******************************************************** DC.Title = LE COUSIN EDGARD, COMÉDIE. DC.Author = CEILLIER, Eugène DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:18. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CEILLIER_COUSINEDGAR.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742835c DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE COUSIN EDGARD COMÉDIE EN UN ACTE Représentée au Cercle de la rue Volney. 1882. Tous droits réservés. Imprimerie générale de Chatillons-sur-Seine, - J. Robert. PERSONNAGES EDGARD DE MAURAC, Monsieur Worms. JOSEPH, Monsieur Saint-Germain. CLÉMENCE, Mademoiselle Reichenderg. VICTORINE, Mademoiselle Martin. Texte extrait du recueil de comédies d'Eugène Ceillier "Le Théâtre à la vile, comédies de Cercles et de Salons" pp 1-70 LE COUSIN EDGARD Le théâtre représente un salon en désordre. - Porte a droite, porte à gauche, porte an fond. - Table - bureau avec albums de photographies. - Guéridon, fauteuils - Sur les meubles, deux manteaux et deux chapeaux de dames, une jaquette d'homme. SCÈNE PREMIÈRE. Victorine, Joseph, Clémence. VICTORINE, à la porte du fond, parlant à une personne à la cantonade. Je souhaite un bon voyage à Madame. VOIX D'HOMME, à la cantonade. Ho ! Joseph ! Descendez donc ma casquette de voyage que j'ai laissée dans ma chambre. JOSEPH, une valise, une couverture, cannes et parapluies à la main. Bien, Monsieur ! Il disparaît à gauche. CLÉMENCE, même jeu que Victorine. Madame peut être bien tranquille, nous aurons bien soin de la maison. Si Madame a besoin de nous écrire, nous serions si heureux d'avoir de ses nouvelles. JOSEPH, reparaît par la porte de gauche avec casquette, parapluies, etc. Allons, allons, laissez-moi passer. VICTORINE et CLÉMENCE. Bon voyage, Madame. SCÈNE II. Victorine, Clémence. CLÉMENCE. Ça n'emmènerait seulement pas une femme de chambre ! Baraque, va ! VICTORINE. Voilà-t-il pas une affaire parce qu'on vous laisse ici ? Et moi ? CLÉMENCE. Comme si c'était la même chose ! VICTORINE. Et pourquoi donc pas ? CLÉMENCE. Parce que chacun a ses attributions, vous avez l'anse du panier, moi je dois avoir les voyages, qu'on me les laisse ! VICTORINE. Ah ! Faut des voyages à Mademoiselle, et puis dix mille livres de rentes par-dessus le Marché. CLÉMENCE. Si on veut ! VICTORINE. La grande vie enfin ! CLÉMENCE. Que voulez-vous? Il est évident que, dans l'intimité de Madame, j'ai contracté des goûts de luxe qui ne sont pas les vôtres. VICTORINE. Je les aurais bien aussi. CLÉMENCE, se lève, met un chapeau de dame qui est sur un meuble, et se regarde dans La glace. Tenez, regardez-moi, est-ce que je ne suis pas faite pour porter cela ? VICTORINE, apercevant un chapeau et le mettant. Et moi, est-ce que cela ne me va pas aussi ? CLÉMENCE. Oh ! Victorine, vous êtes trop drôle ! VICTORINE. Attendez, c'est mon tablier ! Elle l'enlève.Eh bien ! Maintenant ? Clémence rit. Si j'avais un manteau, un manchon, allez ! Ce n'est pas difficile d'avoir l'air d'une femme du monde. CLÉMENCE. Victorine, je veux voir cela. Elle lui jette un manteau sur les épaules. - Victorine se tient mal. - Riant aux éclats.Oh ! Écoutez, vous êtes impossible ! Mais ça ne se porte pas comme cela, on se tient droite. Tenez, regardez-moi. Elle met un manteau et se promène. Se retournant brusquement.Chère comtesse, vous allez bien ? VICTORINE, salue gauchement. Parfaitement, Madame. CLÉMENCE. Mais pas comme cela, et puis mettez du « ma chère » partout. Minaudant.Parfaitement, ma chère. VICTORINE, répétant. Parfaitement, ma chère ! Avec effroi. Chut ! J'entends Joseph. Elles écoutent un instant. CLÉMENCE. Mais non, il ne peut pas encore être là. VICTORINE. Vous savez ! Je le connais Monsieur mon époux. CLÉMENCE. Il ne va pas nous manger. VICTORINE, se regardant dans la glace. On est gentille tout de même, comme ça. CLÉMENCE. Ah ! Ma chère, vous êtes adorable, mais asseyez-vous donc, je vous en prie. Elles arrangent leurs robes avec précaution.[Note : Il s'agit probablement du Bois de Boulogne.]Allez-vous régulièrement au Bois tous les jours ? VICTORINE. Au bois ! C'te bêtise, vous savez bien que c'est Joseph qui le monte. CLÉMENCE. Victorine, vous n'êtes pas sérieuse. Nous jouons a la dame ; vous me faites une visite. VICTORINE. Vous ne me prévenez pas. CLÉMENCE. On ne parle, chère belle, que de la robe que vous aviez hier a l'Opéra. Joseph rentre. SCÈNE III. Joseph, Clémence, Victorine. JOSEPH, rentrant. Emballé le patron !... Oh ! Du monde! Balbutiant.Pardon, Mesdames, Monsieur le Comte et Madame la Comtesse viennent de partir pour Const... Éclat de rire de Clémence et de Victorine.Oh ! C'te bêtise !... Oui, c'est spirituel, on aurait manqué le train, vous seriez fraîches ! CLÉMENCE. Oh ! Ce cher baron, quelle bonne fortune de vous voir ! Vous prendrez bien une tasse de thé. JOSEPH. Avec plaisir, chère baronne. Il quitte son tablier et passe par-dessus son gilet de domestique un veston qui se trouve sur un fauteuil. VICTORINE. Mais regarde-moi donc ! CLÉMENCE. Je vous croyais absent ? JOSEPH. J'ai eu un instant l'idée de suivre mon ami