******************************************************** DC.Title = TACHMAS, TRAGÉDIE DC.Author = CAMPISTRON, Jean Galbert de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:30:55. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CAMPISTRON_TACHMAS.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** TACHMAS TRAGÉDIE inédite et inachevée. ACTEURS SOLIMAN, souphi de Perse. TACHMAS, prince de Perse, frère de Soliman. NÉGARE, princesse de sang royal de Perse. LYCAN, favori du souphi. PHÉNICE, confidente de Négare. ISMAËL, capitaine des gardes de Soliman. OSMAN, confident de Tachmas. SUITE DU SOUPHI. La scène est dans un salon du palais de Soliman. ACTE I SCÈNE I. Négare, Phénice. NÉGARE. Je ne le cèle point, ma timide tendressePhénice, m'inquiète et m'alarme sans cesse.[Note : Mot rayé : cet (remplacé par l').]Prête de voir l'hymen que j'ai tant souhaité[Note : Mots rayés : mon coeur est.]D'un noir pressentiment, j'ai l'esprit agité[Note : Mot rayé : inconnu.]Et d'un chagrin secret l'extrême violence Ne permet à mon coeur qu'une faible espérance.[Note : 4 Mot rayé : mille.][Note : Mot rayé : vains.]Cent présages fâcheux viennent entretenirCe chagrin importun que je voudrais bannir.Malgré tous mes efforts, ma crainte est redoublée,De mortelles frayeurs mon âme est accablée Et ma faible raison dans cet état présentN'offre à mes sens troublés qu'un secours impuissant. PHÉNICE. De semblables frayeurs, pourquoi vous mettre en peine ?Madame, bannissez une crainte si vaine.Peignez à votre esprit les sensibles plaisirs Que l'hymen de Tachmas propose à vos désirs.[Note : Mots rayés : d'inutiles alarmes.]Loin de vous fatiguer d'un chagrin inutile,[Note : Mots rayés : goûtez de cet hymen les douceurs et les charmes.]Jouissez d'un repos agréable et tranquille,Ne pensez qu'à la joie et goûtez la douceur[Note : Mots rayés : cet heureux hymen]Que ce noeud glorieux promet à votre coeur. NÉGARE. Non, non ! ma joie encore ne peut être parfaite ![Note : Mots barrés : et j'éprouve toujours une.]Je ne saurais bannir cette crainte secrète[Note : Mots rayés : le destin.]Que le sort à mes voeux si longtemps opposé,Par mes malheurs passés serait-il apaisé ?Croirai-je que, lassé de m'avoir poursuivie, Il ne troublera plus le reste de ma vie.À m'affliger, Phénice, il est trop obstiné.Il détruira l'espoir que Tachmas m'a donné.Hélas heureux encore si sa haine implacableN'ajoute à tant de maux une fin déplorable. PHÉNICE. D'un amour violent c'est l'ordinaire effet :Un coeur bien enflammé n'est jamais satisfaitMais toujours agité d'une crainte bizarre.Il croit... NÉGARE. Tu connais mal la fierté de NégareChez moi l'amour toujours soumis à la raison [Note : Mots rayés : jamais dans mon coeur répandu son poison.]N'a pas lassé mon coeur de son mortel poison[Note : Mots rayés : de nos passions.]Et de ces mouvements, souveraine maîtresse,Je n'ai jamais senti de honteuse faiblesseEt si j'aime aujourd'hui, crois que ma passionSert de degré, Phenice à mon ambition. [Note : Mots rayés : celle toute enfin.]Oui cette ambition qui règne dans mon âmeQui règle tous mes pas. PHÉNICE. [Note : Vers rayés : Oui j'ai fort mal connu le secret de votre âme et j'ai ouï pour Tachmas jusqu'à ce triste jour.]Que dites-vous Madame ?Quoi, toujours pour Tachmas, votre coeur sans amourN'a pas payé ses feux d'un digne retour ?Quoi, quand vous lui jurez une ardeur éternelle, Tous vos serments sortent d'une