******************************************************** DC.Title = LA BELLE INVISIBLE, ou LA CONSTANCE ÉPROUVÉE, TRAGI-COMÉDIE DC.Author = BOISROBERT, François Le Métel de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:44. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOISROBERT_BELLEINVISIBLE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA BELLE INVISIBLE ou LA CONSTANCE ÉPROUVÉE TRAGI-COMÉDIE M. DC. LVI. Avec Privilège du Roi. par Boisrobert. À PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire juré, au Palais, dans la Salle des Merciers, à la justice.Achevé d'imprimer le premier Juin 1656. Les exemplaires ont été fournis. Représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne en 1653. MONSEIGNEUR, Il n'est pas juste que cette Belle Invisible se cache davantage devant vous ; puisqu'avec toutes ses beautés et ses ornements, elle n'a osé se montrer à vous sur le Théâtre, souffrez qu'elle se présente sur ce papier, et si elle est assez heureuse pour trouver grâce devant vous, souffrez qu'elle se montre après en public, sous une protection aussi favorable, et aussi glorieuse que la vôtre. Comme elle craint d'avoir eu quelque part à la disgrâce de son auteur, Agréez s'il vous plaît, MONSEIGNEUR, qu'elle reprenne de la gloire de votre approbation, les grâces qu'elle pourrait avoir perdues par le malheur de son éloignement. Si vous lui rendez justice, je ne doute point qu'elle ne la reçoive de tout le monde, et que les plus grands critiques mêmes ne se rendent avec une entière déférence au jugement que vous en ferez. Si elle vous peut délasser l'esprit, et vous donner un moment de joie, après le chagrin que vous devez quelque fois recevoir de vos pénibles occupations, elle fera, MONSEIGNEUR, une charité publique, et n'aura pas peu servi la France, si elle peut fournir quelque matière au divertissement d'un si grand homme. Je serai peut-être un jour plus heureux, et dans la véritable passion que j'ai de vous plaire plus utilement je ne désespère pas de trouver des forces, quand je me sentirai assez de courage pour vous consacrer de plus nobles veilles. Je ne connais quasi plus que vous aujourd'hui, MONSEIGNEuR, qui fasse cas des gens de mérite, ni qui ait une véritable estime pour la vertu ; aussi vous puis-je protester fort sincèrement que je borne toute l'ambition de mes muses au seul avantage de vous plaire, et toutes les passions de mon âme à l'honneur de me faire croire autant que véritablement, je le suis, MONSEIGNEUR, Votre très humble et très obéissant Serviteur, BOIS-ROBERT, Abbé de Châtillon. NOMS DES ACTEURS OLYMPE, La Belle Invisible sous le nom et l'habit d'Alexis Amoureuse de D. Carlos. DON CARLOS, Cavalier Espagnol parent du Duc d'Ossonne Amoureux de La Belle Invisible. LA DUCHESSE D'OSSONNE, Vice-Reine de Naples. LUCILLE, Parente de la Vice-Reine, aimée de Don Pedre. DON PEDRE, Ami et confident de D. Carlos Amoureux de Lucille. MARCELLE, cousine d'Olympe, aimée de D. Alvare. DON ALVARE, Cavalier de Naples Amoureux de Marcelle. DON LÉONARD, Père de Marcelle, et oncle d'Olympe. ALFONCE, vieux valet confident d'Olympe. DEUX DAMES. QUATRE GARDES. UN PAGE. ACTE I. SCÈNE PREMIÈRE. Don_Carlos d'Aragon, Don Pedre. DON CARLOS. Vous vous êtes trompé Don Pedre assurément ! DON PEDRE. Mais j'ai fait cette enquête assez exactement,Cette maison d'ailleurs est assez remarquable, DON CARLOS. Ce que vous m'avez dit me paraît une fable. Quoi, celle qui l'habite, à soixante ans passés ? DON PEDRE. Oui, brave Don Carlos, on la connaît assez,Quoi qu'elle passe aux champs les deux tiers de sa vie : DON CARLOS. Ce mystère caché redouble mon envie.Celle qui dans ce lieu m'a de nuit appelé,Et d'une grille basse obligeamment parlé, Sans doute est jeune et belle, ailleurs je l'ai connue,Quoi qu'elle ait dérobé son visage à ma vue ;Son port, sa bonne mine, et son esprit charmant,Tous seuls d'un insensible auraient fait un amant,Cependant, dites vous Don Pedre, la maîtresse De ce logis est vieille ? DON PEDRE. Oui, mais par sa noblesse,Par son esprit sublime, et par ses grands trésors,Elle peut réparer tous les défauts du corps. DON CARLOS. Enfin ce n'est pas là le charme qui m'attire :Celle qui m'a rangé déjà sous son empire A l'esprit admirable, et j'en puis juger mieuxQue des attraits qu'un voile a caché à mes yeux.Mais je suis fort trompé si ce voilé visageN'a sur l'esprit visible encor quelque avantage : DON PEDRE. Puisque vous m'honorez de votre affection, Rendez moi plus savant de cette passion. DON CARLOS. Oui, quoI qu'on m'ait Don Pedre ordonné le silence, Je veux bien vous en faire entière confidence ;Je vois que vous m'aimez, je vous connais discret.Oyez donc l'aventure, apprenez mon secret. Vous avez déjà su qu'après cette campagne,A dessein de voir Naples étant parti d'Espagne,Le brave Duc d'Ossonne à qui j'ai cet honneurD'appartenir un peu, m'en a fait Gouverneur.Comme il a cet hiver avec magnificence, En faveur de Philippe étalé sa puissancePour son avènement aux Royaumes diversQui le font quasi voir maître de l'Univers,J'ai reçu tant de gloire en honorant la fête,Que les prix des Tournois ont été ma conquête. Ces sublimes honneurs que je n'attendais pasOnt fait trouver en moi je ne sais quels appas.Les Dames à l'envi célébrant ma Victoire,Par dessus mon mérite ont élevé ma gloire ;Je me suis vu par tout honoré, caressé, Mais comme en la faveur on se trouve encensé,Jugeant que ces honneurs me venaient en partieDu sang du Vice-Roi, j'ai cru ma modestie.Plus on m'a veu modeste, et plus on a cherchéDe montrer en son jour l'éclat que j'ai caché ; Vous l'avez vu Don Pedre, et savez que LucilleLe plus Riche parti de cette grande VilleM'est déjà destinée, et que le Vice-RoiVeut que je lui consacre, et mon coeur et ma foi. DON PEDRE. Hélas ! DON CARLOS. Vous soupirez. DON PEDRE. Souffrez que je soupire. DON CARLOS. Pourquoi ? DON PEDRE. Je perds par là le seul bien où j'aspire. DON CARLOS. Quoi, vous aimez Lucille ? DON PEDRE. Oui, je suis son amant,Je l'aime, Don Carlos, et l'aime éperdument,Et comme en vos faveurs je trouve un grand obstacle,Je ne puis posséder Lucille sans miracle ; Je ne veux rien cacher à ce noble vainqueur,Qui m'aime avec tendresse, et qui m'ouvre son coeur. DON CARLOS. Aimez la, cher ami ! Servez la sans contrainte :Je n'y prétends plus rien, bannissez toute crainte.Oui, oui, je vous la cède, et ne veux aspirer Qu'à ce trésor caché qui me fait soupirer ;Quand Lucille serait la maîtresse du monde,Ce n'est pas sur ses biens que mon espoir se fonde :Si celui qui me flatte est vain et décevant,Adorons la chimère, et paissons nous de vent ; Mais je veux mieux penser de l'aimable inconnue,A qui j'ai découvert mon âme toute nue :Si ses charmes cachés qu'aveuglément je sersValent ceux de l'esprit qu'elle m'a découverts,Elle est toute divine, elle est toute adorable, Et l'Univers n'a rien qui lui soit comparable. DON PEDRE. Mais comment l'aimez vous avecques tant d'ardeur ? Qui d'un feu si bizarre a fondé la grandeur ?Comment peut on aimer une chose invisible ?Certes comme à mon feu vous paraissez sensible, Je veux aider au vôtre, et ferai mon devoir,Le zèle suppléera peut-être à mon pouvoir. DON CARLOS. Oyez donc, cher Don Pedre, oyez mon aventureQui paraît une fable, un songe, une imposture.Comme la Vice-Reine en ce jour solennel Où j'acquis à mon Nom un honneur éternel,Avait donné licence aux Dames de paraîtreSous le voile du masque, et sous l'habit champêtre,Pour sauver la dépense, et voir en libertéCe qui se passerait dans la solennité, Après que j'eus gagné tous les prix de la fête,Glorieux des lauriers qui me couvraient la tête,[Note : Presse : Foule, multitude de gens qui se pressent.[F]]Faisant partout la presse aux lieux où je passé,Je sentis d'un carrosse assez embarrasséQu'une voix m'appelait, je m'avançai vers elle. Une Dame en portière, et qui paraissait belle,Quoi qu'elle fut masquée, avec un ton de voix,Qui seul au plus rebelle aurait donné des lois,Me dit, brave Espagnol, vous avez la victoire !Le Ciel en soit loué, vous m'en devez la gloire : J'ai fait des voeux pour vous, ces voeux sont exaucés,Vous avez tous les prix ; mais ce n'est pas assez.Madame, cet honneur m'achève de confondre,Lui dis-je, et lui voulant plus amplement répondre,Je vis que tout à coup cet embarras cessa, Vite comme un éclair le carrosse passa,Et suivant avec l'oeil la belle disparue,Je demeuré confus au milieu de la rue.Je vous jure, Don Pedre, avec sincérité, Que l'amour jusques-là ne m'avait rien été ; J'éprouvai de ce jour son pouvoir manifeste :Vous me croirez assez si vous oyez le reste.Cette beauté voilée en mon coeur s'imprima,Et mon amour bizarre aussitôt s'y forma :J'aimais sans connaissance une invisible amante, Et l'aimais toutefois d'une ardeur véhémente.Les visibles objets m'étaient moins précieux,J'avais plus de créance à ma foi, qu'à mes yeux ;Ainsi que sans espoir j'aimais sans apparence,Et cette foi pourtant flattait mon espérance : Un jour sortant d'un Temple, et rêvant fortementÀ l'objet inconnu de qui j'étais amant,J'aperçus qu'une Dame étant sur mon passageJ'ai Don Carlos, dit-elle, à vous faire un message :Elle en suivait une autre en qui la majesté Marquait une naissance égale à sa beauté.Un vieillard la menait superbement vêtue :Je crus voir ce même oeil qui me charme et me tue,Au travers de son voile, et ce brusque penserMe fit vite vers elle aussitôt avancer. Cavalier, me dit-elle, avez vous quelque idéeDe m'avoir vue ailleurs ? L'ayant bien regardée,Encor que son visage en ce lieu fut voilé,Oui, lui dis-je, Madame, et je vous ai parlé.Mon carrosse, dit-elle, à cette heure imprévue M'enlevant malgré moi, vous déroba ma vue :Mais nous pouvons ici quelque place choisirPour nous entretenir avec plus de loisir.