de Mansac à Constantinople, mais je déteste quitter Paris l'hiver. CLÉMENCE. Alors, vous nous restez. VICTORINE. Mais, Joseph,regarde-moi donc. JOSEPH. Mutin ! Quel chic !... Mais c'est pas tout ça ; il faut mettre vivement un peu d'ordre ici pour aller se promener. VICTORINE. C'était pourtant bien amusant de jouer à la dame. JOSEPH. Tu n'as pourtant pas la prétention de rester déguisée toute ta vie. CLÉMENCE. Oh ! Une idée ! Voulez-vous jouer aux maîtres pendant une semaine ? VICTORINE. Des maîtres sans domestiques, ce serait du joli ! JOSEPH. Qu'est-ce que cela fait ? On serait de service à tour de rôle. CLÉMENCE. C'est cela, moi je veux bien. JOSEPH. Allons-y ! VICTORINE. Mais huit jours, pas plus... Faut se faire une raison. CLÉMENCE. Pas plus. JOSEPH. Alors, c'est entendu ! Clémence, faites trois billets, UN, DEUX, TROIS. Le numéro UN sera de service aujourd'hui, DEUX demain, TROIS après-demain, et puis on recommencera dans le même ordre. CLÉMENCE. Voilà ! Allons, tournez-vous, Victorine, moi, je vais tirer. VICTORINE. Non, non, moi je veux voir. Tourne-toi, Joseph, tu nommeras. CLÉMENCE. Pour qui cela ? JOSEPH. Pour vous. CLÉMENCE. Et ceci ? JOSEPH. Pour Victorine. VICTORINE, furieuse. Le numéro 1 ! Vous avez triché, c'est pas juste. CLÉMENCE. Vous êtes mauvaise joueuse, vous. JOSEPH. En v'là une affaire ! Dirait-on pas qu'on va te rendre la vie si dure ! Sapristi, nous connaissons le service, nous autres ! Nous n'allons pas sonner à tort et à travers comme des maîtres, n'est-ce pas, Clémence ? CLÉMENCE. C'est évident ! Elle s'étend dans un fauteuil. JOSEPH. Ni demander quatre ou cinq choses à la fois. VICTORINE. Enfin, soit ! Mais demain ce ne sera plus moi. Elle ôte son chapeau, son manteau, et remet son tablier. JOSEPH. Mais oui, voyons, c'est convenu. Tenez, moi je propose de déjeuner ici sur une petite table auprès du feu, ça fera une pièce de moins à faire. CLÉMENCE. Eh bien ! C'est cela ! Qu'est-ce que nous allons prendre ? Victorine apporte la table. Joseph se carre aussi dans un fauteuil. JOSEPH. Deux oeufs, une côtelette. CLÉMENCE. Victorine, des oeufs à la coque, très peu cuits. JOSEPH. Pour moi, au contraire, presque durs. CLÉMENCE, tendant son chapeau à Victorine. Tenez, rangez cela. VICTORINE. Ah ! Par exemple ! CLÉMENCE. Serrez cela, je vous dis, et prenez mon manteau. VICTORINE, à part. Tu verras, toi, après-demain. CLÉMENCE. Mettez donc une bûche dans le feu et puis dépêchez-vous de nous servir, je meurs de faim. JOSEPH. Et moi aussi ! VICTORINE. C'est bon, c'est bon ! Je ne peux pas tout faire. Elle sort, emportant les manteaux et les chapeaux. JOSEPH, courant après elle. Saignantes, les côtelettes ! CLÉMENCE. Non, non, non ! JOSEPH. Une saignante, seulement. SCÈNE IV. Clémence, Joseph. CLÉMENCE, se levant. Je vais mettre ma matinée bleue pour déjeuner. JOSEPH. Vous voulez donc me faire perdre la tête ? Clémence hausse les épaules en souriant.Ça va être amusant de déjeuner en tête-à-tête comme deux amoureux... N'est-ce pas, Mademoiselle Clémence ? Il la prend par la taille et veut l'embrasser. CLÉMENCE. Eh bien ! Eh bien ! Qu'est-ce que c'est que ces manières-là ? JOSEPH. C'est régence. CLÉMENCE. Régence de Tunis. JOSEPH, la prenant de nouveau par la taille. Oui, ma sultane. CLÉMENCE. Vous savez que ce ton-là m'est parfaitement désagréable. JOSEPH. Nous n'allons cependant pas déjeuner en tète-à-tête sans que je vous fasse la cour, voyons ! Puisque nous sommes des gens du monde, il faut bien faire comme eux. CLÉMENCE. Tenez, baisez ma main et ne péchez plus. JOSEPH. Vous êtes divine! Il lui balsa la main. CLÉMENCE. Allons, c'est bien... À tout a l'heure ! JOSEPH. Où allez-vous donc ? CLÉMENCE. Et ma matinée ! JOSEPH, la suivant. Je vais avec vous. CLÉMENCE. Jamais de la vie ! Elle sort au moment, en fermant vivement la porte. SCÈNE V. Victorine, Joseph. Parait Victorine portant des assiettes et du pain. VICTORINE. Ah ! Que je t'y prenne, toi, à tourner autour de cette mijaurée ! JOSEPH. Ma bonne amie, je t'assure... VICTORINE. Il y a assez longtemps que je vous remarque tous les deux. Essaie un peu, tu verras. JOSEPH. Des bêtises ! Avec ça qu'elle est bien, Clémence. VICTORINE. Pour ça, non, elle est maigre, elle est pâle ! JOSEPH. À la bonne heure, une bonne grosse maman comme ça, bien fraîche, bien rouge. VICTORINE. C'est vrai, tu m'aimes ? JOSEPH. Parbleu ! VICTORINE. Eh bien ! Embrasse-moi. JOSEPH, l'embrassant. J'oublie mon rang ! S'étendant dans un fauteuil.Assez de scènes conjugales. Est-ce que le déjeuner est prêt ? VICTORINE. Oui, aide-moi à mettre le couvert. JOSEPH. Pour ça, non, aujourd'hui je suis patron, je ne fais rien. VICTORINE. Poseur, va. JOSEPH. Tu dis ?... VICTORINE. Moi... Rien ! Elle sort. JOSEPH, ouvrant son journal. Allons, voyons les feuilles. Ah ! Bien ! Du premier coup, j'en trouve une bonne. « À vendre un joli caveau de famille bien aménagé, beau site. S'adresser au gardien du cimetière Sainte-Marie. » Ce sacré Figaro, il est épatant ! Je n'aurais pas trouvé celle-là. C'est un comble ! Vendre son caveau. Faut-il être être décavé