******************************************************** DC.Title = L'OISEAU BLEU, SAYNÈTE DC.Author = BEISSIER, Fernand DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Saynète DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/09/2022 à 15:31:43. DC.Coverage = Japon DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BEISSIER_OISEAUBLEU.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k743564 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'OISEAU BLEU SAYNÈTE EN UN ACTE. 1888. Droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés. FERNAND BESSIER. Imprimerie Générale de Chatillon-sur-Seine. - A. PICHAT PERSONNAGES KOU-MIA. LIOU-LI, suivante de la princesse. PEKI, jeune chanteuse. Au Japon. Extrait de "Saynètes pour jeunes filles", Fernand Bessier, Paris, Librairie Théâtrale, 1888. pp 69-99. L'OISEAU BLEU Au Japon. - Une chambre dans le palais impérial, donnant sur des jardins, qu'on aperçoit par la grande baie du fond. À droite et à gauche, une porte conduisant dans l'intérieur du palais.- Au lever du rideau, Kou-Mia assise écoute, Liou-li, qui assise aussi, mais à ses pieds, achève une lecture. SCÈNE PREMIÈRE. LIOU-LI, achevant une lecture. [Note : Chènevis : La graine du chanvre. [L]]« Et alors l'Oiseau bleu s'approchant de l'Empereur lui dit: Je mourrai dans ta cage, aux barreaux d'or... Je ne peux chanter qu'en liberté, sur les grands arbres, au clair soleil; ni tes graines de chènevis et de gingembre, ni ton eau pure, puisée à tes fontaines de marbre, ne peuvent remplacer pour moi, le grain de blé cherché sous l'herbe tendre et les gouttes de rosée cueillies dans le calice des chrysanthèmes et des lotus... Ouvre-moi la cage, et laisse-moi retourner à mon pauvre nid, où seulement je peux vivre, être heureux, et chanter.... » L'empereur ouvrit la cage et murmura: « Envole-toi donc, puisque tu le veux! » Et l'oiseau bleu alors, inclina la tête comme pour lui dire merci, puis déployant ses petites ailes, qui brillaient au soleil comme une poussière de saphir, il s'envola très haut, et disparut aux yeux de l'empereur et de toute sa cour ! Mais le soir, quand tout le monde dormait, sur les camélias du jardin dont les branches roses montaient jusqu'à la fenêtre impériale, l'oiseau bleu vint se poser, et toute la nuit il chanta, berçant les rêves de l'Empereur, et chaque soir il revint.... » KOU-MIA, l'interrompant. Eh bien ! Moi, si j'avais été l'oiseau bleu, j'aurais préféré la cage aux barreaux d'or, où la vie était si douce et si facile, aux grands arbres où souvent il devait s'endormir l'estomac vide et les ailes lasses. Et toi Liou-li ? Comprends-tu qu'on puisse chanter et être heureux, quand on est pauvre ? LIOU-LI. Ce sont les contes qui nous disent cela... Faut-il que je continue ? KOU-MIA. Non... Cherche autre chose... Liou-li ! LIOU-LI. Princesse... KOU-MIA. Je m'ennuie ! KOU-MIA. Vous ! KOU-MIA. Je m'ennuie à mourir ! LIOU-LI. Si j'appelais les danseuses et les musiciennes du palais ; leurs chansons et leurs danses vous distrairaient sûrement. KOU-MIA. Je ne crois pas, ma pauvre Liou-li... Je connais déjà toutes leurs chansons et toutes leurs danses. LIOU-LI. Voulez-vous que je fasse avancer la jonque impériale ? La mer est d'un bleu superbe ; nous pourrions aller jusqu'à la grande pagode de porcelaine, dont le vent fait si drôlement tinter les petites clochettes d'or. KOU-MIA. Non... cherche autre chose. LIOU-LI. Dame ! Je ne sais pas, moi. Cela me semble si étrange que l'on s'ennuie, quand on est comme vous jeune, jolie, et princesse si puissante que vos désirs ou vos caprices sont