******************************************************** DC.Title = SERMON JOYEUX DE BIEN BOIRE, FARCE DC.Author = [Anonyme] DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Farce DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:04. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ANONYME_SERMONJOYEUX.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k276670 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SERMON JOYEUX DE BIEN BOIRE À deux personnages, c'est à savoir ACTEURS LE PRÊCHEUR. LE CUISINIER. Nota : Tiré de "Ancien théâtre français ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les mystères jusqu'à Corneille" par M. VIOLLET LE DUC, Paris, 1854, Tome II. pp 5-21. LE PRÊCHEUR, commence. [Note : Bibite : désinence du verbe boire en latin.]Bibite et comedite. Mathei undecima secunda.Messeigneurs, faites paix. Hola !Les paroles ci proposéesSi furent jadis composéesDedans le fonds d'un beau sellier, [Note : Saint-Vallier : Valère de Langres, archidiacre et Martyr chrétien mort en 411.]Comme récite Saint Valier,Écrites d'or en lettre jaune,[Note : Beaune : Ville de Bourgogne, situé à 150km au nord de Lyon, célèbre pour son vin.]Sur un tonneau de vin de BeauneAu quart livre ad Epheseos,Et furent racontés et dites Du tout et de nouveau écritesUndecimo ad Hebreos,Là où dit monseigneur Saint PouQu'on doit boire jusques au clou,Tandis qu'on a denier ne maille, Et puis après, vaille que vaille,Dominus, providebis nos. LE CUISINIER. Et qui est ce videur de potsQui nous vient ici empêcherDe chanter ? Voise ailleurs prêcher. Mais avisez quel championOr est-il le plus franc pionQui soit point d'ici en Bourgogne. LE PRÊCHEUR. Et faites taire cet ivrogneQue mon sermon puisse parfaire. LE CUISINIER. Il y aurait beaucoup à faire ;Me tairé-je pour une ivraies ?Quel vaillant prêcheur de mes braies[Note : De profundis, premier mots latins du Psaume 130, tiré du Livre des Psaumes de la Bible.]Ne sait pas son De profundis. LE PRÊCHEUR. Seigneurs, entendez à mes dits. Dieu pourvoira toujours ceux-làQui croiront ces articles là[Note : Vueil : vouloir, volonté. ]Que qui bien boit, dire le vueil,Tant que la larme vient à l'oeil,Ceux sont cousins germains de Dieu, Comil recite en celui [ce lieu ?]Hebrei sunt et ego.Dieu le dit de sa bouche ergo,Au matin te dois avancerDe boire pour bien commencer, Et, pour mieux réjouir ton sang,Fais une rostie au vin blanc,Et puis, pour trouver le goût bonPren(e)s moi la cuisse d'un jambon,Dont tu mangeras un petit. Cela te donnera appétitEt tu bevras mieux tout le jourDe beau vin claret ; sans séjour,Bois après jusques à minuit. LE CUISINIER. Dépêche toi, car il m'ennuie ; Ne nous fais point long prêchement.Il a tant bu, par mon serment,Qu'il ne sait qu'il fait ne qu'il dit. LE PRÊCHEUR. Or es-tu bien de Dieu mauditDe me détourner ma parole. LE CUISINIER. Tout ce qu'il dit n'est que frivoleEt nous tiendra jusqu'à demain. LE PRÊCHEUR. Dieu a commandé de sa mainQu'on se doit au matin leverPour bien arroser le gosier Car qui bien boit longuement vit,Ainsi que le note Davit,Media nocte surgebam.Pourquoi ? Pour arroser la dentCar qui veut es saints cieux aller Lui convient souvent avalerBonum vinum et optimum. LE CUISINIER. Écoutez quel vaillant sermon.L'autre jour but tant, se m'ait dieux,Qu'il perdit presque l'un des yeux, Et de l'autre n'était pas sain.Tenez, quel nés de Saint-Poursain,Enluminé de vin de Beaune ! LE PRÊCHEUR. Et faites taire ce bec jauneQui caquette tant là derrière. LE CUISINIER. [Note : Bavière : ou bavette. Sorte