******************************************************** DC.Title = LE LIÈVRE, COMÉDIE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:05. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_LIEVRE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE LIÈVRE COMÉDIE. CINQUANTE-UNIEME PROVERBE. M. DCC. LXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. de CARMONTELLE. À Paris, chez Sébastien JORRY, vis à vis le Comédie Française, chez Le JAY, rue Saint Jacques, près celle des Mathurins. PERSONNAGES MONSIEUR DUBUT, Avocat. DAME JAQUELINE, Servante de Monsieur Dubut. GROS-PIERRE, paysan. VINCENT, paysan. La scène est chez Monsieur Dubut, dans une petite Ville de Province. LE LIÈVRE SCÈNE PREMIÈRE. MONSIEUR DUBUT, en robe de chambre, écrivant. Toujours travailler ! En voilà assez : il faut que j'aille prendre un peu l'air. Dame Jaqueline, Dame Jaqueline. SCÈNE II. Monsieur Dubut, Dame Jaqueline. Dame JAQUELINE. Qu'est-ce que vous voulez, Monsieur l'Avocat ? MONSIEUR DUBUT. Donnez-moi mes souliers. DAME JAQUELINE. Quoi , vous voulez sortir, il ne fait pas trop beau. MONSIEUR DUBUT. Cela ne fait rien. DAME JAQUELINE, donnant les souliers. Les voilà, ils sont tous prêts. MONSIEUR DUBUT. Et mon habit, ma perruque ? Il se chausse. DAME JAQUELINE. Tout est ici. Mais pourquoi ne pas rester chez vous plutôt ? MONSIEUR DUBUT. Parce que je veux m'aller promener un peu, pour me délasser de mon travail. DAME JAQUELINE. De votre travail, et pourquoi tant travailler ? MONSIEUR DUBUT. Il faut bien être utile au public, tant qu'on le peut. DAME JAQUELINE. Et vous vous tuez presque toujours pour rien ; à votre place je ne travaillerais que pour ceux qui me payeraient bien. MONSIEUR DUBUT. Mais, Dame Jaqueline, il faut aider les malheureux qui n'ont pas de quoi. DAME JAQUELINE. Oui ceux-là ; mais il vous vient tous les jours des paysans qui font les pauvres, pour ne vous rien donner, et vous êtes la dupe de cela, vous. MONSIEUR DUBUT. On n'est jamais dupe en faisant le bien. DAME JAQUELINE. C'est peut-être beau ce que vous dites là ; mais cela ne rapporte rien. Pourquoi ne pas faire comme vos confrères ? Toutes les fois qu'on vient les consulter , ils attrapent toujours quelque chose, pied ou aile, n'importe, et voilà comme on fait une bonne maison. MONSIEUR DUBUT. Mais j'ai assez de bien pour moi. DAME JAQUELINE. On n'en a jamais trop, il faut amasser, on ne sait pas ce qu'il peut arriver. MONSIEUR DUBUT. Il ne faut pas se méfier de la Providence. Dame Jaqueline. DAME JAQUELINE. Je sais bien qu'on dit cela ; mais il ne faut pas refuser non plus ce qu'elle nous envoyé , il ne faut pas jeter à ses pieds ce qu'on tient dans ses mains. MONSIEUR DUBUT. Oui, oui, vous avez raison. Donnez-moi mon habit. DAME JAQUELINE. Le voilà, le voilà. Vous ne ferez rien de tout ce que je vous dis là ? MONSIEUR DUBUT, mettant son habit. Si, si, ne vous embarrassez pas. Ma cravate ? DAME JAQUELINE. La voilà. Dame, c'est que si vous vouliez y penser, je vous ferais faire meilleure chère. MONSIEUR DUBUT. Si c'était aux dépens du pauvre, cela ne vaudrait pas la peine. DAME JAQUELINE. Du