******************************************************** DC.Title = LES FOUS, PROVERBE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:18:07. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_FOUS.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES FOUS QUATORZIÈME PROVERBE. M. DCC. LXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. de CARMONTELLE. À Paris, chez MERLIN, Au bas de la Rue de Harpe, vis à vis de la rue Poupée. PERSONNAGES MONSIEUR DISSONANT, Musicien. MONSIEUR L'ABBÉ HYATUS, Poète.. MONSIEUR DESJARRETS, Maître de Ballet. CABRY, Prévôt de Monsieur Desjarrets. MADAME DOUAIREVILLE, Plaideuse. [U]N GARÇON CAFFETIER.. La scène est dans un des Cafés du Boulevard. Dans PROVERBES DRAMATIQUES, Tome premier, Première partie, 1768. LES FOUS SCÈNE PREMIÈRE. MONSIEUR DISSONANT, entre en chantant entre ses dents. II se promène, bat la mesure, s'arrête, dit : Ce n'est pas cela. Revoyons mes paroles. Il tire un papier de sa poche, et il lit.C'est Victoire, ici qu'on aime que l'on fête. Victoire, Victoire ! Où Madame de Franville a-t-elle été prendre le nom de Victoire ? On est accoutumé à mettre une roulade sur le mot Victoire ? Je ne peux pourtant pas commencer mon air par une roulade. Quand le diable y serait il faudra qu'elle s'en passe : d'ailleurs je ne veux pas composer cela à la Française. À la Française, moi ! Quoi, c'est cela qui m'arrête ? Allons, allons, il faut prendre le parti de continuer comme j'ai commencé. Voyons un peu. Il chante. Air: adoré, adoré, poursuivi des belles, et de l'école de la Jeunesse.C'est Victoire ici qu'on aime que l'on fête ;C'est le plus doux amusement,Du bonheur on se trouve au faîte ;Il y renaît à chaque instant, Du bonheur on se trouve au faîte ;Il y renaît à chaque instant,C'est Victoire ici que l'on fête,C'est le plus doux amusement.Du bonheur on se trouve au faîte Il y renaît à chaque instant.Fort bien , fort bien.C'est Victoire ici que l'on fête ;C'est le plus doux amusement.Du bonheur on se trouve au faîte,II y renaît à chaque instant. Bravo, bravo. Il faut écrire cela tout de suite. Garçon , garçon ? SCÈNE II. Monsieur Dissonant, Le Garçon. LE GARÇON. On y va. Il arrive. Ah, c'est vous, Monsieur Dissonant ? MONSIEUR DISSONANT. Oui, oui, donnez-moi... Il chante. Il y renaît à chaque instant. LE GARÇON. Qu'est-ce que vous voulez ? Du café, de la limonade, de l'orgeat. MONSIEUR DISSONANT. Non, non, une plume de l'encre. LE GARÇON. Vous allez en avoir dans l'instant. Il va en chercher. MONSIEUR DISSONANT, chante. Du plaisir on se troure au faîte,II renaît à chaque instant.Sans tourment,Très gaiment, Très content,SûrementC'est Victoire ici que l'on fête ;C'est le plus doux amusement.Ah, charmant, charmant ! Allons donc, la plume, l'encre ? LE GARÇON. La voilà, Monsieur. MONSIEUR DISSONANT, s'asseyant et écrivant en chantonnant. C'est Victoire ici que l'on fête ; C'est le plus doux amusement. SCÈNE III. Monsieur Dissonant, L'Abbé, Le Garçon. L'ABBÉ, entre en rêvant. Faut-il qu'une malheureuse rime m'arrête. Il se promène. MONSIEUR DISSONANT, chante et écrit. Sans tourment,Très gaiment,Très content,Sûrement, C'est Victoire ici que l'on fête ;C'est le plus doux amusement. L'ABBÉ. Revoyons encore. Il lit.Ainsi qu'on voit naître les fleurs,Aux doux commandements de Flore ,L'amour, des plus vives couleurs Orne le teint de Léonore ;Je ne changerai sûrement rien à cela.Sa bouche exhale un doux parfum,Semblable à celui