******************************************************** DC.Title = GILLES TOUT SEUL, VAUDEVILLE EN UN ACTE. DC.Author = BIZET, SIMONOT DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Vaudeville DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 02/08/2023 à 05:22:39. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BIZET-SIMONOT_GILLESTOUTSEUL.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** GILLES TOUT SEUL VAUDEVILLE EN UN ACTE. Représenté à Paris, sur le théâtre de la Cité-Variétés, le premier Ventôse an 7 AN VII. Par les citoyens BIZET et SIMONOT DE L'IMPRIMERIE DE SURET, RUE HYACINTHE, n°522 Représenté à Paris, sur le théâtre de la Cité-Variétés, le premier Ventôse an 7. PERSONNAGE GILLES, le citoyen FAURE. La scène est chez Gilles GILLES TOUT SEUL. Le théâtre représente un salon ; autour sont disposés les portraits des aïeux de Gilles ; dans le fond, une fenêtre fermée de persiennes ; et ouvrant en-dehors ; à quelque distance de la fenêtre, et du même côté, un oeil de boeuf ; à gauche, une armoire ; à droite, une table couverte d'un tapis ; une cheminée en avant de l'armoire ; un secrétaire derrière la table ; des chaises. GILLES. Pour cette fois, mon très cher Arlequin, j'espère que tu seras complètement la dupe de mon petit stratagème ; et cependant tu as, dit-on, plus d'esprit que moi... Cela ne m'étonne pas. Air : la comédie est un miroir.L'homme d'esprit voit tout en grand,Rarement il sait se contraindre ;Son génie embrasse souvent,Tout, hors le point qu'il faut atteindre :Au contraire, dès son début Le sot marche d'un air modeste,L'homme d'esprit passe le but,Le sot l'atteint, mais il y reste.Il faut avouer pourtant que j'ai eu là une délicieuse idée. Comment diable ai?je donc fait pour imaginer cela tout seul. J'en suis encore tout étonné. Voilà ce que c'est que d'avoir des oreilles et de savoir s'en servir. Air : Nous nous marierons dimanche.Hier au matin,Le cher Arlequin, Disait à Monsieur Cassandre :J'ai cent francs en or,Que faut-il encorPour devenir votre gendre.Je veux de plus Cinquante écus ;Je tranche ;Au même instant,J'en donne autantÀ Blanche ; Si, pour le certain,Tu les as demain,Je vous marierai dimanche.[Note : Décadi : Le dixième et dernier jour de la décade dans le calendrier républicain, jour de repos qui répondait à notre dimanche. [L]]Cela n'est pas difficile à croire, puisque dimanche prochain tombe justement le décadi. Après avoir entendu cette conversation, je n'ai pas perdu la tête : j'ai parié cinquante écus avec Arlequin qu'il ne resterait pas vingt-quatre heures sans sortir de chez lui. Il a donné dans le panneau, parce qu'il ne sait pas que je suis amoureux de Blanche, et qu'il espère que mes cinquante écus serviront à compléter la somme que Cassandre exige ; mais il est loin de compte. Air : Il faut des époux assortis.Je m'amuse en voyant d'iciLa tournure que prend la chose ; Arlequin s'enferme chez lui,De son absence on s'indispose.Cassandre ne le reçoit plus,Et bientôt, grâce à mon adresse,Je perdrai mes cinquante écus ; Mais j'épouserai sa maîtresse. bis.[Note : Méot : restaurant se situant 10 rue de Valois à Paris, créé en 1791. ]Il est un peu friand le cher Arlequin : pour se consoler du chagrin de ne pas voir Blanche, il se régale de pâtisserie ; et comme il ne peut pas sortir, c'est moi qui suis son pourvoyeur. Il n'y a qu'un moment que je viens de reporter sa tourtière chez le papa Cassandre, à qui, comme de raison, il donne sa pratique ; et notre gourmand attend déjà, avec impatience, un grand pâté de macaronis... Mais il faut convenir d'une chose, Monsieur Cassandre a poussé au plus haut degré le grand art de la cuisine ; c'est un second Méot. Air d'Arlequin afficheur.De cette cuisine excellente,Sort mainte chose succulente ;Du gibier de chaque saison,Des fricandeaux, Des