******************************************************** DC.Title = L'AUTEUR SUPERSTITIEUX, COMÉDIE. DC.Author = BOISSY, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:44. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOISSY_AUTEURSUPERSTICIEUX.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55455863 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AUTEUR SUPERSTITIEUX A-PROPOS EN UN ACTE 1732 de Louis de BOISSY Représenté pour la première fois le 2 septembre 1732 au Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. PERSONNAGES CLITANDRE, amant d'Hortense. DAMON, ami de Clitandre. ARLEQUIN, valet de Clitandre. UN LAQUAIS d'Hortense. La scène est à Paris, chez Clitandre. SCÈNE I. Clitandre, Damon. DAMON. Qui vous fait brusquement quitter ainsi la table Au milieu d'un repas et d'une troupe aimable ? Pouviez-vous être mieux que parmi vos amis, Et près du tendre objet dont vous êtes épris ? Toute la compagnie en a paru choquée ; Mais Hortense, surtout, doit en être piquée, Elle que vous aimez, et qui donne à dîner : Un procédé semblable a lieu de m'étonner. CLITANDRE. Cher ami, c'est l'effet d'une faiblesse extrême, Que je ne puis dompter, dont j'ai honte moi-même^ Dont à d'autres que vous mon coeur n'ose parler, Qu'aux yeux même d'Hortense il a soin de voiler. DAMON. Mais, quoi que vous disiez, une telle faiblesse N'a pas dû vous porter à cette impolitesse Que la raison, monsieur, ne saurait excuser. CLITANDRE. C'est elle cependant qu'on doit en accuser ; Et, puisqu'il faut vous faire un aveu véritable, Nous étions... j'en rougis... nous étions treize à table, Et l'on nous a servi treize plats à la fois. DAMON, d'un air railleur. Ajoutez qu'aujourd'hui c'est le treize du mois. CLITANDRE. Moquez-vous de ma peur, Damon, je le mérite, Mais elle n'est pas moins la cause de ma fuite. DAMON. Se peut-il qu'un auteur, qui veut railler autrui, Par un faible si grand donne à rire de lui ? CLITANDRE. Je me suis déjà fait les mêmes remontrances ; Mais je suis dans un cas et dans des circonstances Où malgré ma raison tout alarme mon coeur. Elles doivent servir d'excuse à ma terreur. DAMON. Qui vous inspire donc les frayeurs d'une femme ? Parlez. CLITANDRE. Tout ce qui peut tyranniser une âme. DAMON. Mais encor ? CLITANDRE. L'intérêt, la gloire, avec l'amour, Ils m'occupent tous trois ; et dans ce même jour On juge mon affaire, on doit jouer ma pièce, Et je suis sur le point d'épouser ma maîtresse. Jugez s il est quelqu'un en proie à plus de soins ! DAMON. Je n'ai plus rien à dire. On tremblerait à moins. CLITANDRE. Tous mes sens sont émus d'une façon terrible. Pour l'intérêt, ami, je suis très peu sensible. Si je perds mon procès, comme je le crois fort, Je m'en consolerai, sans faire un grand effort. Pour l'amour et la gloire il n'en est pas de même ; Tous deux me font sentir leur ascendant suprême, Tous deux d'un feu pareil enflamment mon désir, Et font en même temps ma peine et mon plaisir. Dans mes sens agités leur cruelle puissance Fait succéder la peur sans cesse à l'espérance. Plaire à l'objet que j'aime, et me voir son époux, Offre à mon coeur sensible un triomphe bien doux : Mais la crainte de perdre un bien si plein de charmes, Y porte au même instant les plus vives alarmes. Par un brillant ouvrage assembler tout Paris, Réunir tous les goûts, charmer tous les esprits, Malgré tous les efforts que tente la critique, Captiver par son art l'attention publique, Forcer deux mille mains d'applaudir, à la fois, Et s'entendre louer d'une commune voix, Présente à mon esprit la plus haute victoire ; D'un guerrier qui triomphe on égale la gloire. Mais si l'honneur est grand, le revers est affreux : Du parterre indigné