******************************************************** DC.Title = CLOTILDE, TRAGÉDIE. DC.Author = BOYER, Claude DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 26/05/2022 à 06:29:08. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOYER_CLOTILDE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10902522 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** CLOTILDE TRAGÉDIE. M. DC. LIX. Avec Privilège du Roi Par Monsieur Boyer. À Paris, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans la Salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée. Pour Monseigneur le Procureur Général, Ministre d'État, et Surintendant des Finances. SONNET. Être aimé du Peuple et du Roi ; Sauver sa gloire toute pure De ce licencieux murmure, Qui gronde contre un grand emploi ; Garder sa parole et sa foi Dans un siècle plein d'imposture ; Parmi des honneurs sans mesure, Être toujours égal à soi ; Dans la plus éclatante vie Confondre la haine et l'envie Par la généreuse bonté ; Du Héros le plus adorable, C'est là l'idée incomparable, Dont FOUQUET est la vérité. ACTEURS. CLOTILDE, Fille de Deuthère. DEUTHÈRE, Veuve du Comte de Béziers. CLIDAMANT, Favori du Roi. THEODEBERT, Roi de Metz. CLODOMIRE, Fils de Théodebert. SIGILE, Capitaine des Gardes du Roi. LUCINDE, Confidente de Deuthère. THÉOSILE, Confidente de Clotilde. La Scène est à Metz, dans le Palais Royal. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Clotilde, Lucinde. CLOTILDE. Cesse de me flatter... LUCINDE. On ne peut assez dire :Quel coeur dans cette Cour échappe à votre empire ? Vos conquêtes, Madame, augmentent chaque jour : Déjà, depuis un mois, qu'on vous voit à la Cour,Tout ce qu'elle a d'illustre a ressenti vos charmes ; Le Prince, et les sujets, tous vous rendent les armes ; Mais le Prince vous sert avec de si grands soins... CLOTILDE. Si j'osais en juger, le Roi n'en fait pas moins ; Et si je ne savais qu'il brûle pour ma Mère,J'appellerais amour, ce qu'il fait pour me plaire. Il est vrai que ce coeur jeune et tout interdit,Quand il parle d'amour, sait fort peu ce qu'il dit. LUCINDE. Votre Mère en a pris un peu de jalousie,Non qu'elle accuse un Roi de quelque perfidie ; Il sait trop son devoir pour lui manquer de foi, Elle a pour son repos la parole du Roi. CLOTILDE. Sans cette sûreté je craindrais fort pour elle. Lucinde, j'ai toujours craint pour une infidèle ;Depuis qu'elle a trahi l'illustre Clidamant... LUCINDE. Quelle part prenez-vous au sort de cet Amant ? CLOTILDE. Celle que la piété prend pour un misérable. LUCINDE. Ce nom cache souvent la qualité d'aimable ; Comme aussi quelquefois sous celui de pitiéSe cache adroitement ce qu'on nomme amitié.Vous en avez pour lui quelque peu, ce me semble, Madame, ou quelque chose au moins qui lui ressemble. Autrefois Clidamant, à vos yeux, devant vous,Combattait votre Mère avec des traits si doux,Que les mêmes respects qui l'aidaient à la prendreVous ont surpris peut-être un coeur facile et tendre. Votre Père étant mort, un peu loin de la Cour, Deuthère ayant choisi le lieu de son séjour,Clidamant la voyait, et consolait son âme,Par les soins obligeants d'une amoureuse flamme,Et d'un air si galant il charma sa douleur, Que la Veuve bientôt oublia son malheur. Princesse, si d'un choix votre esprit fut capable,Lui seul, depuis ce temps, vous doit paraître aimable ; Le respect d'une Mère étouffait vos soupirs ;Soyez maintenant libre en de si bons désirs. Clidamant vaut beaucoup ; votre Mère qui l'aime,Ne l'eut jamais quitté que pour le Diadème.Il est temps de forcer votre jeune pudeur : Votre front m'en apprend assez par sa rougeur ;Parlez, me l'avouer, c'est le dire à vous-même. CLOTILDE. Puis donc que tu le crois, je veux croire que je l'aime ;Et s'il faut sur ta foi que j'avoue un vainqueur,Clidamant seul pour être avoué de mon coeur. Ses yeux ont pour les miens je ne sais quoi d'aimable,Qui jette dans mes sens un désordre agréable. Les regards que ma Mère en reçoit [sont] si doux,Que je voudrais sur moi détourner tous les coups.J'en sens une secrète et tendre jalousie ; Près de lui ma pudeur s'embarrasse et s'oublie :Je cherche avec chaleur, et crains son entretien ; J'ai beaucoup à lui dire, et je ne lui dis rien. Connaissant mal mon trouble, et le mal qui me touche,Je n'ose, et je ne puis l'expliquer par ma bouche. Pour parler à son coeur, je m'adresse à ses yeux,Et prends de mes regards ceux qui parlent le mieux. Si regardant en moi la Fille de Deuthère,Clidamant me caresse en faveur de ma Mère, Je lui rends sa tendresse, et mon coeur tout confusLui rend par mes regards quelque chose de plus. Quand parlant à ma Mère, il lui dit je vous aime ; Que ne s'adresse-t-il à moi (dis-je en moi-même ?)Et souvent des soupirs sortent pour l'en prier.J'aime, si c'est aimer, je ne le puis nier. LUCINDE. C'est assez finement s'expliquer pour votre âge ; L'Amour vous a bientôt enseigné son langage. CLOTILDE. Je te dirai bien plus ; je vois dans ClidamantDe mille petits soins l'aimable empressement ; Si des sentiments je juge par moi-même,Je crois qu'il sent pour moi, ce qu'on sent quand on aime,Cache au moins mon secret, ma Mère... SCÈNE II. Deuthère, Lucinde. DEUTHERE, parlant à Clotilde. Laissez-nous. Hé bien... LUCINDE. Tout son secret était connu de vous,Madame, et ses discours m'ont fait assez comprendreQue le Roi sent pour elle une amitié trop tendre,Et que de ses regards l'apparente langueur... DEUTHERE. Quoi, sa fière beauté l'explique en sa faveur ; L'innocence de l'âge excuse ces faiblesses. Sait-elle ce que c'est que langueurs, que tendresse ? LUCINDE. Elle ne sait que trop ce que c'est que d'aimer. DEUTHERE. Ah ! Déjà mon amour commencer à s'alarmer. LUCINDE. Non, non, vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre. C'est d'un Amant trahi que vous devez tout craindre :Sa faveur qui le rend le Dieu de cette Cour,Peut seconder sa haine, et venger son amour. DEUTHERE. Hé ! quoi, ne sais-tu pas que Clidamant lui-mêmeMe cédant au respect qu'il doit au Diadème, A daigné consentir un si grand changement ? LUCINDE. Vous savez ce que c'est que ce consentement : Quand au respect du Roi son coeur vous abandonne,C'est pour vous mieux garder que son amour vous donne ; N'osant vous disputer contre tant de pouvoir, Il laisse à votre amour à faire son devoir. DEUTHERE. Lucinde, je rougis de ma lâche inconstance,Je lui dois de l'amour, de la reconnaissance ;Je lui dois tout enfin ; mais ma confusionNe saurait m'arracher à mon ambition. Si de ce changement son amour est confuse,Un Trône, et son aveu, me serviront d'excuse :Ce prétexte est si beau... Mais je vois cet Amant,Il va faire éclater tout son ressentiment :Tâchons de supporter tout l'effort de sa rage, Souffrant d'un malheureux, sa haine se soulage. SCÈNE III. Clidamant, Deuthere, Lucinde. CLIDAMANT. Madame, vous allez sans doute voir le RoiAchever de trahir ma flamme, et votre foi ;Pressez-vous, hâtez-vous de perdre un misérable,Courez sans différer à ce Trône adorable, Et ne regardez plus dans ce noble projetQu'avec des yeux de Reine un malheureux sujet.Allez, Madame, aux yeux de toute l'AustrasieRenverser tout l'espoir qui soutenait ma vie,Tandis que tout confus de ce dernier malheur Je vais mourir pour vous d'amour et de douleur. DEUTHERE. Hé quoi, vous plaignez-vous d'une amour avouée ? Par cette ambition que vous avez louée,J'ai cru que vous vouliez conserver dans l'ÉtatTout ce que vous avez de fortune et d'éclat ; J'ai relevé mon rang pour maintenir le vôtre.Quand je pers votre amour pour en choisir une autre,Quand je force mon coeur à prendre ce parti,Par quel autre intérêt l'auriez-vous consenti ? CLIDAMANT. Quand j'avouai ce choix, je le crus impossible. Pour tout autre que moi vous croyant insensible,Certain de votre amour, sans beaucoup hasarder,J'ai cru que je pouvais feindre de vous céder : Qu'ainsi flattant le Roi, sans exposer ma flamme, Je cédais un espoir que je gardais dans l'âme, Et que ce faux éclat de générositéM'assurait un trésor qu'il m'aurait disputé.Je voulais effrayer par cette déférenceJusqu'où pouvait aller toute votre constance ;Vous garder pour vous seule, et rendre à votre foi Tout l'honneur d'un triomphe obtenu sur un Roi. DEUTHERE. J'étais de vos desseins fort mauvaise Interprète ;Et puisque votre amour en est mal satisfaite,Vous pouvez consoler un coeur désespéréPar le rang de Rival qu'on vous a préféré. Si de quelque autre espoir votre âme s'est flattée,Je veux bien l'avouer, un Trône m'a tentée.Ne faites pas ici l'étonné, le surpris,Tout autre comme moi changerait à ce prix ; Et malgré tant d'ardeur vous changeriez sans peine, Si votre changement vous donnait une Reine. CLIDAMANT. Gardez, gardez pour vous des sentiments si bas : Mille Trônes offerts ne me changeraient pas.Avec une naissance illustre, et non commune,Mes soins et ma vertu m'ont fait une fortune, Où peut-être mes voeux, sans être condamnés,Pouvaient porter mon choix sur des fronts couronnés :Mais je suis peu touché de ce grand nom de Reine :Et si dedans Béziers vous êtes Souveraine,Vous savez que ce rang vient moins de vos Aïeux, Que d'un droit dépendant du Trône de ces lieux.Flattez-vous des raisons d'une âme ambitieuse.Si les plus chers devoirs d'une âme généreuse,Si l'honneur, l'amitié, la constance, et la foi,Ne peuvent rien sur vous, ils peuvent tout sur moi. Non que je veuille encor après votre inconstanceRecourir lâchement à ma persévérance ; J'abandonne mon âme à son juste dépit,Et quitte avec honneur celle qui me trahit.Grâce à la trahison, grâce à votre faiblesse, Je puis briser le joug d'une indigne Maîtresse ;Abusez d'un grossier et long enchantement, Mes yeux s'ouvrent enfin à ce grand changement.Par ce faible honteux je vous vois toute entière,Je vois tous vos défauts avec tant de lumière, Que mon oeil indigné d'une fatale erreur,Ne se peut pardonner d'avoir trahi mon coeur. DEUTHERE. Je donne à la douleur d'un désespoir extrêmeCes transports dont l'effort me venge de vous-même ;Faites passer vos feux pour une longue erreur ; Faites d'une Maîtresse un objet plein d'horreur ;Faites un Monstre affreux de toute ma personne :Mais avec ces défauts, je gagne une Couronne. CLIDAMANT. Conservez chèrement l'espoir d'un bien si doux.Je viens de voir le Roi qui m'a parlé de vous ; Où vous pouvez penser, que pour vous plein de zèleJ'ai fait ce que j'ai dû pour vous être fidèle ;Mais vous en saurez plus, puisque vous l'allez voir. DEUTHERE. Vous croyez m'étonner avec votre pouvoir. Malgré tous vos efforts je serai votre Reine ; Mais perdant mon amour, n'attirez pas ma haine ; Et sans vous abuser par cette égalité,Qu'avait mis entre nous tant de facilité,Considérez mon rang, et ce que je dois être.Tremblez en regardant le choix de votre Maître, Et songez que ce choix vous a mis loin de moi,Tout autant qu'un sujet le doit être d'un Roi. CLIDAMANT. Je suis sujet, Madame, et fais gloire de l'être ;Mais un sujet si grand, et si cher à son Maître,Que de pareils sujets dans leurs nobles emplois Confondent leur grandeur avec celle des Rois.Menacez, triomphez, faites la Souveraine,Et régnez dans votre âme avant que d'être Reine : Mais sachez qu'un sujet, qu'on ose dédaigner, Est fort près de la place où vous voulez régner ; Que le pouvoir qu'il a sur son Maître et le vôtre,Le met un peu plus haut que vous et que tout autre ; Et courant à ce Trône y chercher un Époux,Songez bien que je suis entre ce Trône et vous. SCÈNE IV. Lucinde, Deuthere. LUCINDE. Est-ce là votre adresse à calmer son courage ? DEUTHERE. Eut-il pu m'écouter après ce grand outrage ? Contre un torrent d'orgueil, contre un coeur irrité,J'ai comme un prompt remède opposé ma fierté. LUCINDE. Vous défiez, Madame, un puissant adversaire ;Vous bravez un courroux, qui se peut satisfaire, Son pouvoir est si grand dessus l'esprit du Roi... DEUTHERE. Mais quelque grand qu'il soit, il en a moins que moi. Je me trouve en état de braver sa vengeance,Le Roi m'aime, il suffit... Mais je vois qu'il s'avance. SCÈNE V. Le Roi, Deuthere. LE ROI. J'allais vous voir, Madame. DEUTHERE. Et vous voyez, Seigneur, Que je viens au-devant d'un si sensible honneur. LE ROI. Mais ces civilités, et ces bontés, Madame,Dois-je les imputer aux soins de votre flamme ? Quand je flatte mes feux d'un espoir si charmant,Leur venez-vous donner un plein consentement ? DEUTHERE. En doutez-vous, Seigneur, et pouvez-vous me croireSi peu sensible aux soins que je dois à ma gloire ? Un si puissant mérite y prépare mon