******************************************************** DC.Title = LES AMOURS DE JUPITER ET DE SÉMÉLÉ, TRAGÉDIE DC.Author = BOYER, Claude DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/07/2022 à 06:07:01. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOYER_AMOURSJUPITERSEMELE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83827k DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES AMOURS DE JUPITER ET DE SÉMÉLÉ TRAGÉDIE M. DC. LXVI par Monsieur BOYER Achevé d'imprimer le 15. Mars 1666. Représenté pour la première fois le 1er janvier 1666 au Théâtre de l'Hôtel du Marais. Sire, Ceux qui verront à la tête de mon ouvrage Votre Auguste Nom avec celui de Jupiter, s'imagineront sans doute, que je veux m'attacher à ces belles comparaisons qu'on peut faire du plus grand des Rois avec le plus puissants des Dieux, et que cherchant la vérité dans la fable j'en veux tirer un grand fonds de louanges pour la gloire de votre Majesté ; mais ce n'est pas mon dessein, de m'engager dans une carrière si vaste et si difficile : une matière si importante ne peut être dignement expliquée qu'avec le langage des Dieux, et par les bouches immortelles de l'Histoire et de la Renommée. D'ailleurs, Sire, et je veux bien l'avouer à Votre Majesté, le seul intérêt de mon Ouvrage m'a inspiré la hardiesse de vous le consacrer ; j'ai cru que je n'avais que ce moyen pour achever sa gloire, et pour assurer sa réputation, et que pour faire valoir mon présent, je pourrais publier hautement qu'il a eu l'honneur de plaire à Votre Majesté ; quoique la plus illustre Cour de l'Europe puisse rendre ce témoignage, je n'ai garde de perdre une si belle occasion d'en parler. Puis-je laisser à la Postérité une idée plus avantageuse de la bonne fortune de ma Pièce, que celle d'avoir amusé agréablement le plus grand Roi du monde, d'avoir suspendu trois heures de suite ces glorieux soins et cette Royale inquiétude qu'il donne à la conduite de la première Monarchie de la terre, et d'avoir occupé l'attention d'un esprit, dont les vastes pensées embrassent toutes les parties de l'Europe, et s'étendent jusques aux deux bouts de l'univers ? Mais, SIRE, l'oserai-je dire à Votre Majesté ? Il n'en fallait pas moins pour une Muse aussi ambitieuse que la mienne : elle ne compte le succès de son ouvrage que du jour de votre approbation. Je dirai bien davantage, la gloire de plaire à Votre Majesté donne une joie si précieuse et si délicate, que je sens pour elle une avidité qui n'a point de bornes ; rien ne peut arrêter cette ambition déréglée, pour la satisfaire je ne vois rien au-dessus de mon courage et de mes forces, et j'ose espérer qu'elles pourront égaler le zèle ardent et le profond respect avec lequel je suis, SIRE, de Votre Majesté, le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et sujet, BOYER. ACTEURS JUPITER. JUNON. VÉNUS. AURORE. MOMUS. APOLLON. MELPOMÈNE. THALIE. EUTERPE. AMOURS. HEURES. JEUNESSE. PLAISIRS. FUREURS POÉTIQUES. FANTÔMES. JALOUSIE. MERCURE. RENOMMÉE. CADMUS, roi de Thèbes. HERMIONE, reine de Thèbes. SÉMÉLÉ, fille du Roi de Thèbes. ALCMÉON, prince de Thèbes. ATYS, capitaine des Gardes de Cadmus. DIMAS, suivant d'Alcméon. DIRCÉ, confidente de Sémélé. Choeur de Bergers. Choeur de Thébains. Suites. [La Scène est à Thèbes.] PROLOGUE L'ouverture du théâtre fait voir de front le Mont-Parnasse qui s'élève du fonds du théâtre jusques aux nues, avec des allées de cyprès entremêlées de statues de rois et de héros, et l'on entend à même temps des trompettes et des clairons. SCÈNE I. Melpomène qui est la déesse de la tragédie, parait au fonds du théâtre, et s'étant avancée, elle dit. MELPOMÈNE. Superbes demi-Dieux dont les noms éclatants Triomphent de l'oubli, de la mort et du temps, Vous que je fais revivre avec tant de gloire, Héros contentez-vous des honneurs de l'histoire. Le siècle de Louis confond tout votre orgueil Pourquoi vous retirer des ombres du cercueil, Pour faire à ce grand Roi quelque nouveau spectacle ? Son Règne chaque jour nous fournit un miracle, Et s'il lui faut offrir des objets glorieux, Dois-je offrir d'autre objet que lui-même à ses yeux ? Mais de ce grand dessein mon âme possédée En peut-elle remplir la glorieuse idée ? Louis se verra-t-il, tel qu'il est aujourd'hui, Dans tout ce que ma main entreprendra pour lui ? De ce fonds infini de gloire et de merveilles... Mais quel bruit importun a frappé mes oreilles. Thalie qui est la déesse de la Comédie descend du Parnasse sur une nue en jouant d'un Tambour de Basque, auquel se mêle un concert de Violons.C'est une de mes soeurs qui pour quelque succès Dans un siècle enjoué se flatte avec excès. Elle vient m'insulter avec cet avantage. SCÈNE II. Thalie, Melpomène. THALIE. Hé bien toujours ma soeur sur quelque grand ouvrage, J'ai tort d'oser ainsi troubler votre repos : Je vois bien qu'au milieu de ces fameux Héros Votre esprit se remplit de sentiments tragiques. Vous n'aimez que les vers enflés et magnifiques. MELPOMÈNE. La pompe vous déplaît et vous fait mal aux yeux : Vous décriez partout le langage des Dieux. C'est savoir se connaître, et c'est par cette adresse Qu'étant faible on se fait honneur de sa faiblesse. THALIE. Selon vous tout est faible, à moins d'être en fureur. Guérissez votre esprit d'une si longue erreur : Je viens vous détromper et non pas vous combattre : Ne me disputez plus la gloire du Théâtre ; Votre Règne est passé, le mien vient à son tour ; Vous êtes du vieux temps et de la vieille Cour ; Tout le monde aime à rire, et j'en sais la méthode : Vos tristes entretiens ne sont plus à la mode ; Louis m'aime en un mot, j'ai pour lui des appas. MELPOMÈNE. Il vous aime il est vrai, mais il ne me hait pas, Et pour dire tout haut ce que j'en ose croire, Louis me doit aimer puisqu'il aime la gloire. Pouvez-vous inspirer ces nobles mouvements, Ces belles passions, et ces grands sentiments, Que je fais si souvent éclater sur la Scène ? La gloire des héros et la vertu Romaine Qui la sait mieux que moi retirer du cercueil ? Qui la fait mieux revivre avec tout son orgueil ? Pour rendre dignement présents à sa mémoire Ces exemples fameux de vaillance et de gloire ? Avez-vous comme moi d'assez nobles chaleurs ? Avez-vous comme moi d'assez riches couleurs ? Quoique l'ingénieuse et savante satire Mêle le soin de plaire à la gloire d'instruire, Louis peut-il tirer de ces enseignements, De ces faibles leçons, de ces amusements, Ces sentiments d'honneur, dont une âme enflammée Soupire pour la gloire et pour la renommée ? L'art de porter un Sceptre et de le maintenir ? L'art de récompenser et celui de punir ? Ce que vous enseignez n'est que pour le vulgaire ; Ainsi contentez-vous de la gloire de plaire. THALIE. Et n'est-ce pas assez de pouvoir quelquefois Divertir le plus sage et le plus grand des Rois ? Après que tous les jours sa sagesse profonde A su dans son Conseil régler le sort du monde, Est-ce peu que l'honneur de délasser un Roi De ces soins assidus, de ce pénible emploi, Pour le mettre en état de reprendre avec joie Cette noble fatigue où son zèle l'emploie ? Mais c'est trop peu pour vous, votre orgueil aujourd'hui Fait de votre Théâtre une école pour lui ; Pour lui qui pour régner n'a besoin de personne, Et qui soutient lui seul le poids de la Couronne. Vantez-vous de l'instruire, il en sait plus que vous : Ma gloire est de lui plaire et c'est assez pour nous. MELPOMÈNE. Ne puis-je pas ma soeur, ne m'est-il pas facile De joindre quand je veux l'agréable à l'utile ? Est-il rien d'aussi beau qu'un transport glorieux Que pousse avec éclat un coeur ambitieux, Qu'une intrigue de Cour menée avec adresse, Qu'un entretien mêlé de flamme et de tendresse ? Quelle douceur alors qu'un malheureux amant, Touche le spectateur d'un tendre sentiment ! Lorsque je fais agir cette adresse admirable Et ce bel art qui rend la douleur agréable, Et qui des maux d'autrui nous faisant soupirer Fait trouver si souvent de la joie à pleurer. Pour vous qui vous piquez de divertir le monde Donnez-vous une joie et solide et profonde ? Le ris, l'emportement, n'ont qu'un charme trompeur, Les sensibles plaisirs sont dans le fond du coeur, Et ce sont là ma soeur les plaisirs que je donne. THALIE. Vos charmes sont puissants, mais on vous abandonne, On ne veut plus de vous, tout le monde est pour moi. Et pour vous en parler ici de bonne foi, La pompe de vos vers plaît moins que ma satire ; Apprenez que pour plaire, il faut savoir médire : Voilà tout le secret pour aider mon dessein, Il se glisse en naissant dans tout le genre humain Un chagrin qui s'attache à la plus belle vie, Une maligne humeur que l'on appelle envie. Par là la médisance a des charmes pour tous ; Surtout en déguisant sa malice et ses coups Sous une délicate et fine raillerie. Pour mordre impunément il suffit qu'on en rie. MELPOMÈNE. Ce sont là des secrets dont je fais peu de cas, Mais au moins ménagez cette source d'appas, Ce trésor de venin, ce fonds de médisance, Ne le prodiguez pas avec tant de licence. Comme le ridicule est court et limité, On craint pour vos sujets quelque stérilité. THALIE. Que vous connaissez mal le fonds de ma satire ! Je prends de tous côtés la matière de rire ; L'univers m'en fournit de l'un à l'autre bout, Mon Empire est sans borne et mon fonds est partout. Ne vous flattez donc pas d'une vaine espérance, Et quand d'un monde entier j'obtiens la préférence. En voulez-vous juger ? Vos yeux sont-ils meilleurs... MELPOMÈNE. Non ; mais adressons-nous à celle de nos soeurs, Qui connaît comme nous les grâces de la scène ; Qu'elle règle entre nous une palme incertaine. Elle vient ; je l'entends ; ces sons mélodieux Font parler hautement les échos de ces lieux. SCÈNE III. Melpomène, Thalie, Euterpe. Durant qu'EUTERPE descend du Parnasse, les Musettes et Hautbois joue un air fait exprès pour la pastorale. Durant qu'EUTERPE descend du Parnasse, les Musettes et Hautbois joue un air fait exprès pour la pastorale. MELPOMÈNE. Approchons. THALIE. Ah ma soeur gardez de l'interrompre. MELPOMÈNE. Je vois que vous songez ma soeur à la corrompre. THALIE, lui parle. Que vous m'avez charmée avec un air si doux ! Notre grand Apollon n'en sait pas plus que vous. MELPOMÈNE. On vous flatte ma soeur, mais vous êtes fidèle. Vous venez à propos finir notre querelle : Sous savez le Théâtre, et c'est là votre emploi ; Sa vanité prétend de l'emporter sur moi, Et croit que sur la scène, elle à tout l'avantage. EUTERPE. Quoi mes soeurs votre honneur dépend de mon suffrage ! Donc le prix n'est ici disputé qu'entre vous : J'admire entre vous deux ce mouvement jaloux, Qui vous fait oublier la part que je dois prendre, Mais si vous ignorez ce que je dois prétendre, Vous permettrez mes soeurs que je garde pour moi Ce que vous disputez, et ce que je me dois. Ce jugement sans doute étonne l'une et l'autre ; Vous blâmez mon orgueil pour contenter le vôtre : Mais voyons si j'ai tort, et si c'est un arrêt Dicté par la justice ou par mon intérêt. Je commence par vous de qui l'humeur altière Prétend entre les soeurs la préférence entière. Vous imaginez que toutes ces horreurs, Ces grands emportements, et ces nobles fureurs, Dont le monde autrefois fut longtemps idolâtre, Font encore aujourd'hui les beautés du Théâtre. Vos sujets quelquefois ont de tels embarras, Qu'on se lasse d'ouïr ce que l'on entend pas : Par le profond secret d'un art impénétrable, Vous embrouillez si fort l'intrigue de la fable, Qu'à peine un Jupiter la pourrait démêler. Tout ce que sur la scène on nous voit étaler, N'est souvent que fumée, et qu'un éclat qui trompe, N'a que de faux brillants, et qu'une vaine pompe. Vous avez beau donner les plus belles couleurs, Aux furieux transports, aux crimes, aux douleurs, Aux plaintes d'un amant, au désespoir, aux larmes, Ma soeur sur le théâtre on cherche d'autres charmes ; On y veut des objets agréables et doux, Sans y mêler l'horreur, la crainte et le courroux. Pour vous vous le savez, le siècle vous fait grâce, Bien souvent votre Jeu n'est que pure grimace ; Un geste ridicule, et des tons imités, Font ordinairement vos plus grandes beautés. On vous voit tous les jours avec tant de licence, (Soit adresse ou chagrin) pousser la médisance, Que les plus retenus en gronde contre vous. Pour moi qui n'ai l'esprit, ni chagrin ni jaloux, J'avouerai que vos vers vous donnent de la gloire ; Vous aurez votre place au temple de mémoire ; On vous doit estimer tout ce que vous valez, Mais peut-être un peu moins que ce que vous voulez. Je ne vous direz point à sa honte et la vôtre, Pour ne pas tout à fait confondre l'une et l'autre, Qu'on vous voit tous les jours sans front et sans pudeur Briguer chez les mortels l'estime et la faveur. Moi-même j'en rougis, quand je vois des Déesses Pour un faible intérêt faire mille bassesses. Est-ce là le moyen de mériter le prix ? Mais je veux autrement convaincre vos esprits. Pour vous faire céder la gloire et l'art de plaire, Voyez si comme vous je suis triste et sévère. Je n'ai point vos défauts, et j'ai tous vos appas. Je chante sur un ton ni trop haut ni trop bas ; J'ai de vos passions le tendre et l'agréable ; J'ai comme vous le style ingénu, raisonnable ; Dans ma façon d'agir et dans mes sentiments Je n'ai ni vos chagrins, ni vos emportements ; Plus discrète que vous je plais sans médisance ; Et plus douce que vous j'agis sans violence : Ainsi vous voyez bien si j'ai droit d'emporter Le prix qu'entre vous deux vous osez disputer. Je sais bien toutefois