******************************************************** DC.Title = LE PÉDAGOGUE AMOUREUX, COMÉDIE DC.Author = CHEVALIER, Jean Simonin dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 13/07/2023 à 14:12:46. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CHEVALIER_CARTELDEGUILLOT.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k726503?rk=21459;2 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE CARTEL DE GUILLOT OU LE COMBAT RIDICULE. M. DC. LXXXII. Par Mr CHEVALIER. ACTEURS. POLYCARPE, Père d'Angélique. ANGÉLIQUE, Fille de Polycarpe. LA ROQUE, Amant d'Angélique. GUILLOT, Valet de Polycarpe. La scène est à Paris. LE CARTEL DE GUILLOT. SCÈNE I. Polycarpe, Angélique. ANGÉLIQUE. Que ma destinée est fâcheuse Hélas ! Que je suis malheureuse. POLYCARPE. Dis-moi pourquoi te plains-tu tant ? Ton esprit n'est jamais content, Je te vois toujours en furie. Sachons d'où vient ta fâcherie ? ANGÉLIQUE. On ne la saurait concevoir, Enfin je suis au désespoir, Et si vous saviez mon injure Vous me plaindriez je vous jure. POLYCARPE. Dis-la donc. ANGÉLIQUE. Oyez s'il vous plaît Ah quand vous saurez quelle elle est Vous me croirez fort misérable. POLYCARPE. Tu me ferais donner au Diable. Avec tes étranges clameurs Et bien, quels sont donc ces malheurs. ANGÉLIQUE. Rien n'est au Monde si sensible Si détestable ? Si terrible ? Hélas ! Quel destin est le mien. POLYCARPE. Pour moi je crois que ce n'est rien Puisque tu ne le veux pas dire [Note : Endêver : Être fort fâché de quelque action, en avoir grand dépit, enrager. [T]]Endêve, fâche-toi, soupire, Pleure, crie, et te plains ici,Montre-toi toute de souci Toute triste, toute joyeuse, [Note : Rechigneuse : mot créé d'après rechigner. Qui rechigne, qui est de mauvaise humeur.]Toute riante ou rechigneuse Ressens, ou du mal ou du bien, Je m'en sens moins touché que rien, Après cela je me retire. ANGÉLIQUE. Hé mon Père je vais tout dire Mais donnez-vous un peu de temps, Car mes déplaisirs sont si grands, Que je n'ose. POLYCARPE. [Note : Pendard : Scélérat, fripon ; qui a commis des actions qui méritent la corde, la potence. [T]]Ah ! Quelle est pendarde, [Note : Babillard : Qui parle continuellement, et qui ne dit que des choses de neant. [F]]Être née enfin babillarde, Et garder si fort le secret, [Note : Cabinet : signifie aussi, un petit lieu retiré dans les maisons ordinaires, qui n'est souvent fermé que d'une cloison : c'est où l'on étudie, et où l'on serre ce qu'on a de plus précieux. [F]]L'on te va mettre au cabinet Ainsi que le plus rare ouvrage, Qui se soit vu durant notre âge Car c'est un miracle en ce point, Qu'être Fille et ne parler point Au moins de tout ce qui me touche. ANGÉLIQUE. Apprenez-le donc par ma bouche La Roque qui se dit charmé, De moi qui l'ai toujours aimé M'a fait un affront, un outrage Dont je déteste, dont j'enrage Mais un outrage sans égal, Hier comme nous étions au bal, Il mena toutes les Galantes, [Note : Branle : Espèce de danse. [L]][Note : Courante : Pièce de Musique, d'une mesure triple ou mouvement ternaire. C'est la plus commune de toutes les danses qu'on pratique en France, qui se fait d'un temps, d'un pas, d'un balancement, er d'un coupé. [F] ]Danser et branles et courantes [Note : Entretien : signifie aussi, Conversation. [Acad. 1762]]Leur donna tout son entretien, Et me régala d'un beau rien : Ce qui me fâche davantage Est que cet ingrat, ce volage, Fait le soupirant, le transi Au moins on me l'a dit ainsi [Note : Coquette : Ce mot se prend en mauvaise part. Celle qui s'ajuste pour donner dans la vue des galants. Celle qui aime qu'on lui dise des douceurs, qui se plaît aux fleurettes que l'on lui conte, et qui n'a pas d'attachement qui lui fasse peine. [R]]Pour une certaine coquette Il tient la chose fort secrète