coeur,Que l'espoir seul m'en charme, et me comble d'honneur. LE ROI. Ah ! c'est trop ; ces bontés redoublent ma tendresse, Augmentent mes ennuis, et comblent ma tristesse. Madame, savez-vous quel est mon désespoir ? Mille raisons d'État, d'amitié, de devoir,Confondent mes désirs, et partagent mon âme.Il faut enfin trahir Clidamant, ou ma flamme ; Il faut forcer le choix d'un objet si charmant,Et voler sa conquête à son premier Amant.Je sais bien qu'il vous cède, et que son zèle extrêmeVous laisse en ma faveur disposer de vous-même.Je sais que votre coeur d'une adroite pitié Cache, pour m'obliger, sa première amitié ; Mais toutes ces bontés et de l'un et de l'autreMe font plus respecter son amour et la vôtre ;Et je rougis qu'un Roi, qui doit tant à tous deux,Ait paru quelque temps un peu moins généreux. DEUTHERE. Je vois bien, je vois bien, que cette déférenceMarque dans votre amour un peu de défiance :Vous soupçonnez ma foi ; mais pour sortir d'erreur,Sachez que Clidamant est banni de mon coeur ; Que charmés d'un mérite aussi grand que le vôtre, Tous mes voeux sont remplis, et n'en souffrent point d'autre.Sa flamme avant la vôtre était digne de moi ; Mais quand je puis prétendre au choix d'un si grand Roi,Vous rendez à mon coeur ce qu'il ne peut reprendre :Monté jusques à vous, il ne saurait descendre. Pouvez-vous présumer qu'un si faible Rival... LE ROI. Pouvez-vous tant l'aimer, et le traiter si mal ? Pouvez-vous tant l'aimer, et feindre tant de haine ? DEUTHERE. Je prends de votre amour les fiertés d'une Reine. LE ROI. Ce faux mépris, Madame, en cette occasion Cherche en vain des raisons dans votre ambition.De l'appât des grandeurs vous savez vous défendre,Votre coeur est trop bon pour s'y laisser surprendre :Quand vous feignez d'aimer le Trône en ma faveur,Et de le préférer au choix de votre coeur, Cet excès de bonté touche si fort mon âme,Que je veux aujourd'hui, malgré toute ma flamme,Vous donner d'un seul coup le Trône et votre Amant.Voyez ce que l'Amour m'inspire en ce moment :Je consens que le Sceptre entre en votre Famille ; Si vous voulez régner, régnez par votre Fille ; Et qu'ainsi Clidamant, moi, votre Fille, et vous,Demeurions satisfaits, sans devenir jaloux. DEUTHERE. Que me proposez-vous ? c'est Clidamant, ce traître,Qui sans cesse abusant des bontés de son Maître, Est d'un si lâche tour le prétexte et l'auteur.Mais croit-on me surprendre avec ce faux honneur ? LE ROI. Non, non ; mais vous voyez par quels effets, Madame,Je tâche à vous laisser cette première flamme ;Je vous aime, et je sens dans ce grand changement Que tout mon coeur frémit d'y penser seulement. Vous perdre, me trahir, pour un autre moi-même ; Il est vrai, que n'osant votre perdre tout à fait,J'adore en votre sang votre vivant portrait ; Et pour faire régner toute votre Famille, Je confonds dans mon coeur la Mère avec la Fille. DEUTHERE. Ainsi votre bonté qui tâche à m'épargner,Confond avecque moi celle qui doit régner ; Et l'on croit me payer avec cette chimère.Vous vous vantez des efforts, qui ne vous coûtent guère. Je voyais bien qu'ici vos générositésSous un éclat trompeur couraient des lâchetés.Me croyez-vous si faible, et l'âme si grossière,Avec tant de bassesse, et si peu de lumière,Que de prendre un parti, qui me dérobe un Roi ? Malgré sa trahison votre coeur est à moi,Quand votre main en fait un présent à ma Fille,Vous attachez encor mes droits à ma Famille ; Et ce coeur trop aimé qui trahit mon espoir,En voulant m'échapper, retombe en mon pouvoir. Oui, votre indigne amour, malgré votre inconstance,Par le choix qu'il a fait, m'en laisse la vengeance ;Et retenant mes droits sur ce perfide coeur,J'en pourrai disposer au gré de ma fureur. SCÈNE VI. Sigile, Le Roi. SIGILE. Voilà de Clidamant le conseil et l'adresse. LE ROI. Voilà, voilà plutôt mon crime et ma faiblesse.Un si juste dépit présente à ma raisonToute l'indignité de cette trahison. Je vois que je trahis celle que dans mon âmeJ'avais déjà traité et de Reine et de Femme : J'ôte à la flamme un choix qu'elle avait mérité,À son ambition un Trône souhaité ; Et cet affront sanglant, qui va tomber sur elle, Réfléchit sur le front d'un Monarque infidèle.Sacrés devoirs d'un Roi, serments, fidélité, Honneur, que mon amour immole à la Beauté,Revenez dans mon coeur rétablir votre empire : Mais déjà tu frémis, et ton coeur en soupire Perfide ; et tu reviens, objet victorieux,Prodige de beauté, rare présent des Cieux, De la Grâce suprême inimitable idée,Félicité des sens, dont l'âme est possédée,Divinité visible, adorable vainqueur,Tu reviens réchauffer ta Mère de mon coeur.Ah ! Sigile, qu'un Prince à qui la gloire est chère, Souffre, quand par le crime il faut se satisfaire ! Comme aussi qu'un Amant, qu'a pris tant de beauté, Souffre, quand il renonce à la félicité ! Prends pitié d'un Amant, et d'un Roi misérable,Qui brûle de faillir, et craint d'être coupable, D'un amour criminel justement alarmé,Et d'un crime amoureux incessamment charmé. SIGILE. Je ne puis vous donner qu'un conseil trop sévère :Il faut quitter la Fille, et couronner la Mère ;Et c'est trop disputer contre votre devoir. Il faut abandonner un amour sans espoir.Pressé par votre foi, pressé par votre gloire,Vous vous devez, Seigneur, cette grande victoire. Si c'est amour vous plaît par des charmes nouveaux,Regardez-la, Seigneur, par ces horribles maux, Par ces débordements de malheurs et de guerres,Que ces feux criminels vont jeter sur vos terres.Songez que la Comtesse a des Rois pour parents : Pour dérober l'Empire à des malheurs si grands, Il faut... LE ROI. Ah ! si je perds le bonheur où j'aspire, Qu'importe à mon repos celui de mon Empire ? Mon amour m'est plus cher que l'Empire et le jour :Tout est perdu pour moi, si je perds mon amour. Que la guerre allumée aux ardeurs de ma flammeFasse régner partout les troubles de mon âme ; Que l'Univers conspire à me faire périr...Mais j'aperçois le Prince, il vient me secourir. SCÈNE VII. Le Roi, Clodomire. LE ROI. Ah ! Mon Fils, sauve-moi d'un conseil trop sévère ;Si l'amour t'a charmé comme il a fait ton Père,Contre un cruel devoir soutiens avecque moi Le plus aimable choix qu'ait jamais fait un Roi ; Ne me condamne point à perdre ce que j'aime. CLODOMIRE. Qui pourrait s'opposer à cet amour extrême ? Celle que vous aimez, Seigneur, brûle pour vous,Et cet illustre Hymen est souhaité de tous. Pour moi, qui comme vous souffre un cruel martyre,Mais pour d'autres appâts, et sous un autre empire ;Enfin moi qui venais demander à genoux,Le congé d'un amour et d'un espoir si doux,Peux-je en vous condamner une flamme si belle ? LE ROI. Mais l'approuveras-tu, si je suis infidèle ? CLODOMIRE. Infidèle ! À qui, Sire ? LE ROI. À la Comtesse. CLODOMIRE. Hélas ! LE ROI. Admire mon amour, et n'en soupire pas. J'aime un objet charmant, une beauté suprême. CLODOMIRE, bas. Tu t'émeus, mon amour. LE ROI. J'aime la Beauté même. Tu te troubles, mon Fils. CLODOMIRE. Oui, Sire, et je le dois. Votre infidélité me donne de l'effroi.Je vois déjà des Rois, que le sang intéresse, Fondre sur vos Etats pour venger la Comtesse ;Je vois tous vos voisins, vous laissant sans secours, Traiter honteusement vos fatales amours.Si vous ne craigniez rien du côté de la Terre,Le Ciel... LE ROI. Hé quoi, mon Fils me fait aussi la guerre ! Soyez tous contre moi, j'aimerai malgré vous ; Que contre moi ma flamme arme cent Rois jaloux ; Que le Dieu vengeur tonne, et forme une tempête,Dont la chute m'envie et mon Trône et ma tête ;J'oppose à ces malheurs, à la foudre, à ces Rois,La grandeur de mon feu, la beauté de mon choix :Et pour tout dire enfin, c'est Clotilde que j'aime. CLODOMIRE, bas. Clotilde ! juste effroi de mon amour extrême,Désordre de mon coeur, vous me l'aviez bien dit. LE ROI. Mon Fils, à ce beau nom tu parais interdit. CLODOMIRE. Oui, Seigneur, je le suis, connaissant votre flamme,Découvrant des malheurs dont je tremblais dans l'âme ; D'autant plus qu'un objet avec tant de beautéSemble justifier votre infidélité. Ah ! je prévois des maux dont la suite effroyable... LE ROI. Ah ! ne t'obstine pas à me rendre coupable ; Si je suis infidèle, adorant tant d'appâts, Un crime encore plus grand est de ne l'être pas.C'est peu de l'adorer, il faut que je l'obtienne ;Laisse-moi mon amour, je te laisse la tienne. À quelque objet, mon Fils, qu'aspirent tes désirs,Tu le peux hardiment promettre à tes soupirs. CLODOMIRE. Hélas ! que cet espoir a pour moi peu de charmes,Tandis que votre amour me donne tant d'alarmes. LE ROI, à Sigile. Toi, va voir ma Princesse, et dis-lui mon tourment : Fais-lui mon feu si beau, mon Trône si charmant,Qu'au plus puissant devoir son âme les préfère, Jusqu'à les accepter aux dépends d'une Mère. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Deuthere, Sigile, Lucinde. DEUTHERE. Quoi, Sigile en ces lieux ! dans mon appartement ! Entrer sans mon congé ! SIGILE. Je venais seulement... DEUTHERE. Vous avez vu ma Fille, et votre indigne zèleSert les lâches amours d'un Monarque infidèle. SIGILE. Madame, j'obéis, mais malgré mon devoir, Sachez... DEUTHERE. Allez, de vous je ne veux rien savoir. SCÈNE II. DEUTHERE. Faites venir Clotilde. Hélas ! c'est elle-mêmeQui m'arrache le Sceptre, et m'ôte ce que j'aime ; Sa beauté trop funeste à mes plus chers désirs Est l'instrument fatal de tous mes déplaisirs.Puissant charme des yeux, Beauté qui m'abandonnes,Quoi disposes ainsi des coeurs et des Couronnes,Toi par qui j'ai forcé des Rois à m'obéir,Passes-tu dans ma Fille, afin de me trahir ? Trop ingrate Clotilde, à qui mon trop de zèleSouhaitait ardemment la qualité de Belle,Dois-je me plaindre au Ciel, de t'avoir accordéUn présent que pour toi j'avais tant demandé ? Toi dans qui je voyais renaître pour ma gloire De mes beaux jours passés l'éclat et la mémoire ;Toi mon unique espoir, et mes tendres amours,Serais-tu le tourment et l'horreur de mes jours ? Perfide, qui trahis ma gloire et mon attente. LUCINDE. De quoi l'accusez-vous, cette belle innocente ? DEUTHERE. De m'arracher le coeur d'un Roi qui m'aimait tant, Et d'en faire à ma honte un traître, un inconstant. LUCINDE. L'ayant fait sans dessein, elle n'est point coupable. DEUTHERE. Il suffit que l'ingrate a paru trop aimable. LUCINDE. Le crime est tout entier du hasard, ou du Roi. DEUTHERE. Mais ce hasard pour elle est un crime envers moi. LUCINDE. C'était donc envers vous un crime nécessaire. DEUTHERE. Non, non, elle devait s'empêcher de lui plaire,Retenir tous les traits qui pouvaient le charmer, Ou ne s'en servir pas, jusqu'à s'en faire aimer. Mais, aveugle, regarde où la douleur t'entraîne,Aveugle, applique mieux tes fureurs et ta haine,Épargne une innocente, et cours à Clidamant,La cause ou le prétexte à ce grand changement. Voilà l'indigne auteur d'un sort si déplorable : Mais enfin qu'a-t-il fait qui le rende coupable ? Il punit justement mon infidélité,Et j'excuse un perfide, après l'avoir été. C'est contre un Roi qu'il faut que ton courroux éclate,Contre un Roi sans honneur, contre cette âme ingrate, Qu'un peu plus de beauté que ma Fille a sur moi,Qu'un peu plus de jeunesse a fait manquer de foi. Mais hélas ! ma fureur cherche un autre coupable ;Ce traître, cet ingrat, ce perfide, est aimable ; Ce traître sur le Trône a charmé tous mes sens, Et retient ma fureur par des traits si puissants,Qu'au fort de mon courroux, pleine d'impatience,Je ne puis voir sur qui faire choir ma vengeance.Qu'une âme en cet état souffre un cruel tourment ! Ouvre quelque passage à mon ressentiment : L'effort impétueux d'un désespoir extrêmeNe sachant où se perdre, agit contre moi-même.Je meurs de jalousie, et de haine, et d'amour.Tâche sur tant d'horreurs à jeter quelque jour ;Donne quelque remède à des maux si sensibles ; Ordonne, si tu veux, des efforts impossibles, Pour me tirer d'un gouffre où tout choix m'est fatal,Et souviens-toi que rien n'est pire que mon mal. LUCINDE. Je vous croyais plus forte en ce malheur extrême. DEUTHERE. Une Femme est toujours trop faible quand elle aime. LUCINDE. Aimez, mais sans faiblesse, et prenez quelque espoirSur la foi d'un Monarque, ou sur votre pouvoir.S'il aime votre Fille au-delà de lui-même,N'est-elle pas à vous cette Fille qu'il aime ? Mettez-la promptement aux mains d'un autre Époux ; Que s'en voyant privé, le Roi s'attaque à vous.Clidamant l'aimera, quoi qu'il puisse prétendre ; Et de votre ennemi devenu votre Gendre,Amant il prend de soin à vous ôter un Roi,Amant il en doit prendre à vous rendre sa