******************************************************** DC.Title = MOLIÈRE AU THÉÂTRE, À PROPOS DC.Author = BAYARD, ROMIEU DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:43. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BAYART-ROMIEU_MOLIEREAUTHEATRE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** MOLIÈRE AU THÉÂTRE COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS LIBRES Représentée pour la première fois, par les Comédiens ordinaires du Roi, sur le second Théâtre-Français, le 15 janvier 1824. JOUR ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE MOLIÈRE. M DCCC XXIV. De Mrs Bayard et Romieu. À PARIS, CHEZ J.L.J. BRIÈRE, LIBRAIRE, rue Saint-André des Arts, n°68. ET CHEZ BARBA, LIBRAIRE, au Palais-Royal, Derrière le Théâtre Français, n°15. Représentée pour la première fois, par les Comédiens ordinaires du Roi, sur le second Théâtre-Français, le 15 janvier 1824. PERSONNAGES. ACTEURS. MOLIÈRE, M. SAMSON. BOILEAU, M. THÉNARD. CHAPELLE. M. CHAZEL. LA THORILLIÈRE, comédien. M. DUPARAI. LUCILE, sa fille. Mlle ANAÏS. BARON, âgé de seize ans. Mlle DELATTRE. LULLI, M. PROVOST. BRÉCOURT, Comédien, M. MÉNÉTRIER. MADEMOISELLE DE BRIE, Comédienne. Mlle BROHAN. COMÉDIENS. La scène se passe à Paris, sur le théâtre de Molière. MOLIÈRE AU THÉÂTRE Au lever du rideau le théâtre est en désordre. SCÈNE PREMIÈRE. Lathorillière, Lucile. LATHORILLIÈRE. Il arrête Lucile, qui paraît fort inquiète pendant toute la scène.Bon ! J'arrive et tu sors ! LUCILE. Mais, mon père... LATHORILLIÈRE. Demeure.Que fais-tu donc ici ? LUCILE. Je viens étudier. LATHORILLIÈRE. Et quel rôle ? LUCILE. Psyché. LATHORILLIÈRE. Toujours, à la même heure,Je te retrouve seule, au théâtre, au foyer...Et ton rôle n'avance guère. Lorsque nous répétons, ma chère,Ce rôle trop peu su nous fait pester, crier...Quelque secret que je ne puis comprendre,Te le fait sans doute oublier...S'il ne t'empêche de l'apprendre. LUCILE. Mon Dieu ! C'est singulier... J'apprends. LATHORILLIÈRE. Oui, mais je croisQu'on peut justifier ta mémoire infidèle.Tiens, on m'a dit une nouvelleQui te surprendra moins que moi...Baron est à Paris... Tu le sais... LUCILE. Oui, mon père. LATHORILLIÈRE. Je l'aurais parié ! Tu l'as peut-être vu ?... Heim ?.. Oui... T'a-t-il parlé ? Toujours oui... Mais crois-tuQu'en ces lieux quelquefois il vienne te distraire ? LUCILE. Je crois qu'il m'aime, et moi je l'aime aussi.Vous le savez, lorsqu'il était ici, Tous deux élevés par Molière,Notre amour paraissait vous plaire.Lorsqu'il nous venait voir, vous ne l'éloigniez pas,Et dans la troupe, on l'appelait tout basLe gendre de Lathorillière. LATHORILLIÈRE. Mais alors on pouvait l'aimer.Quand Molière autrefois se plut à le former,À ses jeunes talents, à son esprit facile,Nous comptions bien voir Baron quelque jourNous disputer les faveurs de la cour Et les suffrages de la ville.Et qu'a-t-il fait ? Paresseux, indocile,Loin de tenir ce qu'il avait promis,Fuyant soudain son bienfaiteur, son maître,Avec des baladins il a quitté Paris Pour courir la province, et s'y perdre peut-être !De tant de soins était-ce là le prix ?Qui fut ingrat, doit cesser de te plaire ;Et puisqu'il a perdu l'amitié de Molière,Parmi nous il n'a plus d'amis. LUCILE. Allons !... Peut-être je m'abuse...Mais notre Molière est si bon !Si je vais l'en prier, croyez-vous qu'il refuseDe reprendre son cher Baron ?Le coupable a seize ans... seize ans ! C'est une excuse ! LATHORILLIÈRE. Non, ma fille ; on peut bien pardonner une ruse,Mais pour l'ingratitude il n'est point de pardon. LUCILE. Laissez-nous un peu d'espérance. LATHORILLIÈRE. Eh, non !... Écoute-moi : Molière est à la Cour ;Il ne viendra que tard. Ce soir, à son retour, Nous devons célébrer le jour de sa naissance ;Tous nos apprêts se font en son absence.Par de pénibles souvenirs Ne trouble pas au moins sa fête et nos plaisirs ! LUCILE. Baron... LATHORILLIÈRE. Un petit fat sans état, sans famille ! LUCILE. Ah ! Ne l'accablez pas, il est bien malheureux ! LATHORILLIÈRE. J'en suis fâché... N'en parlons plus, ma fille.Qu'un homme soit frappé d'un coup trop rigoureux,S'il est honnête et bon, on le plaint... car on l'aime...Mais qu'un petit ingrat vienne prier, gémir ; Ma foi tant pis ! il faut savoir souffrirLe mal que l'on s'est fait soi-même...Mais on m'attend ; Lulli veut nous faire chanterMolière, son ami, qu'il vient aussi fêter.Tu chanteras. LUCILE. Moi ? Non. LATHORILLIÈRE. Ma fille, je l'exige. Laisse-là ta Psyché... surtout plus d'embarras,Plus d'amour !... Rejoins-nous... Tu chanteras, te dis-je. Il sort. LUCILE. Ah ! Ce pauvre Baron ! Je ne chanterai pas. SCÈNE II. Baron, Lucile. LUCILE. Sortez, il est parti ! BARON. C'est un homme intraitable ! LUCILE. Hé bien ! Baron, vous avez entendu ?... BARON. Oui, mon panégyrique ! Il n'est pas fort aimable ;Mais du moins il est clair : je n'en ai rien perdu. LUCILE. Vous voyez ; au théâtre on pourrait vous surprendre !...Mon père sait votre retour !