******************************************************** DC.Title = LES ENFANTS TROUVÉS, OU LE SULTAN POLI PAR L'AMOUR, PARODIE DE LA TRAGÉDIE DE ZAÏRE, DE MONSIEUR DE VOLTAIRE DC.Author = BIANCOLELLI, ROMAGNESI, RICCOBONI DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Parodie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:59:13. DC.Coverage = Liban DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BIANCOLLELI_ENFANTSTROUVES.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58012940 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES ENFANTS TROUVÉS OU LE SULTAN POLI PAR L'AMOUR PARODIE DE LA TRAGÉDIE DE ZAÏRE, DE MONSIEUR DE VOLTAIRE Avec Approbation, et Privilège du Roi. Par Messieurs DOMINIQUE, ROMAGNESI et FRANCESCO RICCOBONI. À PARIS, Chez BRIASSON, rue Saint-Jacques, à la Science. Représentée pour la première fois par les Comédiens italiens ordinaires du Roi, le 9 décembre 1732. ACTEURS TEMIRE. FATIME, Confidente de Témire. DIAPHANE, Sultan de Tripoli. ALCIDOR. JASMIN, Vizir, Confident du Sultan. CARABIN, Gascon. MATADOR. ESCLAVES. La Scène est à Tripoli dans le Sérail. SCÈNE PREMIÈRE. Temire, Fatime. FATIME. Je ne m'attendis pas, jeune et belle Thémire,Vous qui pleuriez toujours, à vous voir jamais rire !Quoi ! Vous ne tournez plus les yeux vers ces climats,Où ce vaillant Français devait guider nos pas ?Vous ne me parlez plus des plaisirs que la France Permet a notre sexe avec tant de licence ?Vous ne l'ignorez point, c'est là que les maris,Vivent d'intelligence avec les favoris,Que la femme, y bravant la contrainte fatale,Est prude avec renom, coquette sans scandale. Ne soupirez-vous plus pour cette liberté ? TEMIRE. Le Sérail aujourd'hui fait ma félicité.Chez les Mahométans dès l'enfance enfermée,À leur façon d'agir ils m'ont accoutumée.Tout le monde en convient, le Roi de Tripoli Est, malgré sa moustache, un Seigneur très poli. FATIME. Mais ce jeune officier va donc perdre sa peine ?Lui qu'on a vu partir pour briser notre chaîne,Qui reviendra bientôt payer notre rançon,Qui nous l'a tant promis. TEMIRE. Tu sais qu'il est gascon, Peut-être sa promesse a passé sa puissance.Des fils de la Garonne on connaît l'opulence :À tenir peu soigneux, à promettre hardis,Ils croient tout certain quand ils ont dit : Sandìs.Il n'y faut plus penser. FATIME. Mais s'il était fidèle ? TEMIRE. Que serait un peu tard qu'il prouverait son zèle,Et j'ai trop réfléchi depuis que je l'attends... FATIME. Quel est-donc ce discours ? TEMIRE. Fatime, il n'est plus temps :Je suis l'unique objet des voeux de Diaphane,Il m'adore... je vois que ton coeur me condamne ; Mais ce discret Sultan agit d'une façonÀ mettre mon honneur à l'abri du soupçon ;Garde-toi de penser qu'il offre à ma tendresse,L'honneur déshonorant du nom de sa maîtresse,Et que ma modestie accepte en rougissant La faveur d'un mouchoir que l'on jette en passant ;De ses intentions la pureté l'engageÀ ne me rechercher que pour le mariage :Tu verras sur son coeur, jusqu'où va mon pouvoir,Je n'ai qu'à dire un mot, il m'épouse ce soir. FATIME. Que vos félicités, s'il se peut, soient parfaites.Je voudrais bien me voir à la place où vous êtes... Mais ce coeur qui se livre à de si doux transports,En épousant un Turc nVt-il point de remords ?Carabin vous a dit cent fois par la fenêtre Que le sang d'un Français, vous avait donné l'être ;Que vous et vos parents, dans un combat fatalAviez subi le joug d'un corsaire brutal ;Ne vous souvient-il plus que dans une galère... TEMIRE. Ma foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère, J'étais trop jeune alors pour m'en ressouvenir,Et tu perdais ton temps à m'en entretenir.Je n'ai devant les yeux que ce Sultan aimable,Je servais, il me place en un rang honorable ;Mon coeur est né