******************************************************** DC.Title = LE BAVARD, COMÉDIE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 31/10/2021 à 21:13:07. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_BAVARD.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE BAVARD COMÉDIE. TRENTIÈME PROVERBE. M. DCC. LXXXIII. Avec approbation et privilège du Roi de CARMONTELLE. À VERSAILLES, chez POINÇOT, libraire rue Dauphine, et à Paris Chez MERIGOT Jeune, quai des Augustins, NYON Jeune, Quai des quatre Nations, LA PORTE, rue des Noyers, BELI, rue Saint-Jacques, DE SAINE, au Palais-Royal,Libraires. PERSONNAGES LA COMTESSE DE SOURVILLE, en bonnet et petite robe, coiffe blanche. LE COMMANDEUR DE GRISAC. Habit brodé, croix de Malte. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE, Major de Bouchain. En uniforme de place de guerre, avec une grande perruque brune, jambe de bois, croix de Saint-Louis, et une canne. DUBOIS, Valet-de-Chambre de la Comtesse. Habit gris, vieille veste galonnée. La Scène est chez la Comtesse, dans la chambre à coucher. Extrait de PROVERBES DRAMATIQUES DE CARMONTELLE (...), chez Poinçot libraire, Tome Second, Versailles, 1783. pp. 277-302. LE BAVARD SCÈNE PREMIÈRE. La Comtesse, Dubois. LA COMTESSE, tenant une brochure, son mouchoir, un petit sac, et s'asseyant auprès d'une petite table, sur une chaise longue, avec une boîte à parfiler. [Note : Parfiler : Défaire fil à fil une étoffe ou un galon, soit d'or, soit d'argent, et séparer l'or et l'argent.]Dubois, vous êtes sûr que le Docteur viendra dans l'après-dînée ? DUBOIS. Oui, Madame, je lui ai parlé à lui-même. LA COMTESSE. C'est bon. Voilà tout. Dubois s'en va. Dubois, Dubois. DUBOIS. Madame. LA COMTESSE. Qu'on me laisse entrer le Commandeur ; je lui ai promis de le voir. DUBOIS. Oui, Madame. LA COMTESSE. Dites un peu à ces Demoiselles, de ne pas s'éloigner ; j'aurai sûrement besoin d'elles. DUBOIS. Oui, Madame. Il s'en va. LA COMTESSE, soupirant et respirant d'un flacon. Ah ! Cet éther-là ne vaut plus rien. DUBOIS. Monsieur le Commandeur de Grisac. LA COMTESSE. Faites entrer. SCÈNE II. La Comtesse, Le Commandeur. LA COMTESSE. Commandeur, voulez-vous que je me lève ? LE COMMANDEUR. Vous vous moquez de moi, Madame la Comtesse. LA COMTESSE. Mettez-vous donc-là. Le Commandeur s'assied. C'est que je suis d'un abattement... LE COMMANDEUR. Quoi, vous êtes toujours de même ? LA COMTESSE. Bon ! Cent fois pis. LE COMMANDEUR. Vous ne voulez pas monter à cheval aussi. LA COMTESSE. Qu'est-ce que vous dites donc ? J'y ai monté six mois. LE COMMANDEUR. Hé bien ? LA COMTESSE. Hé bien ? J'y ai gagné un bon rhume qui m'a duré tout l'hiver. LE COMMANDEUR. Cela est singulier... Je n'ai pas été enrhumé, moi. Et si vous saviez que je ne reste pas en place. LA COMTESSE. Oh, mais ; vous avez un corps de fer, vous ! LE COMMANDEUR. Ah, pas tant, pas tant ; c'était bon autrefois. Madame la Comtesse, si j'étais de vous, je prendrais des eaux ; car tout cela, vous entendez bien... LA COMTESSE. J'en prends. LE COMMANDEUR. D'où cela vient-il ?... Je ne suis pas médecin, moi, pour vous le dire ; mais je prendrais des eaux, n'importe desquelles ; parce que cela demande un régime. LA COMTESSE. Je vous dis que j'en prends. LE COMMANDEUR. Oh, cela est différent ; c'est que vous autres femmes, vous avez quelquefois des répugnances... LA COMTESSE. Je n'ai point de répugnances ; mais cela m'affaiblit !... LE COMMANDEUR. Je vous disais bien. LA COMTESSE. Ne parlez pas si haut. LE COMMANDEUR. Ah ! Je vous demande pardon. LA COMTESSE. C'est que ma tête est devenue si faible, depuis quelque temps !... LE COMMANDEUR. Je ne savais pas cela. LA COMTESSE. Cela est bien honnête à vous, de vous être souvenu de moi. LE COMMANDEUR. Je m'en souviens toujours. Dans ce moment-ci, je viens vous demander de me rendre un grand service ; mais un service essentiel. LA COMTESSE. Je ne demande pas mieux. LE COMMANDEUR. C'est pour Monsieur de la Poterniére. LA COMTESSE. Qu'est-ce que c'est que Monsieur de la Poterniére ? LE COMMANDEUR. C'est un Officier qui a été dans mon régiment, et qui est Major de Bouchain ; c'est un brave homme, qui a une femme et quatre enfants. LA COMTESSE. Qu'est-ce qu'il veut, puisqu'il est placé ? LE COMMANDEUR. [Note : Bouchain : petite commune du nord de la France entre Cambrai et Denain.]Oui, placé ; vous ne savez pas que Bouchain est grand comme la main. Il désirerait avoir la survivance du Lieutenant-de-Roi de Cambray, qui est fort vieux ; cela le mettrait à portée d'élever sa famille ; et c'est réellement une souche d'honnêtes gens. LA COMTESSE. Je demanderai pour lui. LE COMMANDEUR. Vous me ferez le plus grand plaisir. Ce malheureux-là est couvert de blessures ; mais malgré cela, c'est un homme ardent, vif et bien en état de faire le service dans une place. LA COMTESSE. Je n'entends rien à tout cela ; vous me donnerez un mémoire. LE COMMANDEUR. Il vous en donnera un lui-même ; je vous demande la permission de vous le présenter. LA COMTESSE. Non, je ne veux pas le voir ; cela n'est pas nécessaire. LE COMMANDEUR. Pourquoi ? LA COMTESSE. C'est qu'il viendra me tourmenter... LE COMMANDEUR. Je vous réponds que non. LA COMTESSE. Dans l'état où je suis, cela ne se peut pas ; d'ailleurs, pourvu que je fasse son affaire, c'est tout ce qu'il faut. LE COMMANDEUR. C'est vrai, mais... LA COMTESSE. Je ne saurais que lui dire ; cela me serait insupportable ; tout ce qui me contrarie, me fait un mal affreux. LE COMMANDEUR. Vous ne serez pas embarrassée de lui parler ; il vous parlera tant que vous voudrez. LA COMTESSE. Si c'est un bavard, ce sera un supplice pour moi. LE COMMANDEUR. Ne craignez rien. LA COMTESSE. Mais quelle fantaisie de vouloir qu'il me voie ? LE COMMANDEUR. C'est que cela lui fera plaisir ; les gens de Province croient qu'il faut qu'ils expliquent eux-mêmes leurs affaires. LA COMTESSE. Voilà justement ce que je crains ; le mémoire suffit. LE COMMANDEUR. Je vous le demande en grâce. LA COMTESSE. Hé bien, vous me l'amènerez un de ces jours. LE COMMANDEUR. Il est ici. LA COMTESSE. Commandeur, vous êtes bien pressant. LE COMMANDEUR. Voyez-le ; vous en serez débarrassée. LA COMTESSE. Et puis il viendra tous les jours. LE COMMANDEUR. Je vous réponds que non. LA COMTESSE. S'il me parle de son affaire, il ne finira pas ; et rien de si fatigant. LE COMMANDEUR. Il ne vous dira qu'un mot. LA COMTESSE. Vous le voulez ; si je lui trouve la moindre disposition à me tourmenter, je ne me mêle plus de lui. LE COMMANDEUR. J'y consens. LA COMTESSE. À cette condition, faites-le entrer. Je vais passer un moment là-dedans ; et je reviens tout de suite. Elle entre dans une garde-robe ; et le Commandeur fait entrer Monsieur de la Poterniére. SCÈNE III. Monsieur de la Poterniére, Le Commandeur. LE COMMANDEUR. Monsieur de la Poterniére ! MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE, avec une jambe de bois, entrant. Me voilà, me voilà. Où est-elle donc, Madame la Comtesse ? LE COMMANDEUR. Elle va revenir. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Je serai bien aise de voir si elle me reconnaîtra ; il y a bien trente ans que je l'ai vue pour la première fois. LE COMMANDEUR. Elle n'a pas trente ans. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Elle doit les avoir, au moins ; parce que c'est dans le temps où je suis entré au Régiment, et qu'on me fit gratte-paille. LE COMMANDEUR. N'allez pas lui parler de ces trente ans là. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Comme vous voudrez ; j'ai assez d'autres choses à lui dire ; si vous saviez comme j'ai été amoureux de sa mère... LE COMMANDEUR. Lui direz-vous cela ? MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Si vous ne voulez pas... et tenez, c'est son oncle l'Abbé... LE COMMANDEUR. Mais écoutez-moi. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Ah, cela est trop juste ! Vous voulez bien vous mêler de ce qui me regarde ; il serait ingrat à moi de me taire, et de ne pas vous en marquer ma reconnaissance ; mais... LE COMMANDEUR. Mais laissez-moi vous instruire à quelle femme vous avez affaire. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Mais, Monsieur le Commandeur, j'ai l'honneur de vous dire que je la connais ; je l'ai vu naître. LE COMMANDEUR. Mais, savez-vous quel est son caractère ? MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Je m'en doute ; sa mère était une femme vigoureuse. LE COMMANDEUR. Hé bien, celle-ci est de la plus mauvaise santé du monde. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Justement, elle tient de son père ; ce n'était qu'un souffle ; je me souviens qu'un jour... C'était à l'armée ; non en garnison... LE COMMANDEUR. Allez vous être comme cela, vis-à-vis de la Comtesse ? MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Non, non, non. LE COMMANDEUR. Je vous dis que la moindre chose lui fait mal à la tête. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Il y a des femmes comme cela ; qui... LE COMMANDEUR. Et qu'elle ne peut pas souffrir d'entendre parler. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Je l'écouterai, je l'écouterai. LE COMMANDEUR. Vous lui donnerez votre mémoire, et voilà tout. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Je ne lui parlerai pas d'autre chose. LE COMMANDEUR. Pas même de cela. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Mais il faut bien que je lui explique... LE COMMANDEUR. J'ai tout dit : ainsi promettez-moi de vous taire ; c'est le seul moyen de réussir. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Cependant... LE COMMANDEUR. C'est une femme d'esprit, qui entend à demi mot. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Oui ; mais il faut bien... LE COMMANDEUR. Si vous ne voulez pas vous laisser conduire, je ne me mêle pas de votre affaire. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. J'en passerai par où vous voudrez. LE COMMANDEUR. La voici, ne parlez pas. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Laissez-moi faire. SCÈNE IV. La Comtesse, Le Commandeur, Monsieur de la Poterniére. LE COMMANDEUR. Madame la Comtesse, voilà Monsieur de la Poterniére, dont je vous ai parlé, que j'ai l'honneur de vous présenter. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Oui, Madame ; c'est moi qui... LE COMMANDEUR, à Monsieur de la Poterniére. Paix donc. LA COMTESSE. Monsieur le Commandeur, Monsieur, m'a dit de quoi il s'agissait ; si vous voulez me donner votre mémoire, je l'enverrai à quelqu'un qui obtiendra sûrement ce que vous demandez. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Le voilà, Madame. LA COMTESSE, prenant le mémoire. C'est bon. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Pour vous éviter la peine de le lire, je vais, si vous me le permettez, avoir l'honneur de vous dire en deux mots... LA COMTESSE. Je sais tout, Monsieur... MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. [Note : Namur : ville de Belgique réputée imprenable, qui a été prise par Les troupes de Louis XIV en 1692 puis reprise par Guillaume d'Orange en 1695.]Madame, j'aurai fait dans l'instant. Il y a trente ans que je sers ; j'ai fait toute la guerre de Flandre ; et tenez, pendant le siège de Namur, je me souviens que nous avons berné Monsieur votre père ; je tenais un coin de la couverture ; c'est moi-même qui l'ai été chercher ; il ne me l'a jamais pardonné ; ayant eu l'épaule démise en tombant, parce que je lâchai mon coin, sans le faire exprès pourtant... LE COMMANDEUR. Taisez-vous donc. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Oui, j'ai eu tort, j'en conviens ; pour en revenir au siège de Namur, j'y fus blessé à cette main-ci d'un éclat de bombe ; mais je ne parle pas de cela dans mon mémoire ; mais une autre chose bien plus essentielle, que je n'y ai pas oublié, c'est que j'ai épousé une femme qui est fille d'un Major qui a été tué à Lepstat ; c'est une occasion de grâce, car il n'y a point de veuve à récompenser ; sa mère était morte plus d'un an avant. Je suis fâché qu'elle ne soit pas venue avec moi, Madame la Comtesse aurait été bien aise de la voir... LA COMTESSE. Monsieur, je ne vois personne ordinairement. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. C'est une femme vraiment militaire ; ses enfants sont élevés... Il faut que je vous conte cela ; cela ne sera pas long. LA COMTESSE. Monsieur, je n'ai pas le temps ; et je vous prie... MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. L'aîné, qui a déjà cinq ans, non, six ans, oui, je disais bien, c'est cinq ans, fait déjà mieux l'exercice, que les miliciens que nous avons à Bouchain. Si vous le voyiez ; c'est... LE COMMANDEUR. Morbleu, taisez-vous donc. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. C'est pour faire voir comme l'éducation militaire est préférable à tout ; moi, par exemple, qui dormais souvent à l'air chez mon père, non pas comme Monsieur de Turenne sur un canon ; mais dans la basse-cour sur une botte de paille, ou sur un sac de grain ; hé bien, je n'ai jamais été malade. Il y a de l'habitude à tout ; parce que... LA COMTESSE, au Commandeur. Monsieur, est-ce là ce que vous m'aviez dit ? MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Non, Madame, Monsieur le Commandeur ne peut pas vous avoir dit cela, parce que je ne lui en ai jamais parlé ; il n'aime pas que l'on cause... LE COMMANDEUR. Puisque vous le savez... MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Oh, je le sais très bien ; mais comme il faut que Madame connaisse celui pour qui elle veut bien s'intéresser ; je crois que je ne fais pas mal... Et tenez, autrefois est-ce que je disais rien ? Aussi par timidité, parce que l'on n'aime pas à se vanter, j'ai eu la croix de Saint-Louis, deux ans plus tard que je ne devais l'avoir ; Monsieur le Commandeur le sait bien. LE COMMANDEUR. C'est pour avoir trop parlé, au contraire. Bas.Comme vous faites à présent. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. C'est que les mémoires, on ne les lit pas, et quand quelqu'un veut bien parler pour vous, il faut du moins qu'il sache ce qu'il a à dire. J'avais manqué ma Compagnie comme cela ; je croyais qu'elle m'allait de droit ; j'attendais tranquillement ; c'est-à-dire, j'allais tous les jours ; parce qu'il faut bien... J'ai dit ma Compagnie, je crois ; c'est ma majorité, celle que j'ai à présent. Enfin... LE COMMANDEUR. En voilà assez. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Je ne dis plus rien. On l'avait accordé à celui qui avait enlevé un magasin en avant de Gottingen ; et c'était moi ; hé bien, je me taisais ; si je n'avais pas parlé pourtant, je ne l'aurais pas eue ; voilà pourquoi j'ai l'honneur de vous le dire. LA COMTESSE. C'est très bien fait d'être modeste, Monsieur. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. C'est que dans les bureaux, tout le monde sait cela ; parce que j'ai eu une gratification de cent écus dans le temps. LE COMMANDEUR. Hé mais, taisez-vous donc. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Je ne veux dire qu'un mot. LA COMTESSE. Monsieur, je ne me porte pas bien, et... MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. [Note : Siège de Mastricht : victoire française en 1673 par Vauban, puis une tentative de reprise en 1676 par les troupes de Guillaume d'Orange. La ville reste Française jusqu'au traité de Nimègue en 1678.][Note : Fouailler : Terme militaire. Détruire par l'artillerie. [L]]Oui, Madame, je sais que vous avez des maux de tête ; j'ai passé par là ; c'est un mal cruel ; mais il y a un remède sûr, que j'ai éprouvé moi-même, après une contusion que j'eus au siège de Mastricht ; j'étais assis, comme qui dirait là ; il y avait des pierriers qui nous fouaillaient... LE COMMANDEUR. Madame n'a que faire de cela. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Madame ne sait peut-être pas ce que c'est que des pierriers ; je m'en vais lui expliquer... LA COMTESSE. Je vous suis bien obligée ; mais mon mal redouble... LE COMMANDEUR. Allons nous-en. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Tout-à-l heure. Madame verra dans mon mémoire, que c'est à Cassel que j'eus la jambe emportée ; les pierriers me font souvenir de cela ; c'était pourtant un bon boulet de canon ; et parbleu je suis un grand nigaud ; je l'ai ce boulet ; j'ai oublié de l'apporter ; je l'aurais fait voir à Madame ; mais je reviendrai pour avoir l'honneur de lui faire ma cour, et la première fois... LA COMTESSE. Vous ne me trouverez pas, Monsieur ; parce que je vais... MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Si c'est à Versailles, je demande à Madame la Comtesse, la permission de l'y suivre. LA COMTESSE. Non, Monsieur, ce n'est pas-là. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Oh ! Mais partout où vous voudrez, Madame, je serai charmé de vous faire ma cour ; parce que moi, il n'y a qu'à me commander, je vais et je viens avec ma jambe tout comme si... LE COMMANDEUR. Vous êtes insupportable. LA COMTESSE. Je suis excédée, je n'en puis plus. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Si Madame faisait bien, elle se coucherait ; le lit repose et délasse ; et puis nous lui tiendrions compagnie ; nous causerions avec elle ; cela distrait la douleur. Pendant toutes mes blessures, je faisais venir le Conteur du Régiment, quand je ne pouvais pas dormir ; c'est une chose qui réussit très bien, parce que quand on est occupé d'un côté, il arrive que de l'autre on oublie... LE COMMANDEUR. Monsieur, finissez donc. La Comtesse se lève. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Madame la Comtesse a-t-elle besoin de quelque chose ? Je m'en vais sonner. LA COMTESSE. Commandeur, vous savez ce que je vous ai dit ; c'est une affaire finie. Elle s'en va. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Madame, je viendrai vous remercier. SCÈNE V. Monsieur de la Poterniére, Le Commandeur. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Hé bien, vous voyez que j'ai bien fait de parler moi-même. LE COMMANDEUR. Vous avez bien réussi. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Sûrement ; puisqu'elle vous a dit que c'était une affaire finie. LE COMMANDEUR. Oui ; elle est si bien finie, qu'elle ne se mêlera de rien du tout de ce qui vous regarde. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Comment ! Pourquoi cela ? Qu'est-ce que j'ai donc fait ? LE COMMANDEUR. Vous avez parlé sans cesse, malgré ce que vous m'aviez promis, et malgré tout ce que j'ai pu dire et faire pour vous arrêter. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. À peine ai-je pu trouver le moment de dire un mot. LE COMMANDEUR. Enfin, vous lui avez paru un homme insupportable, un bavard éternel, un importun ; tout ce qu'elle craignait. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Mais voilà ce qu'on ne m'a jamais reproché, par exemple ; car Monsieur l intendant, quand j'arrive à Valenciennes... LE COMMANDEUR. Laissez-moi donc achever. Elle ne voulait pas vous voir, à cause de tout cela : j'ai cru vous faire plaisir de l'engager à vous recevoir ; et elle ne l'a fait qu'à condition qu'elle ne s'emploierait pas pour vous, si vous étiez un homme tourmentant. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Mais c'est inconcevable ! LE COMMANDEUR. Voilà pourquoi, en s'en allant, elle m'a rappelé ce qu'elle m'avait dit ; et que c'était une affaire finie ; voilà comme elle est faite votre affaire. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Mais ce n'est pas ma faute, si vous m'aviez dit... LE COMMANDEUR. Non, il vous est impossible de vous taire. Je vous souhaite bien le bonjour ; mais ne comptez plus sur moi. Adieu. MONSIEUR DE LA POTERNIÉRE. Un moment donc. Il s'en va. Je ne connais personne à Paris ; voilà un beau voyage que j'ai fait là ! Je ne comprends pas comment on fait ses affaires sans en parler. Ces gens-là n'ont pas l'air de vous entendre, si on ne leur répète pas cent fois... Ils seront bien étonnés à Bouchain, quand ils sauront tout cela, eux à qui j'ai dit... Il s'en va en parlant. Explication du Proverbe : 30. Trop parler nuit. ==================================================