des ordres pour tous, que l'on n'a qu'un mot à dire pour faire courber les têtes et fléchir les genoux... Qui n'envierait votre sort ? KOU-MIA. Eh bien ! Voilà ce qui te trompe, ma pauvre Liou-li ; ce n'est pas toujours amusant d'être princesse ! Et c'est peut-être parce qu'on a tout ce qu'on désire, qu'on ne sait plus que désirer. On entend au dehors la voix de Peki. PEKI, chantant. Au milieu des vertes branchesJe viens de bâtir mon nid,J'ai cueilli des roses blanchesPour mon lit. KOU-MIA, étonnée. Tiens ! Qui donc chante là ? LIOU-LI, allant à la fenêtre. Voulez-vous que je regarde ? KOU-MIA, curieuse, allant aussi à la fenêtre. Oui... Voyons ! PEKI, au dehors, continuant. Pour boire j'ai le calice De la plus petite fleur,Et je n'ai fiel, ni maliceDans le coeur ! LIOU-LI. Oh ! La jolie fille ! KOU-MIA. La connais-tu ? LIOU-LI. [Note : Samisen : ou shamisen. Instrument à cordes traditionnel japonais.]Non... Ce doit être une joueuse de samicen, qui s'en va de village en village gagnant sa vie avec ses chansons, et marchant au hasard, aidée par la charité des uns et les remerciements des autres. KOU-MIA. Si nous l'appelions !... LIOU-LI. L'appeler !... Y pensez-vous, Princesse ? KOU-MIA. Elle me distraira un instant... Va la chercher. LIOU-LI. Mais... KOU-MIA. Va vite. Je veux la voir. LIOU-LI. J'y vais ! Elle s'incline et sort. SCÈNE II. KOU-MIA, elle regarde par la fenêtre. Ah ! Voilà Liou-li... Elle s'approche... Elle lui parle... Elle lui désigne le palais... L'autre refuse... Elle semble secouer la tête comme pour dire non... Liou-li insiste... Ah ! Enfin, elle se décide... Elles entrent dans le palais... Prêtant l'oreille. Elles montent... Les voici ! SCÈNE III. Kou-Mia, Liou-Li, Peki. Peki entre. Costume pauvre, mais très pittoresque. Elle s'arrête étonnée à la vue de Kou-Mia. KOU-MIA. Entre, petite. N'aie pas peur ! LIOU-LI. Entre donc ! Puisque je t'ai dit que c'était la princesse qui te demandait. PEKI, joyeusement. Oui... Eh ! Bien, alors... Me voilà! KOU-MIA, à part. Comme elle parait joyeuse... Il est donc possible d'être heureux, même en étant pauvre ! Haut, à Peki.J'ai entendu ta chanson, ma petite, et j'ai voulu te voir... Pourquoi chantais-tu ainsi ? PEKI. Mais pour chanter, et pour vivre aussi ! KOU-MIA. Pour vivre ? PEKI. [Note : Sapèque : ancienne monnaie chinoise.]Dame ! C'est avec mes chansons que je gagne mon pain de chaque jour. Oh ! J'en sais de très belles, allez... et des contes aussi... des contes merveilleux où il n'est question que de fleurs, d'oiseaux et de clairs de lune... Je joue aussi du samicen... Je danse : et bien rares sont les portes qui se ferment devant moi. J'ai besoin de si peu de chose : un peu de riz et quelques graines de maïs grillé me suffisent ; un coin pour reposer ma tête la nuit, c'est tout ce que je demande. En échange je donne mes chansons, c'est-à-dire de la joie aux grands comme aux petits ; et quelquefois, quand je m'en vais au matin, reprenant ma route vagabonde, je trouve, au fond de ma poche, une sapéque qu'on y a glissée, sans rien dire, et qui me fait riche alors toute une journée, c'est-à-dire qui me donne à mon tour le droit de partager avec de plus pauvres et de plus malheureux que moi... KOU-MIA. Quel âge as-tu donc ? PEKI. Quinze ans. KOU-MIA. Et cette vie te plaît ? PEKI. Si elle me plaît ? Demandez aux colibris qui nichent sous les pêchers de votre jardin impérial si la feuille verte leur est douce, si le grand air leur est nécessaire et s'ils aiment leurs chansons ! LIOU-LI, s'approchant curieusement. Et si par hasard, la porte, à laquelle tu frappes, ne