de fraise, de colerette. [Godefroy]]Il a bien haussé la bavière ;Tenez, il ne sait où il n'est. LE PRÊCHEUR. Seigneurs, écoutez, s'il vous plaît,Exposer la loi de vinum,Qui est écrite, se dit-on, En Digeste, au douzième livre ;[Note : Cuider : vieux mot qui signifiait autrefois « penser ». [F]]Ne cuidez pas que je sois ivre. LE CUISINIER. Non, mais il est niais ; tenez,Qui lui tordrait un peu le nezDe vin rendrait une cimaise. LE PRÊCHEUR. Tu en parles bien à ton aiseVoyez comme il est désiré. LE CUISINIER. Mais où a-il si bien pied ?Il a tant bu qu'il ne voit goutte. LE PRÊCHEUR. Et paix que vous ayez la goutte LE CUISINIER. Sera à mon prochain voisin. LE PRÊCHEUR. Tu as bien mangé du raisin. LE CUISINIER. Je ne bois fors que du meilleur. LE PRÊCHEUR. Notre Dame. LE CUISINIER. Notre Seigneur. LE PRÊCHEUR. Mourir puisses de malle toux ! LE CUISINIER. Je suis sauvé, priez pour vous. LE PRÊCHEUR. Pour dieu, qu'on fasse paix meshuyt. LE CUISINIER. Dépêche-toi, car il m'ennuie ;Ne nous fais point longue traînée. LE PRÊCHEUR. Dieu te mette en très male année Tu ne dusses point boire (de) vinMais qui tous jours boit du plus finNe peut avoir que bon courage. LE CUISINIER. Mourir puisses de malle rageL'autre jour but par tel délit Qu'il en pissa dedans son lit,Sauf l'honneur de la compagnie. LE PRÊCHEUR. Tu as menti, je te le nie. LE CUISINIER. Je m'en rapporte à son hôtesse ;Car en cuidant faire une vesse [Note : Vesse : Pet malodorant et silencieux.]Il fit tant du prim et du grosQu'il lui faillit payer deux grosPour lui avancer de blancs draps. LE PRÊCHEUR. Or en dis ce que tu voudrasMais tu es du tout en effet Le plus fort ivrogne parfaitQui soit d'ici en Avignon. LE CUISINIER. Et vous êtes mon compagnonNous pouvons bien aller ensemble. LE PRÊCHEUR. Or écoutez, se bon vous semble ; Oyez, s'il vous est acceptable,Que dit un bon docteur notableLa loi Vinum n'est pas éthique ;Elle choit souvent en pratique.Si tu es en mélancolie, Bois bon vin, et sans moquerie,Tu seras en bon point tantôtSpécialement le mois d'aoûtEt aussi en toute saison,On doit boire vin à foyison Sans point y mettre de aquaCar il dit que le rebequaD'y mettre eau, c'est trop méfaitDépecer ce que Dieu a fait,On en doit être bien repris. LE CUISINIER. Aussi ne l'as-tu pas appris ?Soit au dîner, ou quand on goutte,Vraiment, s'il en met une goutte,[Note : Vouge : arme d'hast médiéval de 2 mètres de long.]Je veux être tué d'un vouge ;Il lui pert bien à son nez rouge, [Note : Bubette : petite pustule.]Qui est si très plein de bubettes ; [Note : Cliquette : instrument de bois servant à faire du bruit lors de la liturgie exhortant à la charité.]S'il ne porte encor les cliquettes,Je suis content d'être tondu. LE PRÊCHEUR. Vas, tu puisses être pendu !Le très puissant roi divin Dit qu'on boive du meilleur vin,Et nous défendde boire l'eau,Car autant en fait un chevau Chevau : cheval.Quant on le mène à la rivière.Et le prophète nous declare Nolite fieri sicut equus et mulusQuibus non est intellectus.Le prophète a déclaréQu'on boive muscadet, claré,Ypocras et vin de pineau, Et dit qu'on n'y mette point d'eau.Qui jure, se tu y [en] mets,Vraiment, tu n'entreras jamaisEn paradis ; crois cet article,Car il est écrit en la Bible, Undecimo libri Regum. LE CUISINIER. [Note : Aragon : région du nord de l'Espagne à l'ouest de la Catalogne.]Il n'y a d'ici en AragonUn plus fort ivrogne qu'il est,Et aussi, on voit bien que c'estIl fut en jeunesse nourri De vin, tant qu'il en est pourri,[Note : Meseau : mesel, c'est à dire