******************************************************** DC.Title = LA DAME EN NOIR, COMÉDIE DC.Author = CARCASSONNE, Adolphe DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/08/2021 à 11:42:46. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARCASSONNE_DAMEENNOIR.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742849d DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA DAME EN NOIR COMÉDIE. 1889 Adolphe CARCASSONNE. ÉMILE COLIN - IMPRIMERIE DE LAGNY. PERSONNAGES LA DAME EN NOIR. PIERRE. 11 ans. ANDRÉ. Extrait de "Nouveau Théâtre d'enfants, Dix pièces en prose, à jouer dans les familles et dans les pensionnats, Paris, Marpon et Flammarion, Le Jay Libraires, 1889. pp. 261-285. LA DAME EN NOIR Un salon. - Fauteuils. - Porte au fond. Au lever du rideau, la Dame en noir est sur le seuil de la porte au fond, prête à sortir. SCÈNE PREMIÈRE. La Dame en noir, Pierre. PIERRE. Revenez bien vite, Madame. Auprès de vous on se sent fort et l'on est toujours prêt à faire son devoir. LA DAME. Oui, mon enfant, je reviendrai. J'ai une visite à faire tout près d'ici et je serai de retour dans peu d'instants. D'ailleurs, ma place est marquée auprès de la jeunesse. Elle sort. PIERRE. Depuis que cette dame vient ici, il me semble que j'ai plus de raison et plus de force. Elle exerce un grand pouvoir autour d'elle et elle persuade aisément... Il est interrompu par l'arrivée d'André qui, d'un air effrayé, entre par le fond. SCÈNE II. Pierre, André. ANDRÉ. Il fait nuit dans l'escalier. PIERRE. Et tu as peur, selon ton habitude. ANDRÉ. Oui, parce que... PIERRE. Parce que ? ANDRÉ. Il m'a semblé voir passer quelque chose de noir. PIERRE. Un fantôme, peut-être. ANDRÉ. Non, les fantômes sont blancs, mais peut-être un voleur. PIERRE. Et tu as peur des voleurs ? ANDRÉ. Tout le monde en a peur. PIERRE. Toi, surtout. ANDRÉ. Pense donc... D'abord, ils vous volent. PIERRE. Naturellement, sans cela ils ne seraient pas voleurs. ANDRÉ. D'autres fois ils vous tuent et on vous trouve le lendemain, nageant... PIERRE. Nageant ? ANDRÉ. Dans le sang. PIERRE. Comme on dit dans les journaux. ANDRÉ. Et comme c'est vrai... Que veux-tu ? On ne peut pas se changer... Ainsi, quand il pleut... PIERRE. Tu as peur de la pluie ? ANDRÉ. Non, mais j'ai peur des éclairs et des tonnerres, et, la nuit, je fourre ma tête sous les draps pour ne rien voir et ne rien entendre. PIERRE. Ta poltronnerie est ridicule ; tu n'as qu'à regarder le danger en face. ANDRÉ. Tu veux que je regarde le tonnerre en face ? PIERRE. Non le tonnerre, mais les sottises qui sont dans ton cerveau. ANDRÉ. Je te l'ai dit, je ne puis pas me changer... Maintenant, Pierre, il faut que je te dise pourquoi je suis venu te voir. PIERRE. Je t'écoute. ANDRÉ. J'ai dit à mon petit père que je puis faire une lettre. PIERRE. Je te crois assez intelligent pour cela. ANDRÉ. Papa m'a donné le sujet. PIERRE. Et quel est-il ? ANDRÉ. Ce que je pense d'un poltron. PIERRE. Ah ! Et tu as fait la lettre ? ANDRÉ. Oui. PIERRE. Peux-tu me la faire entendre ? ANDRÉ. Je suis venu pour ça. Il sort un papier de sa poche. PIERRE. Lis donc. ANDRÉ, lisant. Le poltron est à l'abri de tout danger. Il ne lui arrive jamais rien de mal. Il ne va pas sur mer, il ne risque pas d'être noyé. Si le feu prend quelque part, il n'y va pas, il ne risque pas d'être brûlé. PIERRE. Il laisse brûler les autres. ANDRÉ, continuant. Il ne se fait pas soldat, il ne va pas à la bataille, il ne risque pas d'être tué... PIERRE, l'interrompant. Assez ! Je ne puis plus entendre de pareilles choses ! ANDRÉ. Est-ce que j'ai fait une faute ? PIERRE. Oui, une faute de... français. La Dame en noir rentre par le fond. André fait un mouvement de crainte et il vient sur le devant de la scène. SCÈNE II. Pierre, André, La Dame. PIERRE. Madame, vous arrivez à propos ; voici un poltron comme je n'en connais pas et que je vous recommande. LA DAME. Un poltron ! De quoi a-t-il peur ? PIERRE. De tout. LA DAME. En vérité !... Voulez-vous me laisser un instant avec lui ? PIERRE. Certainement... Bonne chance, Madame. Il sort. SCÈNE IV. André, La Dame. LA DAME. Approchez, mon enfant. ANDRÉ. Vous ne me ferez pas de mal, au moins ? LA DAME. Regardez-moi bien et dites-moi si j'ai l'air de vouloir faire du mal à quelqu'un. ANDRÉ. C'est vrai... Vous n'avez pas l'air méchant. LA DAME. Rassurez-vous donc et causons : vous avez toujours peur. ANDRÉ. Oui. LA DAME. Et pourquoi ? ANDRÉ. Je ne sais pas ; j'ai peur parce que... j'ai peur. LA DAME. Savez-vous que la poltronnerie est une chose bien