******************************************************** DC.Title = ANTOINETTE OU LE RETOUR DU MARQUIS, SAYNÈTE DC.Author = BERNARD, Tristan DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Saynète DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:43. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BERNARDT_ANTOINETTE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9795676r DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ANTOINETTE OU LE RETOUR DU MARQUIS SAYNÈTE EN UN ACTE Jouée au théâtre du Casino d'Enghien, en représentation exceptionnelle, et reprise au Théâtre des Mathurins 1930. de Tristan Bernard. ÉTABLISSEMENTS BUSSON IMPRIMEURS, 117 rue des Poisonniers, PARIS (18°)Achevé d'imprimer le 20 SEPTEMBRE 1930 par les ÉTABLISSEMENTS BUSSON. PERSONNAGES LE MONSIEUR DE L'ORCHESTRE. LE RÉGISSEUR. LE VICOMTE DE BRAISY. LE MARQUIS. UN SECOND MONSIEUR. UNE DAME DU BALCON. MADEMOISELLE STEPHENSON. MADEMOISELLE KRONSKA. Extrait de l'ouvrage "Théâtre sans directeur" Paris, Albin Michel, 1930, pp. 231-247 ANTOINETTE LE RÉGISSEUR, accourant. Mesdames et Messieurs, nous allons terminer la représentation par le « Retour du Marquis », pièce nouvelle en un acte, qui sera interprétée par Monsieur Saint-Georges, Monsieur Rebenval et Mademoiselle Stephenson. UNE DAME AU BALCON. Plaît-il ? LE RÉGISSEUR. Monsieur Saint-Georges, Monsieur Rebenval et Mademoiselle Stephenson. LA DAME. Et Mademoiselle Kronska... Qu'est-ce qu'on en fait ? LE RÉGISSEUR. Et Mademoiselle Kronska... J'oubliais... LA DAME. Naturellement, Mademoiselle Kronska, ça n'est rien. Ça ne compte pas. Quand une jeune artiste accepte dans une pièce un petit rôle indigne de son talent, personne ne lui en sait gré. C'est dans l'ordre des choses. Il faut s'attendre à ça. Allons ! Allons ! Nous sommes de bonnes bêtes ! Mais on ne nous y reprendra plus. À l'avenir, nous saurons ce que nous aurons à faire. Sort le régisseur. Au public.C'est vrai ça. C'est toujours la même chose, ça ne sert à rien d'être aimable pour les gens. On demande ma fille pour ce bénéfice. Elle accepte gentiment. Et on lui donne un rôle, vous allez voir ce rôle... Je crois qu'elle y sera bien, parce qu'une artiste de tempérament est bien partout... Et à côté de ça, vous verrez le rôle qu'on a donné... à une autre personne... Oui, évidemment... C'est aussi dans l'ordre des choses... Les personnes qui veulent avoir des faveurs n'ont qu'à s'occuper pour ça... et aller voir l'un et l'autre... Si ma fille s'était dérangée, elle aurait eu aussi bien l'autre rôle de la pièce... mais ma fille mène une vie très régulière, très discrète... Nous ne demandons qu'une chose, c'est qu'on ne fasse pas attention à nous... et que personne ne connaisse notre vie... Ma fille a pour ami un digne monsieur... UN MONSIEUR À L'ORCHESTRE. Voulez-vous vous taire, Madame ? LA DAME. Oui, je me tais, Monsieur Graboin. LE MONSIEUR. Mais Madame, vous ne me connaissez pas ? LA DAME, acquiesçant. C'est juste, Monsieur, je ne vous connais pas. Au public.Il y a des circonstances dans la vie où l'on est obligé à une grande discrétion. Un monsieur a beau avoir sa femme en province, dans une ville manufacturière du Nord de la France, il a toujours des relations à Paris, on peut le rencontrer... LE MONSIEUR. Voulez-vous vous taire, Madame ? LA DAME. Mais ce que je dis, Monsieur, n'a aucune importance... Enfin, Monsieur, si vous préférez que je me taise, je me tais... Je n'ai rien à vous refuser. Vivement.Bien que je ne vous connaisse pas... Mais vous savez ce que c'est que l'émotion, Monsieur Grabo... Monsieur Henri.. Nettement.Monsieur... mais, n'est-ce pas, je connais ma fille depuis vingt-deux ans, il est bien naturel que j'aie plus d'émotion que vous... qui... qui ne la