******************************************************** DC.Title = L'ABBÉ DE COURE-DÎNER, COMÉDIE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 31/10/2021 à 21:35:52. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_ABBEDECOUREDINER.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ABBÉ DE COURE-DÎNER. COMÉDIE. VINGT DEUXIÈME PROVERBE. 1822. de CARMONTELLE. À PARIS, chez DELONGCHAMPS, LIBRAIRE RUE DE LA FEUILLADE, n°2, près de la Place des Victoires. PERSONNAGES DAME ANNE, gouvernante de l'Abbé. MONSIEUR DE MONTFORT, homme de finance. CHAMPAGNE, laquais de Monsieur de Montfort. LE PRÉSIDENT DES BOUQUINS, amateur de livres. LA FRANCE, laquais du Président. LA MARQUISE D'AIMETOUT. JULIE, femme-de-chambre de la Marquise. BEAULIEU, valet-de-chambre du vicomte de Guermont. FLAMAND, laquais du Vicomte. MONSIEUR BOURNIN, médecin. MADAME BERTRAND, voisine de l'Abbé. BABET, fille de Madame Bertrand, voisine de l'Abbé. La scène est chez l'Abbé, chez Monsieur de Montfort, chez le Président des Bouquins, chez la Marquise d'Aimetout, dans l'antichambre du vicomte de Guermont, et à la porte de l'Abbé, sur le palier de l'escalier. Extrait de PROVERBES DRAMATIQUES DE CARMONTELLE précédé de la vie de Carmontelle (...), chez DELONGCHAMPS libraire, Tome Premier, 1822. pp. 289-308 L'ABBÉ DE COURE-DÎNER SCÈNE PREMIÈRE. L'Abbé, Dame Anne. La scène est chez l'Abbé. L'ABBÉ, sortant. Vous entendez bien ce que je vous dis, dame Anne ? DAME ANNE. Oui, Monsieur l'Abbé ; mais je suis fâchée que vous ne vouliez pas diner ici ; vous auriez un gigot bien mortifié, bien bon. L'ABBÉ. Un gigot, un gigot ! Voilà un joli diner, quand on a grand appétit. Je m'en vais chez Monsieur de Montfort. DAME ANNE. Ah ! Vous ferez meilleure chère là qu'ici. L'ABBÉ. Je vous en réponds. DAME ANNE. En ce cas-là, monsieur l'Abbé ne reviendra que ce soir ? L'ABBÉ. Non. Passez un peu chez la blanchisseuse de rabats. DAME ANNE. Oui, oui, monsieur l'Abbé ; j'irai voir ma soeur en même temps. L'ABBÉ. Si l'imprimeur m'apporte une feuille, vous lui direz de re venir demain matin ; elle sera corrigée. DAME ANNE. Je vous apprêterai de l'encre pour ce soir. SCÈNE II. Monsieur de Montfort; écrivant à son bureau, Champagne. La scène est chez Monsieur de Montfort. MONSIEUR DE MONTFORT. Qu'est-ce que c'est que cela ! CHAMPAGNE. Ce sont vos lettres que vous aviez laissées hier dans le salon. MONSIEUR DE MONTFORT. C'est bon. Champagne s'en va.Met-on mes chevaux ? CHAMPAGNE. Oui, Monsieur. MONSIEUR DE MONTFORT. Vous m'avertirez quand ils seront mis. CHAMPAGNE, annonçant. Monsieur l'Abbé de Coure-Dîner. MONSIEUR DE MONTFORT. Qu'il entre. SCÈNE III. Monsieur de Montfort, L'Abbé. MONSIEUR DE MONTFORT, écrivant. Bonjour, monsieur l'Abbé. L'ABBÉ. Vous êtes en affaire ? MONSIEUR DE MONTFORT. Non, voilà qui est fini. Il n'écrit plus. Eh bien, savez-vous quelque chose de nouveau ? L'ABBÉ. Non, je n'ai vu personne d'aujourd'hui. J'ai dîné hier chez Monsieur votre frère, où nous avons