sensible, et ne peut résister Aux discours d'un amant dont l'aspect sait flatter.Son bras s'est signalé par plus d'une conquête,Il a le front serein, les yeux à fleur de tête,Il a la voix sonore, et l'air majestueux,Il parcourt le sérail d'un pas tumultueux ; Après tant d'agréments qu'on voit en sa personne,Te parlerai-je aussi du sceptre qu'il me donne ?Non, l'éclat de se rang n'éblouit point mes yeux,Un coeur fait pour l'amour n'est point ambitieux :Oui, si le ciel aux fers eut condamné sa vie, Si l'Afrique à mes lois se voyait asservie,Ou mon amour me trompe, ou Temire aujourd'huiPour l'élever à soi descendrait jusqu'à lui. FATIME. Il le faut avouer, cette pensée est belle,Mais convenez aussi qu'elle n'est pas nouvelle. TEMIRE. Absent depuis deux jours, on l'attend aujourd'hui. FATIME. La grande porte s'ouvre, et sans doute c'est lui. SCÈNE II. Diaphane, Temire, Fatime. DIAPHANE. Madame, un long discours me serait nécessaire,Pour dire comment j'aime, et comment je veux plaire :Je vous pourrais ici nommer tous mes aïeux, Vous conter leurs exploits, mais ne parlons point d'eux,Et ne retraçons point les illustres misèresQu'éprouvèrent jadis les Sultans mes confrères.Je suis peu leur exemple, et loin de me gênerÀ mes seuls sentiments je me laisse entraîner. Au sein des voluptés bien loin que je m'endorme,Si je tiens un Sérail ce n'est que pour la forme ;Les lois que dès longtemps suivent les Mahomets,Nous défendent le vin, moi je me le permet ;Tout usage ancien cède à ma politique, Et je suis un Sultan de nouvelle fabrique.Mais parlons de l'amour dont je brûle pour vous ;Je serai votre ami, votre amant, votre époux.J'atteste vos beaux yeux, et l'amour qui m'enflammeDe ne prendre que vous pour maîtresse et pour femme, Est-ce assez ? TEMIRE. Oui Seigneur, je ne veux rien de plus,Voilà de quoi fixer des voeux irrésolus ;Et si vous n'aspirez qu'à des ardeurs parfaites,Jamais Sultan ne fut plus heureux que vous l'êtes. DIAPHANE. Si vous me dites vrai... que me veux-tu ; Jasmin ? SCÈNE III. Jasmin, Les susdits acteurs. JASMIN. Dans la première cour, un nommé Carabin,Qui sur sa foi gasconne a passé dans la France,Attend pour vous parler, et demande audience. TEMIRE, à part. Oh Ciel ! DIAPHANE. Il peut monter, pourquoi ne vient-il pas ? JASMIN. Au bas de l'escalier on arrête ses pas, Vous savez que toujours votre porte est fermée. DIAPHANE. Oui, c'était autrefois la règle accoutumée,Mais il faut que d'entrer on ait permissionSi tu veux qu'au sérail se passe l'action,D'ailleurs à tous venants ma présence est offerte, Chacun me rend visite, et je tiens table ouverte. SCÈNE IV. Carabin , Les susdits acteurs. CARABIN. Respectable ennemi, que j'estime beaucoup,Hé donc, je viens tenir parole. Pour le coupJ'ai de l'argent comptant, que j'apporte de France ;Allons sans différer qu'on me fasse quittance. À ne te pas mentir pour trouver cet argent,II fallait être heureux autant que diligent :Grâce au Ciel, c'en est fait, et la somme est complète.Commence par lâcher la fille et la soubrette,Nous choisirons après dix autres prisonniers : Quant à moi je demeure, étant court de deniers,Qu'ils partent sur le champ, je resterai pour gage. DIAPHANE. N'en rachète que neuf, et mets toi du voyage ;Mais ne crois pas me vaincre en générosité,Remporte ton argent, reprends ta liberté, Je puis même au besoin te prêter une somme. CARABIN. Cadedis, pour un Turc vous êtes honnête homme ! DIAPHANE. Embarque cent captifs que je te rends encor,Mais je veux de ce nombre excepter Alcidor.Sa funeste valeur à nous nuire obstinée N'a que trop parcouru la Méditerranée ;Si je l'affranchissais de mon juste courroux,Il armerait bientôt en course contre nous.Pour Temire, crois-moi, garde-toi de prétendreQue l'or fuisse jamais m'engager à la