******************************************************** DC.Title = DOMINO À QUATRE, COMÉDIE. DC.Author = BECQUE, Henry DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/03/2021 à 08:29:32. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BECQUE_DOMINOAQUATRE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k209965m DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** DOMINO À QUATRE Comédie en un acte et en prose Joué sur la scène du théâtre de l'Odéon le 1er juin 1908 M CM XXIV d'Henry BECQUE. 5543. Tours, Imprimerie E. Arrault, et Cie. PERSONNAGES ALBANÈS. SAVARY. BROCHETON. BLANCHARD. UN GARÇON. UN PASSANT. À la gare d'une petite ville. Texte issu de l'ouvrage "HENRY BECQUE, OEuvres complète, I THÉÂTRE", Paris, G. Grès, 1924. pp.257-277. ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE. Au café de l'Alliance. ? Un coin réservé. Au café de l'Alliance. ? Un coin réservé. SAVARY, jouant avec sa montre. Cinq heures vingt... Monsieur Blanchard n'arrive pas... On ne peut plus compter sur Monsieur Blanchard maintenant... C'est moi, si j'étais dans cet état-là, qui renoncerais au domino... À Albanès.Comment le trouvez-vous, Monsieur Blanchard ? ALBANÈS. Eh ! Eh ! Je l'ai connu plus solide que ça. SAVARY. Je crois qu'il file un mauvais coton. ALBANÈS. C'est bien possible. SAVARY. Nous pourrions commencer sans lui. ALBANÈS. Un peu de patience, Monsieur Savary, un peu de patience. Laissons Monsieur Brocheton finir son journal. BROCHETON, jetant le journal. Ce n'est pas moi que vous attendez, Messieurs, c'est Monsieur Blanchard que nous attendons. Ah ! Il est bien mal ce pauvre Monsieur Blanchard, bien mal. J'aime mieux être dans ma peau que dans la sienne. SAVARY. Qu'est-ce qu'il a décidément ? BROCHETON. C'est un homme fini, voilà ce qu'il a. Quand il n'y a plus d'huile dans la lampe... ALBANÈS. Il se drogue trop. BROCHETON. C'est très joli, les femmes, c'est coquet, c'est gracieux, ce sont des petits lutins très affriolants, mais il ne faut pas en abuser. Monsieur Blanchard en a abusé. ALBANÈS. Il se drogue trop. SAVARY. Vous croyez, Monsieur Brocheton, que ce sont les femmes... BROCHETON. Je sais ce que je dis. Je suis renseigné depuis longtemps sur les faits et gestes de mon Blanchard. ALBANÈS. Il se drogue trop. BROCHETON. Il se drogue trop, vous avez raison. Mais pourquoi Monsieur Blanchard se drogue-t-il ? Parce qu'il se rend compte de sa situation, et qu'il essaie de tous les remèdes les uns après les autres. Tirant sa montre. Cinq heures et demie. Commençons, Messieurs. Nous avons attendu Monsieur Blanchard une demi-heure ; nous sommes autorisés à croire qu'il aura été retenu. Il remue fiévreusement et dominos et ils tirent. BROCHETON. C'est à vous la pose, Savary. Un temps. SAVARY, posant. Double cinq. ALBANÈS. Allez, je n'ai pas de cinq. BROCHETON. Vous n'avez pas de cinq. Monsieur Albanès n'a pas de cinq. C'est toujours bon à savoir. Posant.Cinq et quatre. SAVARY, posant. Cinq et six. ALBANÈS. Je n'ai ni cinq ni six. BROCHETON. Permettez, Messieurs, je demande à réfléchir. Monsieur Albanès n'a ni cinq ni six. Il y a un coup. Faut-il le