******************************************************** DC.Title = L'HIVER, COMÉDIE. DC.Author = Abbé d'ALLAINVAL DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:02:12. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ALLAINVAL_HIVER.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5814947z DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'HIVER COMÉDIE en TROIS ACTES avec un PROLOGUE Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, le 19 février 1753. M. DCC. XXXIII. par M. d'ALLAINVAL Représentée la première fois le 19 février 1733, au Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. PERSONNAGES L'HIVER. COMUS. L'HYMEN. LE PHARAON. LE BAL. LA MODE. LA MÉDISANCE. LA VOLUPTÉ. HECTOR CRIQUET. BACCHUS. Les Jeux et les Ris de la Suite de l'Hiver. La scène est à Paris. L'HIVER SCÈNE PREMIÈRE. L'HIVER seul, en habit fourré site un manchon. Des vrais plaisirs, unique asile ;Paris, c'est l'Hiver que tu vois :Las de régner au Nord, il vient, heureuse Ville,Dans tes murs enchanteurs, se délasser trois mois.Ne tremble point à voir mes neiges et mes glaces, Au rôle de Vieillard le fort m'a condamné,Mais le Printemps, malgré sa jeunesse et ses grâces,N'en est pas moins mon frère aîné.Bacchus, les Ris, les Jeux, sont toujours sur mes traces,[Note : Barbon : vieillard qui est revenu de tous les plaisirs de la jeunesse, qui les condamne et qui les empêche autant qu'il peut. [F]]Et sous cet attirail barbon, [Note : Vert galant : jeune homme sain, et vigoureux, qui est propre à l'amour. [F]]J'ai le coeur vert-galant, enjoué, vif, aimable ;J'ai toujours bon vin, bonne table,Et je n'ai pas toujours les mains dans mon manchon. SCÈNE II. L'Hiver, Comus. L'HIVER. Mais j'aperçois Comus, charmant Dieu de la joie. COMUS. Dieu de l'Hiver, c'est vous ? Quoi déjà de retour ? Quel bon vent sitôt vous renvoyé ? L'HIVER. Le désir de revoir dans ce riant séjour,De toutes parts cent beautés réunies,Et tant de folâtres géniesQui parleurs traits badins égayeront ma Cour. COMUS. Mais à propos de Cour, je n'y vois point paraîtreMes enfants, les Jeux et les Ris :Ils vous suivent toujours, peut-être ? L'HIVER. Oui, Comus, ils seront sur le soir à Paris ;Mais pourras-tu les reconnaître ? COMUS. Comment ? L'HIVER. Par l'air du Nord, ils sont plus engourdis,Qu'un épais Seigneur de finance. COMUS. Et pour avoir trop vu le bon Bacchus, je pense ? L'HIVER. Mais... Oui ; car vivre, est boire en ces pays. COMUS. Ah les petits vilains ! Quoi malgré ma défense...Ah patience, patience,Je vous les rends ce soir plus vifs, plus étourdis ;Qu'un Petit Maître où de robe ou d'épée. L'HIVER. Appelles-tu cela les mettre à la raison ? Mais m'as-tu fait une maison ? COMUS. Votre attente n'est point trompée ;J'ai déjà retenu quatre gros cuisiniers,Fiers, brillants d'embonpoint, plaignants peu les dépenses.Professeurs en leur art : ils ont pris leurs licences Chez de riches fermiers. L'HIVER. Peste la bonne école ! COMUS. Item quatre Officiers.Qui chez des Dévots mémo ont fait des confitures.Es-ce là prendre ses mesures ? L'HIVER. À merveille ! COMUS. Tubleu, je me connais en gens ! L'HIVER. Voilà ma table assez bien établie ; Mais pour d'autre plaisirs du moins aussi piquants,Comus, de tes heureux talents, Que puis-je espérer je te prie ? Car avec toi je n'en sais pas le fin,Je viens ici mener une joyeuse vie. COMUS. Vous êtes un vieux libertin,Et vous ne serez jamais sage : Aussi tous ces Guerriers vous aiment à la rage. L'HIVER. Du moins avec regret ils me quittent toujours. COMUS. C'est que vous les menez pleins d'honneurs et de joie,Dans de certains quartiers où les mains des AmoursFilent pour eux des jours d'or et de joie. L'HIVER. Condamnes-tu mon penchant amoureux ? COMUS. Moi ? Vous ne me connaissez guère.Livrez-vous aux plaisirs, l'Hiver est fait pour eux ;Vous valez mieux que pas un de vos frères. L'HIVER. Oui ma foi. COMUS. Le Printemps est fade, doucereux,Étalant partout les fleurettes ;Vous diriez d'un Abbé qui d'un air langoureuxÀ son Agnès soupire des sornettes. L'HIVER. Et l'Eté? COMUS. [Note : Flandrin : Sobriquet que l'on donne aux hommes élancés. C'est un grand flandrin. Il est du style familier. [Ac]]C'est un grand flandrin,[Note : Robin : Terme de dénigrement. Homme de robe. [L]]Plus endormi mille fois qu'un robin,Que le moindre travail, la plus petite peine,Met en sueur, ou hors d'haleine. L'HIVER. Mais, pour l'Automne ? COMUS. Ah si ; son mérite est son vin ;Et s'il faut qu'à vous je m'explique,C'est un ivrogne, et des plus reconnus. L'HIVER. À propos d'ivrognes : Comus,M'as-tu bien retenu des suppôts de Musique. COMUS. Le concert a voulu se traîner jusqu'ici,Mais il était si faible et si transi,Qu'il est mort de froid sur la route. L'HIVER. Mais j'aurai des comédiens ? COMUS. Si vous en aurez ? Oui sans doute ; Des Français, des Italiens ;[Note : Phoebus : dieu fabuleux de l'Antiquité, qui est le même qu'Appolon ou le Soleil, frère de Diane. [F]]Pour les Français, Phoebus même s'emploie. L'HIVER. Pour obliger ce Dieu, je les prends avec joie. COMUS. [Note : Momus : Dieu de la raillerie et des bons mots, fils du Soleil et de la Nuit, selon Hésiode. [B]]Pour les Italiens Momus vous parlera,Et Mercure pour l'Opéra. L'HIVER. À la bonne heure. COMUS. Enfin, Seigneur, c'est une rageComme l'on montre des désirsDe travailler à vos plaisirs ;Grands et petits briguent cet avantage, Usuriers, beautés de tout âge.Combien d'originaux je vous ai retenus !Poètes, charlatans, danseuse blonde et brune,[Note : Camus : on dit proverbialement qu'un homme est bien camus (...) pour dire qu'il a été bien trompé, qu'il est déchu de ses prétentions, qu'il est bien honteux. [F]]Plaideurs désoeuvrés et camus,Coquette surannée aboyant à la lune : [Note : Grotesque : figure capricieuse de peintre, de