******************************************************** DC.Title = LE MARI DIRECTEUR ou LE DÉMÉNAGEMENT DU COUVENT, COMÉDIE EN UN ACTE et EN VERS LIBRES. DC.Author = CARBON DE FLINS, Claude-Marie DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/07/2022 à 08:03:27. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARBONDEFLINS_MARIDIRECTEUR.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48216n DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE MARI DIRECTEUR ou LE DÉMÉNAGEMENT DU COUVENT COMÉDIE en un acte, et en vers libres. M. DCC. XCI. de M. de FLINS. À PARIS, chez Brunet, libraire, rue de Marivaux, place du Théâtre Italien. Jouée pour la première fois sur le Théâtre de la Nation, le Vendredi 25 février 1791. PERSONNAGES L'ABBESSE. SOEUR PÉTRONILLE. SOEUR APPLOLLINE. SOEUR EUDALIE. AGNÈS, novice. THÉOTIME, bernardin, directeur du couvent. GABRIEL, religieux qui a quitté le couvent. SÉRAPHIN, religieux qui a quitté le couvent. JANETE, tourrière du couvent. NICOLAS, jardinier du couvent. Monsieur DORVAL, commissaire du district. MADAME DORVAL, sa femme. LA FLEUR, Domestique de M. Dorval. RELIGIEUSES, personnages muets. La Théâtre représentent une salle de couvent la grille est placée au fond du théâtre. LE MARI DIRECTEUR SCÈNE PREMIÈRE. L'Abbesse, Soeur Pétronille, Soeur Appoline, Soeur Eudalie, Agnès, Thétime, La Tourrière, Gabriel coiffé et habillé à l'anglaise, Séraphin coiffé et habillé à la française, Religieuses. Les religieuses accourent éperdues et dispersées sur le théâtre ; l'abbesse s'oppose au passage de Gabriel et de Séraphin, qui veulent entrer. GABRIEL. Pourquoi me fuyez-vous ? L'ABBESSE. Arrêtez, malheureux.Ce n'est qu'avec l'horreur que je vous vois tous deux ;Vous êtes retourné dans un monde profane ;Vous avez délié les noeuds les plus sacrée. SÉRAPHIN. La raison nous absout. L'ABBESSE. L'Église vous condamne. Dans ces lieux saint et retirésVenez-vous apporter vos coupables maximes ? GABRIEL. Nous venons détromper d'innocentes victimes ;Et nous réussirons. L'ABBESSE. Nous ne redoutons rien;Nous regardons comme des crimes Les lois qui de vos voeux ont rompu le lien. PÉTRONILLE. Oui, notre âme est constante et pure,Et nous resterons dans ces lieux,Fidèles aux serments qu'ont entendu les cieux. APPOLINE. Nous le promettons. LA TOURRIÈRE. Je le jure. EUDALIE à Gabriel. Mais quelle est donc cette coiffure ?Ah ! Frère Gabriel, qui vous aurait remis,Avec ces cheveux plats tombants sur vos habits ? GABRIEL. Je suis vraiment fâché que cela vous déplaise :C'est une coiffure à l'anglaise. Elle est fort à la mode, et rend le cerveau sain ;On en est levé plus matin. EUDALIE. Vous avez donc plus d'une affaire ? GABRIEL. Oh ! Je vous en réponds : du parti populaire,Je suis le plus ferme soutien. J'avais, quand j'étais bernardin,Un talent marqué par le chaire ;Je faisais des sermons que l'on me payait bien ;Mais aujourd'hui pour la fortuneJe descends de la chaire et monte à la tribune. EUDALIE. Oh ! Frère Séraphin, comme vous voilà fait !Cette énorme cravate, et ce joli toupet,Ces cordons, ce petit gilet,Pour un religieux, semblent bien peu modestes ;N'en redoutez-vous pas quelques suites funestes ? SÉRAPHIN. Il faut se conformer à l'état qu'on a pris.Je chantais assez bien ; pour nos moines ravis,Ma voix charma souvent la longueur de l'office ;Et j'aurais dans le temps jadis,Obtenu le bénéfice : La nation les a tous pris. EUDALIE. Vous aviez, il est vrai, la voix douce et touchante. SÉRAPHIN. J'ai gardé mon goût, et je chante. EUDALIE. [Note : Omémus : Prière, oraison. ]Des orémus. SÉRAPHIN. Des opéras. Il chante.Jadis, je chantais tristement Quelque dévote rapsodie ;Aujourd'hui, je chante gaîmentL'amour, les jeux et la folie ;Tout change de rôle à présent.L'aristocrate maintenant, N'a plus aucun projet de guerre ;Le prélat ne fait de sermentQu'à la maîtresse qu'il préfère ;Tout change de rôle à présent.Vous avez aimé le couvent Malgré la tristesse profonde ;Mais vous allez prendre un amant,Et suivre tous les goûts du monde ;Tout change de rôle à présent. L'ABBESSE. Fuyons, fuyons, mes soeurs, et ne l'écoutons pas. PÉTRONILLE. Monstre ! EUDALIE. Faussaires. APPOLINE. Apostats. AGNÈS, bas à Thétime. Vous voyez. THÉOTIME, bas à Agnès. Attendons. PÉTRONILLE. Pouvez-vous à votre âgeVous laissez entraîner aux mondaines erreurs ?Tandis que les plus jeunes coeurs,À qui le monde, encore offre plus d'avantages, Vous donnent l'exemple des moeurs.Regardez ; Théotime est vertueux et sage,Il n'est ni pervers, ni volage ;Cependant il n'a que vingt ans. GABRIEL. C'est qu'il lui manque un peu d'usage. Cela viendra. L'ABBESSE. Sortez, méchants. THÉOTIME, bas à Agnès. Lorsqu'elles vantent ma sagesse,Elles ne savent pas ce que je sens pour vous ;Et je suis plus faible qu'eux tous,Si l'amour est une faiblesse. GABRIEL. Pour porter un bon jugement,Gardons de nous fier à la seule apparence.Pouvez-vous vous vanter de notre résistanceQu'on ne tentera que faiblement ?Sous une heure au plus tard, monsieur le commissaire Doit arriver dans le couvent,Et nous verrons. SÉRAPHIN. Pour moi j'espèreQue l'on va voir ici beaucoup de changement ;Et je crois que le plus grondeusesNe voudront pas, à m'imiter, Se montrer les plus paresseuses. PÉTRONILLE. Quel blasphème, grand Dieux ! GABRIEL. J'ose aussi me flatterQue ces dames vont adopterUn habit à la fois plus frais, et plus commode,Vont changer de parure, ainsi que de maison ; Et je vais, pour cette raison,Leur envoyer bientôt, des chapeaux à la mode. Ils sortent. SCÈNE II. Les Mêmes, hors Gabriel et Séraphin. PÉTRONILLE. Des chapeaux, malheureux ! APPOLINE. Ah ! Quels horribles mots !Ma mère qu'a-t-il dit ? PÉTRONILLE. Il a dit : des chapeaux. L'ABBESSE. Venez, entourez-moi, mères obéissantes : J'entends autour de nous, colombes gémissantes,Voler les féroces vautours.Mais nous saurons braver leur fureur impuissante ;Et dans le paix promise aux âmes innocentes,Nous verrons s'écouler les derniers de nos jours. AGNÈS, bas à Théotime. Soupçonnez-vous encore ? THÉOTIME, bas à Agnès. Attendons votre père. AGNÈS, de même. Mon père ! THÉOTIME, bas à Agnès. Oui c'est lui qui doit venir;Son district l'a nommé. SCÈNE III. Les mêmes, Nicolas. L'ABBESSE. Parle, que viens-tu faire,Nicolas ? NICOLAS. Je viens avertirQu'il faut ici qu'on déménage ; Qu'on va bientôt ouvrir la cage,Et que les oiseaux vont partir. L'ABBESSE. Comment ? NICOLAS. Ce n'est plus un mystère. PÉTRONILLE. Quoi donc ? NICOLAS. Voici le commissaire. EUDALIE, à part. Ceci commence à me tenter. L'ABBESSE. Il connaîtra les coeurs qui l'on ose insulterPar une injuste prévoyance ;Nous ne mentirons pas à notre conscience ;Nous saurons résister à tout. AGNÈS, bas à Théotime. Vous voyez, Théotime. THÉOTIME, bas à Agnès. Écoutons jusqu'au bout. NICOLAS. Quant à moi, je serai plus sage ;Je suis encore chez vous engagé pour deux ans.Mais le couvent bine tôt sera désert, je gage ;Et libre désormais de mes engagements,Je renonce à tous les couvents ; Je retourne à mes champs, et vais dans mon village. PÉTRONILLE. Est-ce ainsi, Nicolas, que vous devez payerLes soins qu'ont eu pour vous nos mères,Et leurs attentions si fines et si chère ?Avez-vous pu donc oublier Leur vif empressement, leur tendre inquiétude ?Hélas ! Faut-il qu'un jardiniersConnaisse ainsi l'ingratitude ? NICOLAS. Les douceurs et les agrémentsQu'on fit goûter à ma jeunesse, Ma rendent plus cruels les mauvais traitementsDont on accable ma vieillesse.Le