LETTRE SUR LES AFFAIRES DU THÉATRE.

dans Les Diversités Galantes.

Imprimé à Paris, 1665.

JOUXTE LA COPIE

Version du texte du 15/02/2015 à 16:39:41.

Avertissement

Ce texte est issu des Diversités Galantes contenant l'Apothicaire de qualité, nouvelle galante et véritable, Lettres sur les affaires du théâtre, Les soirées des auberges, nouvelle comique, Réponse à l'Impromptu de Versailles ou la vengeance des marquis, jouxte la Compie imprimée à Paris, 1665, pp 63-78.

LETTRE SUR LES AFFAIRES DU THÉATRE

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Lorsque vous me demandez des nouvelles du Théâtre vous ne songez pas que vous en devez être aussi bien instruit que moi, puisque vous avez dû connaître par le portrait du peintre, que le redoutable Elomire [Molière] a été battu de ses propres armes, et que vous avez dû apprendre dans la vengeance des Marquis qui sert de réponse aux pièces rapportées qu'il nous a fait voir, sous le nom Impromptu, que l'ardeur de de venger l'ayant aveuglé en travaillant à cette pièce, il s'est contredit lui-même en plusieurs endroits et qu'il ne s'est défendu qu'avec des armes dont on ne croyait pas qu'il te dût servir, que l'on ne peut manier sans se faire plus de mal à soi-même qu'à ceux contre qui on les emploie. L'on a connu par ce combat qu'il n'a point eU d'ennemis à combattre puisque le premier qui eSt entré dans la lice, l'a obligé de recourir à de honteuses armes. Cet heureux et spirituel téméraire, ne croyait pas emporter d'abord d'une si grande victoire, et il se persuadait que le bonheur de son adversaire repousserait seul les coups qu'il lui a portez et peut-être que s'il ne se fut point perdu en se défendant si mal l'on aurait regardé avec d'autres yeux ce que l'on a écrit contre lui. Il lui est arrivé la même chose qu'à de certains faux Braves que l'on a souvent crû ne pouvoir jamais être surmontés et qui par des yeux menaçants, par une fierté étudiée par des discours qui faisaient croire qu'il était impossible de les vaincre, ont empêché longtemps que l'on ne les attaquât : cependant lorsqu'ils l'ont été, ils ont toujours fait voir par leur défaite, que ceux que l'on croit indomptables sont plus souvent et plus facilement vaincus que les autres. Nous voyons présentement arriver la même chose : la réputation d'Elomire a longtemps empêché que l'on ne l'attaquât, et l'on se fut toujours persuadé qu'il ne pouvait être vaincue, si l'auteur du portrait du Peintre [Boursault], n'eut fait voir, qu'il n'a triomphé si longtemps, que faute d'avoir été attaqué et que ce Fort pouvait être surpris par tant de faibles endroits, qu'il ne fallait que se présenter pour en demeurer vainqueur.

Voilà ce que vous ont dû faire connaître les deux Pièces que vous avez reçues de ma part. Je pourrais avec beaucoup de Raison vous prier d'épargner la dernière, et de la regarder comme un ouvrage d'un jour et demi. Je sais bien que je n'en dois pas être cru sur ma parole ; mais j'ai de leurs moyens pour vous persuader cette vérité, et je ne doute point que vous n'ajoutiez foi aux personnes à qui je la lus deux jours après la première représentation de l'Impromptu de Versailles, puisqu'elles ne sont pas moins connues et estimées, pour leur probité, que pour leur naissance, et pour leur esprit mais comme tout cela ne rendrait pas ma pièce meilleure, et que si elle n'est pas bonne l'on me doit blâmer de l'avoir faite en si peu de temps, je passe d'autres choses, et ne vous prierai point d'excuser les négligences que vous y remarquerez.

Si vous me dites que je lui donne un nom qui ne lui convient pas ; et que c'est plutôt : la vengeance des Comédiens, que celle des Maquis, vous aurez raison ; mais c'est une faute que j'ai affectée, et j'ai bien voulu imiter en ce point, Elomire, qui ne se soucie pas que ses pièces aient des noms qui leur conviennent pourvu qu'elles en aient de spécieux, et qui puissent exciter de la curiosité. Encor que les Comédiens paraissent vengés dans cette pièce, puisque l'on y voit que cet auteur purement Comique, s'égare lorsqu'il parle d'eux qu'il se contredit à tous moments, et qu'il le blâme de certaines choses dont j'ai fait voir qu'il est lui-même auteur, il les a néanmoins bien plus vengés que moi dans son prétend Impromptu, ayant, non feulement travaillé à leur gloire en les contrefaisant mais encore à la perte de la sienne. Pour ce qui est des Marquis, ils se vengent assez pour leur prudent silence, et font voir qu'ils ont beaucoup d'esprit, en ne l'estimant pas assez pour se soucier de ce qu'il dit contre eux. Ce n'est pas que la gloire de l'État ne les dût obliger a se plaindre ; puisque c'est tourner le Royaume en ridicule ; railler toute la noblesse ; et rendre méprisables, non seulement à tous les étrangers, des noms éclatants pour qui l'on devrait avoir du respect.