omelettes,Des gigotsEt des tartelettes ;Perdrix, saumonEt caneton, [Note : Godiveau : Terme de cuisine. Sorte de pâté chaud composé d'andouillettes, de hachis de veau, etc. [L]]Godiveau, poularde au cresson,FiletsDe poulets,En grimace ;Excellent salmis de bécasse, Émincé de boeuf à l'oignon ;Cochon,Jambon,Dindon,Rognon, Amande douce, amande amère,Du beefsteak aux pommes de terre ;Sa carte fut, dans tous les temps,Le dictionnaire des gourmands. Air : Un ancien proverbe nous dit.Cette appétissante maison, Nous offre de tout à foison,C'est un vrai pays de Cocagne.Mais, moi, ce que j'aime, surtout, ce sont...Ces truffes au vin de Champagne,Dont on régale, en certain cas,Les maris qui ne le sont pas. Ce pauvre Arlequin, comme il est obligeant. Il craint que je ne sache pas trouver un prétexte honnête pour me présenter chez Monsieur Cassandre ; il a la bonté de me l'offrir lui-même, en me chargeant de ses commissions. Je n'ai pas manqué d'en profiter ; j'ai tiré le papa Cassandre dans un coin, et je lui ai dit : Air : Lubin va la préférence.Savez-vous papa CassandreCe qu'a fait ce matinLe coquin D'Arlequin ;L'honneur d'être votre gendre, Ne le touche plus en rien.- Mon cher, que voulez-vous dire ?- Avec fille qu'il vient de séduire,Il a fui ces lieux,En riant. - Grands dieux ! - Le Fait s'est passé sous mes yeux.Mais si votre cher Arlequin,N'est qu'on vaurien,Je connais bienGarçon aimable, qui n'aspire Qu'à pouvoir gaîment,À votre enfant,Offrir sa foi ;- Et ce garçon, c'est - moi.- Attendez donc, ceci mérite attention. - Ajoutez à cela qu'Arlequin n'a que du talent, au lieu que moi, j'ai de l'argent, et beaucoup ; vous voyez que je dois obtenir la préférence... Monsieur Cassandre, qui a du bon sens, n'a pu m'en opposer à ces arguments irrésistibles ; aussi m'a-t-il promis la main de Blanche. Air du vaudeville du Jockey.Aujourd'hui veut-on, en douceur, Se glisser dans une famille,Du papa l'on gagne le coeur,Pour avoir la main de la fille.Plutôt que de me faire aimer,Si j'employai cette méthode ; Personne ne peut m'en blâmer,Car elle est assez à la mode. bis.Ce n'est pas gauche, au moins, de s'adresser au père quand la fille nous refuse. C'est Arlequin qui sera bien attrapé, quand il aura fini son petit séminaire. Il ne manquera pas de courir aussitôt chef sa maîtresse ; mais, crac, on vous lui ferme poliment la porte au nez, et plus de Blanche pour lui. Air : En quatre mois.Bien vainement pour ce tendron naïf,Il ressent un amour actif,Même au superlatif ; C'est pour moi que sa maîtresse,Doit avoir de la tendresseÀ l'infinitif ;Il sollicite, hélas ! d'un air craintifUn mot définitif : Le père, d'un ton vif,Lui donne pour tout lénitif,- Un refus positif.Arlequin insiste ; mais Monsieur Cassandre lui tourne le dos avec dignité ; et mon pauvre rival, tout étourdi du coup, vient se renfermer dans sa chambre, pour rêver à sa mésaventure. Moi, pendant ce temps-là, je mande le notaire, je préviens l'officier municipal, et me voilà le mari de Blanche. Ma foi, ou en dira ce qu'on voudra, je commence à être fort content de ma petite personne : si je me soutiens sur ce pied là, Mademoiselle Blanche n'aura pas fait un si mauvais marché : de son côté, elle n'est pas mal partagée pour la figure et pour l'esprit, nous ne laisserons pas de faire ensemble un petit couple bien gentil ; et, quand nous irons nous promener aux Boulevards des Italiens, ou aux Champs-Élysées, tout le monde nous regardera passer. Air: Trouver à qui parler,J'entendrai chacun dire,Est-ce là son époux ? Non, car elle l'admire ;Son regard est trop doux.Il est l'amant de cette belle,Dont l'oeil de plaisir étincelle.Je crois, sans rien celer, Qu'un mari doit près d'elleTrouver à qui parler. Trois fois.Elle trouvera aussi, de son côté, à qui parler ; ainsi nous serons à deux de