connaissez pas... On entend un timbre. Avec émotion. La sonnette de l'entracte... Ah ! La la la la la ! Ça va commencer... Au public. [Note : Le théâtre Moncey se situait au niveau de 50 avenue de Clichy dans le 18ème arrondisement de Paris. Il fut détruit en 1955.]Elle n'a joué qu'une fois... vous pensez l'émotion qu'elle peut avoir.. Elle a joué une petite pièce au théâtre Moncey. Et elle a même eu un accident. Elle a manqué son entrée, elle est arrivée en retard... Et il y a même des personnes... Elle montre le Monsieur de l'orchestre du doigt en clignant de l'oeil.... qui ont prétendu toutes sortes de choses ; qu elle s était fait embrasser dans les coulisses par un ami. LE MONSIEUR. C'était vrai. LA DAME. Non, Monsieur, ce n'était pas. D'ailleurs, cette fois-ci, nous sommes tranquilles... Le jeune homme en question est en train de faire une période à Montpellier... LE MONSIEUR. Il n'y a pas que lui... LA DAME. Je vous demande pardon, Monsieur... Il n'y a que lui... Seconde sonnerie.On va commencer... Ah ! Que je suis émue... Elle récite très bien des morceaux de classiques, des imprécations ce qui s'appelle, et même des songes que son professeur lui fait apprendre... Et, dans le comique, elle fait très bien les scènes du rire... Elle n'a pas l'occasion de rire aujourd'hui dans sa pièce. Mais je crois qu'elle rira tout de même une fois pour vous montrer. Ah ! Que je suis émue... On frappe les trois coups. Ah ! Le rideau ! Le rideau se lève sur un intérieur. Entre Mademoiselle Stephenson, la Marquise. Elle cherche dans des papiers sur une table. LA DAME. Ce n'est pas elle, c'est Mademoiselle St..., c'est l'autre enfin... La Marquise va à la cheminée et presse sur un bouton.Elle la sonne... Elle sonne ma fille... Et ma fille, il n'y a pas à dire, a toujours eu une éducation supérieure... Il n'y a aucune comparaison entre les deux jeunes femmes... UN DEUXIÈME MONSIEUR. Voulez-vous vous taire, Madame ? LA DAME, le regardant. Ah ! Oui, il ne faut pas dire de mal de cette jeune femme devant vous... LE DEUXIÈME MONSIEUR. C'est insupportable ! Mademoiselle Stephenson regarde du côté du balcon. LA DAME. Non, Mademoiselle, continuez. Ce n'est pas à vous que je parle. Ce n'est rien... MADEMOISELLE STEPHENSON. C'est curieux que cette lettre ne soit pas arrivée... C'est inexplicable... Enfin, la femme de chambre saura peut-être... Entre Mademoiselle Kronska. LA DAME. Cette fois, la voilà ! MADEMOISELLE STEPHENSON. C'est vous, Antoinette, qui avez apporté le courrier ce matin ? MADEMOISELLE KRONSKA. Oui, Madame la Marquise, j'ai tout mis sur cette table. LA DAME, applaudissant. Brava ! Brava ! DES VOIX. Chut ! Chut ! LA DAME. Ce n'est pas parce que c'est ma fille, j'applaudirais l'autre aussi bien. MADEMOISELLE STEPHENSON, à elle-même. Comment se fait-il qu'il n'ait pas écrit ? Il m'avait pourtant promis... Et voici que je ne trouve rien... Ah ! Quelle tristesse ! Moi, la Marquise de Chéracé, me tourmenter pour cela ! Et je me tourmente, il n'y a pas à dire ! Ah ! De quelle étrange faiblesse sommes-nous donc, pauvres femmes ! Et comme nous descendons vite de ce piédestal de dédain où notre orgueil nous avait placées ! Applaudissements du deuxième Monsieur. LA DAME, le regardant. On les connaît, ces applaudissements-là ! LE DEUXIÈME MONSIEUR. Madame, une dernière fois, je vous prie de vous taire. LA DAME. Oui, Monsieur, vous le prenez de haut avec moi, parce que je suis une femme. Mais si vous voulez parler à quelqu'un, il y a un Monsieur à l'orchestre qui pourra vous répondre. LE PREMIER MONSIEUR. Voulez-vous vous taire, Madame ? Je ne vous ai chargée de commission pour personne. LE DEUXIÈME MONSIEUR. Ni moi non plus. LE PREMIER MONSIEUR. Je ne suis pas venu ici pour chercher querelle