Quoi que cette faute ne soit pas pardonnable, elle ne renferme une autre qui l'est bien moins, et fur laquelle je veux croire que la prudence d'Elomire n'a pas fait de réflexion. Lorsqu'il loue toute la cour, et qu'il n'épargne que l'Auguste personne du Roi, que l'éclat de son mérite rend plus considérable que celui de son trône ; il ne s'aperçoit pas que cet incomparable Monarque ; est toujours accompagné des gens qu'il veut rendre ridicules, que ce ont eux qui forment sa Cour que c'est avec eux qu'il se divertit ; que c'est avec eux qu'il s'entretient, et que c'est avec eux qu'il donne de la terreur à ses ennemis : c'est pourquoi Elomire, devrait plutôt travailler à nous faire voir qu'ils sont tous des héros, puisque le Prince est toujours au milieu d'eux, et qu'il en est comme le chef, que de nous en faire voir des portraits ridicules. Il ne suffit pas de garder le respect que nous devons au Demi-Dieu qui nous gouverne, il faut épargner ceux qui ont le glorieux avantage de l'approcher, et ne pas jouer ceux qu'il honore d'une estime particulière. Je tremble pour cet auteur lorsque je lui entends dire en plein théâtre que ces Illustres doivent à la Comédie prendre la place des valets. Quoi traiter si mal l'appui et l'ornement de l'État ! Avoir tant de mépris pour des personnes qui ont tant de fois, et si généreusement exposé leur vie pour la gloire de leur Prince ? Et tout cela, pour ce que leur qualité demande qu'il soient plus ajoutés que les autres et qu'ils y sont obligés pour maintenir l'éclat de la plus brillante cour du monde, et pour faire honneur à leur souverain. Je vous avoue que quand je considère le mérite de toutes ces Illustres personnes et que je songe à la témérité d'Elomire, j'ai peine à croire ce que mes yeux ont vu dans plusieurs de ses pièces et ce que mes oreilles y ont ouï.

Vous ne devez pas vous étonner si après avoir voulu rendre ridicule ce que la Cour ou plutôt tout le Royaume a de plus illustre, il a voulu mettre les pièces sérieuses au dessous des comiques ; puisqu'il a résolu de ne s'attaquer qu'aux choses pour lesquelles il devrait avoir beaucoup d'estime. L'on peut dire toutefois, pour le justifier en quelque sorte, qu'il a plus de raison d'attaquer les ouvrages sérieux que les Marquis, et qu'il le venge sur les premiers du mauvais succès de son Dom Garcie [de Navarre], et l'on peut aussi ajouter qu'il se venge en même temps des Marquis qui ne l'ont pas approuvé.

Voyons présentement si ce qu'il a dit est véritable : si les pièces comiques doivent étouffer les Sérieuses et si les bouffons méritent plus de gloire que les grands Hommes.

Les uns n'ont rien que de ridicule dans leurs ouvrages, et ne travaillent que pour la ratte [sic], et les autres n'ont rien que de solide et ne travaillent que pour l'esprit.