jeu. D'ailleurs ; la prudence, c'est mon fort, et je suis décidé à en faire bonne provision avant que de grossir la liste des époux parisiens. Air : Pour la Baronne.Oui, ma prudence,De ses pas sera le témoin ;Dans une telle circonstance , Heureux l'époux qui n'a besoinQue de prudence.Mon Dieu que je suis impatient de voir finir ces maudites vingt-quatre heures ; car je suis forcé de faire continuellement sentinelle à la porte d'Arlequin, pour être sûr qu'il ne sortira pas de son logis. Si du moins je pouvais apercevoir cette espiègle de Blanche, çà me désennuierait un peu. Il ouvre la fenêtre.Tiens, la voilà qui tire de l'eau à son puits ; et vite, vite, ma lunette d'approche. Il monte sur une chaise pour aveindre sa lunette, la chaise crève sous lui.Quelle chute, bon Dieu ! Heureusement que je ne suis pas le seul à qui un pareil accident arrive. Air : On compterait les diamants.Grâce aux caprices du hasard,La chute en ce monde est commune,Elle est l'ouvrage d'un regard De la trop aveugle fortune.Sur un Faquin elle répandSouvent une faveur subite ;Elle l'élève lestement,Mais il descend encor plus vite. Il fait des efforts ridicules pour se retirer de sa chaise, et en vient à bout.Ouf ! J'ai cru que j'y resterais... Voilà ce que c'est qu'un ménage malentendu. Air : Colin un jour trouva Lisette.Bien des hommes en sont victimes,Moi le premier, car j'ai failli ,Pour ménager quelques centimes,Me mettre pour trois mois au lit.Cela me rappelle le dialogue entre cet avare et son apothicaire. - Monsieur, prenez mon remède, et je vous réponds qu'aussitôt ;De tous vos maux il vous délivre. bis.Combien le vendez-vous ? - Un franc.Il en coûte trop cher pour vivre ;J'aime mieux garder mon argent. bis. Il apporte une autre chaise, prend des précautions risibles pour s'assurer de sa solidité.Celle-là du moins ne me jouera pas de mauvais tour... Il monte et aveint la lunette, elle est couverte de poussière, qui aveugle Gilles ; il descend avec précipitation, s'agite sur le théâtre, trépigne, fait différents lazzis.Ah ! Mon Dieu, mon Dieu, quel accident ! Air : Nous sommes précepteurs d'amour/Près de l'objet qui nous est cher,Ce n'est point une bagatelle ; On n'y voit jamais assez clair,Quand on veut regarder sa belle.Il ne faut pourtant pas se décourager. Il place sa lunette sur une chaise vis-à-vis la fenêtre, l'ouvre, la referme, l'étend, la raccourcit. Air : Jupiter un jour en fureur.À l'allonger... la raccourcir,C'est en vain que je m'évertue ;Ici bas, le vrai point de vue N'est pas facile à saisir.L'amour?propre, sans qu'on s'en doute,Nous fascine toujours les yeux ;Celui qui croit voir le mieux, bis.Bien souvent n'y voit goûte. Il réussit à ajuster sa lunette.Bon, la voilà enfin comme il faut... Il reagarde.La vilaine position que j'ai là ; Blanche me tourne le dos... Attendez donc... Pourquoi se penche-t-elle si fort ? Je vois.... je vois. Air: Colin trouva Lizette un jour.Pieds charmants tournés par l'amour,Dont je voudrais suivre les traces ;Jambe bien fine, et faite au tour,Vous sortez de la main des Grâces... J'aperçois...... non pas, Quel dommage ,Hélas !Quand on n'en voit pas davantage. bisC'est singulier ; elle est devenue tout à fait immobile.... Je tremble que le pied ne lui glisse ; heureusement qu'Arlequin n'est pas près d'elle, car... Ah ! La voilà qui se relève... Tiens, comme elle se sauve..... Il se retire.Mais ce n'est pas honnête du tout de ne pas me donner seulement le temps de voir son joli minois.... On entend jouer de la flûte.Paix ; qu'est-ce que j'entends ? C'est Arlequin ; morbleu, je n'ai pas pensé à lui interdire les instruments... Mais au fond, qu'est ce que cela me fait ? Il ne parlera pas à sa maîtresse en musique, et s'il la régale d'une sérénade, je puis bien en faire autant. Voyons ma clarinette... En voici bien d'une