bouche infidèle ?Et ce crédule amant, pour vous trop enflammé,Après de si grands soins n'est pas encore aimé ?Hélas que je le plains ! NÉGARE. Il est si fort à plaindre,Lorsque sûr de ma main, il n'a plus rien à craindre. Je te dirai bien plus : tant de soins qu'il me rendNe laissent pas pour lui mon coeur indifférent.Je ne suis point ingrate et sa persévéranceA mérité de moi quelque reconnaissance.Ainsi je sens pour lui quelque penchant secret Et ne le perdrais pas sans peine et sans regret,Mais la grandeur me touche autant que la personne,Compensant si par sa main je n'ai point de couronneSi sa main à mes voeux n'offre point de couronne,Du moins en l'épousant, hors la mère du Roi, Dans la Perse, il n'est plus de femme devant moi.Je sais bien : malgré tout l'éclat de ma race,Entre Tachmas et moi, je vois un grand espace.Nous sommes séparés par un long intervalle.[Note : Vers rayé : Par ce grand hymen, je m'y joins de si près,]Du trône à moi, Phénice, il est tant de degrés ! Et l'hymen de Tachmas m'approche de si prèsQu'il ne faut que la mort d'une seule personnePour mettre, entre mes mains, le sceptre et la couronne.C'est là, c'est là surtout que tendent tous mes voeux.Le désir de régner flatte un coeur généreux [Note : Mots rayé : bas.]Et c'est d'un esprit mal fait et d'une âme communeQu'un inutile amour doit borner la fortune.[Note : Mot illisible.]Mais un coeur magnanime, un [...]Et qui ne trouvant point d'éclat élevé,Recherchant, dans les grandeurs, un bonheur achevé. Je l'avoue, pour moi, l'ambition m'enflamme. PHÉNICE. J'avais fort mal connu le secret de votre âme.J'ai cru que votre coeur, pour cet illustre amant,Avait plus de tendresse et plus d'attachementEt que, lorsque pour vous, son amour est extrême, À ses ardents transports, vous répondiez de même.Mais il entre, Madame, et je lis dans ses yeuxDe son coeur enflammé, le dessein glorieux. SCÈNE II. Négare, Phénice, Tachmas, Osman. TACHMAS. Enfin, Madame, enfin cet heureux temps s'avanceQue l'amour rend si long à mon impatience. J'espère que, dans peu, je serai votre époux :L'hymen va nous unir dans ses noeuds les plus doux.L'aveu de Soliman nous est fort nécessairePuisque ces projets, madame, ont le bien de vous plaire.Avant la fin du jour je crois de l'obtenir Et sans doute, il sera charmé de nous unir. À Osman.Faites venir Lycan, je veux ici l'instruire[Note : Mon amour l'a choisi.]De tout ce qu'au Souphi, de ma part, il doit dire.2C'est lui que j'ai choisi pour lui parler pour moi.Madame, il est lui seul très propre à cet emploi. Le Souphi le regarde en ministre fidèle,Et je connais pour moi la faveur de son zèle.Mais quand tout me répond d'un succès trop heureux,Madame, de quel oeil regardez-vous mes feux ?Sentez-vous les transports d'une douceur secrète ? Un regard entre nous peut servir d'interprète,Un coup d'oeil me suffit pour apprendre mon sort. NÉGARE. Ma bouche et mes regards seront toujours d'accord,Seigneur, pour vous marquer une tendresse extrême.Mais pouvez-vous encor douter que je vous aime ? Vous à qui tant d'aveux sincères et pressantsOnt si bien expliqué tout l'amour que je sens.Vous balancez encor ? Croyez-vous que mon âme,[Note : Mot rayé : vois.]Libre encore, est toujours déguisée ? TACHMAS. Ah madame !Je ne soupçonne point votre sincérité : Votre coeur est trop grand pour tant de lâcheté.Mais c'est pour moi, madame, une douceur extrêmeD'apprendre tous les jours que ma