eu une longe de veau de Rouen, qui était délicieuse. MONSIEUR DE MONTFORT. Eh bien, vous mangerez la pareille ici. L'ABBÉ, avec joie. Ma foi, je n'en serai pas fâché ; car j'avoue que c'est ce que j'ai mangé de meilleur. MONSIEUR DE MONTFORT. Aimez-vous les guignards de Chartres ? L'ABBÉ. Je vous en réponds. MONSIEUR DE MONTFORT. J'en ai aussi ; et des coqs de bruyère... L'ABBÉ. Savez-vous que personne ne fait aussi bonne chère que vous. MONSIEUR DE MONTFORT. Je m'en pique un peu, à vous dire vrai. Que diable ! Il faut bien vivre ; l'argent n'est fait que pour s'en servir. J'attends une truite du lac de Genève, dont je veux que vous mangiez aussi. L'ABBÉ. Je les connais. Diable ! C'est admirable. MONSIEUR DE MONTFORT. Je suis bien fâché qu'elle ne soit pas arrivée. L'ABBÉ. Oh, il ne faut pas tout manger le même jour ! MONSIEUR DE MONTFORT. N'en dites rien à mon frère. L'ABBÉ. Je n'ai garde ; personne n'en pourrait avoir. Il faut avouer que c'est un furieux mangeur. MONSIEUR DE MONTFORT. Mais vous ne lui cédez guère, vous, l'Abbé. L'ABBÉ. Oh, je ne mange plus ! Autrefois c'était bien différent ; je suis bien baissé. MONSIEUR DE MONTFORT. Cela va bien encore. Ah çà, viendrez-vous dîner demain avec moi ? L'ABBÉ, avec inquiétude. Demain ? MONSIEUR DE MONTFORT. Oui ; la truite sera peut-être arrivée. SCÈNE IV. Monsieur de Montfort, L'Abbé, Champagne. CHAMPAGNE. Monsieur, vos chevaux sont mis. MONSIEUR DE MONTFORT. C'est bon. Il se lève, Champagne lui donne son épée. L'ABBÉ. Vous ne dînez donc pas ici aujourd'hui ? MONSIEUR DE MONTFORT. Non, je m'en vais dîner à Auteuil chez un de mes confrères. Où dînez-vous ? Voulez-vous que je vous mène ? L'ABBÉ. Je vous suis obligé : ce n'est pas votre chemin, et il est tard. Je vais chez le président des Bouquins. MONSIEUR DE MONTFORT. Vous ferez mauvaise chère là. L'ABBÉ. Oui, vraiment; mais c'est que j'ai affaire à lui. Quelquefois cependant... MONSIEUR DE MONTFORT. À demain. Allons, passez donc. Ils s'en vont. SCÈNE V. Le Président, en robe-de-chambre, entrant ; La France, apportant des livres. La scène est chez le Président des Bouquins. LE PRÉSIDENT. Est-ce là tout ce qu'il vous a donné ? LA FRANCE. Oui, Monsieur. LE PRÉSIDENT. Mais il y en a un plus grand. LA FRANCE. Il l'avait vendu ; si monsieur le Président avait envoyé une heure plus tôt, il l'aurait eu. LE PRÉSIDENT. Je lui avais dit que je le prendrais. Voyez qui est là. LA FRANCE. C'est Monsieur l'abbé de Coure-Dîner. SCÈNE VI. Le Président, L'Abbé. LE PRÉSIDENT. Ah, l'Abbé, c'est bien honnête de me venir voir ! L'ABBÉ. Monsieur le Président sait bien que quand je ne viens pas ici, ce n'est pas ma faute. LE PRÉSIDENT. J'en suis persuadé. Eh bien, le manuscrit en question ? La Byzantine grecque ; c'est-il bientôt traduit ? L'ABBÉ. Vous ne pouvez l'avoir que dans un an ; mais vous l'aurez. Vous aurez aussi la Sagesse de Charon, sans année. LE PRÉSIDENT. Allons, c'est bon ; je vous ferai voir de nouvelles acquisitions que j'ai