qu'elle est votre espérance, Pour emporter l'honneur de cette préférence. Comme le grand Louis anime votre voix, Vous me croyez mal propre à chanter ses exploits. Le moyen que je puisse avec des soins rustiques Célébrer dignement ses vertus héroïques, Ce qu'il fait tous les jours pour l'honneur des beaux arts ; Son règne plus heureux que celui des Césars ; Le retour de la paix si longtemps exilée ; L'injustice bannie et la foi rappelée ; Ses amis secourus, ses ennemis défaits ; La gloire du triomphe au milieu de la paix ; Le commerce établi par sa sage conduite ; Des tyrans de la mer la défaite ou la fuite ; Et tout ce qui le rend la gloire des François, La terreur de l'Europe et l'exemple des Rois. Mais vous verrez un jour ce que peut ma musette, Notre grand Apollon a porté la houlette, Et ma voix pour les Rois n'est pas à négliger, Si les Dieux ont paru sous l'habit de Berger. MELPOMÈNE. Hé quoi ma soeur de Juge on vous voit ma partie, De vos prétentions j'étais mal avertie. Vous disputer le prix ? Vous dont la faible voix Ne sait représenter que les plaisirs des bois, Les amours des Bergers, et cette vie obscure Qui ne saurait fournir une illustre aventure ? Vous prétendre à mon rang avec tant de fierté ? À Thalie.Votre exemple ma soeur a fait sa vanité, Et vous voyant prétendre un pareil avantage, Votre présomption vient d'enfler son courage. THALIE. En vain à mon orgueil vous imputez le sien ; Vous confondez nos droits pour détruire le mien : Mais pour mieux distinguer son mérite et le nôtre, Défions-nous, ma soeur, doutons l'une de l'autre, Cherchons un autre Juge, allons lui faire voir Par quelque grand essai quel est notre savoir : Consultons Apollon, et qu'un Dieu si fidèle Décide entre nous trois cette grande querelle. EUTERPE. C'est le Dieu du Théâtre il peut seul nous juger. MELPOMÈNE. Ma gloire entre ses mains ne court pas grand danger. Divin dispensateur de la plus belle gloire Venez par votre arrêt assurer ma victoire, Venez donner le prix à qui l'a mérité. Il vient et nous fait voir toute sa majesté. Durant qu'Apollon descend on entend un concert de tous les instruments des trois Déesses. SCÈNE IV. Melpomène, Thalie, Euterpe, Apollon au milieu des airs. MELPOMÈNE. Arbitre souverain des filles du Parnasse, Le croirez-vous ! On veut me contester ma place : Mes soeurs fières d'avoir l'honneur d'un même sang, Me veulent disputer celui du premier rang,Et mettant devant vous leur adresse en usage, Par des nouveaux efforts briguer votre suffrage. APOLLON. Je sais de toutes trois le mérite et l'emploi : Je suis le Dieu des vers comme de la lumière, Et puisque l'on s'adresse à moi, Pour savoir qui des trois doit être la première, J'userai du pouvoir que vous m'avez donné. Je ne veux écouter ni faveur ni caprice, Et vous verrez par ma justice Le seul mérite couronné. THALIE. C'est sur ce digne espoir grand Dieu que je commence, Et je prends pour ma gloire une entière assurance. Chanson pour Thalie. Sur le luth ou sur la musette, Pour le sceptre ou pour la houlette, Chantez, mes soeurs, chantez de toutes les façons : Pour moi je n'aime qu'à médire, Et la gloire de faire rire Vaut bien celle de vos chansons. APOLLON. Melpomène, ces chants si charmants et si doux Semblent à votre soeur promettre la victoire. MELPOMÈNE. Non, non vous n'avez rien à craindre pour ma gloire, Grand Dieu, vous êtes juste et c'est assez pour nous. Chanson pour Melpomène. Faibles esprits, âmes vulgaires, Qui des biens les plus ordinaires Faites vos solides plaisirs, Ce n'est pas vous que je veux croire : De plus dignes objets occupent mes désirs, Et si je pousse des soupirs, C'est pour le trône ou pour la gloire. APOLLON. Déesse, l'une et l'autre ont charmé mes oreilles. EUTERPE. Attendez de ma voix de plus grandes merveilles. Chanson pour EUTERPE.Venez pasteurs, venez, et des chants les plus beaux, Des plaines de l'Écho, du bruit de vos ruisseaux, Faites un concert agréable ; Faites voir à mes soeurs par des charmes si doux, Que tout ce qu'elles ont d'aimable, Ne l'est pas tant que vous. THALIE. Prononcez votre arrêt, grand Dieu qu'attendez-vous ? Est-il si mal aisé de juger entre nous ? MELPOMÈNE. C'est trop c'est trop languir dans cette inquiétude. EUTERPE. Tirez-nous promptement de cette incertitude. APOLLON. Que puis-je prononcer, alors qu'également Je me trouve surpris entre tant de merveilles ? Le prix est incertain pour des beautés pareilles, Et cette égalité suspend mon jugement. Aussi ne voulant pas qu'une ait tout l'avantage, Par un art qui vous mêle et ne vous détruit pas, Le théâtre aujourd'hui va produire un ouvrage ; Qui doit unir tous vos appas, Et sans juger sur qui doit tomber la victoire, Par un mélange heureux confonde votre gloire. Vivez sans jalousie et n'ayez d'autre soin Que de plaire à Louis et d'avoir son suffrage : Travaillez à l'envi pour ce grand avantage ; Qu'il soit de vos travaux le juge et le témoin. Sur ses soins généreux tout votre espoir se fonde ; Par lui vos différents cesseront désormais,Et pour comble de ses bienfaits, Son équitable arrêt vous va donner la paix, Qu'il a donnée à tout le monde. MELPOMÈNE. Tout ce qui va paraître aux yeux de ce grand Roi, Le résoudra bientôt à prononcer pour moi. APOLLON. Suspendez votre espoir ; attendez son oracle. Cependant faisons place à ce rare spectacle, Venez-en avec moi contempler la beauté, Et prendre votre part de cette nouveauté. MELPOMÈNE. Allez et flattez-vous d'un bien imaginaire, Ma présence en ces lieux est encore nécessaire. Apollon part avec rapidité vers le milieu des airs, Thalie et Euterpe partent à même temps emportées par des nues et par un vol croisé.Vous spectacles pompeux venez parler pour moi. Venez justifier l'honneur de mon emploi. Venez me seconder, vous savantes fureurs ; Vous, qui communiquez ces divines chaleurs, Ces glorieux transports ; dont le pouvoir suprême Peut élever l'esprit au-delà de lui-même. Les Fureurs Poétiques paraissent et dansent une entrée de Ballet, qui fait la fin du Prologue. ACTE I SCÈNE I. Les Heures, L'Aurore, Sémélé. La scène est dans une chambre magnifique avec une alcôve cachée par des rideaux, aussitôt que cette décoration a succédé à celle du prologue, on voit descendre l'Aurore précédée par deux heures,et l'on entend un concert de voix et d'instruments. Les HEURES chantent. Voici la brillante Déesse, Qui vient nous annoncer la naissance du jour. Princesse un jeune coeur tout enflammé d'amour, Peut-il avoir tant de paresse ? La grand maître des Dieux presse votre réveil ; Il languit en secret d'un amoureux martyre. Le repos vous sied mal quand Jupiter soupire, Et l'amour est un Dieu plus doux que le sommeil. L'AURORE. Belles heures allez éveiller la Princesse ; La douceur de vos chants peut moins que sa paresse. Montrez-lui promptement ce spectacle nouveau. Allez sans tardez davantage, Et que l'ombre de ce rideau Ne lui dérobe plus ma voix et mon visage. Les Heures descendent et tirent le rideau de l'alcôve. SÉMÉLÉ, se levant de dessus son lit. Quel éclat, quelle voix force agréablement Un repos si profond, in sommeil si charmant ? L'AURORE. Princesse nous entrons avec cette licence Que nous donne aujourd'hui le souverain des Dieux. Par son divin pouvoir nous pénétrons ces lieux, Où la discrétion dérobe sa présence. Jupiter sans vous voir, ne peut être content : Dans ce parc amoureux, en ces sombres retraites, De vos premiers soupirs confidentes discrètes, Sous l'habit d'un berger Jupiter vous attend. SÉMÉLÉ. L'image d'un beau songe, un fantôme agréable Rend envers Jupiter ma paresse excusable ; Lui-même était l'objet d'un songe si charmant. Allez belle Déesse avertir mon amant, Que j'aime son ardeur, et son impatience : Mais aussi dites-lui qu'il faut par bienséance, Pour sortir du palais, attendre un plus grand jour, Et voler malgré moi ce temps à son amour. L'AURORE. Sémélé je ne puis paraître davantage : Une de ces Heures pour moi, Peut aller faire ce message, Le grand jour qui s'avance a fini mon emploi ; Je dois quitter la place au Dieu de la lumière, Il a commencé sa carrière. Filles de Jupiter témoins de ses ardeurs, Vous allez satisfaire à son impatience ; Vous pour ce grand secret gardez bien le silence, Et remontez au Ciel pour rejoindre vos soeurs. Les deux Heures partent à même temps et volent vers le cintre du théâtre, tandis que l'Aurore remonte vers le lieu d'où elle est partie. SCÈNE II. Sémélé, Dircé sa confidente. SÉMÉLÉ. En est-ce assez, Dircé, pour te faire connaître L'amour, qu'au coeur d'un Dieu mes appas ont fait naître ? L'Aurore en ma faveur viendrait-elle en ces lieux, Sans l'ordre de ce Dieu, qui commande les Dieux ? DIRCÉ. Non, je n'en doute plus, et j'en tremble, Madame. Quoi le Prince Alcméon, qui régnait dans votre âme, Ce grand Prince d'Argos, qui depuis si longtemps Vous offre sa Couronne et des voeux si constants, Va perdre tout l'espoir de son amour fidèle ? SÉMÉLÉ. J'ai cru brûler pour lui d'une flamme immortelle : Mais puis-je garantir un feu si glorieux Contre l'ordre éternel du Destin et des Dieux ? DIRCÉ. Mais le Roi qui du Prince estime l'alliance, Et voit que votre coeur penche à quelque inconstance, Veut, sans plus différer le faire votre Époux ; Vous devez obéir ou craindre son courroux. SÉMÉLÉ. Ah Dircé, son courroux ne serait pas à craindre, Si pour vaincre un pouvoir, qui voudra me contraindre, J'osais lui découvrir la glorieuse ardeur, Que le grand Jupiter allume dans mon coeur : Mais l'ordre de ce Dieu me condamne au silence. DIRCÉ. Mais l'amour de ce Dieu fait seul votre défense : Pour vous justifier, il doit paraître au jour. SÉMÉLÉ. J'obtiendrai de ce Dieu l'aveu de son amour. Aussi bien il est temps que son rival apprenne Que l'ardeur, dont je brûle est fatale à la sienne, Et qu'un mortel me cède à ce nouvel amant, Puisqu'enfin c'est un Dieu qui fait mon changement. DIRCÉ. De cet amant plutôt songez à vous défaire. SÉMÉLÉ. Se défait-on d'un Dieu qui fait tout pour nous plaire ? Est-il quelque constance, est-il quelque devoir, Qui puisse résister contre tant de pouvoir ? Si tu savais l'effet de ces divines flammes, Et de quel air un Dieu s'introduit dans les âmes ; Ou bien si tu savais combien l'amour des Dieux Se saisit aisément d'un coeur ambitieux ; Car enfin je veux bien t'avouer ma faiblesse, L'orgueil fait dans mon coeur autant que ma tendresse. DIRCÉ. Vous m'avez confié le nom de votre amant : Contez-moi votre amour et son commencement. SÉMÉLÉ. Ah ! Que l'amour des Dieux est fort en sa naissance ! Il peut tout, il triomphe au moment qu'il commence. J'étais dans ce beau parc où Jupiter m'attend, Quand au milieu des airs un tumulte éclatant, Du côté de ce bruit me fait tourner la vue. À mes pieds aussitôt je vois fondre une nue, Qui s'étant entr'ouverte offre à mon oeil charmé Tous les appas d'un Dieu quand il veut être aimé. Sa Majesté d'abord trouble toute mon âme : Puis un regard mêlé de tendresse et de flamme, Comme un brillant amas de force et de douceur, Me lance un trait de feu jusques au fond du coeur. Pour mon premier amour ma raison s'intéresse ; Mais elle le défend avec tant de faiblesse, Que dans le doux penchant de cette trahison Mon coeur gagné sans peine entraîne ma raison. Jupiter qui connaît mon désordre et sa gloire, Par la parole enfin achève sa victoire ; Il me flatte, il me loue, et de la main des Dieux Tu sais combien pour nous l'encens est précieux. Ce Dieu qui sait l'orgueil qui suit notre faiblesse, Et ce que peut un Dieu qui flatte et qui caresse, Lui qui de la fierté se doit faire une loi, Avare des douceurs, les prodigue pour moi. Que ne puis-je exprimer la douce violence Que fit à mon esprit cette tendre éloquence ? Je dévore aussitôt avec avidité Ce poison de mon coeur et de ma liberté : Tous mes sens éblouis de cet amas de charmes, Contre un Dieu, sans raison, sans défense et sans armes, Je me perds, je m'égare au milieu d'un beau jour. Et n'ai des mouvements que ceux de mon amour ; Je ne me connais plus dans ce désordre extrême ; Je ne vois ni le parc, ni le Dieu, ni moi-même : Une extase amoureuse, un doux enchantement... Que te dirai-je enfin de cet heureux moment ? S'il fallait t'expliquer tout ce que j'en dois croire... Mais Jupiter m'attend et je pers la mémoire : J'en dirai davantage un jour plus à loisir. DIRCÉ. Contentez sur un point mon curieux désir, Dites-moi, si les Dieux aiment comme les hommes. SÉMÉLÉ. Quand il s'agit d'aimer, ils sont ce que nous sommes. Pour être plus que nous aiment-ils autrement ? Ils diffèrent de nous en ce point seulement, Qu'un Dieu maître de tout, ainsi que de lui-même, Se fait tout ce qu'il veut, pour plaire à ce qu'il aime, Et peut se faire un coeur, plus sensible et plus doux, Et plus tendre que ceux que le Ciel fait pour nous : Mais c'est trop s'arrêter, Jupiter s'en offense. Au moins n'abuse pas de cette confidence, Et crains de mon amant le souverain pouvoir. SCÈNE III. Dimas, Alcméon, Sémélé, Dircé. DIMAS. Le Prince est là, Madame, et demande à vous voir. ALCMÉON. Madame pardonnez à mon impatience. SÉMÉLÉ. Quoi, Seigneur, si matin prendre cette licence. ALCMÉON. Par un doute cruel mon coeur est si pressé, Qu'il veut savoir le coup dont il est menacé : Je meurs à tout moment dans cette incertitude, Prenez quelque pitié de mon inquiétude ; De grâce apprenez-moi quelle ingrate froideur Change l'heureux destin de ma fidèle ardeur. On vient de m'assurer qu'on voit naître en votre âme Le remords d'un adieu favorable à ma