Car on dit qu'il veut l'épouser, Moi je veux sans temporiser Lui montrer avant qu'il l'épouse Ce que peut une âme jalouse. POLYCARPE. Il te méprise ce fripon, Ah que ne suis-je encore garçon, Que n'ai-je ma vigueur première [Note : Rapière : Épée longue et affilée. [L]]Avec ma grande rapière. [Note : Arquebuse à croc : Ancienne arme à feu. Arquebuse à croc, grosse arquebuse que l'on appuyait sur un croc pour tirer. [L]]Et ma vieille arquebuse à croc [Note : Hoc : Sorte de jeu de cartes. Il a donné naissance à cette locution proverbiale ? cela lui est hoc, lui est assuré. [FC]]Ma foi la mort lui serait hoc S'il en réchappait je te jure, [Note : Cure : Traitement, pansement de quelque maladie ou blessure. [FC]]Ce serait une belle cure Mais n'étant plus dans ma verdeur [Note : Bretteur : Celui qui porte une brette, qui aime à se battre et à ferrailler. [F]]Il faut chercher quelque bretteur Qui lui donne dans la bedaine [Note : Olinde : Terme de Fourbisseur. Sorte de lame d'épée qui est des plus fines et des meilleures, et qui a pour marque une corne. [T]][Note : Vienne : Espéce de laine d'épée qu'on fait à Vienne en Dauphiné, et dont elle a retenu le nom. [T]]D'une olinde, ou d'une vienne, Ou d'un pistolet, me chaud peu Qu'il meure ou de fer ou de feu Lui que je voulais pour mon gendre [Note : Esclandre : Accident fâcheux qui trouble le cours d'une affaire, qui fait de l'éclat, et qui est accompagné de quelque honte. [FC]]T'a fait cet affront, cet esclandre, Il en périra le pendard Mais laissons ces discours à part Et voyons ce qu'il nous faut faire Pour au plutôt nous en défaire Il faut avant qu'il soit demain [Note : Goût du pain : Populairement. Faire passer, faire perdre le goût du pain, tuer. [L]]Lui faire perdre le goût du pain. Tu viens de me faire ta plainte, Mais apprends que j'ai l'âme atteinte D'un mal aussi grand que le tien. Et qui pourtant ne sera rien, [Note : Valetaille : Nom collectif et terme odieux, qui signifie une troupe de valets. [F]]Que maudit soit la valetaille. La sotte vengeance et la canaille Qui ne sert qu'à boire et manger Et souvent nous fait enrager ; Sachez que Guillot cet ivrogne [Note : Trogne : Terme familier et de moquerie. Visage. [L]]Dont je veux maltraiter la trogne M'a fait recevoir un affront Qui n'a jamais eu de second Pour ragaillardir ma vieillesse. J'avais prié quelque jeunesse De venir dîner avec moi. Sais-tu ce qu'il m'a fait ? ANGÉLIQUE. Et quoi ? POLYCARPE. Au lieu de songer à nous faire Un morceau de bonne chère Comme j'avais su l'ordonner Il n'a pas cessé d'ivrogner Durant toute la matinée Enfin quand l'heure fut sonnée Ces gens viennent à grand bruit Pensant que le dîner fut cuit, Se promettant sur ma pierre De faire la débauche entière. Même croyant tout apprêté [Note : Bénédicité : Mot latin, que l'usage a rendu français. Prière qu'on fait avant les repas. [FC]]Disent leur bénédicité Mais trouvant tout plus froid que glace [Note : Grâce : Prière que l'on fait après le repas. Dire grâces avant le bénédicité, intervertir l'ordre des choses, et, par exemple, vivre maritalement avant d'avoir contracté le mariage. [L]]Leur emploi fut de dire grâce ; Ainsi nous eûmes tous l'honneur [Note : Dîner par coeur : se passer involontairement de dîner. [L]]De dîner ensemble par coeur Ce qui m'émeut encor la bile [Note : Fat : Sot, sans esprit, qui ne dit que des fadaises. [L]]C'est que ce fat, ce malhabile Me fit un tour ces jours passés [Note : Pot cassé : Il en payera les pots cassés, il supportera les frais du dommage qu'il a causé. [L]]Dont il paiera les pots cassés. Comme j'avais ma sciatique [Note : Ventre : Le ventre considéré par rapport aux fonctions d'évacuation qu'il accomplit. Cet aliment lâche le ventre. Décharger son ventre. Le flux de ventre, le