pour en arriver là ! Ah ! C'est bon de rire un peu, ça ouvre l'appétit. Victorine entre.Je meurs de faim ! Est-ce servi ? VICTORINE. Tout est prêt. JOSEPH. Allez avertir Madame. VICTORINE. Il ne manquerait plus que ça. JOSEPH. Dame, sommes-nous les maîtres, oui, ou non ? Enfin, c'est bien, j'y vais moi-même. Entre Clémence. SCÈNE VI. Les mêmes, Clémence, en matinée bleue élégante. JOSEPH. Chère belle, j'allais vous offrir mon bras pour déjeuner. On n'est pas plus ravissante. Ils s'asseoient à table. VICTORINE, bas à Joseph, en le pinçant. Tu sais, toi, si tu continues... JOSEPH. Ah ! Ça, c'est bête ! CLÉMENCE. Qu'est-ce que vous dites ? JOSEPH. Rien, rien ! VICTORINE. Vous savez, j'avais pas d'oeufs, j'ai mis de la viande froide à la place. CLÉMENCE. Il me semble que vous auriez bien pu nous consulter. Voilà un signe des temps, Baron : les maîtres ne comptent plus. JOSEPH. Tout s'en va, chère comtesse, tout s'en va ! CLÉMENCE, riant. Même les maîtres. JOSEPH, de même. Ça, il ne faut pas nous en plaindre. Eh bien ! Victorine, et le vin ? VICTORINE. Tiens ! C'est vrai ! JOSEPH. Une idée ! Si on buvait du Champagne pour fêter notre avènement. CLÉMENCE. Oh ! Oui ! VICTORINE. Du Champagne ! Ah ! Pour ça non, par exemple ! À moins que vous ne m'invitiez... JOSEPH. Eh bien ! On t'invitera... Prends-en deux bouteilles. VICTORINE. Donne-moi de l'argent. JOSEPH. Tu feras mettre cela sur la note. VICTORINE. C'est bon. JOSEPH. Ne ferme pas la porte ; nous n'aurons pas la peine d'aller ouvrir. Victorine sort. SCÈNE VI. Joseph, Clémence. JOSEPH. On boira à leur santé, ils peuvent bien payer, pas vrai ?... CLÉMENCE. Ceci vous regarde... Donnez-moi donc un peu de gelée, baron... Qu'est-ce que vous avez à me regarder comme cela ? JOSEPH. Je vous admire, vous êtes épatante. CLÉMENCE. Quel mot, Baron ! JOSEPH. Comtesse, il m'a échappé... Tenez, laissez-moi encore embrasser votre petite main. CLÉMENCE. Vous y prenez goût ! JOSEPH. J'ai tort, c'est un apéritif! CLÉMENCE. Et vous n'aurez pas à dîner, Baron. JOSEPH. Donnez tout de même. À part. C'est autant de pris. Il lui embrasse la main. Entre Edgard en costume de voyage, une valise à la main. SCÈNE VIII. Les mêmes, Edgard. EDGARD. Oh ! CLÉMENCE, se levant précipitamment. Quelqu'un ! JOSEPH, de même. Sapristi ! EDGARD. Pardon, c'est bien ici, Monsieur de Mansac ? JOSEPH. Oui... Oui... C'est ici. CLÉMENCE, bas. Mais c'est vous, c'est vous... JOSEPH. C'est... C'est moi... Qui... EDGARD, se précipite dans les bras de Joseph. Mon cher ami, mon bon René... je suis d'un ému. JOSEPH, à Clémence. Mais c'est un fou. EDGARD. Tu ne me reconnais donc pas ?... Vingt ans, ça change... l'homme, mais pas le coeur. Il veut l'embrasser. JOSEPH. Ah çà ! Voyons, c'est une plaisanterie. EDGARD. Mais je suis Edgard ! Mon ami, Edgard ! Ton cousin Edgard ! CLÉMENCE, à part. Oh ! La la ! Un cousin de Monsieur ! EDGARD. Qui n'a pas voulu traverser la France pour retourner s'ensevelir en Amérique sans venir l'embrasser et mettre ses hommages et son dévouement aux pieds de sa jeune cousine. JOSEPH. Pincé ! EDGARD. Comme tu es froid ! Ça ne te dit donc rien de me revoir ?... CLÉMENCE, bas, le poussant. Mais allez donc, allez donc ! JOSEPH. Mais si... Mais si... Comment donc ! EDGARD. À la bonne heure ! JOSEPH, sans entrain. Je suis enchanté. EDGARD. Et moi donc ! Je me fais une telle fête de ces deux jours passés avec vous. JOSEPH, virement. Deux jours ! CLÉMENCE. Seulement deux jours ? EDGARD. N'insistez pas, c'est inutile. JOSEPH, lui serrant chaleureusement les mains. Ah ! Ce bon Edgard... Cet excellent Edgard... Deux jours, mais c'est à peine si on se verra. CLÉMENCE. C'est trop peu. EDGARD. Si je n'avais pas tant tenu à te voir et à connaître ta femme, mon vieux René, je serais déjà parti par le précédent paquebot. CLÉMENCE. Oh ! Monsieur, nous ne vous l'aurions pas pardonné. JOSEPH. Certainement, non. EDGARD. Je vous en prie, ne m'appelez pas Monsieur, je suis certainement le plus vieil ami de votre mari, ma cousine. N'est-ce pas, René ? Jusqu'à l'âge de dix ans nous ne nous étions pas quittés d'une heure... JOSEPH. C'est vrai. EDGARD. Et il a fallu pour nous séparer les grands malheurs que vous savez. CLÉMENCE. Ah ! Oui ! EDGARD. Pauvre père, il t'aimait bien, va ! Vous ne savez pas, vous autres, qui vivez heureux au milieu d'amis et de parents, comme la solitude vous attache au passé... C'est-à-dire qu'il no s'est peut-être pas écoulé un soir sans que nous parlions de toi, de notre enfance... plus tard, de vous, ma cousine, que nous avions si envie de connaître. Je suis bien sûr que lui, il ne vous a jamais parlé de nous, cet affreux égoïste. CLÉMENCE. Mais si... Quelquefois, souvent... JOSEPH. Oui, oui... Souvent. EDGARD. Ah ! C'est bien, ça, René... Mais je m'oublie à ranimer ces vieilles cendres et je vous empêche de déjeuner. CLÉMENCE, prenant la table et la repoussant dans un coin. Oh ! Non. D'abord nous avions fini, n'est-ce pas, Joseph ? Elle s'arrête brusquement en se mordant les lèvres. JOSEPH. Oui, oui. EDGARD. Joseph ! Tu as donc changé de nom, toi ? CLÉMENCE, vivement. C'est