travail ne me fait pas peur.Lorsque je fus élu pour remplacer mon père,Je crois, en jardinier d'honneur, Avoir rempli mon ministère.Outre le jardin du couvent,Qui fleurit en mes mains indubitablement,Il me fallait soigner celui de chaque mère ;Il me fallait secrètement, Dans le silence des offices,Cultiver les oeillets des soeurs,Les pavots des mères des choeurs,Avec les roses des novices...Chacune, autour de moi, courait d'un pas pressé, Avec cet air charmant, dont la douceur engage.Dans les nombreux travaux que leur zèle partage,J'étais quelquefois devancé,Et j'avais fini mon ouvrage,Avant de l'avoir commencé. Maintenant, quoique vieux, j'ai gardé mon courage,Et je m'épuise encore des efforts superflus ;Mais mon ouvrage ne plaît plus.On s'écarte à ma vue, et tout bas on murmure ;À peine daigne-t-on me dire quelque injure. j'ai chez moi, pour m'aider, pris l'un de mes neveux,Jeune, mais libertin, et surtout paresseux ;Qui, dans votre jardin, gâte tout, je vous jure ;N'importe, il a l'oeil tendre et l'air très dégagé ;De vous, tout ce qu'il dit, obtient quelque louange ; Il a mieux fait, quand il dérange,Que moi quand j'ai tout arrangé ;Mai j'aperçois le commissaire. EUDALIE, à part. Bon ! PÉTRONILLE. Répondons avec vigueur. APPOLINE. Hélas ! L'ABBESSE. Du courage, ma soeur. SCÈNE IV. Les mêmes, Monsieur Dorval, La greffier. DORVAL. Je viens remplir un ministère,Qui peut-être agréable, et qui ne peut déplaire.Dans cet asile solitaire,Il vous est permis de rester ;Mais celles qui pourraient tenter [Note : « pourrait » est remplacé par « pourraient » en supposant que Dorval s'adresse à toutes et non seulement à sa fille, ce qui à l'oral ne peut être distingué mais qui est confirmé plus bas dans le texte.]Le soin de consoler la vieillesse d'un père,De vivre dans le monde au sein de leur parents,Peuvent sortir de leurs couvents ;On pourvoit à leur nécessaire.La nation fidèle à ses engagements, Leur fera toucher tous les ansUne pension viagère. PÉTRONILLE. Je chéris la retraite et j'aime ce couvent,Où dans un saint recueillement,J'ai vu mes premières années Par de pieux devoirs l'une à l'autre enchaînées ;Mais ma mère a pour moi de si doux sentiments !J'ai pris dans son aveu l'état que je professe.On a dit qu'une fille, écoutant le tendresse,Pour suivre son mari, doit quitter ses parents ; Mais on ne m'a jamais dit, pour suivre les couvents.De ma mère, je veux consoler la vieillesse,C'est mon premier devoir, et pour cette raison,Je vais dans ma famille, et prends la pension. L'ABBESSE. Soeur Pétronile. LA TOURRIÈRE. Ô ciel ! EUDALIE. Oh ! Qui l'aurait pu croire ! Dès que ma dignité se trouve anéantie,Au monde, que je hais je me sens convertie :Le désir des honneurs fit ma vocation ;Puisque je perds ma croix, je prends la pension. LA TOURRIÈRE. Je verrai finir ma carrière, Dans ces lieux où j'ai vu le jour ;[Note : Tourière : Domestique de dehors qui, dans les monastères de filles, fait passer au tour les choses qu'on y apporte. [L]]Je ne suis que simple tourrière,Mais je suis fidèle à mon tour. DORVAL. Mon enfant, la constance est toujours très louable ;Mais vous n'avez point fait de voeux ; On détruit ce couvent ; vous semblez estimable,Je puis vous procurer, chez l'un de mes neveux,Un sort beaucoup plus agréable. LA TOURRIÈRE. Non, c'est mon dernier mot ; il me faut un couvent.Je m'ennuierais ailleurs indubitablement ; Et si de ces lieux l'on me chasse,Puis-je ailleurs trouver une placeQui soit digne de mon talent ? DORVAL, s'avançant avec la Tourrière sur le devant du théâtre. Quel est l'art principal où votre esprit s'applique ? LA TOURRIÈRE. Monsieur, c'est à la politique. DORVAL. Soit ; le ministre est mon parent,Je vous place chez lui. LA