foi. DEUTHERE. Mais ce n'est pas assez, si Clotilde dans l'âme D'un Monarque amoureux a ressenti la flamme ; Si l'amour des grandeurs... mais elle vient à nous. SCÈNE III. Deuthere, Clotilde, Lucinde. DEUTHERE, continue. Lucinde, qu'elle est belle ! ah ! mes soupçons jalouxAuprès de tant d'appâts redoublement mes alarmes. Hé bien, ma fille, un Trône a-t-il pour vous des charmes,Et l'accepterez-vous avec le coeur d'un Roi ? CLOTILDE. Quel étrange soupçon vous fait croire de moiQue je puisse descendre à cette perfidie ? DEUTHERE. Quand d'un si grand espoir une âme est éblouie, Son amorce l'entraîne avec tant de pouvoir,Qu'elle n'écoute plus ni raison ni devoir. CLOTILDE. J'écoute l'un et l'autre, et Sigile lui-même,Qui de la part du Roi m'offrait le Diadème,M'a pour un infidèle inspiré de l'horreur. DEUTHERE. Clotilde, pardonnez ma jalouse frayeur : Pour payer ce qu'a fait un devoir trop sévère ;Je vous ai fait un choix avec des yeux de Mère. CLOTILDE. Quel choix ? DEUTHERE. Vous vous troublez, l'auriez-vous fait sans moi ? CLOTILDE. Madame... DEUTHERE. Je vois bien que vous aimez le Roi. Malgré tous les respects, malgré l'obéissanceD'un coeur, qu'un droit sacré soumet à ma puissance,Votre trouble fait voir à mon amour jalouxUn amour en secret révolté contre vous. Osez-vous jusqu'au Trône élever votre audace ? Ces yeux, ces traîtres yeux, y briguent-ils ma place ? Et faisant de leurs traits un criminel emploi,Veulent-ils me voler la conquête d'un Roi ? Dans les noires fureurs qui possèdent mon âme... CLOTILDE. Sortez enfin d'erreur, connaissez mieux ma flamme ; Mon audace n'est pas de prétendre à des Rois ;Tout mon crime est d'avoir prévenu votre choix. DEUTHERE. Si ce n'est pas le Roi, je consens à tout autre ; Choisissez hors du Trône, et mon choix est le vôtre ;Nommez-moi promptement, nommez votre vainqueur ; Calmez de mes soupçons l'impatiente ardeur.Quel que soit votre choix, je brûle de l'apprendre ; Ou plutôt c'est au mien que vous devez vous rendre. Et vous ayant choisi Clidamant pour Époux... CLOTILDE. Clidamant ? J'aurais tort de me plaindre de vous. DEUTHERE. Ma Fille, auriez-vous fait le choix que je désire ? CLOTILDE. Vous savez mon secret, je n'ai plus rien à dire. DEUTHERE. Mais m'assurez-vous que l'amour d'un grand Roi... CLOTILDE. Puisqu'encor vous pouvez vous défier de moi,Je vous le dis tout haut ; c'est Clidamant que j'aime : Clidamant à mes yeux vaut plus qu'un Diadème ;Et quand j'en ai l'aveu de qui je tiens le jour,Rien ne peut désormais ébranler mon amour. DEUTHERE. Allez, tous mes désirs secondent votre flamme. SCÈNE IV. Lucinde, Deuthere. LUCINDE. Tout rit à vos souhaits ; tout est pour vous, Madame ; L'Hymen de votre Fille est un si grand bonheur,Qu'il peut de Clidamant désarmer la fureur.Je sais qu'à votre Fille un peu d'amour l'engage ;Ménagez seulement un si grand avantage.Surtout auprès de lui forcez votre courroux. Madame, le voici. SCÈNE V. Clidamant, Deuthere, Lucinde. CLIDAMANT. Je m'en allais chez vous. DEUTHERE. D'où me vient tant d'honneur ? que faut-il que j'en croie ? CLIDAMANT. À cet accueil, Madame, à ce front plein de joie,Il est aisé de voir qu'enfin voici le jour,Qui vous doit couronner par les mains de l'Amour. Pour moi, je viens exprès vous rendre mon hommage,Et par tous mes respects fléchir votre courage.J'ai tort d'oser commettre avec tant de grandeurUn pouvoir médiocre, une faible faveur ; Et je suis tout confus d'avoir perdu ma peine À rabattre l'orgueil d'une nouvelle Reine ; D'avoir si fort vanté mon rang et mon pouvoir.Le Roi tient sa parole, il sait trop son devoir ; Et malgré ma faveur, mon crédit, et ma haine,Il sera votre Époux, et vous serez ma Reine. DEUTHERE. Je croyais Clidamant un peu plus généreux ; Un grand coeur ne doit pas braver les malheureux. CLIDAMANT. Ce discours ne sent rien de cette humeur hautaine,Qui vous faisait tantôt parler en Souveraine.Je vois bien que mes soins n'ont pas mal réussi. Ce coeur n'est plus si fier, ce front s'est adouci.Mais quoi ! dans cet état, où chacun vous regarde,En perdant tant d'orgueil, votre honneur se hasarde.Faites meilleur visage à votre mauvais sort,Et ne vous rendez pas à son premier effort. Il est vrai que ce coup perce jusque dans l'âme.Voir périr tout l'espoir d'une superbe flamme ;Vous voir si loin du Trône, où vous sembliez voler,Il n'est pas bien aisé de vous en consoler. Consolez-vous pourtant d'un affront si visible ; Le procédé du Roi rend ce coup moins sensible :Ce n'est mépris pour vous, ni manque d'amitié ;C'est pour moi seulement un peu trop de pitié :Son coeur tendre et facile a ressenti mes larmes,Et sa compassion le dérobe à vos charmes. De grâce, consentez cet effort généreux,Et ne vous fâchez pas qu'on serve un malheureux. DEUTHERE. Triomphez, Clidamant, de cette infortunée ;À de pires affronts je me suis condamnée.Le Roi m'a fait justice après ma trahison ; Et vous me punissez avec trop de raison. Je vous fais, Clidamant, un aveu légitime ; Non que je veuille encor regagner votre estime,Et reprendre sur vous ce pouvoir glorieux,Que je tenais de vous plutôt que de mes yeux. Soit que je vous paraisse infidèle, ou trahie,Le rebut d'un Monarque, ou bien votre ennemie,Je n'ai rien maintenant qui puisse vous charmer, Et je vous haïrais, si vous pouviez m'aimer. Puis donc que mon amour perd toute son estime, Qu'il ne peut effacer ma honte ni mon crime ; Ne puis-je aucunement calmer votre courrouxPar l'offre d'un trésor qui fait mille jaloux ? C'est un bien précieux, dont je suis un peu vaine,Que j'offre à votre amour, pour calmer votre haine ; C'est ma Fille, c'est elle, en qui seule je voisTout ce que je perdis en vous manquant de foi.Depuis l'amour du Roi vous l'ayant destinée... CLIDAMANT. Je sais bien de quel temps vous me l'avez donnée. Mais pour me la donner, l'ôteriez-vous au Roi ? DEUTHERE. Non, malgré le mépris que l'ingrat fait de moi,Je pourrais en faveur d'une Fille si chère,Pour la couronner Reine, oublier ma colère.Mais son coeur ne dépend ni du Roi, ni de nous. CLIDAMANT. Ni du Toi, ni de vous ? Hé de qui donc ? DEUTHERE. De vous. CLIDAMANT. De moi ? je ne suis pas assez vain pour vous croire.Raillez, c'est votre tour ; mais sans blesser sa gloire ;Clotilde a trop de coeur après l'amour d'un Roi,Pour vouloir abaisser ses yeux jusques à moi. DEUTHERE. Non, je ne raille point ; moi-même dans son âme J'ai mis le premier trait qui fit naître sa flamme ; Quand j'attendais un Roi, je crus pour votre bien,Que son coeur vous vengeait de la perte du mien. CLIDAMANT. Non, je vous aime encor ; ni son coeur, ni tout autre,Ne saurait me venger de la perte du vôtre ; Rendez-moi ce coeur... DEUTHERE. Que me demandez-vous ? Un coeur perfide, ingrat... CLIDAMANT. Dites un coeur jaloux,Qui tremble du bonheur de votre Fille même ; Un coeur ambitieux, qui court au Diadème ; Un coeur, de qui l'orgueil se sait mal déguiser ; Un coeur, qui se méprend, quand il croit m'abuser.Vous voulez m'éblouir par les yeux d'une Fille,Et me faisant entrer dedans votre Famille,Enchanter ma faveur par un signe digne choix.Votre Fille est d'un prix à mériter des Rois, À mériter un Dieu, je l'avouerai moi-même ; Mais elle est toutefois indigne que je l'aime.Tant d'appâts surprendraient une moindre fureur,Mais s'il osait aimer, j'arracherais ce coeur.Je ne veux rien de vous ; et fut-elle plus belle, Elle est, elle est toujours le sang d'une infidèle ;Elle est toujours d'un sang qui vient de me trahir ;D'un sang et que je dois, et que je veux haïr.Vous m'auriez pu braver avec tant d'insolence,Payer un long amour d'une lâche inconstance ; Rompre tous vos serments ; violer votre foi ;Et je travaillerais à vous donner un Roi ? Je donnerais pour Reine à toute l'AustrasieUne Femme infidèle, une ingrate ennemie, Qui m'ose menacer, qui m'ose dédaigner ? Périsse tout plutôt, que de vous voir régner.J'eusse pu déguiser cette fureur extrême ;Mais je parle sans crainte, et me venge de même. DEUTHERE. Eclate, furieux ; ne te déguise plus,Et fais de mon préfet un généreux refus ; Au moins ce grand éclat, ou plutôt ta faiblesse,Me fait voir tout à nu cette âme vengeresse,Qui pousse jusqu'au bout sa haine et son dépit.Je te connais, cruel, et cela me suffit. CLIDAMANT. Pour me connaître mieux, sachez, quoi que je fasse, Que ma haine de vous ne veut trêve ni grâce.Autant que mon amour parut aux yeux de tous,Je veux faire éclater l'horreur que j'ai pour vous.Si mon coeur vous aimait d'une ardeur sans seconde,Et s'il vous préférait à l'Empire du monde, Il vous hait maintenant avec un tel transport,Qu'il vous préférerait l'infâmie et la mort. J'oppose, par l'éclat d'une vengeance pleine,Aux hontes d'un mépris la gloire de ma haine ; Et je veux effacer par un amas d'horreurs, L'infâme souvenir de mes vielles erreurs. SCÈNE VI. Deuthere, Lucinde. DEUTHERE. Enfin c'est à ce coup que le sort qui m'outrageSans plus rien ménager, vomit toute sa rage. Sa haine ouvertement s'expliquant contre moi,Ne me fait plus douter du changement du Roi. Dans cette extrémité, quel conseil faut-il prendre ? Faut-il dans cet état, ou combattre, ou se rendre ? Ma raison étonnée en ces obscurités,De mon seul désespoir prend toutes ses clartés :Lucinde, il faut céder, puisque tout m'abandonne. Amour, ambition, ce conseil vous étonne : Mais enfin c'est le seul que je puis écouter.Amour, sors de mon coeur ; Trône, il faut te quitter.C'est par ce seul chemin que ma vengeance ouvertePeut prendre l'ennemi qui s'obstine à ma perte. Il faut, il faut vouloir ce que veut Clidamant,Pour renverser sur lui tout son ressentiment.Il veut m'ôter le Sceptre en faveur de ma Fille ; J'y consens, il suffit, qu'il soit dans ma Famille ; Si je ne puis régner, ma Fille régnera ; Si j'en reçois l'affront, mon sang me vengera.Ainsi tout son crédit, et toute sa puissance,Ne sauraient m'arracher cette douce espérance.Je te verrai forcé, perfide, d'obéirÀ ce sang, que tu dois, et que tu veux haïr. Le Roi vient, et le traître achève son ouvrage : Mais il va voir quel est le succès de sa rage. SCÈNE VII. Le Roi, Deuthere, Clidamant, Lucinde. LE ROI, parlant à Clidamant. Mais enfin je ne puis lui parler, ni la voir.Quel sera mon recours dans ce grand désespoir ? DEUTHERE. Moi, Seigneur. LE ROI. Ah ! Madame. DEUTHERE. Oui, Seigneur, c'est moi-même, Qui viens... LE ROI. N'insultez pas à ma douleur extrême ; Ce coeur brûlant pour vous... DEUTHERE. C'est trop se déguiser ; On n'a que trop de soin de me désabuser.Mais malgré les affronts de votre perfidie,J'immole à votre amour toute ma jalousie ; Et forçant mon devoir, ma flamme, et mon courroux,Je vous cède à ma Fille, et ma Fille est à vous.Il suffit qu'elle règne, et que je règne en elle ; Et puisque c'est mon sang qui vous rend infidèle,C'est un autre moi-même à qui vous vous donnez ; Et je croirai régner, si vous la couronnez.J'aurai part à ce Trône, en y voyant un Gendre,Malgré les envieux qui m'en ont fait descendre ;Et du rang où par vous mon sang doit m'élever,Je les verrai trembler, ceux qui m'osent braver. Je vais la préparer à ce grand Hyménée. SCÈNE VIII. Le Roi, Clidamant. LE ROI. Ô Succès fortuné d'une amour condamnée ! Par quelque mouvement qu'elle me rende heureux,Je ne puis trop louer cet effort généreux.Mais tu parais troublé. CLIDAMANT. Ce que je viens d'apprendre, Seigneur, je vous l'avoue, a droit de me surprendre.J'admire cet étrange et soudain changement.Qu'une Femme en colère agit bizarrement ! D'où pensez-vous tenir une faveur si chère ? LE ROI. Je la tiens de ta main aussi bien que Deuthère. Tu pouvais par son choix accepter ton mon bien ;Et sans ton amitié, je ne possédais rien. Amant trop généreux, et sujet trop fidèle ! CLIDAMANT. Non, non, vous ne tenez ce bien de moi, ni d'elle,Et quand votre bonté m'impute une faveur, Mon respect trop sincère en découvre l'auteur.Il est vrai, je pouvais accepter la Princesse ;Mais ce don m'a déplu des mains de la Comtesse :Car j'avouerai, Seigneur, qu'un don si précieux,S'il fut venu d'ailleurs, eût pu charmer mes yeux. Sachez donc que cette offre est un don de sa haine ; Son désespoir consent que sa Fille soit Reine.Croyant ses feux trahis moins de vous que de moi,L'espoir de se venger cède à sa Fille un Roi.Son âme de fureur pleinement possédée, S'est d'abord attachée à sa première idée : Mais l'effort qu'elle fait en cette occasionÀ sa jalouse flamme, à son ambition,Lui produira bientôt un remord véritable.Profitez promptement d'une offre favorable. Elle croit que ma peur, par