que l'AuroreRépand... répand... répand... MONSIEUR DISSONANT, chante. Sans tourment, Très gaiment. Il chante sans prononcer.C'est le plus doux amusement. L'ABBÉ. Monsieur , ce que vous faites-là , sera-t-il long ? MONSIEUR DISSONANT. Monsieur, je n'en sais rien. Il chante. L'ABBÉ. Monsieur ; c'est que j'ai un couplet à faire pour la fête d'une Dame... MONSIEUR DISSONANT. Moi de même, Monsieur l'Abbé, je ne fais pas un couplet ; mais une Ariette pour la fête d'une Dame, qui, je me flatte ne sera pas mauvaise. Il chante.C'est le plus doux amusement.À présent, voyons la reprise. Il chante.Tout s'anime, on aime à rire... L'ABBÉ. Avec cet homme-là, je ne ferai jamais rien, si je n'écris. Monsieur Dissonant chante sans prononcer en écrivant.Sa bouche exhale un doux parfum, Semblable à celui que l'Aurore.Répand...Il faut absolument que j'écrive. Garçon ? LE GARÇON. Monsieur ? L'ABBÉ. Une plume et de l'encre. Le Garçon va prendre l'écritoire de Monsieur Dissonant, pendant qu'il chante. Et l'Abbé se met à écrire. MONSIEUR DISSONANT. Tout s'anime, on aime à rire,La gaîté toujours vous soutient,L'on ne se lasse pas de dire : Ah, quel plaisir, qu'il fait de bien !Écrivons , écrivons. Il cherche sa plume. Qu'est donc devenue l'écritoire ? Hé , Garçon ? LE GARÇON. Monsieur ? MONSIEUR DISSONANT. Hé bien, mon encre, ma plume, qu'en avez-vous fait ? LE GARÇON. J'ai cru que vous n'en aviez plus que faire, je l'ai donné à Monsieur l'Abbé. Je m'en vais vous en chercher un autre. MONSIEUR DISSONANT. Allons, dépêchez-vous donc ; ce drôle-là me fera perdre mes idées. Il chante.L'on ne se lasse pas de dire,Ah, quel plaisir , qu'il fait de bien ! L'ABBÉ. Monsieur, si vous chantez toujours, je ne pourrai jamais faire mon couplet. MONSIEUR DISSONANT. Monsieur, vous me prenez bien mon encre. L'ABBÉ. Ah, Monsieur, je m'en vais vous la rendre si vous ne voulez plus chanter. MONSIEUR DISSONANT. Oh bien, l'on m'en donnera d'autre. L'ABBÉ. Mais ce n'est qu'une rime que je cherche. LE GARÇON. Monsieur, voilà de l'encre et une plume. MONSIEUR DISSONANT. C'est bon. Il chante.Il rend l'âme contente, L'on ne désire plus rien.Divin, divin ! Il écrit et chante.Il rend l'âme contente,L'on ne désire plus rien. L'ABBÉ. Mais, Monsieur... MONSIEUR DISSONANT, chante. Sans cesse on rit, toujours on chante,Sans cesse on rit, toujours on chante. L'ABBÉ. Monsieur ? MONSIEUR DISSONANT. Laissez, laissez donc.Sans cesse on rit, toujours on chante. L'ABBÉ. Mais, Monsieur, il m'est impossible de rien faire, si vous continuez de chanter haut. MONSIEUR DISSONANT. Travaillez pendant que j'écris. Il chante tout bas. L'ABBÉ. Sa bouche exhale un doux parfum,Semblable à celui que l'AuroreRépand...C'est incroyable que je ne puisse rien trouver. MONSIEUR DISSONANT, chante. Sans cesse on rit, toujours on chante, Ah, quel plaisir, qu'il fait de bien !Ah, quel plaisir, qu'il fait de bien ! L'ABBÉ. Mais, Monsieur... MONSIEUR DISSONANT, chante. Ah, quel plaisir, qu'il fait de bien § Il se lève et bat la mesure.Mais grand bien,Mais grand bien, Mais grand bien,Mais grand bien. Il se remet à écrire et à chanter bas. L'ABBÉ. Il va peut-être rester tranquille, essayons d'achever. Il se frotte la tête. SCÈNE IV. Monsieur Dissonant, L'Abbé, Monsieur Desjarrets, Cabry. MONSIEUR DESJARRETS. Cabry ? CABRY. Monsieur ? MONSIEUR DESJARRETS. Dans combien de temPs faut-il que je sois chez Madame de Versant ? CABRY. Dans trois quarts d'heure. MONSIEUR