sculpteur, de graveur, qui a quelque chose de ridicule, d'extravagant, de monstrueux, telles que sont celles dont on pare les grottes. [F]]Plus un peintre en grotesque ; il peint les parvenus. L'HIVER. Mais aurai-je une femme? COMUS. Il en est venu milleMais vous êtes si difficile... L'HIVER. Moi difficile ? non, Comus, [Note : Affetterie : les paroles et les actions d'une personnes affétée, c'est à dire qui agit en affectant une manière coquette et trop efféminée. [F]]Je veux de la beauté ; mais sans affetterie,Des grâces sans minauderie ;[Note : Coquetterie : affectation de plaire pour se faire aimer. [F]]De la gaieté, mais sans coquetterie ;De l'esprit, mais sans précieux;De la vertu, mais sans rudesse. COMUS. Une femme de cette espèce,Est rare même dans les cieux ;J'espère encor pourtant, et dans ces lieuxIl en est qui sauront vous plaire. L'HIVER. Mais on vient. COMUS. C'est quelqu'un qui cherche de l'emploiDans votre cour. L'HIVER. C'est ton affaire ;Je le laisse avec toi :Je vais me délasser un instant du voyage,Tu peux le renvoyer ou bien le recevoir, Cher intendant ; mais songe à me pourvoir. Il s'en va. SCÈNE III. Comus, L'Hymen. L'hymen est habillé de jaune de la tête aux pieds ; il a un bonnet qui se termine en croissant. COMUS. Mais, que vois-je ? L'Hymen, le Dieu du mariage ? L'HYMEN. Tu vois, Comus : l'Hiver est, dit-on, en ces lieux. COMUS. Oui, les vents, ses porteurs, l'ont mis sur ce rivage. Il arrive à l'instant. L'HYMEN. Tant mieux ;Même on dit qu'il a pris : quelque goût pour la noce ? COMUS. Oui, d'en tâter trois mois, il serait curieux ;Comme les gens de guerre il épouse en tous lieux. L'HYMEN. Ventrebleu, le joli négoce ! COMUS. Mais, te voilà bien habillé !On le voit bien, fripon, vous hantez les Notaires. L'HYMEN. Ah ! C'est depuis que je me suis brouilléAvec l'amour, j'en fais mieux mes affaires. COMUS. Comment donc ? L'HYMEN. Avec lui je ne finissais rien ;Pendant un siècle il faisait des mystères ;Avant qu'il me permît d'unir dans mon lienUn amant avec sa maîtresse.Sont-ils égaux, disait-il, en noblesse, En âge, en bien,Et leur humeur se convient-elfe ?Sentent-ils l'un pour l'autre une ardeur mutuelle ? COMUS. Bon ! C'est bien de cela dont il est question !L'Amour aima toujours la bagatelle. L'HYMEN. Quand il voulait sans moi faire quelque union ;Il ne lanternait point, il allait au fait, zeste ;Présentement je viens, je vois, j'unis. COMUS. La peste. L'HYMEN. Quand il s'agit de matrimonion L'homme doit brusquer l'aventure. COMUS. Sans doute. L'HYMEN. [Note : Plutus : dieux des Richesses. [F]]Avec Plutus je suis associé. COMUS. Autre aveugle : ma foi, te voila bien lié !Mais, notre cher Hymen, selon ce que j'augure Tu n'aimes pas les clairs-voyants. L'HYMEN. Plutus a maintenant un carquois et des flèches,Et tous ses coups sont surprenants. COMUS. Ce n'est pas dans les coeurs qu'ils vont faire des brèches. L'HYMEN. Par ses ordres j'unis. Avec l'adolescent l'antique douairière ;À l'aimable tendron, l'époux sexagénaire ;Et le véritable Marquis,Avec la fille du commis.En vain la vertu toute nue, Mais de mille charmes pourvue,À son secours m'appelle nuit et jour ;À ses soupirs je fuis plus sourdQu'un secrétaire,Qu'un plaideur, la main vide, instruit de son affaire. COMUS. Diantre ! L'HYMEN. Ce n'est pas tout. COMUS. Que fais tu donc de pis ? L'HYMEN. L'Amour aime les gens de guerre ;Pour me venger de ses mépris.Je les barre par toute terre. Quand j'en vois un qui veut se marier,Aux parents de la fille alors je cours crier ;Prendre un guerrier pour gendre, hélas ! c'est prendre un maître ;Bientôt à vos dépens il le ferait connaître :Il vous tourmenterait et vous et vos fermiers, Vous verriez votre bien passer aux usuriers ;Cependant votre fille en un triste villageVivrait à peu de frais, pour qui ? Pour un volageQui loin d'elle en tous lieux, plein d'une folle ardeurÀ d'autres porteront et ses voeux et son coeur ? Il reviendrait un jour, victime de la guerre ;Sans jambes et sans bras, avec un oeil de verre ;Le beau meuble, Messieurs, pour sa jeune moitié,Qu'un pauvre époux qui ne fait que pitié !Oh je n'achète pas cher un invalide, Répondent les parents, que l'avis intimide;Entre l'amour et moi jamais de paix ;Pour les guerriers, jamais de mariage. COMUS. De sa mauvaise humeur l'Amour les dédommage,Et le plus souvent à tes frais. Ami, retire-toi, je vois une brunetteQui vient apparemment pour épouser l'Hiver. L'HYMEN. Pour l'épouser ? Quoi son empletteN'est pas faite ? COMUS. Non, il ne veut rien prendre en l'air. L'HYMEN. Pour un bail de trois mois, c'est être difficile.[Note : Iris : divinité fabuleuse des Anciens, que les poètes ont feint être la messagère de Junon. [F]]Je laisse avec toi cette Iris.Quand je pourrai vous être utile,J'ai mon temple à deux pas dans un champ de soucis. SCÈNE IV. Comus, La Mode. LA MODE, sautant au col de Comus. Cher Comus, que je vous embrasse. COMUS, la repoussant. Comment donc, s'il vous plaît ? LA MODE. Quoi ! Vous me rebutez ? COMUS. Vous avez l'abord tendre. LA MODE voulant l'embrasser. En vain vous résistez. COMUS la repoussant encore. Madame finissez, de grâce. LA MODE. Comment, Dieu de la joie, et quel accueil glacé ? COMUS. Embrasse-t-on les gens sans les connaître ? LA MODE. Sans les connaître ? Moi ? vous vous moquez peut-être.