   De venir dans leur temple effaroucher les jeux ?

Que la danse toujours annonce un caractère.

Qu'elle soit tour-à-tour noble, vive, ou légère...

M'offrez-vous des héros ? Modelez-vous sur eux :

Que vos pas soient précis, graves, majestueux.

245   Lorsque le grand Dupré, d'une marche hautaine,

Orné de son panache, avançait sur la scène,

On croyait voir un dieu demander des autels,

Et venir se mêler aux danses des mortels.

Dans tous ses déploiements sa danse simple et pure

250   N'était qu'un doux accord des dons de la nature.

Vestris, par le brillant, le fini de ses pas,

Nous rappelle son maître, et ne l'éclipse pas.

Bacchantes, exprimez les fureurs de l'ivresse :

Tournez rapidement sous le dieu qui vous presse.

255   Filles du noir Cocite, armez-vous de flambeaux ;

Elancez-vous par bonds ; que vos pas inégaux,

Egarés, incertains, peignent l'affreuse rage,

Le tumulte de l'âme, et la soif du carnage.

Transportez les enfers sur vos fronts allumés,

260   Et décrivez en l'air des cercles enflammés.

Zéphirs, d'un vol léger caressez les feuillages ;

Et sans être entendus, parcourez les bocages.

On rit de ces zéphirs orageux et massifs,

Qui font gémir les airs sous leurs bonds convulsifs.

265   À ce bruit inconnu Flore en tremblant s'éveille ;

Ils ont déjà courbé les fleurs de sa corbeille :

Elle craint, à l'aspect de ses nouveaux amants,

Pour le trône fragile où s'assied le printemps ;

Et le parterre enfin renvoie avec justice

270   Ces sauteurs maladroits bondir dans la coulisse.

L'heureuse Germanie est fertile en danseurs,

Et simple dans sa danse, ainsi que dans ses moeurs :

Elle nous a transmis celle qui dans nos fêtes

À nos jeunes beautés fait le plus de conquêtes.

275   Connaissez tous ces pas, tous ces enlacements,

Ces gestes naturels, qui sont des sentiments ;

Cet abandon facile et fait pour la tendresse,

Qui rapproche l'amant du sein de sa maîtresse ;

Ce dédale amoureux, ce mobile cerceau,

280   Où les bras réunis se croisent en berceau ;

Et ce piège si doux, où l'amante enchaînée

À permettre un larcin est toujours condamnée.

Combien je vous regrette, ô temps, ô jours heureux,

Où dans les murs de Sparte, et dans ses plus beaux jeux,

285   Se partageant en choeurs, des vierges ingénues

Dansaient sans indécence, et dansaient toujours nues !

Que de secrets trésors dévoilés aux amours !

Quel charme arrondissait tous ces légers contours !

À chaque mouvement que de beautés écloses !

290   Quels frais monceaux de lys, mêlés de quelques roses !

Que dis-je ! Aux yeux surpris de l'amant enchanté

La céleste pudeur voilait la nudité.

Vous que Vénus instruit, qui, pour première étude,

Avez de tous ses jeux la savante habitude,

295   Surpassez ces tableaux, et sous le vêtement

Que l'amour exprimé frappe l'oeil de l'amant.

Que vos illusions sur mes yeux se répandent ;

Je vous livre mon coeur, et mes sens vous attendent.

Là, par des mouvements souples et négligés,

300   Par des balancements avec art prolongés,

Imitez les langueurs de la douce mollesse :

N'allez point par des sauts fatiguer sa paresse.

Ici, nous séduisant par la vivacité,

Peignez dans votre essor un coeur plus agité.

305   Que vos bras jusqu'à nous toujours prêts à s'étendre,

Soient autant de filets où l'on cherche à se prendre.

Marquez tous les degrés de l'amoureux débat,

L'instant de la victoire et celui du combat,

Le calme du bonheur, le feu d'une caresse :

310   Fuyez, arrêtez-vous, suspendez votre ivresse.

Comme Guimard enfin appelez les désirs,

Et que vos pas brillants soient le vol des plaisirs.

C'est ainsi que Sallé, qui brilla sur la scène,

Émule des amours, en paraissait la reine.

315   La tendre volupté présidait à ses pas,

Animait ses regards, et jouait dans ses bras.

Comme elle cependant sur ces heureux mystères

Laissez toujours tomber quelques gazes légères ;

Et ne montrant jamais qu'un seul coin du tableau,

320   Laissez-nous soulever le reste du rideau.

Par des pas trop lascifs n'offensez point la vue :

Vénus même prescrit l'adroite retenue.

Enlacez-vous vos bras autour de votre amant ?

N'allez point, sans pudeur à nos yeux vous pâmant,

325   Outrager la décence, et sirène muette,

Proposer au public un bonheur qu'il rejette.

Aux talents naturels que l'art soit réuni.

Telle est à nos regards la danse de Lani.

Précision, vitesse, esprit, tout s'y rassemble.

330   Les détails sont parfaits, sans altérer l'ensemble.

Elle enchante l'oreille et ne l'égare pas.

La valeur de la note est toujours dans ses pas.

Heinel la suit, Heinel que l'amour lui préfère.

Dans tous ses mouvements quelle âme douce et fière !

335   Parmi le choeur dansant, autour d'elle empressé,

Elle paraît, s'élève, et tout est éclipsé...

La mortelle n'est plus, j'encense la déesse.

Hébé pour la fraîcheur, Pallas pour la noblesse,

Elle imprime à ses pas je ne sais quoi d'altier,

340   Et l'oeil qui l'admira ne la peut oublier.

Il est une autre gloire où vous pouvez atteindre ;

Il faut tout embrasser, tout sentir et tout peindre.

