******************************************************** DC.Title = ALFONSE DIT L'IMPUISSANT, TRAGÉDIE EN UN ACTE DC.Author = COLLE, Charles DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:59:14. DC.Coverage = Portugal DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/COLLE_ALFONSE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ALFONSE DIT L'IMPUISSANT TRAGÉDIE EN UN ACTE M. DCC. XL. de Charles COLLÉ À ORIGÉNIE, Chez JEAN QUI-NE-PEUT, au Grand Eunuque. Représenté pour le première fois en 1737 en société à Bagatelle chez la Marquise de Mauconseil. ACTEURS ALFONSE, roi de Portugal. LÉONOR, reine de Portugal. ALVARÈS, beau-frère d'Alfonse, héritier présomptif de la couronne et désigné roi, si Alfonse n'a point d'enfant dans un an. ALCIMADURE, eunuque, premier ministre d'Alfonse. La scène est dans le palais de la reine de Portugal, dans le vestibule et dans sa chambre à coucher. D'après la Correspondance inédite de Collé, publiée par M. Honoré Bonhomme, Paris, 1864, Plon, 1 vol. in-80, page 578, cette pièce aurait été publiée chez Prault, en 1758, par les soins du duc de la Vallière, qui n'eut pas même la politesse de lui en envoyer quelques exemplaires. Du reste, Collé dit qu'il y a fait, depuis, de légers changements; et nous donnons ici sa dernière rédaction. Les exemplaires de cette petite tragédie sont devenus extrêmement rares. SCÈNE I. ALCIMADURE, seul. Les États, en tumulte, assemblés dans Lisbonne,Au perfide Alvarès assurent la couronne,Si, dans un an, le roi ne donne au PortugalUn enfant qui du trône exclura son rival.Pour tromper Alvarès j'entre en sa confidence, Et ma feinte amitié gagne sa confiance.Mais je le hais autant que je l'aimais jadis :Le crime ne peut pas conserver des amis.Pour perdre ce rival et pour servir Alphonse,Il n'est rien sous les cieux à quoi je ne renonce. Mais, au sein des grandeurs et favori du roi,Qui des soins de l'État se repose sur moi,Qui croirait qu'en secret le pauvre AlcimadureRessentit des malheurs dont frémit la nature ;Malheurs qu'en cette Cour on n'a point découverts, Et que j'ai su cacher aux yeux de l'univers?Dès mes plus jeunes ans, amené dans Byzance,Des monstres prirent soin d'élever mon enfance,Et, sans pitié, sur moi portant leur cruauté,M'enlevèrent le sceau de la virilité. Leur aveugle fureur, leur noire barbarieAux horreurs d'un sérail consacrèrent ma vie,Et, pour m'anéantir sans me priver du jour,Ne laissèrent chez moi nulle prise à l'amour.Depuis ce temps affreux, en horreur à moi même, Rien ne peut adoucir mon infortune extrême.Loin de moi pour toujours s'envola le plaisir :J'en cherche en vain l'image et ne puis la saisir.Le désespoir souvent malgré moi me surmonte,Et ma ressource unique est de cacher ma honte. Mais le roi vient. SCÈNE II. Alcimadure, Alfonse. ALCIMADURE. Seigneur, tous ces bruits incertains. ALFONSE, l'interrompant. Le sceptre va bientôt passer en d'autres mains.Tu sais depuis quel temps un stérile hyménéeAu sort d'une princesse unit ma destinée.Je me plaignis en vain, par un subtil détour, Qu'elle ne donnait point de fruits à mon amour :Quand j'épousai la reine, elle était mère et veuve ;De sa fécondité l'Espagne avait la preuve.Je fus accusé seul, et le peuple indécentMe surnomma dès lors Alfonse l'Impuissant. À quoi n'eut pas recours ma honteuse industrie ?Je prenais mon néant pour une léthargie :Juste ciel ! Que ne puis-je oublier cette nuitQui de mon triste sort ne m'a que trop instruit !Tout inspirait l'amour dans cette nuit fatale ; Vingt lustres éclairaient la couche nuptiale.Flore l'embellissait des plus brillantes fleurs,Et Zéphyre exhalait ses plus douces odeurs.Sur le lit conjugal, la reine, à demi nue...