rendre. Quand l'Univers entier épuisant ses trésors,De ses peuples armés y joindrait les efforts,Ce serait vainement qu'il combattrait pour elle,Rien ne peut m'arracher une esclave si belle. CARABIN. Qu'entends-je ! Est-ce la mode en ce maudit pays De manquer de parole après avoir promis ? DIAPHANE. Lorsque je te promis d'accorder ta demande,Ce n'était qu'un enfant, à présent elle est grande :Tu peux partir. CARABIN. D'accord ; mais avant mon départNe me refusez pas ce malheureux vieillard. TEMIRE. Pourquoi le retenir ? CARABIN. II ne vivra qu'une heure. DIAPHANE. Je consens à remplir tes voeux pourvu qu'il meure.Je vous quitte, Temire, adieu pour un moment,Nous nous verrons bientôt dans mon appartement. SCÈNE V. TEMIRE, CARABIîtf. TEMIRE. Seigneur, je fuis confuse, et ne sais que vous dire : Vous croyez de ces lieux partir avec Temire,Mais comme de l'amour mon coeur subit la loi,Vous voyez clairement qu'il faut partir sans moi ;Cependant, Carabin, comptez qu'en votre absence,J'aurai pour les Français beaucoup de déférence : Sur l'esprit du Sultan si j'ai quelque pouvoir,Pour soulager leurs maux, je le ferai valoir :Je deviendrai leur mère auprès de Diaphane. CARABIN. Que vous auriez d'honneur si vous n'étiez Sultane ! SCÈNE VI. Alcidor soutenu sur quatre Galériens, Temire, Carabin. CARABIN. Mais quel est ce vieillard qui paraît aux abois ? N'est-ce point Alcidor ? ALCIDOR. J'entends parler Français :Où suis-je, mes amis ? Ma vue est si troublée ,Et de tant de malheurs mon âme est accablée,Que je ne puis, hélas ! Parler, marcher, ni voir. CARABIN. S'il est ainsi, bonhomme, il faut donc vous asseoir. ALCIDOR. Suis-je libre en effet ? CARABIN. N'en faites aucun doute ;Nous allons de Toulon bientôt prendre la route,Vous vous y remettrez de vos membres perclus. ALCIDOR. À qui dois-je un bonheur que je n'espérais plus ? TEMIRE. C'est à ce cavalier, dont l'entreprise heureuse Excite du Sultan la pitié généreuse ;Pour votre délivrance il offrait un grand prix ;Mais le Roi n'en veut point et vous partez gratis. CARABIN. Entre gens du métier c'est ainsi qu'on en use,On s'oblige l'un l'autre, et l'argent se refuse. ALCIDOR. Des Chevaliers gascons je reconnais l'ardeur,S'ils n'ont pas de grands biens ils ont tous de l'honneur. TEMIRE. Il est vrai ; je ne puis concevoir ce mystère,Suivant ce qu'on m'a dit, votre province entièreAurait peine à payer une telle rançon. CARABIN. Je n'avais pas le sol, lorsque j'étais garçon :Mais je vais en deux mots vous conter mon histoire.Échappé de mes fers, chose assez dure à croireArrivant au pays je me fis Grenadier ;Oh ne s'enrichit point dans ce noble métier. Je me remis sur mer, et l'ingrate fortuneNe me traita pas mieux sur le sein de Neptune ;Je fus repris, Madame, et par un grand bonheurJe vous vis au Sérail malgré le grand Seigneur.[Note : Janissaire : Garde du grand seigneur, ou soldat de l'infanterie turquesque. [F]][Note : Bostangis : Nom des jardiniers du sérail qui sont enrégimentés et employés à la garde du Grand Seigneur. [L]]Eunuques, blancs et noirs , Bostangis, Janissaires, Ne m'empêchèrent point de vous parler d'affaires ;Ce trait est surprenant, mais passons là-dessus.Or comme en mon pays on craint peu les refus,J'allai voir le Sultan, lequel sur ma parole,Me laissa repartir pour un projet frivole ; Avec lui cependant je m'étais engagéDe revenir bientôt payer votre congé.De retour dans la France, une veuve fringante[Note : Charente : Fleuve du bassin Aquitain et débouche dans l'Atlantique au nord de la Garonne en face de l'île de Noirmoutier.]Me prit en mariage aux bords de la Charente.Elle mourut bientôt, une autre succéda ; Et cette autre en trois mois à son tour décéda ;Je convolai bientôt avec une troisième,Qui mourut en avril, je ne sais le