princesse m'aime.Et je voudrais ouïr, de moment en moment,De votre belle bouche, un aveu si charmant. Toutefois je m'alarme et je rougis sans cesseDe ne pouvoir offrir un trône à ma princesse.Hélas, si vous saviez la secrète douleurDont ce chagrin cruel assassine mon coeur.Je m'alarme en secret et je me hais moi-même De priver votre front, d'un pompeux diadème,Car votre âme héroïque et votre coeur si fierDevraient donner des lois à l'univers entier.Ce souvenir mortel accable mon courage.Je voudrais... NÉGARE. Finissez un discours qui m'outrage. Dois-je considérer si vous n'êtes pas Roi,Seigneur, quand vous voulez descendre jusqu'à moi ?Je vous l'ai dit cent fois. Faut-il vous le redire ?Votre seule vertu vaut le plus grand empireEt si j'avais, seigneur, dix sceptres à donner, Ma main, en se donnant, voudrait vous couronner.Seigneur, connaissez mieux le grand coeur de Négare. TACHMAS. Ah ! destin rigoureux ! Ah fortune barbare !Pourquoi refusez-vous, à mon coeur amoureux,Un trône pour payer cet amour si généreux ? Je n'en dois point attendre, enfin je sais madame,D'autre empire à donner que celui de mon âme.Mais si des soins toujours soumis et complaisants,De sincères devoirs et des transports puissants,Les plus forts sentiments, qu'un tendre amour inspire, Ont droit de balancer le défaut d'un empire.Ah, madame, croyez que jusqu'à mon trépas,Vous régnerez si bien sur le coeur de TachmasQue, toujours occupé du seul soin de vous plaire,Il ne connaîtra plus de puissance étrangère. Oui madame, toujours j'adorerai vos yeuxJ'en jure par Allah, j'en atteste les cieux,[Note : Mot barré : Roy.]J'atteste du Souphi la puissance suprême,Et plus que tout encore, j'en jure par vous-même. NÉGARE. [Note : Vers illisible : Pour me ... et quels sont .]Je connais assez bien vos nobles sentiments. [Note : Trois vers rayés.]Vous n'avez nul besoin du secours des serments.Un si parfait amour nous unit l'un à l'autreQue les soins de mon coeur valent ceux du vôtre.Quand nous offrons nos coeurs, nous voudrions, tous deux,Pouvoir offrir encore cent trônes avec eux. Seigneur de votre amour, je suis trop satisfait. TACHMAS. Ah pour rendre ma joie encore plus parfaite,Madame en ce moment, que ne puis-je à vos yeux,Faire paraître au moins la grandeur de mes feux,Que ne puis-je montrer l'excès de ma tendresse ? Quel déplaisir pour moi ! Car enfin, ma princesse,Tout ce que mille amants ont, jusqu'à ce jour,Ressenti de tendresse, et d'estime, et d'amour,Tout ce qu'on dépeint, et de zèle et de flamme,N'est qu'un faible crayon de ce que sent mon âme. Je le jure madame, et vous le savez bien :Un coeur ne fut jamais si touché que le mien.Et cependant, hélas, voyez mon infortune :Je n'ai pour l'exprimer qu'une plainte communeDont mille autres, soumis à l'amoureuse loi, Pour expliquer leurs feux, ont usé comme moi. NÉGARE. Ne vous fatiguez plus d'un chagrin inutile.Je sais, pour le détruire, une voie facile.Tout ce que vous sentez et de fort et de doux,Vos craintes, vos transports, je me les dis pour vous, Je me les peins moi-même, et mon âme charméeConnaît, par ce portrait, combien je suis aimée.Rassurez votre coeur, car le trouble du mienSeigneur, m'apprend assez quel doit être le sien.Mais quelqu'un entre ici. C'est Lycan qui s'avance. Vous n'avez pas, seigneur, besoin de ma présence.Je sors, puisse le ciel vous donner les moyensDe contenter bientôt vos désirs et les miens. SCÈNE