les cris tumultueux, Sa fureur qui maudit et l'auteur et l'ouvrage, La tristesse et l'ennui peints sur chaque visage, Tous les brocards malins qu'on vous donne en sortant, Et votre nom en butte au mépris éclatant, Le désert qui succède à la foule écartée, Accablent à leur tour mon âme épouvantée ; Je crains des deux côtés d'avoir un sort fâcheux ; D'être amant traversé, comme auteur malheureux. Le public qu'on ennuie est un juge sévère. Hortense, quoique veuve, attend l'aveu d'un père. Si mes voeux sont trompés, un autre l'obtiendra Pour surcroît de malheur ma pièce tombera. J'en frémis. DAMON. Ah ! chassez une frayeur si noire : Je réponds de l'amour, espérez pour la gloire. CLITANDRE. Non ; j'ai, mon cher ami, des malheurs que je crains Trop de pressentiments et de signes certains ; C'est peu d'avoir les soirs mille terreurs secrètes, D'ouïr hurler des chiens et crier des chouettes, De rencontrer le jour des créanciers fâcheux ; Sachez que cette nuit j'ai fait un rêve affreux : J'ai songe que j'allais m'unir avec Hortense, Dans le temps que vers elle un inconnu s'avance, L'arrache de mes bras, et l'enlève à mes yeux Sur un char que traînaient deux taureaux furieux : Je veux les arrêter dans leur course fougueuse, Quand je tombe au milieu d'une eau sale et bourbeuse. Mille confus objets troublent alors mes sens ; Je prends du poisson mort, je sens tomber mes dents ; J'ai vu mon procureur boire avec ma partie, Puis j'ai vu tout à coup jouer ma comédie. Le parterre à mes yeux, les loges, n'ont offert Qu'un grand vide effroyable et qu'un vaste désert ; Des lustres presque éteints la lueur sombre et pâle Éclairait tristement la moitié de la salle ; Tout le fond du théâtre était tendu de noir, Et formait un spectacle épouvantable à voir. Je tremble, et je veux fuir à cet objet terrible ; Mais je suis arrêté par un bras invisible : Pour comble de terreur cent voix en même temps Poussent autour de moi d'horribles hurlements ; Sur ma tête j'entends le tonnerre qui roule ; Sous les pieds des acteurs le théâtre s'écroule : Les lustres à l'instant s'éteignent tout à fait, [Note : Le vers 104 est une parodie d'un vers du songe de Thieste dans la Tragédie d'Atrée et Thieste de Crébillon : « Et le songe a fini par un coup de tonnerre » (Acte II, scène I.).]Et mon songe finit par trois coups de sifflet. DAMON. C'est un vilain réveil, ami, je le confesse, Pour un auteur surtout dont on donne la pièce. CLITANDRE. Mon esprit, dans l'horreur dont il est travaillé, Est digne d'être plaint, et non d'être raillé. DAMON. Vous méritez, monsieur, les ris de tout le monde, Et, loin que je vous plaigne, il faut que je vous gronde ; Dans votre âme aujourd'hui la superstition Étouffe du bon sens jusqu'au moindre rayon. Des plus fausses terreurs vous recevez l'empreinte, Et croyez un vain songe enfanté par la crainte. CLITANDRE. Tout ce que vous direz ne servira de rien ; Et, pour finir le cours d'un pareil entretien, Né superstitieux, je ne suis pas mon maître ; Je pense, comme vous, qu'il est honteux de l'être ; Ma raison me le dit, mais elle perd ses soins : J'en sens le ridicule, et ne le suis pas moins. Contre les préjugés en vain on se rebelle, La superstition à l'homme est naturelle ; Et le hasard malin, pour la fortifier, Se plaît incessamment à la justifier. Je l'ai trop éprouvé dans plus d'une occurrence, La raison ne tient pas contre l'expérience, Et votre coeur peut-être aurait le même effroi Si vous étiez, monsieur, sur le point comme moi D'attirer du public la louange ou le blâme, De perdre ou d'obtenir l'objet de votre flamme. DAMON. Mais vous êtes aimé ; dites-moi, pouvez-vous Avoir pour votre hymen un présage plus doux ? CLITANDRE. En