Ô ciel ! Que de beautés elle offrait à ma vue ! Pour un corps tout de glace inutiles trésors !Peins-toi, si tu le peux, ma rage, mes transports.Sans cesse complaisante et sans cesse trompée,La Reine, au fond du coeur mortellement frappée,Disait que : « Pour moi seul, sensible à mon malheur, Elle bornait l'amour aux seuls plaisirs du coeur. »Son dépit, qui perçait à travers ce langage,Redoublait ses appas, ma honte et son outrage...Malheureux ! La nature, en me formant le corps,Des sources de la vie a rompu les ressorts. Rien n'a pu surmonter sa haine opiniâtre.Ah ! Nature ennemie ! Ah ! Nature marâtre !Fallait-il me priver de mes droits les plus doux !Du dernier des humains je dois être jaloux ;Le plus vil des mortels jouit de l'avantage Dont tu n'as pas daigné me faire aucun partageDe ton avare main je n'ai pu l'obtenir.Pourquoi me commencer et ne me pas finir ?Ne m'as-tu donc formé que pour être sans cesseTon opprobre et celui de toute notre espèce ? Tu ne m'as fait sortir du néant qu'à moitié ;Ah ! Tu devais du moins m'y laisser par pitié. ALCIMADURE. Infortuné, quel sort ! ALFONSE. Alvarès, mon beau-frère,Couvrant ses noirs projets du voile du mystère,Fomente une révolte ; Alvarès, triomphant, Dans un an sera roi, si je n'ai point d'enfant.J'apaise, pour un temps, les États qu'il soulève ;Pour faire un héritier, on m'accorde une trêve,Une trêve d'un an. Ciel ! Que ce terme est court !Pour me désespérer, aujourd'hui tout concourt : La reine, dont en vain j'ai tenté la sagesse,D'une austère vertu conserve la rudesse. ALCIMADURE. Seigneur, avec plus d'art il faut la ménager :La vertu, dans son sexe, est la peur du danger.Avec vous sur l'honneur elle s'est retranchée : Un autre qu'un époux l'eût moins effarouchée.Si, lui faisant parler par un amant discret,Vous-même paraissiez ignorer son secret,Peut-être alors la reine, à l'ombre du mystère,Au gré de vos désirs deviendrait moins sévère. ALFONSE. Non ; j'en ai fait l'épreuve, et d'un facile épouxAffectant à dessein les dehors les plus doux,Je pensais entrevoir, et j'avais lieu de croireQue la Reine, en secret, travaillait à ma gloire :J'en attendais le fruit d'un amour clandestin. Mais admire avec moi la rigueur du destin,Jusqu'où va la fureur de son aveugle rage !Dans mon royaume entier, ma femme seule est sage.C'est pour moi seul qu'est fait un semblable malheur,Et les autres époux sont comblés de bonheur ! ALCIMADURE. Rien ne peut-il calmer l'ennui qui vous possède ? ALFONSE. À mon malheur, ami, je ne vois qu'un remède. ALCIMADURE. Eh quoi ! Seigneur ?... ALFONSE. Écoute. Un sujet tel que toiDu fardeau de l'hymen doit soulager son roi. ALCIMADURE. Seigneur, que dites-vous ? ALFONSE. Dès que la nuit plus sombre, Aux larcins des amants aura prêté son ombre,Mes ordres sont donnés, par des détours secretsTu pourras pénétrer au fond de ce palais(L'intérêt de l'État sur mon honneur l'emporte !):Une dame d'honneur viendra t'ouvrir la porte. Dans le lit de la Reine entre sans nul effroi;Fais ce que, jusqu'ici, n'a pu faire ton roi.Ami, dompte pour moi la nature rebelle,Et songe à bien remplir une place