s'ouvre pas ? PEKI, gaiment. Alors je couche sous la garde des cieux, à la clarté des étoiles, à l'abri d'un buisson, et j'y dors sans façons ; car la route est à tout le monde, et l'on n'y paie ni son sommeil, ni son repas. LIOU-LI. Et tu n'as pas peur ? PEKI. De quoi ? Et de qui?... Ma bourse est toujours, vide et je n'ai jamais fait de mal à personne. Et puis n'ai-je pas pour me garder les étoiles, qui brillent et veillent jusqu'au jour ? KOU-MIA. Tu es donc heureuse ? PEKI. Pourquoi ne le serais-je pas ? KOU-MIA. Tu ne désires rien ? PEKI. Non. KOU-MIA. Tu ne t'ennuies jamais ? PEKI. Jamais ! KOU-MIA. Comment fais-tu ? PEKI. Je chante. KOU-MIA. Écoute ! - Tu sais qui je suis ! PEKI, naïvement. Oui, maintenant. KOU-MIA. Je suis riche et puissante... Je possède de beaux palais de marbre que gardent des dragons blancs aux griffes d'or... J'ai des trésors immenses sur lesquels veillent jour et nuit des soldats à deux sabres, immobiles dans leurs armures d'argent. J'ai, à moi, des villages entiers cachés sous des bois de bambous et de camélias roses. Chacun de mes désirs est un ordre ; chacun de mes caprices est satisfait. Eh bien ! Malgré tout cela je m'ennuie, plus rien ne me plait ! Par instants même la tristesse me gagne. Veux-tu rester auprès de moi ? PEKI. Qu'est-ce que j'aurai à faire ? KOU-MIA. À m'apprendre comment tu fais pour être toujours gaie. PEKI. Mais je ne sais pas, moi. KOU-MIA. Tu me chanteras tes chansons, tu me raconteras tes plus belles histoires. Et en échange, je te ferai riche, je te ferai belle, je te donnerai tout ce que tu me demanderas. PEKI. Et j'aurai de belles robes de soie comme vous ? KOU-MIA. Oui ! PEKI. Des bracelets comme les vôtres ? KOU-MIA. Oui ! PEKI. Des colliers de perles pareils à ceux-ci ? KOU-MIA. Tu auras tout ce que tu désireras, PEKI. Alors, j'accepte. KOU-MIA. Et pour commencer, Liou-li... Elle désigne la servante.va remmener avec elle; dans ma garde-robe, tu choisiras les vêtements qui te plairont le plus. PEKI. Vous me les donnez ? KOU-MIA. Mais oui. PEKI. Quel bonheur ! Je pourrai m'en parer tout de suite ? KOU-MIA. Oui... Liou-li t'aidera à l'habiller. Il faut d'ailleurs que tu quittes au plus tôt les tiens. Souriant.Ils ne sont plus guère présentables. PEKI. C'est vrai ! Que voulez-vous ? Les épines des buissons les ont souvent accrochés au passage, et je n'avais guère le temps de les raccommoder. KOU-MIA. Va, et reviens aussitôt. LIOU-LI, à Teki. Par ici, petite. PEKI, à Liou-li. Et faites-moi bien belle au moins !... Elles sortent. SCÈNE IV. KOU-MIA, seule. Est-ce bon d'être heureux ? Sa joie est si vive qu'elle me la communique déjà. Il est vrai qu'on est aussi heureux du bonheur des autres. Et il faut si peu pour faire des heureux ! Une robe, un bracelet, un collier suffisent. Comme ses yeux brillaient quand elle parlait do ces choses ! Elle battait des mains, et je voyais comme des larmes de joie parler, sous ses paupières. Pauvre chère petite ! Courir ainsi les grands chemins, à son âge, était-ce triste ! LIOU-LI, entre vivement. Princesse ! La voilà, elle est prête ! KOU-MIA. Eh bien ? LIOU-LI. Oh ! Il vous aurait fallu la voir ! Elle prenait une à une les robes de soie ; elle les caressait doucement, puis les embrassait. Ensuite elle allait se regarder devant le grand miroir, et là, elle faisait les mines les plus amusantes. Voyant entrer Peki.Et tenez, la voilà ! SCÈNE V. Kou-Mia, Liou-Li, Peki. Peki entre; elle est en superbe robe deiole, des bracelets aux bras ; on ne la »ent pas A son aise dans son nouvel ajustement. PEKI, allant A Kou-Mia qui la regarde