flamme : Depuis que mon amour me retient dans ces lieux N'ai-je pas fait pour vous ce qu'on fait pour les Dieux ? C'est de vous aussi bien que du Roi votre père, Que j'ai reçu l'aveu d'une flamme si chère. Ai-je arraché ce coeur ? Vous me l'avez donné Ce coeur, pour qui le mien eut tout abandonné. Que si pour mériter un don si favorable J'ignore l'art d'aimer, et de se rendre aimable, Au moins j'ai dans mon coeur, de quoi vous enflammer, Si pour se rendre aimable il ne fallait qu'aimer. Les plus profonds respects, la plus forte tendresse... Mais je vous parle en vain infidèle Princesse ; Au désordre inquiet, qui trouble vos appas, Ingrate je vois bien qu'on ne m'écoute pas. SÉMÉLÉ. Que me sert d'écouter n'ayant rien à répondre ? Vos reproches sans doute ont de quoi me confondre ; Je ne puis le nier, je vous aimai Seigneur, Cependant... ALCMÉON. Achevez, dites-moi quel malheur, Quel rival me dérobe une amitié si tendre ? SÉMÉLÉ. Prenons un autre temps Seigneur pour vous l'apprendre Un devoir si pressant... ALCMÉON. Je ne vous quitte point À moins... SÉMÉLÉ. Faut-il Seigneur m'expliquer sur ce pont ! ALCMÉON. Hélas je le vois bien, vous en aimez un autre. SÉMÉLÉ. Oui Seigneur ; et ce n'est ma faute ni la vôtre Je plains votre malheur, et ce coeur innocent Vous trahit par l'effort d'un charme tout puissant. Même je vous dirais, si j'osais vous le dire, Que de son premier feu ce coeur encore soupire, Et sent auprès de vous, quand il vous faut quitter... ALCMÉON. Ah Princesse... SÉMÉLÉ. Ah Seigneur gardez de vous flatter. Si votre fier rival savait que ma faiblesse Laisse échapper pour vous une ombre de tendresse, Ce reste de pitié vous deviendrait fatal. ALCMÉON. C'est peu de me trahir, on vante mon rival, On veut que sa puissance étonne ma colère, Quel est donc ce rival ! SÉMÉLÉ. Seigneur c'est un mystère ; Les Dieux seuls, et mon coeur ont droit de le savoir. ALCMÉON. Et vous voulez ainsi flatter mon désespoir. Hélas je le vois bien, ce rival qui se cache, Pour ma honte et la vôtre est un perfide un lâche ; Pour vous justifier il paraîtrait au jour, S'il avait mérité l'honneur de votre amour : Mais par un sort fatal qui comble ma disgrâce, Un indigne rival vient de prendre ma place. SÉMÉLÉ. Tout beau Seigneur, craignez ce dangereux rival. Mais vous vous faites tort en le traitant si mal. Mais vous devez présumer, qu'alors que je vous quitte, Ce n'est pas par l'effort d'un plus faible mérite ; Mais sans autre raison croyez-en ma fierté ; Nul n'a droit sur ce coeur, s'il ne l'a mérité, Et puisque ma raison me donne au plus aimable, Jugez de ce qu'il vaut, s'il vous est préférable : Blâmez si vous voulez mon coeur de trahison, Mais faites sur ce choix justice à ma raison. ALCMÉON. Quel qu'il soit, ce rival triomphe dans votre âme, C'est là qu'il peut braver mon courroux et ma flamme : Mais nous le connaîtrons ce rival si charmant. Cependant dites-lui que je suis votre amant, Et qu'on enlève point, sans coûter bien des têtes, À des gens comme nous de semblables conquêtes. SÉMÉLÉ. Quand vous le connaîtrez vous perdrez ce courroux : Il sied mal avec lui de faire le jaloux, Et si vous me croyez, sachant ce qu'il faut craindre,Vous vous plaindrez fort bas, si vous osez vous plaindre. Peut-être j'en dis trop et plus que je ne veux, Quand il faut consoler un amant malheureux : Mais comme votre amour attend tout de mon père, Je crains que vous fassiez un éclat téméraire, Et qu'un rival qui peut du moindre de ses coups... Le Roi vient : échappons à son premier courroux. À Dircé. Toi demeure ; je cours où mon amour m'appelle. SCÈNE IV. Cadmus Roi de Thèbes, Hermione Reine, Alcméon, Suite. ALCMÉON. Vous me voyez frappé d'une atteinte mortelle, Seigneur, on me trahit ; je viens de tout savoir ; Un rival en secret m'ôte tout mon espoir. LE ROI. Ah ! Prince ce soupçon marque trop de faiblesse. ALCMÉON. Je viens de le savoir, Seigneur, de la Princesse. LE ROI. Quoi vous pourriez avoir un rival dans ma Cour ? Ma fille veut sans doute éprouver votre amour, On plutôt l'augmenter par ces fausses alarmes. ALCMÉON. Hélas c'est bien assez du pouvoir de ses charmes. LE ROI. La fière Sémélé ne fera point de choix Qui puisse être au-dessous des Princes et des Rois. ALCMÉON. À l'entendre parler du choix qu'elle se donne, Son mérite est d'un prix plus haut que la Couronne. LE ROI. Il faut donc que ma cour à mes yeux abusés Cache sous des sujets des Héros déguisés. Mais en fut-il quelqu'un caché dans cet Empire, Voudrait-il traverser l'hymen que je désire ?On sait, pour faire à Thèbes un solide repos, Que voulant allier ce trône avec Argos, Il faut qu'avecque vous, par un Hymen fidèle, Sémélé nous assure une paix immortelle : Un si grand intérêt ne peut être ignoré. ALCMÉON. Cependant mon malheur, n'est que trop assuré. LE ROI. Je sais bien que ma fille au moins en apparence, Dans ses premiers désirs marque quelque inconstance ; Mais parmi les amants cette ombre de froideur Peut changer le dehors sans aller jusqu'au coeur. ALCMÉON. Seigneur tout est changé ; la Princesse elle-même D'un air si transporté m'a vanté ce qu'elle aime, Qu'il n'est mortel ni Dieu qui lui puisse être égal. Elle veut que je tremble au nom de ce rival, Et sa fausse pitié qui craint pour ma faiblesse, Veut que sans murmurer je cède la Princesse ; Qu'une lâche terreur étouffe mes désirs, Et cache au fond du coeur jusqu'aux moindres soupirs. LE ROI. Madame vous devez connaître votre fille ; Elle tient plus qu'à vous que toute ma famille. Plus belle que ses soeurs elle a le premier rang, Et vous fait négliger le reste de mon sang. Par cette aveugle ardeur qui possède les mères, N'avez-vous point rempli sa tête de chimères ? Vous fille de Vénus, ne la flattez-vous pas De l'espoir de gagner un Dieu par tant d'appas, Et qu'un Héros mortel n'est pas assez pour elle ? Vous me vantez souvent votre race immortelle, Et Sémélé sans doute, au point où je la vois, Prend pour lui tout l'orgueil, que vous avez pour moi. LA REINE. Je n'ai rien fait, Seigneur, qui vous oblige à croire Que le sang de Vénus, dont je tire ma gloire, Me fasse négliger mon Époux et mon Roi : Je sais ce que je suis, et ce que je vous dois. Cet imprudent orgueil qui n'est qu'extravagance, Vient aux simples mortels d'une simple naissance : Mais cet orgueil qui suit ceux qui sortent des Dieux, Est un orgueil illustre, innocent, glorieux. C'est celui que j'ai mis dans l'esprit de ma fille, Et si je la préfère à toute ma famille, Je ne puis le nier, dès qu'elle vit le jour, Elle eut mes premiers soins et mon premier amour ; Mais tout ce grand amour et cette préférence N'ont rien mis dans son coeur plus haut que sa naissance. Elle a choisi ce Prince et j'ai loué son choix ; Et si le sang des Dieux avec celui des Rois, Est entre vous et moi joint par notre hyménée, Ce grand exemple instruit une fille bien née. Quoi qu'il semble aujourd'hui, que pour ce digne amant, Sémélé se dispose à quelque changement, Je lui rendrai bientôt sa première tendresse : Mais il faut ménager son âme avec adresse ; N'y mêlez pas, Seigneur l'aigreur et le courroux ; Il faut pour la gagner des traitements plus doux ; Elle doit obéir, mais d'une obéissance, Qui n'ait rien d'indigne et basse dépendance. LE ROI. Je veux bien à vous seule abandonner ce soin ; Je saurai faire agir mon pouvoir au besoin. Mais quel est cet amant dont on fait un mystère ? LA REINE. Pour de pareils secrets choisit-on une mère ? LE ROI. Madame il faudra donc employer mon pouvoir. LA REINE. Je saurai l'obliger à faire son devoir. ALCMÉON. Ah ! Madame, ah ! Seigneur, sans forcer ma Princesse, Laissez-la disposer de toute sa tendresse : Mes maux sont trop cruels pour les pouvoir guérir : C'est assez de l'aimer, l'adorer, et mourir. LE ROI. Prince défaites-vous de ce respect frivole ; La Princesse est à vous, je tiendrai ma parole. Vous, voyez votre fille, et faites-lui savoir, Qu'elle doit s'expliquer ou craindre mon pouvoir. SCÈNE V. La Reine, Dircé. LA REINE. Tu vois l'ordre du Roi, Dircé par ton adresse Découvre promptement l'amant de ta Maîtresse ; Ou plutôt ouvre-moi cet important secret ; Ma fille l'aura mis dans un sein si discret ; Il n'en faut pas douter. DIRCÉ. Ah ! De grâce, Madame, Ne me demandez pas le secret de sa flamme ; Ce secret révélé me coûterait le jour. L'ordre qui me défend d'expliquer cet amour, Vient d'un Amant si fier, si puissant, si terrible, Qu'en vous le découvrant ma perte est infaillible. Contentez-vous enfin d'apprendre que ce choix Vous fera plus d'honneur, que le plus grand des Rois. LA REINE. S'il en est ainsi, pourquoi s'obstiner à se taire ? Puis-je pas, s'il le faut, cacher ce grand mystère ? Ah ! Que je crains de l'air, dont je te vois agir, Que tu caches un choix qui nous fera rougir. Quel que soit cet Amant, il faut que je l'apprenne. DIRCÉ. Pourquoi par cet aveu m'exposer à sa haine ? Puisque de Sémélé vous pouvez l'obtenir, Ne me contraignez point... LA REINE. Faites-la donc venir. Mais que vient m'annoncer ce merveilleux spectacle ! Viens-tu nous éclaircir, Amour, par ce miracle ? L'AMOUR, porté par un aigle. Non Reine, à qui je puis donner ce nom de soeur, Puisque Vénus est notre mère.Loin d'aller de ta fille éclaircir le mystère, Garde-toi de forcer le secret de son coeur ; Commande-lui plutôt d'aimer et de se taire. L'aigle sur qui je viens t'imposer cette loi, T'apprend, qu'elle te vient d'un Dieu plus grand que moi. L'Amour prend son vol du cintre du Théâtre vers le fond.[Note : Il y a un nombre impair de vers dans la réplique précédente : il manque une rime en [er].] DIRCÉ. Madame vous voyez ce que les Dieux ordonnent. LA REINE. Je le vois avec joie, et l'ordre qu'ils me donnent, Montre, combien au Ciel mon sang est précieux, Quand ce sang jusqu'ici fait descendre les Dieux. Allons apprendre au Roi cette grande nouvelle, Et l'ordre souverain d'une bouche immortelle : Qu'il respecte un secret qu'une divine voix Commande de la part du grand maître des Rois. Toi, dis à Sémélé que sans crainte de blâme, Elle peut conserver son secret et sa flamme, Et que malgré l'ardeur d'un désir indiscret, Je renonce au pouvoir d'arracher ce secret. ACTE II SCÈNE I. Jupiter en habit de Berger, Momus. La Scène est dans un parc. JUPITER. Oui j'attends Sémélé sous ce nouveau visage : C'est l'amour qui m'a fait ce galant équipage : Mais si tu vois un Dieu sous l'habit d'un Berger, Ce n'est pas d'aujourd'hui que tu m'as vu changer ; Et de mes feux secrets cacher les aventures, Sous les traits différents de cent autres figures. MOMUS. C'est donc l'Amour qui fait tous ces beaux changements. J'admire Jupiter sous ces déguisements, Et sitôt qu'il s'agit de faire une conquête, Il fait beau voir un Dieu faire l'homme ou la bête. On sait sous quelle forme on vous vit sur le dos, Ravir la belle Europe et traverser les flots. Vous en voulez toujours à celles de sa race : Et déjà Sémélé vient de prendre sa place. Dans le sang d'Agenor vous trouvez des appas, Que dans un autre sang vos yeux ne trouvent pas. On vous voit tous les jours courir de belle en belle, Aimez-vous ces beaux noms d'inconstant, d'infidèle ? N'est-il point de beauté qui vous puisse arrêter, Les Dieux n'ont-ils point honte de coqueter ? JUPITER. Momus, veux-tu toujours censurer et médire ? N'as-tu jamais connu le souverain Empire, Qui force au changement le plus puissant des Dieux ? Vois comme c'est en nous un défaut glorieux. Quand j'aime une beauté, d'abord je vois en elle Tout ce qu'a de charmant une beauté mortelle ; La lumière d'un Dieu découvre en un moment Tout ce qui peut toucher les désirs d'un amant. Un mortel a besoin de temps et de lumière, Pour faire à son amour une digne matière ; Mais un Dieu pour ce choix n'a pas besoin de temps : Il voit tout d'un coup d'oeil et dehors et dedans ; Son esprit convaincu d'un mérite adorable, Aime d'abord, autant que l'objet est aimable, Et par un feu divin qui peut tout enflammer, Il embrase l'objet qui vient de le charmer. Ce violent Amour vient à peine de naître, Qu'il est victorieux autant, qu'il le peut être, Et dès lors qu'il jouit avec tant d'ardeur, Sa flamme à son objet applique tout son coeur, Qu'au même instant qu'un Dieu possède une maîtresse, Il épuise sa joie et toute sa tendresse : Ainsi le coeur d'un Dieu presque en un seul moment, Aime, se fait aimer, et cesse d'être Amant. Toi qui n'aimas jamais, tu sais mal comme on aime. MOMUS. Peut-être Jupiter, l'ignorez-vous vous-même : Car enfin Sémélé vous coûte plus d'un jour, Et je ne vous crois pas trop bien avec l'Amour ; Vous vous brouillez souvent avec lui ce me semble. JUPITER. Nous nous brouillons exprès pour être mieux ensemble. Si l'amour avec moi s'entendait tous les jours, Quelle gloire de vaincre avec ce grand secours ? Je me fais de l'amour un combat volontaire, Un doux empressement, une agréable affaire : Sous l'habit d'un Berger je me déguise exprès, Pour affaiblir ainsi la force de mes traits, Et par quelques combats achetant la victoire, Pour croître mes plaisirs, j'y mêle un peu de gloire. MOMUS. Quelquefois en un jour on vous voit demander, Attaquer, emporter la place, et la céder. JUPITER. Oui mais de mon amour apprend tout le mystère. Quelque glorieux choix, qu'un Dieu se puisse faire, Sache qu'il ne saurait remplir tous ses désirs : Son coeur qui veut par tout le comble de plaisirs, Répare le défaut de ces beautés mortelles, Par un enchaînement de conquêtes nouvelles. MOMUS. Pourquoi vous attacher aux beautés