vain par sa tendresse Hortense me rassure, Je crains de le former sous un fâcheux augure. DAMON. L'inconnu, cher Clitandre, alarme votre coeur, Et je crois qu'entre nous les taureaux vous font peur. CLITANDRE. Damon, encore un coup, trêve de raillerie. DAMON. Mais vous ouvrez le champ à la plaisanterie. CLITANDRE. Sur ce point, j'en conviens, mon esprit va trop loin, Et suit trop la frayeur où jette un tendre soin ; Mais, si dans mes amours je parais moins à plaindre, Pour ma pièce avouez que j'ai tout lieu de craindre : Tant d'exemples fameux que je vois devant moi Ne me doivent-ils pas glacer d'un juste effroi ? DAMON. Oui, mais vous m'avez dit que la chose est secrète. CLITANDRE. Je vous l'ai dit, sans doute, et je vous le répète. Je l'ai lue aux acteurs sous le sceau du secret ; Et nul n'en est instruit, hors vous et mon valet, Et trois ou quatre auteurs, amis sûrs, que j'estime. DAMON. Vous voilà bien caché ! D'un brevet d'anonyme La calotte, monsieur, doit vous faire présent. CLITANDRE. Avoir un prête-nom eût été plus prudent. DAMON. À dire vrai, j'y trouve et du pour et du contre ; Un prête-nom bien sûr rarement se rencontre. Ces messieurs, quand l'ouvrage attire et réussit, Souvent avec la gloire emportent le profit. Selon moi, le plus court et le plus raisonnable, Est d'oser se montrer sous son nom véritable. Un auteur mal caché se fait moquer de lui ; Et peu, par ce moyen, font fortune aujourd'hui. SCÈNE II. Clitandre, Damon, Arlequin. CLITANDRE, donnant un soufflet à Arlequin qui entre en sifflant. Tiens, voilà pour t'apprendre à siffler de la sorte. ARLEQUIN. Peste ! Quand vous frappez, ce n'est pas de main morte. CLITANDRE. Je te l'ai défendu cent fois. ARLEQUIN. J'ai tort, monsieur, Et j'avais oublié que je sers un auteur, Et que l'on représente aujourd'hui votre pièce : Je ne tomberai plus dans cotte impolitesse ; L'augure vous alarme, et j'ai... CLITANDRE. Tais-toi, faquin. Quel est donc ce papier que tu tiens dans ta main ? Lis. ARLEQUIN. De votre avocat, monsieur, c'est une lettre, Qu'un homme de sa part m'a dit de vous remettre. CLITANDRE, prenant la lettre. J'ai perdu mon procès, je gage. Il lit.« Vous venez, monsieur, de perdre votre procès. » Qu'ai-je dit ? Vous le voyez, déjà mon songe s'accomplit. ARLEQUIN. J'ai rêvé comme vous de poisson mort, d'eau sale : Si la journée aussi m'allait être fatale ! Mais elle l'est déjà, je viens d'être battu. DAMON. Voyez donc jusqu'au bout. CLITANDRE. Je sais que j'ai perdu, Du reste de la lettre à quoi sert de m'instruire ? Pour moi, si vous voulez, vous n'avez qu'à la lire. DAMON. Très volontiers, Haut.« Vous venez, monsieur, de perdre votre procès, malgré votre bon droit : tout ce que je puis vous dire, c'est que j'ai plaidé comme un ange. » CLITANDRE. Le trait est des plus consolants, Pour un homme qui perd plus de vingt mille francs. DAMON, poursuit. « Tout le monde a trouvé le jugement ridicule, et a dit hautement que, pour n'avoir pas gagné une cause que j'avais si bien plaidée, il fallait que ma partie fût née sous une planète bien malheureuse. » CLITANDRE. Ah ! Qu'on a bien raison ! Grâces à ma planète, Je suis de l'infortune une image parfaite ! DAMON, poursuit. « Ce vendredi à deux heures après midi. » CLITANDRE. Du malheur qui m'arrive, ah ! je suis peu surpris, Rien ne me réussit jamais les vendredis ! DAMON, reprend. « J'avais oublié de vous marquer que je soupçonne votre procureur d'avoir été d'intelligence avec votre partie adverse. » CLITANDRE. Oh ! mon rêve à ce coup en plein se vérifie ! J'ai vu mon procureur boire avec ma partie : Qu'on dise après cela que tout songe est menteur ; Et vous présentement, riez de ma terreur ; Dites du moindre