pauvre ? Non pas du pauvre ; mais de ceux à qui vous faites gagner des procès. MONSIEUR DUBUT. Il leur en coûte toujours assez. Il met sa cravate. DAME JAQUELINE. Oui, voilà comme vous êtes ; vous n'en ferez rien. MONSIEUR DUBUT. Je vous dis que si. DAME JAQUELINE. Mais quand ? MONSIEUR DUBUT. Nous verrons. DAME JAQUELINE. Oui, oui, nous verrons. MONSIEUR DUBUT. Ma perruque ? DAME JAQUELINE. La voilà. Promettez-moi donc. MONSIEUR DUBUT. Hé bien, je vous le promets. Il met sa perruque.Ma canne, mon chapeau. DAME JAQUELINE. Je vous le promets, je vous le promets. Je crains bien que ce ne soir à beau prêcher qui n'a coeur de bien faire. Où allez-vous ? MONSIEUR DUBUT. Sur la place ; savoir s'il y a quelques nouvelles. DAME JAQUELINE. Revenez bientôt et n'allez pas vous enrhumer toujours. MONSIEUR DUBUT. Non, non. S'il vient quelqu'un faites attendre, je ne serai pas longtemps. SCÈNE III. DAME JAQUELINE. C'est tout comme si l'on ne disait rien, il travaille et pourquoi faire ? Tous ces gens d'esprit-là sont plus bêtes ! Si on ne les gouvernait pas, je ne sais pas comment ils feraient ; cela fait pitié ! Bon, pendant que je m'amuse là à gémir, peut-être que mon boeuf à la mode ne cuit pas. SCENE IV. Dame Jaqueline, Gros-Pierre. GROS-PIERRE. Bonjour, Dame Jaqueline. DAME JAQUELINE. Ah, vous êtes à la Ville , aujourd'hui, Gros-Pierre. GROS-PIERRE. Oui, vraiment. Vous vous portez bien ? DAME JAQUELINE. Oui, assez bien, comme cela, tous les ans douze mois, comme on dit. GROS-PIERRE. Ah, Dame, écoutez donc, on n'est pas toujours de même ; il faut aller comme le temps. Eh bien, dites-moi un peu ; est ce que Monsieur l'Avocat n'est pas ici ? J'ons affaire à lui, et je ne venons que pour ça. Dame JAQUELLNE. Il est allé faire un tour, il reviendra bientôt, attendez-le. GROS-PIERRE. Pardi, il faut bien que je l'attende. DAME JAQUELINE. Est ce que vous avez un procès ? GROS-PIERRE. Oh, non ; mais j'ons envie de le consulter pour en avoir un ; c'est un si brave homme, que j'ons confiance en lui, voyez-vous. DAME JAQUELINE. Vous l'aimez, parce qu'il ne vous prend pas d'argent quand vous le consultez. GROS-PIERRE. Oh, c'est bien vrai. Je l'y en ont offert pourtant une fois ; mais il n'a pas voulu ; il m'a dit comme çi, allons, Gros-Pierre, je ne veux point de ton argent, ne m'en parle jamais : ton Père était fermier du mien ; ainsi je ne prendrai rien de toi ; c'est là un honnête homme, cela par exemple. DAME JAQUELINE. Oui, voilà comme il se ruine. GROS-PIERRE. Oh, que non ! Est ce qu'il n'a pas une bonus ferme auprès de chez nous ? DAME JAQUELINE. Oui, mais cela n'empêche pas que tout travail ne mérite salaire. Pourquoi ne posez vous pas là votre paquet, au lieu de le garder sur votre épaule ? GROS-PIERRE. Cela n'est pas lourd. DAME JAQUELINE. Qu'est-ce que c'est donc ? GROS-PIERRE. Ce n'est rien. DAME JAQUELINE. Je crois que c'est un Lièvre ; car je vois des pattes qui passent. GROS-PIERRE. Des pattes ? DAME JAQUELINE. Oui, ce sont des pattes ; je ne me trompe pas, c'est un lièvre. GROS-PIERRE. C'est une commission qu'on m'a chargé de faire. DAME JAQUELINE. Il