un prompt changement,Vous inspire de prendre un autre sentiment ;Et que ma politique inégale et changeante,Vous donne pour mon zèle une fois chancelante ;Mais je ne démens point ce qu'un zèle assuré M'a pour votre intérêt une fois inspiré.Je vous le dis encor malgré toute sa haine,Sans craindre ce que peut la Mère d'une Reine ;Clotilde doit régner au sentiment de tous ; Et Deuthère est un choix trop indigne de vous. LE ROI. De grâce, explique mieux les bontés de Deuthère ;Et quel que soit le don, qu'elle vient de me faire,Ôtons-en tous ces traits de haine et de fureurEt ne m'entretiens plus que de ce grand bonheur.Je vais faire ta paix avecque la Comtesse. Toi, va de notre Hymen répandre l'allégresse ;Va de ce grand espoir charmer toute la Cour,Et fais dans tous les coeurs triompher son amour. SCÈNE IX. Clodomire, Le Roi. CLODOMIRE. Il est temps de parler ; meurs, respect trop sévère.Mon Rival est mon Roi ; mais c'est aussi mon Père. Seigneur... LE ROI. Mon Fils, sais-tu la fin de mon ennui ? Sais-tu que la Comtesse, elle-même aujourd'hui,Malgré l'ardente soif de la grandeur suprême,Malgré tous les transports de son amour extrême,Du plus aimable objet que vît jamais ma Cour, Daigne honorer mon Trône, et payer mon amour ? CLODOMIRE. Hélas ! LE ROI. Allons presser cet Hymen adorable. CLODOMIRE. Est-ce ainsi qu'on appelle un malheur effroyable ? LE ROI. Traite mieux un amour, que la Mère consent. CLODOMIRE. Vous, Seigneur, traitez mieux un amour innocent. LE ROI. Quoi, ton amour du mien a-t-il lieu de se plaindre ? CLODOMIRE. Ah ! Seigneur... LE ROI. Qu'ai-je enfin, ou qu'as-tu lieu de craindre ? CLODOMIRE. Voir votre amour content, et le voir à regret,C'est vous instruire assez de mon tourment secret. LE ROI. Aimerais-tu Clotilde ? CLODOMIRE. Oui, Seigneur ; et vous-même ; Vous-même, vous allez m'arracher ce que j'aime. LE ROI. Quoi, tu l'aimes, mon Fils ? CLODOMIRE. Oui, je l'aime, et mon coeurNe peut plus vous cacher sa flamme et sa douleur. LE ROI. Mon fils aime Clotilde ; et le Ciel en colèreRéservait ce supplice au crime de ton Père. Plein d'amour, plein d'espoir, et de ravissement,Ciel, faut-il pour me perdre attendre ce moment ? Ah ! quel trouble, mon Fils, jettes-tu dans mon âme ? Tu devais respecter, ou prévenir ma flamme. CLODOMIRE. J'avais de cet amour senti le coup fatal ; Je brûlais sans connaître un si puissant Rival ; Et mon coeur, aussitôt qu'il a pu se connaître,A voulu vaincre un feu dont il n'est plus le maître.J'éprouve enfin, Seigneur, que par l'ordre des CieuxRien ne guérit du mal qu'ont fait de si beaux yeux ; Et qu'un coeur qui s'obstine à vaincre leur puissance,En perd le désir même, avecque l'espérance. LE ROI. C'est ce qui doit, mon Fils, redoubler ma douleur ; Si rien ne nous guérit, quel est notre malheur ? CLODOMIRE. Ah ! Seigneur... LE ROI. Ah ! mon Fils, quelle est notre disgrâce ? Mon Fils est mon Rival, que faut-il que je fasse ? Si tu pouvais, mon Fils, te vaincre en ma faveur. CLODOMIRE. Je voudrais le pouvoir ; mais le puis-je, Seigneur ? LE ROI. Cet effort est bien grand ; cet effort est extrême, CLODOMIRE. Cet effort est mortel ; vous le savez vous-même. Mais sans plus consulter, périsse un malheureux,Meure un Fils trop ingrat, qui s'oppose à vos voeux. LE ROI. Ah ! mon Fils ; tu connais par où je suis sensible ; Mais connais-tu, pour vaincre un amour invincible, À quel combat mortel tu livres tout mon coeur ? Tendresse de mon sang, triomphe en sa faveur.Et toi, mon cher amour, toi qui malgré mon crimeParaissais à mes yeux si beau, si légitime ;Amour, qui maintenant connais innocemment ; Amour, qu'un prompt espoir flattait si doucement ; Meurs, voyant quels malheurs suivraient cette aventure ; Voyant quelles horreurs menacent la Nature ; Et quand même ta gloire, et tes voeux sont remplis,Donne ce grand triomphe aux tendresses d'un Fils. CLODOMIRE. Hélas ! À quel combat se prépare votre âme ? LE ROI. Je souffre mille morts en faveur de ta flamme. CLODOMIRE. Songez plutôt, songez, Sire, à vous secourir. LE ROI. Je t'aime trop, mon Fils, il faut vaincre, ou mourir. CLODOMIRE. Plutôt... LE ROI. N'en parlons plus. Va-t'en voir la Comtesse,Et tâche d'exécuter un crime de faiblesse, Pour lui rendre l'espoir qu'elle m'avait quitté.Dis-lui que je combats mon infidélité.Seulement pour un coup si grand, ni nécessaire,Donne quelques moments à ton malheureux Père.Quand il faut décider ma victoire, ou ma mort, Ce délai n'est pas trop pour un si grand effort. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Deuthere, Clidamant. DEUTHERE. Écoutez, Clidamant. CLIDAMANT. L'ordre du Roi me presseD'achever promptement l'Hymen de la Princesse.Je vais tout préparer pour ce commun bonheur. DEUTHERE. Cherchez-vous votre perte avec tant de chaleur ? CLIDAMANT. Pensez-vous que je craigne une haine impuissante ? DEUTHERE. Dites, dites plutôt une haine inconstante.Soit pitié, soit tendresse, ou pour vous, ou pour moi,Vos périls, et les miens, me donnent de l'effroi. Près d'un Hymen fatal consenti par vous-même, Voyez quel trouble enfante une fureur extrême.Daignez ouvrir les yeux sur ce grand désespoir,Qui presse contre vous ma haine et mon pouvoir. CLIDAMANT. J'avais déjà prévu ces remords, ces faiblesses :En vain vous les caches sous de fausses tendresses. Après tant de ressorts essayés vainement,Pensez-vous que ma haine agisse aveuglément ?Je m'expose, il est vrai, souffrant que votre FillePorte la Royauté dedans votre Famille ; Je vois que votre haine en prend de grands secours ; Et je vois tout entier le péril que je cours.Mais apprenez aussi, que le pouvoir suprêmeQue j'ai tant soutenu, me soutiendra moi-même ;Que je puis disposer et du Trône et du Roi ;Que par la force ouverte on ne peut rien sur moi ; Que s'il faut employer la plus noire pratique,Qu'applique aux derniers maux l'infâme Politique,J'ai des ressorts si sûrs, et des coups si puissants... DEUTHERE. Hé bien tu veux périr, malheureux, j'y consens.Va presser cet Hymen ; mets ma Fille à ma place : Mais tremble en apprenant jusqu'où va ton audace.Regarde ce que peut ma Fille contre toi,En régnant sur le Trône, et dans le coeur d'un Roi.Tu la verras prêter tous ses soins à ma haine, Le crédit d'une Femme, et celui d'une Reine ; Faire au Roi de ton sang le prix de son amour ; Soulever contre toi tous les Grands de la Cour.De quelque fermeté que ta faveur se vante,Nous la verrons au moins étonnée et tremblante :De mille mécontents, qui craignent ton pouvoir, Une Reine en crédit relèvera l'espoir ;De tous tes Partisans, je corromprai le zèle ; Je te rendrai suspect l'ami le plus fidèle ;Et de mille terreurs te poursuivant partout,Ma haine infatigable ira jusques au bout. CLIDAMANT. Et moi dans ce combat de puissance et de haine,Je vous verrai rougir d'une inutile peine ; Rougir de voir ici vos voeux humiliés ; La Fille sur le Trône, et la Mère à ses pieds.Je verrai la Nature à soi-même infidèle Former dans votre coeur une horreur criminelle ;Et votre ambition jalouse de son rang,Révolter lâchement le sang contre le sang.Je vous verrai souffrir ce que souffre l'envie,La jalouse fureur, l'ambition trahie ; Et nous essaierons, qui ne nous fera voirUn plus illustre éclat de haine et de pouvoir.Mais c'est trop différer l'Hymen de la Princesse,Cet entretien en a retardé l'allégresse ;J'ai perdu quelque temps ; mais pour m'en consoler, J'ai consumé ce temps à vous faire trembler. SCÈNE II. Deuthere, Lucinde. DEUTHERE. Vois dans quel désespoir cette fureur l'entraîne ;Il s'en va couronner et ma Fille, et ma haine.J'ai cru, pour dérober ma Fille à ce bonheur,Que sa crainte romprait ce qu'a fait sa fureur. Cependant il le presse, et brave ma furie.Il suffit qu'il le veut pour m'en ôter l'envie.Ma fureur se redouble au mortel déplaisirDe voir mon propre choix suivi de son désir ; J'en prends mille clartés, qui m'étaient échappées ; Puisqu'il suit mes ardeurs, elles s'étaient trompées.Sa haine y voit plus clair que n'a fait ma fureur,Et son empressement me fait voir mon erreur. Je reconnais enfin, qu'en voulant perdre un traître,Ma haine dans ces lieux aura toujours un Maître ; Et que toujours le Roi charmé de Clidamant,Rompra tous les efforts de mon ressentiment.Je reconnais enfin que le titre de ReineSe doit moins hasarder que le fruit de ma haine ; Qu'il faut garder mes droits, et par un long espoir Lasser un Roi perfide, et forcer son devoir. Si ma haine imprudente, à moi-même fataleA voulu de ma main couronner ma Rivale ;Me laissant entraîner en ce fatal momentÀ la rapidité de mon ressentiment, Qu'à ce lâche dessein mon ennemi s'emploie ;Le traître qui le veut, n'en aura pas la joie.Maîtresse de ma Fille, ainsi que de mon sang,Je saurai disposer de son coeur, de son rang.Pour l'arracher des bras d'un Monarque infidèle, Le plus indigne Époux sera trop indigne d'elle. LUCINDE. Madame, sans fouiller un sang si glorieux,Un grand et digne Époux se présente à vos yeux.Le Prince. DEUTHERE. Ah ! Tu me rends et ma vie et ma gloire.Mon malheur m'ôtait tout jusques à ma mémoire ; Et tu m'as tout rendu par cet heureux avis.Vengeons-nous promptement du Père par le Fils.Ton refus, Clidamant, honore ma Famille,Et sert à même temps et la Mère et la Fille ; Le Prince sans espoir, et réduit aux soupirs, Voyant ce beau chemin ouvert à ses désirs,Rempli de tout l'orgueil, qu'inspire dans une âmeL'espoir ressuscité d'une si belle flamme,Jeune, hardi, vaillant, moins prudent qu'amour,Poussera jusqu'au bout cet effort généreux. LUCINDE. Le Prince heureusement s'offre à votre vengeance.Il aime votre Fille avecque violence :Mais que prétendez-vous, l'ayant promise au Roi ? DEUTHERE. Je ne dois rien tenir, à qui manque de foi.Mon dépit l'a flatté d'une espérance vaine : Mais ma haine reprend le présent de ma haine.Qui cède ainsi le Trône, et promet tout son bien,Promet plus qu'il ne peut, et ne s'engage à rien. LUCINDE. Hé bien, dispensez-vous d'une injuste promesse.Le Roi doit avouer l'Hymen d'une Princesse. C'est l'état, c'est son bien, qui doit régler ce choix. DEUTHERE. Mais le droit des parents vaut bien celui des Rois. Je suis Mère, et de plus jalouse et trahie ;Et j'en disposerai malgré sa tyrannie :Mais pour la dérober à sa flamme, à ses yeux, Le Prince peut lui seul l'enlever de ces lieux.Béziers m'offre un asile, et voyant sa Comtesse... SCÈNE III. Clodomire, Deuthere, Lucinde. CLODOMIRE, l'interrompant. Pardonnez, si pour vous transporter d'allégresse,Je n'ai point attendu le congé de vous voir ;Ma juste impatience a forcé mon devoir. Madame, enfin le Roi tout honteux de son crime,Suit les beaux mouvements d'un remord légitime ;Et vous rend par ma main un rebelle dompté,Plus zélé, plus soumis qu'il n'a jamais été. Souffrez un repentir, qui remet dans son âme Les plus profonds respects de sa première flamme.Son coeur suivant l'objet qu'il vous a préféré,N'était pas loin de vous, quand il s'est égaré ; Et tombant dans les mains d'une Fille si chère,Pour retourner à vous, il n'a qu'un pas à faire. DEUTHERE. Quel effort si soudain a fait ce changement,Quand il espérait tout de mon contentement ? CLODOMIRE. Du désespoir d'un Fils les pressantes alarmes,Les tendresses du sang, mes soupirs, et mes larmes,Vous redonnent un coeur qu'il avait ôté. DEUTHERE. Quel puissant intérêt vous a sollicitéÀ prendre le parti de cette malheureuse ? CLODOMIRE. L'intérêt qu'y doit prendre une âme généreuse ;L'intérêt du Roi même, et peut-être le mien.Mais l'intérêt est faible, où je n'espère rien. DEUTHERE. Espérez tout de moi. CLODOMIRE. Mon rang, l'aveu d'un Père,Vos bontés que j'égale à celles d'une Mère,Ne sauraient assurer mes timides soupirs : Ce que j'ai souhaité, fait trembler mes désirs, Et si vous n'expliquez mes voeux par mon silence, Vous n'apprendrez jamais quelle est mon espérance. DEUTHERE. Prince, je vous entends, et ne puis concevoirD'où naît ce grand respect pour si faible espoir.Je vous dois beaucoup plus, et cette défianceBlesse votre mérite, et ma reconnaissance. D'un si faible présent mon esprit est confus,Plus que vous ne l'étiez de la peur d'un refus. CLODOMIRE. Ô bonté sans exemple, et que j'ai peine à croire !