TOURRIÈRE. Bon ! C'est un ignorant.Et dans la politique il me faudrait l'instruire :Quand on servit dans un couvent,On en sait plus que ceux qui gouvernent l'empire. Ne faut-il pas pour plaire à tousSe plier aux différents goûts ?Avoir l'air enjoué près des pensionnaires ?Montrer un sombre ennui sous des rides sévères,Devant les mères en courroux ? Savoir par intérêt et louer et médire ?Pour la novice qui soupire,Du jeune directeur servir les rendez-vous ?Trouver tout ce qui plaît, éviter ce qui blesse ?Flatter surtout l'abbesse, en ce qui l'intéresse, Et lui citer à tout proposSon neveu le marquis, et sa soeur la comtesse ?Où puis-je retrouver ces importants travaux ?Il faudrait m'élever moi-même au ministèrePour que je pusse encore étaler au grand jour La politique nécessaireÀ qui sut régner dans un tour. DORVAL. Suivez un conseil salutaire. LA TOURRIÈRE. Non, non, on ne me séduit pas,Je sais quel est mon poste, et j'y cours de ce pas ; J'embrasserai mon tour à mon heure dernière :Dans le tour je suis née, et je mourrai tourière.Mon coeur ne peut être changéPar un espoir trompeur et d'odieux manèges ;Je défends mieux mes privilèges Que la noblesse et le clergé. Elle sort. SCÈNE V. Les mêmes, hors la Tourrière. DORVAL. Nous la ferons changer de résolutions.Du reste, on est d'accord, personne ne résiste.De ces dames, greffier, vous prendrez tous les noms,Et vous les mettrez sur la liste Qui renferme les pensions. NICOLAS. Monsieur le commissaire, à quoi monte la mienne ? DORVAL. Écoute : il me souvient... NICOLAS. Il faut qu'on s'en souvienne. DORVAL. Que les jardiniers n'en ont point. NICOLAS. J'ai trente ans cultivé la terre ; Les Dames ont passé trente ans à ne rien faire ;On leur assure un sort, je reste sans salaire ;Ma foi la nation est injuste en ce point. EUDALIE. Si je suis étourdie, au moins j'ai l'âme bonne ;Mon cher Nicolas, je te donne L'argent de mon premier quartier. L'ABBESSE. Il n'est plus bon à rien. EUDALIE. Eh ! C'est ce qui m'engage. L'ABBESSE. Je veux de mon argent, faire un plus noble usage,Pour mon neveu le chevalier.Il sera colonel. NICOLAS. Ce titre qui vous flatte, Pour moi vous rend injuste, et vous fait oublierLes services constants d'un pauvre jardinier.Jeunesse est généreuse, et vieillesse est ingrate. Il sort. SCÈNE VI. Les mêmes, hors Nicolas. DORVAL. De tous les meubles du couventJe vais commencer l'inventaire. EUDALIE. Moi, je vais faite aussi mon paquet promptement DORVAL. J'attends ici ma femme, elle m'est nécessairePour estimer quelques objetsAuxquels je ne me connais guère. PÉTRONILLE. Mais avant de quitter ce couvent pour jamais, Il est décent de voir, je pense,Notre père Honorin. APPOLINE. Oh ! Combien je l'aimais ! PÉTRONILLE. Il dirigeait ma conscience. EUDALIE. Allons, dépêchons-nous, car je perds patience. Elles sortent. SCÈNE VII. Agnès, Dorval, Théotime. DORVAL. Quel est cet Honorin ? THÉOTIME. Un prêtre respecté,Qui, dans cette maison a trente ans habité.Sévère pour lui-même, indulgent pour les autres. DORVAL. Je le vois ; du couvent c'était un des apôtres ? AGNÈS. À peu près. DORVAL. Chère Agnès, réparons nos malheurs. Une mère cruelle, en dépit de vos pleurs,Vous immola jadis à l'orgueil de vos soeurs ;Votre mère n'est plus ; et votre belle-mèreVous adopte pour fille, et ses soins complaisantsS'efforcent déjà de vous plaire. De noeuds pénibles et gênants,Ma tendre amitié vous délivre,Dès ce soir, vous pourrez me suivre. THÉOTIME à Agnès. Je vous perds, c'en est fait. AGNÈS à Dorval. Mon père, le couvent.... DORVAL. Qui peut vous arrêter ? Vous n'êtes que novice, Vous n'avez point fait de serment. THÉOTIME, bas à Agnès. Quel nouveau malheur ! AGNÈS, bas à Théotime. Quel supplice ! DORVAL, bas à Agnès. Quel