quantième.Héritier de leurs biens, et plus content qu'un Roi,J'ai vendu trois châteaux, qui n'étaient point à moi. ALCIDOR. Oh sort ! Dont la faveur me rend à la lumière,Que ne peux-tu la rendre à ma famille entière ?Deux enfants me sent morts, il m'en reste encore deux :Ne me direz-vous point quelque nouvelle d'eux ?J'avais un beau garçon, une plus belle fille, Qui devait faire un jour l'honneur de ma famille ;Mais qui dans le Sérail, recueil de la pudeur,Peut-être en ce moment en fait le déshonneur.Mon fils fut fait esclave, et sa soeur plus petiteAu sérail avec lui par les Turcs fut conduite. CARABIN. Comment ! Il m'arriva même chose jadis ;A 1'âge de quatre ans par les Turcs je fus pris,Mené dans le Sérail avec cette personne,Et d'être tant soit peu ma saur, je la soupçonne. TEMIRE. Qu'entends je ? ALCIDOR. Ce minois, cet air vif et coquet, De ma défunte femme est le vivant portrait :Même, à ce que je crois, ce garçon me ressemble.Dans quel temps, s'il vous plaît, fûtes-vous pris ensemble ?Je ne prétends ici rien décider en l'air ;Surtout en fait d'enfants on ne peut voir trop clair. CARABIN. Je fus, il m'en souvient pris en mil sept cens seize. ALCIDOR. Époque trop heureuse, et qui me comble d'aise ;Et quel âge avez-vous à présent ? CARABIN. J'ai vingt ans. ALCIDOR. Et vous ? TEMIRE. J'en ai dix-huit. ALCIDOR. Baisez-moi, mes enfants. CARABIN. Cela ne se peut pas. ALCIDOR. Et pourquoi ? CARABIN. Non, vous dis-je ! De tels événements tiennent trop du prodige.Je fus pris à quatre ans, à cet âge un garçonDe son père du moins devrait savoir le nom. ALCIDOR. N'as-tu pas dans le sein la blessure fâcheuseQue te fit à mes yeux une main furieuse ? CARABIN. J'en ai trente, Sandis. ALCIDOR. Ah je n'en puis douter,Vous êtes mes enfants, j'ose vous l'attester. TEMIRE. Quoi,vous êtes mon père, et dans cet équipage... CARABIN. Mais vous en croirons, nous sans autre témoignage ? ALCIDOR. Mon fils, cher héritier... CARABIN. Avez-vous de gros biens ? ALCIDOR. J'en ai beaucoup en France. CARABIN. Allons, je m'en souviens. ALCIDOR. Je vous revois enfin, famille si chérie,Que je vais ramener au sein de ma patrie !Mais d'un soupçon fatal mes sens sont agités,Je crains de dévoiler d'affreuses vérités ; Quand je songe en quels lieux je la vois retenue>Je n'ose sur ma fille encor jeter la vue.Oh ! Jour qui me la rends, comment me la rends-tu ?Tu pleures ? Je t'entends, tu n'as plus de vertu. TEMIRE. Je ne puis vous tromper, l'amoureux Diaphane Dans une heure au plus tard doit me faire Sultane. ALCIDOR. Que la foudre en éclats ne tombe point sur moi,Car je ne vois ici de coupables que toi.Vivre dans un Sérail ! Ah fille déloyale,Ne comptes-tu pour rien le mépris, le scandale ? Ose-tu sens rougir t'applaudir de ce choix,Et former un hymen que condamnent nos loix ?MaisJe te vois pleurer, ma fille, c'est bon signe,Ce vertueux retour de ton sang te rend digne. TEMIRE. Oui mon père, je sens ma vertu revenir, Vous parlez si longtemps qu'on ne peut y tenir. ALCIDOR. Ouï je m'en aperçois, déjà je perds haleine,Je vais m'évanouir, vite qu'on me ramène.Ah ! Malgré nos efforts, qu'en ce siècle malinFille mal aisément reprend le bon chemin ! On l'emporte. SCÈNE VII. Temire, Carabin. CARABIN. Le papa touche presque à son heure dernière,Et va dans le soupçon achever sa carrière ;Et n'est pas encor sûr du retour de ton coeurEt je ne sais qu'en croire aussi, ma chère soeur. TEMIRE. Non, vous devez compter sur mon obéissance, Et je veux suivre en tout les coutumes de France ;Daignez-m'en éclaircir , car je prétends savoirPourquoi je m'écartais ainsi de mon devoir, Et pourquoi cet hymen est au nombre des crimes ? CARABIN. Cadedis, c'est qu'il est contraire à nos maximes. TEMIRE. Expliquez-les moi-donc... CARABIN. Je m'en tirerais mal ;[Note : Voir "Le parfait maréchal qui enseigne à connaître la beauté, la bonté et les deffauts des chevaux, ensemble un traité du haras" de Gervais Clousiers (1674) ; Voir Gallica.]Ma lecture se borne au parfait Maréchal,Et je sais seulement qu'un pareil mariageVous m'entendez, je n'ose en dire d'avantage. TEMIRE. Ah ! Cruel poursuivez, vous ne connaissez pas Mon secret, mes tourments, mes voeux, mes attentats. CARABIN. Non vraiment ; et qui diable y pourrait rien connaître ?Parlez-moi sans énigme, et j'entendrai peut-être. TEMIRE. Voici le fait : je suis retenue en ces lieux,Le Sultan est frappé de l'éclat de mes yeux , Il est, vous le savez, maître de ma personne,Et l'on doit l'épouser aussitôt qu'il ordonne ;Mais, me voyant forcée à suivre son désir,Si mon coeur y cédait avec quelque plaisir ? CARABIN. Qu'entends-je ? Ce serait une impudence extrême, [Note : Soufflet : Coup du plat de la main ou du revers de la main sur la joue. [L]]Digne de vingt soufflets. TEMIRE. Frappe-donc,car je l'aime. CARABIN. Opprobre malheureux du sang de Carabin,Il ne te manque plus que d'aimer un Rabbin.Oui, si je n'écoutais que mon bouillant courage,Dans ton maudit Sérail j'irais faire tapage ; Je mettrais le château tout sans dessus dessous,Ferais un abatis de tous les Marabouts,À ce fat de Sultan arrachant la moustache...Mais non, à mon honneur ce serait une tâche. TEMIRE. Arrête, mon cher frère, arrête, et connais moi, Peut-être que Temire est digne encor de toi?Du pouvoir de l'amour la vertu me délivre :Fais-moi sortir d'ici ; je suis prête à te suivre.Ah ! mon cher Diaphane il faut donc te quitter !Que de pleurs ce départ à mes yeux va coûter ; Pardonne, ton courroux, mon père, ma tendresse,Mes serments, mon devoir, mes remords,ma faiblesse,Mon trouble, ma douleur, mes chagrins, mon ennui... CARABIN. Elle ne finira je pense d'aujourd'hui.De mots sans liaison quelle ample kyrielle ! Conclusion, ton âme enfin se résout-elle tPromets-tu de venir ? TEMIRE. Oui, je te le promets,Mon frère rends-moi libre, à tout je me soumets.Mais tu devrais du moins aller voir notre père ;Nous le laissons mourir d'une étrange manière. CARABIN. Je le compte pour mort, et j'y perdrais mes pas :Au moins, dans vos projets ne vous démentez pas.À tout événement, ma soeur, tenez vous prête,Vous allez voir bientôt quelque coup de ma tête. Il s'en va. SCÈNE VIII. TEMIRE. Me voila seule, hélas ! Que vais-je devenir ? II faut avec moi-même ici m'entretenir :Examinons-nous bien, voyons de quelle espèceDoit me rendre aujourd'hui l'honneur ou la faiblesse.Suis-je Turque, ou Française ? Hélas ! Je n'en sais rien,Et mon état présent ne se conçoit pas bien, Suivrai-je mon devoir, ou m'en écarterai-je ?N'épouserai-je pas, ou bien épouserai-je ? Que dis-je ? Ai-je oublié les serments que j'ai faits ?IMon père, mon pays, vous serez satisfaits.Plus je veux l'étouffer, plus mon feu se rallume ; J'aime toujours, malgré la France et sa coutume.Ah ! Puisque tu devais m'épouser dès ce soir,Pourquoi m'apprenait-on aujourd'hui mon devoir !Frère trop rigoureux, du moins pour me rapprendreJusqu'à demain matin tu devais bien attendre ? SCÈNE IX. Diaphane, Temire, Jasmin. DIAPHANE. Je n'y puis plus tenir, Madame paraissez,Venez, venez répondre à mes voeux empressés ;La Mosquée est ornée, et les flambeaux s'allumentLe Mufti vous attend, déjà les parfums fument... TEMIRE, à part. À ces apprêts flatteurs pourrais-je résister ? II le faut bien pourtant. DIAPHANE. C'est trop vous arrêter,Venez. TEMIRE, à part. Où me cacher. DIAPHANE. Que dites vous ? TEMIRE. Je n'ose. DIAPHANE. Vous n'osez ? TEMIRE. Non Seigneur. DIAPHANE. Et pourquoi donc ? TEMIRE. Pour cause. DIAPHANE. Ah ! Je vois ce que c'est, sans doute la pudeur... TEMIRE. Non, ce n'est point cela, vous