Ô pour un prix si grand, trop facile victoire ! Après un tel aveu, souffrez à cet Amant La liberté de voir un objet si charmant,Et de rendre à ses yeux les respects de ma flamme. DEUTHERE. Il faut auparavant y préparer son âme ;La surprise est trop grande en de pareils bonheurs.Vous allez près du Roi couronner vos faveurs ; Hâtez tout ce qui peut combler mon espérance. CLODOMIRE. Je vais charmer le Roi par cette impatience.Ah ! que la mienne est grande, et qu'un coeur amoureuxEst peu maître de soi, quand il se croit heureux.L'ardeur... Mais le Roi vient. SCÈNE IV. Le Roi, Clodomire. LE ROI. Quelle est cette allégresse, Prince ? CLODOMIRE. Je viens, Seigneur, de charmer la Comtesse.Son espoir renaissant rallume ses soupirs,Et fait évanouir ses derniers déplaisirs.Pleine de son transport, et de reconnaissance,Elle donne à mes voeux une entière espérance. LE ROI. Prince, que dites-vous ? quelle téméritéD'un si superbe espoir vous a sitôt flatté ? Qui vous fait espérer... CLODOMIRE. La Comtesse, vous-même. LE ROI. Quoi, vous ai-je promis de céder ce que j'aime ? CLODOMIRE. Quoi, vous m'auriez flatté d'un inutile espoir ? LE ROI. Non, je combats ma flamme, et je fais mon devoir.Vous devez imiter un devoir trop sévère,Et m'être aussi bon Fils, que je vous suis bon Père.Quand le sang dans mon coeur contre moi conspirait,J'ai cru que dans mon Fils le sang me vengerait ; Et lorsque de lui seul j'attends tout mon remède,Je viens voir s'il me donne autant que je lui cède.Mais je vois que l'amour étouffe l'amitié ;Que tout mon désespoir le trouve sans pitié ;Que fuyant le péril d'un combat qui me gêne, Il s'en promet le fruit, et m'en laisse la peine.Pour éteindre un grand feu, pour vaincre mon amour,Était-ce trop ingrat de me donner un jour ? S'il suffisait pour vaincre une flamme obstinée,Ce serait pour ma gloire une grande journée. Tandis que pour calmer ces violents transports,Je force la Nature à ses derniers efforts ;Avec un faible espoir subornant la Comtesse,Mon Fils va lâchement surprendre ma tendresse ;Me voler un trésor qu'il ne mérite pas ; Et l'ingrat court au prix, tandis que je combats. CLODOMIRE. Oui j'y cours, quand je crois qu'un Père me le cède ;Quand je vous crois guéri, je cours à mon remède. J'ose tout espérer ou de votre amitié,Ou de votre courage, ou de votre pitié. Vous avez pour guérir une amour criminelle,Le secours du remord, l'horreur d'être infidèle :Mais hélas ! quel secours s'offre à ma guérison ? Une ardeur violente, une faible raison,Un amour innocent avoué par Deuthère, Un amour qui se fie aux bontés de mon Père.Votre amour par son crime est toujours combattu ;Mon amour se défend par la même vertu.L'amour trouve chez vous d'éternelles alarmes ;L'amour est dans mon coeur avecque tous ses charmes. Tout sert à vous guérir, tout sert à m'enflammer.Enfin vous savez vaincre, et je ne sais qu'aimer.Achevez, achevez cette grande victoire :Si j'en attends le fruit, vous en aurez la gloire. LE ROI. Quelle gloire, cruel, qui m'ôte mon bonheur ! Vous êtes peu jaloux d'un si funeste honneur :Mais quand vous dédaignez une grande victoire,Lâche, vous n'en aurez ni le front, ni la gloire.Je vaincrai, je vaincrai, mais ce sera pour moi ; N'attendez rien d'un Père, et craignez tout d'un Roi. Ce coeur, qui pour un Fils m'inspirait ses faiblesses,Pour venger mon amour, perd toutes ses tendresses.Sourd à la voix du sang, qui me parlait pour vous,J'abandonne mon âme à son juste courroux.Je veux que mon amour touche à se satisfaire ; Qu'il supprime les noms, et de Fils, et de Père ;Qu'il suive tout l'effort de son ressentiment ;Qu'il ne regarde en moi qu'un jaloux, qu'un Amant ;Qu'il ne regarde en vous qu'un sujet, qu'un rebelle,Qu'un ingrat ennemi, qu'un Rival infidèle, Qu'un Fils dénaturé, qu'un Monstre plein d'horreur ;Et le plus digne objet de toute ma fureur.Allez, et de ce pas sortez de ma présence. SCÈNE V. LE ROI, seul. Que fais-tu, malheureux ? À quelle violence,À quels ressentiments, Père dénaturé, Souffres-tu la douleur d'un Fils désespéré ?Sainte amitié du sang, Nature abandonnée,Par une injuste amour lâchement condamnée, Reviens pour prévenir un sanglant désespoir,Et pour sauver un Fils, fais enfin ton devoir. Reviens, reviens, mon Fils. Mais je vois la Princesse.Ha ! que le sang est faible auprès d'une Maîtresse ! Tout mon amour revient à ce charmant abord ; La Nature est muette, où l'Amour est si fort. SCÈNE VI. Le Roi, Clotilde. LE ROI. Princesse, quel bonheur en ces lieux vous amère ? Venez-vous adoucir la rigueur de ma peine,Et donner quelque espoir à mes tristes amours ? CLOTILDE. Je vous trouve à propos pour en rompre le cours. Seigneur, présumez-vous en moi tant de faiblesse ? Que je serve moi-même à trahir la Comtesse ? Quand ma Mère voudrait vous rendre votre foi,Ce changement vous rend trop indigne de moi. Je sais qu'elle a voulu se trahir elle-même,Me quitter votre amour avec le Diadème.Mais bien loin d'être à vous par ce consentement, J'ai d'autant plus d'horreur de votre changement.Pardonnez aux transports d'une douleur si forte : Je ne puis résister au torrent qui m'emporte.Une Mère trahie et par vous, et pour moi,M'ôte tout le respect que je dois à mon Roi. LE ROI. Vous ne m'en devez point : mais vous devez, Princesse,Avouer mes soupirs, et souffrir ma tendresse ; Et vous devez avoir des sentiments plus douxPour un Prince inconstant qui ne l'est que pour vous.Si mon coeur sans vous voir s'offrit à votre Mère, S'il change en vous voyant, son crime est nécessaire ;Et le Ciel m'eut toujours empêché de vous voir,S'il ne m'eût dispensé de ce premier devoir. Si c'est votre destin de charmer et de plaire, Vous devez au destin, bien plus qu'à votre Mère ; Et vous devez souffrir d'un sort si glorieux,Qu'un autre empire cesse, où règnent ces beaux yeux.Dès lors que je vous vis, cette première chaîneSe brisa d'elle-même avec si peu de peine ; Qu'un si prompt changement ne se peut concevoir, Si l'amour ne l'a fait par les mains du devoir. CLOTILDE. Ce fut donc un devoir de trahir la Comtesse ;Je vois bien, vous voulez surprendre ma faiblesse : Mais si je manque ailleurs de force et de raison,Je n'en manquerai point contre la trahison. Je sens qu'à ce seul mot mon coeur se fortifieContre tout ce qui penche à quelque perfidie.Tandis que votre amour s'est cachée à moitiéSous les fausses couleurs d'une belle amitiéEt que les soins d'un coeur apparemment sincère Se pouvaient expliquer en faveur de ma Mère,J'ai souffert des soupirs, qui m'étaient inconnus :Mais puisque vos désirs, quelque temps retenus,Se font voir maintenant toute leur injustice,Mon coeur est assez fort contre votre artifice ; Et s'il a contre lui faiblement combattu,Un crime découvert assure ma vertu. LE ROI. Hé bien je l'avouerai, je suis un infidèle ;Je puis bien l'avouer, la cause en est trop belle : Mais si vous condamnez ce changement de foi, Ne vous obstinez pas contre l'amour d'un Roi ;Et puisqu'enfin le Ciel vous doit une Couronne,Souvenez-vous qu'il veut que ma main vous la donne ;Et qu'il force un Monarque à l'infidélité,Pour pouvoir s'acquitter envers tant de beauté. Vos Beautés comme vous pour le Trône sont nées,Le Ciel aime à voir les Grâces couronnées.Peuvent-elles jamais mieux régner que chez vous ? Belle et Reine à la fois, ce sont des noms bien doux ;Ajoutez l'un à l'autre ; et soyez plus fidèle Au Ciel, qui pour régner pour a faite si belle. CLOTILDE. Ces attraits tant vantés ne m'éblouissent pas.Vous, Seigneur, sauvez-vous de ces mortels appâts.Votre amour est aveugle, alors qu'il me préfèreAu précieux espoir de posséder ma Mère. Sortez, Seigneur, sortez de cet aveuglement. LE ROI. Aimer ce que le Ciel a fait de plus charmant,Est-ce dans votre esprit une action si noire ?Craignez pour mon repos, et non pas pour ma gloire ; Quand vous m'abandonnez au dernier désespoir, Ma vie est en péril, et non pas mon devoir.Prenez pitié d'un Roi soumis à votre empire ; Un Monarque à vos pieds qui prie et qui soupire. CLOTILDE. Ah ! c'est trop ; cachez-moi des transports si honteux.Pour finir un combat indigne de tous deux, Je vous quitte, Seigneur ; mais lorsque je vous quitte,Ne prenez pas du moins quelque espoir de ma fuite.Tout l'éclat dont le Trône a droit de nous flatter ; Tout ce qu'un grand amour emploie à nous tenter ;Tout l'Univers ensemble armé contre ma gloire, Ne saurait m'arracher l'honneur de la victoire.Contre un coeur généreux armé pour son devoir,Toute la Terre est faible, et le Ciel sans pouvoir. SCÈNE VII. LE ROI, seul. Quelle est, Théodebert, ta faiblesse et ta honte ? Une Fille te brave, un Enfant te surmonte ; Un caprice d'amour, une infidélité,T'expose, Prince aveugle, à cette indignité.Mourez, mourez enfin, impérieuses flammes.Honteuse passion, poison de belles âmes,Qui corromps lâchement les plus fières grandeurs, Respecte au moins le Trône, et règne en d'autres coeurs. Laisse agir mon devoir en faveur de ma gloire. SCÈNE VIII. Le Roi, Clidamant. LE ROI. Viens enfin, Clidamant, aider à ma victoire.Tous mes soins rebutés, mon amour sans espoir,Maîtresse, mon Fils, tout soutient mon devoir. Clotilde est invincible ; et toute mon adresseNe saurait la fléchir à la moindre tendresse.Trône, soupirs, amour, un Monarque à genoux,Tout fait que redoubler ma honte et son courroux. CLIDAMANT. J'ai vu sortir d'ici cette Belle en colère : Mais ce courroux n'a rien qui puisse vous déplaire ; La Nature devait contre tous vos effortsEn faveur d'une Mère opposer ses transports Par ce juste courroux à sa Mère fidèle,Elle s'est pleinement acquittée envers elle ; Et ce coeur généreux après s'être rendu,Pourra dire partout, j'ai fait ce que j'ai dû ;J'ai voulu résister ; mais quelle résistancePeut faire un jeune coeur contre tant de puissance ?Mais quand même Clotilde avec tout son courroux Se voudrait obstiner à tenir contre vous,Et voudrait conserver tout son zèle à sa Mère,Il est beau de dompter une vertu sévère ; De forcer cent devoirs, et d'arracher un coeurDes mains de la Nature, et des mains de l'honneur. Aimeriez-vous, Seigneur, l'infidèle Deuthère ?Vous plaît-elle si facile, inconstance, légère ?Quoi, voulez-vous d'un coeur qui se rend lâchement,Qui ne vous a coûté qu'un souhait seulement ? D'un coeur, dont les soupirs ont été pour un autre ? Aimez un jeune coeur, un coeur qui soit tout vôtre ; Qui se fait acheter comme un coeur précieux,Et qui veut pour son maître un vainqueur glorieux.Ne vous rebutez point, et son sexe, et son âge,Ne saurait contre un Roi résister davantage. Reposez-vous sur moi du succès de vos voeux. LE ROI. Qu'on croit tout aisément, quand on se croit heureux ! Et qu'un choix ébranlé par la honte du crime,Si peu qu'on ait d'espoir, nous paraît légitime !J'aimerai, j'aimerai, puisque j'ose espérer. Mais un autre devoir commence à murmurer.Mon Fils aime Clotilde. CLIDAMANT. Hé bien, Seigneur, s'il l'aime,Que peut un faible amour contre un pouvoir suprême ?Père, vous pouvez tout contre un Fils généreux ; Roi, vous pouvez d'un mot renverser tous ses voeux. Mettez-vous au-dessus de toutes ces tendresses ;Laissez à d'autres coeurs ces indignes faiblesses ; Pardonnez-moi, Seigneur, ce mot m'est échappé.Mon zèle par vous-même est si souvent trompé,Qu'il ne peut ni garder, ni prendre ses mesures ; Votre inégalité produit des aventures,Par qui vos sentiments brouillés, ou mal conduits,Font voir tous vos desseins l'un par l'autre détruits. LE ROI. Hé bien, puisqu'il est temps de contenter ma flamme,De tous les sentiments, qui partagent mon âme, Je n'en veux croire aucun, et ne veux rien choisirQu'au gré de mon amour, qu'au gré de mon désir. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Deuthere, Clodomire. CLODOMIRE. Vous voyez que son Fils rougit de sa faiblesse. Il veut absolument posséder la Princesse ; Quand j'ai cru que le Roi m'avait tout accordé, Son amour combattait, et n'avait pas cédé.Voyant un si grand coeur combattre pour sa gloire,Mon amour abusé comptait sur sa victoire. Mais Clidamant trop fort sur l'esprit de son Roi... DEUTHERE. Il tâche, le cruel, à se venger de moi ; Mais je hais moins en lui l'effet de sa vengeance,Que je ne hais du Roi le crime et l'inconstance. CLODOMIRE. Lorsqu'aux premiers transports d'un espoir si charmant,Il apprit que j'avais votre consentement ; Je viens en même temps son âme ressaisie De tout ce que produit l'ardente jalousie ; Interdit, furieux, plein de son désespoir,Il éclate, il menace, il vante son pouvoir.Quels secours, quels efforts rompront la violenceDe ce torrent d'amour, de haine, et de puissance ? DEUTHERE. Contre tant de pouvoir, d'amour, et de courroux,Je ne veux opposer que votre amour, et vous.Oui, si vous le voulez, Prince, sans autres armes,Nous pouvons prévenir l'effet de ces alarmes ; Il suffit que l'objet, qui fait changer le Roi, Est sujet à mon choix, et qu'il dépend de moi.Celle que vous aimez étant sous ma puissance,Reprenez hardiment toute votre espérance.Qu'on la fasse venir. Oui, Clotilde est à vous. CLODOMIRE. Offrez-vous à mes maux un remède si doux ? Ô pour un malheureux, trop aimable surprise ! DEUTHERE. Mais accepterez-vous un choix que j'autorise ? Votre Rival peut tout. CLODOMIRE. Il peut m'ôter le jour,Mais il ne peut m'ôter le courage et l'amour. DEUTHERE. Ainsi par votre amour, et par votre courage, Sur mes fiers ennemis j'aurai tout l'avantage. CLODOMIRE. Ainsi par vos bontés j'aurai tout mon bonheur. DEUTHERE. Furieux Clidamant, Monarque sans honneur,Perfide, vous saurez ce que peut ma vengeance. CLODOMIRE. Père ingrat, mon amour peut braver ta puissance. DEUTHERE. Ah ! Prince, retenons ce transport indiscret ;Il pourrait nous trahir ; triomphons en secret. CLODOMIRE. Voici Clotilde ; ô Ciel ! je tremble en sa présence.Est-ce respect, amour, désir, crainte, espérance ? SCÈNE II. Deuthere, Clodomire, Clotilde. DEUTHERE. Savez-vous quel bonheur vous arrive aujourd'hui ? Le Prince vous adore ; et je vous donne à lui. CLODOMIRE. Princesse, pardonnez un aveu téméraire.Je me tairais encor, sans l'aveu d'une Mère.Si c'est trop d'accepter de sa main ce grand bien,Je vous rends à vous-même, et n'espère plus rien. CLOTILDE. Je sens comme je dois l'honneur de votre flamme ; Mais ma Mère a déjà disposé de mon âme ; Et n'osant par respect refuser un tel choix,Il faut que son refus s'explique par ma voix. DEUTHERE. Non, vous m'expliquez mal ; je consens qu'il espère ; J'ai disposé de vous ; je puis encor le faire.Quand pour un choix si noble on brise d'autres noeuds,Le changement est juste, et n'a rien de honteux. CLOTILDE. Dans quelque rang qu'il soit, de fortune, et d'estime,Cette infidélité ne peut être sans crime ; Une Fille, qui peut une fois s'engager, Doit fuir plus que la mort la honte de changer.Ce sont là les leçons que vous m'avez données ;Et l'honneur, qui toujours dans les âmes bien nées,Pour de pareils conseils n'attend pas la raison, M'inspire de l'horreur contre la trahison. Quand j'aurais moins de gloire à montrer ma constance,Je la devrais toujours à mon obéissance.Vous m'avez commandé d'aimer Clidamant ;Vous m'avez commandé d'en faire mon Amant, Et de le préférer au choix du Diadème ;Madame, je l'ai fait ; je l'estime, je l'aime,Et ce feu prend sur moi d'autant plus de pouvoir,Que ce feu dans mon coeur naquit de mon devoir.Il est vrai que le Ciel, pour tenter ma constance, Entre ce Prince et lui met trop de différence ; Mais quelque effort qu'il fasse à ma fidélité,Mon coeur est assez fort contre une lâcheté.Au défaut de mon coeur acceptez cette gloire,Que la seule constance assure ma victoire ; Et que malgré les lois d'un devoir trop jaloux,Je voudrais être à moi, pour me donner à vous. CLODOMIRE. Ah ! Madame, est-ce là cette belle espérance ? DEUTHERE. Seigneur, espérez tout de son obéissance. CLODOMIRE. Quoi, me préférez-vous un Rival odieux ? DEUTHERE. Ma Fille, consentez un choix si glorieux. CLODOMIRE. Une Mère vous prie, et vous en sollicite. DEUTHERE. Refusez-vous un Prince avec tant de mérite ? CLODOMIRE. Pouvez-vous résister, Princesse, à ses désirs ? DEUTHERE. Pouvez-vous résister à de si beaux soupirs ? CLOTILDE. Quoi, Madame ; quoi, Prince avec tant de puissance, Venez-vous attaquer ma gloire et ma constance ? M'ordonnez-vous, Madame, une infidélité ? Vous, me conseillez-vous, Prince, une lâcheté ? Conspirez-vous tous deux à m'ôter ce que j'aime ? Éteindrez-vous des feux allumés par vous-même ? Vous, voulez-vous par force entrer dedans mon coeur ? Faites justice ou grâce à fidèle ardeur ;Ne persécutez plus une flamme innocente.Sans secours, sans appui, jeune, faible, impuissante, Je ne puis contre vous employer que mes pleurs.Quoi, larmes, ni pitié, ne touchent point vos coeurs ?Est-ce aimer, de vouloir m'arracher à moi-même ?Hélas ! si vous aimez, cruel, souffrez que j'aime. À Clodomire.Coeur, insensible coeur, vous n'aimâtes jamais Hé bien, opposez-vous à mes tendres souhaits ;Condamnez mon amour, tyrannisez mon âme ;Vous pouvez m'arracher le coeur, non pas ma flamme.Vous pouvez me forcer par l'empire du sang ;Vous pouvez me forcer par le pouvoir du rang ; Et puisqu'enfin ici ma résistance est vaine,Recevez cette main avec toute ma haine.Cette main dans ce coeur enfonçant mille coups,Le vengera bientôt de l'horreur d'être à vous. DEUTHERE. Ah ! Ce faux désespoir n'a rien qui m'éblouisse. Craignez plutôt ma rage, elle est sans artifice.Je le vois bien, ce coeur veut cacher à mes yeux,Sous un indigne choix, un zèle ambitieux.Mais que ce lâche amour soit faux, ou véritable,Ce Prince, malgré vous, lui sera préférable. J'aimerai mon pouvoir contre un coeur obstiné,S'il n'en peut arracher un Amant condamné.Quel qu'il soit, Roi, sujet, ou mon choix, ou le vôtre,Ce Prince, malgré vous, régnera sur tout autre.Vous, Prince, cachez-moi ce honteux désespoir. Quoi, pouvez-vous douter encor de mon pouvoir ?C'est mon sang, c'est ma Fille, il faut qu'elle obéisse.Rien ne peut m'empêcher de vous faire justice.Mais pour l'avoir entière, avant la fin du jourVous pouvez posséder l'objet de votre amour ; Enlevez hardiment le bien qu'on vous refuse ; Mon aveu vous suffit ; mon pouvoir vous excuse ; Que le Roi tonne, éclate, en un mot c'est mon bien ; Je consens qu'il soit vôtre, et le reste n'est rien. CLODOMIRE, à Deuthere. Ah ! c'est trop obliger un Amant misérable ; Mon bonheur à ce prix me devient effroyable ; Non que mon amour craigne un Rival couronné,Je ne crains que l'espoir que vous m'avez donné.Ne pouvant obtenir Clotilde d'elle-même,Faut-il que mon amour arrache ce que j'aime ? Je ne puis accepter, ni perdre un si grand bien ;J'espère tout, Madame, et je n'espère rien. Princesse, permettez que mon amour espère ;Je ne puis refuser le bienfait d'une Mère ;Mais aussi je ne puis, sans agir contre vous, Prendre de son bienfait l'espoir d'un bien si doux.Dois-je trahir Deuthère, ou forcer ma Princesse ? Être ingrat envers elle, ou pour vous sans tendresse ? Madame, instruisez-moi dans ce grand désespoir,Qui malgré mes respects fait trembler mon devoir. Dois-je être sans amour, ou sans reconnaissance ?Parlez ; mon désespoir s'accroît par ce silence.Prévenez les fureurs d'un amour maltraité ;Opposez quelque espoir à sa témérité ;Et retenez mes pas sur le bord d'un abîme. Dans cet affreux penchant je tombe dans le crime ;Secourez ma faiblesse, et sauvez votre Amant... CLOTILDE. Gardez-vous bien de suivre un lâche sentiment.Retenez cette ardeur, s'il faut que je vous aime ;Souffrez, pour me donner, que je sois à moi-même. Un si beau feu, Seigneur, a droit de m'enflammer :Mais donnez-moi le temps d'apprendre à vous aimer. DEUTHERE. Vous demandez du temps pour trahir votre Mère, Perfide. CLODOMIRE. Vous voyez les soupçons, sa colère... CLOTILDE. Je vois plus ; votre amour veut aller jusqu'au bout. Hé bien, Prince, craignez un Rival qui peut tout.Le Trône m'est ouvert contre la violence ;Et c'est là que j'irai chercher mon assurance.Madame, j'ai pour vous le respect que je dois :Mais je ne puis souffrir qu'il attente sur moi, Et qu'il ose abuser des bontés de ma Mère ;Ingrat, j'arrêterai cette ardeur téméraire.Le Roi, quoique ce choix soit pour moi sans appât,S'il me sauve de vous, ne me déplaira pas ; C'est assez d'éviter le péril d'être vôtre ; Je pourrai vous braver entre les bras d'un autre ; S'il faut que malgré moi je perde Clidamant,Je serai malgré vous aux mains d'un autre Amant. SCÈNE III. Clodomire, Deuthere. CLODOMIRE. Ah ! c'est trop maltraiter mon respect et ma flammeJe suivrai, je suivrai votre conseil, Madame. Ingrate, choisissez Clidamant, ou le Roi. Si vous cherchez au Trône un secours contre moi,J'irai dans les transports de ma juste colèreVous arracher des bras d'un Monarque, et d'un Père.Madame... DEUTHERE. Quel orgueil ! quelle témérité ! Une Fille, un Enfant avec tant de fierté !Destin, sort enragé, qui me poursuis sans cesse,Mêles-tu tant d'audace avec tant de faiblesse ? Quoi, ma Fille a conçu le désir de mon rang ? À ce dernier orgueil je reconnais mon sang. Ah ! Fille ambitieuse, et digne de ta Mère,Superbe, qui veux faire un Époux d'un Beau-père,Jusqu'en ton coeur la soif d'un pouvoir souverainNe veut pas seulement l'attendre de ma main,Le coup précipité d'une juste vengeance Préviendra ton orgueil, et ton impatience.Qu'avez-vous résolu, Prince ? CLODOMIRE. Accablé d'ennuis,Que pourrai-je résoudre en l'état où je suis ?Ainsi que sans espoir je me vois sans vengeance. DEUTHERE. Relevez vos fureurs avec votre espérance ; Et puisque notre amour demande un grand effort,De deux grands ennemis attaquons le plus fort ;Rompons tout ce qui fait obstacle à notre flamme.Des lâchetés du Roi le Conseiller infâme,Ce perfide artisan de nos plus grands malheurs, Clidamant est lui seul digne de nos fureurs. CLODOMIRE. Allons, Madame, allons perdre ce grand coupable,Forçons par cet effort un sort si déplorable. DEUTHERE. Ah ! que j'estime en vous ce transport généreux !Mais avant qu'entreprendre un coup si dangereux, Avant que de tenter un désespoir funeste,Permettez que j'essaie un moyen qui me reste.S'il manque, j'entreprends, j'ose tout avec vous. Le Roi vient. Vous, tâchez d'apaiser son courroux. SCÈNE IV. Clodomire, Le Roi, Clidamant. CLODOMIRE. Ah ! Seigneur, permettez qu'à vos pieds... LE ROI. Votre audace Se croit-elle excusable, et digne de ma grâce ? CLODOMIRE. Quel crime ai-je commis ? De quoi m'accusez-vous ? Amenez-vous ici de témoin contre nous ? Et croirez-vous toujours les conseils de sa rage ? LE ROI. Si je crois ses conseils, c'est pour mon avantage. Je reconnais son zèle, et vois votre fureur ;Et c'est mal s'excuser d'un crime plein d'honneur.Qu'avez-vous résolu, vous, et votre complice ? Tout est-il bien choisi pour ce grand sacrifice ? Je ne veux me garder ni d'elle, ni de vous ; Je suis trop au-dessus d'un si faible courroux.Au moins pour satisfaire une fureur extrême,Il fallait la cacher à la beauté que j'aime ; Que brave une Maîtresse, et la traite si mal,Et rend à même temps suspect à son Rival. J'aurais pour me venger assez d'indifférence,Mais je n'en puis avoir pour venger l'innocence ;Pour sauver la vertu de l'horrible attentatD'une Mère cruelle, et d'un Amant ingrat ;Vous pouvez parler de forcer le choix d'une Princesse ? Oser tyranniser le coeur d'une Maîtresse ? Et vouloir enlever ce trésor précieux,La gloire de ma Cour, le charme de mes yeux ? Si lorsqu'elle s'est plainte à moi de tant d'audace,Elle-même pour vous ne m'eut demandé grâce, Vous seriez insolent, sans respecter mon sang,Un exemple effroyable à ceux de votre rang ;Et puisque l'un et l'autre avec tant d'insolenceVante contre une Fille une injuste puissance ; Pour voir tout votre orgueil à ses pieds abattu, Je veux faire aujourd'hui raison à sa vertu ;Et si vous craignez peu mon amour et sa haine,Vous la craindrez peut-être en voyant une Reine.C'est ainsi seulement que je veux vous punir. SCÈNE V. Clodomire, Clidamant. CLODOMIRE. Pouvez-vous, mes fureurs, ici vous contenir ? Clidamant, arrêtez. Lâche auteur de ma peine,Ennemi de ma flamme, et sujet de ma haine,Sachez... CLIDAMANT. Souffrez, Seigneur, que je suive le Roi. CLODOMIRE. Vous pressez-vous d'aller lui parler contre moi ? Vous, qui servez la flamme, et m'ôtez la tendresse, Sachez que si le Roi m'arrache ma Princesse,Je vengerai sur vous mes soupirs et mes pleurs,Et vous me répondrez de toutes mes douleurs.Vantez-vous de l'appui de la grandeur suprême,J'irai vous égorger dessus le Trône même. Après un tel avis, allez, suivez le Roi. CLIDAMANT. Ces bruits étonnent peu des Hommes comme moi. SCÈNE VI. Sigile, Clidamant. SIGILE. Quel intérêt, Seigneur, presse contre DeuthèreToute votre faveur, toute votre colère ? CLIDAMANT. L'intérêt le plus cher, qui soit dedans mon coeur. L'intérêt de l'État, du Roi, de mon honneur.Et bien (pour vous parler avec cette franchise,Avec cette fierté que mon rang autorise,)L'intérêt de ma haine a fait ce grand éclat ; Et c'est un intérêt si cher, si délicat, Que quiconque osera s'opposer à ma haine,Rend sa chute infaillible, et sa perte certaine.Cependant vous servez Deuthère avec chaleur :Mais sachez qu'i faut craindre, ou servir ma fureur. SIGILE. Je vous dois trop, Seigneur, pour oser vous déplaire. Je sais que votre haine est un mal nécessaire ; Mais un dépit peut-il faire dans un momentUn mortel ennemi d'un si parfait Amant ? CLIDAMANT. J'étais né pour aimer, et