si belle.Observe avec la reine un silence profond ; Peut-être voudra-t-elle examiner à fondCe qui produit en moi de si puissants miracles ;Mais agis sans parler, force tous les obstacles,Trouve l'art enchanteur de la passionner,Et ne lui laisse pas le temps de s'étonner. ALCIMADURE. Seigneur. ALFONSE. Pour me servir, va, redouble ton zèle,Je ne puis mieux choisir qu'un sujet si fidèle.Au reste, tu conçois qu'un semblable projetExige du ministre un éternel secret,Et que, pour juste prix d'une folle imprudence, La mort suivrait de près la moindre confidence. ALCIMADURE. Mais, Seigneur... ALFONSE. Tranche ici des discours superflus. ALCIMADURE. Je me jette à vos pieds. ALFONSE. Je ne t'écoute plus. ALCIMADURE. Ah ! Souffrez qu'un sujet à vos genoux s'explique. ALFONSE. Alcimadure, un Roi ne veut point de réplique : Un sujet doit voler à son moindre désir,Et son premier devoir est celui d'obéir. Le roi sort. SCÈNE III. ALCIMADURE, seul. Juste ciel ! Et comment veux-tu que j'obéisse ?Hélas ! C'est ordonner ma honte et mon supplice.Si la nature en toi n'a pas mis ce qu'il faut, Le sort a mis en moi la nature en défaut.Cruel ! Ai-je de quoi contenter ton envie ?Mais si j'eusse parlé, c'était fait de ma vie.Sa politique adroite eût voulu me punirDe savoir son secret sans pouvoir le servir. Ce maître soupçonneux m'en aurait fait un crime,Et peut-être déjà j'en serais la victime !Essayons, pour sauver Alfonse et son honneur,Si la Reine voudrait... Elle paraît... SCÈNE IV. Léonor, Alcimadure. LÉONOR. Seigneur,J'ai cru trouver le roi dans ces lieux. ALCIMADURE. Ah ! Madame, En faveur d'un époux laissez fléchir votre âme :C'est à vous d'apaiser les troubles de l'État.Confondez Alvarès et son lâche attentat,Et, rendant de la paix l'espérance moins frêle,Donnez un héritier au roi, sans qu'il s'en mêle. LÉONOR. Interprète d'un roi par la crainte abattu,Te serais-tu flatté d'ébranler ma vertu,Ou le roi, se servant de ta coupable adresse,Croit-il avec plus d'art attaquer ma sagesse ?Jointe au Roi par l'hymen, j'ai rempli mon devoir, J'ai fait ce que j'ai dû : c'est à lui de pouvoir.Si le crime peut seul conserver ma couronne,Pleine d'un noble orgueil, je descendrai du trône.Le ciel ne nous fit pas pour régner tous les deux ;Mais le ciel nous créa pour être vertueux. Dût contre ma vertu s'armer toute la terre,Je ne brûlerai point d'une flamme adultère,Et, quels que soient du ciel les décrets éternels,Nous serons malheureux, et non pas criminels. ALCIMADURE. L'aveu de votre époux n'ôte-t-il pas le crime ? De ces grands sentiments vous serez la victime,Madame, et, regrettant mes avis négligés,Un jour vous reviendrez de tous vos préjugés.Laissez-les gouverner le stupide vulgaire,Qui, même sur ce point, déjà ne l'est plus guère. Dans ce siècle éclairé, chacun est rebattuQu'un si vain préjugé n'est pas une vertu.Quel tort à votre époux un amant peut-il faire ?Madame, il cède un bien dont il n'a point affaire,Un bien dont il a droit de pouvoir ordonner. LÉONOR. Oui, ce bien est à lui ; mais peut-il le donner ?Lui seul en doit jouir, et ses ordres suprêmes. ALCIMADURE. Les rois ne peuvent pas tout faire par eux-mêmes.Tout se rapporte au Roi, sans qu'il en soit l'auteur :Il traite de la paix par un ambassadeur; C'est par ses généraux qu'il gagne des batailles,Qu'il force des remparts, qu'il abat des murailles ;C'est en s'associant des ministres prudentsQu'il