les aime bien les lièvres, Monsieur l'Avocat. GROS-PIERRE. Tout de bon ? DAME JAQUELINE. Oh, quand je peux en avoir un pour lui faire un civet, il est enchanté. GROS-PIERRE. Et les aimez-vous, Dame Jaquelíne ? DAME JAQUELINE. Oh, mais il ne faut pas prendre garde à moi. GROS-PIERRE. Pourquoi ? Dites, dites, naturellement ? Avouez que vous mangeriez bien un bon civet de lièvre ? DAME JAQUELINE. Mais... GROS-PIERRE. Pourquoi ne pas dire sans façon? DAME JAQUELINE. Oui, je l'aimerais bien. GROS-PIERRE. Il fait comme s'il allait donner son lièvre, et il se redresse.Vous l'aimeriez bien ? Et moi aussi. DAME JAQUELINE, à part. [Note : Trigaud : Qui use de détours, de mauvaises finesses. [L]]Hum, le vilain Trigaud ! SCÈNE V. Dame Jaqueline, Gros-Pierre, Vincent. VINCENT. Hé, Gros-Pierre. Quoi que tu fais ici ? Je t'ai vu entrer, et j'ai dit comme ça, il faut que je lui demande s'il veut que nous nous en allions ensemble. GROS-PIERRE. M'attendras-tu ? VINCENT. Eh pardi sûrement, je t'attendrai. DAME JAQUELINE. Ah ça, je vous laisse. Je m'en vais voir à mon souper. Asseyez-vous là. GROS-PIERRE. Allez, allez, ne vous embarrassez pas de nous. SCÈNE VI. Gros-Pierre, Vincent. VINCENT. Eh, dis donc, Gros-Pierre, est-ce que tu as un procès ? GROS-PIERRE. Non , mais je veux en faire un à la veuve Mignot ; tu sais bien qu'alle a tun pré tout près du nôtre. VINCENT. Oui ; mais ça n'est pas bian de vouloir l'avoir. GROS-PIERRE. Et son père n'a-t-il pas eu comme ça un quartier de nos vignes ? VINCENT. Mais c'est différent. GROS-PIERRE. Je le sais bien ; mais si Monsieur l'Avocat me le conseille. VINCENT. Il ne te conseillera pas de dépouiller une veuve. GROS-PIERRE. Une veuve ne me fait pas plus de pitié qu'une autre, alle n'a qu'à se remarier, alle ne sera plus veuve. VINCENT. C'est vrai ça ; mais il ne faut pas prendre le bien de son voisin. GROS-PIERRE. Je ne le prendrai pas non plus, c'est la justice qui me le donnera. VINCENT. Mais alle ne serait plus une justice dans ce cas là. GROS-PIERRE. Mais n'est-ce pas les avocats et les procureurs qui sont la justice ? Hé ben, est-ce qu'ils ne pouvons pas vous faire avoir le bien que vous voulez ? VINCENT. Dame, je ne savons pas. GROS-PIERRE. Il ne faut donc pas parler. Enfin je veux que Monsieur l'Avocat me baille cet avis-là, vois-tu ? Et s'il me le baille, je lui baillerai un lièvre que j'ai apporté par exprès pour cela. Mais s'il me baille un autre avis, il n'aura pas le lièvre, et je le mangerons nous. Je le vois qui vient, je crois. Oui, c'est ly-même. VINCENT. Je ne sais plus que te conseiller à présent. GROS-PIERRE. Oh, laisse-moi faire ; tu vas voir, tu vas voir. SCÈNE VII. Monsieur Dubut, Gros-Pierre, Vincent. MONSIEUR DUBUT. Ah, ah, vous voilà à la Ville, Gros-Pierre ? GROS-PIERRE. Oui, Monsieur l'Avocat, j'y venons parce que j'ons une affaire de conséquence, où j'aurions grand besoin que vous me bailliais votre avis, voyais-vous. MONSIEUR DUBUT. Eh bien, mon ami, tu n'as qu'à dire. Tu sais bien que j'aime à te faire plaisir. GROS-PIERRE. C'est aussi pour cela que je venons à vous Monsieur l'Avocat. VINCENT, à