autre, il y manque une clef à présent. Air : Vous m'ordonnez de la brûler.Combien de gens pour une clefSont souvent fort en peine ; Un voleur convoite la clef,Qui vers un trésor même ;L'antiquaire cherche la clefD'un gros son de la Grèce :Moi je voudrais avoir la clef Du coeur de ma maîtresse.Et puis encore celle de ma clarinette ; car, sans cela, je jouerai faux en diable... Mais, où l'ai-je fourrée ?... Un moment, j'ai balayé ma chambre ce matin ; si elle était dans le panier. Il y cherche.Justement la voilà ; je suis quelquefois d'une étourderie... Je n'ai garde de me corriger de ce défaut, c'est un de ceux des gens d'esprit. Air du vaudeville des deux veuves.Dédaignant tout ce que l'on dit,Méprisant le censeur qui fronde,Beaucoup de sots, des gens d'esprit,Sont les singes dans ce bas monde Ils prennent leurs défauts divers,Sans s'inquiéter qu'on en glose ;Mais s'ils adoptent leurs travers,C'est pour en avoir quelque chose. Pendant le Couplet il ajuste la clef.Ah ! Nous y voici... Il prélude et fait plusieurs tons faux.Diantre, je n'ai pas d'embouchure aujourd'hui. Voyons donc. Il prélude encore.Ceci vaut un peu mieux... Essayons à présent de lui détacher un joli air bien tendre, bien expressif. Lequel ?... Il rêve.C'est cela... Chantons l'hymen, chantons l'amour... L'amour et l'hymen, aux termes où nous en sommes, rien ne peut mieux nous convenir. Il joue ; après quelques phrases, il s'arrête. On entend la vielle.Une vielle, c'est l'instrument de Blanche. « Attendez-moi sous l'orme. » C'est un rendez-vous qu'elle me donnée... Ah ! Comme elle est aimable. On entend la flûte.Arlequin, à présent. Je gage qu'elle ne daignera pas lui répondre. On entend la vielle.Morbleu, je me suis trompé; cette fille là donne des espérances à tout le monde. Il reprend sa clarinette.Encore une petite tirade. À peine a-t?il commencé que la fenêtre se ferme brusquement, elle frappe l'extrémité de la clarinette, dont le bec s'enfonce dans la bouche de Gilles, il recule jusqu'au milieu de la chambre.Fripon d'Arlequin, tu me le paieras, si jamais tu tombes sous ma main... On entend une basse qui s'accorde.Tiens, jusqu'au papa Cassandre qui s'en mêle. Voyons un peu comment il va s'en tirer. La basse joue : Allez-vous en gens de la noce.Ceci s'adresse à Arlequin, c'est clair. Attrape mon petit. Il prête l'oreille.Plus rien, tout le monde s'est retiré. Ma foi j'en suis fâché ; car cela ne laissait pas de me distraire un peu, au lieu que me voilà seul avec mes pensées, cela n'est pas toujours amusant. Air du Vaudeville de la Famille extravagante.Oui j'en conviendrai franchement, Soit raison ou bien Fantaisie,L'homme instruit dédaigne souventUne nombreuse compagnie.L'ignorant la cherche.... et pour lui;La solitude est un martyre : Un homme ne s'ennuie ainsi,Que quand il n'a rien à se dire.C'est une belle chose que l'instruction. Si jamais Je redeviens jeune, je veux faire un cours d'étude complet. C'est alors que je m'acheminerai dignement sur les traces de mes glorieux ancêtres. Il examine les portraits.J'ai bien fait, au moins, de placer leurs portraits dans ma chambre...Leur présence, quoiqu'en peinture, enflamme mon émulation ; tour-à-tour ils ont brillé sur la scène. Air de la Boulangère.Gilles premier, héros romain,Vint en époux docile,Sous le beau nom de Gillotin, Au petit VaudevilleMalin,Au petit Vaudeville.Homme de lettres, leste et fin.Gilles deux, plus habile, [Note : Gille afficheur, [inconnu] crée le 23 sept 1798.]Dans l'Afficheur était divinAu petit VaudevilleMalin,Au petit Vaudeville.Gilles trois, bavard et taquin, A fait courir la ville,[Note : "Colombine mannequin" est une comédie parade de Barré, Radet et Desfontaines, jouée pour la première fois le 15 février 1793.]Dans Colombine mannequin,Au petit Vaudeville,Malin,Au petit Vaudeville. Il est