règle le dehors, et conduit le dedans.Tout se fait en son nom, et tout tourne à sa gloire ; L'histoire de son temps devient sa propre histoire.Ainsi, les héritiers que vous aurez sans luiSont à lui comme à vous bien qu'ils viennent d'autrui LÉONOR. Penses-tu m'éblouir par ces raisons forcéesEt par l'éclat trompeur de tes fausses pensées ? Ma vertu, mon honneur... ALCIMADURE. L'opinion d'autruiEst ce qui fait l'honneur des femmes d'aujourd'hui.D'une femme galante à celle qu'on croit sage,Toute la différence est le secret... LÉONOR. L'outragePeut-il aller plus loin ? ALCIMADURE. Dans un amant discret, Vous trouverez, Madame, à l'ombre du secret,Les plaisirs les plus vifs, sans perdre de l'estime. LÉONOR. Le crime qu'on ignore en est-il moins un crime ?C'est peu que les mortels soient contents de mes moeurs,Je prétends être sage à mes yeux comme aux leurs. Cessez donc en ce jour d'insulter à ma gloire :Ces discours font horreur, et je ne saurais croire... ALCIMADURE. Non, ne m'en croyez pas ; croyez-en votre coeur ;Maîtresse de choisir, s'il connaît un vainqueur,Vous pouvez, dès ce soir, amante fortunée, Faire jouir l'amour des droits de l'hyménée.Travaillez pour Alfonse en travaillant pour vous,Et couronnez l'amant par les mains de l'époux. LÉONOR. Insolent ! Penses-tu qu'une honteuse flammeS'allume dans un coeur tel que le mien ?... ALCIMADURE. Madame, Vous vous piquez en vain d'insensibilité :Aux plaisirs de l'amour votre sexe est porté.Mais, dès ses jeunes ans, instruit à l'imposture,L'art, pour dissimuler, s'y joint à la nature ;Je lis dans vos regards le trouble de vos sens. Vous, rebelle à l'amour ! Ah ! Ces yeux languissants,Où Vénus imprima son tendre caractère,Madame, tous les jours déposent le contraire ;Ils m'ont su révéler vos sentiments secrets :Je les ai vus, ces yeux, tournés sur Alvarès. LÉONOR. Arrête, téméraire, et respecte ta Reine.Favori de ton roi, tu méprises ma haine,Mais je saurai l'instruire à quels points ses bontésOnt su porter l'excès de tes témérités.Il ignore, sans doute, une telle insolence, Et je cours à ses pieds en demander vengeance. ALCIMADURE. Allez trouver, Madame, un monarque irritéContre les faux dehors de votre chasteté.Peut-être espérez-vous qu'en le chassant du trône,Alvarès à vos pieds portera la couronne ? Vous l'aimez, il vous aime, et vos complots secretsVont à pouvoir un jour épouser Alvarès.Mais le ciel irrité, forçant tous les obstacles,En faveur de mon roi produira des miracles :De lui-même, d'Alfonse un enfant sortira Telle on a vu jadis l'impuissante Sara,Qu'on enleva deux fois sans la rendre fertile,À quatre-vingt-dix ans cesser d'être stérile,Et détruire l'espoir des enfants d'IsmaëlEn accouchant d'un fils d'où sortit Israël. LÉONOR. Ministre criminel des volontés d'Alfonse,J'oppose à tant d'horreurs le mépris pour réponse. ALCIMADURE, à part. Allons tout disposer, et, trompant Alvarès,Faisons tomber ce traître en mes pièges secrets. Il sort. SCÈNE V. LÉONOR, seule. Il sait pour Avarès ma criminelle flamme. Ciel ! Mais c'est lui qui vient! Fuyons. SCÈNE VI. Léonor, Alvarès. ALVARÈS, l'arrêtant. Eh quoi ! Madame,Dans sa prévention votre esprit affermiEn fuyant Alvarès croit fuir un ennemi !Qu'injustement, hélas ! Votre coeur me soupçonne !Si d'Alfonse, en ce jour, je brigue la couronne, C'est pour l'offrir, Madame, à vos divins appas.Mille sceptres sans vous ne me tenteraient