laide ? ANDRÉ. Pierre me l'a dit. LA DAME. Et Pierre a bien raison. On ne peut dire de son fils, de son frère, de son ami, qu'il est un poltron, sans rougir pour lui. ANDRÉ. Que voulez-vous ? Ce n'est pas ma faute, si j'ai peur. LA DAME. Oui, c'est votre faute. Quand vous êtes pris de ces craintes imaginaires, rendez-vous en compte et vous les verrez disparaître aussitôt. Tout à l'heure, quand je suis entrée, vous avez eu un mouvement de frayeur, n'est-ce pas ? ANDRÉ. Oui. LA DAME. Et maintenant, vous êtes rassuré. ANDRÉ. Oui. LA DAME. Cela s'explique : La raison est venue à votre aide et votre frayeur s'est dissipée. ANDRÉ. C'est vrai. LA DAME. Il suffit de regarder les choses en face. ANDRÉ. Pierre me l'a dit aussi. LA DAME. Pierre est un garçon courageux et qui deviendra un homme, car, voyez-vous, mon cher enfant, autant le courage est honoré, autant la poltronnerie et la lâcheté qui la suit toujours sont honnies et méprisées. ANDRÉ. Oui, c'est beau d'être courageux et je voudrais l'être. LA DAME. Eh bien ! Voulez-vous que je vous raconte une petite histoire ? ANDRÉ. Y a-t-il des voleurs ? LA DAME. Oui, des voleurs... de pendules. Écoutez-moi donc bien... Mais, d'abord, savez-vous ce qu'est la France ? ANDRÉ. Dans ma classe on n'en est pas encore à son histoire, mais je sais que la France est notre pays. LA DAME. Oui, notre chère patrie... Je commence mon récit : Jadis, notre France était la reine du monde, elle marchait à la tête des nations et rien ne se faisait sans sa volonté... Vous ne saviez pas cela ? ANDRÉ. Non, mais je suis content de l'apprendre. LA DAME. Elle était puissante et forte et on la voyait toujours du côté du droit et de la justice. On rappelait le Flambeau. ANDRÉ. C'était bien, puisqu'elle faisait voir clair aux autres. LA DAME. Aussi, un ennemi, caché derrière le mensonge et la fourberie, l'avait environnée d'espionnage et en mille huit cent soixante-dix, n'oubliez jamais cette date, mon enfant, il nous fut suscité une guerre longuement préparée et pour laquelle nous n'étions pas prêts nous-mêmes. ANDRÉ. J'ai entendu parler de cette guerre, mais je ne savais pas tout ça. LA DAME. Chose cruelle à dire ! La vieille gloire de la France s'y perdit... ANDRÉ, l'interrompant. Pourtant l'on s'est battu ? LA DAME. J'aime cette interruption, mon enfant. Oui, l'on s'est battu et battu héroïquement, mais l'ennemi avait jeté tous ses soldats sur le champ de bataille. Ils étaient dix contre un. ANDRÉ. Dix contre un, c'est trop ! LA DAME. Cependant on a fuit des efforts inouïs, mais la force a primé le droit et la barbarie l'a emporté sur la civilisation. ANDRÉ. C'est une injustice. LA DAME. Nous avons été vaincus. ANDRÉ, fermant le poing. Oh ! Les ennemis de la France ! LA DAME. Ce n'est pas tout encore : Avec une partie de ses trésors, on a arraché à la France deux filles qu'elle aimait avec adoration. ANDRÉ. Deux filles ? LA DAME. L'une s'appelait Alsace et l'autre s'appelait Lorraine. ANDRÉ. Mais ces gens-là sont des voleurs ! LA DAME. Dont vous n'avez plus peur, j'espère? ANDRÉ. Non, car je jure que, lorsque je serai grand, je prendrai mon fusil et j'irai dire à ces gens-là : Rendez-nous ce que vous nous avez pris. LA DAME. Et s'ils ne veulent pas ? ANDRÉ. Je les tuerai ! PIERRE, paraissant au fond. Bravo ! André. Il vient en scène. SCÈNE V. André, La Dame, Pierre. PIERRE. J'étais sûr, Madame, que vous dissiperiez les craintes d'André. LA DAME. Il a suffi de faire appel à la raison et de démontrer que nous devons être tous forts et courageux en face de l'avenir. ANDRÉ. Oui, je serai fort et courageux. LA DAME. C'est bien. Maintenant, mes enfants, écoutez-moi : je vais partir ce soir. PIERRE. Ah ? LA DAME. Oui, je me dirige vers le Midi. PIERRE. Est-ce que votre absence sera longue ? LA DAME. Elle durera un certain temps. Je vous l'ai dit, ma place est marquée auprès de la jeunesse française et je dois aller voir celle do là-bas ; mais je reviendrai, soyez en sûrs. PIERRE. Nous y comptons. Seulement, en attendant votre retour, dites-nous, je vous prie, votre nom pour l'invoquer comme un devoir quand vous ne serez pas là. LA DAME. Vous voulez savoir mon nom ? Elle prend Pierre et André par la main et elle les conduit sur le devant de la scène.Eh bien ! Mes enfants, je m'appelle... La Revanche. ANDRÉ. La Revanche ! Je mets ce nom dans ma tête. PIERRE. Et moi, je le mets dans mon coeur. La Dame gagne vers le fond, puis elle se retourne et elle envoie un baiser aux deux enfants. ==================================================