un peu surprise. Eh bien ! Comment me trouvez-vous ? Suis-je belle ainsi ? KOU-MIA. Oui. À part.C'st étrange, elle me parait moins jolie que tout à l'heure ! Ne trouves-tu pas, Liou-li ? LIOU-LI, à part. Sûrement. PEKI. Comme elles me regardent !... Elle marche en se dandinant un peu. - À part.C'est tout de même un peu gênant, la première fois. KOU-MIA. Te voilà belle maintenant ! PEKI. Oh ! Oui... C'est si joli ces robes de soie ! Et pourtant, voyez-vous, quand j'ai quitté mes pauvres habits, cela m'a fait quelque chose. Il me semblait quo c'était un peu de moi qui s'en allait il me semblait que je disais adieu à des amis. KOU-MIA. Tu t'en consoleras ! LIOU-LI. Ils n'étaient pas beaux cependant ! PEKI. Nous avons, si longtemps, vécu ensemble !... KOU-MIA. Et maintenant, voyons, conte-nous une de tes histoires. PEKI. Une histoire ?... Comme cela, tout de suite. KOU-MIA. Mais oui... Tu m'as dit que tu en savais de si belles ! Je m'assieds là. Elle va s'asseoir où elle était au commencement.Liou-Li, ici. Liou-li reprend sa première place.Et toi, au milieu. Commence, nous t'écoutons. PEKI, embarrassée. Dame ! Je ne sais pas moi; qu'est-ce qu'il faut vous conter ? KOU-MIA. Comment tu ne sais pas ? PEKI. Je n'ose plus. LIOU-LI. Ce ne sont pas tes beaux habits qui te gênent ? PEKI. Oh ! Non. KOU-MIA. Tu as trouvé ? PEKI, un peu triste. Je cherche. KOU-MIA. Comme tu nous dis cela. Qu'as-tu donc fait de ta gaieté de tout à l'heure ? PEKI. Ma gaieté ? Elle secoue la tête. KOU-MIA. Voyons, commence. PEKI. Il y avait une fois un rossignol qui avait bâti son nid sous le toit d'une pagode ; à chaque extrémité des toits de porcelaine pendaient de petites clochettes d'argent, et chaque fois quo le vent soufflait, il agitait doucement les clochettes, et de son nid le rossignol les écoutait. Le soir, on allumait autour de la pagode des lanternes do toutes les couleurs qui s'éclairaient sous le vert des arbres comme do grandes et mystérieuses étoiles. Regardant Kou-Mia et Liou-Li à part.Ça n'a pas l'air de les intéresser ! Elle reprend. Mais voilà qu'un jour le rossignol eut envie de voir de nouveaux pays ; il s'ennuyait dans ce nid qu'il avait tant aimé, et sans vouloir écouter les conseils d'un vieil hibou du voisinage, qui lui disait de rester, un beau matin, il se mit en route et quitta sa vieille pagode ; les petites clochettes sonnèrent comme pour lui dire adieu encore une fois ; et avide de voir et de connaître, il s'élança dans le ciel. Le hibou ne s'était pas trompé. Le rossignol ne devait pas tarder à regretter son pauvre nid de mousse où il avait vécu si heureux et si insouciant. KOU-MIA, à Peki. Tu n'en sais pas une autre ? PEKI, surprise. Une autre ? KOU-MIA. Oui, une autre histoire... Elle n'est pas gaie, celle-là. PEKI, comme A elle-même. C'est vrai, le rossignol meurt, loin de son nid. KOU-MIA. Tu le vois bien : je t'ai prise pour m'égayer et tu me choisis justement le plus triste de tes contes. PEKI. Je ne sais pas moi-même comment l'idée m'en est venue. KOU-MIA, à part. Elle ne me semble déjà plus la même. Haut.Préfères-tu chanter ? Liou-li t'accompagnera. Elle est fort bonne musicienne. Veux-tu essayer, dis ? PEKI. Je veux bien, moi ! KOU-MIA. Je t'écoute. PEKI, reprenant sa chanson d'entrée. J'ai pour boire le caliceDe la plus petite fleur, Et je n'ai fiel, ni maliceDans le coeur!La goutte d'eau de la plaineLorsque j'ai soif me suffit,Lorsque j'ai faim, une graine Me nourrit !Mais je n'aime que les branchesDe mes grands arbres touffus,Et loin de ses roses blanchesL'oiselet ne chante plus! Elle s'arrête et baisse la