cours de ventre. [L]]Mon cours de ventre, ma coliqueAvec mon grand mal de dents, Mes ordinaires accidents Mon rhume, ma toux, ma migraine Ma fluxion, ma courte haleine Ma palpitation de coeur Bien loin de plaindre ma douleur [Note : Carrière : Familièrement. Se donner carrière aux dépens de quelqu'un, le railler sans aucune retenue. [L]]Le traître se donnait carrière [Note : Bière : Coffre où l'on enferme un mort. ]Et me souhaitait dans la bière En me disant que mon trépas Ne s'avançait qu'à petit pas, Vois si j'ai lieu d'être en colère C'est pourquoi je m'en veux défaire Sais-tu bien ce que nous ferons Pour nous venger de nos affronts La Rocque t'a fait un outrage Moi Guillot un, de quoi j'enrage Il faut pour nous bien venger d'eux Les faire entrebattre tous deux Guillot ne ses voudra pas battre La Rocque assez opiniâtreImprimera sur son minois La figure de ses cinq doigts Guillot vomira quelque injure L'autre assez fougueux je m'assure Lui donnera de la façon [Note : Estramaçon : Estramaçon, était autrefois une sorte d'épée. [L]]Quelque grand coup d'estramaçon De ce coup proviendra la fièvre Guillot étourdi comme un lièvre Malgré l'avis du Médecin Voudra toujours boire du Vin Fièvre et vin brûlant ses entrailles Avanceront ses funérailles Car sans doute qu'il en mourra Je serai satisfait par là Pour te venger sans plus attendre La Rocque après nous ferons pendre Voilà les moyens Importants De nous rendre tous deux contents. ANGÉLIQUE. Mais comment ferons-nous mon Père ? POLYCARPE. Voici ce que nous devons faire [Note : Martel en tête : Fig. Inquiétude, ombrage, souci. Fig. Inquiétude, ombrage, souci. [L]]Sans nous mettre en tête martel [Note : Cartel : Défi par écrit pour un combat singulier. [FC]]Il faut envoyer un cartel Par Guillot au Sieur de la Rocque. ANGÉLIQUE. Il craint trop d'avoir sur la toque Il n'y voudra jamais aller. POLYCARPE. Il lui faudra dissimuler Que ce soit pour une querelle : Dis-lui que ta peine est mortelle De ne voir point ton cher amant, Qu'en ce billet est le tourment, Que tu souffres de son absence, Que tout ton bien est sa présence, Aussitôt il le portera. ANGÉLIQUE. Vous avez raison il ira, J'avais déjà bien su l'écrire, Mais à Guillot je n'osais dire Qu'il l'allât porter en ce jour Qu'en le nommant billet d'amour Et n'aurais pas osé le faire Sans avoir l'aveu de mon Père. Mais enfin puisque vos bontés Me lèvent ces difficultés. Allez laissez à mon adresse Le soin d'achever cette pièce Je veux entretenir Guillot. SCÈNE II. Angélique, Guillot. ANGÉLIQUE. Guillot, écoute un petit mot. GUILLOT. Que vous plaît-il notre Maîtresse. ANGÉLIQUE. J'aurais besoin de ton adresse Pour porter ce petit poulet, GUILLOT, le mettant à terre et l'appelant. Petit, petit, petit follet, [Note : Poulet : Fig. Billet de galanterie, missive d'amour. [L]]Un poulet souffrez que j'oppose [Note : Drôlesque : chose drôle, hilarante.]À cette drôlesque de chose Que qui vivrait de ce gibier Ferait des repas de papier C'est avoir l'âme bien burlesque Qu'appeler de ce nom grotesque Un papier, poulet vient d'un oeuf Envoyez-lui plutôt un boeuf, Étant une plus grosse bête Le présent sera plus honnête. ANGÉLIQUE. Ce que tu dis, ne sert de rien, Mais Guillot écoute-moi bien. C'est là que sont toutes mes peines. Lui montrant le billet. GUILLOT. C'est assez de porter les miennes Portez les vôtres s'il vous plaît. ANGÉLIQUE. Tu ne comprends pas ce que c'est Sache donc que je te veux dire Qu'en ce billet est mon martyre. GUILLOT. Et pourquoi me martyriser Suis-je un homme à m'aller briser Sous le faix de votre martyre De mes maux ce serait le pire, J'aime beaucoup mieux voir le jour. ANGÉLIQUE. Gros sot c'est un billet d'amour Écrit à Monsieur de la Rocque Porte-lui, ton discours me choque Laisse là