Gros-Pierre. Il m'est avis qu'il faut que je m'en aille ; je m'en vais t'attendre aux Trois Rois, GROS-PIERRE. Quand j'aurai fini, j'irai t'y trouver. VINCENT. Adieu, Monsieur l'Avocat. MONSIEUR DUBUT. Adieu, mon ami, adieu. SCÈNE VIII. Monsieur Dubut, Gros-Pierre. MONSIEUR DUBUT, s'asseyant. Allons, Gros-Pierre, conte-moi ton affaire. GROS-PIERRE. Vous saurez, Monsieur l'Avocat, qu'il y a à côté de mon grand pré, un autre pré qui est à la veuve Mignot. Vous la connaissez la veuve Mignot ? MONSIEUR DUBUT. Non. GROS-PIERRE. La Veuve Mignot est la plus méchante femme du monde ; elle dit que je recule tous les ans la borne qui nous sépare, et elle veut que je plantions une haie pour n'avoir plus de dispute ; moi, je ne veux pas de haie, et je voudrais l'attaquer en justice sur ce qu'elle dit que j'ai reculé la borne. MONSIEUR DUBUT. Mais il n'y a qu'à mesurer le terrain, et l'on verra bien si vous y avez touché. GROS-PIERRE. Je ne voulons pas qu'on le mesure, et je ne voulons pas qu'alle m'accuse de cela ; c'est pourquoi je voulons l'y faire un procès en réparation de dommages et intérêts, afin qu'on m'adjuge son pré, pour que je n'ayons pas de disputes. MONSIEUR DUBUT. J'entends bien cela. GROS-PIERRE. Voilà ce que je voudrais que vous me conseilliez, Monsieur l'Avocat. MONSIEUR DUBUT. Mais, Gros-Pierre, cela e'est pas bien de vouloir avoir comme cela l'héritage de son voisin. GROS-PIERRE. Je savons bien qu'on dira cela ; mais si la Justice me le donne, qu'est-ce qu'il y aura à dire ? MONSIEUR DUBUT. La Justice ne te le donnera pas. GROS-PIERRE. Pardonnez-moi, il n'y a qu'à embrouiller tout cela de façon que cela finisse comme je le voulons ; vous comprenez bian, Monsieur l'Avocat. MONSIEUR DUBUT. Je ne te conseillerai jamais de tenter un procès injuste. GROS-PIERRE. Mais pourquoi ? MONSIEUR DUBUT. Parce qu'il faut être honnête homme d'abord. GROS-PIERRE. Mais de tous les gens qui ont des procès il y en a toujours un qui perd. MONSIEUR DUBUT. Sans doute. GROS-PIERRE. Hé bien, si la veuve Mignot perd, c'est tout ce que je veux. MONSIEUR DUBUT. Oui, mais si tu perds toi, comme cela arrivera, tu payeras les frais et tu diras que, je t'ai mal conseillé. GROS-PIERRE. Je dirai... je dirai qui vous n'avez pas bien embrouillé l'affaire comme je le voulais parce que je suis sûr qu'on pourrait me faire avoir ce pré-là. MONSIEUR DUBUT. Mais je te dis que la Loi est contre toi. GROS-PIERRE. Mais il n'y a qu'à la retourner, elle sera pour moi. MONSIEUR DUBUT. Tu n'y entends rien, je ne te veux pas embarquer dans une mauvaise affaire , je crois que c'est te donner un bon conseil. GROS-PIERRE. Oui, un bon conseil qui ne rapporte rien ; à quoi est-il bon? MONSIEUR DUBUT. À empêcher qu'on ne te mange inutilement. GROS-PIERRE. Voilà donc votre dernier mot, Monsieur l'Avocat ? MONSIEUR DUBUT. Oui et celui que tu dois suivre. GROS-PIERRE. Si vous aviez voulu, vous auriez pu m'en donner un autre , tant pis pour vous. MONSIEUR DUBUT. Je ne veux pas te tromper. Jusqu'à présent ne t'ai-je pas bien conduit dans tes affaires ? GROS-PIERRE. Cela est vrai. MONSIEUR DUBUT. Eh