À ces mots je connus mon aimable inconnueLe vieillard me quitta sa main qu'elle avait nue, Et je voulus porter sur ce marbre animé,Quelque marque du feu qu'elle avait allumé,Lors qu'en la retirant : Don Carlos, me dit-elle,J'aime qu'on soit discret, mais plus qu'on soit fidèle,Aimez vous ? Oui Madame, oui, vous m'avez charmé, Avant que de vous voir je n'avais rien aimé.Vous m'imposez, dit-elle, on sait les bruits de villeAvant que de me voir, vous recherchiez Lucille.On m'offre ce parti, le Duc l'a résolu,Mais je cède à l'amour qui ne l'a pas voulu Lui dis-je, il vous a faite ici ma Souveraine,Je vous y reconnais dessus la Vice-Reine.Puis-je dans vos discours, dit-elle, m'assurer ?N'aimerez vous que moi, l'oserez vous jurer ?J'en jure tous les Dieux (lui dis-je) hé bien dit-elle, Je connaîtrai bientôt si vous m'êtes fidèle,Je n'ignore pas un des lieux où vous entrez,Méritez mon Amour, et vous me connaîtrez,Adieu, dans peu de jours vous saurez davantage,On vous découvrira mon nom et mon visage. En vain je la pressai ; c'est tout ce que j'en eus. DON PEDRE. Et ses charmes depuis vous furent ils connus ? DON CARLOS. Je fus cinq ou six jours sans rien apprendre d'elle,Et cela m'affligeait d'une douleur mortelle,Quand selon ma coutume, un soir me retirant Du jeu, dans le quartier où j'étais demeurant,Passant par une rue , où tous les soirs je passe,J'ouïs qu'on m'appelait par une grille basseQui donne sur la rue en ce même logis,Dont, avec tant de soin, vous vous êtes enquis. Carlos, me dit la voix, commandez que l'on tireVotre flambeau plus loin, j'ai deux mots à vous dire :Je le fis donc éteindre, et m'approchant de làJe ne reconnus plus la voix qui me parla,Don Carlos, me dit-elle, ayez bonne espérance, Ma maîtresse connaît votre persévérance :On s'est avec grand soin de vos moeurs informé, On sait que jusqu'ici vous n'avez rien aimé,Que Lucille vous est assez indifférente,Et que hors ma maîtresse, il n'est rien qui vous tente : Venez demain au soir dedans ce même lieuEt vous la connaîtrez, retirez vous Adieu !Je voulus repartir, et ne vis plus personne. DON PEDRE. Certes ce procédé me surprend, et m'étonne. DON CARLOS. Apprenez ce qui reste : étant donc revenu Devant ce grand logis qui m'étant inconnuAppartient, dites vous, à cette riche veuve,La même voix me dit qu'on voulait faire épreuveEncor de ma constance, et que dans aujourd'huiJe verrais sans manquer la fin de mon ennui. Pressant cette suivante après ce témoignage,Pour voir si j'en pourrais apprendre davantage,Don Carlos, me dit-elle, aimez en sûreté,Et croyez qu'en noblesse, en richesse, en beautéPas une ma maîtresse à Naples ne surpasse, Se tirant, l'inconnue aussitôt prit la place.Mais quand puis-je, lui dis-je, espérer de la voir ?Si vous ne me voyez, dit-elle, au bal ce soir,Dès qu'il sera fini, quelque heure qu'il puisse être,Revenez en ce lieu, je me ferai connaître. Cependant gardez-vous de vous trop enquérir ;Car vous perdriez un bien, au lieu de l'acquérir.Oui, j'y viendrai, lui dis-je, adorable inconnue !Mais puis-je dans le bal espérer votre vue ?Je marquai mes transports, en termes superflus, Car elle était partie, et ne parolait plus. DON PEDRE. Nous pourrons dans le bal la voir tantôt paraître. DON CARLOS. Mais différant encor à se faire connaître,Jugez vous de ma peine ! DON PEDRE. Oui, car voulant chercherCelle que vous aimez, et qui se veut cacher, Vous pourrez vous trompant, en cajoler quelqu'uneQui détruira peut-être enfin votre fortune. DON CARLOS. Enfin quoi qu'il arrive il faut nous préparerPour ce bal magnifique, DON PEDRE. Allons donc nous parer ;Mais comme on vous observe, et sait ce que vous faites, On pourra découvrir peut-être nos enquêtes,Faites d'un soin exact, touchant ce rendez-vous, DON CARLOS. Qui le découvrira ? Je ne l'ai dit qu'à vous. SCÈNE II. Olympe, sous le nom d'Alexis, Alfonce. ALFONCE. Voilà ce Don Carlos, Madame ! OLYMPE. Ah l'imprudence !À qui de mes secrets ai-je fait confidence ? Madame en pleine rue ? Hé ne songez-vous pasQue vous m'ôtez par an trente mille ducatsEn découvrant mon sexe ? ALFONCE. Il faut bien que je sacheCe que j'ai fait pour vous, et qu'il faut que je cache,Je n'y prenais pas garde. OLYMPE. Hélas pour mon repos Je ne l'ai que trop vu cet aimable Carlos !Alfonce, vous savez tout ce que j'ai dans l'âme,Je vous ai découvert le secret de ma flamme :Vous avez su comment cet aimable vainqueurAvecque tous les pris ayant gagné mon coeur, J'osai me prévaloir de la liberté pleineQu'aux Dames ces jours là donnait la Vice-reine.Comme je pris alors mon véritable habit,Et comme votre fille en tous lieux me suivit,Masquée, brave, leste, et si bien ajustée, Que de force galants je fus sollicitée :Enfin vous avez su tout ce qui s'est passéComme un jour mon carrosse étant embarrassé,J'abordai Don Carlos, et comme en certain TempleAvec lui j'eus encor un entretien plus ample. Bref, comme en l'appelant d'un logis emprunté,J'achevai d'emporter toute sa liberté,Sans que jusques ici je me sois fait connaître. ALFONCE. J'ai su, depuis le jour que je vous ai vu naître,Tous vos secrets, Madame, et comme celui-ci Vous donne de la peine, il m'embarrasse aussi.Vous égalez Don Carle, en mérite, en naissance,Mais à vous assembler je vois peu d'apparence ;Car le contrat signé de Marcelle et de vousNe vous permettra pas d'en faire votre époux. OLYMPE. Les biens que ce contrat assure en nos famillesNe peut pas assurer l'Hymen entre deux filles,Ma cousine Marcelle a bien reçu ma foiMais lui puis-je donner ce qui n'est point en moiAlfonce ? Et dois-je pas après sa vaine attente Désabuser enfin cette amante innocente ?Outre que j'ai le coeur trop noblement assis[Note : Fourber : Tromper en fourbe. [L]]Pour la fourber encor sous le nom d'Alexis.Il n'est plus temps de feindre, il faut qu'on la détrompeIl faut que dans ce jour notre contrat se rompe : ALFONCE. Mais en la détrompant vous perdez votre bien,Et qui voudra de vous quand vous n'aurez plus rien ? DON ALEXIS. Oui, je perds les deux tiers du bien que je possède, Mais je trouve à ce mal encor quelque remèdeSans moi Marcelle est riche, Alvare est amoureux, Et nous avons affaire à des coeurs généreux.De plus en Don Carlos mettant ma confiancePour peu qu'il persévère à montrer sa constance,Que je veux jusqu'au bout éprouver aujourd'huiJe borne espoir, faveur, gloire et fortune en lui. ALFONCE. Mais il vous faut du bien pour maintenir ce lustre,Car vous êtes tous deux d'une naissance illustre. OLYMPE. Carlos parent du Duc peut-il manquer de bien ?Avec tant de mérite, est-ce peu que du mien ?Mon tiers, au pis-aller, nous peut mettre à notre aise, Nous vivrons trop contents pourvu que je lui plaise.Je vois Don Léonard mon oncle, et je le crains,Car il me va presser d'accomplir des desseins,Dont l'exécution n'est pas en ma puissance. SCÈNE III. Don Léonard, Don Alexis, Alfonce. DON LÉONARD. Mon neveu, vous prenez un peu trop de licence ! A la fin vous mettrez ma patience à boutDepuis huit ou dix jours on vous cherche par tout.Est-ce que vous avez quelque autre amour en tête ?Est-ce que vous cherchez à faire autre conquête ?Ne nous déguisez rien, parlez nous franchement ; Cette bizarre humeur m'afflige infiniment,À dire vrai, ma femme en est fort dégoutée,Votre cousine même en paraît rebutée,Quelque inclination qui la puisse engagerSi vous ne vous changez, vous la verrez changer ; Quoi ! Ce libertinage encore continueDepuis que vous voyez la dispense venue ?C'est trop nous mépriser, il est d'autres épouxQui sont aussi bien faits, aussi riches que vous,Si vous avez au coeur quelque autre fantaisie, Parlez, nous vous verrons changer sans jalousie :S'il faut nous séparer, le plutôt vaut le mieux. DON ALEXIS. Le change à mon esprit fut toujours odieux :Le temps vous fera voir que je suis fort fidèle,Je m'expliquerai mieux quand je verrai Marcelle. DON LÉONARD. Allez doncques vers elle, et sans plus l'abuser.Si vous êtes coupable, allez vous excuser ; Allez, vous la verrez la plus triste du monde,Guérissez son esprit de sa douleur profonde,Parlez à coeur ouvert ; dites la vérité Si vous avez raison de vous être absenté,Elle est tendre, elle est bonne, et lui parlant sans ruseVous ferez recevoir sans doute votre excuse.Vous la connaissez bien, elle a l'esprit trop douxElle a trop d'indulgence et de bonté pour vous. OLYMPE. J'ai plus de zèle encore et d'amitié pour elle,Je lui paraîtrai sage, et sincère et fidèle,Je la rendrai contente, ou je ne vivrai pas, DON LÉONARD. Allez donc Alexis la trouver de ce pas !Aux jardins du Palais elle est en promenade Pour divertir l'ennui de son esprit malade. OLYMPE. Se doit-elle parer pour le grand bal ce soir ? DON LÉONARD. Oui, vous l'y conduirez. Allons vite la voir. Il s'en va. OLYMPE. J'ai quelque ordre à donner, je vous suis tout à l'heure,Dans ce beau logis neuf que j'ai pris pour demeure, Faites qu'avec grand soin on pare promptementSix pièces de plein pied dans mon appartement.Qu'on y fasse trouver un concert magnifique,Que la collation réponde à la musique,Sur tout, que votre fille y mène quand et foi Quelque amie, et bien faite, on lui dira pourquoi. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Don Léonard, Marcelle. DON LÉONARD. Écoutez ses raisons, ne le condamnez pasAvant que de l'entendre, il marche sur mes pas.Ma fille, le voici qui vient par cette allée,Quand vous l'orrez parler, vous serez consolée. Tout de bon il vous aime, et doit bien s'excuser, MARCELLE. Plut au Ciel ! Mais mon père il vient pour m'abuser.He ! que me peut-il dire, après huit jours d'absence,Qui puisse avec succès marquer son innocence ?Non, non, c'est un volage, il n'a bougé d'ici Pour faire le coquet et l'amoureux transi ;Et depuis qu'il a vu la dispense arrivée,Offrant son coeur partout, seule il m'en a privée,Cependant tel qu'il est, je n'ose le haïr ;Vous me le destiné, et je dois obéir. DON LÉONARD. C'est le plus grand parti qui soit dans la Province, Dedans tout ce Royaume il n'est ni Duc ni PrinceQui le surpasse en biens, ni qui puisse aujourd'huiContester de mérite et de grâce avec lui.Et puis c'est notre sang, traitez-le sans rudesse : Quand il serait coupable, excusons sa jeunesse,Il dira les raisons qui l'ont fait absenter,S'il vient de bonne grâce, il le faut écouter.Le voici, je vous laisse, allez, allez, Marcelle,Avec lui doucement vider votre querelle, Libre et seul avec vous il s'expliquera mieux.Je vois son repentir écrit dedans ses yeux. SCÈNE II. Don Alexis, Marcelle. MARCELLE. D'où vient Don Alexis après huit jours d'absence ?Aurais-je sur son âme un reste de puissance ?Prendrait-il pour me plaire encor quelque souci ? Non, non, il est ailleurs, quand même il est ici ;Vous n'avez point paru tant qu'a duré la fête ?Ah ! Vous cherchiez sans doute à faire une conquête !Ne me déguisez rien, parlez moi franchement. DON ALEXIS. Oui, je vous ouvrirai mon coeur sincèrement. Belle et chère cousine admirez ma faiblesse, Par un caprice fol qu'excuse ma jeunesse,Inhabile aux Tournois, je me suis aviséDe courir par la ville en femme déguisé. MARCELLE. Ah ! Vous vous déguisez encore ici, volage Et sous ce feint discours vous cachez quelque outrage.Je vois bien tout de bon que je vous ai perdu ;Quand on aime Alexis, on est plus assidu ;Quoi huit jours sans me voir, et me payer encoreD'une excuse grossière, et qui vous déshonore ? Devriez vous malheureux avoir autre penserQue celui de me plaire, et ne point m'offenser ?Chercher d'autres plaisirs dans la propre journée,Que pour nous joindre ensemble on avait destinée.Quoi ! Sans penser à moi, quoi ! Sans penser à vous, Vous négligez le jour qui vous fait mon époux.Quoi ! Huit jours sans me voir, n'avez vous point de honte ?Ah ! D'un terme si long rendez moi meilleur compte,Ou, sans perdre le temps en discours superflus,Avouez franchement que vous ne m'aimez plus. DON ALEXIS. Je souillerais mon nom d'une trop noire tacheSi je me condamnais par un aveu si lâche,Tout de bon je vous aime, et m'attache à vos loisAutant que je le puis, autant que je le dois,Si mon coeur se dérobe à quelqu'autre pensée, Marcelle, avec raison n'en peut-être offensée : MARCELLE. [Note : Énigme est parfois masculin.]L'énigme, quoi qu'obscur, marque pourtant assez,Que vers quelqu'autre objet vos yeux sont adressez. DON ALEXIS. Hélas ! MARCELLE. Vous soupirez, j'en devine la cause :Vous me voulez trahir, votre coeur s'y dispose, Et sens par ce soupir qui vous vient d'échapper,Que c'est avec regret que vous m'allez tromper. DON ALEXIS. Ah pensez mieux d'un coeur où l'amour fait son templeEt de qui la constance est pure et sans exemple,Je soupire de voir qu'on me fait votre époux Et qu'en effet je suis très indigne de vous. MARCELLE. La raison me paraît injuste et criminelle,Vous me méritez trop si vous m'êtes fidèle :Plût au Ciel que l'Amour et la fidélitéÉgalassent en vous la grâce et la beauté, Et qu'à vos yeux charmants je fusse aussi parfaiteQue