pas.Du vain titre d'épouse honorable victime,Osez vous dérober au joug qui vous opprime.Alfonse a-t-il des droits légitimes sur vous ? La nature, en secret, les lui refusa tous.Ciel ! Par quel coup du sort, par quel destin bizarre,Victime de l'État, une beauté si rareTombe-t-elle au pouvoir d'un époux ?... Quelle horreur !Je succombe aux tourments qui déchirent mon coeur. Votre infortune, hélas ! Fait celle de ma vie :Mourir en vous servant est ma plus chère envie. LÉONOR. Barbare ! Il vous sied bien de plaindre mes malheurs,Vous, l'auteur de mes maux, vous qui causez mes pleurs. ALVARÈS. Moi, causer vos malheurs !... Ah ! Divine princesse, Pour vous j'ai conservé ma première tendresse.Dans le fond de mon coeur lisez mieux en ce jour :En moi l'ambition est l'effet de l'amour.Si vous ne partagez avec moi la couronne,Je cède sans regrets tous mes droits sur le trône. Ne vous souvient-il plus de vos premiers serments ?...Avez-vous oublié qu'il fut un heureux tempsOù j'allais avec vous unir ma destinée,Lorsque l'amour du Roi rompit notre hyménée ?Je vous rappelle en vain ces souvenirs passés, Le temps de votre coeur les a tous effacés. LÉONOR. Je ne vous nierai pas, Seigneur, qu'en ma jeunesseMon coeur sentit pour vous une égale tendresse :Je touchais au moment de vous voir mon époux,Et ma félicité dépendait d'être à vous : Mais quand l'hymen du roi trompa notre espérance,Je repris sur mon coeur une entière puissance.D'un malheureux amour ma vertu triompha :Le penchant le fit naître, et l'honneur l'étouffa,Vous-même, dans ce jour, je vous prends pour arbitre. Alfonse est mon époux... ALVARÈS. Il n'en a que le titre.C'est usurper un nom si charmant et si doux :Madame, il faut être homme avant que d'être époux.L'intérêt de l'État, le vôtre, tout vous forceÀ réclamer les lois faites pour le divorce. « Je ne vous parle point de l'amour d'Alvarès.« Mais de Rome, en ce jour, invoquez les arrêts.« Avec un impuissant toute alliance est nulle.« J'ai sondé le Saint-Père : il promet une bulle;« Et bientôt, le congrès confondant votre époux, « Les flambeaux de l'hymen s'allumeront pour nous (1). LÉONOR. Qui ! moi ! Que je subisse une épreuve indécente ?Ah ! Ce discours affreux me remplit d'épouvante.Alfonse est mon époux, et le sera ! Mon coeurNe consulte de lois que celles de l'honneur, Et je rejette enfin ces usages coupablesQue suivent, sans pudeur, des femmes méprisables,Qui, remplissant de cris les tribunaux divers,Vont étaler leur honte aux yeux de l'univers.Adieu, Seigneur. Elle sort. SCÈNE VII. ALVARÈS, seul. Malgré l'amour qui me dévore, Je me trouve forcé de l'admirer encore.On vient... SCÈNE VIII. Alvarès, Alcimadure. ALVARÈS. Je te cherchais.... Ah ! toi seul dans mon coeurPeux ramener le calme et bannir la douleur.Mon esprit est en proie à des peines mortelles. ALCIMADURE. Que dites-vous Seigneur, quand vos amis fidèles Ont, dans ce jour, forcé le Roi lui-même. ALVARÈS. Ami,Les États n'ont servi mes fureurs qu'à demi.Alfonse obtient du temps. La trêve d'une annéeM'enlève l'espérance aussitôt qu'elle est née.Mais mettons tout en feu, troublons le Portugal, Chassons le Roi du trône et du lit conjugal !L'ambition n'est pas ce qui fait mon audace :L'amour seul à mon coeur fait désirer sa place.J'idolâtre la Reine et sens que chaque jour,Chaque heure, chaque instant augmentent mon amour. Pour éteindre des feux, faibles dans leur naissance,Je