interrompu par le son de la vielle.Encore la vielle ?... Il regarde par un oeil de boeuf.Morbleu, pendant que je m'amuse à compter les douceurs à mes illustres aïeux, voilà Monsieur Arlequin qui fait des siennes. Air. du Diable à quatre.De chez Blanche un cordeau s'est tendu ;Ils vont se voir ; c'est bien entendu,Des droits... Arlequin n'en a plusÀ mes cinquante écus.Je touche le pari, Oui,Dans une heure au plus tard,Car,Il ne devait, ma foi,Quoi ? Communiquer qu'avec moi.Quoi diable est-ce qu'elle lui envoie donc là. Mais c'est une ardoise qui glisse le long du cordeau. Air de la Croisée.Ah ! Par ma foi le tour est bon,Ma future, avec confiance,Se sert du toit de sa maison,Pour faire sa correspondance. L'ardoise est soutenue par une faveur couleur de rose.Mon âme, de ces faveurs-là,Ne sera jamais affligée,Tant qu'on ne les accorderaQu'a travers la croisée.C'est bon pour le discours pourtant ce que je dis là ; mais cette petite manoeuvre ne laisse pas de m'inquiéter. Air : Du haut en bas.Du haut en bas, Ils s'entendent, la chose est claire,Du haut en bas?Ils parlent en ne parlant pas;Vite il faut avertir le père,Et les traiter, dans ma colère, Du haut en bas.Comment faire parbleu rien de plus simple ; une jolie petite lettre tournée comme on ne les tourne pas... Eh ! Vite à la besogne. Air du bienheureux Lisandre. Il écrit.Votre fille, papa Cassandre,Se conduit à faire trembler,Avec Arlequin dans sa chambre...Dans sa chambre... Non, cela n'est pas exact, c'est depuis sa chambre...Avec Arlequin depuis sa chambre. Depuis sa chambre, est trop long, çà gâte la mesure ; laissons dans sa chambre, nous expliquerons cela par la phrase suivante. Il rêve.Allons, il ne me vient pas de phrase à présent. Maudite cervelle..... C'est dit, je ne trouverai plus rien... Pardi, je suis bien embarrassé, et le sens suspendu, voici sa place ou jamais. Air de la prise de tabac.Ne peut?on finir une phrase,Eh ! Vite le sens suspendu ;Cacher le nu par une gaze,Encore le sens suspendu.Maint poète que l'on admire, Doit beaucoup au sens suspendu :Il parle souvent ; sans rien dire,Aux dépens du sens suspendu.Reprenons le commencement. Air du malheureux Lisandre. / Il écrit.Votre fille, papa Cassandre,Se conduit à faire trembler, Avec Arlequin dans sa chambre...Une douzaine de points ; il faut terminer par quelque chose. Il rêve. J'y suis. Je vous conseille d'y veiller.Tout cela n'est pas bien clair... Mais le beau-père le comprendra, ou il faudrait qu'il fût un sot. Il signe.[Note : Décadi : Le dixième et dernier jour de la décade dans le calendrier républicain, jour de repos qui répondait à notre dimanche. [L]]Gilles. À présent il s'agit d'envoyer mon épître. J'ai là justement le cerf-volant que j'ai essayé, décadi dernier, aux Champs-Élysées ; je vais le lancer chez Monsieur Cassandre, et puis, au moyen d'un petit postillon... Mon dieu ; que les oiseaux d'Italie ont été bien imaginés !... Aussi le joli accueil que le public leur a fait ; comme ils chantaient à gorge déployée. Il chante.Ah ! Le bel oiseau vraiment...C'était charmant. Il court au fond du théâtre, revient sur ses pas et réfléchit.Allons, je ne serai jamais qu'un étourdi ; je ne me souviens pas du paquet que j'ai fait à Monsieur Cassandre sur la fuite d'Arlequin. Il déchire la lettre.C'était bien la peine de me mettre en frais d'esprit ; heureux encore que la mémoire me soit revenue à temps ; j'allais joliment ajuster mes affaires. Il regarde par la fenêtre.Ils sont partis sans se douter que je les aies vus. Qu'on vienne me dire, à présent, que je ne suis qu'un sot. Au surplus, les bêtes sont parfois bonnes à quelque chose. Air : Je connais un Berger discret.Connaîtrait?on les gens d'esprit,S'il n'était point de bêtes :Oui, gens d'esprit, de votre esprit Rendez grâces aux hôtes ;Bon La Fontaine, avec