bien, de quoi te plains-tu ? GROS-PIERRE. Oh de rien. Vous n'avez rien à mander chez nous, Monsieur l'Avocat ? MONSIEUR DUBUT. Non, non , mon ami. Porte-toi bien. GROS-PIERRE. Je vous baille bien le bonjour. SCÈNE IX. Monsieur Dubut, Dame Jaqueline. DAME JAQUELINE. Eh bien, Monsieur l'Avocat, vous avez vu Gros-Pierre ? MONSIEUR DUBUT. Oui. DAME JAQUELINE. Qu'est-ce qu'il vous voulait ? MONSIEUR DUBUT. Me consulter sur un procès qu'il voulait avoir avec une de ses voisines. DAME JAQUELINE. Lui avez-vous donné votre avis ? MONSIEUR DUBUT. Oui. DAME JAQUELINE. Et qu'est-ce qu'il vous a donné lui ? MONSIEUR DUBUT. Rien. DAME JAQUELINE. Comment rien ? C'est donc là ce que vous m'aviez promis. MONSIEUR DUBUT. Mais que veux-tu ? Tu sais bien que Gros-Pierre... DAME JAQUELINE. Je sais, je sais qu'avec tout votre esprit vous ne savez ce que vous faites ; si j'avais été là , j'aurais sûrement eu un lièvre qu'il avait. MONSIEUR DUBUT. Il avait un lièvre ? DAME JAQUELINE. Assurément, MONSIEUR DUBUT. Je ne l'ai pas vu. DAME JAQUELINE. Je le crois bien, et puis ce coquin-là se moque de vous après cela. MONSIEUR DUBUT. Je ne lui donne rien du mien. DAME JAQUELINE. Et votre peine, votre science... J'ai plus de regrets à ce lièvre-là... Où est-il allé, Gros-Pierre ? MONSIEUR DUBUT. Il est allé aux trois Rois, retrouver un de ses amis. DAME JAQUELINE. Il y sera peut-être encore. Je veux absolument avoir le Lièvre, ou je ne demeurerai plus avec vous. MONSIEUR DUBUT. Quoi, vous voudriez me quitter , depuis vingt-cinq ans que nous sommes ensemble. DAME JAQUELINE. Qu'est-ce que j'y ai gagné ? Faites-vous la moindre chose de ce que je veux ? Vous me promettez tantôt, et puis vous n'y songez plus à la première occasion. MONSIEUR DUBUT. Que voulez-vous ? Je vous promets encore. DAME JAQUELINE. Oui, oui, promettre et tenir sont deux ; voilà qui est fini, je m'en irai demain. MONSIEUR DUBUT. Ah, Dame Jacqueline... DAME JAQUELINE. Il n'y a point de Dame Jaqueline qui tienne. MONSIEUR DUBUT. Mais comment faire ? DAME JAQUELINE. Je veux avoir le lièvre, et tout-à-l'heure. Voyez à vous arranger, je ne me contente pas de promesses davantage, je veux des effets, si vous voulez je m'en vais dire à Gros-Pierre que vous avez quelque chose à lui dire. MONSIEUR DUBUT. Si j'ai le lièvre, notre paix sera donc faite ? DAME JAQUELINE. Oui, pour cette fois-ci. MONSIEUR DUBUT. Fort bien, allez , allez le chercher. DAME JAQUELINE. Je le vos à la porte des Trois Rois. Je m'en vais l'appeler. SCÈNE X. MONSIEUR DUBUT. Dame Jaqueline a raison, mieux on conseille les gens et moins ils ont de reconnaissance. Si j'avais été de l'avis de Gros-Pierre, il m'aurait sûrement donné son lièvre. Puisque cela fait tant de plaisir à Dame Jaqueline, je m'en vais employer un moyen qui sûrement me réussira. Prenons un gros livre pour faire semblant de consulter ; il en sera sûrement la dupe. Il prend un grand livre, et il se met à lire. SCÈNE XI. Monsieur Dubut, Dame Jaqueline, Gros-Pierre, Vincent. DAME JAQUELINE. Tenez, Monsieur l'Avocat, le voilà Gros-Pierre, il n'était pas encore parti. GROS-PIERRE. Est-ce que