de vos qualités mon âme est satisfaite,Alexis que le Ciel prit plaisir de former,N'aurait point de défaut s'il savait bien aimer :Mais de quelque air flatteur qu'il orne son langage Je vois bien qu'il m'abuse, et qu'il n'est qu'un volage.Vous excuserez bien ce mouvement jaloux ;Parlez sincèrement Alexis, m'aimez-vous ?La dispense est venue, il n'est plus temps de feindre ;M'aimez-vous Alexis ? parlez sans vous contraindre. DON ALEXIS. Oui, je vous aime trop, j'ai pour vous dans le coeurDes tendresses de frère, MARCELLE. Et vous m'aimez en soeur ? Ah ! C'est ne m'aimer point que m'aimer de la sorte.Je demande une flamme et plus vive et plus forte.Non, vous ne savez pas aimer parfaitement Quand on n'aime qu'en frère, on est mauvais amant.Pour moi, quoi que d'amour j'ignore le mystère,Je sens je ne sais quoi qu'on n'a point pour un frère,Et ce titre me semble et trop fade, et trop douxPour être compatible avec celui d'époux, DON ALEXIS. Mais ne pourrions nous pas, trop aimable Marcelle,Nous unir sans l'hymen d'une chaîne éternelle ?Ce noeud, de qui je crains les fatales douceursEst il si nécessaire à lier nos deux coeurs ? MARCELLE. Quoi vous craignez l'Hymen ? Ô la grande innocence ! DON ALEXIS. Je crains le trop d'Amour dans la double alliance.Comme vous ne pourriez, si vous n'étiez ma soeurM'être plus proche, enfin, cet Hymen me fait peur,La flamme jointe au sang, doit être véhémente,Et je crains cet excès, si la mienne s'augmente. MARCELLE. Plût au Ciel, Alexis, que je n'eusse jamais,A redouter de vous, que cet aimable excès ?La flamme jointe au sang est plus pure, et plus belle,Mais vous n'en avez pas au coeur une étincelle :Vous craignez votre Amour dans cette double ardeur, Moi qui vous connais mieux, je crains votre froideur :Mais qu'avons nous à craindre après notre dispense, Qui sur ce vain scrupule emporte la balance,Qui le purgeant, détruit la peur que vous feignez,Et nous met à couvert des feux que vous craignez ? SCÈNE III. Don Alvare. Don Alexis, Marcelle. DON ALVARE. Alexis ? DON ALEXIS. Qui m'appelle ? DON ALVARE. Avec votre licence,Madame, j'ai deux mots d'extrême conséquenceQu'on ne peut différer à lui dire en secret. MARCELLE. Parlez-lui. DON ALEXIS. Je reviens, et vous laisse à regret. MARCELLE, bas. Vous me viendrez rejoindre auprès de ce bocage ; Admirez justes dieux à quel homme on m'engage. SCÈNE IV. Don Alvare, Don Alexis. DON ALVARE. Quoi perfide, est-ce là ce qu'on m'avait promis ?Nous nous quittâmes hier apparemment amis,Mais ce fut sur la foi que vous m'aviez donnéeQue vous n'achèveriez jamais votre hyménée ; Cependant vos discours m'ont grandement surpris,Ils m'ont montré votre âme, et j'en ai trop appris ;Vous ne me voyez pas, j'étais en embuscadeDerrière l'épaisseur de cette palissade,D'où j'ai vu que la dame en termes assez doux Vous flattait du beau titre, et d'amant, et d'époux ;Alexis, vous savez que j'adore Marcelle,Vous savez qu'en un mot je ne vis que pour elle,Si vous faites dessein de me la contester,Il faut m'ôter la vie avant que me l'ôter, DON ALEXIS. Vous êtes chaud, Alvare, et vous allez bien vite,Si je la sers encor, ma mort est donc écrite.Si j'aime, je ne puis éviter mon malheur,Laissez moi vivre encor, DON ALVARE. Vous faites le railleur ?Ce jardin m'est sacré, je respecte Marcelle, Allons en autre lieu vider cette querelle.Il faut que hors d'ici, vous me fassiez raisonD'un manquement de foi qui sent sa trahison.Sortons. DON ALEXIS. Je ne le puis, Marcelle en ce bocageM'a donné rendez-vous, ma parole m'engage. DON ALVARE. Quoi ! Lâche tu croirais après ce mauvais tourM'ôter impunément l'espoir de mon amour ? DON ALEXIS. Ah! vous êtes trop prompt, Alvare, ce capriceCroyez moi, vous va rendre un très méchant office ;Je songe à vous servir, et vous me querellez. Bien ; soyez mal heureux, puis que vous le voulez !Je ne vis jamais homme emporté de la sorte. DON ALVARE. Excusez Alexis l'amour qui me transporte.Quoi ! Vous me serviriez, quoi ! vous me feriez voirEncor en cet amour quelque rayon d'espoir ? DON ALEXIS. Oui, mais par votre humeur qui se rend importuneVous allez ruiner votre bonne fortune.Vous ne méritez pas qu'on vous détrompe, Adieu ;Quand nous nous reverrons tantôt hors de ce lieu,Si vous croyez par moi votre attente trompée, Je vous satisferai, nous tirerons l'épée.Vous pensez qu'on vous craint, je suis homme pour vous. DON ALVARE. Excusez Alexis, ce mouvement jaloux, Demeurez un moment. DON ALEXIS. Pour ouïr vos injures ?Pour me voir mettre au rang des traîtres, des parjures ? DON ALVARE. Je demande pardon de ma légèreté,Oui, trop brutalement je me suis emporté.Je souffre ce reproche il est très légitime.Ne m'abandonnez pas, je confesse mon crime.Hélas ! S'il est bien vrai que vous ne brûlez pas Pour celle en qui mes yeux ont trouvé tant d'appas ;Si vous voyez Marcelle avec indifférence,Pour qui j'ai tant d'amour, et de persévérance.Si je ne suis par vous trahi, ni traversé,Prenez pitié d'un coeur que ses yeux ont percé. Souffrez cher Alexis ce coeur qui s'humilie.Je me jette à vos pieds, j'accuse ma folie ;Excusez mon désordre, excusez mon transport,Plus il vous paraît grand, plus mon amour est fort,Jamais pour vous fâcher je n'ouvrirai la bouche. DON ALEXIS. C'est assez, levez-vous, ce repentir me touche :Et je vous vois d'ailleurs si constant amoureux,Que s'il ne tient qu'à moi, vous serez plus heureux. DON ALVARE. Que je baise vos pieds ! Il s'en va. DON ALEXIS. Je vais trouver MarcelleAllez, laissez moi faire, et je vous réponds d'elle. DON ALVARE. S'il me tient sa promesse ô Dieux, Dieux tout PuissantsSouffrez que je partage avec lui votre Encens. SCÈNE V. Marcelle, Don Alexis. MARCELLE. Que vous voulait Alvare, et quelle est l'importanceDu secret qu'il m'a fait d'extrême conséquence ? DON ALEXIS. Ou vous le savez bien, ou vous vous en doutez ; Car il est votre esclave, et meurt pour vos beautés. MARCELLE. Je ne devine pas tout ce qu'il a dans l'âme. DON ALEXIS. Vous savez qu'il vous aime, et connaissant sa flamme,Il vous est fort aisé, me semble, de jugerÀ quoi ce pauvre amant me voulait engager ? MARCELLE. À quoi ? DON ALEXIS. L'osai-je dire ? À le mettre en ma place, MARCELLE. Et qu'avez vous promis ? DON ALEXIS. Rien qui le satisfasse :Mais, comme il fait dessein d'être de mes amis,Je parlerais pour lui s'il me l'était permis, MARCELLE. Quoi ? Parler pour Alvare ? Avez-vous l'âme saine, Qu'entends-je ? DON ALEXIS. En vérité, j'ai pitié de sa peine,Je vois qu'il vous adore, il est fort amoureux. MARCELLE. Il est brave, de plus il est fort dangereux,Ah lâche et vil amant, voilà toute ma crainte.Je découvre la peur dont votre âme est atteinte, Et vous aviez tantôt raison de m'avouer,Quand j'ai si faiblement cherché de vous louer,Que d'un si noble amour vous vous sentiez indigne,Par cette lâcheté qui me paraît insigne ;Je vois le fonds d'une âme en qui j'ai vainement Cherché les sentiments d'un généreux amant ;Ce teint efféminé, cette délicatesseMarquaient certainement en vous quelque mollesse :Mais je n'eusse pas cru qu'elle allât jusqu'au coeur,Je croyais que l'amour fit seul cette langueur, Qui forme dans vos yeux une grâce nouvelle :Mais je vois qu'en votre âme elle est plus naturelle,Et que cette faiblesse et d'esprit et de corps,Paraît mille fois plus au dedans qu'au dehors.Quoi donc vous me cédez, et parlez pour Alvare ? L'office est sans exemple et paraît assez rare.C'est pour fuir un combat que vous l'osez céder :Mais offert par vos mains le puis-je regarder,Il est noble, il est brave, et je sais bien qu'il m'aime.Qu'il vienne sans votre aide et s'offre de lui-même, L'occasion est belle, il peut tout espérer. DON ALEXIS. Quel plaisir prenez vous à me déshonorerMarcelle ? en m'accusant de crainte et de mollesse,Vous faites voir ici votre propre faiblesse,Et si vous m'écoutez plus attentivement, Vous avouerez l'erreur de votre emportement.J'aime, je cours au change, et ne suis point volage,Et je sers un rival sans manquer de courage.Alexis vous adore, et songe à vous céderPar ce qu'il ne vous peut en effet posséder. C'est trop feindre après tout et trop vivre en contrainte.Jusqu'ici la fortune a seule fait ma feinte :Mais forcé par l'amour, par la nécessité,Je vous ouvre mon âme avec sincérité :Nature entre nous deux a mis un grand obstacle, Et si le Ciel pour nous ne fait un grand miracle,Vos voeux sont superflus, je ne puis être à vous,C'est pourquoi je vous cherche un plus sortable époux :Sachez que je suis fille. MARCELLE. Ô lâche et vaine excuse !Je vois votre défaite, et connais votre ruse. Alvare vous querelle, et vous manquez de coeur.Vous offensez mon sexe, il a plus de vigueur,C'est, mais grossièrement me faire un double outrage,Que déguiser ainsi votre peu de courage. DON ALEXIS. Belle et chère cousine où vous emportez vous ? Voyez ce que je suis ! MARCELLE. Ô dieux ! DON ALEXIS. Voici l'épouxQue l'on vous destinait pauvre fille abusée ! MARCELLE. Que vois-je ? DON ALEXIS. He bien enfin êtes vous apaisée ?En découvrant mon sexe, et vous disant commentJ'ai de notre oncle Albert trompé le testament, Je m'ôte les deux tiers de son riche héritage :Mais je ne vous puis plus abuser davantage,Vous avez déjà su que votre oncle, et le mien,Voyant ma mère grosse, assura tout son bienAu mâle qui naîtrait, par ce qu'en nos familles Il avait déplaisir de ne voir que des filles,Que ma mère perdit la lumière du jourEn me mettant au monde, et faisait son séjourPour lors à la campagne. MARCELLE. Oui, j'en ai connaissance. DON ALEXIS. Oyez dont ce qui reste. Au point de ma naissance, Mon père qui voyait dans le lit de la mort,Ma mère fort malade, et qui craignait son sort,Sentant qu'on la veillait pour voir si dans sa couche Il lui naîtrait un fils qui vous fermât la bouche,Il trompa votre père avant l'accouchement, Et le fit par Alfonce assez subtilement ;Il fit cacher un fils qui lui venait de naîtreAu lit de la malade, et le faisant paraîtrePar la garde gagnée, Albert crut comme vous,Que tout son bien légué n'appartenait qu'à nous, Je naquis à même heure à ma mère mourante.Albert suivit son sort comme avait fait ma tante,Mon père s'est depuis de leur bien emparé,Qui m'est après sa mort tout entier demeuré :Car je repris ma place en ne faisant que naître, Au lieu de cet enfant que l'on fit disparaître ;Et j'ai depuis ce temps tout le monde abusé,Ayant sous ces habits mon sexe déguisé :Mais mon bien est à vous, et le testament cesse,Par ce déguisement qu'enfin je vous confesse. Belle et chère cousine, il est vrai que le bienTouche peu mon esprit, je le conte pour rien,Et je crains seulement que sa perte n'attire,Celle de Don Carlos, qui vit sous mon Empire. MARCELLE. Don Carlos ? Eh ! comment l'avez-vous peu charmer, Comment sous cet habit a-t-il peu vous aimer ? DON ALEXIS. Sachez que j'ai couru pour mieux sonder son âme,Tant qu'a duré la fête, avec l'habit de femme.Je vous dirai le reste avec plus de loisir,Comme en mon entretien, il a pris du plaisir, Comme j'ai fait durer un feu que j'ai fait naître ;Bref comme il meurt d'amour pour moi sans me connaître ;Mais avant toute chose, il faut me pardonne Ma supposition qui doit vous étonner. MARCELLE. C'est à vous d'excuser l'erreur d'une âme prompte, Mon fol emportement me fait mourir de honte,Belle et chère cousine, en me désabusant,Vous guérissez mon coeur d'un amour fort cuisant ;Mais vous le regagnez d'une façon nouvelle,Une amitié solide, immuable, éternelle Succédera sans peine à cet amour trompeurQue je sens disparaître ainsi qu'une vapeur.Vous regardez le bien avec indifférence,Et moi je ne mets pas seulement en balance,Si je prendrai la part dont semble vous priver Un sexe supposé. Je vous la veux sauver.Oui, s'il ne tient qu'au bien que Carlos ne soit vôtre,Avec celui d'Albert, prenez encore le nôtre,Je jure, que quiconque aura dessein pour moi,S'il ne cède ce bien, n'aura jamais ma foi. DON ALEXIS. Sans ce bien mal acquis, je puis me rendre heureuse,Ô fille vraiment noble, et vraiment généreuse !Laissez moi témoigner par mes embrassements,Que j'ai le coeur touché de vos beaux sentiments. SCÈNE VI. Don Alvare, Don Alexis, Marcelle. DON ALVARE. Quoi perfide, est-ce ainsi qu'on m'offre son service, Est-ce là le fidèle, et charitable officeQue je devais attendre ? Ah traître il faut mourir ! DON ALEXIS. Mais si vous êtes fol, je ne vous puis guérir. DON ALVARE. Toute ma patience enfin m'est échappée,Rien ne peut dérober ta vie à mon épée. Je n'ai plus de respect, je le perds à vos yeux,Je l'aurais perdu même en présence des Dieux,Madame ! Je ne puis retenir mon courage,Et je ne veux plus vivre après un tel outrage. MARCELLE. Comment, en ma présence ? Arrêtez insolent ! DON ALEXIS. Je vous ai figuré son amour violent,Je l'ai peint tel qu'il est, me fait-il pas justice,De me payer si bien mon charitable office ? DON ALVARE. Joindre la raillerie avec la trahison, Ah lâche ! Hors d'ici tu m'en feras raison. DON ALEXIS. Ce bouillant mouvement prouve assez bien sa flamme,Et je vois le respect qui rentre dans son âme,Pardonnez lui Marcelle ! MARCELLE. Alvare qu'est-ceci,Est-ce amour ou fureur qui vous emporte ainsi ?J'ai part plus qu'Alexis à votre extravagance, Considérez Alvare où va votre imprudence.Sans juger qui je suis, vous osez mal penserD'un parent qui me quitte et qui peut m'embrasser,Quand nous nous séparons avec un adieu tendreComme des criminels vous croyez nous surprendre ? Ah vous m'offensez trop dans cet emportement !Je veux plus de respect dans le coeur d'un amant,La jalouse fureur part d'un mauvais courage,Et vous montrez ici moins d'amour que de rage,Alexis tout de bon parlait ici pour vous, DON ALVARE. Pour moi ? cher Alexis j'embrasse vos genoux,L'extrémité Madame, où mon âme est réduite, MARCELLE. Il faut me mériter avec plus de conduite,Adieu ! DON ALVARE. Cher Alexis ne m'abandonnez pas ! DON ALEXIS. Pleurez, repentez-vous, courez après ses pas : DON ALVARE. Mais est-ce tout de bon que vous l'avez quittée ? DON ALEXIS. Oui, mais votre fureur s'est trop précipitée. DON ALVARE. Venez voir mes respects, je m'en vais l'adorer. DON ALEXIS. Avec ce repentir on peut tout espérer. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Olympe, Marcelle. OLYMPE. He bien chère cousine enfin qu'en dites-vous, Ai-je fait en Carlos un choix digne de nous ?Avez vous observé son adresse et sa grâce ? MARCELLE. Certes je ne vois rien dans ce lieu qu'il n'efface,Comme il a mérité tous les prix des Tournois,Pour les honneurs du bal je lui donne ma voix, Qu'il a l'air noble et doux, qu'il danse en honnête homme ! OLYMPE. Plus que sa grâce encor sa vertu le renomme,En lui les qualités qui ne paraissent pas,Passent infiniment ce qu'on lui voit d'appas :Mais je crains un défaut, qui s'il en est capable, Détruira dans mon coeur tout ce qu'il a d'aimable. MARCELLE. Quel serait ce défaut qu'en lui vous craignez tant ? OLYMPE. Ah cousine, j'ai peur qu'il ne soit inconstant ! Comme je vois par tout qu'on l'aime et qu'on l'estime,J'ai peur que sa bonté n'autorise son crime, Le voyant complaisant, civil, officieux,Son mérite connu me fait peur en tous lieux,Et tendre comme il est, je crains qu'il ne répondeÀ la juste amitié qu'a pour lui tout le monde. MARCELLE. Tant qu'a duré le bal, il a toujours rêvé, OLYMPE. Comme il me touchait plus je l'ai mieux observé,Il a de cent beautés considéré la grâce,Le voyant inquiet changer souvent de place,Jalouse je croyais le suivant en tous lieux,Que son coeur y volait aussi bien que ses yeux. MARCELLE. Il me faisait pitié, n'en soyez point troublée.Il ne cherchait que vous dedans cette assemblée,Comme il est amoureux d'un objet inconnu,Avec les plus charmants il s'est entretenu.Croyant que celle là qui se montrait sensible, De moment en moment était son invisible ;Ignorant son destin, il cherchait en tous lieuxUn bien, qu'en vain son coeur demandait à ses yeux,M'a-t-il pas cajolée aussi bien que les autres ?N'a-t-il pas dans mes yeux aussi cherché les vôtres ? C'est ce qui le rendait inquiet et rêveur. OLYMPE. J'ai remarqué sur tout qu'il a reçu faveurD'une certaine blonde en beauté sans pareille, Qu'en ce bal je n'ai peu regarder sans merveille.Comme à ce rare objet il s'est plus arrêté, J'ai plus que de toute autre observé sa beauté,Pour ouïr leurs discours de mon manteau cachée,Je me suis d'eux, trois fois, doucement approchée,Et j'ai vu qu'ils parlaient avec tant d'action,Qu'on s'est presque aperçu de mon émotion. Ce qui l'a redoublée, est qu'après leur courante,Cette fière beauté faisant l'indifférente,N'a pas laissé pourtant d'écouter à loisirLes douceurs qu'il disait, et d'y prendre plaisir ;Elle a plus fait encore, un ruban tombe à terre, Don Carlos le ramasse, on lui en fait la guerre,On le souffre, il s'échauffe, il revient à l'assaut :Mais j'ai vu qu'à la fin parlant d'un ton plus haut,La Dame s'est fâchée, et qu'il a quitté prise. MARCELLE. Vous seule avez fondé toute cette entreprise, Et la brune et la blonde ont fait égalementLa peine et les transports de cet aveugle amant.Enfin il est constant qu'il vous parlait en elles,Et qu'il ne vous cherchait que parmi les plus belles,Quand vous sentirez mieux tout ce qui brille en vous Vous perdrez aisément ces sentiments jaloux,Puisque c'est vous qu'il cherche, et que c'est vous qu'il aime,Vous êtes seulement jalouse de vous-même. OLYMPE. Mais comment nommez vous celle qui l'a touché ?À laquelle j'ai vu qu'il s'est tant attaché. MARCELLE. C'est la Belle Julie, OLYMPE. Il est vrai qu'elle est belle. MARCELLE. Dans Naples on ne voit rien de plus aimable qu'elle,Le Marquis de Saint Ange homme riche et puissant,N'a plus que cette fille unique, et s'il consentQue Carlos la recherche il peut être son gendre. Avec l'appui du Duc il la pourra prétendre,Pour couper donc racine à ces soupçons jaloux,Belle et chère cousine enfin déclarez-vous !En vous seule Carlos bornera ses conquêtes,S'il vient à découvrir une fois qui vous êtes, Nulle ici ne vous passe en biens, en qualité,Et passez de bien loin les autres en beauté. OLYMPE. Ce discours est flatteur, mais certes il me touche,Quand je le vois sortir d'une si belle bouche.Oui ma belle cousine enfin je me résous Pour tâcher d'acquérir un si parfait époux,De découvrir mon sexe, et de me rendre heureuse,Puisque vous vous montrez vers moi si généreuse,Et que vous persistez à me céder un bien,Sans qui je perds l'espoir, sans qui je ne puis rien, Je vais au rendez-vous où Carlos doit se rendre : MARCELLE. Mais n'est-il point trop tard ? OLYMPE. J'ai promis de l'attendre,Quelque heure qu'il puisse être ; il est embarrassé :Dans la salle du bal encor je l'ai laisséAvec la Vice-reine il la devait conduire, Je vais voir s'il doit vivre encor sous mon Empire,Je vous ai dit comment j'éprouverai sa foi,Et comment je verrai s'il est digne de moi. MARCELLE. L'épreuve est dangereuse. OLYMPE. Oui je vous le confesse :Mais s'il persiste encor fidèle en sa promesse, Il n'est point dans le Ciel d'immortelle beauté,Qui se puisse égaler à ma félicité.Alvare vient à nous, Adieu je me retire. SCÈNE II. Don Alvare, Olympe, Marcelle. DON ALVARE. Si je suis importun, vous n'avez qu'à le dire. OLYMPE. Non Alvare, au contraire on vous souhaite ici. DON ALVARE. Qui, vous Don Alexis ? OLYMPE. Et ma cousine aussi.Elle m'a bien promis de n'être plus cruelle, Son carrosse l'attend, remenez-la chez elle.Adieu. SCÈNE III. Don Alvare, Marcelle. DON ALVARE. J'aurai l'honneur de vous donner la main. MARCELLE. Si vous allez ailleurs, suivez votre dessein. DON ALVARE. Vous savez mon dessein, le seul but où j'aspire,Est de servir l'objet pour qui seul je soupire.Voyant votre entretien, je m'étais reculé,J'attendais par respect que vous eussiez parlé.Comme de vos discours je connais l'innocence, J'étais sans jalousie, et sans impatience ;Et n'aspirais Madame, à l'honneur de vous voir,Que pour vous témoigner mon zèle et mon devoir. MARCELLE. Vous êtes bien changé ? De paraître si sageAllons je n'en veux pas apprendre davantage, Vous verrez comme en vous, en moi grand changement,Si vous persévérez dans ce beau sentiment. DON ALVARE. Que je baise vos pieds ! MARCELLE. La Vice-reine passe, J'ai peur qu'elle m'arrête, et cela m'embarrasse,Allons, il est bien tard, sortons sans lui parler, Si mes femmes sont là, qu'on les fasse appeler. SCÈNE IV. Don Carlos, Don Pedre. DON CARLOS. Je meurs d'impatience ! ah que je suis en peine, DON PEDRE. Pourquoi ? DON CARLOS. Vous avez vu comme la Vice-reine,M'a dit de lui parler après la fin du Bal ?A ses yeux je n'ai pu dissimuler mon mal, Je manque au rendez-vous, mon aimable inconnueEn vain après le bal attendra ma venue,Et vous savez ami ! qu'il m'est très important,D'être mieux éclairci par celle qui m'attend. DON PEDRE. Puisqu'elle vous attend, vous n'avez rien à craindre, Vous n'aurez que trop tôt matière de vous plaindre.Si, comme vous croyez, et que je l'ai pensé,Ce grand bal général sans elle s'est passé,Sans doute elle n'est pas ce qu'elle se dit être,Vous avait elle dit qu'on l'y pourrait connaître ? DON CARLOS. Non, elle m'a juré seulement par deux foisQu'elle y viendrait cachée, et que je l'y verrais,Ce qui m'a fait penser que ce serait possible,Celle qui m'a d'abord paru douce et sensible,Sous le nom de Julie et que j'ai fait danser, Plus souvent que nulle autre afin de la presser :Mais enfin j'ai bien vu que ce n'était pas elle. DON PEDRE. Certes après Lucille elle était la plus belle. DON CARLOS. Mais si Lucille enfin m'avait joué ce tour,Pour connaître mon coeur, pour sonder mon amour ? DON PEDRE. Ah ne le croyez pas, je connais bien Lucille,Elle est trop glorieuse, et n'est pas si subtile.Elle a fort bien tantôt reconnu vos mépris,Et j'observais ses yeux qui m'en ont trop appris,Vous n'avez pris sa main qu'une fois à la danse. J'ai vu qu'on vous blâmait de cette négligence,Je ne vous cèle pas que j'en ai profité,Et que m'ayant permis d'adorer sa beauté,J'ai su prendre ce temps pour lui faire connaître Que vous aimiez ailleurs ; oui je connais le traître, M'a dit cette emportée, et j'ai dit hardimentQue je ne voulais plus d'un infidèle amant.Au moment que je parle il est fort raisonnable,Que sur votre sujet la Duchesse l'accable,Et qu'elle lui dira tout ce qu'elle m'a dit. DON CARLOS. Quoi ! DON PEDRE. Qu'elle sait fort bien où vous allez de nuit. DON CARLOS. Ah vous m'aurez trahi ! DON PEDRE. Don Carlos je vous jureQu'elle m'a raconté toute votre aventure. DON CARLOS. Je l'ai dite à vous seul. DON PEDRE. Mais ne jugez vous pasQu'elle aura pu la nuit faire suivre vos pas ? Et que dans la douleur de se voir négligée,Sur ce prétexte enfin elle s'est dégagée. DON CARLOS. Ah si Lucille enfin vous a dit en courroux,Que j'allais seul de nuit