tous tes quolibets Ce sont mes amoureux secrets. GUILLOT. Ah vous êtes amoureuse, Vous qui faites la précieuse Il fallait sans dissimuler Me dire le tout sans parler. ANGÉLIQUE. Encore un coup, porte ma lettre Guillot, et je te puis promettre Que la Rocque, t'embrassera Du moment qu'il la recevra Rends-moi donc vite cet office. GUILLOT. J'y vais. Guillot va du côté que la Rocque entre, et ne le voyant pas lui donne de la tête dans le ventre. SCÈNE III. Guillot, la Rocque. GUILLOT. Le Destin m'est propice Monsieur de vous trouver ici Lisez la Lettre que voici D'Angélique votre Maîtresse J'allais chez vous avec vitesse Pour vous la porter promptement. LA ROCQUE. Elle m'oblige infiniment. GUILLOT interrompant la Rocque alors qu'il veut lire. Si tout haut vous la vouliez lire Pour me pouvoir apprendre à dire Ces beaux mots qu'on dit en amour Afin de m'en servir un jour Car ma Maîtresse est éloquente. LA ROCQUE. Ah ! Je sais qu'elle est fort savante Oui, je vais la lire tout haut Mais avant que la lire, il faut Mon cher Guillot qu'on promette De tenir la Chose secrète. GUILLOT. Monsieur je serai fort discret Confiez-moi votre secret Vous n'en aurez jamais reproche. LA ROCQUE. Écoute donc Guillot, approche Et conçois bien tous ces grands mots. GUILLOT, l'interrompant. Ma Maîtresse n'a nul défaut Elle est aussi belle qu'aimable Elle a de l'esprit comme un Diable. LA ROCQUE, voulant lire. Il est vrai. GUILLOT. Ses mots sont charmants Plus que le style des romans Elle a lu. LA ROCQUE. Te voudrais-tu taire. GUILLOT. [Note : La Serre Jean Puget de (1600-1665) : auteur de pièces de théâtre et de ballets.][Note : Balzac (Jean-Louis Guez de) (1594- 1660 ??) membre de l'académie française a écrit beaucoup de lettres, défenseur de Corneille. ]Les oeuvres de Seigneur de la Serre, De Balzac, et de Scudéry Peste elle a l'esprit bien fleuri [Note : Scudéry (Georges de) (1601-1667) écrivain français auteur de pièces de théâtre, adversaire de Pierre Corneille. Sa soeur Madeleine (1607-1701) était également écrivain et publia plusieurs romans. ]Et sait parfaitement écrire. LA ROCQUE. Mais si vous ne me laissez lire Je me fâcherai contre vous. GUILLOT. Elle a le langage fort doux Enfin elle sait toute chose Elle a lu les Métamorphoses Et les plus célèbres écrits L'histoire de Jean de Paris Celle de Pierre de Provence, C'est un abîme de science Aussi chacun en fait grand cas Elle a lu tous les Almanachs Et d'Ésope toute la fable Même jusqu'à Robert le Diable C'est un miracle en raccourci. LA ROCQUE. Sais-tu fat, que je vois ici Qu'au lieu de lire haut la lettre Comme tu me l'as fait promettre Que tu n'en auras pas le bien. GUILLOT. Monsieur je ne dirai plus rien Lisez haut je vous en conjure. LA ROCQUE. Lisons. Il lit.Monsieur touchant l'injure Que vous me fîtes hier au soir Ce billet vous fera savoir M'ayant tout à fait outragée Que je veux en être vengée. Si Guillot vous trouve aujourd'hui Coupez-vous la gorge avec lui Voilà ce que dans ma colère Mon coeur avec plaisir espère. [Il interrompt la lecture et s'adresse à Guillot.]Guillot, ta Maîtresse me fait Une querelle sans sujet, Car je n'ai jamais eu pour elle Qu'un amour constant et fidèle Et si l'honneur n'était moins cher Je savais fort bien m'empêcher. Par le respect que je lui porte, De suivre l'ardeur qui m'emporte Mais puisqu'il y va de l'honneur Je ne puis sans manquer de coeur Refuser de la satisfaire Guillot terminons cette affaire Puis après nous saurons en quoi Ta Maîtresse se plaint de moi Il faut à son billet souscrire. GUILLOT, lui arrachant le Billet. Donnez, vous ne savez pas lire Qui moi, vous couper le Gosier Je ne suis point un meurtrier, Je suis trop ami de nature. Voyons. Il lit.Monsieur touchant l'injure Que vous me faites hier au soir, Ce Billet