DESJARRETS. Trois quarts d'heure ? Il n'y a personne ici, j'ai envie de commencer mon ballet en question. Sais-tu les airs ? CABRY. Je sais les deux premiers. MONSIEUR DESJARRETS. C'est bon. Joue-moi d'abord la marche des Paladins. CABRY. Je la sais toute entière. MONSIEUR DESJARRETS. Attends un moment. Il fait quelque pas. Je marche en avant d'abord, je reviens. C'est cela. Allons. Cabry joue. MONSIEUR DISSONANT, L'ABBÉ. Hé, Monsieur ! Monsieur ! MONSIEUR DESJARRETS. Comment, Messieurs, qu'est-ce que vous avez donc ? Ah, c'est vous, Monsieur Dissonant. MONSIEUR DISSONANT. [Note : Ariette : Terme de musique ; Air léger et court qui se chante avec paroles et accompagnement. [L]]C'est moi-même, qui compose un ariette, Monsieur Desjarrets. MONSIEUR DESJARRETS. Ah, une ariette nouvelle ? MONSIEUR DISSONANT. Oui vraiment, pour Madame de Franville. MONSIEUR DESJARRETS. Je fais un ballet aussi pour sa fête. MONSIEUR DISSONANT. C'est fort bien ; mais faites taire votre maudit violon, vous me faites perdre le ton, je ne sais plus où j'en fuis... MONSIEUR DESJARRETS. Vous vous moquez, vous êtes trop habile pour cela. L'ABBÉ. Moi, Monsieur, je fais un bouquet, je cherche une rime, et votre violon me distrait. MONSIEUR DESJARRETS. Allons, allons, joue toujours. Cabry joue, et Monsieur Desjarrets danse. MONSIEUR DISSONANT. Un moment seulement que j'aie écrit ceci. Il chante.Sans cesse on rit, toujours on chante. MONSIEUR DESJARRETS. Joue donc. Il danse et Monsieur Dissonant chante. MONSIEUR DISSONANT. Ah, quel plaisir, qu'il fait de bien.Arrêtez donc. MONSIEUR DESJARRETS. Mais je n'ai pas de temps à perdre, en honneur. L'ABBÉ. Mais Monsieur, par grâce.... MONSIEUR DESJARRETS. Allons, allons. Cabry joue et il danse. Attends ; attends un moment. Il marche. MONSIEUR DISSONANT. Ah, quel plaisir qu'il fait de bien ! Mais grand bien,Mais grand bien. MONSIEUR DESJARRETS. Mais, Monsieur Dissonant, comment voulez-vous que je compose mon pas, si vous me chantez un autre air que celui sur lequel je dois danser. MONSIEUR DISSONANT. Mais, Monsieur Desjarrets, comment voulez-vous que j'achève d'écrire mon ariette, quand vous faites jouer un autre air que celui que j'ai dans la tête. L'ABBÉ. Hé, Messieurs, comment voulez-vous tous les deux que je fasse des vers avec un pareil bruit ? MONSIEUR DESJARRETS. Messieurs, vous ferez comme vous voudrez ; allons, joue, et recommençons le tout. Il danse. Monsieur Dissonant et l'Abbé se désesperent. MONSIEUR DISSONANT. C'est impossible ! L'ABBÉ. Je n'y tiens pas ! MONSIEUR DESJARRETS. [Note : Gavotte : Danse grave sur un air à deux temps, où l'on s'enlevait de terre, tandis que les danses graves antérieures ne consistaient guère qu'en des pas glissés ou marchés, et de nobles attitudes. [L]]Cela va bien, je tiens ma marche. Laisse-moi dessiner ma gavotte. Il compose en marchant, sans violon. MONSIEUR DISSONANT, chantant. Ah, quel plaisir, qu'il fait de bien.Mais grand bien,Mais grand bien... MONSIEUR DESJARRETS. Monsieur Dissonant, chantez donc tout bas. MONSIEUR DISSONANT. Je le veux bien, pourvu que vous ne fassiez pas jouer du violon... L'ABBÉ. Ah, à la bonne heure. MONSIEUR DESJARRETS. Oui, oui, laissez-moi faire. Il danse. Nous croisons par ici ? ah, ah, à gauche à présent ? chassez ? fort bien ? non, je tourne, ah , ah ? l'entrelacs.... Il continue en marchant. SCÈNE V. Monsieur Dissonant, L'Abbé, Monsieur Desjarrets, Cabry, Madame Douaireville. MADAME