faire ou ne pas le faire ? That is the question. Il se consulte. ALBANÈS. Voilà Monsieur Blanchard. BROCHETON, posant. Six partout. SAVARY. Allez ALBANÈS. Allez. BROCHETON. Je pose le double-six et j'abats. Comptons. BLANCHARD, pâle, défait, englouti dans ses vêtements ; il s'est traîné jusqu'à la table et se laisse tomber sur un siège. Ah ! Mes amis, j'ai bien cru que vous ne me reverriez plus. BROCHETON. Une minute, Monsieur Blanchard. - Qui est-ce qui marque ? SAVARY. C'est M Albanès qui marque. Vous avez eu tort de fermer. BROCHETON, à Albanès. J'ai travaillé pour vous. ALBANÈS. Je vous en remercie. SAVARY. Monsieur Brocheton a fait une faute ; il ne fallait pas fermer. BROCHETON. Pourquoi ? SAVARY. Monsieur Albanès renonçait aux six et aux cinq ; vous deviez penser qu'il n'avait rien dans la main. BROCHETON. Je joue mon jeu, que diable, je ne suis pas tenu de jouer le vôtre. Se retournant vers Blanchard.Ça ne va donc pas ? BLANCHARD. Je viens de faire une chute dans mon escalier ; il ne manquait plus que ça pour me remettre. BROCHETON. Reposez-vous. SAVARY. Et ne parlez pas. ALBANÈS. Vous entrerez plus tard. BLANCHARD. Je suis là maintenant ; j'aime mieux jouer que de vous regarder. BROCHETON. Comme Monsieur Blanchard voudra, Messieurs. Ils remuent fiévreusement les dominos et ils tirent. LE GARÇON, s'approchant. Qu'est-ce qu'il faut vous servir Monsieur Blanchard ? Une absinthe ? BLANCHARD. Une absinthe ! Vous voulez donc me tuer tout de suite ? LE GARÇON. Désirez-vous un quina ? BLANCHARD. Le quinquina me fait mal, je ne le digère pas. LE GARÇON. Prenez un verre de lait comme Monsieur Albanès. BLANCHARD. Je ne peux plus le voir, le lait. Donnez-moi... Donnez-moi... Ce sont toutes vos saletés qui m'ont perdu l'estomac... Donnez-moi... Une gomme. La partie recommence UN MOIS APRÈS. Albanel, Savary. SAVARY. Qu'est ce que vous préférez, Monsieur Albanès. ALBANÈS. Je ferai ce qu'on voudra. SAVARY. Il faut se décider pourtant. Jouons-nous ou ne jouons-nous pas ? ALBANÈS. Un peu de patience. Attendons Monsieur Blanchard. SAVARY. Monsieur Blanchard deviendra pas. ALBANÈS. Il vous l'a dit ? SAVARY. Il n'avait pas besoin de me le dire. Il m'a suffit de le voir à l'enterrement de Monsieur Brocheton. Il ne tenait plus sur ses jambes. ALBANÈS. Il se drogue trop. SAVARY. Il n'en a plus pour bien longtemps à se droguer. ALBANÈS. J'ai trouvé l'enterrement de Monsieur Brocheton très bien. Et vous ? SAVARY. Très bien. Monsieur Brocheton n'était pas le premier venu. C'était un courtier très considéré sur la place de Paris. ALBANÈS. La famille paraissait consternée. SAVARY. Il ne voyait plus sa famille. Elle a bien fait de venir, c'était son devoir ; mais elle n'héritera pas. Bas.Monsieur Brocheton avait deux enfants d'une personne qui le servait depuis longtemps. ALBANÈS. C'était un homme très régulier ? SAVARY. Tout ce qu'il y a de plus régulier. À part ses affaires et sa partie de dominos, il ne sortait jamais de chez lui. ALBANÈS. Voilà Monsizue Blanchard. SAVARY. Quelle figure il a, je vous le demande ? BLANCHARD, même état et même entrée que précédemment. Bonjour, Messieurs... Laissez-moi