chercher ce rendez-vous,C'est celle que je sers, c'est celle que j'ai vue, C'est, je n'en doute plus, mon aimable inconnue,Et j'ai perdu l'esprit d'aller si loin chercher Un bien qui s'offre ici, qui là se veut cacher. DON PEDRE. Ah ne le croyez pas ! Vous offensez sa gloire. DON CARLOS. Enfin je ne sais plus qu'en penser ni qu'en croire. DON PEDRE. La voici. SCÈNE V. La Vice-Reine, Lucille, Don Carlos, Don Pedre. LA VICE-REINE. Mon cousin demeurez un moment !De grâce attendez moi dans mon appartement. DON CARLOS. Bien Madame, ah Don Pedre il faut que je demeureDans mon aveuglement, je sens passer mon heure ;Manquant au rendez-vous je ne m'éclaircis pas, Et je me vois toujours dans le même embarras. SCÈNE VI. La Vice-Reine, Lucille. LA VICE-REINE. Lucille d'où vous vient cette morne tristesse ? Qu'avez-vous dans l'esprit qui vous gêne et vous blesse ?Tant qu'a duré le bal j'ai jeté l'oeil sur vous,Sur ce que j'ai senti qu'ils vous observaient tous. Lucille disaient-ils n'a rien qui ne lui rie,Elle est riche, elle est belle, et le Duc la marieAvec un cavalier beau, galant, accompli,Cependant de chagrin son visage est rempli.Don Carlos, a-t-il dit, a-t-il fait quelque chose, Qui cause en votre esprit cette métamorphose ?Je l'ai vu toujours gai, d'où vient son changement ?Dans un jour de plaisir d'où vient qu'il se dément ? LUCILLE. Quel plaisir voulez-vous qu'ait une misérableMadame, à qui le sort est si peu favorable ? Et comment puis-je avoir ici l'esprit content ?Vous m'avez ordonné d'aimer un inconstant.Chacun voit son mépris, et son indifférence,L'effet aux yeux de tous répond à l'apparence.De moi, moins que de vingt il a paru l'amant, Il ne m'a fait danser qu'une fois seulement,D'un air vain, négligé comme s'il m'eût fait croire,Que ce m'était encor trop de grâce et de gloire,Pendant que sans me craindre à mes yeux irrités, Il a fait le galant de cent autres beautés. S'il a vu près de moi quelque fille plus belle,Il n'a point affecté de paraître fidèle,D'abord sans se contraindre il a fait le transi,Et j'ai vu que par tout il en a fait ainsi. LA VICE-REINE. Il a feint galamment ces obligeantes flammes, Pour attirer l'estime et l'amitié des Dames ;Et se considérant déjà pour votre époux,Il promenait un coeur qu'il n'a donné qu'à vous, LUCILLE. Quand vous pardonneriez à ses indifférences,Il faut Madame, il faut sauver les apparences ! L'amant d'un seul objet doit paraître touché,Et doit à cet objet toujours être attaché.Si j'approuvais la flamme errante, et vagabonde,Qu'en croiriez-vous Madame, et qu'en dirait le monde ? LA VICE-REINE. Mais s'il a le coeur fixe, et que ses yeux errants Marquent de vains transports et des feux apparents,S'il m'a pour vous sa flamme en secret avouée ?N'excuserez-vous pas son humeur enjouée ? LUCILLE. Non, Madame, un amant n'en use point ainsi,J'aime mieux qu'en public il fasse le transi, Qu'il s'attache à moi seule et me serve avec pompe,Et s'il a le coeur faux, qu'en secret il me trompe. LA VICE-REINE. Le voici ce volage, LUCILLE. Ah dieux qu'il est charmant !Que n'a-t'il trouvé l'art d'aimer plus constamment ! SCÈNE VII. Don Carlos, La Vice-Reine, Lucille, Don Pedre. DON CARLOS. Rompons leur entretien, je meurs d'impatience. Il fait signe à Don Pedre de se retirer. LA VICE-REINE. Approchez mon cousin, parlons en confidence,Est-il vrai que Lucille ait eu lieu de penser,Que vous avez fait gloire ici de l'offenser,Affectant à ses yeux de paraître infidèle ?Il s'offrait des partis plus grands, plus dignes d'elle, Que par notre conseil elle a tous rejetez,Est-ce pour se soumettre à vos indignités ?Parlez. LUCILLE. Que dirait il ? son silence l'accuse.Et je l'aime encor mieux qu'une méchante excuse.Ah Madame, il sait bien que j'en ai trop appris, Laissons le dans sa haine, et dedans son mépris,Vous lui faites chercher des défaites trompeuses,Qui certes me seraient encore plus honteuses.Je connais bien sa vie, il paraît inconstant :Mais un objet sur tous l'arrête ici pourtant, On le suit tous les soirs, on sait ce qui se passeDedans certaine rue en une grille basse. DON CARLOS. Ah si vous savez tout, étouffez ce courroux :Car vous connaissez bien que je n'aime que vous. LUCILLE. Que moi? DON CARLOS, bas. Je suis trompé si d'une voix pareille, Cet objet inconnu n'a frappé mon oreille. LUCILLE. Ah volage, imposteur, si vous n'aimiez que moi,Vous ne me lairriez pas douter de votre foi,Et vous feriez du moins cesser les bruits du monde.On connaît votre coeur plus agité que l'onde, On voit qu'aveuglément vous aimez en tous lieux,Sans vous vouloir cacher seulement à mes yeux.On voit qu'à vos mépris je demeure exposée,Que je suis de la Cour la fable et la risée,Et vous me soutenez encore effrontément, Qu'avec fidélité vous êtes mon amant.Si je perds le respect, pardonnez moi Madame !Il sait que je connais les défauts de son âme,Il sait qu'il a paru volage aux yeux de tous,Et feint qu'il est fidèle, et discret devant vous, Comme s'il n'avait pas ce traître, ce parjure,Étalé devant vous toute son imposture. LA VICE-REINE. He bien, s'il a failli, souffrez le repentant. LUCILLE. Madame, je ne puis le souffrir inconstant. DON CARLOS. Lorsque dedans le bal j'ai cajolé ces belles, Vous devinez pourquoi je vous cherchais en elles.Si vous me reprochez encor ce rendez-vous,Vous savez qu'en ce lieu je ne cherchais que vous. LUCILLE. Quoi dans ce rendez-vous, Don Carlos m'a cherchée ? DON CARLOS. Et devine pourquoi vous étiez là cachée. LUCILLE. Il s'extravague ici, qu'il dise donc pourquoi, DON CARLOS. Suffit que vous voulez des preuves de ma foi !Vous en aurez Madame ! Et les aurez si belles,Qu'on ne me mettra plus au rang des infidèles. LA VICE-REINE. Il ne peut mieux parler, oublions le passé, S'il sert fidèlement, qu'il soit récompensé. LUCILLE. Mais qu'il s'explique au moins, s'il m'ose encor prétendreEt sur ce rendez-vous se fasse mieux entendre. DON CARLOS. Mon sens est assez clair, on l'a bien entendu, Il la tire à part pour lui parler. DON PEDRE, fort. Il le faut interrompre, ou bien je suis perdu, Ce qu'a fait l'inconnue, à Lucille il l'applique. LA VICE-REINE. Lucille, entre nous trois il faudra qu'il s'explique.Ce témoin survenu veut que nous nous taisions,Et qu'avec tout loisir nous nous satisfaisions.De plus, il est si tard, qu'il faut qu'on se retire. Me promettez-vous pas, s'il vit sous votre empire,Et vous sert avec zèle, avec discrétion,Que vous reconnaîtrez enfin sa passion ? LUCILLE. Oui, venez-moi revoir, puis qu'il plaît à Madame. DON CARLOS. Si nous nous expliquons, vous connaîtrez mon âme. SCÈNE VIII. Don Carlos, Don Pedre. DON CARLOS. Je m'en suis bien douté, Don Pedre assurément,C'est l'objet inconnu de qui je suis amant. DON PEDRE. Vous me faites pitié, Don Carlos de le croire,Je vous l'ai déjà dit, Lucille a trop de gloire, Pour prétendre au Roi même elle ne voudrait pas Sous un voile étranger déguiser ses appas, DON CARLOS. Me serais-je abusé ? DON PEDRE. Comment est-il possibleQu'à des attraits cachés vous soyez si sensible,Et qu'on ne vous ait vu qu'insensibilitéPour une si visible, et si rare beauté ? Enfin quoI qu'à ces yeux votre coeur se déguise,Je vois qu'il aime ailleurs, vous me l'avez promise.Ou tenez moi parole, ou donnez moi la mort :Mais vous ne ferez pas sur vous un grand effort,En me cédant Lucille, il est vrai qu'elle est belle : Mais puis qu'une autre ailleurs vous charme et vous appelle,Cédez moi par raison, si je vous fais pitié,Ce qu'on m'avait déjà cédé par amitié. DON CARLOS. Oui, oui, je vous la cède, et suis votre pensée. DON PEDRE. Allez au rendez-vous, l'heure n'est point passée. Lucille n'y peut-être. DON CARLOS. Oui j'y vais de ce pas. DON PEDRE. Je vous suivrai Carlos ! DON CARLOS. Non ne m'y suivez pas.On me demande seul. DON PEDRE. J'ai peur qu'on vous affronte. DON CARLOS. Adieu je ne crains rien, je vous rendrai bon conteDemain de l'aventure. DON PEDRE. Êtes-vous près du lieu ? DON CARLOS. Nous entrons dans la rue. Allez vous-en Adieu. SCÈNE IX. Don Carlos, Olympe en la grille basse. DON CARLOS. Ma flamme pour Lucille était peu naturelle.Il est vrai que je sens qu'ailleurs Amour m'appelle.À l'objet inconnu mes voeux sont attachés.Ses charmes sont plus forts quoi qu'ils soient plus cachez, Je la vois qui fait signe, Amour sois moi propice,Et ne me permets pas de lui faire injustice,Êtes vous là Madame ? OLYMPE. Oui Don Carlos, c'est moi, DON CARLOS, bas. Voici la même voix, Don Pedre, je vous crois.Vous n'avez point été dans ce Bal conviée, Vous auriez là, Madame, été trop enviée,Et je serais mort d'aise en voyant vos appas. OLYMPE. Vous devez m'avoir vue, DON CARLOS. Ah je ne le crois pas. OLYMPE. Vous en avez conté d'abord à Cornelie,Vous avez cajolé Marcelle, et puis Julie. Mais ce dernier objet sur tout vous a touché,Jusques là qu'un ruban par hasard détaché,Est tombé dans vos mains, est-il vrai ? DON CARLOS. Je l'avoue,En l'une de ces trois, souffrez-vous qu'on vous loue ? OLYMPE. Non. DON CARLOS. Pour Lucille enfin je viens de la quitter, Madame, et sur ce point je n'ose contester. OLYMPE. Enfin vous avez cru cajoler les plus belles, DON CARLOS. Madame, innocemment je vous cherchais en elles. OLYMPE. Mais est-il bien constant, ne cherchiez vous que moi ? DON CARLOS. Je puis sincèrement vous en donner ma foi. Pendant qu'il parle il se sent lier les bras par derrière, et voit des hommes masqués. SCÈNE X. Quatre hommes masqués, Don Carlos, Olympe. DON CARLOS. Ah traîtres ! OLYMPE. Accourrez, venez vite à son aide ! LES QUATRE HOMMES MASQUÉS. Suivez-nous Cavalier, c'est un mal sans remède.Entrez dans ce carrosse, DON CARLOS. Ah monstres inhumains !Si vous m'aviez laissé la liberté des mains,Je vous étranglerais, vous gardez le silence, On m'entraîne, et je cède à cette violence. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Le Masque, Don Carlos. Don Carlos enfermé sans lumière dans un bel appartement, avec un homme masqué des quatre qui l'avaient arrêté. LE MASQUE. Ne vous emportez plus Don Carlos je vous prie,Vous blâmeriez à tort cette supercherie.Ce serait vouloir mal, à qui vous veut du bien,Ne vous étonnez pas, et n'appréhendez rien. C'est pour vous rendre heureux qu'on a pris la licenceDe vous faire une douce, et juste violencePar quelque enchantement vous vous croirez charmé,Dans ce lieu de délice, où vous êtes aimé :Mais vous y jouirez d'un heur inconcevable, Qui sera toutefois solide, et véritable,Et vous bénirez ceux qui vous ont arrachéD'un plaisir incertain qui vous était caché. Il s'en va. DON CARLOS. Mais souffrez que par vous au moins je puisse apprendreOù je suis, et qui m'aime. Il ne veut pas m'entendre Il fuit, et mon esprit doublement agité,N'est pas moins que mes yeux dedans l'obscurité,La bizarre aventure ! Ah si je l'avais sue !Tâchons de nous sauver, découvrons quelque issue, Il tâtonne.Je crois que j'en viendrai malaisément à bout, Je sens de bons verrous, et des grilles par tout,Ma patience ici trouve une ample matière,Où suis je ? Enfin je vois venir de la lumière. Deux Dames viennent masquées avec deux flambeaux qu'elles mettent sur la table et lui font une profonde révérence :Mais je crois que mes yeux sont encore enchantez,Dieux ! sont-ce illusions, ou sont-ce vérités ? Puis qu'elles ont placé ces flambeaux sur la table,Voyons si cette chambre est feinte ou véritable,Si j'y suis prisonnier, ou si certainementJe m'y trouve charmé par quelque enchantement.Cette porte est ouverte, ô Dieux, j'y vois des gardes, Masquez et résolus avec leurs hallebardes,Qui ferment le passage, et qui me font trop voirQu'ici ma liberté n'est plus en mon pouvoir.Je n'ai pas de ce mal la moindre conjecture,Attendons jusqu'au bout la fin de l'aventure. Ah que j'en ai de honte, et de confusion,Sans doute que je souffre à ton occasion !On m'enlève à tes yeux adorable inconnue !On veut avec ton coeur me dérober ta vue :Mais c'est en vain qu'on cherche à me solliciter, Je mourrai mille fois avant que te quitter. SCÈNE II. Deux dames masquées, Don Carlos. Deux autres dames aussi masquées entrent en faisant la révérence avec tous les préparatifs pour un superbe couvert ; un Page masqué les précède avec deux flambeaux qu'il met sur le buffet ; on apporte les salades, et Don Carlos croyant que ceci n'était que pur enchantement, il dit à ces dames. DON CARLOS. Mes dames, pour qui donc prépare-t-on la fête,Si ce n'est que pour moi que ce couvert s'apprêteVous le pouvez lever, ôtez-le s'il vous plait,Je ne mange jamais à telle heure qu'il est. UNE DAME MASQUÉE. Vous pouvez toutefois manger en assurance,Seigneur, et prendre en nous entière confiance !Nous ferons devant vous l'essai de tous les mets. DON CARLOS. Non mes dames, la nuit je ne mange jamais,J'avais soupé devant qu'aller à l'assemblée, bas. Ô dieux que cette chambre est belle, et bien meublée ! LA DAME. Si vous ne voulez rien que du fruit seulement,Seigneur, on vous en va servir abondammentCompotes, massepains, la pâte, et la conserve. DON CARLOS. Il n'en est pas besoin, s'il vous plaît qu'on déserve. Je n'ai besoin ici que d'un peu de repos, Pendant qu'on leve le couvert, on fait signe à des Musiciens de chanter, il se fait un beau concert auquel une de ces dames masquées, qui a la voix belle, répond de fort bonne grâce, et pendant qu'un Page masqué met un superbe des-habiller sur une riche toilette, on chante cet air. CHANSON. Défaites-vous d'une amitié Qui parest bizarre, et fantasque, Votre chimère est digne de pitié, Du visage voilé le coeur a pris le masque, Don Carlos. Je vois mon aventure en ces mystiques mots. Voyez au moins qui vous aimez, Pour conserver un feu durable, Et vous laissant charmer où vous charmez, Servez une beauté visible, et véritable. DON CARLOS. Le Vice Roi n'a point de semblable musique ;Que tout ce que je vois me paraît magnifique !Ou ce Palais superbe est vain et enchanté, LA DAME. Sous ce déshabiller coulez-la cassolette, Page, et sur cette table étendez la toilette, Monsieur veut reposer, nous le connaissons bien.Demeurez près de lui, qu'il ne manque de rien,Notre présence ici peut-être l'embarrasse. DON CARLOS. Ce trop grand soin me charme, et je vous en rends grâce Un moins sensible coeur s'en laisserait toucher. LA DAME. Seigneur quand vous aurez dessein de vous coucher,Faites le moindre signe, on vous quitte à même heure, DON CARLOS. S'il vous plaît de veiller, j'aime autant qu'on demeure.Le jour à mon avis est si prêt à venir, Qu'il me sera plus doux de vous entretenir. Comme je souffre en l'âme une peine assez rude,Je ne dormirais plus qu'avec inquiétude :Mais mes dames, mon mal serait bien adouci,Si je savais au moins qui me détient ici. J'ai déplaisir de voir qu'à mes yeux on se cache, On ne veut pas peut-être encor que je le sache,Je le demanderais s'il me l'était permis,Je vois bien que je suis parmi mes ennemis.On ne me répond point. Au moins si la maîtresse Voulait paraître ici, je verrais quelle hôtesse La fortune me donne, et par là j'apprendrais,S'il est bon d'éviter, ou de suivre ses lois ;Pourriez-vous l'avertir qu'elle est fort désirée ? LA PREMIÈRE DAME. Seigneur, elle sera peut-être retirée : Mais sur votre désir, il lui sera bien doux De se rendre visible, et de venir vers vous,Qui dira si Madame est encore éveillée ? LA SECONDE DAME. Je la viens de laisser demi déshabillée. LA PREMIÈRE DAME. Je m'en vais l'avertir. DON CARLOS. Je lirai cependant, LA SECONDE DAME. Quels livres voulez-vous Monsieur en l'attendant ? Vous plaît-il des romans, des vers, ou quelque histoire ? DON CARLOS. Faites moi s'il vous plaît donner une écritoire,Je porte ici sur moi de quoi m'entretenir. LA SECONDE DAME. La voilà : dedans peu Madame va venir, Sortons. DON CARLOS, seul. Il s'assied et étale sur une table les lettres qu'il a reçu de sa dame invisible.Puisque le sort me dérobe ta vue,Relisons ton billet, adorable inconnue !Au défaut de ton corps, admirons ton esprit,Dont le charme est si doux, que d'abord il me prit.En lui, d'un premier feu, je marquai l'innnocence, Qui ne reconnaîtra jamais d'autre puissance ;Méditons quelque chose, ébauchons quelques versSur le bizarre effet de mes destins divers, Il rêve.Je sens comme l'esprit la muse embarrassée :Mais je ne veux pas perdre une belle pensée. MADRIGAL. Il écrit.Quand ce Palais serait la demeure des Dieux,Si c'est pour me rendre sensible,Qu'une divinité m'attire en ces beaux lieux,Qu'elle sache que j'aime, et qu'il m'est impossible,J'adore une invisible, Et je défère plus à ma foi qu'à mes yeux.Mais insensiblement les pavots gracieuxDu sommeil qui m'abat, se glissent dans mes yeux :Son charme tout à coup me gagne et me possède,Je lui résiste en vain, il faut que je lui cède. Pendant son sommeil la Musique chante encore un couplet de la chanson. SCÈNE III. Olympe, Un Page. LE PAGE. Vous le verrez Madame, abattu de sommeil ! OLYMPE. Voyons ce qu'il faisait, prévenons son réveil,Je vois qu'il a laissé deux lettres sur sa table :Sans doute il doit m'aimer d'une amour véritable,Ce sont les deux billets qu'il a reçus de moi, Elle lit.Ces vers prouvent encor qu'il me garde sa foi,Jusqu'ici sa constance est vraiment sans pareille,Voyons la jusqu'au bout, je sens qu'il se réveille,Reprenons donc le masque, et tentons le destin,Pour voir s'il paraîtra ferme, jusqu'à la fin, Faisons de sa constance une épreuve dernière : Page, coulez-vous vite avec cette lumière ;Puisqu'il ne m'a point vue, il me faut retirer. DON CARLOS. Mon esprit en repos n'a su longtemps durer,Plein d'une inquiétude, et si juste, et si forte, Quelle grande lumière éclaire cette porte,Que vois je, quelle pompe et quelle majesté !C'est celle assurément qui me tient arrêté :Je n'en puis plus douter je sens bien que c'est elleQui des trois que je vois me paraît la plus belle. Ici un page et deux dames masquées précédent Olympe avec deux flambeaux.Et qui vers moi tout droit adresse ici ses pas,Si ce qu'on voit répond à ce qu'on ne voit pas,Je juge par son port, et par sa bonne-mine,Que son masque me cache une beauté divine :Et tout ce que je vois, marque sa qualité, Il la faut saluer avec humilité. Olympe passe gravement devancée par ces filles masquées avec leurs flambeaux, elle va dans l'estrade, où il y a deux fauteuils, et s'assied dans l'un. Don Carlos se met au dessous de l'estrade, et veut prendre un tabouret. OLYMPE. Don Carlos approchez, et prenez cette chaise. DON CARLOS. Souffrez ! OLYMPE. Non vous serez ici plus à votre aise, Avancez-vous, vous di-je DON CARLOS. Ah souffrez un respectQu'un dieu même en ce lieu prendrait à votre aspect. Don Carlos s'obstine à vouloir prendre un tabouret. OLYMPE. C'est pour moi cette chaise, et, c'est pour vous cette autreIl faut absolument que vous preniez la vôtre,Si vous étiez plus loin, vous ne m'entendriez pas,Et pour certains respects je vous dois parler bas. Ici le Page et les dames se retirent. DON CARLOS. J'obéis. OLYMPE. Don Carlos, si de pleine puissance, Je vous fais enlever ici par violence,C'est qu'on ne vous pouvait autrement arracherD'un lieu qui m'est funeste, et qui vous est trop cher,Je veux vous détromper de l'erreur où vous êtes.Quoi ? Vous vous amusez à de vaines conquêtes, Pendant qu'à vos vertus on prépare des prixQue vous ne regardez que d'un oeil de mépris ?Quel est donc votre but, que prétendez-vous faire ?Vous servez en aveugle une ombre, une chimère,Un fantôme invisible, et ne regardez pas De visibles trésors de grâces et d'appas,Qui moins pour leur plaisir, que pour vos avantages,Cherchent à vous guérir de ces vaines images.Cet aveu qui m'échappe assez ingénument, Vous doit tirer enfin de votre étonnement ; Et vous excuserez ma violence extrême,Si vous considérez Carlos ! Que je vous aime.Oui, c'est par jalousie autant que par Amour,Que je vous ai tiré d'un indigne séjour,Voyant qu'aveuglément votre erreur continue ; Je connais mieux que vous cette belle Inconnue,Et je ne cèle point qu'elle a beaucoup d'appas:Mais enfin Don Carlos je ne lui cède pas.Que si je ne suis pas à vos yeux aussi belle,J'ai du moins plus d'amour et de franchise qu'elle. Elle lève ici son masque.Par ce masque levé je le prouverai mieux ;Si je n'ai point d'attraits qui plaisent à vos yeux,Je suis sincère au moins, plus que cette rusée,Qui s'obstine à paraître à vos yeux déguisée.Carlos, cette inconnue a des défauts cachés, Puis qu'un voile la suit lors que vous l'approchez.La beauté n'aime point à paraître voilée,Croyez moi ! vous aimez une dissimulée :Et si vous la servez encore aveuglément,Je fais de votre esprit un mauvais jugement. DON CARLOS. Ah Madame, à l'aspect de tant de puissants charmes,Je perdrais la constance, et je rendrais les armes ;Si déjà succombant sous un autre vainqueur,Je ne l'avais pas vu disposer de mon coeur.Si c'est une chimère, une ombre qui m'emporte, Madame, confessez que sa puissance est forte,Puis qu'admirant en vous un chef d'oeuvre des Cieux,Je suis cette chimère, et cette ombre à vos yeux.Au travers de son voile elle a jeté sa flamme,Des qu'elle a découvert les beautés de son âme. Comme un foudre d'abord son esprit m'a frappé,Le visage y répond, ou je suis bien trompé :Mais je serais pour elle, et constant, et sensible, Quand je n'aurais connu que son charme invisible. OLYMPE. De mon trop libre aveu vous vous trouvez surpris, Une beauté qui s'offre, attire le mépris.He bien persévérez dans votre extravagance,Ainsi que sans espoir, aimez sans connaissance :Mais apprenez Carlos dans votre aveuglement,Qu'on ne me méprisa jamais impunément, Je devais par un tiers me sauver cette honte.Ayant sondé le coeur d'un ingrat qui m'affronteJe n'aurais pas lâché ces soupirs innocents,Et j'aurais mieux caché ces attraits impuissants,Vengeons-nous puis qu'enfin j'ai montré ma faiblesse Et faisons voir ici que je suis la maîtresse. Elle s'en va. DON CARLOS. Madame, au nom des Dieux ! Elle sort en courroux,Et je crains la fureur de cet esprit jaloux :Mais ô Dieux, si c'était mon aimable invisible,Qu'aurait elle à penser me voyant insensible ? Et la taille, et les yeux que j'ai vu par deux fois,Y répondent, me semble, aussi bien que la voix.Elle l'avait pourtant plus douce, et plus aisée ;Mais ne peut-elle pas me l'avoir déguisée ?Elle pourrait enfin m'avoir joué ce tour, Pour sonder ma constance et pour voir mon amour.Il faut que sur ce doute encor je la revoie,Et si je m'éclaircis, je dois mourir de joie.Justes Dieux qu'elle est belle ; échappant de ces lieuxJe crois que toutefois je m'éclaircirais mieux. Allant au rendez-vous, je connaîtrais sans peine,Si je me suis flatté d'une créance vaine,Si je ne puis sortir découvrons pour le moins,Si quelqu'un suborné suppléerait à mes soins. SCÈNE IV. Une dame, Don Carlos. DON CARLOS. Dites moi si Madame est encore