d'ici-bas ? Nos déesses pour vous sont-elles sans appas ? JUPITER. L'Amour n'a pas au Ciel son véritable empire : C'est ici seulement qu'on brûle et qu'on soupire ; Dans le séjour des Dieux l'on y vit sans désirs, Et sans désirs l'Amour a-t-il de vrais plaisirs ? MOMUS. Est-il d'autres plaisirs pour le Dieu du tonnerre Que celui quand il v eut de foudroyer la terre ?Rire des beaux desseins d'un fol ambitieux, Et préparer sa chute en l'élevant aux Cieux ; Tout rempli de nectar dans une paix profonde, D'un branlement de tête ébranler tout le monde ; Faire de ses désirs sa raison et ses lois ; Se jouer à son gré des peuples et des Rois ; Voir les mortels brouillés dans toutes leurs prières ; Leur voir pousser des voeux l'un à l'autre contraires ; Confondre leurs projets et d'une même main, Aujourd'hui les flatter et les punir demain ; Et sur cette conduite inégale, incertaine Ouïr les sots discours de la prudence humaine ; Voilà de Jupiter les doux amusements. JUPITER. J'en trouve dans l'amour qui sont bien plus charmants : Quand l'amour dans un coeur met toute sa tendresse... MOMUS. C'est avec ce beau nom qu'on cache sa faiblesse. JUPITER. S'il est quelque faiblesse à se laisser charmer, Que ne suis-je plus faible afin de mieux aimer ? Ou s'il faut souhaiter une chose impossible, Que ne suis-je moins Dieu pour être plus sensible ? Mais j'ai tort de parler à qui n'aima jamais : Ne combats plus ma flamme et sert-la désormais ; Momus tu tiens ici la place de Mercure. MOMUS. Oui grâce à vos bontés et ma gloire en murmure ; Votre ordre malgré moi m'employant en ce jour, Fait d'un censeur des Dieux un confident d'amour. JUPITER. C'est pour tromper Junon qu'aujourd'hui je t'emploie, Tu sais qu'incessamment elle trouble ma joie, Et du subtil Mercure appréhendant l'emploi, Il lui serait suspect s'il était près de moi. Ainsi... Mais j'aperçois Sémélé. MOMUS. Je vous laisse ; Un tiers est incommode auprès d'une maîtresse. SCÈNE II. Jupiter, Sémélé. JUPITER. Ma Princesse est-ce vous ? SÉMÉLÉ. Est-ce là mon amant ! JUPITER. Me méconnaissez-vous sous ce déguisement ? Avez-vous oublier le discours de l'aurore ? SÉMÉLÉ. Non, non, il m'en souvient, c'est le Dieu que j'adore ; Sous l'habit d'un berger il m'attend en ces lieux. JUPITER. Je trompe ainsi Junon et me cache à ses yeux : De son jaloux esprit la triste inquiétude À m'épier sans cesse applique son étude ; Mais voulant m'assurer mes plaisirs les plus doux... SÉMÉLÉ. Ah vous vous cachez moins pour Junon que pour vous : Vous aimez votre gloire, et vous craignez pour elle, Qu'on sache ce qu'un Dieu fait pour une mortelle. JUPITER. Moi craindre pour ma gloire un choix si glorieux ? Moi qui pour vous servir, abandonne les cieux ? Moi qui brûlant pour vous d'une ardeur sans seconde Néglige sans rougir la conduite du monde ? Moi qui montre à vos yeux un amant si charmé, Qu'il cesse d'être Dieu pour être plus aimé ? SÉMÉLÉ. Hé bien si votre amour est à couvert du blâme, Si vous prisez si fort l'honneur de votre flamme, Jupiter il est temps qu'elle paraisse au jour ; Il court de fâcheux bruits de ce secret amour, Et si votre ordre encor me condamne au silence, Cet amour va périr par mon obéissance : On presse mon hymen pour le Prince Alcméon ; J'oppose un autre amant, mais j'en cache le nom. Ce silence honteux où s'obstine mon âme, Au sentiment de tous cache une indigne flamme, Et tandis que ce feu n'osera voir le jour, Ma gloire est en péril ainsi que mon amour. JUPITER. Ne craignez rien ; Amour pour finir votre peine, Et par mon ordre exprès envoyé vers la Reine, Lui défend d'écouter un désir indiscret, Qui veut de votre flamme arracher le secret, Et par un autre choix tyranniser votre âme. SÉMÉLÉ. Tant de précautions à cacher votre flamme, Le respect de Junon, tous vos déguisements Ne m'apprennent pas trop quels sont vos sentiments. En effet, quand un Dieu se fait une maîtresse, Il doit aimer sans bruit, et cacher sa faiblesse ; Un Dieu doit s'épargner cette confusion ; Junon est trop à craindre en cette occasion, Et quoique le secret soit fatal à ma gloire, Qu'importe on en croira ce qu'on en voudra croire. Ce procédé n'est pas d'un véritable amant : Un Dieu qui craint les bruits aime bien faible ment. Pour moi je ne crains pas de dire qu'un Dieu m'aime. Donnez m'en la licence, ou je la prends moi-même. Contre un père en courroux, contre tout son pouvoir Je n'ai que cet aveu pour sauver mon devoir, Et je crois qu'un amour, dont mon âme est si fière, Est trop noble et trop beau pour craindre la lumière. Cependant avouez que j'aime plus que vous. Je le vois bien, les Dieux n'aiment pas tant que nous : Les Dieux n'ont pas le temps d'aimer comme on les aime, Le soin de votre gloire et l'amour de vous-même Vous peuvent-ils pour nous laisser quelques désirs ? Mais vous êtes vous seul ma gloire et mes plaisirs : Ainsi loin de cacher cette flamme divine ; J'en veux vanter partout l'adorable origine, Et faire voir partout un feu si glorieux. JUPITER. Et n'est-ce pas assez qu'il paraisse à vos yeux ? Un témoin comme moi suffit pour votre gloire. SÉMÉLÉ. Je veux que tout le monde apprenne ma victoire, Et ne croirai jamais qu'on m'aime tendrement, Si le grand Jupiter rougit du nom d'amant : Ma gloire en cet état est toujours imparfaite. JUPITER. Hé bien que tout le monde apprenne ma défaite :Il faut bien satisfaire à votre ambition ; Que mon amour éclate aussi loin que mon nom. SÉMÉLÉ. Après un tel aveu je brave la colère Des hommes et des Dieux, d'un amant et d'un père. Mais Alcméon paraît, tachons de l'éviter. JUPITER. Il faut voir le rival, qu'on donne à Jupiter. SCÈNE III. Jupiter, Sémélé, Alcméon. ALCMÉON. Ce beau berger est-il de votre confidence ? SÉMÉLÉ. Comment ? ALCMÉON. Je vous apporte un avis d'importance, Et n'ose devant lui... SÉMÉLÉ. Parlez ne craignez rien, Ou gardez votre avis, s'il rompt notre entretien. ALCMÉON. J'ai trop de l'interrompre ; et je vois bien Madame, Puisque vous lui fiez le secret de votre âme, Que c'est lui qui souvent vous attire en ces lieux. C'est donc là ce rival si fier, si glorieux ; Puis donc qu'on ne craint rien d'un témoin si fidèle, Apprenez le sujet d'une douleur mortelle. Malgré tous mes conseils, contre votre dessein, Le Roi vous veut contraindre à me donner la main, Et pour ce coup fatal marque cette journée. JUPITER, bas à Sémélé. Mes ordres sauront bien rompre cet Hyménée. SÉMÉLÉ, à Alcméon. Que me conseillez-vous sur cet ordre absolu ? Ou vous-même plutôt qu'avez-vous résolu ? Mon sort dépend de vous, faut-il que j'obéisse ? ALCMÉON. C'est à ce digne amant faire trop d'injustice, De prendre en ce besoin conseil de son rival. JUPITER. Ce conseil quel qu'il soit nous fera peu de mal. ALCMÉON. Hé quoi vous me braver ? JUPITER. Non j'aurais peu de gloire, De braver un rival quand il perd la victoire. ALCMÉON. C'est parler devant moi bien haut pour un berger. JUPITER. Des bergers comme moi le peuvent sans danger. ALCMÉON. Cette fierté m'étonne et je ne puis comprendre... JUPITER. On m'aime et ce seul mot suffit pour vous l'apprendre. ALCMÉON. Que vous sert cet amour quand j'ai l'aveu du Roi ? JUPITER. Que vous sert cet aveu, quand son coeur est à moi ! Quand on a comme moi la gloire de lui plaire... ALCMÉON. Quand on a qu'à combattre un berger téméraire... JUPITER. Je ne sais qui l'est plus du berger ou de vous. ALCMÉON. Ah c'en est trop. JUPITER. Calmez ce dangereux courroux. SÉMÉLÉ. Hé quoi contre un berger et même en ma présence Un Prince... JUPITER. Je réponds ici de sa clémence. ALCMÉON, portant la main sur la garde de son épée. Vous voyez qu'un berger me brave impunément, Et vous vous offensez de mon ressentiment ? C'est trop souffrir. SÉMÉLÉ. Ô Dieux ! JUPITER. Ne craignez rien Princesse. ALCMÉON. Quel charme sur mes bras jette tant de faiblesse ? JUPITER à Sémélé. Pouvez-vous pour un Dieu craindre quelque danger ? SÉMÉLÉ. Ma tendresse d'abord n'a rien vu qu'un berger. ALCMÉON. Ce prompt enchantement et ce charme invisible Me fait connaître enfin cet amant si terrible, Ce rival dont tantôt vous m'avez menacé. JUPITER. Oui Prince, c'est lui-même, et le charme est passé : J'ai pitié de l'état, où vous met trop d'audace : Amant de Sémélé vous méritez ma grâce. Au moins par cet essai connaissez mon pouvoir. ALCMÉON. Va ta pitié ne fait qu'aigrir mon désespoir, Injurieux rival, laisse moi ma faiblesse ; Accable un malheureux, ou me rend ma Princesse ; Tu me l'ôtes cruel, et ton charme trompeur Ainsi que sur mon bras a passé dans son coeur.Princesse ouvrez les yeux et voyez l'imposture D'un art affreux et noir, qui force la nature. Vous laissez-vous surprendre aux charmes d'un trompeur ? SÉMÉLÉ. Vous-même connaissez ce divin enchanteur, Qui sous les faibles traits d'un enfant de la terre, Cache le puissant Dieu qui lance le tonnerre. Admirez quel rival vous fait mon changement. ALCMÉON. Jupiter mon rival ! Dieux quel aveuglement ? SÉMÉLÉ, à Jupiter. Vous voyez... JUPITER à Sémélé. J'ai pitié de l'erreur qui l'abuse. ALCMÉON. Votre infidélité cherche en vain cette excuse. SÉMÉLÉ. Sans doute, et je rougis qu'un changement fatal Donne au Prince d'Argos un berger pour rival, Si la bonté d'un Dieu ne daigne vous absoudre, Craignez de le connaître à l'éclat de sa foudre. ALCMÉON. Plût au Ciel, qu'il voulut découvrir à mes yeux Par un coup de tonnerre, un choix si glorieux. Du moins en connaissant le Dieu qui me surmonte, Je mourrais avec joie, et vous perdrais sans honte ; Mais las ! Ce n'est pas lui, mais c'est vous que je crains La foudre est dans vos yeux, et non pas dans ses mains. Mais quoi l'air s'obscurcit et l'orage s'apprête... JUPITER. Quel changement soudain excite la tempête ? Quand je suis sur la terre, il tonne dans les cieux. ALCMÉON à Sémélé. Il tonne, et c'est ici le grand maître des Dieux. C'est à cet imposteur qu'il déclare la guerre. JUPITER à Sémélé.. Junon quand il lui plaît peut former le tonnerre, Elle est Reine des airs. ALCMÉON. Foudre tombe en ce lieu ; Ta gloire est de punir le fantôme d'un Dieu. JUPITER. Sans doute que Junon en veut à ma Princesse. SÉMÉLÉ. Sans doute qu'un faux charme abuse ma tendresse. JUPITER. Quoi vous doutez ? ALCMÉON à Sémélé. Voyez quel était votre erreur. JUPITER. Junon descend en terre ; évitons sa fureur. Nuages descendez, et qu'une épaisse nue La dérobe à sa rage et nous cache à sa vue. Une nue descend, qui ayant enveloppé Jupiter et Sémélé, remonte dans le Ciel. SCÈNE IV. Alcméon, Junon paraît dans un ciel orageux. ALCMÉON. Dissipez ce nuage, il est temps d'éclater, Tombez foudres, tombez sur un faux Jupiter. Grand Dieu venge ton nom usurpé par un traître. Mais quel est ce prodige, et que vois-je paraître ? C'est Junon elle-même avec la foudre en main. Pourquoi cet équipage, et quel est son dessein ? De ce faux Jupiter qui m'ôte ce que j'aime, Me vient-elle venger, ou se venger soi-même ? Bergers qui la voyez descendre dans ce bois, Pour hâtez son secours, prêtez-moi votre voix. Chanson. Reine des vents Maîtresse des tempêtes Épargnez nos champs et nos têtes, Et sur ce ravisseur tournez ce grand courroux, À ce triste mortel il ravit ce qu'il aime : Vous voyez sa douleur, vous savez par vous-même, Tout ce que souffre un coeur amoureux et jaloux. JUNON, en descendant sur le Théâtre. Tu me vois Alcméon au milieu des nuages Par un soin inutile exciter des orages, Et pour des vains efforts prêter à mon courroux, Ces traits que j'ai surpris à mon perfide époux. Jupiter à mes yeux dérobe son amante ; Son amour tout puissant, rend ma haine impuissante. Vents, tempêtes, éclairs, enfants de ma fureur, Qui ne semez ici qu'une vaine terreur, Évanouissez-vous : l'artifice et l'adresse Vengeront mieux que vous ma gloire et ma faiblesse. Junon étant descendue. Toi Prince d'Argos approche et n'appréhende rien, Nos malheurs sont communs et ton sort est le mien : Une ingrate Princesse à ta flamme infidèle, Triomphe d'un mortel, et brave une immortelle, Et sa fière beauté par un malheur fatal Rend Jupiter perfide, et le fait ton rival. ALCMÉON. Jupiter mon rival ? Que dites-vous Déesse ? Le rival dont j'osais mépriser la faiblesse, Lui qui comme un berger se montrait à mes yeux, Ce rival est un Dieu le plus puissant des Dieux ? J'espérais éclaircir cette étrange aventure, Pour convaincre un rival d'une lâche imposture, C'était là tout l'espoir dont j'osais me flatter, Et dans cet imposteur je trouve Jupiter ? Vous deviez prévenir ces mortelles alarmes : Avec tant de puissance, avec tant de charmes, Déesse ignorez-vous l'art de vous faire aimer ? Et que vous manque-t-il pour plaire et pour charmer ? JUNON. Mais Prince le moyen que ma beauté l'arrête Ce Dieu qui va toujours de conquête en con quête. Rien ne saurait borner ses glorieux soupirs, Quel objet peut borner de si vastes désirs. Pour consoler ma gloire et toute ma tendresse, Tâchons adroitement de perdre sa Maîtresse ; Sue sa fière beauté par de secrets moyens Je m'apprête à venger tes feux comme les miens. Jusqu'ici j'ai voulu par une guerre ouverte, Par de honteux éclats, entreprendre sa perte ; Mais le grand Jupiter est plus puissant que moi. Pour la perdre en secret... D'où te vient cet effroi ? Tremble-tu des périls d'une ingrate Princesse ? ALCMÉON. Toute ingrate qu'elle est excusez ma faiblesse : J'ai pour sa trahison une secrète horreur, Et l'amour toutefois règne encor dans mon coeur. JUNON. J'ai donc tort de venir avec tant d'imprudence, Te fier le secret d'une juste vengeance. Gardant pour ma rivale