DOUAIREVILLE, à Cabry. Monsieur, n'avez-vous pas vu ici Monsieur Rongeant ? CABRY. Qu'est-ce que c'est Madame, que Monsieur Rongeant ? MADAME DOUAIRVILLE. C'est mon Procureur. CABRY. Je ne le connais pas ; adressez-vous à ces Messieurs, ils vous diront cela, ils étaient ici avant nous. MADAME DOUAIREVILLE, à Monsieur Dissonant. Monsieur, voudriez-vous bien me dire... MONSIEUR DISSONANT, chante. Il rend l'âme contente,L'on ne désire plus rien. MONSIEUR DESJARRETS. Monsieur Dissonant, je m'en vais faire jouer du violon. Il compose. MONSIEUR DISSONANT. Ah, je vous demande pardon. MADAME DOUAIREVILLE, à Monsieur Dissonant. Monsieur, dites-moi donc si vous avez vu mon Procureur ici, il est pour moi de la dernière importance que je lui parle à l'instant, on vient de me faire signifier un arrêt qui me réduira à la mendicité ; je n'ai pas un morceau de pain , si... MONSIEUR DISSONANT. Dieu vous bénisse, ma bonne Dame. MADAME DOUAIRVILLE. Mais, Monsieur, je ne demande pas l'aumône, répondez-moi, je vous prie. MONSIEUR DISSONANT. Je suis occupé, Madame, adressez-vous à ces Messieurs. MADAME DOUAIREVILLE. Sauront-ils où il est ? MONSIEUR DISSONANT. Oh, sûrement. MADAME DOUAIREVILLE. Monsieur l'Abbé ? MONSIEUR DISSONANT. Oui, oui ? MADAME DOUAIREVILLE, à l'Abbé. Monsieur l'Abbé ? L'ABBÉ. Je ne veux rien acheter, je n'ai pas le temps. MADAME DOUAIREVILLE. Mais, Monsieur, je ne suis pas une marchande, je suis une femme de qualité qui est la plus malheureuse du monde. L'ABBÉ. Vous n'êtes pas si malheureuse que moi. Qu'est-ce que vous demandez ? MADAME DOUAIREVILLE. Mon Procureur. L'ABBÉ. Procureur ? Il y a cent rimes à ce mot là. MADAME DOUAIRVILLE. Je ne vous parle ni de rime, ni de raison ; car je crois que j'aurais tort, mais à qui donc s'adresser ici ? Ah ! Voilà un Monsieur qui se promène, il ne me dira pas qu'il est occupé, celui-là du moins. Elle va à Monsieur Desjarrets.Monsieur, pourrez-vous m'enseigner ce que je demande, je vous en aurai la plus grande obligation. MONSIEUR DESJARRETS. Oui, oui, tenez, parlez par-là. MADAME DOUAIRVILLE. Par où, Monsieur ? MONSIEUR DESJARRETS. À droite. MADAME DOUAIRVILLE. À droite ? MONSIEUR DESJARRETS. Oui, revenez à présent. MADAME DOUAIRVILLE. Ici ? MONSIEUR DESJARRETS. Oui, chassez. MADAME DOUAIRVILLE. Qui voulez-vous que je chasse ? MONSIEUR DESJARRETS. Vous ne m'entendez pas, tenez, approchez-vous de moi. MADAME DOUAIRVILLE. Comme cela ? MONSIEUR DESJARRETS. Oui, en avant à présent. MADAME DOUAIRVILLE. Mais pour quoi faire ? MONSIEUR DESJARRETS. Vous allez le voir, donnez-moi la main. Allons, Cabry, joue. CABRY, accommodant son violon. Monsieur, tout à l'heure. MONSIEUR DISSONANT. Pour moi, je m'en vais. L'ABBÉ. Et moi aussi. Cabry joue. MONSIEUR DESJARRETS. Allons, Madame, laissez-vous conduire. MADAME DOUAIRVILLE. Je ne demande pas mieux. MONSIEUR DESJARRETS. Plus vite donc. MADAME DOUAIRVILLE. Vous me faites danser ? MONSIEUR DESJARRETS. Sans doute. Il la mène fort vite. MADAME DOUAIRVILLE. Je n'en puis plus, ah ! ah ! MONSIEUR DESJARRETS. Pourquoi donc voulez-vous danser, si vous n'avez pas la force. MADAME DOUAIRVILLE. Et je n'en ai point d'envie, Monsieur. MONSIEUR DESJARRETS. Ma foi, je l'ai cru. Allons nous-en. MADAME DOUAIRVILLE. La tête a tourné ici à tout le monde. J'ai envie d'aller attendre mon Procureur chez lui, il faudra bien qu'il revienne du moins pour se coucher. ==================================================