III. Tachmas, Lycan, Osman. TACHMAS. Venez mon cher Lycan, vous m'êtes nécessaire.Je vais vous conter une importante affaire. LYCAN. Eh, que puis-je, Seigneur, pour le prince Tachmas ?Faut-il, pour vous servir, mon épée, mon bras,Ma vie ? Commandez et pour votre service,J'aurai... TACHMAS. Je ne veux point de sanglant sacrifice. Je suis aimé du peuple et j'ose me flatterQue je n'ai, dans la cour, personne à redouter. LYCAN. Et pour vos intérêts que faudra-t-il donc faire ?Je suis tout prêt, Seigneur... TACHMAS. Parlez au Roi, mon frère.Je sais qu'il vous écoute. LYCAN. Ah ! près de lui, Seigneur, Vous n'avez pas besoin d'aucun médiateurEt tout ce que je puis sur l'esprit de mon maître,Ce ne sera rien, si vous voulez paraître.Soliman, à vos voeux, voudra tout accorder. TACHMAS. Quand vous saurez, Lycan, ce qu'il faut demander, Ce que je veux du Roi, vous louerez ma prudence.Je vous fais, de mon coeur, entière confidence.J'aime, Lycan. Jamais dans un coeur amoureux,Le plus ardent amour n'alluma plus de feux.Ne vous étonnez point de cette ardeur sincère. Je le fais sans rougir et j'ai droit de le faire :J'ai tant fait pour l'honneur, Lycan, jusqu'à ce jour,Que je puis bien donner quelque temps à l'amourEt mon choix est si noble, et ma flamme si belle,Que mes plus grands exploits sont moins glorieux qu'elle. Outre que, dans mon coeur, malgré tout son pouvoir,L'amour sera toujours soumis à mon devoir. LYCAN. Quelle est la beauté dont l'aimable victoire,De ce triomphe illustre, a mérité la gloire ?Quelle est celle, Seigneur, dont les appas Ont éprouvé votre coeur et captivé Tachmas ?Quelle, de vos bontés, aurait osé prétendre ? TACHMAS. Ah, ce secret n'est pas difficile à comprendre,Lycan. Je me rendis dès la première fois,Et ne balançais pas si longtemps sur le choix. La princesse Négare est l'objet de ma flamme. LYCAN. Elle est digne, Seigneur, d'assujettir votre âme. TACHMAS. Trop injuste Lycan ! Avec quelle froideur,Vous louez la beauté qui règne dans mon coeur.D'un éloge si froid, ma tendresse s'irrite. Ah ! quand pour la louer autant qu'elle mérite,Votre bouche emploierait des mots les plus pressants,A lui rendre justice, ils seraient impuissants.Ah ! que j'éprouvais bien la force de ses charmes.Depuis six ans entiers, nourris dans les alarmes, Je venais triomphant, par mille exploits heureux,La seule gloire alors occupait tous mes voeux.Comblé de tant de succès, du gain de six batailles.[Note : Un ou plusieurs feuillets manquants ?] [SCÈNE IV.] LYCAN, seul. [Note : Début d'une nouvelle scène.]Il se trompe s'il croit cette injure effacée,Dans mon coeur, la mémoire en est trop bien tracée Et mon ressentiment ne saurait négligerLe moyen que le ciel m'offre pour me venger.Perdant un ennemi, dont le hardi courage,A mes prétentions, peut donner quelque ombrage.Je me revois en butte à ses honteux dédains, Toujours fier, et toujours jaloux de mes desseins,Il a trop soutenu les droits de sa naissance.Son mérite à la cour braverait ma puissance.Qu'il périsse ! Mais quoi je médite.Dans le temps qu'il me fait l'arbitre de son sort Dans le même moment que ce prince créduleVeut devoir à mes soins son repos, quel scrupuleVient si mal à propos traverser un desseinQue depuis si longtemps j'ai formé dans mon sein ?Un grand coeur n'est jamais épouvanté d'un crime. Pour s'avancer en cour, tout devient légitime.Tachmas seul aujourd'hui s'oppose à ma grandeur,Il sentira les traits de ma juste fureur. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Soliman, Lycan, Tachmas, suite. SOLIMAN. Tachmas aime Négare et songe à lui-même.Ce jeune conquérant borna sa destinée, Lui qui a vu toujours dans l'horreur des charniers,Cherche dans les périls, de superbes lauriers,Dont quelquefois de la guerre aimait les charmes,Éprouve de l'amour les flatteuses alarmes.Je l'avouerai, Lycan, ce retour me surprend. LYCAN. Oui, sans doute, Seigneur, ce changement est grand,Mais l'extrême beauté de la jeune NégarePeut sans peine adoucir l'âme la plus barbare,Et, quand elle veut plaire et s'emparer d'un coeur,De son abord charmant, la flatteuse douceur, De son regard perçant, l'impérieuse amorce,Dans le sein le plus froid, vont l'enlever de force.Enfin, tout ce qu'on voit de princes en ces lieux,Seigneur, ont éprouvé le pouvoir de ses yeux.Et vous seul, sans recours, refusez de lui rendre Un tribut que, de vous, elle aurait lieu d'attendre.Vous que le moindre mot, vous dont le premier pasAuraient rendu, Seigneur, maître de tant d'appas. SOLIMAN. Occupé jusqu'ici de l'amour de Lijare,À peine avais-je encore examiné Négare. Mais, libre depuis peu, de ce joug odieux,J'ai pris trop de plaisir à regarder ses yeux.Ils m'ont donné, Lycan, une nouvelle atteinte.Mais, pour ne pas porter Tachmas à quelque plainte,Pour ne pas affliger un frère généreux, Avant qu'ils soient plus forts, j'étouffais mes feux. LYCAN. Qu'importe que Tachmas ou se fâche ou se plaigne ?Et faut-il que, pour lui, Soliman se contraigne ?Pourquoi vous affliger de l'injuste douleurDont cet effet cruel troublera votre coeur ? Abandonnez-vous ainsi, sans quelque jalousie,La plus rare beauté qu'on ait vue dans l'Asie ?Sans songer à Tachmas, contentez vos souhaits. SOLIMAN. Mais le moyen de voir mes désirs satisfaits ?Négare dès longtemps, par mon frère charmée, De mes premiers discours sera toute alarmée,Me haïra sans doute et verra mon ardeurComme un cruel obstacle au repos de son coeur.Je la verrai tremblante, et bien loin de lui plairePour fruit de mon amour, j'obtiendrai sa colère. Non, non, faisons seulement naître de ces attraits. LYCAN. De Négare, je sais les sentiments secrets.Cette princesse est fière, et son coeur hautain,Seigneur, soupire après la grandeur souveraine.Vous croyez que Tachmas a su gagner son coeur, Mais elle n'aime en lui que la seule grandeur,Et si vous paraissez... SOLIMAN. Eh, que pourrais-je faire ?Comment gagner Négare et que dire à mon frère ? LYCAN. De tant d'égards, Seigneur, vous n'avez pas besoin.Je m'en charge pour vous et laissez-moi ce soin. Quand Négare saura que vous brûlez pour elle,Doutez-vous de sa part, d'une ardeur mutuelle ?N'en doutez point, Seigneur, sans soupirer longtemps,Vous verrez tous vos voeux et vos désirs contents.Un monarque, en aimant, suit une heureuse route, La plus fière beauté, dès le premier jour, l'écouteEt ce qu'un autre amant ne peut que demander,Un monarque absolu semble le commander.Vous direz à Tachmas qu'une illustre couronneDoit relever en lui l'éclat de sa personne, Que sa haute naissance et ses fameux exploitsOnt acquis, à ses voeux, les filles de vingt rois.Mais pour rompre le cours de leur intelligence,Le plus sûr des moyens est une longue absence.Attendant que Tachmas puisse quitter ces lieux, Appelé par les soins d'un emploi glorieux,Défendez-lui, Seigneur, de plus voir la princesse.J'appuierai vos projets de toute mon adresse,Et