tête. LIOU-LI. Mais elle pleure ! KOU-MIA. Qu'as-tu, ma chère enfant, serais-tu malade, t'aurais-je sans le vouloir fait de la peine ? PEKI. Oh ! Non... Mais je ne sais ce que j'éprouve. C'est malgré moi... C'est le plaisir, la joie... KOU-MIA. Tes yeux semblent gonflés de pleurs ; et je vois sous ta paupière une larme que tu cherches en vain à retenir. PEKI, naïvement. C'est la première !... KOU-MIA. C'est moi qui ai eu tort, tu étais peut-être encore fatiguée de la route, et j'ai voulu aussitôt te faire chanter et rire. - Repose-toi, ma petite. Repose-toi sans crainte, je ne suis pas une mauvaise maîtresse. Demande à Liou-li : et puisque nous devons rester ensemble toujours, je ne veux pas que ce soit par des larmes que tu commences ! À Liou-Li. Viens, Liou-li. PEKI. Vous me laissez ? KOU-MIA. Oui, nous reviendrons tout à l'heure. Je veux que tu te reposes un peu ici, je veux que tu retrouves ta belle gaieté qui m'a fait envie et qui mettait de si joyeux rires dans tes yeux et sur tes lèvres. À Liou-li.Viens ! LIOU-LI, en s'en allant à part. Pauvre petite ! Elles sortent. SCÈNE VI. PEKI, seule. Mais qu'est-ce que j'ai donc ?... Que se passe-t-il en moi ?... Je suis heureuse pourtant ; j'ai une belle robe de soie; une maîtresse douce et bonne ; j'habite un palais, je n'ai plus à craindre, ni la faim, ni la soif ; je sais où reposer ma tête. J'ai autour de mes bras, ces beaux bracelets qui brillent et dont je n'osais même pas rêver. Et pourtant j'ai le coeur gros. - Je veux être gaie, et je ne le puis. Elle avait bien raison, la princesse. - C'étaient seulement des chansons tristes qui me venaient sur les lèvres. Elle regarde autour d'elle.C'est pourtant bien beau ici, beau comme ces palais de fée que je voyais quelquefois en rêve et devant lesquels je me mettais à genoux, les mains jointes, admirant. Elle va à la table où Liou-li a laissé le livre qu'elle lisait au lever du rideau.Oh ! Le superbe livre et les belles images ! Elle l'ouvre et le regarde.Des fleurs .. des oiseaux. - Je n'en ai jamais vu de pareils sur les branches des arbres. Elle lit.Je mourrai dans ta cage, aux barreaux d'or... Je ne peux chanter qu'en liberté ; ni les graines de chènevis et de gingembre, ni l'eau pure puisée à tes fontaines de marbre, ne peuvent remplacer pour moi le grain de blé cherché sous l'herbe tendre et la goutte de rosée cueillie dans le calice des chrysanthèmes et des lotus. Laisse-moi retourner à mon pauvre nid, où seulement je peux vivre, être heureux et chanter. - Et l'Empereur ouvrit la cage et dit : « Envole-toi donc, puisque tu le veux.» Elle laisse tomber le livre et reste pensive.Laisse-moi retourner à mon pauvre nid, où je peux seulement vivre, être heureux et chanter. - Ah ! Je comprends tout maintenant. C'était cette robe do soie qui pesait sur mes épaules ; ces colliers de perles qui me serraient la gorge. La cage m'étouffait. - Oh ! Mes pauvres chers habits, que j'avais bien raison de vous regretter !... Que faire maintenant, comment dire à la princesse ? Poussant un cri.Ah ! Mais j'y songe, c'est là qu'on m'a conduite tout à l'heure. Elle va ouvrir ta porte de droite.C'est dans cette chambre que j'ai laissé mes vieux habits et revêtu cette robe de soie. - Ils sont là. - Elle s'élance dans la chambre de droite. Je suis sauvée ! SCÈNE VII. Kou-Mia, Liou-Li. KOU-MIA, entrant doucement, suivie de Liou-li. Doucement : elle doit reposer, la pauvre petite. - Ne faisons pas de bruit. LIOU-LI. Je n'entends rien. KOU-MIA, regardant et t'arrêtant surprise. Personne ! LIOU-LI. Personne ? KOU-MIA. Mais c'est impossible. - Où