******************************************************** DC.Title = LE GALANT DOUBLÉ, COMÉDIE. DC.Author = CORNEILLE, Thomas DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:00:11. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CORNEILLET_GALANTDOUBLE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE GALANT DOUBLÉ COMÉDIE 1659 Thomas Corneille Représenté pour la première fois en 1659 au Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. ACTEURS DON DIÈGUE, père de Léonor. DON FERNAND de Solis, amant de Léonor. DON JUAN de Torrès, ami de Don Fernand. LÉONOR, fille de Don Diègue. ISABELLE, amie de Léonor. BÉATRIX, suivante d'Isabelle. JACINTE, suivante de Léonor. Un exempt.. GUZMAN, valet de Don Fernand. La scène est à Madrid. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Don Fernand, Gusman. DON FERNAND. Ah, Gusman ! GUZMAN. Ah, Monsieur ! DON FERNAND. Je te vois à Madrid. GUZMAN. Ce voyage longtemps m'a chagriné l'esprit,Et j'avais belle peur de ne le pouvoir faire. DON FERNAND. Quoi, Guzman, tu doutais du crédit de mon père ? GUZMAN. Je ne doutais de rien, mais dans la vérité Don César était mort, et j'étais arrêté. DON FERNAND. Pour huit jours de prison tu t'en dus croire quitte. GUZMAN. La prison est toujours un malencontreux gîte,Et m'y voyant entré, je m'étais attenduÀ n'en sortir jamais que pour être pendu, Dans ces occasions, pour chétif qu'il puisse être,Un valet quelquefois peut payer pour son maître.Comme après le coup fait vous étiez évadé,On n'accusait que moi d'avoir homicidé.J'étais là fortement demeuré pour les gages. DON FERNAND. Enfin ? GUZMAN. Enfin l'argent a de grands avantages,Et c'est par sa vertu qu'on est tombé d'accord,Que sans nuire aux vivants, le mort resterait mort ;Mais depuis plus d'un mois que parti de Séville,Vous avez ici dû prendre en propre une fille, Tout étant entre vous par lettres concerté,Puis-je vous demander où vous avez été ? DON FERNAND. Ici. Pourquoi douter d'une chose si claire ? GUZMAN. Pour vous avoir en vain cherché chez le beau-père. DON FERNAND. Chez Don Diègue ? GUZMAN. Oui, Monsieur. DON FERNAND. Ah, Guzman, qu'as-tu fait ? GUZMAN. Ma foi, c'est un brave homme, et j'en suis satisfait ;La station est douce, on y boit d'importance. DON FERNAND. Il m'attend comme gendre ? GUZMAN. Avec impatience,Et trouve tout en vous tellement à son gré,Qu'il voudrait dès demain vous avoir engendré. Votre retardement le tient bien en cervelle. DON FERNAND. Par toi de mon départ il a su la nouvelle. GUZMAN. Il sait jusqu'au sujet qui vous l'a fait hâter. DON FERNAND. Sa fille, tu l'as vue, il n'en faut point douter ? GUZMAN. Arrivé d'hier au soir, je n'ai vu que le père, Et ne sachant sans vous que résoudre ni faire,Sorti sans en rien dire avant qu'il fut levé,J'ai voulu voir la ville, et je vous ai trouvé.Mais de grâce, Monsieur, quelle rare aventureVous fait fuir le beau-père et l'épouse future ? [Note : Matrimonium : Terme de plaisanterie, qui est le latin matrimonium, écrit à la française, et signifie mariage. "Quelque autre, sous l'espoir du matrimonion, Aurait ouvert l'oreille à la tentation," ( Molière.- Le Dépit amoureux, Acte II, sc. IV). [L]]Vous sentez-vous impropre au matrimonium ? DON FERNAND. Guzman, je laisse agir mon inclination,Et si de doux objets ont tenté ma franchise... GUZMAN. Prenez garde, Monsieur, à cette marchandise.L'air de Cour rabat bien du haut prix qui s'y met, On ne la livre pas telle qu'on l'y promet,Et beaucoup attrapés par un maintien modeste,Pensent prendre en plein drap, qui n'achètent qu'un reste. DON FERNAND. Non, non, mon coeur n'est point novice dans ce choix,Et pour deux aujourd'hui brûle tout à la fois. GUZMAN. Autres que Léonor votre épouse ! DON FERNAND. Autres qu'elle.On me la fait aimable, on me dit qu'elle est belle ;Mais son père et le mien en ont en vain ma foi,Ils choisissaient pour eux, je veux choisir pour moi. GUZMAN. Bon, mais puisqu'à la fois deux ont l'air de vous plaire, Et que la confrérie est un mal nécessaire,Prenez-les toutes deux en qualité d'époux,L'une pour vos amis, l'autre sera pour vous. DON FERNAND. Au lieu de badiner, écoute. La poursuiteDont pour César tué l'appréhendais la suite, Ayant hâté d'un mois mon voyage à la Cour,Me fit perdre d'abord tout souci de l'amour.Ainsi jusqu'au succès que j'en devais attendre,J'oubliai qu'à Madrid je venais comme gendre,Et sans que chez Don Diègue aucun l'ait pu savoir, Don Juan est celui qui m'a su recevoir.Me logeant, il ne fait que me rendre en sa VilleCe que tu sais chez nous qu'il reçut à Séville,Et j'ai l'heur qu'à Madrid n'étant jamais venu,Il est le seul encor de qui j'y sois connu. GUZMAN. Vous l'êtes du