À mon trouble il vient de comprendre Que je vous ai revu, que vous parlez d'amour... BARON. Oui, certes ! Et je serai son gendre !...En faisant mon portrait, il ne l'a pas flatté.Oh ! Que j'aurais voulu me montrer, me défendre,Lui dire que je suis, que j'ai toujours été... LUCILE. Un étourdi, Monsieur !... Vous auriez tout gâté !Ici, je venais seule étudier mon rôle ;Vous m'avez suivie en secret :Moi qui suis bonne, et peut-être un peu folle,J'ai pardonné, j'ai cru que vous seriez discret. Nous avons entendu mon père,Et je vous ai caché là, dans ce cabinet...Il fallait vous montrer !... Jugez de sa colère ! BARON. Lucile, ne me grondez pas :C'est pour vous que j'ai su me taire. Mais je comptais sur lui pour décider MolièreÀ me voir, à m'ouvrir ses bras.Il refuse. C'est mal... c'est très-mal ! Mais que faire ? LUCILE. Mais, mon ami, d'abord, il faut vous éloigner...Oui... Les comédiens arrangent une fête : Déjà dans le foyer on s'assemble, on s'apprête ;Ils vont venir ici. BARON. Pourquoi me chagriner ?...De grâce, laissez-moi dans mon secret asile ! LUCILE. Bon ! Mais je vous préviens qu'une fois renferméVous y serez longtemps ! BARON. Eh ! Qu'importe, Lucile ? Près de mes vieux amis je serai plus tranquille. LUCILE. Ne comptez pas sur eux, vous n'êtes plus aimé ;Molière vous avait formé... BARON. Oh ! Je retrouverai mon maître, mon modèle !Qu'avec ravissement ici je me rappelle Les vertus dont lui-même ornait son cher Baron !Chaque trait de sa vie était une leçon.Un jour, j'étais bien jeune encore !...Je lui dis : Un pauvre homme imploreQuelques secours... C'était un vieux comédien Qui rejoignait sa troupe en Basse-Normandie :Pour faire le voyage il ne lui restait rien.« Vivons en gens d'honneur, faisons un peu de bien :Que ce soit ta philosophie !Me dit Molière ; vois, décide, je te prie, Là... que donnerons-nous à ce pauvre vieillard ?Quatre pistoles ? - Soit ! donne-les de ma part...Attends... joins-y ces vingt pistoles,Que tu lui donneras, mais pour toi, mon ami...Va, ne soyons jamais généreux à demi !.. » Ainsi ses actions appuyaient ses paroles ;Ainsi pour ma jeunesse il savait ennoblirUne trop pénible carrière ;Et comme mes talents, aux leçons de Molière,Mon âme devait s'agrandir ! Mais pour moi ces beaux jours vont enfin revenir !À ce coeur qui m'aima j'ai fait une blessureQue moi seul je pourrai guérir.À ses yeux si je viens m'offrir,Il verra mes regrets, mon amitié si pure... Vous vous joindrez à moi, nous saurons l'attendrir. LUCILE. Vous croyez ? Mais pour vous il paraît inflexible,Et ce beau dénouement est peut-être impossible...Cependant nous devons jouer au premier jour,Psyché, que Molière et Corneille Avec Quinault ont faite pour la Cour.Le rôle de l'Amour vous irait à merveille !Tous nos acteurs l'ont pris et quitté tour à tour :Ils sont trop vieux pour un tel personnage.Si Molière voulait !.. Ne perdons pas courage ; Je parlerai de vous ce soir à son retour...Il y va du sort de l'ouvrage :Je jouerais mieux Psyché si vous étiez l'Amour !.. BARON. Oui, ce serait charmant... LUCILE. Ciel !.. Les voici... Je tremble!... BARON. Chut ! Personne en ces lieux n'a pu nous voir ensemble... LUCILE. J'entends Monsieur Lulli... BARON. Je me cache... Un baiser ! Il l'embrasse et se cache. LUCILE, seule. Il est si malheureux qu'on ne peut refuser. Elle paraît d'abord interdite, puis elle s'éloigne doucement. SCÈNE III. Lulli, Lathorillière, Brécourt, M" DE BRIE, coMÉDIENs. LULLI. Eh ! Oui, vous chantez faux ! MADEMOISELLE DE BRIE. Soyez donc plus aimable ! LATHORILLIÈRE. Dire qu'on chante faux ! BRÉCOURT. Oh ! C'est un cas pendable,Mesdames, n'est-ce pas ? MADEMOISELLE DE BRIE. Je chante faux, Lulli ?... LULLI. À Mademoiselle Duparc.Là ! Ne vous fâShez pas ! Vous êtes adorable... À Mademoiselle de Brie.Vous avez pour zouer un talent... admirable...Mon coeur il est à vous... Ne suis-ze pas pouli ?...Mais, mes petits amours, vous shantez faux en diable ! MADEMOISELLE DE BRIE. C'est que l'air est mauvais. LULLI. Il est zouli, zouli... MADEMOISELLE DE BRIE. Je le trouve trop haut, BRÉCOURT. Moi, trop bas LULLI. À merveille !Il me faut plous de temps pour vous mettre d'accordQu'il ne m'en a fallou d'abordPour composer !... Tenez, ze vous conseilleDe souivre mes leçons... ze ne me trompe pas, Per che, pourquoi, lorsqu'on a de l'oreilleOn n'écrit un morceau ni trop haut ni trop bas.Ze souis mousicien... mousicien habile...Et ce n'est pas moi qui le dis ;Ze ne me flatte pas ! Ma la cour et la ville Sour ce point sont du même avis.Quand ze compose oun air, ze shershe, ze combine ;C'est ainsi que z'ai fait Armide, Proserpine,Des chefs-d'oeuvre... Mon sher Quinault,Avec ses lioux communs de mourale loubrique, Sans vanité, me doit tout ce qu'il vaut...Ze le reshauffe, ainsi, des sons de ma mousique...Boileau le dit dans la critique ;Et mon ami Boileau se connaît en mousique!...Vous riez que ze crois !... MADEMOISELLE DE BRIE. Vous n'avez pas ici Vos acteurs d'opéra... Nous parlons, Dieu merci !...Aujourd'hui, par hasard, quittant la comédie,Tant bien que mal nous voudrions chanter.Nous ne demandons pas une oeuvre de génie ; C'est Molière, un ami que nous devons fêter ; Et l'air doit être simple... LULLI. Ascoltate ma mie !Il est simple et sharmant !... Moi, quand z'ai fait celaZe connaissais vos voix, l'orchestre il était là.Ze me disais : Mamezelle de BrieShante en ut !... MADEMOISELLE DE BRIE. En ut !... LULLI. Oui ! Mais Brécourt shante en la ! Mamezelle Douparc a la voix très-zoulie,Un poco fausse... A shacun sa partie...Alors z'ai composé mon air... et le voilà. Il chante.Ut, ut, la, ut, la, etc.La... la... picchiato... Sentez-vous l'harmonie ? Tenez, cet air shanté par des Italiens,Il serait ravissant !... BRÉCOURT. Bon ! Ces musiciensN'aiment que leurs voix d'Italie;Hors de là, rien de bon !... LULLI. Eh ! non, sans doute... MaisVede Rome, Milan, Florence, ma patrie ! Là, pour faire valoir nos airs, notre génie,Nous avons des gosiers que nous faisons exprès. BRÉCOURT, riant. Oh ! C'est une gloire trop chère ! LATHORILLIÈRE. Mais voyons, on attend Molière ;Ne perdons pas de temps. LULLI. Eh ! Oui, nous sommes prêts... Allons, rapprochez-vous, et que l'on soit docile !La, la, la... n'est-ce pas que c'est délicioux ? LATHORILLIÈRE. Chantons juste et d'accord... C'est assez difficile. LULLI. Shacun shantera de son mioux...Mais où donc est votre Loucile ? MADEMOISELLE DE BRIE. Quand nous sommes entrés, j'ai cru la voir ici. LATHORILLIÈRE. Eh ! Mais, on vient.... C'est elle... la voici. SCÈNE IV. Les précédents, Lucile. LULLI. Qu'avez-vous donc sharmante demoizelle ? LUCILE. Molière est de retour. LULLI. Ah ! Bon diou ! MADEMOISELLE DE BRIE. Que dit-elle ? LATHORILLIÈRE. Déjà Molière !... Il ne vient que ce soir. LUCILE. Il arrive à l'instant, et vous pourrez le voir. BRÉCOURT. Eh vite !... Il faut ailleurs répéter notre fête. LULLI. Cashons notre mousique ; il faut adroitementShersher quelque prétexte honnêtePour le laisser seul un moment. MADEMOISELLE DE BRIE. Quel contre-temps fâcheux ! LULLI. Shout ! Voici le poète.N'allez pas répéter !.. Foi de mousicien,À nos projets il ne comprendra rien. SCÈNE V. Les Précédents, Molière. MOLIÈRE. Eh ! Bonjour, mes amis, Brécourt, Lathorillière,Mesdames... Ah! Lulli, comment vas-tu ? LULLI. Fort bien. Je souis ravi de voir notre excellent Molière...Que ze n'attendais pas sitôt ! MOLIÈRE. J'ai hâté mon retour. LULLI. Et c'est ce qu'il nous faut. Aux Comédiens.Heim ! MOLIÈRE. Mais apprenez-en la cause singulière.Vous me voyez confus des bontés de mon roi... LULLI. Ses bontés ne m'étonnent guère.Louis ze le connais ; il fait grand cas de moi,Et moi grand cas de lui. MOLIÈRE. Vous savez qu'à VersaillesLe plaisir est de mode, et chacun à son tour,Depuis les dernières batailles, Offre un brillant repas aux seigneurs de la Cour ;Les gens du palais ont leur jour.Mais le comédien n'était pas de ces fêtes...Oui, j'en étais exclus... Oh ! Ne m'en plaignez pas.Libre du moins, dans ces belles retraites Je pouvais égarer mes pas,Et prendre à mon loisir un paisible repas.Là, rien de mes travaux ne venait me distraire,Et je rêvais, loin du fracas,À mon Malade imaginaire. Le roi, je ne sais trop comment,A tout su. Ce matin, avant l'heure ordinaire,Il m'a fait appeler dans son appartement :« Molière, me dit-il, tu dînes seul... personneÀ ses repas ne s'honore de toi ; Approche cette table et déjeune avec moi. »Je m'assieds. Alors il ordonneQu'on ouvre aux courtisans pour le lever du roi.Ils entrent... Sans les voir leur maître m'encourage,Me parle avec bonté. Fier d'un si noble appui, Je me sentais un personnage ;Il semblait que Louis m'élevât jusqu'à lui !La leçon a produit son effet aujourd'hui.Chacun me voulait pour convive ;Mais en vain ! Vous voyez, j'arrive. Riant.Quand on déjeune avec le roi,Messieurs les courtisans, il faut dîner chez soi ! MADEMOISELLE DE BRIE. C'est fort bien dit. LULLI. Le trait est soublime, sans doute ;Digne d'être shanté. MOLIÈRE. J'ai trouvé sur ma route.Chapelle, Despréaux... ils me suivent, je croi... Et Monsieur de Vivonne... Il vient souvent chez moi. LATHORILLIÈRE. Oui, richesse sans faste et grandeur sans jactance :Tel jadis Laelius vivait avec Térence. MOLIÈRE. Ah !... nous allons pour eux, à l'instant même, ici,Répéter la nouvelle pièce, Psyché !... Je l'ai promis ; vous tiendrez ma promesse. Lulli leur fait des signes. MADEMOISELLE DE BRIE. C'est impossible ! MOLIÈRE. Heim ! Quoi ? Que veut dire ceci ? MADEMOISELLE DE BRIE. Sans être prévenus !... LULLI. Allons, point de faiblesse ;Tenez bon ! MADEMOISELLE DE BRIE. Je ne puis répéter à présent. MOLIÈRE. Y pensez-vous ? Ces Messieurs nous attendent. MADEMOISELLE DE BRIE. J'en suis fâchée. MOLIÈRE. Eh ! mais, assurément,Vous plaisantez. MADEMOISELLE DE BRIE. Non pas. MOLIÈRE. Au théâtre ils se rendent ;Et vous voulez... MADEMOISELLE DE BRIE. Je veux... je veux qu'une autre foisIls prennent pour venir un moment plus propice. MOLIÈRE. Qu'avez-vous donc ? MADEMOISELLE DE BRIE. Je suis... malade... je le crois. Mais que ce soit ou raison ou caprice,Je ne répète pas. LULLI, bas. À merveille ! MOLIÈRE. Morbleu !De me pousser à bout vous faites-vous un jeu ?Mais je me passe d'une actrice.Ces Messieurs... LATHORILLIÈRE. Je ne puis... MOLIÈRE. Encor... BRÉCOURT. Ni moi non plus. MOLIÈRE. Qu'est-ce à dire ? Comment ?... D'où viennent ces refus ? LATHORILLIÈRE. Mais cela nous dérange. LULLI, à part. Eh ! oui, beaucoup. MOLIÈRE. J'enrage !Mes amis m'ont suivi pour entendre