esprit,Tu fis parler les bêtes ;Aujourd'hui que de gens d'esprit,Parlent comme des bêtes. On frappe à la porte.Quelle rude manière de frapper ; à sa place j'en foncerais la porte. Il ouvre.Ne sauriez?Vous heurter plus doucement ? On lui présente brusquement un pâté.Le brutal ! Sois tranquille, j'aurai soin de toi un peu plus tard. Gilles porte le pâté sur une table ; pendant ce temps on l'enferme.Eh bien, je crois qu'on m'enferme ! Il pose précisément le pâté et court à la porte.Au fond, cela m'est égal, il ne m'importe pas de sortir à présent ; je n'en ai nullement envie. Songeons à faire notre charge de pourvoyeur. Il se tourne du côté du pâté. Quelle énorme pièce ! Il faut qu'Arlequin ait de l'appétit comme Gargantua, s'il en vient à bout tout seul... Tout seul... Ceci me donne une idée : quelquefois il n'y a pas de mal à aider son prochain... Air : Non je ne ferai pas.Blanche ne m'aime pas, Arlequin l'intéresse ;D'une juste vengeance, ah ! Savourons l'ivresse.Quand d'être supplanté l'on craint le sort fatal,Qu'il est doux de manger le pâté d'un rival.Non seulement de le manger, mais encore de le faire servir d'enveloppe au piège : que je vais tendre à Arlequin. Pour cela j'enlève la couverture, il le fait ; je m'empare du macaroni, idem... Je mets à la place une échelle de corde, idem ; il me semble voir Arlequin, tout étonné, dire, en voyant ce pâté, Air : Quand un tendron vient dans ces lieux.Les drôles de macaronis, Comment ! C'est une échelle ;Mais... Un moment, j'y réfléchis,Blanche veut qu'auprès d'elle,À l'instant aille son futur,En passant par-dessus le mur, C'est sûr :Comme j'ai deviné cela,Faut pas être grand sorcier pour ça. Pendant qu'il chante ce couplet, il fait la substitution de l'échelle de corde aux macaronis.Portons, à présent, ce petit ragoût de nouvelle fabrique à notre gourmand prisonnier. Il ouvre la porte, donne le pâté sans mot dire, et la referme.Je me vante que tu vas faire un joli déjeuner. Mais laissons cet écervelé d'Arlequin, et pensons un peu à mes petites affaires. D'abord le mariage ; le mien s'entend : il sera prochain, j'espère. Oh ! Le beau jour que ce jour-là !Dès le matin je m'habille tout à neuf, ensuite je me rends chez mon beau père. Monsieur Cassandre me prend par la main, me mène auprès de sa fille, et nous dit : Air : Mais, ma mère, est c'que j'sais ça ?Mes enfants, le jour qui brilleComble mes voeux les plus doux : Je vais donner à ma filleLe plus parfait des époux.Une fois dans ton ménage,Faudra fermer - quoi, papa ?Ton oreille au doux langage... Mais, mon père, est?ce que j'sais ça.Ensuite le cortège se forme ; les fiacres sont à la porte, nous y montons. La cérémonie faite, nous voici de retour. Nous nous mettons à table, et puis après le dîner, les crins crins, qui jouent comme quatre et qui boivent de même. Air : De quel ressouvenir affreux,On rit, on danse jusqu'au jour ;Mais à minuit, moi je m'esquive ;Ma femme s'éclipse à son tour,Près de moi bientôt elle arrive. Pour un époux, quel doux tableau !Cet embarras, cet air modeste...L'amour éteint notre flambeau,Le plaisir tire le rideau...Daignez m'épargner le reste. bis.Les jours suivants même bonheur ; les petits soins, les attentions, les complaisances, tout est prodigué, tout est réciproque. Mais enfin ces beaux feux s'apaisent ; les petits marmots viennent : Air : Le bonheur qu'on goûte en famille.Dans cinq ans j'aurai six enfants,Que je veux élever moi?même.Mes amis, de ces soins touchants,Concevez?vous l'ivresse extrême ?Vous chérissez, dans votre erreur, L'éclat dont un vain plaisir brille ;Moi je trouve le vrai bonheurAu sein de ma jeune famille. Air : Ah ! que je sens d'impatience.Près de moi, dans ma maisonnette ,Enfants, petits enfants sont tous ; Le plus jeUne, encore en jaquette,Vient se placer sur mes genoux,Me regarde, me