À la Cour de l'Hiver, je vous vis l'an passé. COMUS. Non, je ne vous vis de ma vie. LA MODE vivement et gaiement. Quoi tout de bon ? COMUS. Tout de bon. LA MODE. Quel plaisir !Comus me méconnaît, j'en ai l'âme ravie. Elle rit comme une folle. COMUS la considérant. Quel vertigo vient la saisir ?Un manchon d'une main, un éventail de l'autre ?Elle a l'esprit troublé, je ne m'y méprends plus. LA MODE. Comus me méconnaît, quelle gloire est la nôtre !Que vous me charmez, cher Comus,Et que ce compliment est flatteur, agréableC'est mon mérite à moi d'être méconnaissable :Je change tous les jours, Au moindre vent d'habit et de visage,D'esprit, de geste, de discours,De caprices, d'humeur, sans en être plus sage ;Incessamment je cours du blanc au noir ;Ce qui me plaît ce soir. Me déplaira demain, j'en suis certaine. COMUS. Mais votre nom ? LA MODE. Il vous est bien connu ;Je suis la mode. COMUS. Oui, qu'il vous en souvienne, Divinité parisienne ;Fille de la folie et du premier venu. COMUS. Qui diable vous eût devinée ? LA MODE. Depuis neuf moisVous me trouvez donc bien changée ? COMUS. Plus extravagante cent fois. LA MODE lui faisant une profonde révérence. Comus peut-être me cajole,Sa politesse... COMUS. Ah croyez-moi,Quoique intendant je suis de bonne foi,Je ne vous vis jamais si folle, Vous charmerez l'Hiver sur ma parole. LA MODE. Oh vraiment je l'ai bien compté,Je me sens là-dedans une vivacité :Et mille inventions cornues :Le pauvre Dieu d'Hiver, au milieu de sa cour, Avec moi sera chaque jourComme tombé des nues ;Mon plan est déjà tout dressé. COMUS. De grâce, tracez-m'en une légère image. LA MODE. Volontiers. Par exemple il laissa l'an passé Les Médecins en lugubre équipage,En habit noir, manteau, rabat, petits cheveux.Le sourcil sombre et ténébreux,L'accueil farouche ; enfin toutes les marquesQui doivent distinguer les ministres des Parques. COMUS. Ils tutoient du coup d'oeil. LA MODE. Je les ai déguisésEn Adonis ; j'ai mis leurs personnes charmantes ;Sous les couleurs les plus brillantes.Ils sont brodés , poudrés, frisés,Ils ont des teints fleuris, des yeux vifs, des voix claires Comme des courtisans, même des airs aisés :Enfin vous les croiriez d'aimables mousquetaires,S'ils n'étaient pas un peu trop empesés ;Bref, la seringue et la lancette en FranceVont aujourd'hui sous le velours. COMUS. Ces Charlatans sont gens sans conséquence. LA MODE. Ces Médecins chez eux tapis comme des Ours ;Lisaient des bouquins Grecs, Arabes... COMUS. Ils en tiraient cent barbares syllabesDont ils éblouissaient les gens. LA MODE. [Note : Gazette : petit imprimé, cahier, feuille volante, qu'on débite toutes les semaines, qui contient des nouvelles de toutes sortes de pays. [F]]Je leur fais lire à présent les Gazettes,Les Livres de bons mots, et les nouveaux Romans :[Note : v. 278, on lit « farois », nous remplaçons par « féru ».]Ils sont toujours féru de chansonnettes,De Brevets de Calotte ; et de telles sornettes ;[Note : Caquet : Abondance de paroles inutiles qui n'ont point de solidité. [F] ]De caquets du quartier ; d'un malade aux abois, Ils vont en égayer l'oreille. COMUS. Et les guérirent-ils ? LA MODE. Serait-ce donc merveille ?On les en voit rater tout autant qu'autrefois. COMUS. Qu'appeliez-vous rater ? LA MODE. Guérir, c'est même chose. Hé bien, que dites-vous de la métamorphose ? COMUS. Vous êtes trop plaisante, et l'Hiver en rira. LA MODE. C'est le moindre des tours que ma gaieté projette. COMUS. Avez-vous des suivants avec ces travers-là ? LA MODE. Une femme plutôt voudrait être coquetteQue de n'être pas ma sujette. COMUS. Vous changez si souvent de goût, que quelque jourPour le mérite enfin vous prendrez de l'amour. LA MODE. J'en ai voulu tâter ; Misanthrope incommode,Il contrôlait toutes mes actions,Il voulait réprimer toutes mes passions. Oh vive un pied plat pour la mode,Il ne connaît la honte, ni l'honneur,'Mes caprices font son bonheur. COMUS. Vous en jouez comme d'une pagode. LA MODE, follement. À propos je vous quitte, et je cours de ce pas... COMUS. Déjà ? Quelle importante affaire...L'Hiver est arrivé, vous avez des appas,Il pourrait pour épouse... LA MODE. Oh je n'épouse pas.Je reviendrai, je cours dire à ma couturière,Que l'habit que tantôt j'avais imaginé, Me paraît déjà vieux pour le goût et l'ouvrage !À tantôt, cher Comus. Elle part en courant. COMUS. Soyez toujours bien sage...Mais que cherche ce forcené. SCÈNE V. Comus, Le Pharaon. LE PHARAON, mal habillé et enveloppé dans un manteau courant sur le théâtre. Où suis-je... où me cacher... Ah grâce... Il se jette à genoux tourné vers le côté d'où il vient de sortir.Messieurs, je vous quitte la place ;Vous ne me verrez plus ici sur mon honneur ;Je sors de Paris dans une heure,Ou je meure. COMUS. Tout Dieu que je me sens, ce drôle me fait peur, C'est sans doute un voleur. LE PHARAON, se rassurant. Mais du Dieu de l'Hiver c'est ici la demeure ;Et j'aperçois Comus, Bonjour Seigneur...Quoi vous, tremblez ! Allons qu'on se rassure, Je suis un Dieu d'honneur, un Dieu Gascon ; Je m'appelle le Pharaon. COMUS. Le Pharaon ! Quelle triste aventure,Vous a poursuivi jusqu'ici ? LE PHARAON. Vous en allez être éclairci.Ci-devant dans toutes les rues J'avais des Temples à Paris,Où de mes zélés favoris,Je voyais chaque jour accourir les recrues ;Parieurs délit», par leurs clameurs,Par leurs craintes, par leurs fureurs, Par leur désespoir, par leur rage,Par d'horribles contorsions,Et par mille imprécations,Ils m'exprimaient leur tendre hommage. COMUS. Le beau style, le beau langage ! LE PHARAON. Tout mes honneurs aujourd'hui font cessez, Tous mes Temples sont renversés,Je n'ai pas un grenier, je n'ai pas une cave,Pas un seul trou pour me fourrer.Partout mon ennemi me brave, Et me vient déterrer ;Voyez, jugez par mon désordre. Il entrouvre son manteau. COMUS. Cet ennemi quel est-il ? LE PHARAON. Le bon ordre,Un Dieu qui voir plus clair qu'Argus. Four m'échapper de lui, mes soins sont superflus,Son nez lut dit où je puis être :'Tout à l'heure il m'avait barré tous les chemins,Et je n'ai pu me sauver de ses mainsQu'en me jetant par la fenêtre. COMUS. Je plains l'état où vous voilà. LE PHARAON. Tous pourriez réparer ce mal... COMUS. Comment cela ? LE PHARAON. À l'Hiver faites moi connaître ;Qu'il me loge pour