l'ouvrage;Ils attendent... Et vous !... Oh ! Vous répéterez !Là, je vous en supplie ! LATHORILLIÈRE. Impossible, vous dis-je. MOLIÈRE. D'un entêtement qui m'affligeJe ne puis savoir la raison !Vous vous taisez... Eh bienl répétez, je l'exige,Ou je romps avec vous pour ne plus vous revoir;Vous m'entendez ? MADEMOISELLE DE BRIE. J'en suis au désespoir. Les circonstances... puis... enfin, mon cher Molière...Demandez à Lulli. Elle sort. MOLIÈRE. Mais toi, Lathorillière... ? LATHORILLIÈRE. Le cas est grave, et je voudrais pouvoirÀ l'instant vous tirer d'affaire...Mais un engagement... vous entendez... ce soir... Demandez à Lulli. Il sort. MOLIÈRE. J'étouffe de colère !...Vous, Brécourt...? BRÉCOURT. Oh ! Ma foi ! demandez à Lulli. Il sort. MOLIÈRE. Ouais! veut-on me jouer et m'insulter ici? -Crois-tu qu'impunément je souffre que toi-même... LULLI. Là, pourquoi te fâsher ?... Tu sais bien que ze t'aime Et beaucoup... Mais, vois-tu... la mousique, mon sher...Ces dames... ces messieurs... mazoie, elle est extrême... Bas, à Lucile.Et... tu m'entends... Adiou... Venez shanter notre air. Il donne la main à Lucile. LUCILE. Oh ! Je lui parlerai. Elle sort avec Lulli. SCÈNE VI. MOLIÈRE, seul. C'est de l'impertinence ;Tant de caprices à la fin Ont fatigué ma patience !...Ah ! Messieurs les rieurs... Je bénis le destinQui me ramène ici dans cette circonstance...Corbleu ! Je suis content de me voir insulté !...À mes amis j'ai longtemps résisté, Mais je n'hésite plus !... Je vous quitte !... Courage !...Point de regrets !... C'est vous... vous qui m'avez quitté !...Vous qui m'avez forcé par ce nouvel outrageÀ reprendre ma liberté...Vous me perdez. Plus tard vous saurez me connaître... Gardez, gardez longtemps cette folle gaîté ;Pour moi me voilà libre, et je veux toujours l'être ! SCÈNE VII. Molière, Boileau, Chapelle. CHAPELLE. Eh bien, que fais-tu donc?tu nous a oubliés. . MOLIÈRE. Chapelle... Ah ! Despréaux...! BOILEAU. Tu nous fais bien attendre.Si tu savais, pour vous entendre, Quels plaisirs aujourd'hui je t'ai sacrifiés !C'est jour d'académie... à son poste fidèleChapelain y lit à présent,Un nouveau chant de la Pucelle. CHAPELLE. Parbleu ! Voilà ce qui s'appelle Se venger ! BOILEAU, riant. Par bonheur le coupable est absent ! À Molière.Mais, Molière, qu'as-tu ?... Quelque peine nouvelle ?... MOLIÈRE. Oui : je suis furieux !... ' CHAPELLE. Et Psyché qu'on attend...Vivonne et ses amis veulent qu'on les prévienne. BOILEAU. Ils sont là. MOLIÈRE. Je le sais... c'est moi qui les amène ;Ils veulent voir Psyché... c'est par bonté pour moi...Et les acteurs se sont mis dans la têteDe ne pas répéter !... : ^ CHAPELLE. Diable ! Il faut qu'on répète!... MOLIÈRE. Je suis d'une colère !... BOILEAU. Ils refusent !... Pourquoi ? MOLIÈRE. Pourquoi ?... je n'en sais rien... rien du tout, je vous jure.Ils ont refusé net. Mais d'une telle injure -Je prétends me venger.... c'en est fait ! CHAPELLE. C'est fort bien. MOLIÈRE. Je les quitte. BOILEAU. Bravo ! MOLIÈRE. Seul, j'étais leur soutien... BOILEAU. Oh ! Ce sont des ingrats... CHAPELLE. Bon ! Toujours il pardonne. MOLIÈRE. Non, mon coeur irrité ne pardonne plus rien ;Je faisais leur fortune, et je les abandonne. BOILEAU. Nous le désirons tous : ta gloire, ta santé,Depuis longtemps voulaient ce sacrifice.Du bonheur qu'on a mérité Il faut au moins que l'on jouisse. CHAPELLE. Sans doute... ta santé, mon cher, a grand besoinD'un peu de calme... il faut en prendre soin.J'ai vu ta femme hier, elle n'est pas tranquille;En partant pour Auteuil, elle voulait enfin Me charger... moi... de te rendre docile.Ton médecin... je crois... le docteur MauvillainVoudrait te voir, il faut... MOLIÈRE. Eh! mon vieux camarade,Que parles-tu d'un médecin ...C'est bien assez d'être malade ! BOILEAU. Je suis de ton avis... et j'aime ta boutade.Le théâtre t'accable, il le faut quitter.... maisNe vas pas reprendre ta chaîne. MOLIÈRE. Non, mes amis, non, je vous le promets, .J'ai bien pris mon parti, je renonce à la scène, Et sans retour... je ne veux désormaisQue me livrer en paix aux soins que je préfère...J'ai là des plans nombreux...etmes pinceaux sont prêts:Je fuirai dans Auteuil, et de nouveaux portraitsViendront bientôt égayer le parterre. BOILEAU. Dans Auteuill... c'est charmant! et nous irons t'y voir.Ta maison est pourtant bien près de la rivière...N'est-il pas vrai, Chapelle?... CHAPELLE. Oui, tu dois le savoir !... MOLIÈRE. Va, pour longtemps encor, j'ai, mon pauvre Chapelle,Des ridicules à tracer. On croit qu'en vieillissant, ils vont enfin cesser;Mais chaque jour les renouvelle. BOILEAU. C'est comme mes Cotins : ils reviennent toujours;.Je les accable tous les jours ! -De mon inflexible franchise, Et tous les jours je vois dans de nouveaux écritsNon pas les mêmes mots, mais la même sottise;Et tous les jours je vois des Cotins rajeunis,Qui, se modelant bien sur des oeuvres barbares,Ne pouvant être beaux, veulent être bizarres. Le mauvais goût est une hydre, morbleu !J'ai beau couper, couper les têtes qui renaissent,Plus fières elles reparaissent !Et, ma foi! ce n'est plus un jeu.Les sots feront lignée !... Adieu, la poésie!... Nos efforts