faites, qui ne dépareront pas ma bibliothèque. L'ABBÉ, un peu inquiet. Je le crois ; vous êtes assez connaisseur pour cela. LE PRÉSIDENT. J'attends encore un homme qui a beaucoup voyagé, et avec qui je veux vous faire diner. L'ABBÉ, avec joie. Je ne demande pas mieux. LE PRÉSIDENT. J'arrangerai pour que cela soit un de ces jours. L'ABBÉ. Je croyais que c'était aujourd'hui. LE PRÉSIDENT. Non ; aujourd'hui je n'aurais pas pu, parce que j'ai toujours remis à prendre des eaux depuis un mois ; et j'ai enfin commencé. Cela demande du régime. L'ABBÉ, se lève. C'est très bien fait. LE PRÉSIDENT. Je suis bien aise qu'on vous ait laissé entrer, vous mangerez un poulet avec moi. L'ABBÉ. Je vous suis bien obligé ; je ne peux pas avoir cet honneur-là. LE PRÉSIDENT. Pourquoi ? Avec vous je ne ferai point de façons ; j'ai un pâté de perdrix. Nous causerons, restez. L'ABBÉ. Je suis engagé, et il est tard ; j'ai même peur de me faire attendre. Une autre fois je serai charmé de passer un peu de temps seul avec vous. LE PRÉSIDENT. Où allez-vous ? L'ABBÉ. Chez la marquise d'Aimetout ; et je suis très pressé. LE PRÉSIDENT. Oh, elle ne dîne pas de bonne heure. L'ABBÉ. Je vous demande pardon. Elle a changé d'heure en changeant de jour. LE PRÉSIDENT. C'est que si vous y voyez l'abbé Basane, vous me feriez plaisir de lui dire ce que je vais vous expliquer. Asseyez-vous. L'ABBÉ. Et non,je vous l'enverrai, cela vaudra mieux. LE PRÉSIDENT. Je voudrais qu'il fût prévenu. Cela sera fait dans un instant. L'ABBÉ. S'il n'y est pas je viendrai vous revoir. LE PRÉSIDENT. C'est que je voudrais vous éviter cette peine-là. L'ABBÉ. Ce n'est jamais une peine pour moi. LE PRÉSIDENT. Si fait, vous avez des affaires. En deux mots... L'ABBÉ. Il est près de deux heures et demie. Je ne peux pas. LE PRÉSIDENT. Eh bien, en vous reconduisant, vous serez au fait aussi bien que moi. L'Abbé s'en va et le Président suit. L'abbé Basane connaît un homme depuis mille sept cent quarante-cinq, qui a envie d'avoir un morceau que j'ai, qui est unique ; c'est... vous le connaissez.... Ils sortent tous deux. Les Labyrinthes de Bernard Hachin. SCÈNE VII. La Marquise, Julie. La scène est chez la Marquise. LA MARQUISE, s'asseyant. Mademoiselle, où a-t-on mis le tableau que j'ai envoyé ici ? JULIE. Dans le boudoir, Madame. LA MARQUISE. Comment le trouvez-vous ? JULIE. Je ne l'ai pas regardé, Madame. LA MARQUISE. Comment, vous n'avez pas plus de curiosité que cela ? JULIE. Si c'étaient des rubans ou des dentelles, je les verrais, parce que je m'y connais. LA MARQUISE. Et ce magot, qu'on m'a donné hier, qui est unique ? JULIE. [Note : Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. [L]]Ah ! Madame, il m'a bien amusée, parce qu'il remue la tête. LA MARQUISE. Mais ce n'est pas cela qu'il y a à considérer ; c'est comme il est bien fait, c'est la vérité qu'il y a dans le visage. JULIE. La vérité. Est-ce qu'il parle ? Je n'en savais rien. LA MARQUISE. Vous êtes insupportable ! Vous n'entendez