grand merci,Je vous divertirais... COMUS. Eh de quelle manière ? LE PHARAON. Et tandis par mon savoir-faire.Vous verriez arriver ici,En cortège nombreux, en brillant équipage; Un Marquis du bel air, riant et sans souci ;Dès qu'il m'aurait fait son hommage, Vous l'en verriez sortir triste, pâle, transi ;La fureur dans la bouche, et la vue égaréeSans Marquisat, à pied et sans bijoux, sans livrée ;[Note : Cadedis : Jurement qu'on met habituellement dans la bouche des Gascons. [L]]Je donnerais le tout au premier Cadedis.Vous verriez la Comtesse aimable Qui montre pour mon culte un zèle infatigable ,Me sacrifier tout, bagues, joyaux de prix,Meubles.... enfin jusques à ses habits. COMUS. Et garder assez mal le reste. LE PHARAON. Pour orner mes autels la chicane funeste Souvent immolerait la veuve et le mineur, Et le Marchand impitoyable,M'apporterait avec ardeur,Ce qu'une usure abominable,Lui ferait arracher au prodigue Seigneur. COMUS. Le tout irait souvent aux mains d'un misérable. LE PHARAON. Bref ; à Plutus il faut des dix, vingt ans,Pour métamorphoser des laquais en traitants ;Pour changer un faquin en homme d'importanceJe ne demande, moi, qu'un jour, moins quelquefois. COMUS. Cet habit prouve mal votre rare science ;Pour faire croire vos exploitsVous êtes, notre ami, trop mal dans vos affaires. LE PHARAON. Vous en êtes surpris ? Hé donc ! Depuis un mois ;J'ai passé par les mains de quatre Commissaires : Mais vous allez m'arracher de ce pas ;À l'Hiver menez-moi tirer ma révérence. COMUS. Qui ? Moi, non ne l'espérez pas.Si vous ne faisiez connaissanceQu'avec des gens d'usure ou de finance, L'Hiver vous verrait volontiers. [Note : Une rature remplace "jusqu'" par "jusques"]Plumer jusques au vif ces vautours de la France.Mais il vient ici des guerriersDont nous chérissons la présence ;Vous voudriez d'abord vous lier avec eux : De votre adresse infortunée,Et de votre commerce affreux,Ils mordraient les doigts le reste de l'année.Allez ailleurs chercher fortune. LE PHARAON. Eh du moins attendez qu'il soit un peu plus tard ; Je me sauverai sur la brune,Chez quelque Comte de hasard. COMUS. Non sans réplique et sans excuse,Sortez vite... LE PHARAON. Ha ha ha. COMUS. Vous riez ? LE PHARAON. Oui, ma foi.Vous croyez me fâcher, et vous êtes bien buse, Car vous y perdez plus que moi.Avec un Intendant, je sais comme on en use,D'un pot de vin, en bel argent comptant,J'aurais payé votre entremise ;Vous me regretterez, et je pars à l'instant : Je vais faire briller mon mérite à Venise,Où Mons du Carnaval m'attend. Il s'en va. Et après quelques pas il se détourne.Ah !... Vous me rappelez ?... COMUS. Qui, moi ? Je vous rappelle ? LE PHARAON. Oui, vous jouez de la prunelle :Vous voudriez raccrocher mes écus, [Note : Sandis : Espèce de jurement gascon. Sang, et dis pour Dieu. [L]]Sandis ; vous ne me tenez plus ;Aux regrets, je vous abandonnes.Une autre fols soyez moins fier, Comus,Avec un Dieu de la Garonne. COMUS. Le coquin ! Son sang-froid m'étonne. SCÈNE VI. Comus, Le Bal en domino noué sur le côté, un masque à la main. LE BAL dansant et chantant. La, la, la, la, la, la, la, la. COMUS. Ah le bel enfant que voilà ! LE BAL. La, la, la,la, la, la, la, la. COMUS. Cette gaieté, ce beau visage,Et cette taille faite au tour, M'annoncent sans doute l'Amour ? LE BAL. Qui, moi l'Amour ? Fi donc ; ce brillant étalageAnnonce-t-il un pauvre Dieu,Qui n'ayant plus ni feu ni lieuEst contraint de vivre au Village ? COMUS. Il est vrai de l'Amour, le Champs sont l'apanage. LE BAL. Le jour que je naquis, que j'excitai de ris ! Car tout l'Olympe était en fête,Et de me voir l'Hymen fut si surpris.Que les cornes soudain lui vinrent à la tête. COMUS. Mais qui donc êtes-vous ? Peste ! LE BAL. Du Carnaval,Je suis fils naturel et frère de la Danse,Mercure éleva mon enfance. COMUS. L'habile Précepteur ! Votre nom est ? LE BAL. Le Bal. COMUS. Ah, je ne vous connais guère. LE BAL. Je le crois bien, car je dors tout le jour :Ce sont les Dieux bourgeois que le soleil éclaire, Ils reçoivent l'encens tandis qu'il fait son tour.Pour moi, pour mes joyeux mystères,Vive la nuit, et ses sombres lumières. COMUS. Que vous devez avoir une gaillarde Cour ! LE BAL. Ah je vous en réponds : avec ce masqueJe fais tous les jours quelque frasque ;Et j'ose défier l'Amour et tous ses traitsDe faire les coups que je fais. Ils tiennent ma foi du miracle. COMUS. Vous me surprenez, et comment ? LE BAL. Ce masque fait parler un sot comme un Oracle :Le trop timide amantQu'un respect du vieux temps aux genoux de sa Belle, Retenait plus interdit qu'elle,Devient avec ce masque entreprenant, hardi. COMUS. En amour, vive un étourdi. LE BAL. Jamais avec ce masque il ne fut de cruelle.Ce masque change en beauté la laideur ; En tendron, l'antique femelle.Cette prude dont la pudeurAu seul nom d'un Amant était sur le qui-vive ;Lui prête avec ce masque une oreille attentive,Et son hypocrite froideur, Devient une brûlante ardeur. COMUS. Elle savoure à longs traits la fleurette. LE BAL. Avec ce masque une fine coquette ;[Note : Agnès est un personnage de l'Ecole des Femme de Molière (1662), synonyme de fraîcheur et de naïveté.]