aux gens. LA DAME. Ici peut-être, mais deux hommes peuvent se retrouver dans la vie. LE PREMIER MONSIEUR. Voulez-vous vous taire, Madame ? LE DEUXIÈME MONSIEUR. Laissez-nous écouter. MADEMOISELLE STEPHENSON, à Mademoiselle Kronska. Vous allez faire porter ceci sans retard, chez le Vicomte de Braisy. Elle va au secrétaire et se met à écrire. Mademoiselle Kronska, à l'avant-scène, regarde avidement dans l'orchestre. LA DAME. Au sixième rang d'orchestre, à gauche. LE MONSIEUR. Voulez-vous vous taire, Madame ? LA DAME. Mais, Monsieur, ce n'est pas forcément de vous que je parle. Il n'y a pas que vous dans le sixième rang. MADEMOISELLE KRONSKA. Veux-tu te taire, Maman ? Mademoiselle Siephenson se retourne et la regarde. Non, ne faites pas attention. Ce n'est pas dans la pièce... C'est à Maman! MADEMOISELLE STEPHENSON, lui tendant une lettre. Faites porter cette pièce au Vicomte de Braisy. Mais qui vient là ? Entre Monsieur Saint-Georges, le vicomte de Braisy. À part.C'est lui... Ah ! Quel bonheur... Tout mon ressentiment s'en va. Haut.Vous avez bien tardé, cher Comte. Antoinette, laissez-nous. Antoinette sort en riant. Mademoiselle Stephenson et Saint-Georges la regardent avec étonnement. LA DAME. C'est moi qui lui ai dit de rire à ce moment-là, pour montrer comme elle riait bien... L'auteur de la pièce, en bas, dans la baignoire, n'est pas content... VOIX. Chut ! Chut ! LA DAME. Allons ! Je vous laisse écouter... Mais la scène d'amour n'est pas très intéressante. Au moment où il la prend dans ses bras, Antoinette, la bonne, ma fille, arrive, en criant : Voilà le mari ! Il sera temps. UN MONSIEUR. Je vous en prie, Madame, laissez-nous écouter la pièce... Nous n'avons pas besoin de vous pour nous l'expliquer. SAINT-GEORGES, à Mademoiselle Stephenson. Ah ! Chère amie, le voici enfin ce moment qui réunit nous l'un à l'autre. Votre mari vient de prendre le train à la gare d'Orléans. Nous sommes libres. MADEMOISELLE STEPHENSON. Octave, épargnez-moi, de grâce, vous voyez mon trouble. SAINT-GEORGES. Ah ! Que je suis plus troublé que vous ! Il m'est impossible de différer davantage l'heureux moment ! Il la prend dans ses bras. Silence embarrassé. LA DAME. Eh bien, Antoinette ? LE MONSIEUR DE L'ORCHESTRE. C'est déplorable ! Elle manque encore son entrée. LA DAME. Ce n'est rien, ce n'est rien. Je vous dis qu'il fait ses vingt-huit jours à Montpellier... Mais pourquoi n'est-elle pas là ? Saint-Georges et Mademoiselle Stephenson qui se tiennent toujours embrassés, donnent des signes d'impatience.Où est-elle passée, cette Antoinette ? Ils ne savent plus que faire, les amoureux. Ils s'attendaient à être surpris et ils ne le sont pas... Ah ! La voici. Arrive Antoinette, très troublée, toute rouge et décoiffée. LE MONSIEUR. C'est déplorable ! Elle est décoiffée. MADEMOISELLE KRONSKA, très vivement Ce n'est rien, je vous expliquerai. MADEMOISELLE STEPHENSON, que Saint-Georges tient toujours embrassée. Eh bien, nous attendons ! MADEMOISELLE KRONSKA, rapidement, mais d'un ton calme. Voilà Monsieur qui revient. MADEMOISELLE STEPHENSON, d'un ton très exalté. Mon mari ! Ah ! Mon Dieu ! Octave ! Vous allez fuir ! SAINT-GEORGES. Fuir ! Y pensez-vous ? MADEMOISELLE STEPHENSON. Fuyez pour me sauver. MADEMOISELLE KRONSKA, à l'avant-scène, s'adressant au monsieur de l'orchestre. Je vous expliquerai. MADEMOISELLE STEPHENSON, à demi-voix. À Mademoiselle Kronska.Eh bien ? MADEMOISELLE KRONSKA. Ah ! Oui ! Rapidement.Que Monsieur passe par la porte du salon. Il y a deux portes sur le palier. Monsieur ne le rencontrera pas. Elle ouvre la porte de droite, y fait passer Saint-Georges. Elle sort également. Mlle Stephenson tombe accablée sur un fauteuil. Entre le Marquis. LE MARQUIS, sur le seuil de la porte. À nous