lépreux.]Et ressemble droit un meseau. LE PRÊCHEUR. Tu puisses perdre le museauEt mourir de sanglante rage ! LE CUISINIER. Mais bien votre sanglant visage [Note : Anuit : ou anuyt, aujourd'hui. [Parler angevin]]Car il ne fut anuit lavé. LE PRÊCHEUR. Ceci et voilà trop bavé. LE CUISINIER. Regardez ce seigneur notable. LE PRÊCHEUR. Or vous taisez, de par le diable. LE CUISINIER. Qui vous puisse rompre le col. LE PRÊCHEUR. Et qu'on fasse taire ce fol,[Note : Punais : qui pue du nez.]Très fort vilain, puant punais. LE CUISINIER. Plus honnête suis que tu n'ais.[Note : Vez : voyez.]Le vez-vous là, ce babouin ? Vraiment, il put tant le vin Que je sens d'ici son haleine. LE PRÊCHEUR. [Note : Fièvre quartaine : Fièvre quarte ; Fièvre qui ne vient que le quatrième jour, et qui laisse deux jours de repos. [F]]Et tu fais ta fièvre quartaine. LE CUISINIER. C'est bien dit ; reliez-vous là,Tenez-vous bien. LE PRÊCHEUR. Ceci. LE CUISINIER. Cela. LE PRÊCHEUR. Tant de mines. LE CUISINIER. Tant de caquet. LE PRÊCHEUR. Je te ferai. LE CUISINIER. Manger un pet. LE PRÊCHEUR. En ton nez. LE CUISINIER. Mais bien en ta gorge. LE PRÊCHEUR. Tais-toi ; feras ? LE CUISINIER. On te le forge. LE PRÊCHEUR. N'es-tu pas content que je prêche ? LE CUISINIER. Oui bien, mais qu'on se dépêche Ne vois-tu pas qu'il est tard ? LE PRÊCHEUR. Écoutez que dit Saint BernardDe pardon mille quarantainesAuront ceux qui grands tasses pleinesDe vin boiront tout à un trait. Aussi je le trouve extraitEn un sien livre, où il ditBene bibens Deum videbit.Sont toutes paroles dorées.En mon livre les ai trouvées, Où n'ai mis grand peine à le lire,Et pourtant vous ose bien direQuod ille qui bene bibat,Par raison bene pissat,[Note : Étoupé : remplit d'étoupe. Voir Ronsard, vers 7 du sonnet "Je n'ai plus que les os".]S'il n'a la vessie étoupée. Et pour tant la bonne purée(À) mes amis, je vous recommandeÀ bien boire chacun ensembleTant qu'on pourra signer de croix,Qui faites gosiers si étroits, Faute de bien les arroser.Buvons jusques aux yeux pleurer,Car qui boit bien, bien se gouverne,Et qui ne va à la taverne[Note : Varlet : Fils de chevalier, page, simple gentilhomme. [L]]Lui faut envoyer son varlet. S'il est aigre, nihil valet.À l'avaler délicieux,J'en bois si fort que vers les cieuxFais tourner les yeux de ma tête. LE CUISINIER. Et cet ivrogne déshonnête Fera-il hui que caqueter ?Mais que pouvez-vous conquêterÀ lui ? Le me vez-vous là bien ? LE PRÊCHEUR. Se dit un théologien :Bon vin, selon cours de nature, Fait grand bien à la créature.Par autorité je le prouve.Je suis si aise quand je trouveUn très bon vin emmy ma voieUn bon vin jamais ne dévoie, Ainsi que fait un vin petit.Quant j'ai vin à mon appétit,Je m'y porte aussi vaillantQue fit Olivier et RolandEn bataille qu'ils firent oncques. Or, je vous pris, buvons fort doncques.Et aussi Dieu nous avisaDe bien boire et nous devisa,Et nous dit ce mot : Sitio. LE CUISINIER. Et ho, de par le diable, ho [Note : Meshuy : désromais, tantôt. [F]]Durera meshuy ce langage [Note : Fors : Terme vieilli pour lequel on dit hors, hormis, excepté. [L]]De parler fors que du breuvage ?Le paillard n'a autre mémoireFors à gourmander et à boire.Soit au dîner ou quant on soupe, Il est ivre comme une soupe,Et s'en va coucher tout vêtu. LE PRÊCHEUR. Mais écoutez ce fol têtu.