À l'étranger se donne pour Agnès. COMUS. Non, l'étranger ne s'y trompe jamais : Mais comme nos Marquis cherchent la gloire aisée,Plus une belle est décriée,Et pour lui plus elle a d'attraits. LE BAL. Ce masque rend le Commis supportable,Et la provinciale aimable. Sous le masque une femme enchante son mari,Et le mari charme sa femme. COMUS. Mais du visage de la DameSi le masque tombait ; le beau charivari ! LE BAL. Tant pis pour eux. Comus, de mon espièglerie, Vous allez voir des tours joyeux. COMUS. Qu'allez-vous faire, je vous prie ? LE BAL. En entrant dans ces lieuxJ'ai rencontré vos fils, les Ris, les Jeux ;Je leur ai dit le plan de mon étourderie : Et quoique ivre, Bacchus va venir avec euxAux noces de l'Hiver ; car, moi, je le marie. COMUS. Vous mariez l'Hiver ? LE BAL. À la Danse ma soeur. COMUS. Que voulez-vous qu'il fasse d'elle ? LE BAL. Ce que je veux qu'il en fasse ? Elle est belle. COMUS. Oui ; mais pour un barbon, la danse me fait peuC'est, entre-nous, une étrange commère. LE BAL. Elle a quand il lui plaît moins de vivacité,Selon les Gens elle est grave, tendre, ou légère. COMUS. Pour le front quelle sûreté, Qu'une femme qui change ainsi de caractère ! LE BAL. Une Jeune beauté, Cher Cornus, est comédienne née ;[Note : Protée : c'est un nom qu'on donne aux personnes inconstantes, ou trompeuses, qui changent de profession, qui paraissent sous différentes figures (...) principalement pour tromper les autres. [F]]C'est un Protée.Veut-elle plaire à l'homme de Palais, Ou, bien au Financier ? Elle est simple, innocente, Le Bal contrefait ces trois caractères.Naïve, timide, tremblante ; Elle rougit de tout, c'est une Agnès, Veut-elle prendre en ses filets Un Petit-Maître ? Elle est enjouée, indiscrète ; Elle assomme de son caquet,Elle est folle, étourdie ; et c'est une coquette A-t-elle des desseins sur un petit collet ?La voilà sombre, sérieuse,Vindicative, précieuse ; De tout le monde elle médit,Et hardiment se loue et s'applaudit ;C'est une Prude. Enfin sans qu'on s'en doute,D'un rôle à l'autre elle passe à son choixEt sans que la chose lui coûte. COMUS. Elle jouerait cent rôles à la fois,Avec tous ces talents qu'en votre soeur j'admire,L'Hiver pourra l'aimer ; mais je dois vous instruire,Qu'il n'épouse que pour trois mois. LE BAL. Tant mieux ; en faut il davantage ? Après trois mois de mariage ;Le plus aimable époux, plaît-il encor longtemps ?Ma soeur ne fit jamais de bail à vie,Et quand l'Hiver faussera compagnie,Elle compte épouser tour à tour le Printemps L'Eté, l'Automne. COMUS. Votre soeur est une aimable friponne !Mais malgré tous ses agréments,Je doute que l'Hiver pour épouse la prenne. LE BAL. Qu'il la renvoie, ou bien qu'il la retienne, Du moins il l'aimera, pendant quelques moments ;C'est assez pour ma soeur, elle est peu façonnière.Adieu je cours faire avancer mes gens. Il sort en chantant et en dansant. COMUS. L'honnête soeur ! Et le bon frère ! SCÈNE VII. Comus, La Médisance. La médisance est habillée en dévote, sans panier, avec une pointe noir et une espèce de guimpe ou de collet. COMUS. [Note : Douairière : Veuve qui jouit de son douaire. Il ne se dit que des dames de la première qualité. [F]]Mais que veut cette douairière ? Prétend-elle à l'Hiver avec ses cheveux blancs ?Il faut écouter la friponne ;Mais d'avance, elle peut compter sur mes refus. LA MÉDISANCE, doucereusement. Le Ciel vous tienne en joie, agréable Cornus. COMUS. Sans compliment, que voulez-vous, ma bonne ? LA MÉDISANCE aigrement. Ma bonne ! Moi ? COMUS. Quoi ! Ce nom vous étonne ? LA MÉDISANCE doucereusement. Ô Jupiter ! Souffrez-vous ces abus.Moi ! M'appeler ma bonne ? une Déesse ! COMUS, riant. Qui vous ? une Divinité !Que Bacchus fit sans doute en son ivresse. LA MÉDISANCE. Non, traître, je le suis d'un et d'autre côté :L'envieux Momus est mon père,Et ma mère l'Oisiveté. COMUS. Les honnêtes parents ! Votre nom ? LA MÉDISANCE. Le vulgaireM'appelle Médisance. COMUS. Ah, je vous reconnais. LA MÉDISANCE. Je me plais peu chez les petits Bourgeois ;J'y fuis dégoûtante, grossière,Sans façons, sans esprit. COMUS. Mais, chez les gens de Cour ? LA MÉDISANCE. Je n'y parais jamais sous ce nom effroyable, J'en choisis un plus agréable :J'en ai plusieurs que je prends tour à tour,Selon les gens que je fréquente. COMUS. Bon : sous quel nom êtes-vous en ce jour ? LA MÉDISANCE. Avec cette démarche lente, Ces yeux baissés, ce sévère maintien,Cette parure innocente et modeste,Ce ton de voix éteint, et ce doucereux geste ;Je vais trouver des gens de bien. COMUS. Par ma foi, c'est l'entendre. LA MÉDISANCE. Écoutez, je vous prie.Sous un dehors d'austérité,Déguisant ma malignité,Tout sentira les traits de ma furie. COMUS. Fort bien : et votre nom sera ? LA MÉDISANCE. La vérité. COMUS. Qui diantre s'en serait douté ? LA MÉDISANCE. Sortant d'avec ces gens, vive, étourdie, aimable,Toute brillante et d'or et de rubis ;Je me ferai traîner dans un cercle agréableDe Duchesses et de Marquis. Que de plaisirs, et que de risExciteront les charmantes saillies.Et les piquantes railleries,Que je ferai tomber sur mes meilleurs amis.Quel feu, quels traits ! Bons mots de toute espèce. Je contreferai tout, l'air, les tons, les habitsDu Commandeur, de la Comtesse... COMUS. Vous vous appellerez dans ces endroits chéris ? LA MÉDISANCE. Enjouement, gentillesse,Vivacité, délicatesse. COMUS. Les beaux noms que vous avez pris ! LA MÉDISANCE. De là dans un café, bureau des beaux-esprits,En pédant de robe ou d'épée,[Note : Petit collet : (...) on appelle petit collet un homme qui s'est mis dans la réforme, dans la dévotion, parce que les gens d'église porte une petit collet. [F]]En petit collet, en poupée,Par des tons décisifs et d'effroyables cris, Incapable de rien (mais capable d'envie)Je vais fronder tous les nouveaux écrits :Jusques sur leurs auteurs étendant ma furie,Je me crois un docteur sans prix,Et je me fais nommer fine plaisanterie. C'est à midi qu'on y vient m'écouter. COMUS. Mais, vous vous faites détester. LA MÉDISANCE. Que m'importe ? Mais, non : tel qui dit qu'il m'abhorreDans le fond de son coeur m'adore ;Et tel me hait de bonne foi Qui pourtant se plaît à m'entendre.Pour tout ouïr, tout voir, et tout répandre,La Renommée a moins de voix que moi,Moins d'oreilles, moins d'yeux. Nulle chose innocenteQue je ne tourne avec malignité ; Dans un besoin même j'invente. Partout mon esprit est fêté ;On rit dès qu'on me voit paraître ;Et