est donc ce religieux,Qui sur vous, tout à l'heure, avait toujours les yeux ? AGNÈS. C'est un jeune homme que j'estime. DORVAL. Comment l'appelez-vous ? AGNÈS. Le père Théotime. DORVAL. Vous le voyez beaucoup ? AGNÈS. Mon père, très souvent.Car Monsieur cultive un talent,Auquel depuis six mois volontiers je m'applique. Bas. Je me découvre assurément. DORVAL. Et ce talent ? AGNÈS. Mon père, il m'apprend la musique. DORVAL. Il a l'air fort intéressant.Et je crois qu'il chante à merveille. AGNÈS. Sa voix, je l'avouerai, plaît fort à mon oreille. DORVAL. Ce que vous dites là, me fait naître un désir, AGNÈS. Et ce désir... DORVAL. Est de l'entendre. AGNÈS. Qui ? Lui ? Pour vous faire plaisirIl est prêt à tout entreprendre. THÉOTIME, bas à Agnès. Je ne chante pas bien. AGNÈS, bas à Théotime. Mais comme vous pourrez. THÉOTIME, bas à Agnès. Je n'ai point de chansons. AGNÈS, bas à Théotime. Eh bien ! Vous en ferez. THÉOTIME, chante. Quand par un oncle surpriseDans les bras de son amant,La trop sensible HéloïseVit commencer son tourment.Coup affreux ! Douleur extrême ! L'amant seul peut la sentir :N'est-ce pas déjà mourir,Que de perdre ce qu'on aime ? DORVAL. J'aime beaucoup cette romance. THÉOTIME. Voici le couplet qui commence : Agnès en sait la suite. AGNÈS, bas à Théotime. Quoi ?...Je n'en sais pas un mot. THÉOTIME bas à Agnès. Vous ferez comme moi. AGNÈS, chante. Héloïse est plus à plaindre :Non, jamais son tendre amant,Sans l'outrager ne peut craindre De son coeur un changement.Héloïse le lui jure,Qu'il entende ce soupir ;Héloïse peut mourir,Mais ne peut être parjure. DORVAL. Cette musique me plaît fort,Vous chantez bien ensemble, et vos voix sont d'accord. À Théotime. Je vous suis obligé... À Agnès.Je suis charmé, ma fille,De vous voir ce nouveau talent ;Sans doute il charmera Monsieur de Vintimille, Dont j'approuve l'empressement,Et qui doit, en vous épousant,Entrer bientôt dans ma famille. AGNÈS bas à Théotime. Non, je serai fidèle, et mon coeur l'a juré. THÉOTIME bas à Agnès. C'en est trop, chère Agnès, je pars désespéré. Il sort. SCÈNE VIII. Dorval, Agnès. DORVAL. Comment ! Vous changez de visage,Agnès, je vois vos pleurs coulerAlors que je viens vous parlerDu projet d'un bon mariage ;Vraiment, cela n'est pas naturel à votre âge. AGNÈS. Pardonnez au trouble où je suis ;Oui, j'ai peine à quitter une maison si chère,Pour entrer dans le monde où je suis étrangère ;Et je vais loin de vous rêver à mes ennuis. SCÈNE IX. DORVAL, seul. Ma fille, en vérité m'étonne. Redouter un mari, regretter le couvent !Plus j'y pense, plus je soupçonne...Mais on est injuste souvent A force d'être pénétrant. SCÈNE X. Dorval, Lafleur. LA FLEUR. Je suis chargé de vous remettreCe paquet, avec cette lettre. DORVAL. De quelle part ? LA FLEUR. C'est du père Honorin. DORVAL. Pose ici le paquet. (Ah ! C'est de notre saint.) SCÈNE XI. DORVAL, seul. Il lit. Que ces nouvelles curieusesVont donner de surprises à nos religieuses !Oui, voilà bien la robe avec le capuchon, Qui, de tout le couvent, avait la confiance,Et qui dût entendre, dit-on,Plus d'une bonne confidence.Je voudrais un moment être sous cet habit,Pour écouter les choses rares Que sous le secret on lui dit...... Le projet est plaisant, mais les moyens bizarres.Je ne prendrai jamais la résolution...Si l'on me découvrait ! N'importe ;La curiosité l'emporte.Je cède à la tentation. Il s'habille et met le capuchon. Un porte-feuille ! bon, il pourra m'être utile :Des dames du couvent, examinons le style.Je lirai leur secret avant de l'écouter ;Je serai confident de quelque tendre flamme ;Cela sera charmant. On vient. Bon ! c'est ma femme. SCÈNE XII. Monsieur Dorval, Madame Dorval. Madame DORVAL. Mon père, avec respect je