deux, Madame ! Il vient lentement jusqu'à Mademoiselle Stephenson.Vous m'avez gravement outragé dans mon honneur... Un homme était ici. Il vient de fuir, je le sais. Ma conduite dépendra de notre explication... Si cet homme n'a pas été votre amant, nous divorcerons, voilà tout... Mais si vous vous êtes oubliée jusqu'à me déshonorer, je vous tuerai, Madame ! MADEMOISELLE STEPHENSON. Je ne suis pas coupable. LE MARQUIS. Je m'attendais à cette réponse. Mais avez-vous réfléchi qu'il me faut une preuve de votre innocence ? LA DAME. Cette preuve, c'est ma fille qui va l'apporter tout à l'heure par la porte du fond. C'est ma fille qui va sauver la marquise ! UNE VOIX. Taisez-vous ! Laissez-nous écouter... La situation est palpitante !... MADEMOISELLE STEPHENSON. Mais, Monsieur, quelle preuve vous puis-je donner ? LE MARQUIS. Vous allez mourir, Madame ! Il tire un revolver de sa poche. MADEMOISELLE STEPHENSON, dignement Tuez-moi donc ! LE MARQUIS, égaré. Ah ! Je ne peux vivre dans le doute, je vais te tuer. Il braque le revolver sur elle. Silence. Hé bien ? LA DAME, appelant. Antoinette ! LE MONSIEUR. Elle rate encore son entrée. LE MARQUIS, répétant avec plus de force. Je vais te tuer ! Silence. LE MONSIEUR. C'est déplorable ! LA DAME. Je vous dis qu'il est à Montpellier. LE MONSIEUR. Alors, c'est un autre ! LE MARQUIS, à tue-tête Je vais te tuer ! MADEMOISELLE STEPHENSON. Ah !... Mais c'est énervant à la fin ! Je jouer ne peux pas dans ces conditions-là. Reprenant le ton de la comédie.Attendez un peu, Monsieur le Marquis. Je crois qu'on va apporter la preuve de mon innocence. Elle devrait déjà être ici. LA DAME. Antoinette ! Mademoiselle Stephenson va à la porte du fond qu'elle pousse. On aperçoit Mademoiselle Kronska dans les bras du pompier. LE PREMIER MONSIEUR. Un pompier ! C'est trop fort ! Il se lève et va pour sortir. LA DAME. Ne vous fâchez pas, Monsieur. Je vais vous expliquer... Elle se lève pour sortir. LE PREMIER MONSIEUR. Ceci dépasse les bornes. LA DAME. Ce pompier est un ami de la famille : un frère de lait. Ils sortent. LE DEUXIÈME MONSIEUR, avec irritation. Mademoiselle Stephenson, c'est bien simple, je vous défends de continuer à jouer dans des conditions pareilles. C'est inadmissible de se commettre avec des gens de cette espèce... MADEMOISELLE STEPHENSON. Soyez tranquille, je ne continue pas... LE MARQUIS. Ni moi non plus... ANTOINETTE, à Mademoiselle Stephenson. Madame la Marquise, voici la lettre !... MADEMOISELLE STEPHENSON. Je ne joue plus... Elle sort. ANTOINETTE, au Marquis. Monsieur le Marquis, voici une lettre. LE MARQUIS. Je ne joue plus... Il retire sa barbe. ANTOINETTE. Cette lettre qui m'a été remise par le duc contient les preuves complètes de l'innocence de ma maîtresse. LE MARQUIS. Je m'en fous. Il sort. LE RÉGISSEUR, entrant. Je vous demande pardon, mesdames et messieurs, de ces petits accrocs... LA DAME, apparaissant au fond avec le premier monsieur. Je vais jouer le rôle, je le sais. Monsieur jouera le marquis, qu'il sait aussi... Comme ça, la représentation pourra continuer. Prenant une pose théâtrale.Marquis, c'est une scène indigne. Je vais retourner chez ma mère. Elle est jeune encore. Le poussant du coude.À vous. LE PREMIER MONSIEUR, cherchant ses mots Heu ! Heu ! Oui... Madame, pardonnez-moi. Je vous ai soupçonnée injustement. Toute une vie d'expiation... La poussant du coude. À vous. LA DAME, cherchant ses mots. Heu ! Heu ! LE RÉGISSEUR. Non, ce n'est pas possible. À la cantonade.Baissez le rideau ! Baissez le rideau ! Eh bien, l'homme du rideau, qu'est-ce qu'il fait ? Avec accablement. Il embrassait Antoinette. Le rideau tombe pendant que la dame et le monsieur parlent avec animation. ==================================================