depuis notre mariage. JOSEPH. Oui, depuis notre mariage. CLÉMENCE. Je l'ai appelé Joseph, parce que son nom de René me rappelait des souvenirs tristes. EDGARD. Je vous demande pardon, ma cousine. JOSEPH. Des idées de femme, quoi ! Mais vous boiriez peut-être bien quelque chose ? EDGARD. Ah çà ! Voyons, tu ne vas pas me dire vous, j'espère bien. JOSEPH. Tu sais, il y a si longtemps, mais le coeur y est tout de même, va ! EDGARD. À la bonne heure ! Eh bien ! Oui, je prendrais volontiers du thé et des tartines, si vous permettez, mais avant je voudrais bien me laver les mains et me brosser un peu. CLÉMENCE. Vous allez trouver tout notre appartement bien en désordre, mon cousin, j'en suis vraiment honteuse. Nous venons de donner huit jours de congé au domestique et à la femme de chambre qui se sont mariés hier... JOSEPH. Ensemble... EDGARD. Alors, j'arrive comme un indiscret. Entre Victorine avec les deux bouteilles de Champagne. JOSEPH, à part. Ciel ! Victorine ! CLÉMENCE. Indiscret ! Jamais ! JOSEPH. Allons, allons... Viens, viens !... Il l'entraîne vivement. SCÈNE IX. Victorine, Clémence. VICTORINE. Qu'est-ce qui se passe ? CLÉMENCE. Un cousin de Monsieur. VICTORINE. Ah ! CLÉMENCE. Un cousin d'Amérique... qui ne l'a pas vu depuis vingt ans et qui retourne là-bas. VICTORINE. Ah ! Bien, en voilà une affaire ! CLÉMENCE. Et ce qu'il y a de mieux, c'est qu'il a pris Joseph pour Monsieur. VICTORINE. Qu'est-ce qu'il a dit Joseph ? CLÉMENCE. Rien, qu'est-ce que vous voulez ?... Il s'est laissé faire... Puisqu'il repart dans deux jours, le cousin, il n'y a pas de mal... Et moi aussi il m'a pris pour Madame, il m'appelle ma cousine. VICTORINE. Sa cousine ? CLÉMENCE. Évidemment, en me trouvant là avec Joseph, il a cru que j'étais sa femme, pardi ! VICTORINE. Sa femme ! La femme de Joseph ? CLÉMENCE. Eh bien ? VICTORINE. Ah ! Je voudrais voir ça, par exemple ! CLÉMENCE. Ce n'est pas ma faute, voyons ! VICTORINE. Ah ! Il parait que vous avez une jolie tenue quand vous êtes avec lui, et, pendant ce temps-là, moi je serai votre cuisinière, n'est-ce pas ?... Et vous croyez que cela va se passer ainsi? CLÉMENCE. Mais, je vous jure, Victorine, que ça n'est pas de notre faute... Si vous dites la moindre chose, nous sommes perdus... Pour deux jours... VICTORINE. Ah ! Oui, pour deux jours, et qu'est-ce qui sera encore de service pour demain, ce sera toujours moi ? CLÉMENCE. Dame ! VICTORINE. Et puis pendant quarante-huit heures, vous serez la femme de Joseph... CLÉMENCE. Oh ! Devant le cousin seulement. VICTORINE. Ah çà ! Vous me prenez donc pour une femme de carton, tous les deux ? Eh bien. Mademoiselle, je ne serai ni votre domestique, ni votre doublure. CLÉMENCE. Les voici qui reviennent... Victorine !... Ne dites rien. VICTORINE. Vous allez voir cela ! Sa femme ! Ah ! Mais non. Elle sort. SCÈNE X. Clémence, Joseph, Edgard. EDGARD. Vous êtes installés d'une façon ravissante. Un vrai nid d'amoureux. JOSEPH, allant à Clémence. Mais oui, d'amoureux. Bas.Qu'est-ce qu'elle a dit ? CLÉMENCE, bas. Tâchez de la voir ! EDGARD. Si ce bonheur n'était pas le tien... Je serais envieux. CLÉMENCE. Oh ! Le vilain défaut ! EDGARD. Rassurez-vous,je ne serai que jaloux. JOSEPH. Vous permettez que je vous laisse ? EDGARD. Certainement... Tiens ! Des albums de photographie... Je dois connaître presque tout le monde là-dedans, il n'y a pas d'indiscrétion ? CLÉMENCE. Mais... JOSEPH, les lui prenant. Non... Non... Non... EDGARD. Comment ! Tu ne veux pas que je voie les photographies de la famille ? JOSEPH, mettant un album sous chaque bras. Elles ne sont pas là-dedans. EDGARD, riant. Tu as peur que je ne te les emporte ? CLÉMENCE. Oh ! Mon cousin ! EDGARD. Rassure-toi, je n'en suis pas là. JOSEPH. C'est pour plaisanter. Tout à l'heure nous les verrons ensemble. Il va pour sortir. À part.J'y mettrai la mienne. EDGARD. Comme tu voudras, Tout est souvenir ici ! Ce vieux tableau, ta rappelles-tu ? Il était dans le grand salon. JOSEPH. Oui, oui. EDGARD. Dis donc, est-ce que tu n'as plus cette vue du château de ton père ?... CLÉMENCE. Si ! Si ! C'est le tableau qui est dans la bibliothèque. EDGARD. Je le reverrai avec plaisir... Ah ! Je perds la mémoire, comment donc s'appelait-il ? JOSEPH. Qui ça ?... Le tableau ?... Mon père ?... EDGARD. Mais non... Le vieux monsieur qui l'a peint et qui nous faisait si peur... JOSEPH. Le nom ne me revient pas. CLÉMENCE, vivement. Et ce thé qu'on n'apporte pas, allez donc voir un peu pourquoi, mon ami. JOSEPH, vivement. Oui, oui, j'y vais. EDGARD, le retenant. Laisse donc, je peux bien attendre... Il est amusant avec ses albums sous le bras. Si tu veux, je t'offrirai une chaînette. SCÈNE XI. Les mêmes, Victorine. Victorine parait à la porte, habillée en dame. Joseph et Clémence se regardent un instant avec stupeur. VICTORINE. C'est moi ! CLÉMENCE, allant à Victorine. Bonjour, chère amie. JOSEPH, même jeu, bas. Tu es folle !... Haut.Quelle bonne surprise ! VICTORINE. Hein ! Vous ne vous y attendiez pas ? CLÉMENCE. Cela n'en est que plus agréable... À part.Que faire ? VICTORINE, saluant