en colère, LA DAME. Quel plaisir prenez-vous Seigneur à lui déplaire ? DON CARLOS. Pourrais-je la revoir ? LA DAME. Non pas de ce matin,S'il vous plaît toutefois faire un tour de Jardin,Je vais voir de ce pas si la chose est possible.Et je reviens à vous si Madame est visible. DON CARLOS. Je puis donc au Jardin aller fort librement, LA DAME. Oui Seigneur, DON CARLOS. Cet avis mérite un Diamant.Recevez celui-ci, ce n'est qu'un petit gage,Si vous me servez mieux, je ferai davantage. LA DAME. Oui je vous servirai, car vous le méritez, Et ne refuse pas vos libéralités ;Passez donc au Jardin cette porte est ouverte, DON CARLOS, seul. Prenons l'occasion puisqu'elle m'est offerte.Ce jardin répond bien au Palais enchantéOù j'ai si doucement perdu ma liberté. Le Soleil qui déjà commence sa carrière,Me fait voir mille objets dignes de sa lumière.Que leurs diversités sont douces à mes yeux,Je crois que c'est ici la demeure des Dieux !Mais je crois découvrir au bout de cette allée, Qui de toutes paraît être la plus foulée,Une porte qui s'ouvre : allons y promptement,Et tâchons par ce lieu d'échapper brusquement ;Cette grâce du Ciel ne m'est point accordée,Par quatre hommes masquez je vois qu'elle est gardée, Que me veut un d'entreux ? J'ai vu qu'il s'est baissé ? SCÈNE V. Un garde, Don Carlos. LE GARDE, haut. Ce papier est à vous et je l'ai ramassé,Quand je l'ai vu tomber. DON CARLOS. À moi ? LE GARDE, bas à l'Oreille. C'est une lettreQu'un vieillard en vos mains m'a prié de remettre, Et m'a pour ce sujet donné trente ducats. DON CARLOS. De cet office ami tu ne te plaindras pas ; LE GARDE. Enfin je suis à vous Seigneur et sans réserve,Ne lisez pas ici je vois qu'on nous observe. DON CARLOS. Va, de tous mes secrets je te veux faire part,Pour lire en liberté tirons nous à l'écart. Il ouvre le billet.C'est de mon inconnue : ô dieux se peut-il faire,Je reconnais sa main, voilà son caractère. LETTRE AU BRAVE Don CARLOS.Ignorant votre sort, et craignant tout pour vousAprès de vains regrets et d'inutiles larmes,Vous cherchant d'un esprit inquiet et jaloux, Mon Amour m'a forcée à recourir aux charmes.Venez de cet Amour savoir la vérité,Je ne me cache plus, dissipez mes alarmes ;L'art magique m'apprend qu'on vous tient arrêtéQue la superbe Olympe admirable en beauté, Vous a privé de votre liberté,Et que vous êtes prêt à lui rendre les armesDedans son Palais enchanté,Si vous ne vous sauvez promptement de ses charmes. DON CARLOS. Oui si de ma prison je puis rompre les fers, J'irai chercher ces biens puisqu'ils me sont offerts, De ces trésors cachez j'aurai la jouissance,Et mépriserai ceux qui sont en ma puissance.Ma geôlière est sans doute admirable en beauté ;Mais par sa violence elle m'a rebuté : Ce palais est charmant, mais j'y souffre la gêne,Et je veux tout tenter pour sortir de ma chaîne. SCÈNE VI. Don Carlos, un garde. DON CARLOS. Il rappelle ce garde.Camarade en ces lieux as tu quelque pouvoir ?Ma maîtresse m'appelle, il la faut aller voir,Ce lieu délicieux m'est un séjour funeste, Il lui donne de l'argent.Tiens, prends attendant mieux tout l'argent qui me resteEt tire moi d'ici, LE GARDE. Seigneur je ne le puis,Et ne sais que vous plaindre en l'état où je suis. DON CARLOS. Tu peux me dire au moins le nom de ta maîtresse, LE GARDE. Elle se nomme Olympe, et sais que sa richesse, Ainsi que sa naissance égale sa beauté, DON CARLOS, bas. L'inconnue à ce conte dit la vérité,Et je sens qu'elle accroît mes désirs, et mes flammes. LE GARDE, qui est toujours Alfonce. Je vois venir vers vous quelqu'une de ses Dames, DON CARLOS, bas. C'est celle qui tantôt m'a donné quelque espoir. SCÈNE VII. Don Carlos, La Dame, Olympe. LA DAME. Comme Madame a su que vous la voulez voir,Quoi que même pour nous elle fut retirée,À ce doux entretien elle s'est préparée,Et la voici qui vient. OLYMPE. Êtes vous converti ?À la fin Don Carlos prenez-vous mon parti ? Aurez-vous vu dans moi quelque attrait qui vous piqueEt vous fasse oublier votre amour chimérique ?Venez-vous à mes pieds repentant et confus ? DON CARLOS. Madame je le suis, si jamais je le fus ! Je vois de mon amour l'aveuglement extrême, Mon erreur m'est connue aussi bien qu'à vous-même ;Je vois quel tort je fais à vos divins appas ;Enfin j'en meurs de honte et ne m'en repens pas.Madame, au nom d'Amour, mettez-vous en ma place,Peut-on avec honneur, peut-on de bonne grâce, Au mépris de sa foi violant son serment,Après qu'on s'est donné, courir au changement ?Mes yeux de vos beautés reconnaissent l'empire,Je ne vois pas en vous un trait que je n'admire,Le respect m'a porté jusqu'à vous adorer : Mais puis-je vous aimer, sans me déshonorer ? OLYMPE. Puisqu'en vain j'ai tenté la force et l'artifice,Pour corrompre ce coeur, je lui rendrai justice.Ce roc inébranlable a certes mérité,Les Couronnes qu'on offre à sa fidélité. J'en préparais pour lui d'une main amoureuse :Mais il les recevra d'une autre plus heureuse.Je perds un grand trésor que je n'ai pu gagner.Carlos va pour jamais de mes yeux s'éloigner,Et ces pleurs malgré moi lui montrent ma faiblesse ; Qu'il s'en aille, il est libre, ah je meurs de tristesse !Sa bouche de ma mort a prononcé l'arrêt. UNE DAME. Quand vous voudrez partir, le carrosse est tout prêt :Mais souffrez que sur vous tous les rideaux on tire.De ce qui s'est passé jurez de ne rien dire, Le cocher vous va mettre à vingt pas de chez vous,Ne lui demandez rien, il ne sait rien de nous,Ne servant que d'hier, il ne sait pas encoreLe nom de sa maîtresse, et le reste il l'ignore . DON CARLOS, bas. S'il l'ignore, pour moi je ne l'ignore point, Oui Madame, on suivra vos ordres de tout point, Il lui fait la révérence.Tantôt dans le Palais on saura qui peut-être,Cette superbe Olympe, on doit bien la connaître. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Don Carlos, Don Pedre. DON PEDRE. On vous a Don Carlos par ce nom abusé,Oui, oui, le nom d'Olympe est un nom supposé. Dans Naples, sous ce nom on ne connaît personneQu'une de peu d'éclat que pas un ne soupçonne. DON CARLOS. Ce trait est bien gaillard : mais je ne puis penserQue celle qui l'a fait songeât à m'offenser.Il est peu de beautés que la sienne n'efface. DON PEDRE. Ce nom si peu connu plus que vous m'embarrasse,L'aventure est bizarre, et ne sais qu'en juger :Mais quelque courtisane en vous voyant léger,Vous a-t-elle point fait cette plaisanterie ?J'en sais, de qui l'esprit plein de galanterie, Se porteraient assez à de semblables tours, DON CARLOS. L'inconnue a fondé mes premières amours, Et doit être l'objet de ma dernière flamme,Ce trait ne peut venir que d'une Illustre Dame,Qui m'a caché son nom avec sa qualité, Et qui n'a pas voulu me cacher sa beauté. DON PEDRE. Ce trait est su partout, et je vois que LucilleEn sème avec plaisir le bruit parmi la ville,Votre mépris tout seul qui l'y peut obliger,Non sans quelque raison la porte à se venger. DON CARLOS. Vous lui deviez sur tout cacher cette aventure. DON PEDRE. La peut-elle ignorer ? tout le monde en murmure,Ce bruit des le matin remplit tout le Palais,Jusques à devenir l'entretien des valets. DON CARLOS. Je n'ai prié que vous de faire cette enquête, DON PEDRE. Dès le matin Lucille avoir martel en tête,Et son esprit jaloux paraissait alarmé,De ce bruit qui sans moi s'était déjà semé :M'oyant assez près d'elle enquerir qui peut êtreCette superbe Olympe, elle m'a fait connaître En se tournant vers moi que votre enlèvementÉtait de votre orgueil le juste châtiment. DON CARLOS. Ah si Lucille a su l'effet d'un tel caprice,Il faut que du dessein elle ait été complice :Ce n'est pas elle enfin puisque je la connais, Et qu'Olympe sans masque, a paru devant moi : Mais elle est son amie et vous verrez qu'ensembleElles m'ont fait la pièce, ami que vous en semble ? DON PEDRE. Je ne sais qu'en juger, mais du moins je sais bienQue de votre aventure on n'ignore plus rien. Olympe s'est peut-être elle-même oubliée,Et l'a par ses amis au Palais publiée. DON CARLOS. Sous ce nom qu'on suppose une autre pense à nous,J'espère m'éclaircir tantôt au rendez-vous.Je soupçonne qu'Olympe est la même inconnue, Qui jusqu'à cette nuit m'a dérobé sa vue,J'ai l'esprit seulement embarrassé d'un point,C'est qu'un si beau visage au Bal ne brillait point.Si cette Dame était une Dame de marque,Comme elle est digne en tout de l'amour d'un monarque, L'aurait-on oubliée et moi qui perds mes pas,En la cherchant par tout, la connaîtrais-je pas ? DON PEDRE. Mais si la fausse Olympe, et celle qui disposeDéjà de votre coeur sont une même chose,Quelle bizarrerie, et quelle nouveauté De vous voir mépriser la visible beauté,Pour ne vous attacher qu'à l'objet invisible ?Il faut donc se cacher pour vous rendre sensible !Bon, voici votre fait, vous vous en étonnez.Celle qui vient à nous le masque sur le nez, Vous en veut à vous seul, DON CARLOS. Je crois la reconnaître. SCÈNE II. Don Carlos, Don Pedre, Une dame masquée. LA DAME MASQUÉE. Si j'ose Don Carlos encore ici paraître, C'est pour vous accuser de votre vanité,He quoi, de notre Amour vous vous êtes vanté ?Après tous vos serments, après la foi donnée ? Olympe ma maîtresse en est fort étonnée,On la connaît ici mieux que vous ne pensez.Apprenez qu'elle a su jusqu'où vous l'offensez,D'une langue indiscrète elle est fort outragée :Mais elle m'a juré qu'elle en serait vengée. Quoi donc m'a-t-elle dit, le plus vain des espritsOse encore ajouter l'insolence au mépris ?Il se vante au Palais, qu'il dédaigne nos charmes,Qu'il a vu d'un oeil sec nos soupirs et nos larmes ?Un objet inconnu qu'il m'ose préférer, Le porte insolemment à nous déshonorer ?Qu'il sache cet ingrat, cette âme faible et vaine,Que mon amour enfin se convertit en haine,Et que je puis venger sur celle qui l'a pris,Ces injustes dédains, ces insolents mépris. Il doit peu s'émouvoir si je lui fais outrage,Car en défigurant les trais de son visage,Son esprit dont le charme a seul gagné son coeur,Conservera toujours sa force et sa vigueur ; Allez, annoncez-lui cette bonne nouvelle. Après ce coup au moins je serai la plus belle. DON CARLOS. Pourquoi fait-on de moi ce mauvais jugement ? LA DAME. Après avoir reçu ce divin traitement,D'une Dame en mérite, en beauté sans seconde,Qui pour vous aimer seul méprisait tout le monde ; Avoir si peu d'honneur et de discrétion,Que publier par tout sa folle passion ?D'elle, et de votre foi faire si peu de conte ?Esprit vain, coeur ingrat n'avez-vous point de honte ?Attendez la vengeance, on vous fera sentir, Qu'on ne s'apaise point par un vain repentir. Elle s'en va. SCÈNE III. Don Carlos, Don Pedre. DON CARLOS. Don Pedre qu'est-ceci, quelle étrange injustice !Qui m'a rendu près d'elle un si mauvais office ?Je vous ai seul enquis, je n'ai parlé qu'à vous,Et je vois ce secret en la bouche de tous. DON PEDRE. J'y sens quelque mystère, et l'on verra peut-être,Lucille vient vers nous, vous allez bien connaîtreQu'elle sait le secret d'un autre que de moi, SCÈNE IV. Don Carlos, Don Pedre, Lucille. LUCILLE. C'est pour me conserver, et le coeur et la foi,Que vous avez Carlos méprisé cette belle, Qui cherche à vous gagner d'une façon nouvelle ?Me l'oserez-vous dire, et me soutiendrez-vousQue vous dédaignez tout pour être mon époux ?Quoi n'avoir en amour jamais ni paix ni trêve ?Des que l'une vous quitte, une autre vous enlève ? Vous êtes bienheureux d'être de tous