vous verrez bientôt, par mes soins assidus,Votre flamme contente et leurs soupirs perdus. SOLIMAN. [...] C'en est fait.Que ne demanderai-je point, cher Lycan, à ton zèle ?De tous mes courtisans, tu m'es le plus fidèle.Va dire à Tachmas qu'il faut, par de nouveaux combats,De ce superbe sultan trop fier, alarmer les Etats. Dis-lui que je destine, à son lit, une reine tartare,Mais, surtout, apprends-lui mon amour pour Négare.Dis-lui que je l'adore, apprends-lui mes projets,Défends-lui de ma part de la revoir jamais. SCÈNE II. Soliman, Ismaël. SOLIMAN. Ismaël, que dis-tu de ma flamme nouvelle ? ISMAËL. Que dirai-je, Seigneur ? Elle est noble et elle est belle.Votre choix est si beau qu'il doit être louéEt par les plus grands coeurs, pourrait être avoué.Mais, Seigneur, voulez-vous désespérer un frère,Si cher à tout l'Etat, si digne de vous plaire, Un frère qui, toujours fut si soumis à vos lois,Demande votre avis pour approuver son choix,Un frère dont le bras heureux, vaillant, fidèle,Apporte à votre règne une gloire éternelle,Par qui tant d'ennemis, ou vaincus ou lassés, Sont venus en tremblant, vous demander la paix.Pour fruit de ses travaux, il veut une maîtresse.Votre amour cependant l'arrache à sa tendresse.Ah, Seigneur, si j'osais vous dire en peu de mots... SOLIMAN. Mais dois-je, de mon coeur, ruiner le repos, Et bravant les assauts de ma nouvelle flamme,Dont la brûlante ardeur fait soupirer mon âme,Dois-je me condamner à d'éternels tourments ? ISMAËL. Ah, c'était là, Seigneur, vos premiers sentiments.Si l'injuste Lycan, par sa funeste adresse, De votre coeur blessé, sut flatter la faiblesse.Voyez, pour vous Seigneur, quel triomphe en ce jour,D'étouffer en naissant un si fatal amour.Ce triomphe vaudra la plus belle victoire.Songez, Seigneur, songez quel plaisir, quelle gloire De pouvoir dire, après cet effort éclatant,J'ai vaincu ma faiblesse et mon frère est content. SOLIMAN. Qu'un si pressant discours vient d'ébranler mon âme.C'en est fait, Ismaël, j'étoufferai ma flamme.Mon coeur fier s'effarouche et semble y résister. N'importe, ma tête saura tout lui quitter.Elle assure à mon nom une gloire immortelle.Mais quelqu'un entre. Ah, c'est Négare. Qu'elle est belle,Je me rends, Ismaël, à ses divins appas,Et j'oublie, à ses yeux, et la gloire et Tachmas. SCÈNE III. Soliman, Négare, Phénice, Ismaël. SOLIMAN, à Négare qui s'en va. Où fuyez-vous, madame, ah, demeurez de grâce !Est-ce pour m'éviter que vous quittez la place ?M'enlevez-vous le lieu d'admirer vos beaux yeux,Madame, et vous serais-je, hélas, à ce point odieuxQue, pour ne point me voir vous ayez pris la fuite ? Quelle raison enfin contre moi vous irrite ? NÉGARE. Seigneur c'est le respect dont j'ai suivi cette loi.Je sais ce que je dois à mon maître, à mon roiPour ne pas vous troubler, Seigneur, je me retire. SOLIMAN. Vous me troublez, Madame. Hélas, qu'osez-vous dire ? Vous de qui la présence et le si noble entretienSeront toujours ma joie, et ma gloire, et mon bien,Vous, hélas ! Car enfin, je ne veux plus vous taireUn amour dont ma bouche avait fait un mystère.De feux trop violents, mon coeur se sent brûler Pour pouvoir plus longtemps, vous les dissimuler.Et quand d'un coup mortel, je sens mon âme atteinteIl doit m'être permis de pousser quelque plainte.Je ne vous dirai point que, dès le premier jour,Mon amour égala le plus ardent amour. Vous ne savez que trop, adorable princesse,Que vous