Edgard gauchement. Monsieur ! EDGARD. Madame ! CLÉMENCE, la présentant. Ma soeur. Présentant Edgard.Un cousin de mon mari. VICTORINE, salue, à part. Heu ! De son mari. JOSEPH, à Edgard. Si nous les laissions bavarder et si nous nous en allions ? EDGARD. Parfait, parfait, comme tu voudras. JOSEPH. Nous avons à causer tous les deux... vous permettez... Adieu. VICTORINE. Nous allons nous revoir, je ne pars pas encore. CLÉMENCE. Je l'espère bien. VICTORINE, à Joseph, bas. Plus souvent que je partirais ! Haut.Je vais même vous rester trois ou quatre jours, si je ne suis pas indiscrète. JOSEPH, à part. Quel crampon ! VICTORINE. J'espère que je ne vous gênerai pas... les ouvriers m'ont mise à la porte de chez moi. CLÉMENCE. Et vous avez pensé à nous. VICTORINE. Naturellement. CLÉMENCE. C'est que précisément, nous venons de donner la chambre d'ami à Monsieur. EDGARD. Mais, Madame, qu'à cela ne tienne, j'irai à l'hôtel. VICTORINE, saluant gauchement. Monsieur... CLÉMENCE, à part. Tu me le paieras, toi... Haut.Mais pas du tout, nous ne vous laisserons pas aller. JOSEPH, bas, à Victorine. Es-tu folle ? VICTORINE. Monsieur, on peut tout arranger, je partagerai la chambre de ma soeur, et mon beau-frère s'installera ici, comme fait Monsieur quand sa belle-mère vient. CLÉMENCE, à part. Oh ! La ! La ! Haut.C'est une très bonne idée. JOSEPH. Oui, oui, une très bonne idée, très bonne idée. À part.Vieille peste, va ! EDGARD. Si c'est possible, j'accepte sans façon, nous nous verrons bien plus et pour deux jours tu me pardonneras de te faire camper. JOSEPH. Ça ne m'embarrassera pas. Eh bien! et ce thé, voyons ! C'est un mythe. CLÉMENCE, sonnant. J'ai déjà sonné deux ou trois fois... Je ne sais pourquoi on ne l'apporte pas. VICTORINE, à part. Elle en a de l'aplomb ! JOSEPH. Faites-le vous-même, alors, puisqu'aujourd'hui ce sont les maîtres qui doivent se servir. EDGARD. Ma cousine, je ne permettrai pas... JOSEPH. Laisse-la donc... Elle le fait admirablement... CLÉMENCE. Et vous serez obligé de le trouver, bon. Elle sort à gauche. VICTORINE. Je vais vous aider... Monsieur... Elle salue et sort. SCÈNE XII. Edgard, Joseph. EDGARD. Mon ami, ta femme est charmante. JOSEPH. Ah ! Sacredié ! EDGARD. Comment, René... Ta femme. JOSEPH. Oh ! Si, oh ! Si... Adorable! EDGARD. À la bonne heure, tu m'étonnais. JOSEPH. Je croyais que tu parlais de l'autre. EDGARD. Oh ! Non, la belle-soeur, pas l'air commode. JOSEPH. Il s'en faut. EDGARD. Enfin la belle-soeur, ça t'est bien égal, n'est-ce pas ? C'est pas elle que tu as épousée... Mais ta petite femme... Tu es un heureux coquin. JOSEPH. Mais oui, mais oui. EDGARD. Mon bon vieux René, je ne t'aurais pas reconnu. JOSEPH. Ni moi. EDGARD. Mais tu te conserves bien ; on voit que tu mènes une vie tranquille. JOSEPH. Ça ne veut rien dire. EDGARD. Tu as même l'embonpoint de l'homme heureux ! Ah çà !... Quel diable de gilet portes-tu donc ? JOSEPH, essayant de cacher son gilet de domestique. Ne fais pas attention. EDGARD. C'est un peu excentrique. JOSEPH. Pour le matin... Comme cela... Les couleurs du gagnant au grand prix. EDGARD. Peste ! Sportman à ce point ? JOSEPH. Faut bien s'occuper. EDGARD. Tu ne fais donc rien ? JOSEPH. Mon Dieu, non. EDGARD. Vraiment ! JOSEPH, prétentieux. C'est très difficile pour des gens de noire monde... La politique a tout envahi... Et Dieu sait quelle politique !... EDGARD. C'est bien ce qu'on m'avait dit, mais je ne voulais pas le croire. JOSEPH. Mon ami, tu peux t'en rapporter à moi, heureusement qu'il nous reste la Bourse. EDGARD. Tu joues ? JOSEPH. Jamais... Je spécule... EDGARD. C'est bien cousin germain. JOSEPH. Nous spéculons tous, mon ami, c'est tout ce qu'il y a de mieux porté. EDGARD. Allons, je souhaite que cela vous réussisse. À propos de bourse et d'argent, avant de quitter le Midi, je suis convenu avec ton notaire... JOSEPH. Mon notaire ?... De quoi donc ? EDGARD. Eh bien ! Sur les vingt-cinq mille francs que tu lui dois... JOSEPH. Ah ! Oui... Les vingt-cinq mille francs. EDGARD. Tu m'en remettras vingt mille, et tu lui enverras seulement le surplus. JOSEPH. C'est que... EDGARD. Il a du t'écrire... Ou tu vas recevoir sa lettre. JOSEPH. Je n'ai encore rien reçu. EDGARD. J'ai pensé que cela t'arrangerait parfaitement. JOSEPH. Certainement ! Certainement ! EDGARD. Eh bien, c'est entendu ! Tu me donneras ces vingt mille francs, demain ou après. JOSEPH, à part. Ah ! Mais, il m'embête, le cousin... EDGARD. Ça a l'air de te contrarier. JOSEPH. Moi... Non... Non, pas le moins du monde. EDGARD. Avec moi tu ne te gênerais pas, JOSEPH. Pardi ! On entend une discussion dans la coulisse. EDGARD. Qu'est-ce que c'est ? JOSEPH. Rien du tout... Reste là... À part.Elles se battent, c'est pas possible ! Il sort à gauche. SCÈNE XIII. EDGARD, seul, s'assoit dans un fauteuil. C'est bizarre, comme l'imagination embellit souvent les choses. Certainement, ça me fait plaisir de le revoir, ce bon René, mais je me figurais que mon coeur allait se fondre... Eh ! Bien, non... Il n'y a pas ce je ne sais quoi auquel je m'attendais. SCÈNE XIV. Edgard, Clémence. CLÉMENCE, à