souffler un instant... j'étouffe dès que je parle... Au garçon.Allez-vous-en. Je ne peux pas vous répondre en ce moment, vous ne voyez bien... Ce pauvre Monsieur Brocheton !... C'est comme ça les maladies de coeur ; on se croit guéri et on ne l'est pas ; on n'en réchappe jamais... Comment êtes-vous, Savary ? SAVARY. Très bien. BLANCHARD. Vous êtes allé jusqu'au cimetière ? SAVARY. Oui. BLANCHARD. Vous avez eu tort. Avez-vous fait ce que je vous ai dit ? SAVARY. Qu'est-ce que vous m'avez dit ? BLANCHARD. Je vous avais dit de vous faire frictionner en rentrant chez vous et d'avaler des grogs chauds. Vous avez la grippe. (Savary hausse les épaules.) Vous l'aurez demain, c'est la même chose. ALBANÈS. C'est un véritable médecin que M. Blanchard. SAVARY. Je sais bien ce qui va me remettre ; une bonne partie de dominos. BLANCHARD. Vous croyez que le domino est bon pour la grippe, comme vous voudrez. Je suis à vous, messieurs. La partie recommence. HUIT JOURS APRÈS. LE GARÇON. Voici votre gomme, Monsieur Blanchard. BLANCHARD. Merci, mon ami. Avez-vous vu Monsieur Albanès ? LE GARÇON. Non, Monsieur Blanchard. Ces messieurs ne sont pas encore arrivés. BLANCHARD, le regardant. Ces messieurs ! Il ne faut plus attendre M. Savary. LE GARÇON. Pourquoi ? BLANCHARD. Nous l'avons enterré ce matin. LE GARÇON. C'est vrai ? Et de quoi est-il mort ? BLANCHARD. D'une grippe. LE GARÇON. D'une grippe ! Pas davantage ! BLANCHARD. D'une grippe qui n'a pas été prise à temps. LE GARÇON. Il a été enlevé à la vapeur, celui-là. Et vous, Monsieur Blanchard, vous trouvez-vous un peu mieux ? BLANCHARD. Je ne vais pas plus mal. LE GARÇON. Vous vous cramponnez. BLANCHARD. Je me défends. LE GARÇON. Ce ne sont pas toujours les plus malades qui s'en vont les premiers, c'est le cas de le dire. BLANCHARD. Voilà Monsieur Albanès. LE GARÇON. Je vais lui chercher son lait. ALBANÈS. Vous êtes là depuis longtemps ? BLANCHARD. Depuis quelques minutes. ALBANÈS. Je n'étais pas bien certain de vous trouver. BLANCHARD. Je n'aurais pas voulu vous laisser seul. Eh bien, Monsieur Albanès, croyez-vous maintenant à la médecine ? ALBANÈS. C'est pour Monsieur Savary que vous dites ça. BLANCHARD. Une grippe, une méchante grippe, qui aurait cédé en vingt-quatre heures ! ALBANÈS. Monsieur Savary serait mort trois mois plus tard, voilà toute la différence. Il se minait intérieurement, Monsieur Savary ; il était miné, miné. BLANCHARD. Est-ce que ses affaires... ALBANÈS. Ses affaires marchait très bien. Bas.Monsieur Savary avait des chagrins de ménage. BLANCHARD. Sa femme... ALBANÈS. Oui, sa femme... BLANCHARD. Elle le trompait ? ALBANÈS. Ouvertement. Il lui avait pardonné plusieurs fois. BLANCHARD. Je me serais vengé à sa place. ALBANÈS. Comment ? BLANCHARD. En ayant des maîtresses. ALBANÈS. Qu'est-ce qu'il aurait gagné ? D'être trompé d'un autre côté ? Il n'y a rien à faire, voyez-vous. Un homme ne peut plus être heureux quand il est cocu. BLANCHARD. Faisons-nous une partie ? ALBANÈS. Si vous le voulez. La partie recommence. TROIS MOIS APRÈS. Premier jour de printemps. ? Devant le café de l'Alliance. Premier