seulement pas la valeur des mots. JULIE. J'ai cru que la vérité était de ne pas mentir, et qu'il fallait parler pour cela. Voilà ce que je veux dire. LA MARQUISE. Elle croit que je ne comprends pas ce qu'elle me dit, elle me l'explique ; c'est délicieux, cela, par exemple ! Donnez moi cet in-folio, qui est sur mon secrétaire. JULIE. Un in... ? LA MARQUISE. Un grand livre. JULIE, annonçant. Monsieur l'abbé de Coure-Dîner. LA MARQUISE. Non, mademoiselle, je n'en ai plus que faire ; allez-vous-en dîner. SCÈNE VIII. La Marquise, L'Abbé. LA MARQUISE. Ah, l'Abbé ! Vous voilà de bonne heure aujourd'hui ! J'en suis enchantée. L'ABBÉ. Je craignais qu'il ne fût plus tard ; c'est mon impatience ordinaire quand je viens ici. LA MARQUISE. L'Abbé, eh bien, cette pièce nouvelle que vous et moi nous avions trouvée charmante, et qui est tombée ! Expliquez-moi donc cela. L'ABBÉ. Madame, je la soutiens toujours très bonne ; et sa chute est une chose toute simple : nous devions la prévoir. LA MARQUISE. Comment cela ? L'ABBÉ. C'est un genre qui n'est pas fait pour tout le monde ; avant de faire de pareilles pièces, il faut former le goût du public. LA MARQUISE. Oui ; mais comment y parvenir ? L'ABBÉ. Comme je fais, par exemple, par des dissertations bien raisonnées. LA MARQUISE. Qui est-ce qui lit ces ouvrages-là ? Ceux qui n'en ont que faire. L'ABBÉ. Madame, les nouvelles routes trouvent toujours des difficultés ; mais... LA MARQUISE. Qu'est-ce que vous regardez ? L'ABBÉ. Il n'est que deux heures à votre pendule ? LA MARQUISE. Elle est arrêtée depuis huit jours. Et puis moi je ne me soucie pas de savoir l'heure qu'il est. Est-ce que vous avez affaire ? L'ABBÉ. Non, pas à présent. LA MARQUISE. Eh bien, que vous fait l'heure ? L'ABBÉ. C'est que je ne vois arriver personne aujourd'hui. LA MARQUISE. Pour quoi faire ? L'ABBÉ. Pour dîner. LA MARQUISE. Vous n'avez pas dîné ? L'ABBÉ. Non, vraiment. LA MARQUISE. Il fallait donc dire cela, l'Abbé. J'ai changé encore mon jour ; est-ce que vous ne le savez pas ? L'ABBÉ. Non, madame, en vérité. LA MARQUISE. Eh bien, l'on va vous faire quelque chose.Je ne dîne pas moi, parce que je suis d'un souper de noce ; mais je vous tiendrai compagnie. L'ABBÉ. En ce cas-là, madame, permettez... LA MARQUISE. Où irez-vous à l'heure qu'il est ? L'ABBÉ. Chez le vicomte de Guermont, où je peux arriver à toute heure. LA MARQUISE. Le Vicomte ? Il est malade, je crois. L'ABBÉ. Je l'ai vu avant-hier. LA MARQUISE. Je peux bien me tromper. Je voudrais pourtant bien que vous restassiez ; je vous ferais voir un oursin qu'on va m'envoyer, qui est de la plus grande beauté, une momie, et une scalata qui est admirable ! L'ABBÉ. Je verrai cela une autre fois. LA MARQUISE. Pourquoi ? On vous fera des oeufs brouillés, je ne sais quoi ; vous en souperez mieux. L'ABBÉ. Je vous suis bien obligé, je ne soupe jamais. LA MARQUISE. Ah çà, l'Abbé, c'est jeudi que j'ai pris... Souvenez-vous en. L'ABBÉ. Oui, oui, madame. LA MARQUISE. Ah y