condamnai mon coeur aux tourments de l'absence.Après beaucoup d'efforts, après mille combats,Enfin, je pris sur moi d'éviter ses appas.L'absence n'a servi qu'à redoubler mes peines ; Le poison de l'amour a coulé dans mes veinesMon amour est mon être, et mon coeur aujourd'huiNe veut, ne voit, ne sent et n'écoute que lui ! ALCIMADURE. Eh bien, Seigneur, hâtons le jour de nos vengeances !J'ai su, par mes complots et mes intelligences, Vous frayer vers le trône un facile chemin.Osez me seconder : vous y montez demain.Demain, vous épousez la Reine. ALVARÈS. Alcimadure,Par quels moyens ? Comment ? Poursuis, je t'en conjure. ALCIMADURE. La vertu de la Reine est notre seul écueil, Et sa vertu l'effet de son farouche orgueil.Dans un sauvage honneur elle met l'héroïsme,Et porte cet honneur jusques au fanatisme.Jouant avec éclat un rôle embarrassant,Elle souffre avec faste un monarque impuissant. Ainsi, n'espérez pas, en l'éloignant du trône,Vous acquérir les droits qu'elle a sur la couronne.Ce serait, au contraire, un titre contre vousQui vous empêcherait d'être un jour son époux.Elle croirait devoir ce refus à sa gloire. Mais des mains de l'amour obtenez la victoire ;Dans le lit de la reine, osez entrer, seigneur.J'ai tout séduit : la garde et les dames d'honneur.Suivez-moi ; le succès est sûr, et tout l'annonce :Léonor, en dormant, vous prendra pour Alfonse. ALVARÈS. La différence, ami, d'Alfonse et d'AlvarèsÀ l'instant frappera la reine de trop près... ALCIMADURE. Agissez sans parler, n'éveillez point la Reine,Au doux sommeil le roi l'accoutuma sans peine.Passez rapidement du plaisir au désir, Et du désir, soudain, revenez au plaisir.Une femme d'honneur prend cela pour un songe,Et ne s'éveille point, afin qu'il se prolonge. ALVARÈS. Enfin, la Reine, après cet assoupissement,Voudra savoir sans doute... ALCIMADURE. Eh ! C'est dans ce moment Que l'amour, lui prêtant ses plus tendres faiblesses,Obtiendra le pardon des premières caresses.Vous vous déclarerez, Seigneur. Depuis longtempsLa Reine vous adore. Ah ! Dans ces doux instants,Où le charme des sens, votre amour, sa tendresse, Les plaisirs enchanteurs combattront sa sagesse,Dans ces moments d'ivresse où l'amour vous absout,Est-il quelque vertu dont on ne vienne à bout ?Assurez-vous par là de l'aveu de la reine,Et mes amis, alors, serviront votre haine. De son consentement appuyez vos projets :C'est l'idole des grands et l'amour des sujets.D'ailleurs, cette princesse a même en sa personneDe légitimes droits acquis à la couronne. ALVARÈS, avec transport. Ami, par quels bienfaits. ALCIMADURE. Ne perdons point de temps. La nuit avance. Entrez, vous avez peu d'instants :Je vais trouver le roi, qui pourrait vous surprendre.Dans une heure, en ces lieux, je viendrai vous reprendre.J'ai gagné les soldats, et le peuple est pour vous ;Si la Reine vous veut accepter pour époux, Nous verrons la révolte à chaque instant s'accroître,Et, du trône, le Roi passera dans un cloître. ALVARÈS. Alcimadure !... Ami ! Dans peu tu connaîtras... ALCIMADURE. Seigneur, dans ces moments, ne vous oubliez pas.. Alvarès est mené chez la Reine par deux dames d'honneur qui paraissent et entre les mains desquelles Alcimadure le remet. SCÈNE IX. ALCIMADURE, seul. Aveuglé par l'amour, cours, dans ta folle ivresse, Goûter des vains plaisirs l'amorce enchanteresse !Quel esprit d'imprudence accompagne toujoursTous ces