un sentiment si doux, Ta faiblesse contre elle augmente mon courroux. ALCMÉON. Regardez ma Princesse avec moins de colère : Qu'a-t-elle fait enfin qui puisse vous déplaire ? Aux tendresses d'un Dieu peut-elle résister. Que suis-je, hélas que suis-je auprès de Jupiter ? JUNON. Sous ces belles couleurs couvre ton infamie, Pour mériter ma haine aime mon ennemie. ALCMÉON. Hé bien sauvez mon coeur de cette lâcheté : Je voudrais bien haïr cette ingrate beauté ; Mais puisque sur mes sens elle est trop souveraine, Pour venger mon amour, prêtez-moi votre haine ; Si je ne sais qu'aimer, haïssez-la pour moi. JUNON. Tu seras satisfait et c'est là mon emploi. Je sais l'art de haïr sans remords et sans haine. Si l'amour à ses Dieux je le suis pour la haine. Pour faire agir la mienne avec plus de bonheur, Et mettre en sûreté mon nom et mon honneur, Sous des traits déguisés abusant ta Princesse... Mais je t'en dirais trop et je crains ta faiblesse : Je t'instruirai de tout avant la fin du jour. Adieu je vais venger ma gloire et ton amour. ACTE III SCÈNE I. Jupiter, Sémélé, Momus. La scène est dans un jardin enchanté. Jupiter et Sémélé descendent dans une nue. JUPITER. Vous n'avez rien à craindre ici belle Princesse. À Momus. Toi, tâche d'observer la jalouse Déesse : Surtout cache-lui bien cet asile secret. MOMUS, bas en s'en allant. J'obéirai fort mal s'il faut être discret. JUPITER. Hé bien ces grands essais d'amour et de puissance Vous laissent-ils encor dans quelque défiance ? Doutez-vous de mon nom ? Ce merveilleux séjour, Et ces lieux enchantés qu'a produit mon amour, Sont-ils de ma grandeur un faible témoignage ? Vous voyez au milieu d'une forêt sauvage, Naître par un miracle aussi rare que beau, D'un amas de beautés le spectacle nouveau. Ces lieux quand vous voudrez vous offrent un asile, Pour vous comme l'accès l'issue en est facile. Ici loin de Junon, et loin de votre Cour, Et sans autres témoins que les yeux de l'Amour, Nous goûterons tous deux tout ce que dans les âmes Répandent de douceurs les plus heureuses flammes, Tout ce que font sentir de joie et de plaisirs, Le commerce amoureux des yeux et des soupirs, Les combats d'amitié, de soins, de déférences, Les flatteurs entretiens, les tendres confidences, Ces beaux emportements de l'esprit et du coeur, Ces charmes composés de flamme, et de langueur, Les doux égarements, les aimables faiblesses, Les extases d'amour, les transports, les tendresses, Tout ce qui peut enfin nous flatter tour à tour, Quand on se donne tout au pouvoir de l'Amour. SÉMÉLÉ. Ah ! Que de ces discours la divine éloquence, Du Dieu dont je doutais me fait voir la présence ! Vous êtes Jupiter, mon doute est éclairci, Et les Dieux seulement peuvent parler ainsi. Autrefois d'un mortel j'ai ressenti la flamme ; Mais ce n'est pas ainsi qu'il régnait dans mon âme : Je sens bien d'autres feux, et des traits plus puissants, Un coup d'oeil vous rend maître, et des coeurs et des sens, Et cette liberté notre unique avantage, De vos divines mains le présent et l'ouvrage, Pour entrer dans vos fers trouve un penchant si doux, Qu'on voit bien que nos coeurs s'entendent avec vous. JUPITER. Si ma divinité vous paraît si présente, Je dois vous en donner une marque éclatante. Je veux que dans ces lieux le comble des plaisirs, Par un charme éternel remplisse vos désirs ; Le ciel respectera ce précieux asile ; Vous y respirerai un air pur et tranquille, Que rien ne troublera que vos tendres soupirs, Et le souffle amoureux des aimables Zéphyrs ; Ici chaque saison vous donnera des roses, Les plus charmantes fleurs, et les plus belles choses, Et pour n'y rendre pas nos plaisirs limités Chaque jour produira de nouvelles beautés ; La Mère des Plaisirs vous y suivra sans cesse, Cette source d'appas, la brillante Jeunesse, Répandra sur vos jours un éternel printemps, Et les affranchira de la fureur des ans ; Mille Ris, mille Jeux, et leur charmante Mère, N'y prendront d'autre soin que celui de vous plaire ; Vous y verrez toujours les plus jeunes Amours, Et tout ce qu'avec eux amènent les beaux jours ; C'est ici que nos coeurs aimeront sans contrainte, Jouiront sans dégoût, posséderont sans crainte, Et ce qui plus que tout doit flatter vos désirs, C'est un Dieu tout-puissant qui promet ces plaisirs. SÉMÉLÉ. Que de biens à la fois ! Mais hélas ! Leur durée. N'en sera-t-elle point courte et mal assurée ? Ces plaisirs qui seront les fruits de votre amour, Suivront-ils le destin de qui les met au jour ? L'amour n'est pas pour vous un tribut nécessaire, Vous êtes de ses lois esclave volontaire, Un Dieu n'aime qu'autant qu'il se laisse enflammer, Et qui peut n'aimer pas, cesse bientôt d'aimer. Pardonnez-moi de grâce un peu de défiance ; Tant de biens pour jamais ont si peu d'apparence, Que j'ai trop de sujet de craindre un changement. JUPITER. Que vous connaissez mal le coeur de votre amant ! Son ardeur pour s'éteindre est trop grande et trop belle ; Dans un coeur immortel l'amour est immortelle, Et ce feu dont vos yeux sont la source et l'appui, Doit s'il enflamme un Dieu durer autant que lui.Souffrez pour un moment qu'en ces lieux je vous laisse ; Mon destin me l'ordonne et mon devoir me presse ; Mais songez quand je rends mes soins à l'univers, Qu'un Empire si beau me plaît moins que vos fers. SÉMÉLÉ. Faites votre devoir, grand Dieu vous devez croire Que je vous aime trop pour trahir votre gloire. Mais du plus haut des cieux dans ce divin emploi Laissez tomber au moins quelque regard sur moi. JUPITER. Je dois à l'univers les soins de ma sagesse, Et ceux de mon amour sont tous à ma Princesse. Mais avant que quitter ce jardin enchanté Je vais voir si Momus pour votre sûreté Veille sur la déesse, et le prier encore D'éloigner ses regards de celle que j'adore. Ah ! Que je veux de mal Princesse à ma grandeur ! Hélas si j'en croyais et mes yeux et mon coeur, Je laisserais le Ciel sans maître et sans conduite : Ma gloire ne se peut sauver que par la fuite. Vous cependant, Vénus, plaisirs jeunesse amour Venez prendre ma place attendant mon retour. SCÈNE II. Sémélé, Vénus descend du ciel dans son char, accompagnée de deux amours, et chante en descendant. VÉNUS. Princesse on ne voit rien de charmant et de doux, Qui ne se rendent auprès de vous : Rien ne peut égaler votre bonheur extrême ; Un Dieu prend soin de vos plaisirs, Que ne fera-t-il point pour remplir vos désirs ? Il peut tout et vous aime. SÉMÉLÉ. Que de beautés ensemble et de rares merveilles Enchantent à la fois mes yeux et mes oreilles ! C'est la mère d'amour qui descend en ce lieu, Et me vient consoler de l'absence d'un Dieu. VÉNUS, dans son char. Digne sang de ma fille, et digne de la pomme, Que je reçus jadis de la faveur d'un homme, Je viens à tant d'appas joindre un nouveau secours : Jupiter est volage et je crains pour ta gloire, Pour t'assurer cette grande victoire, Je viens à ta beauté prêter ces deux amours. Ils ont ordre tous deux de t'obéir sans cesse : L'un comme étant un Dieu de flamme et de tendresse, Doit d'un amour constant embraser ton vainqueur ; L'autre te doit armer d'un charme inévitable ; L'un fait aimer, et l'autre rend aimable, L'un ira dans tes yeux, et l'autre dans son coeur. Les deux amours descendent auprès de Sémélé. SÉMÉLÉ. Ah ! Que de votre part tant d'heur et de puissance, Prouve bien clairement l'honneur de ma naissance. VÉNUS. Mais ce n'est pas assez du glorieux secours Que te promettent ces amours ; Tu vas voir dans ces lieux la charmante déesse, La mère des amours l'immortelle jeunesse, Te suivre incessamment dans cet heureux séjour. Elle vient, c'est assez d'elle je me retire ; Je la laisse auprès de toi, ma fille et c'est tout dire, Je laisse auprès de toi la jeunesse et l'amour. SCÈNE III. La Jeunesse, Sémélé, deux Amours. Vénus remonte au ciel tandis que la Jeunesse descend dans un char avec une couronne de fleurs à la main. LA JEUNESSE. Par ce même pouvoir, que vient de faire naître Tout ce que dans ces lieux Jupiter fait paraître, Je viens ici Princesse exécuter ses lois. C'est par son ordre exprès et par son propre choix, Que ma main de ces fleurs a fait une Couronne, C'est par son ordre aussi que ma main vous la donne. Tout ce que sur ce teint le Ciel a mis de fleurs, Et tout ce que j'y mets de brillantes couleurs, Conservera toujours ces grâces naturelles À l'ombre et sous l'abri de ces fleurs immortelles. Le temps ce vieux tyran de toutes les beautés N'eut jamais droit d'entrer dans ces lieux respectés, Et s'il règne partout sur tout ce qui respire, Il perdra près de vous ses droits et son Empire ; Sans cesse malgré lui je veux suivre vos pas. Vous venez rendre hommage à ses divins appas, Plaisirs, venez ici mes compagnons fidèles, Et faites votre Cour à la Reine des belles. Les plaisirs descendent des quatre coins du Théâtre. Les Plaisirs avec la Jeunesse dansent une entrée de ballet devant Sémélé, et les deux amours se mêlent à leur danse. LA JEUNESSE, après avoir dansé. Voilà le faible essai de vos contentements ; Vous aurez dans tous les moments Ou de nouveaux plaisirs ou des beautés pareilles. Commandez ; vous avez un plein pouvoir sur nous : Mais attendez encor de plus grandes merveilles De ces puissants amours, que je laisse avec vous. La Jeunesse remonte au Ciel, suivie des Plaisirs. SÉMÉLÉ, aux deux amours. Vous donc divins enfants, dont la seule puissance Peut d'un bonheur sans borne affermir l'espérance, Pour élever ma gloire au comble de mes voeux, Rendez un Dieu constant, comme il est amoureux, Mais quel nouvel éclat vient augmenter ma joie ? C'est Mercure, c'est lui que Jupiter m'envoie. SCÈNE IV. Junon déguisée en Mercure, Sémélé, deux Amours. JUNON. Oui je viens de sa part vous tirer d'une erreur, Qui vous livre aux désirs d'un infâme imposteur. Un amant qui se cache et qui n'ose paraître Se nomme Jupiter et se vante de l'être ; L'Enfer prête à sa flamme un merveilleux pouvoir, Et tout ce qu'en ces lieux ces charmes vous font voir N'est qu'une illusion d'images empruntées, Et le pompeux amas de beautés enchantées SÉMÉLÉ. Est-ce vous que j'entends, Mercure ? Quoi Vénus L'Aurore, et d'autres Dieux si grands et si connus, Ont-ils autorisé cette lâche imposture ? Contre leur témoignage en croirai-je Mercure ? JUNON. Non non n'en croyez pas le fils de Jupiter, De cette douce erreur vous devez vous flatter ; Mettez dans votre esprit cette belle chimère ; Dites, pour vous tromper que je trompe mon père : Puisque Europe autrefois eut de quoi le charmer, Vous êtes de son sang, il peut bien vous aimer ; Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il aime des mortelles, Et l'on peut vous compter au nombre des plus belles ; Tout le Ciel a-t-il rien, qu'on vous peut comparer ? Jupiter à Junon vous a dû préférer : Elle est Reine du monde, elle est belle et déesse ; Mais enfin elle est femme et vous êtes maîtresse : Ce beau nom vous suffit et c'est assez pour vous De vaincre une déesse aux yeux de son époux. J'ai pitié d'un orgueil si faible et si crédule, Et pour détruire enfin une erreur ridicule, Qui du grand Jupiter mérite le courroux, Fantômes décevants évanouissez-vous. Hé bien m'en croirez-vous ? Le jardin enchanté disparaît et le parc revient. SÉMÉLÉ. Ah surprise mortelle, J'ai pris pour Jupiter un fourbe un infidèle. JUNON. Voilà de votre orgueil la vaine illusion. SÉMÉLÉ. Vous me couvrez de honte et de confusion. Quoi cet amour d'un Dieu, cette illustre aventure, Quoi tout ce que j'ai vu n'était qu'une illusion ? Voici ces mêmes lieux où ce perfide amant Sema tous les appas d'un long enchantement, Ou de grand amas de plaisirs et de gloire, À peine en reste-t-il une ombre en ma mémoire ; Abandonnez ces lieux infidèles amours, Contre un faux Jupiter ridicule secours, Allez qu'à d'autres soins votre pouvoir s'applique ; Enfin d'une Vénus trompeuse et chimérique. UN DES AMOURS. Nous t'allons obéir, mais s'il faut te quitter Princesse écoute au moins ce fidèle langage. Cet envoyé de Jupiter T'abuse par un faux message : Ce feint ou vrai Mercure est lui-même un trompeur ; Sache que ce n'est point un imposteur qui t'aime, C'est Jupiter lui-même.Nul ne sait mieux que moi le secret de son coeur. Les deux Amours s'envolent. SCÈNE V. Sémélé, Junon. SÉMÉLÉ. Quelle est cette étonnante et bizarre aventure ? Et qui croirai-je enfin d'amour ou de Mercure ? JUNON. Princesse en doutez-vous ! SÉMÉLÉ. Puis-je n'en pas douter ? JUNON. L'en croyez-vous sitôt qu'il se vante de l'être ? Ces yeux à qui l'amour doit le nom de vainqueur N'ont garde de douter d'un si charmant honneur ; Vous pourriez toutefois, sachant ce que vous êtes Prendre d'autres garants pour de telles conquêtes. Mais n'en croyez ici Mercure ni l'amour, Et dans ces lieux suspects craignez quelque faux jour. Que ce Dieu supposé si grand en apparence Vous fasse un digne essai de sa toute puissance ; Qu'il descende du Ciel avec la foudre en main, Avec tout l'appareil du pouvoir souverain, Et tel qu'il est enfin quand pour plaire à sa femme, Il s'offre tout brillant de lumière et de flamme. C'est comme cet amant se doit montrer à vous. SÉMÉLÉ. Oui sans doute il me doit un spectacle si doux : C'est ainsi qu'à mes yeux cet amant doit paraître ; S'il n'est pas Jupiter, il est digne de l'être. Grâce à votre avis, j'ai trouvé le moyen D'éclaircir pleinement son dessein et le mien ; Mais c'est trop s'amuser, cette longue retraite Peut trouver dans la Cour un mauvais interprète. Cependant allez dire à votre Jupiter, Que si de son