seront superflus !Voilà les hommes de génieQui doivent occuper, quand nous ne serons plus,Nos places à l'Académie ! MOLIÈRE. Ne perdons pas courage, allons, mon cher Boileau, Marchons ensemble, unissons nos férules ;Comme le vieux Cotin poursuivons le nouveau,Et fouettons tous les ridicules!... BOILEAU. Pour moi j'avais promis de faire, à tout jamais,La guerre aux sots... j'ai tenu ma parole. CHAPELLE. Prenez garde, Messieurs ! Leurs rangs sont bien épais !... MOLIÈRE, avec affection. Eh bien ! S'ils troublent nos succès,Que notre amitié nous console ! CHAPELLE. Ah ! Pour nous consoler, aimons et buvons frais !Plaisir vaut mieux que renommée... L'amour, le vin, voilà ce qui m'émeut...La gloire, voyez-vous, n'est que de la fumée. MOLIÈRE. De la fumée !... Oui, oui... mais n'en a pas qui veut !... BOILEAU, avec chaleur. Bien ! Molière, il me vient une idée... Oui... j'espèreQue de tes ennemis tu vas être vengé. Tu quittes le théâtre; eh bien ! Sois mon confrère,Sois de l'Académie... Un puissant préjugéT'en éloignait... plus d'obstacles sans doute. MOLIÈRE. Cet honneur... BOILEAU. Laisse donc... écoute :Il est onze heures... bien ! On doit être assemblé. CHAPELLE. C'est un honneur suprême,Despréaux a raison, il faut aujourd'hui mêmeQue là-bas tu sois appelé ! MOLIÈRE. Mais... BOILEAU. Et j'y cours... Oui, je veux leur apprendreQue l'obstacle est levé.... je vais bien les surprendre... Molière, sois à nous! le siècle de LouisDe ton nom s'embellit encore.Ah! que d'un nom si beau notre temple s'honore !Consacre-nous des jours dont enfin tu jouis.Pour aller à la gloire en dépit de la haine Par notre temple il faut passer ;Et Molière doit s'y placerEntre Racine et La Fontaine. Il sort. SCÈNE VIII. Molière, Chapelle. MOLIÈRE. Despréaux...? CHAPELLE. Il est loin... C'est un brave homme au fond. MOLIÈRE. Allons ! Je ne veux pas... CHAPELLE. Et pourquoi ne pas faire, En ce cas, mon ami, ce que tant d'autres font ?Regrettes-tu déjà tes acteurs ? MOLIÈRE. Au contraire :Ils m'ont trop fait de mal !... CHAPELLE. Eh ! Vraiment je te crois !...Des soucis du théâtre enfin te voilà quitte...C'est un parti fort sage et je t'en félicite. MOLIÈRE. Les ingrats ! CHAPELLE. Oui, sans doute, et je t'ai vu cent foisQuerellant les acteurs, joué par les actrices :Quand de leurs intérêts tu portais tout le poids,Ils t'accablaient de leurs caprices.Mais de ces tyrans de coulisses Il faut te venger, tu le dois ! .Quand tu fais tout pour eux, que font-ils pour te plaire ? MOLIÈRE. Rien. CHAPELLE. Les vois-tu du moins te seconder ? MOLIÈRE. Jamais.Je les crains plus que le parterre :Ils me font tous les jours expier mes succès. CHAPELLE. Aux yeux du monde enfin tu subis leur disgrâce.Franchement, est-ce là ta place ?Travailler... bien encor... mais vivre au milieu d'eux... MOLIÈRE. Chapelle... oh ! Que dis-tu ?... Quelle erreur est la tienne !J'ai partagé leur sort, leur gloire était la mienne, Et je n'en rougis pas ; querelleurs, glorieux,Jaloux parfois, un seul mot les ramène :Passons-leur des travers ; c'est une grande chaîneQui s'attache aux mortels et les réunit tous.Le bourgeois à les siens, et la Cour en fourmille ; Les travers, mon ami, ce sont là parmi nousDes ressemblances de famille ;Mais, s'il est des vertus aussi,Crois-moi, Chapelle, on les connaît ici...Dans la société d'où l'orgueil les efface Plus d'un pauvre comédienÀ coup sûr tiendrait mieux sa place,Qu'un bel esprit, qu'un aimable vaurien,Ou qu'un prôneur de vertu par grimace...L'honneur n'est pas aux lieux où l'on va le chercher, Messieurs les gens du monde : il rit de vos hommages ;C'est souvent dans ces coeurs chargés de vos outragesQue la vertu va se nicher. CHAPELLE. Bonnes leçons que j'aime à suivre,Car je suis philosophe. MOLIÈRE. Oui, quand tu n'es pas ivre. CHAPELLE. Eh ! Qu'importe ? Vois-tu, je cherche à m'étourdir,Sur les vices et la folie rDe ces pauvres humains que je ne puis haïr :En philosophe aussi je me livre au plaisir.Cette route ici bas que nous avons suivie Ne diffère jamais que par les voyageurs :Toi, tu suis en rêvant nos sublimes penseurs;Moi, de lierre gaîment je couronne ma vie,Et je marche avec les buveurs :Mais au fond sous d'autres couleurs C'est la même philosophie. MOLIÈRE. La tienne te pourrait jouer un mauvais tour,La mienne est ce qu'il faut; tu le vois chaque jour.J'ai de nouveaux chagrins que par elle j'oublie. CHAPELLE. Tout va changer... tu dois jouir de tes succès... Ta gloire... MOLIÈRE. Non, les sots aiment trop la vengeance :Je ne me flatte pas d'une vaine espérance,Le vice démasqué ne pardonne jamais.Je dois à mes travaux les chagrins de ma vie,Mais je suis consolé par eux. Contre la sottise et l'envieCe qui soutient un talent généreux,C'est ce pressentiment de grandeur et de gloire,C'est cet avis secret qu'il ne doit pas mourir ;Dans un équitable avenir Il voit le jour de la victoire.Quand je ne serai plus on me jugera mieux.Et la fureur des envieuxTombera devant ma mémoire ! CHAPELLE, avec émotion. Molière !... MOLIÈRE. Mon ami !... Fais-moi donc un plaisir : Vois mes comédiens... là-bas que vont-ils faire?Ils m'ont trop irrité... mais je suis un bon père :Quittons-les