faibles mortels éclairés des amours !Trop crédule Alvarès, cette nuit de délicesÀ tes regards trompés cache des précipices, Et, des bras de l'amour, conduit vers le trépas,À ton malheureux sort tu n'échapperas pas.La folle passion où ton coeur s'abandonne,Sur la tête d'Alfonse affermit la couronne :À ton monarque heureux tu fais un héritier. En mourant, Alvarès, sens ton malheur entier.Tu rends le sceptre à qui te fait perdre la vie,Et le bonheur du roi vient de ta perfidie.Traître ! Je vais sauver l'État et ton rivalDes troubles que ta haine excite en Portugal. Je n'ai voulu que moi dans cette confidence :Alfonse, je suis prêt à servir ta vengeance.Bien moins sujet qu'ami, je te sers, et dans toiC'est toi que j'aime ! J'aime Alfonse et non le roi.De tes faveurs cent fois tu m'as donné des marques ; Mais l'amitié n'est pas faite pour les monarques.En vain dans leurs secrets nous paraissons admis,Ils ont des favoris et n'ont jamais d'amis.Mais bientôt Alvarès pourrait... Allons l'attendreDans ce détour obscur, où je veux le surprendre. Il va se cacher du côté par lequel Alvarès est entré dans la chambre à coucher de la Reine. SCÈNE X. ALFONSE, seul. Tout est calme en ces lieux. Le faible jour qui luitCommence à dissiper les ombres de la nuit.Alcimadure a peine à s'arracher encorÀ des plaisirs qui vont finir avec l'aurore.Peut-être, en ces moments, qui me sont odieux, À la reine fait-il les plus tendres adieux.Dans ce passage étroit, qui conduit chez la Reine,Mon coeur jaloux l'attend et sa mort est certaine.Innocente victime, immolée au secret,Alcimadure, hélas ! Je te perds à regret : Mon honneur en danger me demande ta vie,Mais ta mort à ton Roi paraît digne d'envie.L'amour ferme tes yeux.Ah! ton sort est trop beau (1)!En sortant du triomphe, tu descends au tombeau.J'achèterais, au prix de la mort la plus sûre, Ces plaisirs qu'à mes sens refusa la nature !Quel bruit se fait entendre !... On ouvre... SCÈNE XI ET DERNIÈRE. Alcimadure entrant par le côté opposé à celui de la chambre de la Reine, où il va, et s'arrêtant au bruit qui se fait. Alcimadure entrant par le côté opposé à celui de la chambre de la Reine, où il va, et s'arrêtant au bruit qui se fait. ALFONSE, poignardant Alvarès. Vengeons-nous ! ALVARÈS, tombant. Ah ! Traître !... Je me meurs !... ALFONSE. Il tombe sous mes coups.Alcimadure est mort... L'apercevant.Que vois-je ? Alcimadure ! ALCIMADURE, un poignard à la main. Seigneur... ALFONSE. Que croire, hélas ! Dans cette conjoncture ? Quelle est donc la victime ? ALCIMADURE. En ce pressant danger,Du perfide Alvarès je venais vous venger.Voulant sur votre front fixer le diadème,Au lit de Léonor je l'ai conduit moi-même.Vous lui devrez, Seigneur, votre bonheur entier, Car ce fier ennemi vous donne un héritier. ALFONSE. Je l'attendais de toi... ALCIMADURE. De moi !... Je suis eunuque.Et je vous le cachais... ALFONSE. Ô nature caduque !Crime de mon état ! J'avais armé ma main,J'étais... j'étais venu pour te percer le sein. Ma politique affreuse et ma lâche furieÀ mon secret, ami, sacrifiaient ta vie.Pardonne, en le plaignant, aux fureurs de ton Roi.Ah ! Je ne veux plus vivre et régner que par toi.Sa mort et ton salut, mon cher Alcimadure, M'annoncent un bonheur dont j'accepte l'augure.Je brave les complots des plus séditieux.Nous aurons un infant : rendons grâces aux Dieux ! ==================================================