amour mon coeur s'ose flatter Je ne puis consentir à perdre tant de gloire ; Votre nom vos discours m'obligent de vous croire ; Mais il faut que l'essai, dont vous êtes l'auteur Me montre clairement que j'aime un imposteur. SCÈNE VI. JUNON, seule. Va ce fatal essai te coûtera la vie ; Tu mourras ma rivale et ma rage assouvie... Mais j'aperçois Momus. SCÈNE VII. Junon, Momus. MOMUS. Ah ? Mercure est-ce toi ? Viens-tu pour mon honneur reprendre ton emploi ? Tu sais quelles raisons m'ont fait prendre ta place ; Mais j'aime mon métier, et le tien m'embarrasse. Il faut pour ce commerce un confident discret, Et je suis fort mal propre à garder un secret. De l'emploi de censeur, je ne puis me défaire : Mon métier vaut celui de Jupiter ton père : Qu'il dispose de tout, qu'il règne dans les Cieux, Qu'il gouverne à son gré les hommes et les Dieux, Il a droit de tout faire, et j'ai droit de tout dire ; Il est armé de foudre, et moi de la satire : L'empire d'un censeur va plus loin que le sien ; Il épargne les Dieux, et je n'épargne rien : Quand je puis censurer selon ma fantaisie, C'est un plaisir qui vaut toute notre ambroisie. Toi qui fais vanité de plaire et de flatter ; Toi qui trahis Junon pour servir Jupiter... Mais tu rêves, d'où vient un si morne silence À l'orateur des Dieux ; au Dieu de l'éloquence ? JUNON. Ah ? Momus connais mieux sous ces traits supposés, Celle qui se déguise à tes yeux abusés ; Tu vois ici Junon sous ce nouveau visage. MOMUS. Je viens de vous laisser dans un autre équipage, La maîtresse des Dieux se déguiser ainsi ? Je blâmais Jupiter et je vous blâme aussi. C'est sans doute un effet de votre jalousie. JUNON. Toi qui sais les transports de cette frénésie, Pourquoi m'as-tu fait voir en ami peu discret, (Par zèle ou par chagrin) cet asile secret, Que Jupiter exprès a fait pour sa maîtresse ? MOMUS. Je ne puis rien cacher, c'est mon faible Déesse. D'ailleurs si de ce Dieu j'évente le secret, C'est un juste dépit qui me rend indiscret ; Quand pour servir sa flamme on m'érige en Mercure, Je trahis son amour pour venger mon injure. JUNON. Et j'ai su profiter d'un secret éventé, Faisant évanouir le jardin enchanté, Et trompant Sémélé dessous cette apparence, Elle croit mes avis, les suit sans défiance, Et de ces faux conseils ignorant le danger... MOMUS. Quoi toujours dans l'esprit le soin de vous venger ? JUNON. Verrai-je sans courroux ces amours infidèles, Et tout mon bien en proie à des beautés mortelles ? MOMUS. Et ne savez-vous pas Déesse qu'un grand Dieu Ne saurait s'empêcher d'aimer en plus d'un lieu ? Qu'ayant un riche fonds de tendresse et de flamme, Il en peut dérober quelque part à sa femme. Voulez-vous tout pour vous, tout son temps, tous ses soins ? Pour être un peu galant vous en aime-t-il moins ? Croyez-moi, laissez-lui ces ardeurs passagères, Cette courte inconstance, et ces flammes légères : Les beautés de la terre avec tous leurs appas Amusent Jupiter, et ne l'arrêtent pas. JUNON. Quoi le censeur des Dieux excuse un infidèle ? MOMUS. Je me lasse d'ouïr cette vieille querelle, Ce courroux importun qui trouble tous les Cieux, Et dont vous fatiguez les hommes et les Dieux. JUNON. En effet je rougis de l'ardeur qui m'emporte ; Va dire à Jupiter que ma fureur est morte : Mais cache-lui l'état où tu trouves Junon ; Adieu je vais reprendre et mon char et mon nom. MOMUS. Je vous serai fidèle, et je saurai me taire, Elle a beau déguiser sa haine et sa colère ; Elle m'en a trop dit pour cacher son courroux. Allons de sa vengeance avertir son époux : Si j'offense Junon, que ne se souvient-elle Que j'ai pour le secret une haine mortelle ? ACTE IV SCÈNE I. La Décoration du théâtre est composée d'un Portique magnifique, et du Temple d'Hyménée. SÉMÉLÉ. STANCES. Cesse de m'abuser espérance orgueilleuse ; Je ne vois plus le Dieu qui règne dans mon coeur, Il se cache cet imposteur, Qui flattait de mes feux l'erreur ambitieuse. Hélas ! Faut-il cesser d'aimer en si beau lieu ? Quelque choix, quelque amant que mon destin m'apprête, La plus précieuse conquête, L'est moins que l'erreur de posséder un Dieu. Cher Prince, dont l'amour fut si pure et si tendre, Toi que j'abandonnai par l'espoir seulement, D'avoir un Dieu pour mon amant, Ne m'offre plus un coeur que je ne puis reprendre, Après avoir flatté l'orgueil de mes désirs. De la flamme d'un Dieu que je crus véritable, Après cet espoir adorable, Peut-on s'accoutumer à de moindres soupirs ? Je te plains, Alcméon, et ce reste de flamme, Te fait voir le remords d'un changement fatal : Mais enfin tu sais quel rival, Ou plutôt quel orgueil t'a chassé de mon âme. Tu devais de ma flamme attendre un prompt retour, Après avoir guéri l'erreur de ma tendresse ; Mais la gloire est une maîtresse, Qui veut être obéie aussi bien que l'Amour. Je l'entends cette gloire incessamment me dire, Qu'un coeur qui s'est flatté jusques à se vanter, D'enchaîner le grand Jupiter, Ne doit plus d'un mortel reconnaître l'empire. Il est vrai que l'Amour à demi révolté, Honteux de son erreur d'un ton plus favorable, Parle pour un Prince adorable, Et ce tendre discours étonne ma fierté. Soutiens ce mouvement que l'amour autorise, Prince pour toi je laisse échapper des soupirs, Et parmi de faibles désirs, Je te prête un secours dont la gloire est surprise. Ménage le moment de ce tendre retour, Et pour ne laisser plus balancer la victoire, Ne laisse plus parler la gloire, Et l'ai presque oubliée en faveur de l'amour. SCÈNE II. Sémélé, Dircé. SÉMÉLÉ. Viens, Dircé, viens calmer le trouble de mon âme ; Je consultais ici mon orgueil et ma flamme, Et mon coeur partagé combattait tour à tour, Tout ce que me disait ma gloire et mon amour. Tu sais ce que je dois au rapport de Mercure, Et d'un faux Jupiter la fatale aventure. Le fidèle Alcméon en secret dans mon coeur, Me demande un amour qu'usurpe un imposteur : Ce coeur tout indigné me presse de le rendre ; Mais ma gloire aussitôt semble me le défendre, Et je sens de l'orgueil l'impérieuse loi, Prendre, malgré l'amour, trop de pouvoir sur moi. DIRCÉ. Quel est donc cet orgueil, Madame, qu'il s'explique, Lui, qui parle si fort pour un Dieu chimérique. La gloire défend-elle à ce coeur abusé, De préférer un Prince à ce Dieu supposé ? SÉMÉLÉ. La gloire permet-elle à ma flamme trompée, Qui de l'espoir d'un Dieu s'était préoccupée, D'accepter un mortel, et par ce changement, Faire éclater ma honte et mon aveuglement ? DIRCÉ. Mais d'un scrupule vain votre gloire est gênée : On vient d'ouvrir pour vous le temple d'Hyménée. SÉMÉLÉ. Ah ! Dircé, c'est ici qu'un scrupule si fort, Pour révolter mon coeur redouble son effort. Quoi j'aurais dit partout que c'est un Dieu que j'aime, Et je pourrais tomber dans cette honte extrême, D'avouer que j'ai feint d'aimer en si haut lieu, Ou dans la lâcheté d'abandonner un Dieu ? Non je dirai toujours que Jupiter m'adore. Je l'ai dit, je l'ai cru, je le veux croire encore. Peut-être que Mercure avec un faux rapport... Mais le Prince paraît, je tremble à son abord. Glorieux sentiments, dont je suis idolâtre, Ramassez votre force, on vient pour vous combattre ; Ne vous démentez point, épargnez à mon front, La honte qui suivrait un changement si prompt. SCÈNE III. Alcméon, Sémélé, Dircé. ALCMÉON. Madame vous savez l'ordre de votre père : Pardonnez si l'ardeur d'un amour téméraire, Se laissant emporter au dernier désespoir, Abuse contre vous du souverain pouvoir. Je me suis dit cent fois en secret, à moi-même, Qu'il faut cesser d'aimer quand Jupiter vous aime, Et que d'un faible amant le sort trop inégal, Doit trembler près d'un Dieu qui s'est fait mon rival. Toutefois je ne puis lui céder ma Princesse, Et quand trop de puissance étonne ma faiblesse, À ma flamme en secret je prête cet appui, Il peut tout, il est Dieu, mais j'aime plus que lui, Et s'il faut à son rang céder tout l'avantage, Quiconque a plus d'amour mérite davantage. SÉMÉLÉ. Qui vous fait présumer qu'il aime moins que vous ? Mais je veux que son coeur ne soit pas tout à nous, Je veux que d'autres soins occupent sa mémoire ; Un regard que pour nous il dérobe à sa gloire, Un penser détourné des soins de sa grandeur, Un seul soupir vaut plus que toute votre ardeur. ALCMÉON. Ah ! Princesse, l'amour parle un autre langage ; La seule ambition touche votre courage. SÉMÉLÉ. Quoi le grand Jupiter, un si parfait amant, Ne peut-il d'un coeur tendre être aimé tendrement ? ALCMÉON. Peut-on l'aimer ainsi si son coeur est volage ? SÉMÉLÉ. Il suffit un moment d'avoir cet avantage : Ce moment glorieux répand sur l'avenir L'éternelle douceur d'un si beau souvenir. Je vous perds à regret, et mon coeur en soupire ; Je sais que votre hymen me promet un Empire ; Mais l'hommage d'un Dieu, fût-il d'un seul moment, Vaut cent trônes offerts des mains d'un autre amant. ALCMÉON. Poussez jusques au bout cette belle maxime : Ce digne emportement rend le mien légitime ; Méprisez le pouvoir et d'un père et d'un Roi ; Faites tout pour ce Dieu, je ferai tout pour moi. SÉMÉLÉ. Quoi ne voyez-vous pas le Dieu qui vous menace ? ALCMÉON. Je crains peu son courroux, si vous me faites grâce. SÉMÉLÉ. C'est vous perdre, Seigneur, que de vous secourir. ALCMÉON. N'importe, je ne veux que vous seule et mourir. Que Jupiter éclate et me réduise en poudre, Que je tombe à vos pieds, et par un coup de foudre, Puis-je me réserver pour un plus digne autel ? Dois-je échapper aux coups de ce bras immortel ? Pour le moins, puisqu'enfin il faut que je périsse, Je puis faire à vos yeux un si grand sacrifice, Que le plus grand des Dieux en doit être jaloux. SÉMÉLÉ. Que pouvez-vous pour moi ? ALCMÉON. Je puis mourir pour vous, Et rien ne vaut aux yeux de mon amour fidèle, La gloire d'une mort dont la cause est si belle : Ce Dieu pour qui je vois qu'on veut m'abandonner, A-t-il du sang à perdre, une vie à donner ? Et si vous demander et son sang et sa vie, Votre Dieu pourrait-il contenter votre envie ? SÉMÉLÉ. Vivez, Prince, vivez, et peut-être qu'un jour... ALCMÉON. Et peut-être est-ce là l'espoir de mon amour ? Après que Jupiter à vos voeux infidèle, Aura mis dans son coeur un flamme nouvelle, Peut-être alors que vos voeux ne seront que pour moi. Non, non cruelle, il faut suivre l'ordre du Roi ; Je veux absolument achever l'hyménée. SCÈNE IV. La Reine, Sémélé, Alcméon, Dircé. LA REINE. En vain auprès du Roi ma tendresse obstinée, A tâché de combattre un hymen résolu ; Il faut aller au temple, et l'ordre est absolu. Esclave de la foi, dont il fait son idole, Il croit devoir aux Dieux bien moins que sa parole, Et sans considérer un Dieu fier et jaloux, Pour tenir sa promesse, il brave son courroux. Mais que prétendez-vous, Alcméon ? ALCMÉON. Ah ! Madame, Je connais tout entier le malheur de ma flamme : Mais dans mon désespoir contre la trahison, Je ne connais ni Dieu, ni conseil, ni raison. Résister contre un Dieu c'est une audace extrême ; Mais enfin qu'ai-je à craindre en perdant ce que j'aime ? Si je lui cédait tout, par la peur de périr, Il me laisserait vivre, et je cherche à mourir. LA REINE. Perdez, Prince, perdez cette funeste envie ; Conservez pour le trône une si belle vie ; Souffrez que Jupiter... ALCMÉON. Que me demandez-vous ? En gardant Sémélé sera-t-il son époux ?Je sais bien que ce Dieu consacre ce qu'il aime, Qu'au sang de votre fille il s'attache lui-même ; Mais préférez-vous de légères amours, Aux ardeurs d'un mortel qui dureront toujours ? SÉMÉLÉ. Mais enfin que ce Dieu soit constant ou volage, Je l'aime, je l'adore, en faut-il davantage ? Je le répète encor, n'aimait-il qu'un moment, Le plus fidèle époux vaut moins que cet amant. Au moins, s'il me trahit, si je perds ma victoire, Je sais plus d'un moyen pour conserver ma gloire, Et c'est trop pour venger mes voeux humiliés, De voir un seul moment Jupiter à mes pieds. LA REINE. Prince vous la voyez pleine de cette idée, De l'orgueil de son choix tellement possédée, Qu'il n'est point de mortel, qu'elle veuille écouter, Ni peut-être de Dieu s'il n'est pas Jupiter. Laissez à sa fierté ces biens imaginaires, Ces nobles visions, ces brillantes chimères. Vous, portez autre part vos amoureux désirs, L'ingrate ne veut pas l'honneur de vos soupirs ; Retirez votre coeur des mains d'une infidèle. ALCMÉON. Je vois dans vos conseils plus d'orgueil que de zèle. Votre fille n'agit que par vos mouvements, Elle a tout votre coeur, et tous vos sentiments. Vous croyez que le sang d'une race divine, A droit de remonter jusqu'à son origine, Et que sans voir l'abîme, où l'orgueil la conduit, Il est beau de tomber, quand on tombe avec bruit. Le Roi... mais il s'avance. SCÈNE V. Le Roi, La Reine, Alcméon, Sémélé, Dircé, Suite. LE ROI. Hé bien se rendra-t-elle, Cette âme ambitieuse à mes lois si rebelle ! Croit-elle que le nom de souverain des Dieux, Que ce nom éclatant ait ébloui mes yeux ? Je n'examine point si c'est histoire ou fable, Et si son Jupiter est feint ou véritable. Quoi qu'il en soit, il peut user de son pouvoir ; Mais non pas m'empêcher de faire mon devoir. Venez, Seigneur, suivez, et vous aussi Princesse ; Allons dedans ce Temple accomplir ma promesse. SÉMÉLÉ. Que faites-vous, Seigneur, j'embrasse vos genoux. LA REINE. C'est tout perdre, Seigneur, et j'en tremble pour vous. SÉMÉLÉ. Voulez-vous irriter le maître du tonnerre ? LA REINE. Lui préférez-vous un amant de la terre ? SÉMÉLÉ. Vous devez à ses lois bien plus qu'à votre foi. LA REINE. Un Dieu peut dégager la parole d'un Roi. SÉMÉLÉ. Par lui votre grandeur doit