en amis... CHAPELLE. Oui, c'est fort bien agir...Sur ta promesse au moins ne va pas revenir ! MOLIÈRE. Je te réponds de ma colère !... Seul.Oui certe! enfin je suis las de souffrir ;Eux-mêmes sont venus m'offrirL'occasion de me montrer sévère... SCÈNE IX. Molière, Lucile. LUCILE. Le voilà seul... je tremble !... Il le faut aborder. MOLIÈRE, sans la voir. Grand Dieu ! Pour des ingrats quelle était ma faiblesse ! LUCILE. Je n'ose hélas le regarder.Allons, un peu de hardiesse : Haut.Monsieur... ? MOLIÈRE. Que me veut-on? LUCILE. Comme il est en courroux !Je me retire. MOLIÈRE. Ah ! Lucile... c'est vous.Demeurez, mon enfant. LUCILE. Mon bon monsieur Molière, D'où vient un accueil si sévère ?Votre coeur serait-il changé ?Le mien de vos bontés conserve la mémoire... MOLIÈRE. Changé pour toi !... Le peux-tu croire ?Mais il est du moins corrigé De son aveugle confianceEt de sa folle complaisance :Désormais, j'en fais le serment,Je deviendrai bourru, dur, sauvage, intraitable,Et j'enverrai tous les humains au diable. LUCILE, à part. Pour le fléchir j'ai pris un bon moment. MOLIÈRE. Mais toi, que voulais-tu ? Parle, ma bonne amie.Pour le travail, négligeant le plaisir,Aurais-tu besoin de loisir ?...Je le sais, trop d'étude ennuie, Et je permets... LUCILE. Vous, devenir méchant !...Vous en voulez jouer le personnage;Ce rôle ne sera jamais votre partage,Vous l'oubliez à tout instant. MOLIÈRE. Que je t'embrasse !... LUCILE. Allons, il me rassure, Et le voilà bien disposé. Haut.Plus je raisonne et moins je me figureQui peut ici s'être exposéA caresser la Cour d'une espérance vaine ;Car jamais cette pièce... MOLIÈRE. Oui, je t'entends sans peine, Tu parles de Psyché... je ne m'en mêle plus ;Consulte Quinault là-dessus ;Corneille aussi peut te répondre ;Dans cet ouvrage qu'on attend,Tous deux ont bien voulu confondre, Pour célébrer le roi, leur zèle et leur talent.J'y renonce, pour moi. Par leurs soins répétée,La pièce enfin sera représentée,Et plus heureux... LUCILE. Y pensez-vous ?En vain, hélas ! chacun de nous Pour être prêt hâterait sa mémoire,Il manque un rôle, et l'on peut croireQue de longtemps... MOLIÈRE. Oui, l'Amour, en effet...Ils chercheront. LUCILE. Mais, c'est très difficile ;Car au quatrième acte... MOLIÈRE. Ah ! Lorsque je l'ai fait, Je pensais à quelqu'un : va, ma pauvre Lucile,C'était bien lui qu'il nous fallait.Sans cesse, en écrivant ce rôle,Je voyais son maintien, j'entendais sa parole ;A sa jeunesse, à son noble abandon, Chacun eût reconnu le maître de Cythère :Comme l'Amour il avait tout pour plaire, Talent, grâce, beauté... LUCILE. Vous parlez de Baron. MOLIÈRE. Oui, ce petit ingrat, dont la tête éventée,Oubliant en un jour mes soins et mes bienfaits, En me fuyant éteignit pour jamaisDe ses succès l'espérance avortée. LUCILE. Peut-être il reviendra... MOLIÈRE. J'en conserve l'espoir. Lucile fait un signe à Baron qui paraît dans le fond.Je l'élevai... mais non, je ne veux plus le voir. Baron s'éloigne un peu.Il méconnut son bienfaiteur, son père... Je l'aimais tant.... ! SCÈNE X. Les mêmes, Baron. BARON, se jetant aux genoux de Molière. Grâce, monsieur Molière. MOLIÈRE. Grand Dieu !... C'est lui. BARON. J'embrasse vos genoux. MOLIÈRE. Ah ! Petite rusée !... À Baron. Allons, relevez-vous.Comme le voilà grand !... Je sens que ma tendresse... BARON. Ah ! Pardonnez à ma folle jeunesse,Si je fuyais ingrat, j'arrive repentant;Loin de vous mon âme inquiète,Cédant à sa peine secrète,Me tourmentait d'un remords déchirant. Les applaudissements d'un public idolâtre,Qui jusqu'alors avait fait mon bonheur,Sans me flatter rappelaient à mon coeurCes jours où sous vos yeux je brillais au théâtre.Entouré, recherché, j'étais dans l'abandon, Tout me manquait, au milieu de l'aisance ;Je reviens, n'ayant plus hélas que l'espéranceD'obtenir de vous mon pardon. MOLIÈRE. Pauvre enfant !... Ton pardon ! Ah ! Tu connais Molière !D'avance il était dans mon coeur. LUCILE, vivement. Je disais bien qu'à sa prièreVous ne tiendriez pas rigueur. MOLIÈRE. Oui da ! Mais la gaîté t'est bientôt revenue;Cela te touche fort à ce qu'il me paraît. BARON. Je l'avais priée en secret De parler en mon nom ; votre bonté connue...Pour son talent... MOLIÈRE. J'ignorais celui-là...Qui l'aurait dit !.. Oui vraiment elle en a,Et beaucoup pour une ingénue.Je crois me rappeler... Eh ! Sans doute, autrefois Chacun riait de vos amours d'enfance ;Et cela dure encor ? Voilà de la constance !Je gagerais que pendant son absenceVous vous écriviez quelquefois ?Plaît-il ?... Hem ?... Je vous vois sourire. LUCILE. Ne pouvant plus causer... BARON. Il fallait bien s'écrire. MOLIÈRE. C'est juste. Épris de ses jeunes appas,Plus que jamais Lucile t'est donc chère?...C'est au mieux; mais enfin que prétendez-vous faire ? BARON. Nous voulons être heureux. MOLIÈRE. Ne vous mariez pas. LUCILE. Au contraire ; c'est là toute notre espérance,Croyez-vous que l'hymen arrive tout exprèsPour chasser aussitôt le bonheur ? Moi je penseQue, quand on s'aime avant, l'on peut s'aimer après. BARON. Et toujours... MOLIÈRE. J'ai pensé de même, Et long-temps aussi j'ai rêvéCe bonheur dont l'hymen vous présente l'emblème ;Je me trompais, et c'est un faux système;Ma femme me l'a bien prouvé. BARON. Nous savons que le mariage Fut toujours attaqué par vous,Mais vous verriez un bon ménageSi je devenais son époux. MOLIÈRE. Par curiosité j'irais donc à la noce. LUCILE. Il dépendra de vous d'en hâter le moment. MOLIÈRE. De moi ? LUCILE. Oui sans doute. MOLIÈRE. Et comment ? LUCILE. Mon père sait nos voeux ; mais, pour qu'il les exauce,Un mot de vous... MOLIÈRE. Je n'ai plus de crédit,Lucile ; ne t'ai-je pas ditQue, dégoûté d'un métier si pénible, Et las d'essuyer des rebuts,Je vais dans un séjour paisibleOublier les momens qu'en ces lieux j'ai perdus. BARON. Oh ! Ciel ! Vous nous quittez! LUCILE. Dieu ! Serait-ce possible? BARON. Qui peut vous inspirer ce funeste projet ? MOLIÈRE. Depuis longtemps je le médite ;Ah! pour eux que n'ai-je pas fait ?Les ingrats !... Mais enfin pour toujours je les quitte. LUCILE, avec émotion. Non, vous nous resterez... MOLIÈRE. Après ce dernier trait !Quand ce matin refusant de m'entendre... LUCILE. Quoi ! C'est là le motif ?... Que vous m'avez fait peur ! MOLIÈRE. Que dis-tu ? Je ne puis comprendre... BARON. Oui, vous pouvez encor faire notre bonheur.Vous obtiendrez tout de son père. LUCILE. Vous resterez auprès de vos amis. BARON. Vos protégés seront unis. LUCILE. Et nous conserverons Molière. MOLIÈRE. Mais encor. LUCILE. Ceux que votre voixAccuse ici d'ingratitudePour être heureux suivront toujours vos lois. Oui, leur tendre sollicitude,En se déguisant à vos yeux,De plaire à leur ami s'était fait une étude ;Ils veulent célébrer un jour si glorieux. BARON. Comprenez-vous ? MOLIÈRE. Du tout ; quelle époque fameuse ?... J'ai beau chercher : ma tête en vain se creuse. LUCILE. Je vais vous le dire tout bas...Je vous fais une confidence,Ainsi ne me trahissez pas :C'est le jour de votre naissance. MOLIÈRE. En vérité ?... LUCILE. Voulez-vous les punir? MOLIÈRE. Ma naissance ? Oui ; c'est vrai. BARON. Lui seul ici l'ignore ;Mais de ce jour à jamais l'avenirConservera le souvenir,Et nos derniers neveux le fêteront encore. MOLIÈRE. C'était pour moi... Leur fol entêtement,Leurs refus, leur gaîté, je vois tout à présent !Et je les accusais... Ah ! Combien je déplore !Les soupçons dont mon coeur avait pu les flétrir.Faut-il donc qu'il se mêle encore Des regrets à tant de plaisir ! LUCILE. Oubliez-les. MOLIÈRE. Et vous dont la tendresseA rendu la paix à mon coeur,C'est par mes mains que le bonheurEmbellira votre jeunesse. Vous voulez être unis; je ferai mes effortsPour que votre hymen s'accomplisse. BARON. Que de bontés!... MOLIÈRE. Modère tes transports :À tous deux j'aurais pu rendre un meilleur office. LUCILE. Justement, j'aperçois mon père. MOLIÈRE. Tu vas voir. BARON. Songez qu'en vous est notre unique espoir. SCÈNE XI. Les mêmes, Lathorillière. LATHORILLIÈRE. Baron ici ! MOLIÈRE. Hé bien ! La Thorillière,Tu parais étonné de le voir en ces lieux. BARON. J'ai regagné l'amitié de Molière. LATHORILLIÈRE. Il est bien bon ! Et vous êtes heureux. J'aurais, certes, moins d'indulgence. LUCILE. Quand tout est oublié... LATHORILLIÈRE. Taisez-vous s'il vous plaît. MOLIÈRE. Ne vas-tu pas gronder ? Cela me déplairait.Baron n'est pas coupable, et de ma confianceDésormais je veux l'honorer. Dès ce jour au théâtre on l'aurait vu rentrer,Si j'y gardais quelqu'influence ;Mais il suit ma fortune, et bientôt, par mes soins,Rien ne manquera, je l'espère,À ses désirs, à ses besoins, Car je veux lui servir de père. LUCILE, bas. Très bien ! LATHORILLIÈRE. Comment ? Que dites-vous ?Seriez-vous encore en courroux. MOLIÈRE. Moi, point ; mais soit dégoût, soit fatigue ou caprice,Je renonce au théâtre, et comme un bon bourgeois J'espère vivre en paix loin du bonheur facticeQui m'éblouissait autrefois. LATHORILLIÈRE. C'est sérieusement ? MOLIÈRE. Sans doute. LATHORILLIÈRE. Mais je venais vous avertirQue nous voulions, pour prévenir Ce coup qu'ici chacun redoute,Répéter à l'instant. MOLIÈRE. Ces soins sont superflus :À mon tour moi je ne veux plus. BARON. On ne peut mieux. LATHORILLIÈRE. Vous prenez mal la chose. MOLIÈRE. C'est possible. LATHORILLIÈRE. Pourquoi... ? MOLIÈRE. Je ne sais. LATHORILLIÈRE. La raison... ? MOLIÈRE. Mais... ma foi demande à Baron. BARON. Je dis qu'il agit bien, et je le dis pour cause. LATHORILLIÈRE. Petit flatteur, voyez un peu...Lucile qu'en dis-tu, ma chère ? LUCILE. Moi ? j'approuve très fort Molière. LATHORILLIÈRE. Encore ! Allons, pour le coup c'est un jeu.Nous allons répéter. MOLIÈRE. Non vraiment, je vous jure. LATHORILLIÈRE. Si fait. MOLIÈRE. Non. LATHORILLIÈRE. Je vous en conjure...Si vous saviez pourquoi nous avons refusé ! MOLIÈRE. J'en sais tout ce qu'il faut. BARON. Allons, ferme, courage ! LATHORILLIÈRE. Écoutez-moi. MOLIÈRE. Je suis mal disposé.Et ne veux point t'entendre d'avantage. LATHORILLIÈRE. Mais quel étrange entêtement ! MOLIÈRE. Le mien est des plus forts... il n'est qu'une manièreDe le faire cesser, elle est en ton pouvoir, Mais tu n'en voudrais pas user. LATHORILLIÈRE. Parlez, Molière.Je sais qu'il est de mon devoir,Puisque le sort de mes confrèresEn mes mains est remis par vous,De leur sacrifier, pour fléchir ce