viens vous consulter. DORVAL. Sur quoi ? Madame DORVAL. C'est sur une entreprisePar qui je craindrais d'attenterAux propriétés de l'église.Mon mari veut que du couvent Je fasse avec lui l'inventaire,N'est-ce pas un péché ? DORVAL. Non pas, assurément,Votre mari, d'ailleurs, est un homme prudent ;En suivant ses conseils, vous ne pouvez mieux faire. Madame DORVAL. Vous le croyez bien sage ? DORVAL. Assurément. Madame DORVAL. En croyez-vous la renommée ?Elle flatte ou médit, trompe en exagérant,Et dit juste très rarement.Des défauts de Dorval je suis bien informée,Sans doute il n'est pas sans esprit, Mais il n'a point de caractère ;Vous l'avez toujours vu se plaireÀ ces modes d'un jour qu'auprès du sot vulgaire,Un charlatan met en crédit.Il livra sa fortune aux fourneaux d'un chimiste ; Il alla chercher la santé[Note : Mesmériste : adjectif construit à partir du nom de Franz-Anton Mesmer (1734-1815) a fondé une théorie thérapeutique sur le magnétisme animal nommé mesmerisme. Arrivé à Paris en 1778, il connut un très vif succès avant d'être contesté formellement par l'Académie des Sciences et l'Académie royale de Médecine. Il quitte la France en 1785.]Au bout du doigt d'un Mesmériste ![Note : Joseph Balsamo dit Alessandro comte de Cagliostrio (1743-1795) : 2venturier italien. Incarcéré à la Bastille en 1785 dans le cadre de l'affaire du Collier de la Reine puis fut expulsé de France en 1786. Il importa la Franc-maçonnerie dite Égyptienne qui fit son succès parisien. ]Du grand Cagliostro je le vis entêté,Au point que deux jours par semaineIl conversait avec Turenne Tout comme je cause avec vous.Si Mahomet eût eu quelque crédit en France,Je crois que mon bizarre époux,Mettant dans Mahomet toute sa confiance,Aurait été turc un moment : Il n'en est rien heureusement.Il quitta le service assez étourdiment,Il eut pu parvenir aux grades militaires,Il aime son pays ; mais il ne le sert guère.Dans son district il fait beaucoup de bruit, Il y pérore jour et nuit ;Et pendant ce temps-là néglige ses affairesIl est dupe. DORVAL, à part. Bonne leçon ! Haut.Vous ne l'aimez donc pas ? Madame DORVAL. Pardonnez-moi, je l'aime,Il est juste, honnête, et si bon ! Dans moi, sa confiance en tout point est extrême. DORVAL. Vous n'en abusez pas ? Madame DORVAL. Moi, non.Quoique je sois vive et jolie,Mon coeur resta toujours exempt de passions ;C'est à trois inclinations Que se borne en effet le roman de ma vie. DORVAL. Trois ! Madame DORVAL. Vous trouvez que c'est bien peu. DORVAL, à part. Bien peu ! La scélérate ! Ah ! Cachons notre jeu.Il n'est pas temps encor de montrer qui nous sommes. Madame DORVAL. D'abord, mon premier goût fut pour les gentilshommes, Celui que je choisis fut un brave guerrier,Et jamais on ne vit plus aimable officier. DORVAL. Et le second ?... Madame DORVAL. Suivant un état pacifique,Faisait des règlements, tantôt bien, tantôt mal ;C'était ce qu'on appelle en bonne politique, Un conseiller municipal. DORVAL. Reste un troisième. Madame DORVAL. Oui. DORVAL à part. La confidence est rarePour un mari. Dorval fait un mouvement de tête qui le décèle. Madame DORVAL. Mon choix vous paraîtra bizarre ;Mais l'amour est aveugle, et tel est mon destin,Que j'adore à présent... DORVAL. Qui donc ? Madame DORVAL. Un Bernardin. DORVAL. C'est pousser trop loin l'insolence ;Ma colère est plus forte,Et je perds patience. Se découvrant.Me reconnaissez-vous ? Madame DORVAL, souriant. Vous êtes mon mari. DORVAL. Vous ne rougissez pas ? Madame DORVAL. Je veux faire un pari. DORVAL. Comment ? Un pari ? Madame DORVAL. Je suis sûreMonsieur, que par cette aventure,Vous croyez m'embarrasser fort. DORVAL. Sans doute. Madame DORVAL. Et la vérité pure, C'est que je suis sans aucun