Les uns divertissent à la vente, mais les autres divertissent et instruisent tout ensemble : cependant Elomire se persuade à cause qu'il à l'avantage de badiner assez agréablement que ses Comédies l'emportent sur tout ce que nous avons de pièces sérieuses, mais il y a bien de la différence entre le succès d'une Comédie, et celui d'une pièce sérieuse. Une pièce sérieuse réunit pour son mérite, et sa bonté seule nous oblige à lui rendre justice mais l'on va souvent voir en foule une pièce comique, encore que l'on le trouve méchante, et l'on va plutôt aux ouvrages qui sont de la nature de ceux d'Elomire, pour les gens que l'on y croit y voir jouer, de la pièce, car l'on sait bien qu'il ne s'en pique pas. Si l'on court à tous les ouvrages comiques, ce pour ce que l'on y trouve toujours quelque chose qui fait rire, et que ce qui en est méchant, et même hors de la vraisemblance, est quelquefois ce qui divertit le plus. Les postures contribuent à la réussite de ces sortes de pièces, et elles doivent ordinairement tout leurs succès aux grimaces d'un acteur. Nous en avons un exemple dans l'École des Femmes ou les grimaces d'Arnolphe, le visage d'Alin, et la judicieuse scène du Notaire ont fait rire bien de gens ; et sur le récit que l'on en à fait, tout Paris a voulu voir cette Comédie ; mais Elomire ne doit pas pour cela publier que tout Paris regarde l'École des Femmes comme un chef-d'oeuvre puisque hors ses amis qui voient ses ouvrages avec d'autres yeux que les autres, tout le monde en a d'abord reconnu les défauts. Ceux qui en virent la première représentation se souviennent bien qu'elle fut généralement condamnée, et quoi que le mal que l'on dit d'un ouvrage vienne rarement aux oreilles d'un auteur, Elomire en a depuis oui conter les défauts à tant de monde, qu'il a cru en devoir faire lui-même une Critique, pour empêcher les autres d'y travailler ensuite ; ce qui fut cause que je fus ensuite ma Zélinde, voyant qu'il avait agi en père, et qu'il avait eu trop d'indulgente pour ses enfants, il dit qu'il peint d'après natures ; cependant quoi que nous voyons bien des jaloux, nous en voyons peu qui ressemblent à Arnolphe, ce pourquoi il se devrait donner encore plus de gloire, et dire qu'il peint d'après son imagination ; mais comme elle ne lui peut représenter des héros, je suis assuré qu'il ne nous en fera jamais voir s'ils ne sont jaloux. Ce sont là les grands sentiments qu'il leur inspire, et la jalousie est tout ce qui le fait agir depuis le commencement jusques à la fin de ses pièce sérieuses ; aussi bine que de ses comiques, et puisqu'il y met si peu de différence, je ne sais pas pourquoi qu'il assure que les pièces comiques, doivent l'emporter sur les sérieuses. Pour moi, ce n'est pas mon sentiment et les raisons que je vous en vais donner vous feront connaître, que l'on doit être beaucoup plus estimé pour avoir fait une bonne pièce sérieuse que pour en avoir composé un grand nombre de Comiques. Pour faire parler des héros il faut avoir l'âme grande, ou plutôt être héros soi-même ; puisque le grands sentiments que l'on met dans leur bouche et les belles actions que l'on leur fait faire, font plus souvent tirées de l'esprit de celui qui les fait parler, que de leur histoire. Il n'en va pas de même des fous que l'on peint d'après nature ; ces peintures ne sont pas difficiles, l'on remarque aisément leurs postures : on entend leurs discours l'on voit leurs habits : et l'on peut sans beaucoup de peine, venir à bout de leur portrait. Mais dans celui des héros, il faut que le jugement et l'esprit s'y fassent remarquer ; et comme l'histoire ne fournit que le premier trait de ces portraits parlants, si l'on n'a tous les sentiments d'un héros, l'on ne peut ajouter ce qui manque à leur histoire, n'y enfanter les sentiments que l'on doit donner. L'on peut voir par là, que ces peintures ne sont pas si faciles à faire que nous veut persuader Elomire : on ne brave pas toujours la fortune en vers ; l'on n'accuse pas toujours les devins et l'on ne querelle pas toujours les Dieux : l'on donne plus souvent des modérations aux héros : l'on les fait quelquefois parler en politiques et l'on leur donne, en les faisant aimer, des sentiments digne de leur naissance. Si pour bien représenter des héros et entrer dans leur caractère il faut être capable d'avoir leurs pensées, je vous laine à deviner les belles qualités que l'on doit avoir pour bien dépeindre des personnes ridicules. Il est aisé de connaître par toutes ces choses, qu'il y a au Parnasse mille places de vides entre le divin Corneille, et le Comique Elomire, et que l'on ne les peut comparer en rien : puisque pour les ouvrages, le premier est plus qu'un Dieu, et le second est auprès de lui, moins qu'un homme ; et qu'il est plus glorieux de faire admirer par des ouvrages solides que de faire rire par des grimaces des turlupinades, de grandes Perruques, et de grands Canons. Le nom de Monsieur de Corneille, que nous pouvons justement appeler la gloire de la France, est adoré dans toute l'Europe et comme il à travaillé pour la postérité, tout le monde publie hautement qu'il mérite de l'encens et des statues. Ses copies font plus estimées que les originaux qu'Elomire nous veut faire passer pour des chef d'oeuvres beaucoup plus difficiles que des ouvrages sérieux. Lors qu'il dit qu'il les peint d'après nature il confesse, qu'il n'y met rien du sien, ce qui ne le doit pas tant faire admirer qu'il s'imagine. Il veut encor nous persuader pour, rendre sa cause bonne, que les François n'aiment qu'à rire ; mais il fait voir par là qu'il les estime peu puis qu'il ne les croit pas capables de goûter les belles choses.