serait-elle allée à cette heure ? LIOU-LI. Oh ! Elle ne peut pas être loin ? KOU-MIA. Elle n'a pu sortir du palais ? LIOU-LI. Elle est sans doute allée revoir les belles robes, et nous n'avons qu'à entrer là. Elle montre la droite.Nous allons sûrement la trouver s'ajustant devant votre miroir, et faisant sauter dans ses mains un de vos colliers de perles. KOU-MIA. Voyons ! Elles s'avancent vers ta porte de droite, mais au même instant où elles vont en franchir le seuil, la porte s'ouvre et Peki parait, dans son costume d'entrée. SCÈNE VIII. KOU-MIA. Peki !... LIOU-LI. Sous ce costume ? PEKI. Oui,Peki, sous ce costume ! Le sien ; le seul qui soit fait pour elle, et celui qu'elle n'aurait jamais dû quitter. KOU-MIA. Que veux-tu dire ? PEKI, s'avançant, lui prend la main et se met à genoux. Ceci, ma chère princesse : Que vous êtes bonne autant que belle ! Que la pauvre Peki n'oubliera jamais ce que vous avez voulu faire pour elle ; qu'elle priera pour vous chaque soir, afin que vous ayez, sur cette terre, toute la part de joie et de bonheur à laquelle vous avez droit. Se relevant.Mais que Peki ne peut rester dans votre beau palais ; qu'il lui faut comme à l'oiseau de sa chanson l'air des grands bois et la route libre ; et que si vous voulez qu'elle chante encore, il faut lui ouvrir les portes de sa cage, la laisser reprendre sa route et regagner son pauvre nid. KOU-MIA. Tu veux me quitter ? PEKI. Il le faut. Je ne suis pas faite pour porter vos belles robes de soie, ni pour habiter vos palais de marbre. Ma gaieté et mes chansons s'en seraient vite allées ; et l'oiseau que vous aviez pris pour vous charmer et vous distraire serait bientôt devenu muet. KOU-MIA. Tu ne veux donc plus me distraire ? Tu vois pourtant que voilà déjà ta gaieté première revenue. PEKI. Parce que j'ai repris mes vieux habits. La gaieté ne se vend ni ne s'achète. Et n'en soyez pas jalouse ; car c'est la seule richesse des pauvres. Vous avez d'ailleurs tout ce que vous désirez, et vous pouvez de plus faire autant d'heureux que vous voulez. Vous avez donc la part la plus belle ! KOU-MIA. Tu veux reprendre ta vie errante ? PEKI. À chacun ici-bas le ciel trace sa route ? Reprenant.Mais je n'aime que tes branchesDe mes vieux arbres touffus,Et loin de ses roses blanches,L'oiselet ne chante plus ! KOU-MIA. Mais comment cette idée t'est-elle revenue ? PEKI, lui montrant le livre. En regardant ce livre. Elle l'ouvre et lui montre le passage.« Laisse-moi retourner à mon pauvre nid, où je peux seulement vivre, être heureux et chanter. Et l'Empereur ouvrant la cage, dit : « Envole-toi donc puisque tu le veux ! » LIOU-LI. Mais, c'est l'histoire de l'Oiseau bleu !... PEKI. Eh bien ! C'est la mienne aussi. S'approchant de Kou-Mia.Pardonnez-moi, ma chère maîtresse. Ne me croyez pas ingrate, - je vous aime ; j'emporte de vous le plus doux et le plus cher souvenir, mais je pars ; et c'est même, croyez-moi, le meilleur moyen pour que vous m'aimiez toujours. KOU-MIA. Étrange fille ! - Tu le veux donc? PEKI. Jugez vous-même !... KOU-MIA. Eh bien, envole-toi ! PEKI. Oh ! Que vous êtes bonne ! KOU-MIA, la rappelant. Mais tu sais - il y a une fin à cette histoire : l'oiseau bleu n'oublia pas celui qui lui rendait la liberté. Il revint souvent. PEKI, du seuil. Quand vous voudrez entendre mes chansons, ouvrez vos fenêtres, faites un signe et je viendrai. KOU-MIA, tristement. Adieu donc ! PEKI. Merci ! Elle disparaît, lui envoyant des doigts un baiser, tandis que Kou-Mia la regarde tristement et que Liou-li lui dit adieu de la main. ==================================================