j'oubliais ! L'Abbé ! L'Abbé ! Elle court après lui. SCÈNE IX. Beaulieu, Monsieur Bournin. La scène est dans l'anti-chambre du vicomte de Guermont. BEAULIEU, sortant d'une chambre et suivant M. Bournin. Monsieur, quand reviendrez-vous ? MONSIEUR BOURNIN. À cinq heures, parce que nous verrons comme il sera ; peut-être le saignerons-nous du pied. BEAULIEU. C'est donc une maladie bien sérieuse ? MONSIEUR BOURNIN. Je n'en sais rien encore ; cela commence vivement : nous verrons ce que la saignée déterminera. Donnez-lui un lavement, comme je vous l'ai dit. BEAULIEU. Monsieur, j'ai envoyé un exprès à Monsieur votre frère et à madame sa soeur. MONSIEUR BOURNIN. Vous avez bien fait. Mettez ce que je vous ai dit dans le lavement. BEAULIEU. Je m'en vais en envoyer chercher tout-à-l'heure. Vous n'oublierez pas de revenir, Monsieur ? MONSIEUR BOURNIN. Non, sûrement. BEAULIEU. Vous aurez le carrosse chez vous à cinq heures. MONSIEUR BOURNIN. Eh bien, oui. SCÈNE X. Beaulieu, Flamand. BEAULIEU. Flamand, Flamand ! FLAMAND, se réveillant. Eh bien, qu'est-ce que vous voulez ? BEAULIEU. Tenez, allez chez l'herboriste, chercher cela. Il lui donne un papier. FLAMAND. C'est écrit là-dessus ? BEAULIEU. Oui ; allez donc, j'attends après. FLAMAND, lentement. Allons, j'y vais, j'y vais. SCÈNE XI. L'Abbé, Beaulieu. L'ABBÉ. Vous grondez ce pauvre Flamand ? BEAULIEU. Oui, parce qu'il dort toujours. L'ABBÉ. Dites-moi un peu, Monsieur Beaulieu, y a-t-il longtemps qu'on est à table ? BEAULIEU. À table, Monsieur l'Abbé ? L'ABBÉ. Oui ; je n'ai pas pu venir plus tôt. BEAULIEU. Eh ! Monsieur le Vicomte est dans son lit ; il a été saigné six fois depuis hier midi, et peut-être sera-t-il saigné du pied à cinq heures. L'ABBÉ. Et quelle est sa maladie ? BEAULIEU. On n'en sait rien encore. Monsieur Bournin sort d'ici, il doit revenir à cinq heures. L'ABBÉ. Cela est bien prompt. Puis-je entrer ? Je vous dirais bien, moi... BEAULIEU. Non, il a défendu de lui laisser voir personne. Si madame sa soeur était ici, cela serait différent : mais je suis tout seul, et... vous entendez bien ? L'ABBÉ. Oui, oui, vous avez raison. BEAULIEU. Je m'en vais auprès de lui. L'ABBÉ. Je viendrai savoir de ses nouvelles. BEAULIEU. Faites-moi demander, Monsieur l'Abbé. L'ABBÉ. Oui, oui. Beaulieu rentre.Je n'ai pas autre chose à faire que de m'en retourner chez moi. Je meurs de faim ; et il est trop tard pour aller ailleurs. Il sort. SCÈNE XII. Madame Bertrand avec une quenouille, Babet son ouvrage à la main. La scène est à la porte de l'Abbé, sur le palier de l'escalier. BABET, écoutant à la porte de l'Abbé. Ma mère, je n'entends rien. MADAME BERTRAND. Il me semble pourtant que c'est le chien de dame Anne, qui hurlait. BABET. Écoutez vous-même. MADAME BERTRAND, écoutant. C'est vrai, je n'entends rien non plus. BABET. Quand je vous dis que je l'ai vu sortir avec elle. MADAME BERTRAND. Quand je vous dis, quand je vous douze : elle veut toujours savoir mieux que moi. BABET. N'allez-vous pas