courroux, Mes espérances les plus chères. MOLIÈRE, bas à Baron. Tous mes comédiens ont du bon... entre nous... Haut.Je vais donc m'expliquer : ta fille est jeune et belle,Un bon mari doit être heureux près d'elle ;Il faut la marier. Je te donne ma foi De rester... LATHORILLIÈRE. Quelle fantaisie !Et quel rapport... ? MOLIÈRE. Je ne sais... je suis, moi,Dans mon jour de bizarrerie ;Mais j'y tiens fort et lui veux d'un épouxFaire présent, morbleu!... c'est mon envie. LATHORILLIÈRE. Maison croirait vraiment que vous parlez pour vous...Quelle chaleur... ! MOLIÈRE. Pour moi, non, sur mon âme :L'hymen est un lien fort doux ;Mais j'ai bien assez de ma femme.Quoi qu'il en soit, réfléchis mûrement. Le mari que je lui destineEst jeune, aimable, et c'est, je m'imagine,Celui qui lui convient; du reste, un beau talent,De puissants protecteurs et de l'argent comptant. LATHORILLIÈRE. Ce sacrifice là n'est pas pénible à faire, Mais ma fille avant tout m'est chère,Et si son coeur y consent j'y souscris. MOLIÈRE. Allons, enfans, vous voilà réunis ;J'ai pris en pitié votre flamme ;Mes soins ont comblé votre espoir... Baron, je te donne une femme,Et puisses-tu ne m'en jamais vouloir. LATHORILLIÈRE. Quoi ! Ce mauvais sujet ?... BARON. Monsieur Lathorillière,L'amour est un grand maître et change bien un coeur ;Pour mériter Lucile et votre estime, Sous les leçons de cet esprit sublime,Mes succès vont bientôt égaler mon ardeur;Votre fille est à moi, je vous dois mon bonheur,Et vous serez bientôt fier de m'avoir pour gendre. MOLIÈRE. J'en réponds. LUCILE. J'en suis sûre. MOLIÈRE. Un refus obstiné Me fâcherait !... LATHORILLIÈRE. Allons, comment ne pas se rendreLorsque Molière a pardonné. SCÈNE XII. Les Mêmes, Chapelle, Les Comédiens. CHAPELLE. Vos efforts seront vains, je vous le dis d'avance. LATHORILLIÈRE. Mes amis, il nous reste... CHAPELLE. Allons, il recommence...Cet homme-là jamais n'a pu prendre un parti. MOLIÈRE. Au contraire, mon vieil ami,J'ai toujours pris celui de la reconnaissance;Ils voulaient me fêter... je sais tout, mes enfants...Lorsque mon humeur inquiète,Prompte à se créer des tourments, Loin d'eux rêvait une retraite.Mes vains soupçons s'éloignent pour toujours,Et près de vous je veux finir mes jours. MADEMOISELLE DE BRIE. Ce bon Molière ! BRÉCOURT. Il est toujours le même. MOLIÈRE. Pour vous prouver à quel point je vous aime, Je veux aussi vous faire un don:Mes bons amis, embrassez tous Baron. LATHORILLIÈRE. C'est mon gendre. MADEMOISELLE DE BRIE. Vraiment ?... Ma surprise est extrême.Et quoi! tu consens tout de bon ? SCÈNE XIII. Les mêmes, Boileau. BOILEAU. Réjouis-toi, mon cher Molière, De notre Académie accourant à l'instant,J'embrasse mon nouveau confrère. CHAPELLE. Je vous en fais à tous mon compliment. MOLIÈRE. Quoi ! L'on m'aurait choisi. LULLI. Tout le monde te fête. BOILEAU. Parmi nous ta place était prête Depuis long-temps; après de trop dangereux coups,La sottise finit par avoir le dessous.La justice et le goût tôt ou tard la renversent ;Leurs jugements qu'en vain traversentL'ignorance et la vanité Sont toujours accueillis par la postérité.Sans attendre cette victoire,Nous avons adopté ta gloire.L'envie opposait à nos voeuxDe ses prétentions la trop faible barrière ; Elle est levée enfin, nous pouvons être heureux :Tu quittes le théâtre, et nous avons Molière. MOLIÈRE. D'un tel empressement je suis vraiment confus ;Et trop flatté de cet honneur insigne :Le choix qu'on fait de moi prouve qu'on m'en croit digne, Et mon coeur ne veut rien de plus.Sans l'avoir mendié, j'obtiens votre suffrage ;Mais, mon ami, penses-tu qu'à mon âgeOn sacrifie ainsi ses goûts et son repos ?Le bonheur est le but que chacun veut atteindre. Je le trouve en ces lieux : qu'on cesse de me plaindre;Ici j'ai des amis, et chez vous des rivaux. BOILEAU. Tu nous refuses donc ? CHAPELLE. Quel homme inconcevable. MOLIÈRE. Regarde ma famille, elle est autour de moi.Si je l'abandonnais, quel autre près du roi Élèverait pour elle une voix secourable ?Moi, les abandonner !... Quels honneurs éclatantsRemplaceraient leur tendresse si chère !Approuve-moi, Boileau ; tu sais qu'un pèreSe doit d'abord à ses enfants. Tous les comédiens l'entourent. LUCILE. Quelle bonté ! LULLI. Moi, ze crois que z'en pleure. CHAPELLE. J'en suis ému. BOILEAU. Oui, Molière, demeure.Chéri, fêté, qui n'envierait ton sort;Pour son bonheur, Messieurs,soyez toujours d'accord.C'est du sien que dépend le vôtre. Molière, tes vertus ont trompé notre espoir.Parmi nos noms, il faut donc voirTon nom remplacé par un autre.Sans nous tu marcheras à l'immortalité ;Et nous dirons à la postérité : Rien ne manque à sa gloire ; il manquait à la notre. LULLI. Ce soir, nous shanterons : tou vas entendre un air...Dont le mérite est dans la circonstance,Fort beau du reste; il est de moi, mon sher...Et digne dou souzet : c'est tout dire, ze pense. BOILEAU, donnant une couronne à Molière. Que le laurier de Plaute, en dépit des jaloux,S'unisse sur son front aux palmes de Térence. MOLIÈRE. De grâce, mes amis... CHAPELLE. Nous te la donnons tous,Et c'est le bouquet de la France. ==================================================