être sans seconde. LA REINE. Par lui Thèbes sera la maîtresse du monde. LE ROI. Esprits ambitieux que vous connaissez mal, Le péril d'un amour qui vous sera fatal ! Et ne savez-vous pas que les Dieux infidèles, Au gré de leurs désirs, se jouent des mortelles, Et que l'illusion d'un orgueil abusé, D'un mortel quelquefois fait un Dieu supposé ? Allons sans plus tarder au temple d'Hyménée, De ce Prince à la vôtre unir la destinée. SCÈNE VI. L'Hyménée, Le Roi, La Reine, Alcméon, Sémélé. L'HYMÉNÉE, paraît à l'ouverture du Temple, et dit au Roi. N'attend rien de l'Hymen, ni du reste des Dieux, Le Ciel a pour toi tant de haine, Que je me vois forcé d'abandonner ces lieux, Par le commandement d'une loi souveraine. L'Hyménée s'envole et à même temps. L'Antre de la Jalousie paraît à la place du Temple. LE ROI. Que vois-je, justes Dieux, quel est ce grand courroux ? Et le Temple, et le Dieu, tout s'enfuit devant nous. Et je vois à leur place un horrible spectacle. Dieux que m'annoncez-vous par cet affreux miracle ! ALCMÉON. Votre perte et la mienne, il n'en faut plus douter : Des coups si surprenants partent de Jupiter. Je vous l'ai déjà dit, c'est Jupiter lui-même, Qui veut par ses efforts m'arracher ce que j'aime. Sortons, Seigneur, sortons de ces lieux pleins d'effroi ; Hélas ! Je ne vaux pas le trouble où je vous vois. De plus heureux destins attendent la Princesse. LE ROI. Je crains peu ces horreurs, et je suis sans faiblesse. Jupiter à son gré, ce fameux ravisseur, Peut enlever ma fille aussi bien que ma soeur ; Mais que d'un Dieu tyran la fureur obstinée, S'oppose injustement à ce juste hyménée, Je tiendrai ma parole, et j'irai jusqu'au bout. LA REINE. Vous obstinerez-vous contre un Dieu qui peut tout ? Voyez encor l'enfer pour rompre votre envie, De ce fonds ténébreux vomir une furie, Fuyons Seigneur. LE ROI. Fuyons en d'autres lieux, Achever cet hymen, et chercher d'autres Dieux. SCÈNE VII. La Jalousie, Le Roi, La Reine, Sémélé. La Jalousie sort d'un abîme qui s'ouvre dans le fonds de l'Antre. LA JALOUSIE. Arrête, père aveugle, où mènes-tu ta fille ? Ce malheureux hymen va perdre ta famille. Au lieu de l'Amitié, de l'Honneur, de la Foi, Qui doivent assister à l'heureux hyménée, Pour unir cet amant à cette infortunée, Tu n'auras d'autres Dieux que moi. Je suis la noire Jalousie, Qui puis quand je le veux par un poison fatal, Des plus heureux amants brouiller la fantaisie : Crains pour tous deux le fléau de l'amour conjugal. Adieu, je vais semer mille et mille querelles, Chez les amants les plus fidèles. La Jalousie s'envole dans les airs. SCÈNE VIII. Le Roi, La Reine, etc. LA REINE. Vous le voyez Seigneur tout parle contre vous. LE ROI. Non non, et tous les Dieux ne sont pas contre nous ; C'est de son imposteur le dernier artifice ; De ces illusions l'enfer est le complice. Qu'il arme encor s'il peut le Ciel contre mon choix : La parole et l'honneur sont les Dieux des grands Rois. Mais il nous reste encore notre grande Déesse. C'est à toi seule enfin Pallas, que je m'adresse, Pour unir ces amants prête-nous tes Autels, Et redouble l'ardeur de tes soins immortels. Nous sommes exaucés, malgré ces noirs présages, Madame je la vois au travers des nuages ; La Déesse descend, et sa divinité Fait plus qu'à l'ordinaire éclater sa fierté. SCÈNE IX. Jupiter, sous l'habit de Minerve, Le Roi, La Reine, Sémélé, Alcméon, Suite. JUPITER, dans les airs. Roi de Thèbes en vain en faveur de ta fille, J'ai pressé le grand Jupiter ; Ce Dieu ne veut plus m'écouter, Pour l'intérêt de ta famille : Ta désobéissance irrite son courroux. Roi, Reine, Prince, allez, retirez-vous, Dérobez la Princesse à ce triste Hyménée : C'est trop peu que le trône il lui faut des Autels ; La hauteur de sa destinée La rend inaccessible aux soupirs des mortels. LE ROI. Déesse, j'obéis, toute ma résistance Ne saurait plus tenir contre votre présence : Vous pouvez tout sur nous, et votre seule voix Fais rompre sans remords la parole des Rois. JUPITER. Sortez donc de ces lieux qu'un chacun se retire. Vous Princesse arrêtez, j'ai beaucoup à vous dire. Jupiter descend sur le Théâtre ALCMÉON, à Sémélé. Les Dieux ont secondé votre injuste rigueur Cruelle, ils doivent seuls achever mon malheur, Et j'avais mérité de perdre ce que j'aime, Pour la haine des Dieux, et non pas par vous-même. LA REINE. Jouis de ta fortune et soutiens dignement, L'illustre choix d'un Dieu, qui s'est fait ton amant. SCÈNE X. Jupiter, Sémélé. SÉMÉLÉ. Ah ! Déesse sans vous par un ordre sévère... Mais que vois-je ? Est-ce vous, Minerve ou votre père ? D'où me vient tout d'un coup un trouble si puissant ? À juger des transports que mon amour ressent, J'en connais la cause, et si je l'ose dire, Ils ne sont pas de ceux qu'une Déesse inspire. Ces traits me sont connus sous ce déguisement : C'est Jupiter lui-même, ou du moins mon amant. JUPITER. Princesse pouvez-vous séparer l'un de l'autre ? SÉMÉLÉ. Mon amour est trop grand pour soupçonner le vôtre ; Les surprenants effets d'un merveilleux pouvoir, Cent miracles d'amour me le font assez voir. Cependant cet amant n'est pas le Dieu que j'aime, Et je puis opposer Jupiter à lui-même, Puisqu'un Dieu de sa part, dont je ne puis douter, M'apprend qu'un imposteur s'érige en Jupiter. JUPITER. Momus m'a tout appris touchant cette imposture : Junon vous a parlé sous l'habit de Mercure, Et pour vous abuser me traitant d'imposteur... SÉMÉLÉ. S'il est ainsi, pourquoi connaissant mon erreur, Me laisser si longtemps dans cette incertitude, Et livrer mon amour à tant d'inquiétude ? Hélas ! Si vous m'aimez, fallait-il un moment Laisser ce tendre coeur douter de son amant ? Loin de moi d'autres soins vous occupent sans cesse : Vous ne voudriez pas pour toute ma tendresse Suspendre un seul moment votre divin emploi ; Quand on a rien à faire alors on pense à moi : C'est le sort malheureux d'une faible mortelle. JUPITER. Hé ! Ne voyez-vous pas, Princesse avec quel zèle, Je m'oppose aux désirs d'un père et d'un amant : Je fais dans votre Temple un affreux changement ; Je soulève l'Enfer, je descend sur la terre ; J'abandonne le Ciel, ma gloire et mon tonnerre, Et sachant qu'en ces lieux Minerve a tout pouvoir, Sous l'habit de Minerve ici je me fais voir. SÉMÉLÉ. N'avez-vous pas partout une égale puissance ? Pourquoi vous déguiser sous une autre apparence ? Jupiter doit rougir sous un nom étranger : Un Dieu quand il peut tout n'a rien à ménager. Ah ! Vous ne l'êtes pas, ou n'osez le paraître. JUPITER. Que faut-il faire enfin pour me faire connaître ? J'atteste du destin le pouvoir glorieux, Que s'il est un moyen pour me connaître mieux... SÉMÉLÉ. Il en est, et j'en sais qui seront infaillibles, Montrez de Jupiter des marques plus sensibles. Vous devez autrement vous montrer en ce lieu ; Pour vous faire connaître il faut paraître en Dieu. JUPITER. Que me demandez-vous trop aveugle Princesse ? Ah ! C'est là le conseil de la grande Déesse. Gardez-vous d'écouter ce conseil dangereux ; Contentez-vous de voir Jupiter amoureux, Jupiter désarmé de ces clartés terribles, Qui rendent aux mortels les Dieux inaccessibles. SÉMÉLÉ. Est-ce trop de le voir une fois glorieux ? Ah ! Ne refusez pas ce plaisir à mes yeux ; Montrez-moi mon amant avecque tous ses charmes. Ah ! Vous ne m'aimez point... JUPITER. Ah ! Cachez-moi ces larmes. Hélas ! Savez-vous bien ce que vous demandez ? SÉMÉLÉ. Tout me semblera doux si vous me l'accordez ; Vous me l'avez juré Jupiter c'est tout dire. JUPITER. Je l'ai juré, Princesse, et mon coeur en soupire ; Mais songez aux périls qui menacent vos jours. SÉMÉLÉ. Quels périls ai-je à craindre avec votre sec ours ? JUPITER. Je ne sais si je puis vous sauver de moi-même ; On s'oublie aisément auprès de ce qu'on aime. Un rayon échappé de cette majesté, De cet éclat qui sort d'une divinité, Peut embraser le monde et mettre tout en cendre. SÉMÉLÉ. Plus contre mes désirs vous vous voulez défendre, Plus mon soupçon revient, plus j'ai lieu d'en douter, Si l'amant que j'adore est le vrai Jupiter. JUPITER. Faut-il vous le montrer en perdant ce que j'aime ? SÉMÉLÉ. Vous me faire périr, c'est douter de vous-même. JUPITER. Il n'est rien de si sûr, croyez-en ces frayeurs ; Croyez un Dieu, qui tremble, et qui verse des pleurs. SÉMÉLÉ. Qu'ai-je à craindre d'un Dieu si tendre et si sensible ? JUPITER. Ce Dieu-là devenir si fier et si terrible... SÉMÉLÉ. Dans quelque état qu'il soit il m'aimera toujours. JUPITER. L'amour dans cet état est d'un faible secours. Je vous ferai périr en dépit de moi-même. SÉMÉLÉ. Je ne crains rien d'un Dieu qui peut tout et qui m'aime. JUPITER. Vous devez craindre tout, je vous laisse y penser. SÉMÉLÉ. Mon esprit sur ce point n'a rien à balancer ; Ne laissez plus languir cette douce espérance, Épargnez ce tourment à mon impatience. JUPITER. Au nom de notre amour... SÉMÉLÉ. Ah ! C'est trop contester ? JUPITER. Vous le voulez, Princesse, il faut vous contenter. Jupiter s'envole dans le Ciel. Quatre fantômes paraissent dans le fonds de l'Antre de la Jalousie, et se présentent à Sémélé. SÉMÉLÉ. Que vois-je juste Ciel ! Quel Dieu me les envoie, Ces fantômes affreux au milieu de ma joie ? Les fantômes dansent, et après avoir dansé, Sémélé continue. SÉMÉLÉ, continue En vain par ces horreurs on veut m'épouvanter, Quel qu'en soit le succès, je veux voir Jupiter. ACTE V SCÈNE I. Sémélé, Dircé. SÉMÉLÉ. Que d'un superbe espoir mon âme possédée, Se fait de mon amant une agréable idée ! Que j'aurai de plaisir de le voir en ces lieux, Apporter cet éclat qui fait trembler les Dieux ! Pour répondre à l'honneur que ce Dieu me veut faire, Je voudrais des appas plus grands qu'à l'ordinaire, Leur donner plus de force, et me rendre aujourd'hui Plus aimable cent fois et plus digne de lui. Mais quoi le jour pâlit, et le Dieu que j'adore, Le puissant Jupiter ne paraît point encore ! Lui qui voit tout mon coeur, lui qui sait mes désirs, Qui voit pour son retour l'ardeur de mes soupirs, Me faut-il si longtemps attendre sa présence ? Veut-il faire mourir ce coeur d'impatience ? Te dirai-je, Dircé, que j'ose encore douter, Si c'est un imposteur ou le vrai Jupiter ? DIRCÉ. Votre doute, Madame, est assez raisonnable, Et quand vous trahissez un héros adorable, Peut-être que le Ciel pour venger votre amant... SÉMÉLÉ. Ah ! Cruelle veux-tu redoubler mon tourment ? Mais j'aperçois Momus, et je tremble à sa vue. SCÈNE II. Sémélé, Momus, Dircé. SÉMÉLÉ. Viens-tu de Jupiter m'annoncer la venue, Ou d'une vaine excuse amuser mon espoir ? MOMUS. Non, non, vous le verrez. SÉMÉLÉ. Je brûle de le voir. MOMUS. Pour vous du haut des Cieux il s'apprête à descendre : Mais un Dieu tel qu'il est peut bien se faire attendre. Quoiqu'il donne à l'amour ses moments les plus doux, Les soins de Jupiter ne sont pas tous pour vous. Vous le voulez donc voir avec toute sa pompe ; Vous vous abandonnez à l'orgueil qui vous trompe, Et sans considérer le péril qui le suit, Vous suivez follement l'amour, qui vous conduit. Vous aimez mieux le voir d'une ardeur indiscrète Avec la foudre en main, qu'avec une houlette : Cet ornement sied mal au grand Maître des Dieux : Les feux et les éclairs le pareront mieux. Ah ! Que vous êtes femme, et que pour être aimée, Du souverain des Dieux dont vous êtes charmée, Vous avez dans la tête un orgueil dangereux ! Voir sans bruit en secret Jupiter amoureux, C'est trop peu pour l'honneur d'une amante orgueilleuse ; Sa flamme est une flamme illustre, ambitieuse ; Alors qu'un Dieu nous aime on peut être indiscret, Et l'orgueil d'un tel choix ne veut pas le secret. En effet ce serait perdre toute sa gloire, De vaincre un si grand Dieu, sans vanter sa victoire, Être aimé selon vous n'est pas le plus grand bien : Un triomphe ignoré vous le comptez pour rien. Il faut s'accoutumer à l'esprit d'une femme ; Vous demandez du bruit, vous en aurez, Madame ; Jupiter quand il veut en sait faire beaucoup ; Il tonnera pour vous, mais gardez-vous du coup. SÉMÉLÉ. Qu'il éclaire, qu'il tonne au péril de ma vie ; Voyons tout Jupiter, c'est toute mon envie. Qu'on m'accuse d'orgueil, de trop d'ambition, Jupiter qui voit tout, connaît ma passion. Quoi qu'il en soit, il faut que je me satisfasse ; Comme Jupiter m'aime, il peut me faire grâce ; Il peut en ma faveur suspendre pour un temps, Tout ce qu'ont de mortel des feux trop éclatants. MOMUS. C'est-à-dire forcer sa grandeur pour vous plaire, Et n'apporter chez vous qu'une foudre légère, Où son amour mêlant ce qu'il a de plus doux, Y laissera bien moins de force et de courroux. Vous voulez de la pompe, et la voulez commode, Et qu'à votre faiblesse un grand Dieu s'accommode. Vous beautés d'ici-bas vous croyez follement Qu'on doit tout immoler quand on est votre amant, Et qu'on peut d'un Dieu même exiger sans scrupule, L'effet le plus bizarre et le plus ridicule. Jupiter a pour vous le coeur bien radouci ; Mais ce n'est pas un Dieu qui se gouverne ainsi. Vous le verrez ce Dieu, tel qu'un Dieu doit paraître, Et tel qu'il l'a juré pour se faire connaître. SÉMÉLÉ. C'est comme je le veux, il ne me plairait pas, S'il n'apportait chez moi tous ses divins appas : Ces foudres, ces éclairs, cette pompe terrible, Me rendront de ce Dieu la présence sensible : Je ne douterai plus, et pour ne plus douter, M'embrase de ses feux le puissant Jupiter. MOMUS. Dans votre appartement vous le pouvez attendre. Ce tumulte m'apprend qu'il s'apprête à descendre. SÉMÉLÉ. Ce tumulte agréable a passé dans mon coeur. Grand Dieu, venez, hâtez