effroi que je reçois l'empreinte, Et crois un songe vain enfanté par la crainte. Démentez ce billet. DAMON. Je veux qu'à cet égard Votre rêve, monsieur, ait dit vrai par hasard ; Vous le trouverez faux bientôt dans tout le reste. CLITANDRE. Non, dans ce triste jour tout va m'être funeste ! Vous me verriez tranquille, et non pas éperdu, Si mes maux se bornaient à mon procès perdu : Mais je regarde en lui les suites qu'il présage ; Il est comme l'éclair qui devance l'orage ; Il est le noir signal que le ciel en courroux Vient, tout prêt à frapper, de déployer sur nous. Hortense recevra de fâcheuses nouvelles ; Mon ouvrage essuiera des disgrâces cruelles. Justifiant l'effroi dont mon coeur est rempli, Mon rêve en tous ses points va se voir accompli ! Courez dire aux acteurs, cher ami, je vous prie, De ne pas aujourd'hui donner ma comédie ; Que pour la retarder j'ai des motifs puissants, Rendez-moi ce service, et sans perdre de temps. DAMON. N'en déplaise aux frayeurs de votre esprit crédule, Cette commission est par trop ridicule, Je ne m'en charge point. CLITANDRE. Seulement dites-leur De remettre à lundi, c'est mon jour de bonheur. DAMON. Vous vous moquez, la pièce est pour ce soir promise ; Au lieu de vous servir, c'est vouloir qu'on vous nuise : Vous indisposeriez le public contre vous. Les acteurs à cela doivent s'opposer tous. CLITANDRE. Après votre repas dans ce péril extrême, Je saurai les trouver et leur parler moi-même. DAMON. Ah ! Vous n'en ferez rien, et vous n'y songez pas ; Pour vous en empêcher, je marche sur vos pas. Il suit Clitandre. SCÈNE III. ARLEQUIN. Avec tout son savoir, ah ! Que mon maître est bête ! La frayeur à la fin lui tournera la tête ; [Note : v. 223, rien de rime avec "coeur".]Qu'il m'a frappé d'un coup que j'ai fort sur le coeur ! .......................................Me battre pour siffler par pure inadvertance ! Que n'en puis-je au parterre aller prendre vengeance ? À messieurs mes pareils pourquoi l'interdit-on ? Je sifflerais alors, mais sur un joli ton : Quel plaisir pour vingt sous de huer comme un diable ! Je rendrais pour le coup son rêve véritable. Il veut être caché dans cette occasion, Mais pour mieux me venger je nommerais son nom, Et je dirais tout haut : La pièce est de Clitandre, Épargnez-vous, messieurs, la peine de l'entendre, Il croit avoir produit quelque chose de beau ; Mais l'ouvrage est un monstre, et l'auteur un bourreau. SCÈNE IV. Clitandre, Arlequin. CLITANDRE. Damon m'a su convaincre, et sa raison m'éclaire ; Mon effroi se dissipe aux traits de sa lumière : Sans lui, sans ses conseils, dans mes fausses terreurs, J'allais, à mes dépens, divertir les acteurs : J'aurais, à leurs regards dévoilant ma faiblesse, Ajouté follement une scène à ma pièce, Dont j'allais devenir moi-même le héros. Je lui dois ma raison, je lui dois mon repos. C'en est fait, mon esprit ne croit plus au présage. J'attends présentement le sort de mon ouvrage Avec la fermeté qu'un sage doit avoir ; Et, sans trop présumer, je sens un noble espoir : Je prétends me montrer, quoi que le destin fasse, Modeste dans ma gloire, ou fort dans ma disgrâce. ARLEQUIN. Ah ! qu'entends-je, monsieur ? Quel heureux changement ! Puissiez-vous persister dans un tel sentiment ! CLITANDRE. Oui, j'y persisterai ; je suis aimé d'Hortense ; Mes feux vont être heureux, selon toute apparence ; Que me faut-il de plus ? armé d'un tel bonheur, Je puis du sort jaloux défier la fureur. ARLEQUIN. Tremblez, monsieur, j'entends la pendule qui sonne. CLITANDRE. Voilà l'heure fatale, et tout mon corps frissonne. SCÈNE V. Clitandre, Damon, Arlequin. DAMON. Allons, courage, ami, le présage est flatteur ; Votre songe commence à se trouver