vous avez quelque chose à me dire, Monsieur l'Avocat ? MONSIEUR DUBUT. Eh oui vraiment, j'ai songé à ton affaire, et j'ai trouvé ici... GROS-PIERRE. Quoi, Monsieur l'Avocat ? MONSIEUR DUBUT. Que tu pourrais bien... GROS-PIERRE. Avoir mon pré ? MONSIEUR DUBUT. Oui, s'il n'y a jamais eu de haie qui ait séparé ces deux héritages. GROS-PIERRE. Non, Monsieur l'Avocat, je suis bien sûr qu'il n'y en a jamais eu parce que le tout appartenait au même maître ; c'est pourquoi je pourrions demander ce qui est à la veuve Mignot, mon pré étant plus grand que le sien. MONSIEUR DUBUT. Le tien est plus grand ? GROS-PIERRE. Oui. MONSIEUR DUBUT. Il n'y a plus de difficultés. GROS-PIERRE. Tout de bon, Monsieur l'Avocat, vous le croyez ? MONSIEUR DUBUT. Sans doute et le procès se gagnera, parce que le fort emporte le faible. GROS-PIERRE. C'est vrai, cela ; vous êtes un bien habile homme. MONSIEUR DUBUT. On ne voit pas tout d'un coup le pour et le contre. GROS-PIERRE. Vincent, je t'avais bien dit que ma cause était bonne, tu n'entends rien aux affaires, toi. VINCENT. Eh bien, je ne le crois pas encore. GROS-PIERRE. Tu es bien obstiné ! Tu ne mangeras pas de mon lièvre ; car je m en vais le donner à Monsieur l'Avocat. DAME JAQUELINE. Qu'est-ce que vous dites, Gros-Pierre ? GROS-PIERRE. Je dis que je donne ce lièvre à Monsieur l'Avocat, Prenez-le, Dame Jaqueline. Il lui donne. DAME JAQUELINE. Donnez, donnez. Elle l'emporte, et elle revient. MONSIEUR DUBUT. Ah ça, écoutez-moi, Gros-Pierre, je vois que vous aimez les bons conseils. GROS-PIERRE. Eh pardi, je vous le demande ? Il n'y a que ceux-là. MONSIEUR DUBUT. C'est donc ceux-là qu'il faut payer, et non pas les autres. GROS-PIERRE. C'est ce que je vous disons. MONSIEUR DUBUT. Eh bien, c'est le premier que je vous ai donné qui était le bon et non pas le second. GROS-PIERRE. Quoi celui de ne pas plaider. MONSIEUR DUBUT. Sans doute. GROS-PIERRE. Quoi, le plus fort... MONSIEUR DUBUT. Est souvent le plus injuste. GROS-PIERRE. Mais l'adresse, l'habileté, la ruse... MONSIEUR DUBUT. Fait des dupes. VINCENT. Je te l'avais bien dit, Gros-Pierre. GROS-PIERRE. Tais-toi. DAME JAQUELINE. Si tu ne t'étais pas moqué de moi tantôt, avec ton Lièvre, nous ne nous moquerions pas de toi à présent. GROS-PIERRE. Je parie que c'est vous, Dame Jaqueline, qui avez conseillé à Monsieur l'Avocat de me faire ce tour-là. DAME JAQUELINE. Eh bien, c'est vrai, Gros-Pierre. MONSIEUR DUBUT. Tu en es quitte à meilleur marché que si tu plaidais. GROS-PIERRE. Oh, je n'en suis pas fâché à cause de vous mais à cause d'elle. VINCENT. Moi, j'en suis bien aise, parce que tu n'as pas voulu me croire. Allons, allons-nous-en. MONSIEUR DUBUT. Adieu, mes amis, votre serviteur. GROS-PIERRE. Adieu, Monsieur l'Avocat, je ne croirons plus jamais que votre première parole. Ils sortent. DAME JAQUELINE. Vous voyez bien que j'avais raison, Monsieur l'Avocat. MONSIEUR DUBUT. Oui ; mais vous m'avez fait mentir, je n'aime pas cela. Allons souper. Ils sortent. Explication du proverbe : Il faut gratter les gens où il leur démange. ==================================================