vous fera savoir. M'ayant tout à fait outragée Que je veux en être vengée Si Guillot vous trouve aujourd'hui Coupez-vous la gorge avec lui Voilà ce que dans ma colère Mon coeur avec plaisir espère [Il interrompt la lecture. ]Voilà le malheureux Guillot [Note : Mufle : Mot bas et burlesque pour dire le nez avec toute la partie exterieure de la bouche. [R]]Pris par le mufle comme un sot Que ferai-je ? Ah ! Maudite fille[Note : Soudrille : Terme de mépris. Soldat libertin, fripon. [FC]]Quoi me prendre pour un soudrille M'envoyer porter un poulet, [Note : Couper le sifflet : couper la gorge, tuer. [L]]Pour couper mon pauvre sifflet Vit-on jamais une maîtresse Être à son Valet plus traîtresse Non Monsieur n'ayez point de peur Je ne suis point gladiateur Ce n'est pas manque de courage Mais je n'aime point le carnage Et puis je sais trop mon devoir Je vous souhaite le bonsoir. LA ROCQUE. Allons vite il en faut découdre. GUILLOT. Monsieur je ne puis m'y résoudre Ce sera pour une autre fois. LA ROCQUE. Ah ! Cela n'est pas à ton choix Il faut qu'il t'en coûte la vie. GUILLOT. Mourir je n'en ai point d'envie Je ne suis pas en bon état. LA ROCQUE. Quoi tu refuses le combat Il faut vider notre querelle. GUILLOT. Monsieur j'entends que l'on m'appelle Laissez-moi sortir s'il vous plaît. LA ROCQUE. Ah ! Guillot, je vois ce que c'est Ta mémoire ailleurs occupée T'a fait oublier ton épée Va la prendre, et reviens ici Je reviendrai sans faute aussi Cependant nous allons nous battre Ici près quatre contre quatre J'en vais deux ou trois embrocher Puis je te viendrai de pêcher Mais si tu manques de t'y rendre Au premier jour tu dois attendre D'avoir mille coups de ma main Adieu Guillot jusqu'à demain. SCÈNE IV. GUILLOT, seul. [Note : Avaleur de Charrette : Fig. et familièrement. Un avaleur de charrettes ferrées, un fanfaron. [L]]Ah ! Quel avaleur de charrette [Note : Brette : Estocade, épée qui est plus longue que celle que les gentilshommes portent d'ordinaire. [F]]Et quelle épouvantable brette Porte cet abatteur de bras, Va si j'y viens tu m'y prendras, Je croyais qu'il m'allait dissoudre D'un seul de ses regards en poudre De la façon qu'il m'a pressé J'ai cru que j'étais fracassé Encore n'en sais-je rien, je pense Qu'il m'a fait insulte à la panse. Mais non il ne m'a point touché, M'en voilà quitte à bon marché [Note : Astaro : Sans doute Astaroth. Dans la religion des peuples de la Syrie, nom d'une divinité, la même que Astarté. [L]]Je veux bien qu'Astaro me gratte Si je retombe sous sa patte Il n'en ferait pas à deux fois N'est-ce pas lui que je revois Non c'est notre bonne maîtresse Ah ! Vous voilà double traîtresse Qui Diable dirait à la voir Qu'elle eût un si malin vouloir. SCÈNE V. Angélique, Guillot. ANGÉLIQUE. Ah ! Dieu vous gard la Guillotière. GUILLOT. Ah, Dieu vous gard la meurtrière Qui risquez un pauvre garçon Contre un Roland, contre un Samson. C'est un Billet doux disait-elleEt c'est ma sentence mortelle, À moi votre pauvre valet. À moi plus simple qu'un poulet Qu'on amuserait d'un grain d'orge M'envoyer me couper la gorge. Allez vous avez grand tort. ANGÉLIQUE. Quoi tu crains la Rocque si fort ? Que ta personne est idiote [Note : Pagnote : Un Gentilhomme pagnote est fort méprisable. On ne trouve point étrange qu'une femme soit pagnote, soit peureuse, qu'elle ait peur des épées, des esprits. [F]]Sais-tu que ce n'est qu'un pagnote Que s'il t'avait seulement vu Faire un moment le résolu Il serait mort dessus la place, Sa bravoure n'est que grimace, S'il t'avait vu l'épée en main Il se serait enfui soudain, Comme il me fait une Injustice Je veux que la peur l'en punisse, Fais-lui donc plutôt que plus tard, Prends cette épée et ce poignard Et t'en va le trouver sur l'heure Tu lui diras qu'il faut qu'il