menteur, Car vous aurez grand monde à votre comédie ; De carrosses déjà cette rue est remplie. CLITANDRE. Tant pis, un si grand monde est toujours dangereux : Le tumulte accompagne un public trop nombreux. ARLEQUIN. Ah ! monsieur, dissipez la peur qui vous domine. Le souffleur, avec qui j'ai bu tantôt chopine, M'a dit que sur la pièce il faisait un grand fond ; Et, qui plus est encor, tout l'orchestre en répond. CLITANDRE. Ce suffrage me donne une assurance extrême. DAMON. Mais les comédiens en répondent eux-mêmes. Ils le disent tout haut. CLITANDRE. Que m'annoncez-vous là ? Je suis perdu, monsieur, ma pièce, déplaira. Le malheur suit toujours les ouvrages qu'on vante, L'exemple nous le prouve, et le sort m'épouvante. DAMON. Moi, j'espère au retour vous faire compliment ; Et je cours me placer sans perdre un seul moment. CLITANDRE. Allez vite ; en un jour de combat et de guerre, On ne saurait avoir trop d'amis au parterre. De marcher sur vos pas je ne puis m'empêcher, Au fond du paradis je m'en vais me cacher. ARLEQUIN. C'est l'enfer des auteurs qu'un paradis semblable, Monsieur. CLITANDRE, en s'en allant. Ce qu'il me dit n'est que trop véritable. SCÈNE VI. ARLEQUIN. S'il tremble maintenant, ce n'est pas sans raison. Tout brave que je suis, j'ai pour lui le frisson ; Ce qui présentement m'alarme davantage, C'est qu'il m'a, ventrebleu, dépeint dans son ouvrage : J'y parais sous mon nom comme sous mes habits : Un homme comme moi craint d'être compromis ; Si le nom d'Arlequin, ce nom si respectable, Se voyait bafoué, ce serait bien le diable ! Comme la comédie est à deux pas d'ici, Je n'irai pas bien loin pour en être éclairci. Courons-y de ce pas... Mais on vient ; c'est mon maître. Ô ciel ! En quel état je le revois paraître ! SCÈNE VII. Clitandre, Arlequin. ARLEQUIN. Qu'avez-vous ? CLITANDRE. Un fauteuil, vite, je n'en puis plus ! Mes sens, jamais mes sens ne furent plus émus. J'entre à la comédie, admire mon étoile ! Dans le moment fatal qu'on a levé la toile ; Du monde que je vois je suis épouvanté ; J'entends mugir les flots du parterre agité : Je regarde en tremblant tous ces juges sévères, Que ne sauraient fléchir ni brigues, ni prières. De mon supplice alors je crois voir les apprêts : Tous les cris que j'entends me semblent des sifflets ; Quand, pour comble d'effroi, j'aperçois un vieux cuistre, Dont je n'ai jamais vu le visage sinistre, Qu'il ne m'ait annoncé quelque malheur prochain : Il me fixe des yeux, me montre de la main ; Je lis dans ses regards ma mortelle sentence, Et veux me dérober à sa noire présence ; Mais je fais un faux pas, et culbute en fuyant ; « Voilà l'auteur tombé, dit-il en me voyant ; »C'est lui, je le connais ; je crains que pour l'ouvrage Cette chute ne soit d'un funeste présage. Ces mots me percent l'âme, et je reviens enfin La pâleur sur le front, et la peur dans le sein, SCÈNE VIII. Clitandre, Arlequin, Un Laquais. UN LAQUAIS. Une lettre, monsieur... CLITANDRE. De quelle part vient-elle ? Tu fus toujours porteur de mauvaise nouvelle. Il lit.« Mon père arrive en ce moment ; Il approuve notre flamme, Et pour époux j'obtiens l'amant Qui pouvait seul toucher mon âme. Enchanté, comme moi, d'un aveu si flatteur, Clitandre connaît-il l'excès de mon bonheur ? » Mon coeur est transporté ! Si le public affable Faisait à mon ouvrage un accueil favorable, Et s'il m'applaudissait en cet heureux instant, Non, il ne serait pas de mortel plus content ! ARLEQUIN. Monsieur, d'un bon succès ce billet vous assure. CLITANDRE. Ah ! mon procès perdu m'est d'un mauvais augure. Mais voyons au plus tôt cet objet ravissant, Et nous visiterons le parterre en passant. ==================================================