baise :Sur le dos d'une chaise,Un second, en grimpant, En fait autant,Et puis de sa main innocenteIl caresse mes cheveux blancs :Puis en même temps,Je dis... Mes enfants, Venez tous par là,Sur votre papa,Tournez vos beaux yeux ;Qui m'aime le mieux ?C'est moi, c'est moi, c'est moi... Ah ! Pour être témoin de cette scène...Charmante,Touchante,Je voudrais être vieux.Mais je suis bon, vraiment, de m'amuser ainsi plonger dans l'avenir. Pensons au présent, qui grâce au ciel, nous offre une perspective assez agréable. Je puis me vanter au moins que je ne me mets pas en ménage les mains vides. Air : J'avais cent francs.A six cents francs ,Joignez douze cents francs, Et cela, bien compté, fera dix-huit cents francs ;Puis, ajoutez à ces dix-huit cents francsTrois mille trois cents francs,Et vous Verrez, qu'en bons écus bien francs,J'ai cinq mille cent francs. Oui, cinq mille cent francs, que j'ai prudemment déposés chez Monsieur Lombardeur, un digne homme, toujours prêt à obliger ses concitoyens dans la peine. Les gens grossiers prétendent qu'il fait payer ses services un peu cher ; mais il s'en moque, il fait de gros profits, et voilà l'essentiel, surtout lorsque j'y entre pour quelque chose. Cinq mille cent francs, à quatre et demi pour cent, cela me compose tout juste un petit revenu de deux cent vingt-neuf francs cinquante centimes par mois. Air : J'étais gisant à cette place.J'ai remis mon petit péculeà ce bon Monsieur Lombardeur ;Entre ses mains comme il circule,Cela fait plaisir, en honneur.Dans cette maison fortunée, Mon avoir augmente de poids ;Et je gagne autant dans un mois,Que je gagnais dans une année. bis. Il aveint son portefeuille et compte seS billets.Justement, dix billets de cinq cents livres et un de cent ; il n'y manque pas une fiole ; quel dommage de déranger un aussi joli compte ! Il le faudra Pourtant bien quand je donnerai mon repas de noce. Il m'en coûtera au moins un des gros, c'est un peu cher ; mais on ne se marie pas tous les jours. Et puis, je suis bien aise de faire dignement les choses. Ce jour-là je veux présider à tout moi?même ; il me semble que j'ai déjà, les mains à la besogne. Pendant ce couplet, il disperse ses billets sur la table peut figurer les différents mais qu'il indique. Air : Lison dormait dans un boccage.Au gras, un excellent potageQue je place ici... le voilà ; Plus loin, j'en mets un de laitage,Ma foi ça va bien jusque-là ;Des hors d'oeuvres de plusieurs sortes,Cornichons beurre, et caetera;Ragoûts par-ci, rôti par-là, Quatre salades des plus fortes ;Poularde ici, un dindon là,Ce n'est encor rien que cela. Pendant ce couplet il déchire , sans y faire attention, tous ses billets pour compléter la description du repas qu'il fait.Je mets ici Monsieur Cassandre,Et ma femme se place là, Moi, près d'elle avec un air tendre,J'occupe celle que voilà.On nous regarde, on s'extasie !Puis le dessert arrivera,Gâteaux par-ci, biscuits par?là, Enfin toute la compagnieAdmirera ,Et s'écriera,Ah ! Le beau festin que voilà. Il s'aperçoit qu' il a déchiré ses billets. Air des Découpures.Ah ! Grands dieux ! qu'est-ce que j'ai fait ? Quel ravage étrange,Mes pauvres lettres de change !Ah ! grands dieux qu'est-ce que j'ai fait ?Le sort en courroux me réservaitCe trait. Quel malheur ! bis.Que devenir ?Douleur effroyable !Quel destin épouvantable !Quel malheur ! bis.Que devenir ?Ah ! Je le vois bien, je n'ai plus qu'à mourir. On entend midi sonner.Infortune sur infortune. Voilà midi. Il regarde par l'oeil?de-boeuf.Ah ! Le maudit Arlequin, il ne veut pas perdre une minute, il grimpe par dessus le mur... le voilà aux pieds de Blanche. Air : Le jour de l'an de grand matin.Grands dieux ! Il lui prend un baiser,Elle que j'ai vu [est] s[û]rDe recevoir un seul des nôtres Ce baiser est-il un larcin ?Hélas ! Non, car...Elle