meure ; Lui tout étourdi de ce mot Tâchera d'apaiser, Guillot ; Mais si tu feins d'être en colère, Jurant, pestant comme il faut faire, Tu le verras courir bien fort. GUILLOT l'épée à la main. S'il s'enfuit sans doute il est mort. En honnête homme par derrière, Zeste un grand coup de ma rapière, Puis je lui couperai les bras ; Mais aussi s'il ne s'enfuit pas. Alors ce sera bien le diable. ANGÉLIQUE. C'est une chose indubitable Te voyant il mourra d'effroi, Adieu. GUILLOT. Reposez-vous sur moi, Je vous dis pourvu qu'il s'en aille. ANGÉLIQUE. Tu seras vainqueur sans bataille, Tiens-toi tout certain de cela. GUILLOT. Vous m'assurez qu'il s'enfuira, Car si tantôt il faisait rage. Angélique s'en allant. Il mourra de peur. SCÈNE VI. GUILLOT, seul. C'est dommage Le pauvre garçon, je le plains S'il faut qu'il tombe entre mes mains. Le voici : tenons mine fière [Note : Croupière : Morceau de cuir rembourré, que l'on passe sous la queue d'un cheval, d'un mulet, etc. et qui tient à la selle, au bât, au harnois. [Acad. 1762]]La peur lui serre la croupière De me rencontrer sur ses pas. SCÈNE VII. Guillot, la Rocque. LA ROCQUE. Ah ! Vous voici donc pourpoint bas Vous êtes un fort galant homme, Çà vite que je vous assomme, Déboutonnez donc le pourpoint. GUILLOT. Cet homme ne s'enfuira point, Diable que sa fierté m'afflige, Il ne s'enfuira pas vous dis-je. LA ROCQUE. Vidons notre affaire, et sans bruit. GUILLOT. [Note : Diablezot : sorte d'exclamation du langage familier, signifiant vous ne m'y prendrez pas, je ne suis pas assez sot pour cela. [L]]Au diablezot comme il s'enfuit. LA ROCQUE. Songez mon brave à vous défendre, Dépêchons, et sans plus attendre Vous en mourrez je vous promets. GUILLOT. Non il ne s'enfuira jamais Je donne au diable la maîtresse L'âme damnée, et la tigresse, Qui m'a donné ce chien d'emploi Pour se défaire ici de moi. LA ROCQUE. Ah ! Je n'aime point qu'on retarde Là courage, êtes-vous en garde Si vous ne voulez vous presser Je vous vais les bras fracasser Vous éprouverez ma furie. GUILLOT. Il n'entend point de raillerie, Ah ! Monsieur me voilà tout prêt Mais enfuyez-vous s'il vous plaît. LA ROCQUE. Quoi faquin vous avez l'audace, De me croire l'âme si basse C'est à ce coup qu'il faut mourir. GUILLOT. Cet homme qui devait courir Voyez s'il branle de sa place. LA ROCQUE. Comment je vous vois tout de glace Essayons donc avec ce fer Si nous pourrons vous réchauffer. GUILLOT. Je croirai faire des merveilles Si j'en sors pour mes deux oreilles, Mais si je m'emportais aussi Peut-être il s'enfuirait d'ici, Prenons notre humeur fulminante, Ah ! Si je prends ma massacrante Je vous en donnerai cent coupsEt je vous ferai filer doux. LA ROCQUE. Allons c'est ce que je demande. GUILLOT. S'il s'enfuit je veux qu'on me pende Cet obstiné veut m'enfiler Auparavant que s'en aller ; Continuons notre arrogance [Note : Outrance : Il n'est usité que dans ces locutions adverbiales : à outrance, à toute outrance, jusqu'à l'excès. [L]]Je suis un brave à toute outrance [Note : Flamberge : Nom donné quelquefois à l'épée du paladin Roland (le nom de Durandal est beaucoup plus commun, surtout dans les textes modernes), et à celle de Renaud de Montauban, l'aîné des quatre fils Aymon, dans les romans de chevalerie. Mettre flamberge au vent, tirer son épée. [L]]Et si je mets flamberge au vent Tu perdras le nom de vivant, Avant ces malheurs sanguinaires Donne donc ordre à tes affaires, Et touchant ton dernier moment Songe à faire ton testament, Voilà l'ordre que tu dois suivre Étant près de cesser de vivre Car je te vais exterminer. LA ROCQUE. Et moi je m'en vais donner De l'épée au travers le ventre, C'est à ce coup qu'il faut qu'elle entre Prends garde à toi. GUILLOT. Double faquin, Attends je ne suis pas en main, Prends