l'on se croit heureux de me connaître. COMUS. Plus heureux qui de vous, ne fut connu jamais. LA MÉDISANCE. Il faut me voir dans un spectacleAvant que l'on commence ; ah, c'est-là que je plais !On m'environne, on m'écoute en oracle :Je promène mes yeux distraitsDe loge en loge ; homme, femme, personne Ne peut échapper à mes traits.Les charmants contes que j'en fais !Voyez cette beauté qui paraît simple et bonne,Dis-je à mes auditeurs, les bons tours que j'en sais !Son sot d'époux dans ce coin l'espionne, Il prête aux jeunes gens à triples intérêts.Ce petit freluquet que vous voyez auprès,Est l'ennuyeux, ou l'amant de la belle ;[Note : Vielle : instrument de musique pour réjouir les gens du peuple, et dont jouent ordinairement les pauvres aveugles. [F]]Il danse, il chante, il joue un air de vielle,Voilà tout son petit savoir ; C'est un échappé de finance,Cependant il faut voir,Comme il fait le gros dos, et l'homme d'importance.Ce beau Marquis qui s'étale là-bas,Qui vient de s'annoncer avec tant de fracas, Est un fat : pour mérite il n'a que sa naissance,Il attend pour parler que sa pièce commence ;Plus haut que les acteurs, alors il parlera,De ses sottises il rira,Ou bien dans les foyers il ira voir la pièce, Et Dieu sait ce qu'il en dira,Et comme hardiment il en décidera,Chez la Présidente Lucrèce,Qui veut passer pour sa maîtresse ;Mais le public s'obstine par malheur ; À la croire femme d'honneur.[Note : Blondin : qui a les cheveux blonds, ou une perruque blonde. "Les coquettes aiment fort les blondins, ce sont de vrais séducteurs de femmes." Molière [F]]Ah... ce blondin qui vient jusqu'aux bords du théâtre,En propre original est la fatuité ;De son air et de sa beauté,Il croit chaque femme idolâtre. Par pitié pour le sexe il vient se faire voir ;Vous ne le verrez point s'asseoir,Il est toujours debout, ou bien il se promène :Malgré les cris du spectateur,Il offusque, il arrête et l'actrice et l'acteur ; En traversant cent fois la scèneCet autre... COMUS. As-tu bientôt noirci tous les mortels ?[Note : Furie : (...) certaines divinités infernales que les poètes païens feignaient entrer dans les hommes pour les posséder ou les tourmenter. [F]]Sors d'ici cruelle furie,Retourne aux Enfers ta patrie ;Des fers éternels, Sont pour toi de trop doux supplices. LA MÉDISANCE. Vous me chassez ? Malgré vous je reviens.Je fuis l'âme des entretiens,Et j'en fais toutes les délices.L'Hiver sans moi ne ferait que bailler ; [Note : Quadriller : jouer au quadrille, qui est une troupe de cavaliers qui qui se réussissent pour un tournoi ou un carrousel.]Sa ressource toujours serait de quadriller :Le jeu n'est que pour ceux qui ne savent rien dire.L'Hiver m'épousera. COMUS. Sors d'ici, Monstre affreux. LA MÉDISANCE, d'un ton doucereux. Adieu, pour un instant, Comus, je me retire. Elle fait deux pas.Vous êtes intendant, seigneur et scrupuleux. COMUS. Quoi, jusques sur moi-même clic exerce sa rage ? SCÈNE VIII. Comus, Hector Criquet. Hector Criquet est habillé de noir avec un manteau, une grande perruque sans poudre et un grand rabat. COMUS. Mais que cherche ici ce visage ?Serait-ce encore un Dieu ? Je n'en vis jamais tant.Ni de plus sots. Écoutons-le pourtant. HECTOR CRIQUET. C'est sans doute ici le palais du Dieu de l'Hiver ? COMUS. Oui, Monsieur. HECTOR CRIQUET. Et c'est au Dieu Comus que j'ai apparemment l'honneur de parler. COMUS. Oui, Monsieur ; vous suis-je nécessaire ? HECTOR CRIQUET. Seigneur, j'ai appris que vous cherchiez un nombre de gens pour contribuer par leurs divers talents aux besoins et aux plaisirs de l'Hiver pendant son séjour en France. COMUS. Il est vrai. HECTOR CRIQUET. Avec votre permission, et sauf le meilleur avis de votre divinité, ne serait-il pas beaucoup plus avantageux, au lieu de multiplier les êtres à l'infini, de trouver un sujet qui rassemblât en lui tous les divers talents ? COMUS. Ce serait une fort bonne affaire,Car moins de gens, moins d'ennemis ;Mais dans quels climats pourrait être Un original d'un tel prix ? HECTOR CRIQUET. Je le connais, c'est une véritable encyclopédie ; Id est, l'abrégé de toutes les sciences. COMUS. Ah de grâce, Monsieur, faites-le moi connaître. HECTOR CRIQUET. [Note : Placet : requête abrégée, ou prière qu'on présente au roi, aux ministres, ou aux juges pour leur demander quelque grâce, quelque audience, pour quelque recommandation. [F]]J'ai trop de modestie pour vous le nommer ; mais voici un petit placet où vous trouverez avec ses mérites détaillés, ses nom et demeure. COMUS. Je le lirai. HECTOR CRIQUET. Je reviendrai demain matin, savoir quel cas vous aurez fait de mon placet. Serviteur, Seigneur, serviteur. Il fait deux pas et revient.Comme vous êtes un Dieu, j'ai mis le placet en votre langage, je l'ai écrit en vers. COMUS. Tant mieux.Il m'en sera plus précieux. HECTOR CRIQUET. Si vous me le permettez ; j'aurai l'honneur de vous déclamer mon Placet. COMUS. Très volontiers. HECTOR CRIQUET, déclamant ridiculement. À Monseigneur Comus, Dieu de la joie et de la bonne chère,Et du Dieu de l'Hiver Intendant ordinaire,Mais Intendant tout plein d'honneur.Monseigneur, humblement supplie ;Hector Criquet. Et vous remontre en ce Placet,Qu'il montre l'Éloquence et la Philosophie,Les Langues, le Blason, et la Géographie ;la Médecine, et les Lois,La Marine, l'Astrologie, La Guerre, la Magie,Et mille autres Arts à la fois.Ledit Hector Criquet demeure,Depuis plusieurs saisons,[Note : Petites maisons : On dit aussi, qu'il faut mettre un homme aux petites maisons, quand il est fou, ou quand il fait une extravagance signalée ; à cause qu'il y a à Paris un hôpital de ce nom où on enferme ces fous. [F]]Auprès des petites Maisons, On l'y trouve à toute heure. COMUS. Le charmant placet ! Les beaux Vers !Vous savez tous ces arts divers ? HECTOR