[Note : Coquard : Fig. et familièrement, fou, benêt. [L]]Com(me) souffrez-vous tel fol coquard ?Vous vez que ce n'est qu'un paillard, Un coquillart et un ivrogne. LE CUISINIER. Il y perd bien à votre groin ;Comme il est enluminé ! LE PRÊCHEUR. De la fièvre sois-tu miné. LE CUISINIER. Mais votre corps et votre tête. LE PRÊCHEUR. Je fais à tous humble requêteQue vous oyez grands et menus,Un proverbe de Martinus.Martinus fuit bonus homo(Et) ad bibendum totus primo. Chacun n'entend pas bien latin,Car il fut fait d'étain trop fin,Engendré d'un vieil pot de cuivre ;Nul ne l'entend si n'est bien ivre ;Consommé fut de vieil laiton, Et le fit le docteur PlatonEn son dernier quolibet. LE CUISINIER. Il fit ton sanglant gibet.T'appartient-il prêcher en chaire ?Or te dût en une rivière Guetter, qui ferait son devoir. LE PRÊCHEUR. Bonne fête ne peut avoir,Comme je trouve en réthoriqueS'il n'y a de bon vin qui pique.Vous savez que notre seigneur A dit qu'on boive du meilleur ;Je le puis témoigner par lui.Aussi, quant le vin fut failliAux noces de Archedeclin,Ne mua[-t-]il pas l'eau en vin ? Bonum vinum bibat illam. LE CUISINIER. Et paix Dieu te mette en malSanglant paillard, an, ivrognibus.Il nous tient ci en ces abus,Et tout ce qu'il dit ne vaut rien. Le vez-vous, cet homme de bien ?Aussitôt qu'il a un liard,Par ma foi, la gorge lui ardQu'il ne le porte au tavernier. LE PRÊCHEUR. Mais toi qui n'as pas un denier, À ces voisins je m'en rapporte.Avisez quel habit il porte.Est-il habile compagnon ?S'amie est en Avignon ;Ses chausses tirent contrebas. Au fort, laissons tous ces débats.Cathon note et met avantQu'on se doit tremper bien souventEn bon vin, quant il s'avisaDire Vino te tempera. Or, omnibus, attendite,Et venons à comedite ;Se voulez es saints cieux aller,Et non pas en bas dévaler,Se faites, ainsi que j'entends, Que ne jeûnez point en nul tempsS'on ne vous fait jeûner par force.Es chroniques du roi d'EscosseIl est écrit en droit civilQu'il est notable, non pas vil, Les jeunes sont à debouterDu droit civil, sans en douter.Mais quoi ? Sais-tu que tu feras ?À double jeune doublerasEt feras doubles tes morceaux. LE CUISINIER. C'est belle vie de pourceauxC'est bien à toi parlé en bête. LE PRÊCHEUR. Ce ne vous est pas chose honnêteQu'un tel folâtre me gouverne. LE CUISINIER. Quel vrai champion de taverne Qui vient ci trancher du sage homme. LE PRÊCHEUR. Je cuide que d'ici à RomeMeilleur que moi on ne doit querrePour bien prêcher. LE CUISINIER. Au pot et au verre,De cela il a bon renom. LE PRÊCHEUR. Encore mais tairas-tu ? LE CUISINIER. Non. LE PRÊCHEUR. Et pourquoi ? LE CUISINIER. Il ne me plaît pas.À bas, de par le diable, à bas ;Car vous ne savez que vous dites.Tout son fait ne sont que redites Toujours parle sur la vendange. LE PRÊCHEUR. S'il convient que de toi me venge,Tu le connaîtras par justice. LE CUISINIER. Tu es bien sot. LE PRÊCHEUR. [Note : Nice : Terme vieilli. Qui ne sait pas, simple par ignorance.]Tu es bien nice :Laisse m'achever mon sermon. LE CUISINIER. Par ma foi, si ne ferai mon,Car tu ne dis chose qui vaille. LE PRÊCHEUR. Que tu as le bec plein de raille Raille : raillerie.Faites le taire, ou je m'en vais. LE CUISINIER. Et diables après. LE PRÊCHEUR. Or te tais ; Dire vueil chose souveraine. LE CUISINIER. Tu feras ta fi[e]vre quartaine ;J'ai le cul tout plein de ta noise. LE PRÊCHEUR. Puisqu'il convient que je m'en voisePar ce paillard à tel diffames, Adieu vous dis, seigneurs et dames ;Plus ne demourai en ce lieu. LE CUISINIER. Adieu, de par le diable, adieu.Le prêcheur va croquer la pie,Et je vois prendre la copie Du vin qui est en la dépense.Seigneurs et dames d'excellence,Je vous supplie, hault et bas,Que prenez en gré nos ébats. ==================================================