tort. DORVAL. Cela, Madame, est un peu fort.Vous avez, dites-vous, aimé dans votre vieUn conseiller municipal,Un militaire, un moine. Madame DORVAL. Et pourquoi, je vous prie, Vous dirais-je que non ? Je n'y vois pas de mal. DORVAL. Cela passe la raillerie. Madame DORVAL. Quoi, Monsieur, seriez-vous jaloux ? DORVAL. Madame..... Madame DORVAL. Écoutez-moi, sans vous mettre en colère ;Quand je vous épousai, vous étiez militaire. DORVAL. J'en conviens. Madame DORVAL. Et voilà commentun officier fut mon premier amant.Pour le bien, pour la paix, pour la chose publique,Votre empressement sans égalFit de vous, dans ce temps critique, Un officier municipal.Par-là, mon autre amour suffisamment s'explique :Ici vous êtes moine, ou bien votre habit ment ;J'adore un moine maintenant ;Voilà tout le noeud de l'affaire. DORVAL, à part. Pour moi la vérité n'est pas encor trop claire ;Cependant il faut croire, ou bien faire semblant. Madame DORVAL. Comptez sur ma vertu : je fais tout pour vous plaire ;Et je cours estimer les meubles du couvent. Elle sort. SCÈNE XIII. DORVAL, seul. Me voici bien payé ; les époux curieux Doivent toujours s'attendre à des choses pareilles.Un mari doit fermer les yeux....Et non pas ouvrir les oreilles.....J'ai formé l'entreprise et je l'achèverai ;Et d'un autre secret je me divertirai. Examinons ce portefeuille.Je vois que la première feuilleEst de celle qui prit le voile malgré soi,Qui cherche à soulager sa tristesse profonde,Et qui veut bien qu'on se doute pourquoi Elle va rentrer dans le monde. Il lit bas. J'ai lu très bas, et j'ai bien fait.Mais je suis plus content de cet autre billet.Dieux ! On y parle de ma fille.Plus que je n'en voudrais, peut-être j'en saurai. Allons, il est écrit qu'aujourd'hui j'apprendraiTous les secrets de ma famille.Il faut vous apprendre ce que j'aurais dû vous cacher plus longtemps. J'aime Agnès, et j'en suis aimé ; mais nous ne pouvons être heureux ensemble. Quand je consentirais à rompre mes voeux, son père ne consentira jamais à nous unir ; car je suis pauvre et cadet de famille. Je dois me sacrifier moi-même : je vais quitter la France. Engagez Agnès à obéir à son père ; c'est son premier devoir. Adieu, je serai moins malheureux quand je saurai que je suis seul à plaindre.Thèotime.Ce n'est point là du tout, écrire en suborneur,Ce jeune Théotime est un homme d'honneur. SCÈNE XIV. Tous les Acteurs ; hors Séraphin, Gabriel, Nicolas et la Tourrière. Madame DORVAL. Le voici ce saint personnage, À ses rares vertus, accourez rendre hommage. PÉTRONILLE à Dorval. Avant de vous quitter, apprenez mon secret,À cette confidence une heure peut suffire,Quand on sort du couvent, ou n'en saurait trop dire. APPOLINE. Un mot, et j'aurai bientôt fait. PÉTRONILLE. Je passe la première. EUDALIE. Ah ! Je suis si pressée. APPOLINE. D'attendre si longtemps je suis déjà lassée. EUDALIE. Ah ! Mes soeurs, que de temps perdu ! DORVAL. Je quitte cet habit, j'en ai trop entendu.Plus que vous ne croyez, j'ai votre confidence, Ce que vous me diriez, je le connais d'avance. EUDALIE. Ah ! C'est Monsieur Dorval. Madame DORVAL. Allez, c'est un malin,Qui surprend nos secrets sous l'habit d'Honorin. DORVAL. Il faut bien qu'on me le pardonne.J'avais voulu surprendre et c'est moi qu'on surprit. Pour avoir un moment endossé cet habit,La leçon, j'en conviens, fut bonne :Ceux qui l'ont porté plus longtempsEn doivent bien savoir sur les âmes dévotes,Et pourraient fournir tous les ans Un plaisant recueil d'anecdotes. EUDALIE. Ce capuchon, Monsieur ?... DORVAL. Oui ; d'abord il m'appritQue ma femme.... est femme d'esprit. APPOLINE. Vous le saviez d'avance. Madame DORVAL. Et ce ne n'est pas un crime. DORVAL. Et que ma fille... L'ABBESSE. Ici tout le