vous trompez, Seigneur. DIAPHANE. Expliquez-vous donc mieux. TEMIRE. Ciel ! DIAPHANE. Quoi ? TEMIRE. Cet hyménéePar son éclat pompeux ne n'a point étonnée ;Je n'ai point recherché les biens et les grandeurs,Un plus noble intérêt fit naître mes ardeurs :Mon coeur tendre et sincère aux trônes de l'Afrique, Eût préféré l'abri du toit le plus rustique :Seule, et dans ces déserts auprès de mon époux... DIAPHANE. Hé bien, nous serons seuls, de quoi vous plaignez-vous ? TEMIRE. D'accord, mais Carabin.... DIAPHANE. Que dites-vous, Madame ?Qu'auraient-donc de commun Carabin, et ma flamme ? TEMIRE. Alcidor va mourir... DIAPHANE. Que m'importe sa mort ?Et quel vif intérêt prenez-vous à son sorts ? TEMIRE. Cet hymen dont l'idée à mon coeur est si chère,Cet hymen si charmant, souffrez qu'on le diffère. DIAPHANE. Je ne m'attendais pas à pareil compliment, Temire. TEMIRE, à part. Je frémis de son emportement. DIAPHANE. Temire... TEMIRE. Il m'est affreux, Seigneur, de vous déplaire,Laissez-moi vous quitter, je ne saurais mieux faire. DIAPHANE. Je n'y comprends plus rien, pourquoi partir sitôt ?Dites-moi vos raisons.... TEMIRE. Je les dirai tantôt. SCÈNE X. Diaphane, Jasmin. DIAPHANE. [Note : Le vers 361 de la scène X est le vers 977 de Zaïre de Voltaire.]Je demeure immobile et ma langue glacéeAutant que mon esprit se trouve embarrassée ; La situation pour le coup m'interdit :Que faut-il que je dise, et que m'a-t-elle dit ?Cher Jasmin, quel est-donc ce changement extrême ? Je ne la connais plus, je m'ignore moi-même,Je la laisse échapper ! JASMIN. Que ne l'arrêtiez-vous ? DIAPHANE. Pourquoi se dérober à des moments si doux ? JASMIN. Ayez-vous oublié les grimaces des filles ?Elles se font valoir quand elles sont gentilles. DIAPHANE. Si ce petit Gascon m'avait ravi son coeur... Elle m'en a parlé : quel soupçon ! Quelle horreur!Il n'en faut point douter, le perfide l'adore,Il voulait l'emmener et le désire encore.Quelle honte pour moi, qu'un jeune audacieux. Sur l'objet de ma flamme ose lever les yeux ! JASMIN. Preniez-vous ce Gascon, Seigneur, pour une bête ?Vous les avez laissés ensemble tête à tête. DIAPHANE. Je ne le ferai plus. JASMIN. Vous aurez bien raison ;Ah ! Que la prévoyance est ici de saison : Mais il doit revenir. JASMIN. Qu'il revienne, le traître...Qu'on l'assomme à l'instant s'il ose reparaître.Excuse les transports de ce coeur offensé :Je suis un étourdi, j'ai le cerveau blessé ;Mais je sais quelques fois agir avec prudence, Et ne puis accuser Temire d'inconstance.Non, son coeur n'est point fait pour une trahison,Ni le mien pour sentir l'atteinte d'un soupçon.Ne crois pas cependant qu'un Sultan s'avilisse,À se voir le jouet d'un amoureux caprice ; À souffrir des rebuts, dérober des faveurs,Combattre des mépris, respecter des rigueurs :Je veux même oublier qu'une fois en ma vie,J'eus d'aimer constamment la ridicule envie.Que désormais à tous le Sérail soit fermé Et que tout rentre ici dans l'ordre accoutumé. SCÈNE XI. Temire, Diaphane, Jasmin. DIAPHANE. Elle revient ; mon coeur fais bonne contenance ;Vizir, sois le témoin de mon indifférence.Madame, il fut un temps, mais ce temps-là n'est plus,Et de m'en souvenir je suis même confus ; Il fut un temps, vous dis-je, où mon âme insensée,S'applaudissait du trait dont vous l'aviez blessée.Je croyais être aimé, je devais l'être aussi ;Mais de ne l'être pas je ne prends nul souci,Et je puis en perdant un coeur comme le vôtre, Sans soupirer longtemps, en retrouver un autre :Je m'en flatte du moins ; une autre aura des yeuxQui de ce que je vaux jugeront beaucoup mieux.II pourra m'en coûter, je l'avoue à ma honte,Mais à me consoler cette autre sera prompte ; Et j'aime cent fois mieux briser des noeuds si doux,Que de passer pour sot en soupirant pour vous ;Allez, mes yeux jamais ne rêveront vos charmes. TEMIRE. Ma vertu ne saurait tenir contre mes larmes,Et l'amour sur l'honneur prend toujours le dessus ; Est-il bien assuré que vous ne m'aimiez plus,Seigneur ? DIAPHANE. Il est trop vrai que l'honneur me l'ordonne,Que je vous aimai trop, que je vous abandonne :Que mes voeux, que mon coeur, que mes yeux éclairés...Que j'aimai, que je hais... Temire vous riez ? TEMIRE. Seigneur qui ne rirait de tout ce badinage ?De mon incertitude et de voue langage ? DIAPHANE. Ne crois pas que mon coeur soit d'accord avec moi,Quand je parle d'aimer un autre objet que toi ;Cesse de t'affliger, adorable Temire, Va, tout ce que j'ai dit ce n'était que pour rire.Mais toi qui refusais la main de ton amant,Était-ce par caprice, ou par raffinement ?L'amour ne veut point d'art quand la fille est jolie,Et je ne hais rien tant que la coquetterie. TEMIRE. Moi coquette, Seigneur ! Et vous m'en soupçonnez ?Non, non, au simple amour tous mes voeux sont bornés. DIAPHANE. Hé bien, épousons-nous. TEMIRE. J'en aurais grande envie ;Mais... DIAPHANE. Hé bien... TEMIRE. Ah ! Seigneur... DIAPHANE. Que de cérémonie !Vous m'impatientez. TEMIRE. Souffrez qu'à vos genoux Je demande en tremblant une grâce de vous ? DIAPHANE. Et de quoi s'agit-il ? TEMIRE. Permettez que je sorte. DIAPHANE. Quoi toujours me quitter, et de la même forte ? TEMIRE. Demain tous mes secrets vous seront révélés. DIAPHANE. Pourquoi pas aujourd'hui ? Qui vous retient ? Parlez. TEMIRE. J'exige ce délai de votre complaisance. DIAPHANE. Je saurai la raison qui vous force au silence ;Et l'examinerai. J'attends jusqu'à demain ;Pour un Turc, avouez que je suis trop humain,Tout autre en vous aimant voudrait de votre bouche Apprendre ce secret, qui sans doute me touche. TEMIRE. En me parlant ainsi vous me percez le coeur. DIAPHANE, à Temire qui sort. C'est dommage ; adieu donc : vous partez ? TEMIRE. Oui Seigneur. SCÈNE XII. Diaphane, Jasmin. DIAPHANE. Je défie au plus fin d'y pouvoir rien comprendre ;Et voilà de ces coups qui sont faits pour surprendre. Je fuis bien indigné ; mais elle a ses raisons :Je devrais les savoir... faisons trêve aux soupçons.On m'aime, c'est assez, on le dit, on le jure,Une femme n'est pas capable d'imposture ;Un grand coeur à la croire est toujours engagé. JASMIN, à part. Par ma foi le Sultan n'a guère voyagé. SCÈNE XIII. Matador, Diaphane, Jasmin. DIAPHANE. Que veux-tu ? MATADOR. Ce billet à Temire s'adresse ;Vos Gardes surveillants l'ont surpris par adresse. DIAPHANE. Donne, qui le portait ? MATADOR. Un des GalériensDont vos bontés, Seigneur, ont brisé les liens. DIAPHANE. Lisons... la main me tremble et j'aurai peine à lire. LETTRE. Je vous attends, chère Temire ; Il est vers la Mosquée un sentier très obscur Qui vers le port peut vous conduire ; Si vous vous y rendez note départ est sûr. Qu'en dis-tu, cher Jasmin. JASMIN. Je n'en dis rien de bon ;On se moque de vous d'une étrange façon. DIAPHANE. Tu vois comme on me traite. JASMIN. Ô trahison horrible !Tromper un si bonhomme, hélas est-il possible ! Il pleure. DIAPHANE. Cours chez elle à l'instant, montre-lui ce billetEt perce-la soudain de cent coups de stylet ;Marche-donc, obéis, non, arrête, demeure...Quoi tu n'es pas parti, malheureux ?... JASMIN. Tout à l'heure. DIAPHANE. Attends ; Ciel ! Que résoudre en un tel embarras ? JASMIN. Hé bien, Seigneur, irai-je, ou bien n'irai-je pas ? DIAPHANE. Je n'en sais rien. JASMIN. Ni moi. DIAPHANE. La perfide ! JASMIN. L'ingrate !D'être aimé constamment, en vain l'homme se flatte. DIAPHANE. Je prétends lui parler ; qu'on la fasse venir. JASMIN. Encor un entretien, Seigneur ? DIAPHANE. C'est pour finir. JASMIN. Finissez sans cela ; vous savez que la belleNe conviendra jamais qu'elle soit infidèle ;Épargnez-vous l'ennui d'un éclaircissement ;L'Amant y fait le sot, la fille y pleure, et ment.Attendez... il me vient une belle pensée : II faut que cette lettre à Temire adresséeEn ces perfides mains soit remise à l'instant. DIAPHANE. Ah ! Ne négligeons pas cet avis important ;Va chercher un esclave intelligent, alerteQui ne lui dise pas que nous savons ouverte. JASMIN. Bagatelle, je vais la lui faire porterEt je prendrai le sein de la recacheter. Il s'en va. SCÈNE XIV. DIAPHANE. Oui, Jasmin a raison ; et de cette manièreLa conduite sera beaucoup plus régulière,Car si je la voyais, il faudrait lui prouver Qu'elle n'est infidèle, et cherche à se sauver,Mais je n'en ferais rien, et n'osant lui répondre,J'oublierais les moyens que j'ai de la confondre,Je connais ma faiblesse, et sans les employer,On me verrait sans fruit encor la renvoyer. SCÈNE XV. Jasmin, Diaphane. JASMIN. Seigneur, l'affaire est faite, et ma course est heureuse,Le billet est rendu par certaine coiffeuse ;Temire a fait réponse, et d'un air aigre-douxAu Gascon, dans ces lieux a donné rendez-vous. DIAPHANE. Nous les verrons venir, et déjà la nuit sombre Aux furtives amours semble prêter son ombre.Écoute, cher Jasmin, n'entends-tu pas des cris ? JASMIN. Ils iront doucement de peur d'être surpris ;Fille que l'on enlève, et qui consent à l'être,N'a garde de crier. DIAPHANE. Le scélérat, le traître ! JASMIN. Tout dort, et votre esprit de soupçons travaillé... DIAPHANE, en pleurant. Hélas lorsque tout dort, le crime est éveillé. JASMIN. Quoi, Seigneur, de pleurer vous faites la folie ? DIAPHANE. Un Héros peut pleurer une fois en sa vie.Ah ! pour le coup on vient, je ne me trompe pas. JASMIN. Oui, vous avez raison, on marche à petits pas. SCÈNE XVI. Temire, Fatime, et les susdit Acteurs. TEMIRE. Est-ce ici le chemin ? FATIME. Oui, Madame, courage ;Carabin va venir. DIAPHANE. Je frissonne, j'enrage,Mais je vais dans son sang éteindre son sortait.L'infidèle ! JASMIN. Pour moi, je me cache... est-ce fait ? DIAPHANE. J'entends encor du bruit, et j'aperçois le traître,La lanterne qu'il tient me le fait reconnaître ;Je vais les immoler à ma juste fureur. TEMIRE. Est-ce vous Carabin ? SCÈNE XVII et DERNIÈRE. Carabin, et les susdits acteurs. CARABIN. Êtes vous là, ma soeur ? DIAPHANE. Sa soeur ! Ah ! J'allais faire une belle sottise ! Cet éclaircissement m'épargne une méprise. TEMIRE. Que vois-je ? Le Sultan... CARABIN. Nous sommes découverts.Ah sandis, nous allons retomber dans les fers. DIAPHANE. Est-elle bien ta soeur ? CARABIN. Alcidor est son père,Je suis fils d'Alcidor, ergo, je suis son frère. DIAPHANE. Et pourquoi souffrais-tu qu'il osât t'enlever ? TEMIRE. C'est que je vous aimais, et voulais me sauver. DIAPHANE. Mais par quelles raisons ? TEMIRE. La coutume de FranceMe l'ordonnait, Seigneur. DIAPHANE. Oh quelle extravagance !Puisqu'un pareil motif avait su te guider, Je suis trop délicat pour vouloir te garder. JASMIN. C'est fort bien fait, Seigneur ; renvoyez la matoise,Qu'elle fasse à Paris l'amour à la Française. DIAPHANE, à Ternire. Moi, dont tu connaissais les vertus, les bontés,Qui n'ai jamais agi que par tes volontés... Ah ! Si dans ton pays tu désirais de vivre,Je t'adorais assez, cruelle, pour t'y suivre,Et changeant tout-à-coup le turban en plumet,J'aurais en petit-maître habillé Mahomet ;Mais je fuis trop piqué. Jasmin, je veux qu'ils partent, Et que de ce rivage à jamais ils s'écartent.Pour que le spectateur se sente remuer,II faut que quelqu'un meure, et je vais me tuer. CARABIN. Ah ! Ne vous tuez pas avant notre voyage ;Car si vous expirez, on nous remet en cage : Que de la mort au moins nous soyons garantis. DIAPHANE. Hé bien, je me tuerai quand vous serez partis. ==================================================