la cantonade. Espèce de cuisinière de quatre sous... Elle entre, portant un plateau. Edgard se lève étonné.Je vous demanda pardon, c'est celte imbécile de Victorine... Je ne sais pas ce que je dis maintenant... J'allais vous raconter mes ennuis domestiques... EDGARD. Mais puisque ce sont des ennuis pour vous, ma cousine, ils m'intéressent. Il l'aide à déposer le plateau. CLÉMENCE. C'est toujours la même chose : ma cuisinière me voit dans l'embarras et elle m'y met tout à fait en me plantant là. EDGARD. Comme cela ! CLÉMENCE. Comme cela... Sans même me donner le temps de me retourner... Voulez-vous du thé fort ? EDGARD. Léger, je vous prie... Alors, vous voilà sans domestiques... CLÉMENCE. Absolument. EDGARD. Eh bien ! Nous irons diner au restaurant. CLÉMENCE. Oh ! Que ce sera amusant ! EDGARD. Vous voilà consolée. CLÉMENCE. C'est-à-dire que je suis ravie... nous irons en cabinet particulier, n'est-ce pas ? EDGARD. Si cela peut se faire, je veux bien ! CLÉMENCE. Oh ! Oui, je n'y suis jamais allée. EDGARD, riant. Ni moi non plus. CLÉMENCE. Ça, par exemple ! EDGARD. Croyez-vous donc que j'ai des restaurants à ma porte au fond de mes pampas. CLÉMENCE. Comment ! De vos pampas ?... EDGARD. Je mène, depuis que j'ai quitté la France, la vraie vie, des éleveurs, je vis en sauvage. CLÉMENCE. Comment !... Tout nu ?... EDGARD. Oh ! Non... Je mène la vraie vie de sauvage, voilà tout ! CLÉMENCE. Vraiment ! EDGARD. Mais oui ! CLÉMENCE. J'ai lu un roman là-dessus. Comment donc était-ce ? La Prairie, je crois, et puis le Dernier des Mohicans. EDGARD. Eh bien ! En faisant la part du roman, cela a pu vous donner une idée de notre existence. C'est une vie de luttes, de dangers, d'émotions qui aurait un grand attrait, n'était l'isolement. CLÉMENCE. Vous vivez là tout seul ? EDGARD. Mon Dieu, oui, tout seul, au point de vue du coeur, et c'est dur quand on a vingt-cinq ans. CLÉMENCE. Je vous crois. EDGARD. Oh ! Oui, c'est dur !... Le soir, quand je rentre après une journée fatigante, souvent périlleuse, je sais qu'il n'y a pas une main amie qui me sera tendue, je pars sans laisser un vide et je rentre sans apporter une joie. Eh bien ! Vous pouvez m'en croire, je ne suis pas très sentimental, mais cette pensée, à la longue, est affreuse. CLÉMENCE. Il faut vous marier. EDGARD. Mais, ma chère petite cousine, qu'est-ce qui voudrait de moi ? CLÉMENCE. Vous faites le modeste. EDGARD. Comment voulez-vous que je propose à une jeune fille habituée à la vie facile, au bruit, au plaisir, à la famille ?... Non, c'est impossible ! CLÉMENCE. Ah bien ! Voilà une vie que j'aimerais, moi !... On monte beaucoup à cheval, n'est-ce pas ? EDGARD. Oh ! Oui, plus qu'on ne veut même. CLÉMENCE. Je ne crois pas... Est-ce qu'il y a des femmes de chambre ? EDGARD, riant. Pour qui, mon Dieu ?... CLÉMENCE. C'est dommage !... Et vous ne trouvez pas une femme pour partager cette vie-là ? EDGARD. Cherchez-la moi... Je m'en rapporte à vous... Je ne tiens pas à la fortune, et pourvu que la famille soit honorable... C'est tout ce que je demande. CLÉMENCE, se parlant à elle-même. J'irais bien, moi ! EDGARD. Que n'êtes-vous libre ! CLÉMENCE, à part. Si je lui disais tout ! EDGARD, riant. Nous irions galoper à cheval comme des fous à travers les immenses prairies, les bois infinis... Si vous couriez un danger, je serais là pour vous défendre... C'est-à-dire que je le ferais naître pour avoir le plaisir de vous sauver. Ma vie serait singulièrement changée. CLÉMENCE. Si j'étais libre vous ne voudriez sans doute pas de moi. EDGARD. Cousine, vous ne dites pas un mot de ce que vous pensez. CLÉMENCE. Mais si ! EDGARD. Eh bien ! Trouvez-moi votre soeur jumelle, et vous verrez !... CLÉMENCE. Même sans fortune ? EDGARD. Mais je vous l'ai dit, sans fortune... famille honorable, voilà tout. CLÉMENCE. Eh bien ! Nous verrons... EDGARD, lui prenant les mains. Oh ! Non, voyons tout de suite, ma petite cousine, je vous en prie... Vous connaissez quelqu'un ? CLÉMENCE. Peut-être. EDGARD. Jolie ? CLÉMENCE. Je ne sais pas, elle me ressemble. EDGARD. Vous voulez vous moquer de moi, alors... CLÉMENCE. Oh ! Non. EDGARD. Eh bien ! Dites-moi... CLÉMENCE. Écoutez, promettez-moi... Non, ce que je fais est très mal... C'est un secret qui ne m'appartient pas. EDGARD. Dites-le moi, quel qu'il soit, je le garderai, je vous l'affirme. CLÉMENCE. Je ne vous demande rien pour moi, mais vous me jurez que vous pardonnerez à Joseph ! EDGARD. Comment ! À René ? CLÉMENCE. Oui. EDGARD. Je vous le jure, mais parlez donc ! CLÉMENCE. Eh bien !... SCÈNE XV. Les mêmes, Joseph, Victorine. JOSEPH. Je vous demande pardon de vous avoir ainsi laissés. À part, regardant Victorine.Quel crampon ! EDGARD. Tu es tout pardonné et d'ailleurs, tu m'avais laissé en trop bonne compagnie pour que je t'en veuille... À propos, nous dinons au restaurant ce soir. JOSEPH. En garçons, hein ! VICTORINE. J'espère que Monsieur est assez galant pour inviter les dames. JOSEPH, à part. Quel crampon ! EDGARD. Mais c'est ainsi que je l'entends... Ah çà ! Je pense qu'on ne s'habille pas ? On peut rester