l'accepte d'Arlequin,Accompagné de plusieurs autres. Il referme l'oeil de boeuf.Je ne supporterai pas davantage ce déchirant spectacle... Que faire ?... Que devenir ?... Oui, le plus court est de me tuer ; mais, de telle manière ? Je voudrais bien, s'il était possible : que ce fût sans me faire de mal... Un pistolet... Fi donc, de vilaines balles qui vous labourent impitoyablement la cervelle... Un petit plongeon, depuis le Pont-neuf, la tête la première... Oui, c'est cela.... Mais diantre, je ne sais pas nager ; et si le repentir allait me prendre au beau milieu de la rivière, il n'en faudrait pas moins boire plus que de raison ; sans compter que l'eau doit être diablement froide par le temps qu'il fait... Un homme.... Et l'opium donc. Air : La danse n'eslpas Ce que j'aime.L'opium aura la préférence,Oui c'est un trépas gracieux; Mille songes délicieux,.A l'opium doivent leur naissance ,C'est encore une jouissance ;Un doux sommeil vient pas à pas.Nous nous berçons entre ses bras , On dort si bien bis.qu'on ne s'éveille pas.À présent une feuille de papier, toute neuve, pour faire mon testament. Mais, je réfléchis... Il n'y a pas jusqu'au dernier barbier, qui, avant de se couper la orge, avec son rasoir ébréché, ne croie devoir à l'Europe un détail circonstancié... Gilles n'est pas fait pour être platement imitateur... Les plus grands hommes ont fait leur épitaphe ; mais aucun n'en imaginé de faire d'avance son billet d'enterrement. Il m'appartient de donner ce merveilleux exemple... Vite, vite à la besogne. Air : À moins que dans ce monastère.Oh ! Vous que ma tragique histoire,Aura pénétrés de chagrin ,Donnez des pleurs à ma mémoire,Car on doit m'enterrer demain. hi! Parents, amis, voisins que j'aime,Venez tous grossir mon convoi;Il est sûr que le mort est moi,Puisque je vous l'écris moi-même. Air : Si Pauline est dans l'indigence.Accourez, par votre présence, Décorer mon enterrement ;Ma sincère reconnaissance,Sera votre remerciement.Puisque ma carrière est finie,Daignez me faire cet honneur ; Et je serai toute ma vie,Gilles votre humble serviteur. À la fin du couplet on descend une boîte par la cheminée ; Gilles est effrayé.Ah ! Mon Dieu ! Qu'est-ce encore... Au terme où j'en suis, et je n'ai plus rien à craindre ; Il ouvre le boîte.c'est un nouveau tour d'Arlequin : il a bien peur que je ne lui fasse banqueroute, un billet de cinquante écus qu'il m'envoie à signer. Pendant ce couplet il remet le billet dans la boîte qui remonte. Air : Ce fut par la faute du sort.Signons-le promptement... Il signe.C'en est fait,Et ma conscience est tranquille. Je crois que son pauvre billet,Est un billet bien inutile ;En vain je voudrais le payer,Je n'ai rien... Ce que je puis faire,C'est de le nommer héritier, Par bénéfice d'inventaire. À peine la boîte est-elle remaniée, qu'on ouvre sa porte. On ouvre ma porte. Ah ! Me voilà libre à présent. Voyons si je persiste toujours dans le dessein de mourir. VAUDEVILLE. [GILLES]. Air : Fidel époux.Bien malheureux par la fortune,Et plus malheureux par l'amour ;Chassant une crainte importune,Je devrais renoncer au jour. À l'instant d'en rompre la trame,Je sens mon courage hésiter ;La mort n'ébranle point mon âme ;Mais je voudrais ressusciter. Au public.Ah ! Dites?moi ce qu'il faut faire ? De vous dépend ma guérison ;Dois-je aller chez l'apothicaire,Dois?je rester à la maison ?Par un mot de vous je succombe ;Par un mot je puis subsister. Si ce mot peut ouvrir ma tombe,Ce mot peut me ressusciter. Air : La Comédie est un miroir.Quitter ces lieux ; mais, dites?moi ?Le puis?je sans ingratitude ?Certain petit je ne sais quoi Me fait chérir ma solitude ;Je sens combien elle a d'appas,Et j'y voudrais passer ma vie :Croyez?moi, l'on ne s'ennuie pasEn aussi bonne compagnie. ==================================================