ce côté je prendrai l'autre C'est là que la Victoire est nôtre. Il échange de côté.Si tu m'en crois ne te bats point. Tu seras sot au dernier point, Si tu dégaines contre un homme, Qui ne se bat point qu'il n'assomme, La pitié me parle pour toi Retire-toi de devant moi. Sur mon âme je désespère De t'immoler à ma colère, [Note : Gagner au pied : Familièrement. Gagner le large, gagner au pied, gagner la guérite, gagner au haut, le haut, gagner les champs, le taillis, c'est-à-dire s'enfuir, s'esquiver. [L]]Songe donc à gagner au pied Ou tu vas être estropié, Si j'entre en garde meurtrière Te voilà dans le Cimetière ; Car j'ai le bras si vigoureux Que qui s'en pare est bien heureux Dès que ma valeur s'évertue Que je vais sur le pré je tue, Et si je fais le moindre effort Contre un homme, il est homme mort. Regarde ce que tu veux faire. LA ROCQUE. Te tuer pout me satisfaire. GUILLOT. Puis après tu seras pendu Le vers suivant est dit à part.Ah ! Pourquoi suis-je ici venu. Je vais des pieds jusqu'à la tête Te pourfendre comme une bête, Dedans mon furibond transport. LA ROCQUE. Ah ! Par le ventre, par la mort. GUILLOT, se laissant tomber de peur. Ah ! Ma pauvre âme est délogée De cette Estocade allongée, Non, elle est encor dans mon corps, Je croyais être au rang des morts Et j'en ai la hanche rompue. LA ROCQUE. Lève-toi donc que je te tue. GUILLOT, à terre. Oui c'est pour me faire lever Que de me vouloir achever, Et si je demeurais à terre Me ferais-tu toujours la guerre ? LA ROCQUE. Non, sur mon honneur, j'ai juré Que jamais je n'affronterai Personne avec cet avantage. GUILLOT, à terre. Si bien que ton honneur t'engage Ce dis-tu de ne tuer pas Un homme quand il est à bas. LA ROCQUE. Plutôt la mort mon sort achève. GUILLOT se couchant. Diable emporte si je me lève, Messieurs ne faites point de bruit Je dors, bon soir et bonne nuit. LA ROCQUE. Ah ! C'est par trop d'impertinence Qu'abuser de ma patience Si je laisse aller ma fureur Je pourrai bien. GUILLOT. Garde l'honneur Et souviens-toi qu'il t'intéresse À ne point faire de bassesse. LA ROCQUE. Non, je te jure et te promets Guillot de n'en faire jamais. GUILLOT. De sorte que de ta vie Tu n'exerceras ta furie Sur moi d'aucun estramaçon Me tenant de cette façon ? LA ROCQUE. Non, ni d'autre coup je te jure Car c'est une lâcheté pure Que battre un homme en cet état. GUILLOT. Sais-tu bien que tu n'es qu'un fat [Note : Bélître : Coquin, gueux, homme de néant. [FC]]Un coquin, un bélître, un traître, Et que tu n'oserais paraître Jamais devant les braves gens, Tu fais le brave à contretemps. LA ROCQUE. Je ne puis souffrir cet outrage. GUILLOT. Songe à quoi ton honneur t'engage Homme lâche, infâme, sans coeur. LA ROCQUE. Ah ! C'en est trop. GUILLOT. Garde l'honneur Me tuant dessus cette place Tu ternirais toute la race. LA ROCQUE. Je vais feindre de m'esquiver Afin qu'il se puisse lever Allons jusques dehors la porte. GUILLOT. Va que le grand diable t'emporte [Note : Fondre : S'abîmer, s'écrouler. [L]]Enfin fonde l'enfer tout droit Je savais bien qu'il s'enfuirait. LA ROCQUE. Ah ! Par le ventre, par la tête. GUILLOT. [Note : Malepeste : Imprécation qu'on fait contre quelque chose, et quelquefois avec admiration. [F]]Malepeste soit de la bête Je crois que je suis étripé Dites, Messieurs, m'a-t-il frappé Demandé sous la galerie Si mon âme n'est point flétrie ; Mais c'est trop faire le poltron Il faut se battre tout de bon Je m'en vais te donner prends garde [Note : Moutarde : Par une plaisanterie grossière, le baril de moutarde, le derrière. [L]]Dans le baril à la moutarde, [Note : Fendant : Il ne se dit que dans cette locution proverbiale, faire le fendant, le résolu, l'entendu. [FC]]Sache que je suis un fendant. LA ROCQUE. Et moi, sache que maintenant