CRIQUET, déclamant ridiculement. Non pas, Seigneur, mais je les enseigne. À demain Seigneur, Serviteur. Il fait six pas. COMUS. La peste soit du fanatique. HECTOR CRIQUET, revenant. S'il vous plaisait, je vous chanterais mon placet, Car je l'ai mis en musique. COMUS. Voyons : un placet en Musique ? HECTOR CRIQUET. En quelle musique voulez-vous que je le chante ? Musique Italienne, Française, anglaise, allemande, suisse, turque, chinoise ? Car je compose en routes ces musiques, sans les avoir apprises que par les Mathématiques : oh cela fait de beau chant !Parlez. COMUS. Chantez celle qu'il vous plaira. HECTOR CRIQUET. Vous en êtes pour l'Italienne, je le vois ; c'est le grand goût : aussi, qu'est-ce que cette Musique Française ? Elle approche trop des paroles. COMUS. Oui, mais de ce défaut on la corrigera. HECTOR CRIQUET. La, la, la... Quelle voix voulez-vous ? Car je les ai tontes, haut-dessus, bas-dessus, haute-contre, taille, concordant, discordant ; voix entière ; voix claire ; basse-taille, basse-contre : parlez, choisissez. COMUS. La voix que vous voudrez ; il ne m'importe guère. HECTOR CRIQUET. La la la : je n'ai pas mis le titre du Placet en musique, si vous vouliez pourtant... COMUS. Non, non, il n'est pas nécessaire. HECTOR CRIQUET chante en musique italienne. Monseigneur humblement supplie, etc. Jusqu'à ces mots, le dit Hector Criquet. COMUS. Je suis enchanté de votre air.Et j'en ferai rire l'Hiver. HECTOR CRIQUET. J'abuse de vos bontés. À demain, Seigneur. Serviteur. Il fait huit pas. COMUS. Faut-il jamais pareille extravagance ! HECTOR CRIQUET, revenant. Il tire de dessous son manteau un violon qu'il présente à Comus.Un Dieu sait toutes choses. Sauriez-vous jouer du violon ? COMUS. Non, je n'ai pas toutes votre science. HECTOR CRIQUET. C'est que je vous danserais mon placet, j'ai composé des pas dessus. COMUS. Ah ! Voyons danser un placet.Je n'oublierai jamais ce trait. HECTOR CRIQUET. Il chante, joue du violon, et danse en même-temps.Je vais vous en donner le plaisir moi seul. COMUS. Vous êtes de talents un si rare assemblage,Que vous avez sans doute un équipage ? HECTOR CRIQUET. Un équipage, Seigneur ! Est-ce que ces talents sont récompensés dans ce pays ? On croit trop payer un génie, qui va par les maisons enseigner la philosophie et la Politique, quand on lui donne une demi-pistole pour trente leçons ; et l'on ne rougit point d'en donner dix à un danseur, à un chanteur pour douze quarts-d'heure ; cependant il est honteux à un honnête homme de trop bien savoir leurs Arts : bien danser n'est qu'un mérite de singe. COMUS. Mais tout Paris aime ces arts galants, HECTOR CRIQUET. Dites, la Bagatelle. Qu'un homme du premier mérite entre dans une compagnie du bel air, s'il ne débute pas par une révérence extravagante, dit-il d'ailleurs des choses plus galantes que Démosthène et Ciceron ; si, c'est un maussade, un pédant, un sot, un homme à jeter par les fenêtres : qu'il entre ensuite un étourdi, qui jette sa tête d'un côté, son corps de l'autre ; qui danse sur un pied, qui chante en même temps, qui voltige de fauteuil en fauteuil, il ne dira que des fadaises, et toute la compagnie s'écrira : ah le joli homme ! Qu'il est aimable ! Qu'il a d'esprit ! C'est un prodige. COMUS. Cela vous dit, que le corps a ses grâces,Comme l'esprit a ces talents ;Il faut les cultiver en homme de bons sens.De l'éducation, ils nous montrent les traces ;Mais le Français veut être universel, Et jamais, quoiqu'il se propose,Il ne sait à fond nulle chose ;Il n'est que superficiel.Bien plus, c'est de l'Art qu'il professe,Qu'il parle souvent le plus mal. Le Magistrat parle guerre sans cesse,L'Abbé parle toilette et bal,Le courtisan morale, et l'homme de FinanceParle bel esprit et science.Mais vous m'avez donné des passe-temps trop doux ; Venez revoir demain, et j'aurai soin de vous. HECTOR CRIQUET, joyeux. À demain, Seigneur, Serviteur, Serviteur. SCÈNE IX. L'Hiver, Comus. COMUS. Mais voici l'Hiver qui s'avance ? L'HIVER. Hé bien aurai-je une femme, Comus ?Est-elle jeune ? Est-elle belle ?De bonne humeur ? Me plaira-t-elle ? COMUS. Jusques ici mes soins ont été superflus,Un galant de votre âge est de dure défaiteS'il ne prend pas une coquette. L'HIVER. Va, mon cher intendant, ne te tourmente plusJ'ai moi-même fait choix d'une aimable Déesse, En qui les grâces, la gaieté,L'esprit et la délicatesse,Brillent autant que la beauté. COMUS. C'est la mode, sur ma parole. L'HIVER. Fi donc, Comus, c'est une folle, Et qui contre un ruban troque un amant chéri. COMUS. Que ferait-ce d'un vieux mari ?Vous prenez donc la Médisance ? L'HIVER. Oh ! non : de sa sincérité,J'étais cependant enchanté ; Mais de moi-même, en ma présence :Elle m'a dit du mal. COMUS. Voyez quelle insolence !Ah ! Si vous étiez son époux,À cause de la connaissance,Elle parlerait mieux de vous. Enfin, vous choisissez la Danse ? L'HIVER. Ne pense pas railler, j'aime ses entrechats,Et je lui donnerais ma foi la préférence ;Mais de sa part je crains trop les faux pas. COMUS. Hé quelle est donc cette aimable Déesse, Dont votre coeur est enchanté ? L'HIVER. Cher Comus, c'est la Volupté. COMUS. Vous aimiez, disiez-vous, la Vertu sans rudesse ;Vous la trouvez en cette Déité. L'HIVER. Je l'aperçois, mon bonheur me l'adresse, Cours appeler l'Hymen, et que le Bal s'empresseÀ célébrer mes feux et sa beauté. SCÈNE X. L'Hiver, La Volupté. L'HIVER. Venez, belle Divinité,Par devant l'Hymen que j'appelle, Mon coeur va vous jurer une ardeur immortelle. LA VOLUPTÉ. Que parlez-vous d'Hymen, Seigneur ? C'est me trahir.Voulez-vous déjà me haïr ?Le talisman du mariage,D'un Amant tendre, aimable, vif et doux, Fait souvent un mari moine, avare , jaloux ; D'un galant, un brutal ; d'un fidèle, un volage. L'HIVER. D'un amant bel esprit, peut-être un mari sot. LA