m'inspirez point de commune tendresseEt que les traits perçants qui naissent de vos yeux,Portent des coups mortels ou la mort en tous lieux.Je l'ai bien essayé d'étouffer, cette flamme naissante, Mais malgré ma raison, malgré tous mes efforts,Vos yeux et mon amour ont été les plus forts.Enfin, madame, enfin, tout ce qu'on peut attendreDe l'amour le plus fort, de l'amour le plus tendre,Peut-être, pour Tachmas votre âme prévenue, De ce que je vous dis ne sera point émue.Je le sens : le chagrin, l'espoir et la douleur,La rage, tour à tour, s'emparent de mon coeur.[Note : 1 même ne sera pire qu'à peine,][Note : 1 Mots manquants.]Madame et vous voyez que ma perte est certaineSi vous n'avez pitié des maux que j'ai soufferts, Si vous n'adoucissez la rigueur de mes fersPeut-être votre coeur, trop troublé de mes feux,Dédaignera, Madame, et mes soins et mes voeux.Qu'en dois-je croire hélas ! Qu'une crainte cruelleM'afflige en ce moment d'une douleur mortelle. À mes pressants discours, vous ne répondez rien ? NÉGARE. Mon trouble malgré moi vous répond assez bien,Seigneur, et vous saurez que l'amour... Je m'égare ?Tous mes sens étonnés... SOLIMAN. Ah divine Négare !Expliquez-vous de grâce et ne me cachez plus Ce trouble violent, ces mouvements confus,Apprenez-moi enfin le sort de l'amour le plus tendreQue jamais... NÉGARE. Est-il bien besoin de vous l'apprendreSeigneur et votre coeur ne connaît-il pas bienLe secret ascendant qu'il a pris sur le mien ? Si l'offre de vos voeux ne m'avait point flattée,L'aurais-je avec plaisir si longtemps écoutée ?Et le trouble soudain qui paraît dans mes yeux,En faveur d'un amant peut-il s'expliquer mieux ?Mais que dis-je ? Où m'emporte une aveugle tendresse ? Oh je rougis, Seigneur, d'avoir tant de faiblesse !À peine ai-je entendu le bruit de vos soupirs,À peine m'avez-vous expliqué vos désirs,Que d'un amour trop prompt la faveur indiscrète,Me fait honteusement avouer ma défaite, Sans qu'aucun grand effort n'ait prouvé votre foiSans savoir, en effet, si vous brûlez pour moi.Sais-je si vos discours partent d'un coeur sincèreSi vos soins... SOLIMAN. Juste ciel, croyez-vous le contraire,Madame, et Soliman est-il si malheureux Que vous doutiez encor de l'ardeur de ses feux ?Ah pour vous rassurer, quelque grand sacrificeQue mon coeur alarmé ! Mais rendez-vous justiceMadame, examinez vos célestes appasEt quand vous l'aurez fait, vous n'en douterez pas. Moi-même, je m'étonne, et je ne puis comprendreComment, de vos attraits, un coeur peut se défendreEt je veux mal au mien d'avoir, jusqu'à ce jour,A d'indignes beautés, donné tout mon amour.Oui c'est pour moi, Madame, une douleur mortelle. NÉGARE. Mais croirai-je, seigneur, que vous serez fidèle ?Vous dont l'âme légère a, malgré vos serments,Brisé les doux liens de tant d'engagements.Puis-je voir, sans trembler, Lijare abandonnéeÀ d'éternels regrets, aux plaintes condamnée ? Et dois-je me flatter que vous avez pour moiUn amour... SOLIMAN. Que faut-il pour vous prouver ma foi ?Faut-il mettre à vos pieds l'empire et la couronne ?Madame, avec mon coeur je vous les abandonne.Et le sceptre aujourd'hui me semblerait moins doux Si je n'espérais pas de régner avec vous.Ne la dédaignez point cette offrande sincèreQue d'un trône aussi beau, l'amour vient de vous faireEt par un noeud sacré vous joignant avec moi,Assurons-nous, madame, une immortelle foi. ==================================================