comme cela. JOSEPH. Moi, je me mets en habit, tu sais, question d'habitude. À part.Je n'ai que cela de bien. CLÉMENCE, bas, à Edgard. Tâchez de les éloigner et attendez-moi. Elle sort à droite. EDGARD. Eh bien ! C'est cela, allons nous apprêter ! Il sort par le fond en regardant si Joseph et Victorine vont s'habiller. Fausse sortie de Joseph et Victorine à gauche. SCÈNE XVI. Victorine, Joseph. Pendant cette scène, Edgard entrebâille la porte du fond et écoute la conversation. VICTORINE, arrêtant Joseph par le bras. As-tu vu ? JOSEPH. Quoi ? VICTORINE. Tu n'as pas vu ? Quand nous sommes entrés, ils se tenaient par la main. JOSEPH. Laisse donc ! VICTORINE. Elle avait l'air assez ennuyé de notre arrivée. JOSEPH. Eh bien ! Qu'est-ce que cela me fait ? VICTORINE. Bien vrai, ça ne te fait rien ? JOSEPH. Pardieu ? VICTORINE. Alors tu ne l'aimes pas, dis ? JOSEPH. C'est donc toujours la même chanson. VICTORINE. Je suis jalouse, moi. Eh bien, je n'en parlerai plus, dis moi seulement que tu m'aimes bien. JOSEPH. Mais oui ! VICTORINE. Embrasse-moi, alors. JOSEPH. Prends donc garde, s'il nous voyait. VICTORINE. Tu as toujours peur, toi. JOSEPH. Tu es folle. VICTORINE. Je suis folle de toi ! Elle l'embrasse.Et puis tu ne l'aimes pas, bien vrai ? JOSEPH, exaspéré. Non... Non... Non... Non... Il sort. Elle sort après lui, à gauche. SCÈNE XVII. Edgard, Clémence. EDGARD, rentrant. Je suis foudroyé... C'est infâme»., chez lui, avec sa belle-soeur... Et c'est qu'elle est jalouse encore... Pauvre petite femme! je le comprends ce secret qu'elle ne voulait pas me dire... Non, c'est affreux, c'est épouvantable... C'est une infamie... CLÉMENCE, rentrant. Chut ! EDGARD, la prend par les mains et la regardant fixement. Ma pauvre enfant, je sais tout ! CLÉMENCE, en cachant la figure. Tout ? EDGARD. Tout, j'étais là, derrière la porte, attendant leur départ... J'ai tout compris... Voyez-vous ce Joseph !... J'ai cru que j'allais lui sauter a la gorge. CLÉMENCE. Oh ! Je vous en prie... Ne faites pas cela... Il croirait que c'est moi qui vous ai tout dit... EDGARD. Eh bien, quand cela serait... CLÉMENCE. Cela me pesait tant, j'ai si horreur du mensonge. EDGARD. Écoutez, je ne veux plus le voir. CLÉMENCE. Je comprends... EDGARD. Mais vous... CLÉMENCE. Moi... Je continuerai la vie que je mène. EDGARD. Ce n'est pas possible. CLÉMENCE. À moins que vous ne m'emmeniez. EDGARD. Vous emmener ? CLÉMENCE, timidement. Je suis libre... Je ferai ce que vous voudrez. EDGARD. Libre ? CLÉMENCE. Ou à peu près... Je laisserai une lettre à Monsieur de Mansac, et puis voilà tout. EDGARD. Et qu'est-ce qu'il dira ? CLÉMENCE. Qu'est-ce que vous voulez que cela lui fasse ?... Je ne dirai pas où je vais, d'abord. EDGARD. Vous pouvez bien le lui dire... Ainsi, vous aimez mieux venir avec moi que de continuer cette vie-là. CLÉMENCE. Oh ! Oui ! Et je serai une bonne petite femme, vous verrez. EDGARD. Vous ne me le reprocherez jamais ? CLÉMENCE. Oh ! Non, jamais. EDGARD. Eh bien ! Soit... À six heures au rapide du Havre. CLÉMENCE. Comment ! Si vite ?... EDGARD. Croyez-vous donc que je veuille rester ici ? CLÉMENCE. Non, c'est vrai, vous ne le pouvez pas. EDGARD, à part. Mon ami d'enfance... Il l'a voulu, tant pis ! CLÉMENCE. Vous dites ? EDGARD. Je dis que je vous aime... À tout à l'heure. Il sort par le fond. SCÈNE XVIII. Clémence, puis Victorine et Joseph. CLÉMENCE, seule. Non, c'est un rêve !... Appelant.Joseph, Victorine ! Ils entrent.Devinez ! JOSEPH. Quoi ? CLÉMENCE. Il m'épouse. JOSEPH. Qui ça ? CLÉMENCE. Edgard ? JOSEPH. Quelle blague ! CLÉMENCE. Parole d'honneur ! Il sait tout. VICTORINE. Vous lui avez tout dit ? CLÉMENCE. Pas du tout... C'est vous, il vous a entendus là, tout à l'heure. JOSEPH, à Victorine. Quand je te disais à toi... VICTORINE. Qu'est-ce qu'il a dit ? CLÉMENCE. Il est furieux après Joseph, vous comprenez ? Il ne veut plus vous voir. JOSEPH. Alors, on ne sera pas de la noce ? CLÉMENCE. D'abord, nous ne nous marierons pas ici... Nous partons à six heures par le rapide. JOSEPH. Ah ! Bien, c'est un mariage pour rire. CLÉMENCE. Ah ! Que non... Je suis une fille honnête, et je veux un bon mariage en Amérique ou ailleurs, mais un bon. VICTORINE. Comment, en Amérique ? CLÉMENCE. C'est là que nous allons vivre. VICTORINE. C'est donc cela ! JOSEPH. Vous n'en serez pas moins Comtesse, pas vrai ? VICTORINE. Une jolie comtesse, ma foi. CLÉMENCE. Plus jolie que bien d'autres.. Allons, allons, Victorine, soyez donc gentille. VICTORINE. Mais je le suis. JOSEPH. Pardi... Tant mieux pour elle. Et puis, c'est ce qui pouvait nous arriver de mieux, comme cela il ne dira rien aux maîtres, n'est-ce pas ? VICTORINE. Ça, c'est vrai ! JOSEPH. À quelle heure votre train ? CLÉMENCE. À six heures. JOSEPH. Vous avez le temps alors. CLÉMENCE. Pas trop, parce que je voudrais bien aller m'acheter un costume de voyage au Louvre, et puis il faut que je laisse une lettre à Madame. Elle s'asseoit à une table.Mon petit Joseph, vous seriez bien gentil d'aller me chercher une voiture, et vous, Victorine, pour me prouver que vous me pardonnez, vous devriez