jour de printemps. ? Devant le café de l'Alliance. UN PASSANT. Bonjour, Blanchard. BLANCHARD, avec animation. Bonjour, cher ami. Comment êtes-vous ? LE PASSANT. Très bien. Et vous ? BLANCHARD. Parfaitement. Voilà un siècle qu'on ne vous a vu. LE PASSANT. Un siècle, non, mais plus d'une année. BLANCHARD. Qu'est-ce que vous avez fait ? LE PASSANT. J'ai voyagé. BLANCHARD. Loin ? LE PASSANT. Loin. En Afrique. BLANCHARD. Monsieur est explorateur ? LE PASSANT. Ne riez pas. J'ai vu de drôles de pays et des choses bien curieuses. Lui montrant le café de l'Alliance.Entrons là, voulez-vous, nous causerons un instant. BLANCHARD. Moi, entrer là ? Vous ne me feriez pas entrer là pour un empire ! LE PASSANT. Diable ! Qu'est-ce qui vous est donc arrivé ? BLANCHARD, se plantant devant lui. Comment me trouvez-vous ? LE PASSANT. Superbe ! BLANCHARD. Est-ce que j'ai l'air d'un homme fini ? LE PASSANT. Vous avez vingt ans. BLANCHARD. Eh bien, mon cher, pendant que vous étiez en Afrique, à chasser le tigre et la panthère, j'ai failli crever tout simplement. LE PASSANT. Bah ! Qu'est-ce que vous avez eu ? BLANCHARD. Celui qui me le dirait me ferait plaisir. LE PASSANT. [Note : Gastralgie : Douleur nerveuse d'estomac, sans fièvre. [L]]Une gastralgie ? BLANCHARD. Non LE PASSANT. Le diabète ? BLANCHARD. Non. LE PASSANT. Une décomposition du sang ? BLANCHARD. Non. LE PASSANT. Qu'est-ce que vous avez fait ? BLANCHARD. Tout LE PASSANT. De l'hydrothérapie. BLANCHARD. D'abord. LE PASSANT. De l'électricité. BLANCHARD. Bien entendu. J'ai fait jusqu'à du magnétisme ; j'ai consulté des esprits. Ils rient. LE PASSANT. Je ne vois pas ce que le café de l'Alliance... BLANCHARD. [Note : Lazaret : Édifice isolé, établi dans certains ports de mer, et dans lequel séjournent, pour y être désinfectés, les hommes et tous les objets provenant de lieux où règne une maladie épidémique contagieuse, peste, typhus, fièvre jaune, etc. [L]]Attendez. Nous étions quatre amis, amis c'est peut-être beaucoup dire, qui venions là, tous les soirs, à cinq heures, faire une partie de domino. Est-ce le domino qui exige beaucoup d'attention ; est-ce cette atmosphère d'alcool et de tabac ; sont-ce toutes ces mauvaises boissons qu'on avale et qui m'ont rendu malade, bref je me suis échappé de ce lazaret, on ne m'y fera plus remettre les pieds. LE PASSANT. Et vos amis, que sont-ils devenus ? BLANCHARD. Ils sont morts. LE PASSANT. Tous les trois ? BLANCHARD. Tous les trois. J'ai enterré le dernier cette semaine. Un homme bien curieux ! Il ne croyait à rien, ni à la politique, ni à la médecine, ni aux femmes ; il détestait les animaux ; il a laissé tout ce qu'il avait à un petit groom qui faisait son ménage et sa cuisine. LE PASSANT. Je comprends, si vous avez perdu tant de monde à l'Alliance que vous ne soyez pas tenté d'y revenir. Allons plus loin. Allons chez William. BLANCHARD, tirant sa montre. Pas aujourd'hui. Une autre fois, quand j'aurai le plaisir de vous rencontrer. Je vous demande pardon, mais je vais être obligé de vous quitter. Bas, à l'oreille.J'attends une femme ! ==================================================