vous fâcher pour cela ? MADAME BERTRAND. Je suis la maîtresse de me fâcher si je veux, apparemment. BABET. Oui, voilà un beau plaisir. Tenez, écoutez à présent, entendez-vous ? MADAME BERTRAND. Non. BABET. Vous voyez bien que c'est le chien du charron ; je l'entends souvent, j'en suis sûre. MADAME BERTRAND. Elle sait toujours tout ; les autres sont des bêtes, à l'entendre. BABET. Est-ce que je dis cela ? MADAME BERTRAND. Il vaudrait mieux. Ah ! Voilà Monsieur l'Abbé. Nous allons voir si j'ai raison ou tort. SCÈNE XIII. L'Abbé, Mme Bertrand, Babet. MADAME BERTRAND. Ah, Monsieur l'Abbé !... L'ABBÉ. Qu'est-ce que vous voulez, Madame Bertrand ? MADAME BERTRAND. C'est que nous croyons entendre hurler le chien de dame ANne. L'ABBÉ. Est-ce qu'elle n'y est pas ? BABET. Non, elle est sortie ; et elle nous a dit qu'elle ne reviendrait pas de sitôt. MADAME BERTRAND. Mais, il y a longtemps. Ouvrez donc, que nous voyons si son chien y est. L'ABBÉ, fouillant dans sa poche. Bon, je n'ai pas ma clef à présent. Tout me contrarie aujourd'hui ! MADAME BERTRAND. C'est bien malheureux ! Nous aurions sûrement trouvé le chien. L'ABBÉ. Ce n'est pas le chien que je voudrais trouver. Comment faire ? MADAME BERTRAND. Si vous voulez quelque chose, monsieur l'Abbé... L'ABBÉ. Je voudrais dîner. MADAME BERTRAND. Vous n'avez pas dîné ? L'ABBÉ. Et non, vraiment. MADAME BERTRAND. Tu vois bien, Babet, qu'il n'est pas si tard que tu disais. L'ABBÉ. Eh parbleu, si fait, il est tard. BABET. Vous voyez bien aussi que j'ai raison, ma mère. MADAME BERTRAND. Allons, tais-toi. L'ABBÉ. Il faut bien que je m'en aille. Écoutez, Madame Bertrand. MADAME BERTRAND. Oui, Monsieur l'Abbé. L'ABBÉ. Vous direz à dame Anne de mettre le gigot à la broche tout-à-l'heure. MADAME BERTRAND. Oui, Monsieur l'Abbé. BABET. Mais elle ne reviendra pas de longtemps. MADAME BERTRAND. Qu'est-ce que cela fait ? Écoutons Monsieur l'Abbé. L'ABBÉ. Cela fait tout. Qu'elle me fasse une soupe à l'oignon et une omelette, pendant que le gigot cuira. MADAME BERTRAND. Oui, monsieur l'Abbé. BABET. Elle ne reviendra pas avant sept heures; car elle a dit qu'elle ne serait de retour qu'à la nuit. MADAME BERTRAND. Veux-tu te taire ? L'ABBÉ. À sept heures ? BABET. Oui, Monsieur l'Abbé. L'ABBÉ. Il en sera plus de huit, quand tout cela sera fait. BABET. Au moins. L'ABBÉ. Allons, je m'en vais prendre une tasse de café au lait ; et j'irai à la comédie en attendant. Dites-lui bien de faire tout ce que je vous ai dit, entendez-vous ? MADAME BERTRAND. Oh, oui, monsieur l'Abbé, nous n'y manquerons pas. L'ABBÉ. Adieu, Madame Bertrand ; je vous serai bien obligé. Il s'en va. MADAME BERTRAND. Monsieur, je suis bien votre servante. Tu es bien aise qu'il n'avait pas sa clef, à cause du chien ? BABET. Pour cela non ; car vous auriez vu qu'il n'y était pas. MADAME BERTRAND. Allons, allons, rentre travailler, et ne me raisonne pas davantage. Elles rentrent toutes les deux. ==================================================