le Ciel à mon âmeAvait fait en naissant un destin tout de flamme. Mais l'horreur d'un mépris a changé tout mon sort.Ou pour mieux expliquer ce violent transport,J'aime encor ; mais c'est d'un amour qui me gêne,D'un amour en fureur, plus cruel que la haine ; D'un amour, qui piqué d'un vif ressentiment, Va perdre à même temps la Maîtresse, et l'Amant. SIGILE. Du moins dans ces fureurs épargnez-vous vous-même. CLIDAMANT. On ne ménage rien, quand on perd ce qu'on aime. SIGILE. Mais de grâce songez que ce grand désespoir... CLIDAMANT. Je n'examine rien, ni péril, ni devoir. Pour goûter les douceurs d'une vengeance pleine,Rien ne m'est précieux, rien ne coûte ma haine.Je me perdrai moi-même afin de me venger.Ma haine est un fardeau, dont je veux m'alléger.L'insupportable affront d'une amour méprisée, Comme un objet affreux, règne dans ma pensée.Un mépris : à ce mot je frissonne d'horreur,Et n'écoute plus rien que ma seule fureur. SIGILE. Appelez-vous mépris, quand on vous abandonne, Pour choisir un Rival, qui porte une Couronne ? CLIDAMANT. Tout l'univers fut-il sous les Trône de Metz ;Le Roi fut-il plus grand que Roi ne fut jamais ;Le respect que l'on rend à la Toute-puissanceMe consolerait mal de cette préférence.Qui sait régner sans Sceptre est moins à dédaigner, Que qui porte le Sceptre, et ne sait pas régner.Je vous offre mon coeur sans nulle défiance, N'abusez pas au moins de cette confidence.Puisque vous savez tout, redoutez mon pouvoir.Peut-être vous esprit flatté d'un faux espoir, Se repaît d'une vaine et brillante chimère,Voyant si près du Trône ou la Fille, ou la Mère.Songez, si mon crédit vous a mis près du Roi,Que vous êtes toujours beaucoup plus bas que moi ;Songez, que ma grandeur est l'appui de la vôtre ; Songez, que dans la Cour, quand on dépend d'un autre,D'un songe, d'un soupçon, la bizarre terreur,Pousse dans le néant cette faible grandeur ;Songez que la faveur est un charme infidèle ;Que le pas est glissant, quand on s'approche d'elle ; Et qu'il faut pour monter où je suis aujourd'hui,Faire tomber le Trône, et m'accabler sous lui. Profitez de l'avis, craignez votre disgrâce. SIGILE. Si je vous suis suspect, je descends de ma place. CLIDAMANT. Non, mais quand je permets que vous parliez au Roi, Parlez-lui comme il faut de Deuthère et de moi. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Clotilde, Théosile. CLOTILDE. Si j'ai recours au Roi contre la violence,Que peut-on reprocher à ma faible innocence ? Cherchant ma sûreté, que je trouve sen sa Cour,J'implore son pouvoir, et non pas son amour. Si de tout mon devoir je parais mal instruite,Mon âge excuse assez l'erreur de ma conduite ;Un grand coeur peut faillir dans un grand désespoir ;Mais il ne peut manquer à son premier devoir. THÉOSILE. Cependant vous manquez de respect à Deuthère. CLOTILDE. Quel secours puis-je avoir contre un Prince ne colère ? Ma Mère étant pour lui... THÉOSILE. Vous deviez obéir. CLOTILDE. Un coeur peut-il si tôt changer et se trahir ? Refuser constamment l'offre d'un Diadème,Se dérober aux voeux d'un Monarque qui m'aime, Ce glorieux effort n'est-il compté pour rien ? Mon amour mourra-t-il pour secourir le sien ? THÉOSILE. Mais pourquoi refuser l'héritier de l'Empire ? CLOTILDE. Je le fais en regret, et mon coeur en soupire.Mais enfin j'aime ailleurs par ce charme puissant, Par ce je-ne-sais-quoi qu'on ignore, et qu'on sent. THÉOSILE. Si ce premier amour pouvait durer sans blâme,Votre Mère sans doute avouerait votre flamme.Mais l'ingrat vous refuse ; et son aveuglement... CLOTILDE. Nous vaincrons, nous vaincrons ce grand ressentiment. THÉOSILE. Il a pour votre Mère une haine invincible. CLOTILDE. Mis il n'est pas pour moi tout à fait insensible.C'est par-là que je puis apaiser sa fureur. THÉOSILE. Madame, travaillez pour un si grand bonheur.Je prévois mille maux, dans ce désordre extrême, Qui menacent l'État, votre Mère, et vous-même.Donnez un prompt remède à ce pressant malheur. CLOTILDE. Mais hélas ! sais-tu bien par quel effort mon coeurDans cette occasion veut agir pour ma Mère.Je tremble quand je songe à ce que je dois faire. Il faut pour la servir mettre ma flamme au jour,Contre son ennemi faire agir mon amour,Et condamner mon coeur à cette honte extrême,D'aller dire moi-même à cet ingrat que j'aime.Je n'ai que ce moyen pour fléchir son courroux. Cruels devoirs du sang, à quoi m'obligez-vous ? THÉOSILE. Songez... CLOTILDE. Ah ! Si j'osais y songer davantage,J'aurais ou trop de honte, ou trop peu de courage.Ne me laisse songer qu'à faire mon devoir ;Qu'à forcer ma pudeur par un si doux espoir ; Qu'à gagner Clidamant, qu'à servir une Mère ;Qu'à sauver l'un de l'autre, et vaincre leur colère.Le voici. Laisse-nous. Délicate pudeur,Fierté, laisse sortir le secret de mon coeur. SCÈNE II. Clotilde, Clidamant. CLOTILDE. Dans l'état où je suis, Clidamant, votre zèle M'apporte-t-il enfin quelque conseil fidèle ? CLIDAMANT. Oui, Madame ; voyant jusqu'où va le courroux D'une Mère jalouse, et d'un Amant jaloux,Je viens, sans vous flatter d'un espoir inutile,Vous dire, que le Trône est votre seul asile. Tout, hors du Trône, ici vous doit être suspect.Surtout, gardez-vous bien de ce fatal respectQu'exige incessamment une Mère cruelle ; Songez que vous avez trop combattu pour elle,Et qu'un devoir si faible est fort à dédaigner, Lorsque l'obéissance empêche de régner. CLOTILDE. Je sais le prix d'un Sceptre, et je me fais justice ;Et quand j'ignorerais, qu'il faut que j'obéisse,Plus le Trône est charmant, moins mon coeur est tenté,D'accepter tant d'honneur, sans l'avoir mérité. CLIDAMANT. Il fallait mesurer la Fortune au mérite,La Fortune du Trône est pour vous trop petite ; Et le Roi ne vous l'offre avecque tant d'ardeur,Que pour mieux honorer sa flamme et sa grandeur. CLOTILDE. Soyez mieux, Clidamant, d'accord avec vous-même ; Ce que vous méprisez, vaut moins qu'un Diadème ;Et cet objet qu'on vante est bien peu glorieux,De n'avoir pas toujours paru tel à vos yeux. CLIDAMANT. J'ai toujours pour Clotilde une pareille estime ; Et dans l'emportement d'un courroux légitime, Mon coeur a refusé l'offre de tant d'appâts,Comme on refuse un bien qu'on ne mérite pas ;Il n'a pu consentir, qu'un si grand bien se donnePour le seul intérêt, d'une main qu'il soupçonne.Je méritais les traits de tout votre courroux, De croire que ce don fût avoué de vous,Et d'oser l'accepter des fureurs de Deuthère ; De quelque aveu qu'on flatte un orgueil téméraire,Je vous dois ce respect, de n'entreprendre pasCe que n'a pu le Trône avec tous ses appâts. CLOTILDE. La gloire de régner n'est pas ce qui me touche. Et si j'osais enfin expliquer par ma bouche,Qu'un intérêt plus doux que l'amitié du sangM'ôte l'ambition d'un si superbe rang ;Peut-être, Clidamant, toute votre furie Ne refuserait pas l'offre d'une ennemie. CLIDAMANT. Madame, expliquez-vous, sans rien dissimuler. CLOTILDE. Un si grand intérêt m'oblige de parler.Un si pressant devoir m'arrache ce mystère ; Que j'aurais moins de honte à parler, qu'à me taire. Mais n'ai-je pas tout dit d'un langage indiscret ? Vous dire que je sens un obstacle secret,Plus puissant qu'une Mère, et plus qu'un Diadème,N'est-ce pas avouer... Ah ! mon trouble est extrême.Mais pourquoi vous cacher un obstacle si doux, Si mon trouble déjà vous a dit que c'est vous ? CLIDAMANT. Moi plus cher qu'un Empire, et plus fort qu'une Mère ? À de si grands appâts Clotilde me préfère ? C'est me railler, Princesse, assez ouvertement. CLOTILDE. Que ne connaissez-vous... CLIDAMANT. Je connais seulement, Que l'on se sert de vous pour surprendre ma haine.Vous êtes jeune encore, et je souffre avec peineQu'on vous fasse descendre à des emplois si bas,Et qu'on mette en péril l'honneur de tant d'appâts.Ah ! ne permettez plus qu'une Mère vous joue. Je vois que votre coeur enfin la désavoue.Vous rougissez, Princesse, et déjà ce beau front... CLOTILDE. Oui, je rougis, ingrat, d'un si mortel affront.Lâche aveu qu'ont produit les soupçons d'une Mère !Infortuné secours d'un devoir trop sévère, Tyrannique respect, à quoi me réduis-tu ? CLIDAMANT. D'un indigne respect sauvez votre vertu.Prenez des sentiments dignes d'une Princesse. CLOTILDE. Ah ! ce n'est pas à vous de blâmer ma faiblesse ; Si vous désavouez des sentiments trop doux, Au moins ils me semblaient assez dignes de vous.Un coeur, qui peut forcer son orgueil, et soi-même ;Un coeur, qui se résout presque à dire qu'il aime ;Un coeur, qui peut braver tous les charmes d'un Roi,Ce coeur est-il indigne et de vous et de moi ? CLIDAMANT. Je m'en sens trop indigne, et n'ai garde de croireUn aveu trop charmant, qui blesse votre gloire.Princesse, je connais le prix de vos appâts ;Levez les yeux au Trône, où l'on vous tend les bras.Voyez-y ce grand Roi, qui descend de sa place, Qui se jette à vos pieds, pour vous demander grâce ;Qui tonne après avoir essayé la douceur,Et la foudre à la main demande votre coeur. CLOTILDE. Et c'est ce grand Rival, qui fait qu'on me refuse ;Et c'est sur ce Rival, que Clidamant s'excuse. Ah ! Si l'aveuglement, où t'a mis la faveur,Ne t'avait presque ôté la raison et le coeur ; Loin de te rebuter par le choix d'un Monarque,Tu me regarderais par cette illustre marque ; Et l'on verrait ton coeur d'un orgueil obstiné S'armer contre l'espoir d'un Rival couronné.Le refus que tu fais d'une illustre Princesse,N'est respect, ni mépris ; ce n'est rien que faiblesse,Et la sotte raison d'une esclave de Cour,Qui croit que sa faveur vaut plus que mon amour, Triomphe apparemment d'une si belle flamme ; Ce que tu sembles fuir, tu l'adores dans l'âme ;J'ai de quoi t'arracher mille brûlants soupirs,Si la peur d'un Rival n'eût glacé tes désirs.Ah ! Que ce procédé me fait bien reconnaître Ce que vaut le sujet, aussi bien que le maître,Et me rend à moi-même, avec un plein pouvoirDe disposer de moi sans blesser mon devoir.Oui, lâche, sur mon coeur ton crime vient de faireCe qu'ont fait des défauts sur celui de ma Mère ; Et quand ta lâcheté croit agir pour le Roi,Tu me donnes pour lui l'horreur que j'ai pour toi. CLIDAMANT. Ah ! qu'en d'autres moments, sans l'affront d'une Mère,Mon coeur aurait chéri cette aimable colère ! J'y vois briller un feu, que je ne croyais pas ; Et je crains le péril d'un si charmant appât.M'aimeriez-vous, Princesse, et l'oserais-je croire ? Quel trouble, quel désordre, ennemi de ma gloire,Quel invincible charme étonne ma fureur ?Est-ce l'Amour qui veut s'emparer de mon coeur ? Les surprenants appâts d'une Fille si chèreVoudraient-ils m'arracher aux horreurs de la Mère ? Je sens de ces beaux yeux l'aimable trahisonCorrompre tous mes sens, surprendre ma raison,Et sur toute ma haine emporter la victoire. Accourez, mes fureurs, au secours de ma gloire ;Délicieux espoir de mon ressentiment,Charmes de ma vengeance, accourez promptement.Ma fureur s'affaiblit, et mon âme chancelle.Non, mon ressentiment, je te serai fidèle. Oui, Madame, charmé d'une si douce erreur,J'ai trouvé le moyen de sauver ma fureur.Si vous m'aimez, sachez que je n'en veux rien croire ;Et cet amour n'est rien qu'une embûche à ma gloire.Mon coeur tout occupé des soins de se venger, Entre Deuthère et vous ne se peut partager ;Je dois à ses mépris une fureur si pleine,Qu'à peine tout mon coeur peut suffire à ma haine.Mais elle vient. Allons achever son malheur. SCÈNE III. Clotilde, Deuthere. CLOTILDE. Ô comble de mépris, de honte, et de douleur ! Ô honte de mon sexe ! ô honte de ma flamme,Dont le secret en vain est sorti de mon âme ;Et qui pouvant se faire un Trône pour objet,Est l'indigne rebut d'un infâme sujet.Ah ! Madame. DEUTHERE. Ma Fille, il faut vous satisfaire, Pour vous montrer enfin que je suis bonne Mère,Je veux tout oublier, et même présumerQue mon amour du vôtre eût tort de s'alarmer.Je ne veux plus forcer votre première flamme ; Que Clidamant lui seul règne dedans votre âme ; Mais faites que ce choix n'ait plus rien de douteux,Et m'épargne un soupçon mortel à toutes deux. CLOTILDE. M'ordonnez-vous toujours des flammes criminelles ?M'imposez-vous des lois honteuses ou mortelles ? Plus digne de pitié, que d'un soupçon jaloux, Ne m'entretenez plus ni d'Amant, ni d'Époux. DEUTHERE. Est-ce ainsi qu'on reçoit les bontés d'une Mère ? CLOTILDE. Que voulez-vous encor ? enfin que faut-il faire ? Exigez-vous de moi des respects plus profonds ?Après avoir pour vous essuyé mille affronts, M'ordonnez-vous aussi de chérir une infâme ?Madame, pardonnez aux troubles de mon âme ;Tout mon coeur est plongé dans un tel désespoir,Qu'à peine en cet état connaît-il son devoir.Dans l'état où je suis, Clidamant, ni tout autre, Le Prince, ni le Roi, ni mon choix, ni le vôtre,Rien ne peut me toucher, et mon juste courrouxNe peut prendre de loi ni de moi, ni de vous. SCÈNE IV. DEUTHERE, seule. Perfide, c'est assez, je vois tout votre crime,Vous n'avez pu cacher l'ardeur qui vous anime ; C'est là l'indigne éclat d'un coeur laborieux.Tout, hors du Trône, ici lui devient odieux,Le Prince, Clidamant, et son choix, et le nôtre.C'est toujours pour régner qu'elle fuit l'un et l'autre.