ma gloire et mon bonheur. SCÈNE III. JUPITER, descend porté par son aigle au milieu des nuées enflammées, cependant qu'on chante ces vers. Je descends sur la terre avec toutes mes armes, Avec tout ce que j'ai de puissance et de charmes ; Mais parmi tant d'éclat quel destin est le mien ? Je crains pour Sémélé cette pompe mortelle : Ainsi dans cet état, Amour tu le sais bien, Quand je fais tout trembler, mon coeur tremble pour elle. Après que Jupiter est descendu. MOMUS. Quoi pour une mortelle apporter ici-bas Cette affreuse beauté, ces dangereux appas ! JUPITER. Tu ne vois qu'un essai de cet éclat terrible, Qui doit rendre à ses yeux tout Jupiter visible : De peur d'offrir ici ma gloire à d'autres yeux, J'affaiblis tous les traits du grand maître des Dieux ; Ils sont pour ma Princesse, et ce n'est qu'auprès d'elle Que je veux étaler cette pompe immortelle. Tu l'as vue, et tu sais jusqu'où va cette ardeur, De voir toute ma gloire, et toute ma grandeur. MOMUS. Oui, mais quand vous venez contenter son envie, Songez-vous bien au moins au péril de sa vie ? JUPITER. Je connais le péril, il n'en faut point douter : Mais Jupiter l'a dit, il faut l'exécuter. Contre un serment lâché tout respect est frivole, Et le destin n'est pas plus sûr que ma parole. Tout le sort des mortels est trop à négliger, Quand pour eux notre gloire est en quelque danger, J'aime, mais j'aime en Dieu, sans honte et sans faiblesse, La gloire fut toujours ma première maîtresse ; Si je prête à l'amour ma gloire et mon pouvoir, Je sais sacrifier l'amour à mon devoir. J'adore Sémélé, le péril est extrême ; Montrant ce que je suis j'expose ce que j'aime ; Sa curiosité lui va coûter le jour ; Je le vois, tout mon coeur tremble pour mon amour. Je voudrais retenir cette foudre, et ces flammes, Mais quand l'amour a mis le trouble dans vos âmes, Tout échappe au milieu de ces charmants transports, Et le dedans troublé répond mal au dehors. Cependant ma parole a sur moi tant d'empire... MOMUS. En effet un grand Dieu ne doit pas se dédire : Il fait de sa parole une éternelle loi, Périsse tout plutôt que manquer à sa foi. Depuis quand avez-vous ce scrupule dans l'âme ? Cette fidélité qui trahit votre flamme, N'est-ce point un prétexte à quelque changement ? Vous vanter un peu trop le pouvoir d'un serment ; Je crois qu'à Sémélé vous n'êtes si fidèle, Que par le seul espoir de vous défaire d'elle. JUPITER. Tu répands ton venin sur tout ce que je fais ; Mais voyons Sémélé, contentons ses souhaits. Tu vois ce que je fais en dépit de moi-même ; Amour sauve de moi si tu peux ce que j'aime. Toi garde ici mon aigle attendant mon retour. MOMUS. Je garderai votre aigle, et vous ferez l'amour. SCÈNE IV. MOMUS, seul. Fiez-vous à ce Dieu, qui malgré sa tendresse, Au respect d'un serment immole sa maîtresse. Vantez votre pouvoir, vous allez voir enfin, Orgueilleuse beauté quel est votre destin.Durant que Jupiter demeure sur la terre, Au gré de mon chagrin gouvernons son tonnerre, Apprenons aux mortels à nous mieux respecter, Et montrons à la terre un autre Jupiter. Il monte sur l'Aigle.Mais quoi je vois déjà des flammes allumées, Des gens épouvantés, des femmes alarmées ; Le palais est en feu, Jupiter dans les airs S'enfuit enveloppé de flammes et d'éclairs. Quelqu'un vient, en ces lieux je ne dois plus paraître. Aigle remonte au Ciel, et vole après ton maître. SCÈNE V. Alcméon, Dimas. Alcméon et Dimas, sortent des deux côtés. Tout le fonds du théâtre étant en feu. DIMAS. Ah ! Seigneur. ALCMÉON. Ah ! Dimas, quel est notre malheur ? Secourons la Princesse. DIMAS. Il n'est plus temps, Seigneur. ALCMÉON. Quoi déjà... DIMAS. C'en est fait, une flamme cruelle, A vengé votre amour d'une amante infidèle. ALCMÉON. Hélas ! C'est trop punir son infidélité : Malgré sa trahison j'adorais sa beauté. Je la plains cette ingrate, et la plaindrai sans cesse, Et si j'ose un moment survivre ma Princesse, C'est pour savoir quel sort, dans son appartement A produit tout d'un coup ce grand embrasement. Ce rival immortel, lui qui me l'a ravie, N'a-t-il pu garantir une si belle vie ? Quoi celle qui portait sa flamme jusqu'aux Dieux, Périt donc par la flamme, et périt à leurs yeux ! Quoi ce Dieu qui l'aimait souffre qu'elle périsse ! Est-ce orgueil, jalousie, inconstance, ou caprice ? DIMAS. Admirez et plaignez la rigueur de son sort ; Ce grand Dieu , qui l'aimait, est l'auteur de sa mort. ALCMÉON. Quoi lui-même ! DIMAS. Oui Seigneur, cet amant adorable, Aux voeux de la Princesse un peu trop favorable, Est descendu du Ciel, pour s'offrir à ses yeux, Tel qu'il est, quand il règne, et tonne dans les Cieux. De ce Dieu tout en feu la fatale présence... ALCMÉON. Quoi ce Dieu plein d'amour manque-t-il de puissance ? Ou plutôt ce grand Dieu, pour lui sauver le jour, Avec tant de puissance a-t-il manqué d'amour ? Mais j'aperçois la Reine. SCÈNE VI. La Reine, Alcméon, Dimas. ALCMÉON, continue. Où fuyez-vous Madame ? LA REINE. Ah ! Seigneur, rien ne peut éteindre cette flamme. ALCMÉON. Voilà de votre orgueil le juste châtiment : Vous avez allumé ce triste embrasement. Je vous le disais bien que les beautés mortelles Ne trouvaient dans les Dieux que des coeurs infidèles. Si vous aviez voulu consentir à mes voeux, Votre fille vivrait, et je serais heureux. LA REINE. Oui sans doute, Seigneur, et par votre hyménée Elle serait vivante, heureuse et couronnée ; Son orgueil l'a perdue, et je l'ai trop flatté Ce malheureux orgueil qu'enfante la beauté. ALCMÉON. Quelque aveugle amitié que vous eussiez pour elle, Je ne m'en prends qu'aux Cieux, qui la firent trop belle. Jupiter qui la fit pour le charme des yeux, Enviait à la terre un bien si précieux, Et de tant de trésors qu'il a voulu reprendre, À peine ce rival nous laisse un peu de cendre. Achève, Dieu jaloux, et détruis promptement, Tout ce qui reste d'elle en ce fidèle amant, Et pour anéantir un si parfait ouvrage, Mets en cendre ce coeur qui garde son image. Mais pourquoi, quand il faut finir mon triste sort, Remettre à mon rival la gloire de ma mort. Pour le faire rougir de mon amour fidèle, Dans cet embrasement allons mourir pour elle. Mais j'aperçois Junon, qui semble de sa main, Opposer à ma mort un ordre souverain. SCÈNE VII. Junon dans son char avec sa forme ordinaire, La Reine, Alcméon, Dimas. JUNON, à Alcméon. Arrête et ne perds pas le fruit de ta vengeance ; Ma rivale a bravé ma haine et ta constance, Et ma haine a fait son devoir. Ce feu qui me servit contre elle, Quand tu veux suivre une infidèle, S'éteint et ne veut pas servir ton désespoir. Le fonds du Palais enflammé se change en un Palais brûlé. ALCMÉON. Gardez votre secours trop jalouse Déesse. Quel secours m'offrez-vous quand je perds ma Princesse ?Ce feu qui lui ravit la lumière du jour,A vengé votre haine et non pas mon amour. En vain vous me voulez empêcher de la suivre ; En vain ce feu s'éteint pour me forcer de vivre : Cruelle pour finir ma peine et mon malheur, Hélas ! C'est bien assez de ma seule douleur. JUNON. Va mourir, Prince ingrat, indigne de ma grâce. Toi Reine, vante encor la gloire de ta race : Dans ce palais brûlé, vois comme en son cercueil, La folle ambition d'une fille trop vaine ; Vois la peine de ton orgueilEt le triomphe de ma haine. Junon remonte dans le Ciel. LA REINE. Je ne connais que trop votre divin pouvoir. Triomphez de ma fille et de mon désespoir : Mais pourquoi la punir du crime de sa mère ; J'avais mis dans son coeur cet orgueil téméraire, Et c'est par mes leçons qu'elle osa se flatter, D'arracher à Junon le coeur de Jupiter. Mais le Roi vient. Le feu qui brille en son visage... SCÈNE VIII. Le Roi, La Reine, Suite. LE ROI. Vous voyez nos malheurs, et voilà votre ouvrage : Voilà comme les Dieux savent faire l'amour. Vous me l'aviez bien dit que je verrais un jour, Par la faveur d'un Dieu ma grandeur sans seconde, Et que Thèbes serait la maîtresse du monde. C'est là le digne sort que j'avais attendu. La honte de mon sang, tout mon espoir perdu, Mon trône et mon palais embrasés par la foudre, Ma fille anéantie, et son corps mis en poudre, Et les justes horreurs qu'attireront sur nous Ces effets éclatants du céleste courroux. LA REINE. Pardonnez ma faiblesse à cet amour de mère, Qu'alluma dans mon coeur une fille si chère : Toute mère est aveugle, et je serai toujours, Un exemple éclatant de leurs folles amours. LE ROI. Je vous pardonnerais cette horrible disgrâce, Si tout ce que j'en crains se bornait à ma race ; Mais le Prince accablé de ce dernier malheur Abandonne son âme à toute sa douleur. J'ai vu son désespoir, et sa funeste envie : C'est par mon ordre en vain, qu'on prend soin de sa vie ; L'ingrate, à qui le Ciel vient de ravir le jour, Trop digne de sa peine, et non de tant d'amour, Entraîne par sa mort un amant trop fidèle ; Il vivait pour ma fille, il va mourir pour elle. Hélas ! Le roi d'Argos, ce père infortuné, Envoya dans ma cour un amant couronné, Un héros plein d'honneur, de gloire et d'espérance, Et je lui rends... Ô Dieux ! C'est Atys qui s'avance, Et je vois dans ses pleurs le malheur que je crains. SCÈNE IX. Le Roi, La Reine, Atys, Suite, etc. LE ROI. Hé bien le Prince est mort. ATYS. Nos soins ont été vains. Voyant que par votre ordre, on s'obstine à le suivre ; Quoi (nous dit-il) veut-on me contraindre de vivre ? Quelle pitié barbare, et quel injuste effort Me condamne à la vie, et m'arrache à la mort ! Mais que tout l'univers s'oppose à mon envie, Je sais mille chemins pour sortir de la vie. Là tirant son épée, et par un coup pressé, De son fer raccourci, dans son sein enfoncé, Il prévient mon dessein, et trompant notre zèle, Il tombe dans son sang d'une chute mortelle. Puis donnant à l'objet de ses tendres désirs, Et ses derniers moments, et ses derniers soupirs, Il cherche autour de lui dans ces débris funestes, D'un objet trop aimé les pitoyables restes : Mais son oeil vainement jeté de toutes parts, Sur un morceau de cendre arrêtant ses regards, Ne serait-ce point vous, reliques précieuses, Cendres, où j'allumerai mes flammes amoureuses ? Recevez tout mon sang, avec ces tristes pleurs, Que je donne à mes maux bien moins qu'à vos malheurs. Voyez de vos amants quel fut le plus fidèle ; L'un détruit ma Princesse, et j'expire pour elle. Il fut aimé l'ingrat, et je ne l'étais pas. À ces mots sa douleur achève son trépas, Et tirant de son coeur un soupir tout de flamme, Elle emporte avec lui le reste de son âme. LE ROI. Voilà le dernier coup d'un malheur sans égal. LA REINE. Que vous avons-nous fait pour nous traiter si mal, Jupiter ? Quoi mon sang pour être aimable, Pour être trop aimé s'est-il rendu coupable ? Pourquoi d'un Prince illustre et rival et jaloux Enlever la maîtresse, ou la choisir chez nous. Si ce fatal honneur fait ma honte et ma peine ? Votre amour est-il donc pire que votre haine ? Hélas ! Puisqu'il produit de si cruels trépas, Grand Dieu haïssez-nous, ou ne nous aimez pas LE ROI. Dieux quelle surprenante et nouvelle tempête, Agite tous les airs et descend sur ma tête ? Quel épais tourbillon se lève autour de nous ? C'est le grand Jupiter ; est-ce grâce ou courroux ? Il semble que le Ciel est tombé sur la terre. Peuples rendez hommage au maître du tonnerre. Le théâtre se change en un théâtre de nuages, et Jupiter paraît dans son Palais, qui s'avance insensiblement vers le milieu du Théâtre, durant qu'on chante ces paroles. Ne craignez plus ce Dieu, dont l'éclat dangereux Vient d'embraser un objet plein de charmes, Jupiter n'aura plus de clartés ni de feux, Que pour tarir la source de vos larmes. SCÈNE DERNIÈRE. Jupiter, Le Roi, La Reine, etc. JUPITER. Roi de Thèbes, je viens consoler ta douleur : Cesse de t'affliger du trépas de ta fille, Et rend grâces au Ciel, d'un illustre malheur, Qui consacre à jamais l'honneur de ta famille. Mais pour ne pas douter d'un sort si glorieux, Qui la rend par sa mort plus brillante et plus belle, Nuages ouvrez-vous, et montrez à ses yeux, Ce qu'a fait pour sa fille une main immortelle. Sémélé paraît au fond du Théâtre d'en haut dans un Ciel lumineux. Vois quel est le beau coup qui l'arrache aux mortels Pour le prix d'un trépas que j'ai causé moi-même, Je la rends immortelle et digne des autels ; C'est comme Jupiter fait périr ce qu'il aime. LE ROI. Pardonnez-moi grand Dieu cette aveugle douleur, Qui du plus grand des biens se faisait un malheur. J'adore cette main puissante et favorable, Qui rend les maux heureux, et la honte adorable. JUPITER. Mais ce n'est pas assez pour venger ton honneur Que les Dieux soient témoins d'une illustre aventure, Je veux que tout le monde apprenne ton bonheur, Venez ici venez, Renommée et Mercure. Ces deux divinités paraissent. Vois ces divinités fidèles à mes lois, Tu les verras toujours fidèles à ta gloire, Par cet éclat qui suit leur immortelle voix, Consacrer à jamais ton nom et ta mémoire. LE ROI. Quels encens, quels présents offerts sur tes autels, Payeront dignement ces honneurs immortels ? LA REINE. Ah grand Dieu pardonnez aux douleurs d'une mère Un insolent murmure, un éclat téméraire ; Je vous connaissais mal, et ne prévoyais pas Les biens que Sémélé tire de son trépas. JUPITER, à la Renommée et à Mercure. Vous, allez publier ce que j'ai fait pour elle ; Allez vanter partout la gloire de son sort, Mais avec tant d'éclat, que toute autre mortelle, Porte envie aux honneurs d'une si belle mort. Mercure et la Renommée s'envolent jusques au fond de la salle. ==================================================