bien me prendre là-haut le cache-poussière que Madame m'a donné. VICTORINE. Oui, oui, je sais... Elle sort à gauche. JOSEPH. Ça me fait de la peine, Clémence, de vous voir partir... Mais vous savez, au fond, je suis content pour vous. CLÉMENCE, lui tendant la main. Merci. JOSEPH. Je vais chercher le fiacre des adieux. Il sort par le fond. SCÈNE XIX. Clémence, puis Victorine. CLÉMENCE, seule, écrivant. Voyons... « À Madame... » je ne peux pas lui dire que je deviens sa cousine... « Madame... » Ah!... « Je trouve une position avantageuse dans une famille américaine et je suis obligée de me décider immédiatement. J'espère que Madame ne m'en voudra pas et daignera accepter mes respects. Clémence!...» Elle met ta lettre dans une enveloppe, écrit l'adresse et se lève.Comtesse ! VICTORINE, entrant, portant le cache-poussière. Le voilà ! CLÉMENCE. Merci, Victorine, vous êtes bien gentille. Elle s'habilla vivement. SCÈNE XX. Les mêmes, Joseph, puis Edgard. JOSEPH, entrant. La voiture est en bas. CLÉMENCE. Eh bien, adieu, mes amis, allons ! Victorine, embrassez-moi. VICTORINE. Bonne chance ! CLÉMENCE. Merci ! Adieu, Joseph. JOSEPH. Si madame la comtesse voulait me permettre de l'embrasser... CLÉMENCE, à Victorine. C'est la première et dernière fois... Ne soyez pas jalouse... Elle embrasse Joseph.Allons, adieu ! VICTORINE et JOSEPH. Vous nous donnerez de vos nouvelles, n'est-ce pas ? CLÉMENCE. Je vous le promets. Adieu ! Edgard entre.Comment, vous ? EDGARD. Oui, j'ai à vous parler. CLÉMENCE, s'adressant à Victorine et à Joseph. Laissez-nous! Ils sortent. SCÈNE XXI. Clémence, Edgard. EDGARD, étonné. Vous les renvoyez comme cela ? CLÉMENCE. Naturellement... Qu'est-ce que vous me voulez ? EDGARD. Écoutez, Clémence... J'ai réfléchi, ce que nous faisons est mal. CLÉMENCE. Mal, pourquoi ? EDGARD. Oh ! Je comprends ce que vous avez sur le coeur... Mais je vous assure que demain vous seriez la première à me mépriser et à me reprocher ma conduite. CLÉMENCE. Moi ? EDGARD. Oui, vous ! CLÉMENCE. Oh ! C'est affreux !... Vous avez honte de moi ! EDGARD. Pouvez-vous dire ?... CLÉMENCE. Si vous habitiez la France, je comprendrais vos scrupules, mais là-bas... EDGARD. Non, c'est impossible, voyez-vous... Là-bas comme ici... Il se promène avec agitation. CLÉMENCE, pleurant. Oh ! J'étais folle ! Folle ! EDGARD. Voyons, je vous en prie. CLÉMENCE. Non, laissez-moi ! EDGARD. Je vous en conjure, Clémence, ne pleurez pas ainsi, vous m'enlevez tout mon courage et je vous assure que je n'ai besoin... Ah ! Il est heureux pour votre mari qu'il soit mon ami d'enfance. CLÉMENCE. Mon mari !... Votre ami d'enfance ! Vous ne savez donc rien ? On frappe. EDGARD, ému. On vient ! Prenez garde !... Entrez ! Joseph entre en domestique, Victorine montre sa tète à la porte restée entrouverte. SCÈNE XXII. Les mêmes, Joseph, Victorine. JOSEPH. Pardon, monsieur le comte, c'est une dépêche pour Clémence... Pour Madame la Comtesse. Il donne la dépêche à Clémence. EDGARD. Comment, Monsieur le Comte ?... Clémence ?... Ce costume ?... Qu'est-ce que c'est que cette plaisanterie ? JOSEPH. Oh ! Je ne me permettrais pas maintenant, avec Monsieur le Comte... EDGARD. M'expliquerez-vous ? CLÉMENCE, qui a lu la dépêche, la tend à Joseph. Tenez ! Ils reviennent! JOSEPH, lisant. « Déraillement, fortes contusions, impossible continuer voyage, revenons cette nuit, attendez. Signé : de Mansac. » EDGARD, prenant la dépèche. De Mansac ? VICTORINE, arrivant. Comment ! Les patrons ?... Ils reviennent ! Joseph et Victorine tombent à genoux.Ah ! Monsieur ! Ne nous faites pas perdre une si bonne place... JOSEPH. C'était sans mauvaise intention... VICTORINE. De fil en aiguille... JOSEPH. Parce que Monsieur repartait... VICTORINE. Et que nous n'avons pas osé avouer... JOSEPH. Que nous jouions aux maîtres. EDGARD. Parfait, je comprends, c'est toujours la même chose : quand le chat n'est pas là, les souris dansent. JOSEPH. Pour une fois, Monsieur le Comte... EDGARD. Eh bien ! Pour une fois, il ne s'en est pas fallu de beaucoup que vous ne riiez jaune, mon ami : un peu plus, j'enlevais votre femme. VICTORINE, vivement. Ah ! Ça, jamais, Monsieur le Comte. EDGARD, à Clémence. Alors, vous n'êtes pas ?... CLÉMENCE. Mais non, je ne suis pas sa femme,... J'étais libre, et je le suis encore. EDGARD. Ah! vous l'êtes encore, parfait, parfait... Eh bien !... Puisque ma cousine revient, je lui demanderai conseil. JOSEPH. Monsieur le Comte, il vaudrait peut-être mieux... CLÉMENCE. N'en pas parler. Souriant à demi.Les femmes sont si jalouses. EDGARD. Allons,vous êtes une femme d'esprit... Eh bien ! Alors, nous n'en dirons rien. À Joseph, d'un ton sec.Joseph ! Joseph ne répond pas. Edgard, plus haut.Joseph ! VICTORINE, à Joseph. Mais c'est toi... JOSEPH. Voilà ! Monsieur. EDGARD. Vous remonterez ma valise. Il sort. JOSEPH. Bien, Monsieur ! VICTORINE, riant. Il ne te tutoie plus. JOSEPH. Je le lui défends bien. À Clémence.Allons, allons, ma pauvre Perrette... CLÉMENCE. Perrette ! Pourquoi donc cela ? Je n'ai pas cassé ma cruche. ==================================================