côtés,L'amour et le désir des plus rares beautés.Pour moi qui n'ai pour vous qu'une beauté commune,Enfin je ne veux plus troubler votre fortune,Ni faire obstacle aux biens qui vous sont préparés. Vous faites le cruel dans les Palais dorez,Si l'une vous caresse, une autre vous adore,Et j'oserais penser à vous prétendre encore ?Je ne suis pas si vaine, il vaut bien mieux songerComment avec honneur je puis me dégager. Possédez la chimère où votre feu s'adresse,Adorez et servez cette obscure maîtresse,Et laissez désormais mon esprit en repos,Que vos légèretés troublent à tous propos,Adieu. DON CARLOS. Considérez adorable Lucille ! LUCILLE. Adieu je sais les bruits qui courent par la ville, Et ne puis plus souffrir qu'on vienne incessammentM'accabler des défauts d'un si léger amant.Remenez moi Don Pedre et rendez témoignageQue selon son mérite on traite ce volage, Je sais votre constance allons, je suis à vous,Croyez que dans ce jour vous serez mon époux. DON PEDRE. Je me jette à vos pieds. LUCILLE. Je vous mets en sa place,Vous la méritez mieux. DON PEDRE. Puis-je après cette grâce,En demander une autre ? LUCILLE. Hé que prétendez-vous ? DON PEDRE. Seul, j'ai su son secret touchant ce rendez-vous. De qui l'avez-vous su, faites le nous connaître,Vous me rejetteriez si je passais pour traître. LUCILLE. Une fille qu'Olympe aime parfaitement,M'a conté son histoire et son enlèvement. Je sais tout, il suffit, croyez mon témoignage, Je ne puis pour ce coup en dire davantage. SCÈNE V. Don Carlos, Alfonce. DON CARLOS. Me voilà balotté d'une étrange façon,Je ne m'arrête plus à mon premier soupçon ;Cette Olympe qui croît qu'on l'a déshonorée, De l'autre objet caché doit être séparée ; Mais que me veut cet homme ? ALFONCE. Agréez Don Carlos,Qu'on puisse en liberté vous dire ici deux mots. DON CARLOS. De quelle part ami ? ALFONCE. De la Dame cachée,Dont jusqu'ici votre âme a paru si touchée. DON CARLOS. De la Dame cachée ? ALFONCE. Oui, je suis ce vieillard,Qui suis venu la nuit corrompre de sa part,Un des Gardes d'Olympe avec quelques pistoles,Pour vous rendre un billet qui contient ces paroles. Il commence à lire le billet.Ignorant votre sort et craignant tout pour vous, Après de vains regrets et d'inutiles larmes, Vous cherchant d'un esprit inquiet et jaloux,Mon Amour m'a forcée à recourir aux charmes. DON CARLOS, l'arrête et dit. Oui certes, j'ai reçu ce billet obligeant. ALFONCE. J'ai donc bien employé ma peine et mon argent. Cet autre de sa part je viens encor vous rendre, Par lequel vous pourrez ses volontés apprendre. Billet.Carlos on nous épie, et je vous donne avis,Qu'outre, que nous sommes suivis,L'amour d'Olympe en rage s'est changée, Gardez-vous de venir ce soir au rendez-vous ; Car comme elle a juré d'être aujourd'hui vengée,Il faut éviter son courroux,Vous me verrez ce soir près de la Vice-Reine,Là vous serez tiré de peine, Et verrez en son jour l'amour qu'on a pour vous. DON CARLOS. Près de la Vice-Reine ? Oui je m'y trouverai,Et là de votre avis je vous remercierai.Cependant assurez votre belle maîtresse,Que jusques à la mort je tiendrai ma promesse, Qu'on m'a jusqu'à cette heure en vain sollicité, Et que j'aurai toujours la même fermeté. Il s'en va.Ce rendez-vous me plaît, que j'ai d'impatience, Par là je juge mieux d'elle, et de sa naissance. SCÈNE VI. Don Carlos, Don Léonard, Don Alvare. DON LÉONARD. S'il est vrai qu'Alexis en ait si mal usé, S'il a mon alliance, et mon bien méprisé, Il est je le confesse indigne de Marcelle,En ce cas vous l'aurez, et je vous réponds d'elle. DON ALVARE. Ce billet qu'en partant Alexis a laissé,Monstre assez à quel point vous êtes offensé : Je ne lui rendrais pas un si méchant office, Si je n'avais connu qu'il vous rend injustice :Mais voici Don Carlos qui nous éclaircira. DON LÉONARD. Voyons ce qu'il en pense, et ce qu'il en dira,Pouvons nous le tirer de cette rêverie ? DON CARLOS. Que me veulent ces gens ? DON ALVARE. Don Carlos je vous prie,Puisqu'on vous nomme ici, de grâce, expliquez nous Ce billet fort obscur qui nous a troublez tous. DON LÉONARD. Alexis disparu l'a laissé sur sa table,D'où lui vient ce mépris qui m'est insupportable ? DON ALVARE. De nous, et de vous-même il s'est voulu moquer. DON CARLOS. Lisez, et je verrai s'il se peut expliquer. DON ALVARE, lit le billet d'Alexis. Si je ne parais plus, si je quitte Marcelle,Pour suivre Don Carlos. Je fuis de vous, et d'elle,Il fait mon changement comme il fait vos soucis, Par son Olympe découverte, Vous allez découvrir la perte,Et la ruine d'Alexis. DON CARLOS, après avoir relu ce billet dit. Quel embarras nouveau, quelle étrange aventure,Je vois bien qu'on me nomme en cette énigme obscure : Mais à vous l'expliquer je suis fort empêché. Il le relit encor.Ce sens mystérieux plus qu'à vous m'est caché,Allons nous éclaircir, c'est chez la Vice-ReineQue l'on me doit tirer d'embarras et de peine.Sachez, si cette Olympe aime cet Alexis, Que ce n'est pas de là que naissent mes soucis. SCÈNE VII. Don Léonard, Don Alvare. DON ALVARE. Il conçoit moins que nous ce sens qui nous étonne. DON LÉONARD. Je ne conçois que trop qu'Alexis m'abandonne.Ce billet, quoi qu'obscur marque son changement,Que tout seul je regarde avec étonnement. DON ALVARE. Moi j'en suis peu surpris, déjà cet infidèle, Sans peine et sans regret m'avait cède Marcelle :Mais comme je vous crois bon, juste, et généreux,C'est par vous seulement que je veux être heureux. DON LÉONARD. Oui, vous serez mon gendre, et par ce mariage, Nous châtierons l'orgueil de ce jeune volage. J'avais peine à souffrir déjà ses vanités,Il trouve des défauts en toutes les beautés.Ne vante que la sienne, en conte des miracles :Il tranche ici du Dieu, s'expliquant par oracles, Il veut dans son billet qu'on devine pourquoi Sans raison ni justice, il nous manque de foi.Enfin je ne veux plus que jamais il me voie,S'il me perd sans regret, je le quitte avec joie. DON ALVARE. Marcelle vient ici, Monsieur souffrirez-vous Que je lui rende hommage en qualité d'époux ? SCÈNE VIII. Don Léonard, Marcelle, Don Alvare. DON LÉONARD. He bien, votre Alexis enfin vous a laissée ?De ce mépris injuste êtes vous point blesséeMa fille ? MARCELLE. Non mon père, et je n'ai rien perdu,Ce coeur noble et fidèle a fait ce qu'il a dû. DON ALVARE. Ce qu'il a du, Madame ? Ah vous êtes trop bonne, Étant si peu sévère à qui vous abandonneUn coeur qui vous adore, a droit de présumer,Que vous serez fort juste à qui sait mieux aimer. MARCELLE. Alvare, plût au Ciel que ce feu si durable À celui d'Alexis pût être comparable ! Je connais mieux que vous ce coeur franc, généreuxEt qui de la constance est sur tout amoureux.Montrez moi ce billet qu'on a pris sur sa table,Et je vous ferai voir que je suis véritable. DON LÉONARD. Pourriez-vous expliquer son sens mystérieux ? MARCELLE. Oui sa pure clarté va paraître à vos yeux :Mais jurez Don Alvare avant que je l'explique,S'il est vrai que mes yeux ont un feu qui vous pique,Et que mon père approuve, et vos soins, et vos voeux, Que vous m'accorderez une grâce tous deux. DON LÉONARD. Oui, nous vous l'accordons j'en donne ma parole. DON ALVARE. Et j'en donne la mienne, MARCELLE. Alexis ne me voleNi le coeur qu'il m'offrit, ni l'honneur, ni la foi:Mais il m'enlève un bien qui devait être à moi. Sans plus rien déguiser, apprenez qu'il est fille ;Ainsi le bien d'Albert rentre en notre famille,Je ne puis être à vous, si vous ne m'accordezQue comme je le cède, aussi vous le cédez. DON LÉONARD. Qu'apprends-je ici ma fille, ô Dieux est-il possible ? MARCELLE, prend le billet. Ici la vérité vous paraîtra visible. Elle relit.Si je ne parais plus, si je quitte Marcelle,Pour suivre Don Carlos je suis de vous et d'elle,Il fait mon changement comme il fait vos soucis,Par son Olympe découverte, Vous allez découvrir la perte,Et la ruine d'Alexis.Alexis est Olympe, elle aime Don Carlos,Et de nous trois dépend leur bien et leur repos.Vous verrez au Palais la fin de l'aventure, Qui doit passer pour fable à la race future.Cédant le bien d'Albert, vous êtes mon époux,Si vous ne le cédez, je ne puis être à vous,Je l'ai promis Alvare, il faut que je le tienne ! DON LÉONARD. J'ai donné ma parole, DON ALVARE. Et j'ai donné la mienne, Nous avons sans ce bien de quoi vivre contents,Ces visibles trésors sont ceux que je prétends. DON LÉONARD. Alexis est Olympe ? MARCELLE. Oui, la chose est certaine. DON LÉONARD. Mais dites nous comment ? MARCELLE. C'est chez la Vice-ReineQu'elle brille à présent avec tous ses appas, Je vous conterai tout, allons-y de ce pas. SCÈNE IX. La Vice-Reine, Olympe, Lucille, etc. LA VICE-REINE. J'admire en vérité cette bizarre histoire,Les siècles à venir auront peine à la croire.Carlos en fermeté passe tous les amants,Et des siècles passez, et des nouveaux romans, Et certes il mérite après tant de constance,De recevoir le prix de sa persévérance.Pour vous qui n'aspirez qu'à ma protection,Et qui la recherchez avecques passion,Faites état d'avoir belle Olympe avec elle Encor mon amitié qui doit être éternelle !Et croyez que chez moi vous avez rencontré,Contre qui que ce soit un refuge assuré,Oui, croyez qu'il n'est rien que pour vous je ne fasse. OLYMPE. J'avais de vos bontés, espéré cette grâce, Madame, et désormais je ne craindrai plus rien,Puisque vous me sauvez, et l'honneur, et le bien. LA VICE-REINE. Voici votre cousine et son père avec elle. SCÈNE X. La Vice-Reine, Olympe, Lucille, Marcelle, Don Léonard, Don Alvare. LA VICE-REINE. Cédez vous pas le bien que nous cède Marcelle ? DON LÉONARD. C'est l'unique sujet qui nous amène ici. Je le cède Madame, DON ALVARE. Et je le cède aussi. LA VICE-REINE. En ce cas je consens à ce juste hyménée,Et nous l'achèverons dedans cette journée. LE PAGE. Don Carlos vient ici. LA VICE-REINE. Je vous laisse à penser,Si j'ai plus que jamais lieu de l'embarrasser, Toutes remasquez-vous, hâtez-vous je vous prie,Je veux avoir ma part de cette Comédie. SCÈNE DERNIÈRE. Don Carlos, La Vice-Reine, Lucille, Marcelle, Don Léonard. Don Alvare, etc. LA VICE-REINE. Je sais bien mon cousin que vous venez chercherUn objet qui vous aime et qui se veut cacher.Je sais toute l'histoire, et la sais de sa bouche, Et prends beaucoup de part à tout ce qui vous touche,Olympe, et l'inconnue où s'adressent vos voeux,Pour vous embarrasser sont ici toutes deux,Vous êtes bienheureux que deux si belles DamesViennent jusques chez moi vous témoigner leurs flammes. Si parmi ces beautés vous pouvez discernerCelle qui vous a pris, je vous la veux donner.Ici Don Carlos les regarde toutes. DON CARLOS. C'est me combler Madame, et de grâce, et de gloire,Voici qui sur mon coeur emporte la Victoire, Voici mon inconnue, et suis trop glorieux, De voir encor son coeur au travers de ses yeux. LA VICE-REINE. Démasquez-vous Madame, et vous rendez visible,Vous choisissez Olympe, DON CARLOS. Ô Dieux est-il possible ? LA VICE-REINE. Mais vous choisissez bien, ne vous repentez pas, Les voici toutes deux sous les mêmes appas. DON CARLOS. Dieux que jugerez-vous de mon extravagance ? OLYMPE. Je ne voulais juger que de votre constance,Enfin j'en suis charmée, et je me donne à vous, LA VICE-REINE. Oui Carlos, dans ce jour vous serez son époux, Sa naissance est illustre, et vous comble de gloire Venez d'elle, et des siens savoir toute l'histoire. ==================================================