Ô fureur suspendue ! un crime si certain Détermine mon coeur, et rassure ma main.Que tardes-tu, ma haine, encore à te résoudre ? Le crime est éclairci, prends ta dernière foudre.Mais le Tyran paraît ; allons par mille coupsImmoler ce qu'il aime à mon juste courroux. Grâce au Ciel, pour m'aider à ce grand parricide,Ma fureur se redouble à l'aspect d'un perfide. SCÈNE V. Le Roi, Sigile. LE ROI. Sigile, son conseil trop lent à me guérir,Contre un désir bouillant ne me peut secourir.Clidamant, mon amour, je suivrai vos maximes ; C'est trop, c'est trop gêner des désirs légitimes ;C'est trop s'humilier, c'est trop faire des voeux ;Régnons pour le repos d'un Monarque amoureux,Faisons enfin régner Clotilde en dépit d'elle ;Quand on force à régner, la violence est belle. Serments trahis, cessez de me faire trembler ;Scrupules inquiets, qui me venez troubler ;Indiscrètes terreurs, qu'un vain remord m'envoie,Laissez aller mon coeur au comble de sa joie. SCÈNE VI. Sigile, Le Roi, Clodomire. CLODOMIRE, ayant l'épée à la main, arrêté par Sigile. Laisse agir ma fureur... LE ROI. Que voyez-vous, mes yeux ? Viens-tu m'assassiner en Rival furieux ? CLODOMIRE. Non, non, malgré l'ardeur d'une aveugle colère,Je respecte un Rival, en qui je vois mon Père.Ayant cru dans ce lieu voir entrer Clidamant,J'ai suivi mon erreur, et mon ressentiment. J'ai su que ce méchant, ce confident infâme,Allait forcer Clotilde à souffrir votre flamme ; Et cette violence allumant mon courroux,Je venais l'immoler à mon transport jaloux. Je venais par sa mort... LE ROI. Votre fureur timide Se sait mal excuser d'un lâche parricide.Vouloir perdre à mes yeux le cher appui d'un Roi, C'est plus que d'attenter sur le Trône, et sur moi. CLODOMIRE. Des plus noires couleurs peignez-vous ce grand crime.Augmentez ses horreurs, ma mort est légitime. Je ne m'en défends point, et mon aveuglementPouvait avecque vous confondre Clidamant ;Confondre avec ce traître une tête si chère ;Confondre dans ma rage un Rival, et mon Père.Bien loin de m'excuser, et faire quelque effort Sur un juste courroux, qui demande ma mort ;Loin de solliciter pour moi votre clémence, J'implore à vos genoux toute votre vengeance ;Et je rends grâce au Ciel, qu'enfin selon mes voeuxL'espoir de mon trépas n'a plus rien de douteux. LE ROI. Plût au Ciel ! je pourrais, cruel, me satisfaire :Mais vous êtes mon Fils, et je suis toujours Père. CLODOMIRE. Si je suis votre Fils, par grâce, ou par devoir,Ne m'abandonnez pas à tout mon désespoir :Car enfin mon trépas, qui doit vous satisfaire, En perdant ma Princesse, est un coup nécessaire.Qu'importe qui me tue après ce grand malheur,Ou vous, ou mon amour, ou vous, ou ma douleur.Mais las ! Je vois mourir toute votre colère ;À ces tendres regards je connais tout mon Père ; Et le sang tout ému par mes indignes pleurs,Va livrer mon amour à toutes ses douleurs.Laissez par un coup ce rigoureux supplice. LE ROI. Cesse de t'affliger, et faisons-nous justice.Mon Fils, ton crime est grand, il faut le confesser ; Mon Fils, ton crime est tel, que je n'ose y penser.Mais étant de ta haine une sujet légitime,Je rejette sur moi toute l'horreur du crime.Je le vois maintenant cet amour criminel,Qui va couvrir mes jours d'un opprobre éternel ; Je le vois cet amour qui trahit la Comtesse,Qui s'érige en Tyran, qui force une Princesse,Qui viole le sang, qui déshonore un Roi,Qui sème tant de haine entre mon Fils et moi ;Pour combler les horreurs de cet amour perfide, Cet amour de mon Fils a fait un parricide.Hélas ! À ce seul mot mon amour tout confusSe condamne à la mort, et ne s'en défend plus.Ce que n'a pu la foi que je dois à Deuthère ;Ce que n'a pu l'amour et le devoir d'un Père ; Ce que n'a pu le Ciel par ses beaux mouvements,Dont il a combattu mes lâches sentiments ;Ce que n'a pu l'effort d'un remords légitime,Mon triomphe aujourd'hui s'achève par ton crime.Quoi, mon Fils, cet effort te touche faiblement, Tu soupçonnes encor un si prompt changement.Ah ! Si je t'ai trompé par de fausses tendresses,Impute à Clidamant mes dernières faiblesses.Ce méchant relevait un amour abattu,Et lui seul s'opposait à toute ma vertu : Mais j'ouvre enfin les yeux, et ma raison entièreReprend tout son empire, et toute sa lumière.Après ce grand triomphe, embrasse-moi, mon Fils ;Jouis de ma victoire, et demeurons amis. CLODOMIRE. Seigneur, vous traitez-vous avec tant d'injustice ? Vous chargez l'innocent du crime et du supplices. LE ROI. Va-t'en à la Princesse apprendre son bonheur ;Moi je vais Deuthère, et calmer se douleur.Allons leur annoncer cette grande victoire. CLODOMIRE. Amour, achève enfin ma fortune et ma gloire. SCÈNE VII. Le Roi, Clidamant. LE ROI. Viens voir quel est enfin le succès de tes voeux. CLIDAMANT. Seigneur, jamais souhaits ne furent plus heureux.La Comtesse à mes yeux vient de perdre la vie. LE ROI. Juste Ciel ! et tu viens vanter ta perfidie,Lâche. CLIDAMANT. M'imputez-vous le crime de sa main ? Apprenez le succès d'un horrible dessein. LE ROI. Me veux-tu faire voir dans ce sanglant ouvrage L'effet de tes conseils, et celui de ta rage ?Ô coup précipité, qui m'ôtes tout l'honneurDu plus beau repentir qu'ait produit un grand coeur ! Parle, et par le récit d'un mort si cruelle Comble le désespoir d'un Monarque infidèle. CLIDAMANT. Apprenez dans sa mort un crime, dont l'horreurSurpasse votre crime, et toute ma fureur.J'allais Clotilde, et votre amour extrême La destinant au Trône en dépit d'elle-même,J'allais vous satisfaire, et mon ressentimentBrûlait d'exécuter votre commandement.Le coeur triste, et saisi d'une douleur mortelle,Clotilde était couchée au bord de la Moselle, Du côté qu'elle bat les murs de ce Palais.Se yeux sur un objet recueillant tous leurs traits,Par de profonds pensers attachés au rivage,Du trouble de son coeur faisaient voir une image,Par les traits différents de ces prompts changements Qu'imprimeraient au-dehors ses divers sentiments.La Comtesse parait ; je la vois toute émue,Et ses émotions redoublent à ma vue.D'un accent furieux, qui me comble d'effroi,Viens voir traître... (dit-elle, en s'éloignant de mo) Muette de fureur, sans me dire le reste,S'expliquant seulement par un regard funeste,Elle court : puis jetant ses yeux de toutes parts,Et sur Clotilde enfin arrêtant ses regards ;Ah ! tu mourrais perfide. À ces mots elle vole ; Je la suis aussitôt du corps, de la parole,Et tâche par mes cris à rompre son dessein.Clotilde, qui la voit un poignard à la main,Se lève, sans songer à fuir ou se défendre ;Et poussant vers ses yeux un regard doux et tendre, Où courrez-vous, ma Mère ? À cet accueil si douxLa Nature s'éveille, et suspend son courroux.Moi qui crois son courroux plus fort que la tendresse,Je m'élance aussitôt entre elle et la Princesse,Je lui saisis le bras, elle échappe, et soudain Frappe Clotilde. LE ROI. Hélas ! CLIDAMANT. Et la blesse à la main.À l'aspect d'une horreur si touchant et si pleine,Tout me semble aussitôt applaudir à ma haine.Et mon coeur satisfait rend grâce à mon bonheurDe cette occasion qu'il prête à ma fureur. J'allais venger Clotilde aussi bien que ma flamme :Mais n'osant se souiller dans le sang d'une Femme,L'orgueil de ma vengeance arrête ses transports,Et laisse son supplice à son propre remords.Sa Fille, qu'elle voit abattue, et sanglante, À ses yeux abusez paraît morte, ou mourante ;Et son coeur alarmé de l'erreur de son sort,Lui parle pour son sang, quand son courroux est mort.Une affreuse douleur la rend presque immobile ;Mais dans ce triste état, qui paraît si tranquille, Un soudain désespoir s'élevant dans son coeur,Elle enfonce en son sein, de toute sa fureur,Le poignard du sang de la Princesse. LE ROI. Ciel ! qu'entends-je ? CLIDAMANT. Elle. Une indigne tendresseMalgré moi se réveille, et veut la secourir. Va, cruel (me dit-elle) et me laisse mourir,Je dois ce grand trépas à ta haine, à ma Fille ; J'ai versé tout le sang d'une illustre Famille ; J'ai versé le plus beau, laisse enfin à tes yeuxCouler le plus infâme et le plus odieux. Vois mourir à tes pieds ta mortelle ennemie,Triomphe de sa haine, et brave sa furie ; Mais souffre cette honte, et va l'apprendre au Roi.Qu'au moins ce qu'il aimait, a péri devant moi.Et ses yeux d'une noire et pesante paupière Refermant lentement leur mourante lumière,S'attachent à mes yeux, et lancent dans mon coeurUn rayon pénétrant de range et de douleur. Je lui rends ses fureurs, et ma haine déploieÀ ses regards mourant mon triomphe et ma joie. LE ROI. Tu triomphes, barbare, enferme dans ton seinCette brutale joie, où je vais de ma main... CLIDAMANT. Voilà mon flanc, Seigneur ; frappez, par cette voie.Vous pouvez m'arranger mon sang, non pas ma joie.Je fais ce que je puis pour forcer ce transport ; Mais je ne puis cacher le plaisir de sa mort.Je vivais seulement pour contenter ma haine ;La perfide a péri, j'ai joui de sa peine,Je l'ai vue à loisir, et mon ardent courrouxS'est repu lentement d'un spectacle si doux. Son sang à gros bouillons sortant de sa blessure,Entraînant avec lui son âme avec murmure,A charmé mes fureurs, et saoulé pleinementToute l'avidité de mon ressentiment.Après ce grand déplaisir, je méprise la vie. LE ROI. Furieux, il faut bien contenter ton envie : Mais ton trépas sera suivi de tant d'horreurs,Qu'il ira, s'il se peut, plus loin que tes fureurs,Et qu'il pourra venger la mort de la Comtesse. CLIDAMANT. Pensez-vous qu'un grand coeur survive sa Maîtresse ; Quand on s'est fait un choix, qui nous ose trahir,Il faut à même temps se venger, et mourir.Non qu'un faible remords m'inspire cette envie,C'est à l'Amour trahi que je donne ma vie.Je veux la dérober à ces lâches douleurs, Qui suivent tôt ou tard de si cruels malheurs.Déjà tout mon amour, malgré tant de colère,Rallume ses ardeurs dans la mort de Deuthère ;Et honteux de sentir cet indigne retour,Je vais dedans mon sang éteindre mon amour. LE ROI. Empêchez ce cruel de choisir son supplice,Et de se dérober aux traits de ma justice. SCÈNE VIII. Le Roi, Clotilde, Clodomire. CLOTILDE. Ne vous opposez pas à mes justes douleurs. LE ROI. Ah ! Princesse. Ah ! mon Fils. CLOTILDE. Savez-vous nos malheurs ? LE ROI. L'infâme Clidamant m'a tout appris, Madame. Ce lâche confident de ma perfide flammeA poussé jusqu'au bout sa haine et son courroux. CLODOMIRE. Voilà ce qu'a produit un désespoir jaloux. LE ROI. Mon Fils, voilà plutôt ce qu'a produit mon crime.Ordonnez de ma peine, elle est trop légitime. Votre Mère enfonce un poignard dans son flanc,Sa main de la vôtre arrache un si beau sang,Je suis le seul coupable, et n'en connais point d'autre ;Prenez, prenez mon sang pour racheter le vôtre. CLOTILDE. Le crime dont tantôt j'ai dû me ressentir Était tout effacé par un beau repentir.Vous n'avez point de part au trépas de ma Mère.Seule j'ai fait le crime, il faut la satisfaire. CLODOMIRE. Clidamant a tout fait ; c'est lui qu'il faut punir. SCÈNE DERNIÈRE. Sigile, Le Roi, Clodomire, Clotilde. SIGILE. C'en est fait, Clidamant a su nous prévenir. Seigneur, lui-même il vient de se faire justice ;En voulant s'épargner les hontes du supplice,D'un coup précipité s'étant percé le coeur,Il s'est fait un destin digne de sa fureur. LE ROI. Madame, oublions tout dans la mort du coupable. Cependant en faveur d'un Amant misérable,Et dont l'amour ici n'ose se faire voir,Puis-je vous demander quelque léger espoir ? CLODOMIRE. Quoiqu'un si doux espoir soit pour moi plein de charmes,J'ai du respect encor pour de si belles larmes, Et n'ose demander de pareilles douceurs,Quand je ne dois sentir que ses seules douleurs. CLOTILDE. D'un si digne respect vous pouvez tout attendre. CLODOMIRE. Pardonnez, si mon coeur se laisse un peu surprendre,Au milieu de vos maux, à des transports si doux. LE ROI. Allons du Dieu vengeur adorer le courroux,Qui suspend sur mon crime une juste vengeance,Perd d'autres criminels, et sauve l'innocence. ==================================================