La danse doit m'offrir d'innombrables tableaux.

Transfuges des palais, dansez sous des berceaux.

345   L'art brillant des couleurs avec même avantage

Élève un temple auguste, et nous ouvre un bocage.

Tout objet bien saisi conserve un prix réel :

Teniers est aujourd'hui l'égal de Raphaël.

Quelle nymphe légère à mes yeux se présente !

350   Déesse, elle folâtre, et n'est point imposante.

Son front s'épanouit avec sérénité,

Ses cheveux sont flottants, le rire est sa beauté.

D'un feston de jasmins sa tête est couronnée,

Et sa robe voltige, aux vents abandonnée.

355   Mille songes légers l'environnent toujours ;

Plus que le printemps même, elle fait les beaux jours.

Des matelots joyeux rassemblés auprès d'elle,

Détonnent à sa gloire une ronde nouvelle,

Et de jeunes pasteurs, désertant les hameaux,

360   Viennent la saluer au son des chalumeaux.

C'est l'aimable gaieté : qui peut la méconnaître,

Au chagrin qui s'envole, au jeu qu'elle a fait naître ?

Fille de l'innocence, image du bonheur,

Le charme qui te suit a passé dans mon coeur.

365   Sur ce gazon fleuri, qu'elle a choisi pour trône,

Pasteurs, exécutons les danses qu'elle ordonne.

Que trop d'art n'aille point amortir notre feu :

La danse d'un berger n'est pas celle d'un dieu.

Vous qui me transportez dans ces fêtes rustiques,

370   Laissez votre routine et vos pas méthodiques.

La nature est si belle ! Ah ! Ne l'altérez pas :

Elle hait la contrainte, et meurt sous le compas.

Venez : transportons-nous dans ces belles contrées,

Des rayons d'un ciel pur en tout temps colorées.

375   Déjà l'air est plus frais : Phébus vers l'occident

Précipite sa course et son char moins ardent.

Les mobiles sillons de sa pourpre brillante

Font resplendir au loin la mer étincelante.

Sous des bosquets riants, qu'embaume l'oranger,

380   Chaque jeune bergère a conduit son berger.

Les uns de joncs tressés composent leur coiffure :

D'autres avec des fleurs nattent leur chevelure.

On s'anime à l'envi de l'oeil et de la voix :

Le tambourin résonne, et tout part à la fois.

385   Je ne sais quel instinct règle chaque attitude :

La grâce, ailleurs captive, ici naît sans étude.

Les gestes et les pas, d'un mutuel accord,

Peignent la même ivresse et le même transport.

Sur des bras vigoureux on soulève une belle :

390   On s'enlace, on s'élève, on retombe avec elle.

Que de baisers reçus, ou ravis, ou donnés !

Que de crimes charmants, aussitôt pardonnés !

L'ombre n'interrompt pas cette douce démence ;

Lorsqu'un plaisir s'envole, un plaisir recommence.

395   Pour s'occuper la nuit, l'amante, en ce moment,

Dépose dans son coeur les traits de son amant ;

Et le lendemain même, alors qu'elle s'éveille,

Répète encor les airs qu'ils ont dansés la veille.

Provence fortunée, asile aimé des cieux,

400   Que j'aimerais ton ciel, ton délire et tes jeux !

Ici, tout est glacé, tout est morne, ou fantasque :

Du bonheur qui te rit nous n'avons que le masque.

Les temples de nos arts sont de tristes réduits

Où nous courons en pompe étaler nos ennuis.

405   Sans perdre nos défauts, perdant nos avantages,

Nous briguons en bâillant le beau titre de sages.

La jeunesse elle-même, éteinte dans sa fleur,

S'agite sans ivresse, et jouit sans chaleur.

Ce fleuve, qui jadis arrosait la prairie,

410   N'est plus qu'un filet d'eau dont la source est tarie ;

Et l'on voit de son or le luxe dégoûté,

Gager des malheureux, pour rire à son côté.

Fous ténébreux et vains, qui n'aimant que vous-mêmes,

Des rêves de vos nuits composez vos systèmes ;

415   Catons prématurés, qui, froids calculateurs,

Cherchez des vérités dans l'âge des erreurs ;

Vous qui, dans vos boudoirs, sur l'ouate et la soie

Savourez les langueurs où votre âme se noie,

Et changez chaque jour, pour seuls amusements,

420   De chiens, de perroquets, de magots et d'amants ;

Compilateurs pesants ; toi, cruel moraliste,

Qui crois consoler l'homme, en le rendant plus triste ;

Peuple immense de sots, de mollesse hébété,

Poètes sans esprit, et catins sans beauté,

425   Honoraires bouffons ; toi, frelon inutile,

Qui dévores le miel que l'abeille distille ;

Vous tous, qui variant vos lugubres travers,

Chacun, pour votre compte, ennuyez l'univers ;

Dansez... sortez du cercle où l'on vous emprisonne ;

430   Répandez sur la vie un sel qui l'assaisonne.

Le temps s'échappe, il fuit, sachez vous en saisir ;

Et végétez du moins dans le sein du plaisir...

Ma carrière est remplie, ô muse que j'encense !

Souris à mes travaux, voilà ma récompense.

435   J'ai célébré les jeux qui plaisent à mon coeur,

Qui m'ont séduit peut-être en peignant le bonheur.

Puissent, puissent mes chants rajeunir notre scène,

De funèbres attraits embellir Melpomène,

À ses aimables soeurs prêter des ornements,

440   Et leur former partout de fidèles amants !

Amour, si dans mes vers je t'ai marqué mon zèle,

À la postérité porte-les sur ton aile !

Dieu charmant, tous les arts te doivent leur beauté,

Et sous leurs traits divers c'est toi que j'ai chanté.

 



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