monde l'estime. DORVAL. Aime fort tendrement le père Théotime. SCÈNE XV. Les Mêmes, La Tourrière, Théotime, Nicolas. LA TOURRIÈRE. Je ramène un transfuge : il fuyait du couvent,Et je ne l'ai saisi qu'à son corps défendant. Madame DORVAL. Enfin, vous l'aimez donc ? AGNÈS. Plus qu'on ne saurait dire.C'est dans la solitude et le désoeuvrement Qu'avec plus de pouvoir l'amour tient son empire. DORVAL. L'avis est fort bon à présent.Faites donc élever vos filles au couvent. L'ABBESSE. Hélas ! Que dira-t-on ? Madame DORVAL. Eh bien ! Qu'allez-vous faire ? DORVAL. Théotime est honnête, et moi je suis bon père.Il est aimé d'Agnès, je lui donne sa main. AGNÈS. Mon père à vos genoux... THÉOTIME. Jour heureux !... sort propice ! Madame DORVAL. Il sera très plaisant de voir une novice Épouser un ex-bernardin. L'ABBESSE. Si je me détermine à profiter enfinDe cette liberté que le décret nous laisse,À m'avoir un mari, travaillez sourdement ;Mais il faut nécessairement, Qu'il ait appartenu jadis à la noblesse,Ou du moins ait été dans quelque parlement.Songez qu'il faut un ci-devantPour une ci-devant abbesse.Je quitte le couvent avant la fin du jour. APPOLINE. Je vais enfin revoir mon père. PÉTRONILLE. Je cours dans les bras de ma mère. EUDALIE. Je vais, je ne sais où. LA TOURRIÈRE. Je vais chercher un tour. SCÈNE XVI. Tous les acteurs, hors la Fleur. GABRIEL. Mesdames, vous voyez si je m'étais trompé. SÉRAPHIN. De vous je me suis occupé ; Je viens vous apporter un charmant vaudeville,Que depuis ce matin l'on chante par la ville. PÉTRONILLE. Je vais donc essayer mon talent pour le chant. EUDALIE. Un vaudeville, ah c'est plaisant !Pour moi j'aime le chant presque autant que la danse. Séraphin offre le vaudeville à Pétronille. PÉTRONILLE. Par Madame l'abbesse il faut que l'on commence. VAUDEVILLE. L'ABBESSE. Je perds le titre d'abbesse ;C'est un fâcheux accident.Quoi ! L'on veut de sa noblessePriver aussi le couvent ? Mais un destin plus propiceÀ mes voeux est présenté ;Il n'est point de sacrificeQu'on ne fasse à la liberté. LA TOURRIÈRE. Que si j'étais jeune et belle, Et faite encore pour l'amour,Je pourrais être infidèle,Et quitter aussi mon tour.Par un retour de tendresseMon coeur est souvent tenté ; Mais hélas ! Dans la vieillesse,Que faire de la liberté ? AGNÈS. Si je sors du monastère,L'hymen m'enchaîne à jamais :Le lien que l'on préfère Ne laisse point de regrets.Le nouveau noeud que j'adoreSera toujours respecté.C'est pour l'engager encore,Que je reprends, ma liberté. EUDALIE. Ce qui chez vous est fort sage,Chez moi serait imprudent.Je vais faire un autre usageDu bonheur que l'on me rend,Mon coeur toujours vif et tendre, Veut, par l'amour agité,Souvent quitter et reprendreTous les droits de sa liberté. THÉOTIME. L'Hymen n'est point une chaîneLorsqu'il unit deux amants, Et je vous soumets sans peineMes voeux et mes sentiments.En vous, le pouvoir suprêmeNe peut être redouté ;Obéir à ce qu'on aime Vaut bien mieux que la liberté. Madame DORVAL. On dit souvent que les bellesTyrannisent leurs amants ;Mais pour les amants fidèlesCe sont de bien chers tyrans ; Et de ce fèxe équitableReconnaissez la bonté,Quand l'amant n'est plus aimableOn lui donne sa liberté. PÉTRONILLE. Je vais rentrer dans le monde Où m'appellent mes désirs ;Je vois partout qu'on le fronde,Et qu'on cherche ses plaisirs :Mais en sortant d'esclavage,Si mon coeur a palpité, C'est sans trop savoir l'usageQu'il fera de sa liberté. SÉRAPHIN. Si nous sortons d'esclavage,Mes amis de ce bienfait,Aux femmes rendons hommage, Car les femmes ont tout sait :Leurs bons mots et leur aisanceDe tout temps ont éclaté,Et nous leur devons en FranceL'exemple de la liberté. ==================================================