Quoique tu croies être invincible Te percer à jour comme un crible, Allons, ferme tiens-toi gaillard. GUILLOT. Ah ! Tu me presses trop pendard. LA ROCQUE. Comment ! Encor l'on m'injurie. GUILLOT. Tais-toi, je te donne la vie, Va dis à tous les Gens d'honneur, Que je suis un homme de coeur, [Note : Nique : Il ne se dit qu'en cette locution du style familier, faire la nique à... Mépriser ; se moquer, ne pas se soucier de... [FC]]Et qu'à vaincre je fais la nique. LA ROCQUE. Et toi dis à mon Angélique Que lorsqu'elle m'écoutera, Sa mauvaise humeur passera, Adieu brave la Guillotière. GUILLOT. Si mon âme n'eût été fière Il ne m'aurait pas craint si fort. SCÈNE VIII. Angélique, Guillot, Polycarpe. POLYCARPE. Hé bien ! Qu'as-tu fait ? GUILLOT. Il est mort. POLYCARPE. [Note : Polacre : Cavalier Polonois. Régiment de Polaques. [Acad. 1762]]Ah ! Pauvre homme, comment polacre Avoir commis un tel massacre, Est-il mort sans avoir parlé ? GUILLOT. [Note : Sanglé : Fig. être sanglé, être perdu, ruiné, en tenir. [L]]Enfin c'est un homme sanglé. Il en vient d'avoir pour son compte. ANGÉLIQUE. Quoi traître n'as-tu point de honte De nous causer un tel malheur, Je te ferai pendre voleur. POLYCARPE. Et qu'as-tu fait des deux épées ? GUILLOT. Je les ai toutes deux passées, Tout au beau milieu de son corps Il les emporte là dehors, Quoique son mal soit incurable, Il s'en est enfui comme un diable. POLYCARPE. Mais je pense que je le vois, Oui c'est lui je le reconnais. GUILLOT. Il semble que ce soit lui-même. POLYCARPE. Enfin ma surprise est extrême, De le voir ressembler si fort Mais Monsieur n'êtes-vous pas mort. SCÈNE IX. Polycarpe, Angélique, Guillot, la Rocque. LA ROCQUE. Moi Monsieur, par quel artifice Je vis et pour votre service, Mais quel étonnement vous vient. GUILLOT. Ah ! C'est son Esprit qui revient Ou bien sa blessure est guérie [Note : Sympathie : Poudre de sympathie, poudre préparée avec du vitriol calciné au soleil, que l'on jetait sur le sang sorti d'une blessure, et que l'on prétendait guérir la personne blessée, quoiqu'elle fût éloignée. [L]]Par la poudre de sympathie, Car il était mort, comme il faut Et sans y trouver de défaut Mais que venez-vous ici faire Esprit malin mon adversaire. LA ROCQUE. Je viens rendre ces armes-ci À l'objet qui fait mon souci Je sais que j'ai pu vous déplaire Mais c'était sans penser le faire, On dit que ce qui fit mon mal C'est qu'hier au soir dans le bal, Je fis danser les autres dames Cela peut-il blesser nos flammes Je ne croyais pas vous fâcher Cessez de me le reprocher Mais à quoi songiez-vous cruelle, D'employer pour votre querelle Un Valet, ah ! C'est m'outrager, Un Valet pouvait-il venger Le digne objet de mon martyre, Mais je n'y trouve rien à dire, Et je ne veux rien condamner Quoi que vous vouliez m'ordonner Mais Monsieur pourrais-je vous faire À présent une humble prière De m'accorder en ce beau jour L'unique objet de mon amour. ANGÉLIQUE. Vous ne manquerez pas d'excuse, Pour nous faire approuver vos ruses Mais enfin par ces derniers mots Je me vois l'esprit en repos J'ai su qu'une flamme secrète Vous brûlait pour une coquette Et que... POLYCARPE. Laissons notre courroux Oui Monsieur ma Fille est à vous Et je vous en fais ma promesse Mais Guillot m'a fait une pièce Que je ne saurais oublier. LA ROCQUE. Monsieur j'ose vous supplier Puisque le bonheur nous assemble De pardonner le tout ensemble Il fera mieux à l'avenir. POLYCARPE. J'avais dessein de le bannir Mais pour l'amour de vous qu'il rentre. GUILLOT. Me voilà donc dedans mon centre D'être toujours votre Valet Mais n'envoyez plus de poulet Qui soit fabriqué de la sorte Ou vous chercherez qui les porteCar sachez que je n'aime pas L'amour à coups de coutelas. ==================================================