Comme il se rencontre souvent des gens qui jugent sur de fausses apparences, je crois vous devoir dire encor avant que de finir, que dans tout ce que j'ai écrit contre les Comédies d'Elomire, je n'ai point prétendu de toucher à sa personne. Je veux croire qu'il est honnête homme et j'aurais tort de dire le contraire ; puis que je ne sais point les particularités de sa vie. Mais quand je les saurais, je n'en parlerais point puisque ces sortes des choses n'ont rien à démêler avec l'esprit. Je puis après cet aveu lui dire, comme il fait aux Marquis, que tout ce que j'ai écrit contre ses Comédies, qu'il n'interprète rien à son désavantage, et qu'il ne croie point que je parle à lui, lorsque j'y songe le moins.

Quand aux productions d'esprit, il n'y a point de lois dans l'Empire des Lettres qui défendent de les attaquer, et ceux qui s'en fâchent, font voir une crainte qui leur est honteuse, et donnent à connaître par là, qu'ils se défient de leurs forces. C'est ce qu'Elomire ne fait pas, ses progrès sont trop grands pour se défier des siennes ; et tout ce que l'on écrit contre lui ne sert qu'à faire voir qu'il triomphe. J'en demeure d'accord avec tous ses amis, et c'est par là que je crois qu'il m'est permis de lui dire tout ce qu'il me plaira. Je le traite comme les plus grands hommes de l'Antiquité et je suis l'exemple des Romains, qui permettaient à tout le monde de dire aux vainqueurs toutes leurs vérités le jour de leur triomphe. La joie que cette gloire lui donne le doit empêcher de reconnaître celle que je lui dis ; peut-être que s'il ne triomphait pas qu'il les reconnaîtrait, et qu'il en profiterait tout ensemble. Mais qu'il en profite ou non, il aurait mauvaise grâce de s'en plaindre. Ceux qui jouent tout le monde, doivent, sans murmurer souffrir que l'on les attaque puis qu'ils en fournissent le sujet, et que l'on ne fait que leur rendre ce qu'ils prêtent aux autres : C'est pourquoi s'il en formait la moindre plainte, l'on pourrait lui dire qu'il n'est ni plus illustre que les grands hommes qui ont triomphé chez les Romains, ni de meilleure maison que les Marquis, desquels il ne parle pas avec tant de modérations que je fais de lui puis qu'il attaque jusques à leurs personnes.

Après vous avoir tant parlé d'auteurs et de Comédie, il est bon que je vous dise un mot des nouvelles que je vous envoie. Comme elles ont toutes deux quelque chose d'assez particulière et que les sujets n'en font point rebattus, je crois qu'elles vous divertiront. Peut-être me direz-vous, qu'après avoir tant parlé des Nouvellistes dans mes "Nouvelles Nouvelles", je n'en devais pas mettre, un, dans "Les soirées des Auberges" ; mais vous devez prendre garde ne sert quasi de nombre, et que j'ai cru ne pouvoir mettre quinze ou vingts personnes ensemble, sans qu'il y en eut. Je ne vous parlerai point ici de l'avantage de ces deux Nouvelles et n'excusera point des fautes que tout le monde ne connaîtra peut-être pas. Je vous dirai seulement que j'ai fait "l'Apothicaire de qualité" pour ce que l'on m'a entré chez une Dame, et l'ayant trouvé en état de recevoir un lavement, lieu avait donné, sans qu'elle s'en aperçut et s'était après retiré, sans être vu de personne. Je ne le sais que sur le rapport que l'on m'en a fait, et vous pouvez croire que si j'avais tout vu, l'affaire ayant eue des témoins, ne serait pas arrivée de la manière l'on la raconte. Tout le reste de la Nouvelle, est de mon invention, et comme le donne et beaucoup de mérite, et beaucoup d'esprit au Galant et à la Dame, je crois que si l'aventure est véritable, les justes personnes à qui elle est arrivée ne se doivent pas plaindre de moi. Si le fameux Voiture n'avait point dans ses écrits, rendu le mot de Cul familier, je croirait qu'il pourrait blesser les oreilles de quelques personnes délicates mais j'ai cru que je ne pouvais faillir après l'exemple d'un si galant homme.

Je suis.

 


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