VOLUPTÉ. Toujours d'une beauté charmante, douce et sage,Complaisante, attentive aux soins de son ménage,En un moment l'Hymen fait, par un mot, Une Guenon maussade, altière, impérieuse, Une furie et coquette et joueuse.Ce beau couple d'amants, qui toujours se cherchaient ;Que les plaisirs l'un à l'autre attachaient ;Sont-ils époux, incessamment se fuient ; Et quand le sort malin les rassemble, ils s'ennuient ;On les voit dormir ou bailler,Et la discorde peut seule les réveiller. L'HIVER. Appelons donc l'Amour. Oui, confiant, vif et tendre... LA VOLUPTÉ. Jurez pour le présent et non pour l'avenir, Et faites des serments que vous puissiez tenir.Souvent du premier coup un coeur se laisse prendre ;Il ne faut pour charmer qu'un regard languissant ;Tout engage, tout plaît dans un amour naissant ;On croit toujours aimer, on le jure de même, Et soi-même on se trompe en trompant ce qu'on aime. L'HIVER. Remplissez mes désirs, aimable Déité,Et mon ardeur pour vous sera toujours extrême. LA VOLUPTÉ. Ne vous y trompez pas... je suis la Volupté,Et fille de la Liberté, Mais non pas du libertinage.Mon enjouement et ma gaieté,Et mon aimable badinageViennent de ma tranquillité, L'HIVER. Vous êtes philosophe ? LA VOLUPTÉ. Oh non. mais le vrai Sage,Quand il touche au midi de l'âge,Trouve en moi sa félicité ;Je suis la fougueuse jeunesse,Ses foins impétueux et ses distractions ; Je hais et la folie et l'austère sagesse :J'ai des plaisirs et non des passions.Libre de soins, libre d'inquiétude,De craintes, de désirs,De remords et de repentirs, Dans une douce étude,Je trouve d'innocents plaisirs, Sans en être plus précieuse.Voilà la Volupté, Seigneur, telle qu'elle est, Si son caractère vous plaît... L'HIVER. Non : vous êtes trop sérieuse :Pardonnez, je suis franc et peut-être brutal. LA VOLUPTÉ. Je ne vous en veux point de mal,Tous ne savent pas me connaître.Adieu je vois quelqu'un paraître : Vous vivez au terrestre, et je cours à l'esprit. SCÈNE XI. L'Hiver, Comus. COMUS. Seigneur, l'Hymen me fuit ; mais où fuit la Déesse.Déjà quelque amoureux dépit,A-t-il troublé votre tendresse ? Quoi si tôt vous querellez-vous ? Vous n'êtes pas encore époux. L'HIVER. Ni ne serons jamais : je hais le verbiage.Le Ciel garde toute maison,D'une femme qui n'est ni coquette, ni sage ;Cette Déesse est folle à force de raison. SCÈNE XII. L'Hiver, Comus, L'Hymen. L'HYMEN. Venez, Dieu de l'Hiver... où donc est la future ? L'HIVER. Pardon, mon cher Hymen, pardon. COMUS. Trop tard, mignon,Il ne veut plus en courir l'aventure. L'HYMEN. Qu'est-ce à dire, pardon ? Se moque-t-on de moi ? Non ; j'en jure par ma coiffure,Et vous épouserez, ou vous direz pourquoi. COMUS. Point de courroux. Je te conjure,Ami, reste à rire avec nous. L'HYMEN, en colère. Vous m'insultez encor ? Que je reste avec vous ? Prenez-vous l'Hymen pour Mercure ?Oh vous épouserez, je le veux, je l'entends... COMUS, à l'Hiver. Ce n'est que pour trois mois. L'HIVER. Puisqu'il le faut, je prends...Je prends... L'HYMEN, brusquement. Achevez donc. L'HIVER. Un peu de patience. L'HYMEN. Je prends... Aide-moi donc, Cornus. COMUS. Prenez la Danse ;Elle vient à propos vers nous. L'HIVER. J'y consens, tout coup vaille. SCÈNE DERNIÈRE. L'Hiver, L'Hymen, Comus, La Danse amenée par un prélude, suite de l'Hymen. L'HYMEN. Approchez-vous, la Belle ;Je vous donne en ce Dieu la perle des époux ? COMUS. Ce n'est pas pour longtemps, tâchez d'être fidèle. DIVERTISSEMENT. Le Bal amène les Jeux, les Ris et les Grâces. Le Bal amène les Jeux, les Ris et les Grâces. [JEUX, RIS et GRACES]. Air.Venez plaisirs charmants et doux ;Assemblez-vous troupe immortelleLe Bal vous mené, et l'Hiver vous appelle.Venez folâtrer avec nous, Que les Grâces,Sur vos traces,Brillent toujours ;Des coeurs fondez les glaces,Brûlants Amours, Par la tendresse,La froide vieillesse,Rajeunit sans cesse,Et trouve encore de beaux jours. On danse. Air en duo.L'Hiver pour nous n'a rien d'épouvantable ; Ce n'est point un vieillard, triste, morne, grondeur,Cassé, transi, trembleur ;Il est riant, folâtre, aimable ;De l'Amour, il court à la table.Amants, Buveurs, il est le père des plaisirs. Chantez sa gloire ;Amants, il sait ranimer vos désirs,Buveurs, il vous enseigne à boire. On danse. VAUDEVILLE. [JEUX, RIS et GRACES]. Quand un jeune amant vif et tendre,A trouvé l'art de nous surprendre, L'Hiver n'éteint point nos feux ;Quels aimables noeuds,Quel sort heureux !Près de l'époux que l'Hyménée,Unit à notre destinée, Nous nous morfondons,Nous grelottons,Nous tremblons,Nous gelons,Les quatre saisons de l'année. Auprès d'un objet du bel âge, Tant qu'on s'en tient au badinage,L'amour répond à nos voeux :Quels aimables noeuds,Quel sort heureux ! Mais quand par un destin contraire,L'Hymen se mêle de l'affaire,Nous nous morfondons, etc.L'amour fuit toujours le Notaire.Quand un Marquis dans notre bourse A dessein de faire ressource,Qu'il est doux, poli, pressant,Flatteur, caressant,Et séduisant !Doit-il rendre ? Pendant Septembre, Octobre, Novembre, Décembre,Nous nous morfondons,Nous grelottons, etc.À la porte de l'Antichambre.Auprès d'un objet agréable, En commençant tout est aimable,L'amour répond à nos voeux ;L'ardeur de nos feuxNous rend heureux.Mais après deux jours on s'ennuie : Aux genoux de notre Sylvie,Nous nous morfondons, etc.Et l'Amour fausse compagnie.Quand une plaideuse est gentille,Ou que dans sa main l'argent brille, Elle gagne son procès,Tous les intérêts,Dépens et frais ;Mais n'avons-nous plus de quoi plaire,Ni d'argent pour aider l'affaire, Nous nous, etc.À la porté du secrétaire.Meilleurs quand notre ComédieVous plaît et vous paraît jolie ;Quand vous vous divertissez, Vous applaudissez,Mais quand par un destin contraireElle a le malheur de déplaire. ==================================================