beau-père. DON FERNAND. Il a mauvaise vue,Je l'ai déjà deux fois rencontré par la rue,Mais comme j'y prends garde, et qu'il me croit fort loin,Cet embarras à fuir me donne peu de soin.Cependant, Don Juan m'a fait voir une dame, Pour qui mon coeur soudain s'est senti tout de flamme.Jamais des traits plus vifs, jamais des yeux plus doux,N'avaient porté sur lui de si dangereux coups.L'air galant, enjoué... GUZMAN. Son nom est. DON FERNAND. Isabelle. GUZMAN. Et vous avez sans doute un libre accès chez elle ? DON FERNAND. Jusque-là que tantôt encor elle m'attend. GUZMAN. Elle vous aime ? DON FERNAND. Assez pour en être content,Et comme elle a du bien, et dépend d'elle-même,Je l'aimerais autant peut-être qu'elle m'aime,Si par un autre amour cet amour traversé Pouvait continuer comme il a commencé. GUZMAN. Avouez à peu près que mon goût est le vôtre,Tâter un peu de tout, hier l'une, aujourd'hui l'autre.Cet amour est d'un genre assez adultérin. DON FERNAND. Non, ces deux objets seuls ont droit sur mon destin, Et toute autre beauté toucherait peu mon âme. GUZMAN. Quelle est cette seconde encor qui vous enflamme ? DON FERNAND. J'en ignore le nom comme la qualité. GUZMAN. Vous l'aimez seulement par curiosité ? DON FERNAND. Ce commerce où mon coeur va plus loin qu'il ne pense, Est fondé de sa part sur la reconnaissance,Aux lieux de promenade elle vient chaque jourRecevoir les serments d'un réciproque amour,Mais sans se découvrir. GUZMAN. Monsieur, c'est une gueuseQui gagne ses habits au métier de coureuse, Et qui poussant le leurre autant qu'elle pourra,Se titrera Marquise, et vous attrapera. DON FERNAND. À la voir seulement tu jugerais mieux d'elle.De tout ce qu'elle fait la grâce est naturelle,Le port noble et touchant, rien de bas, d'affecté, Un certain air modeste et plein de liberté,Je ne sais quoi de doux, l'entretien agréable,L'esprit vif, délicat, perçant... GUZMAN. C'est là le diable.Ces gueuses pour piller la dupe qui leur rit,Monsieur, vendant le corps, achètent de l'esprit. DON FERNAND. Pour m'y voir attrapé je m'y sais trop connaître,Et ce que tant d'appas dans mon coeur ont fait naîtrePourrait pour celle-ci gagner enfin ma voix,[Note : Famille sue : comprendre "famille connue".]Si sa famille sue autorisait mon choix.Au plus parfait amour je sens mon âme prête, Mais j'ignore qui j'aime, et c'est ce qui m'arrête. GUZMAN. La fourbe est bien en règne, et s'en sauve qui peut. SCÈNE II. Don Fernand, Jacinte, Guzman. JACINTE, ayant la coiffe abattue. St. GUZMAN. St. Bon jour. Monsieur, est-ce à vous qu'on en veut,Ou si c'est moi déjà que la Donzelle tente ?Voyez. DON FERNAND. À l'inconnue elle sert de suivante, Tais-toi. Qu'heureusement je te rencontre ici ?Enfin... JACINTE. Heureusement je vous rencontre aussi.À la poste où pour nous vous laissez votre adresse,Je portais ce billet. DON FERNAND. De qui ? JACINTE. De ma maîtresse.Lisez-le, Don Fernand. GUZMAN, à Jacinte tandis que Don Fernand lit. Ma chère... JACINTE. Assurément. GUZMAN. Si le coeur t'en disait, je suis sans compliment.Ces détours, ces douceurs, dont un galant s'enivre,Autant de bien perdu pour ceux qui savent vivre.Sans tant verbaliser l'amour veut de l'effet,J'en ai toujours de prêt, si tu m'aimes, c'est fait. JACINTE. Tu serais pris au mot, si tu n'y prends bien garde. GUZMAN. Ma foi, dans ce marché c'est moi seul qui hasarde.Tu vois clair en m'aimant si nous en disputons,Mais je suis obligé de t'aimer à tâtons ;Avec ton nez bridé de ta coiffe importune, [Note : Ténébrosité : Qualité de ce qui est ténébreux. [L] [l'exemple donnée est celui de l' "Amant doublé"]][Note : Bailler d'une : On dit proverbialement, En bailler d'une, en bailler à garder, pour dire, En faire accroire à quelqu'un. On lui a baillé belle, pour dire, On lui a dit une bourde. [F]]Ta ténébrosité m'en pourrait bailler d'une,Et ton minois, de coeurs modestement filou,S'il n'est quelque peu singe, est peut-être hibou. JACINTE. Il te les faut choisir. DON FERNAND, après avoir lu. Ta maîtresse m'oblige,Et ne peut me donner d'avis que je néglige. Mais ne puis-je savoir où tu me dois mener ? JACINTE. Ne vous préparez point à me questionner.Tantôt au lieu marqué prenez soin de vous rendre,Suivant votre billet je vous y viendrai prendre,N'attendez rien de plus. DON FERNAND. Ôte-moi de souci, De grâce... JACINTE. Voulez-vous qu'on me surprenne ici ?Si quelqu'un m'y connaît, ma Maîtresse est perdue. DON FERNAND. Mais fais-la moi connaître. JACINTE. Enfin vous l'avez vue ? DON FERNAND. Oui, je sais bien qu'en elle éclatent mille appas. JACINTE. En êtes-vous content ? DON FERNAND. Qui ne le serait pas ? JACINTE. Jugez par là du reste, et lui soyez fidèle. DON FERNAND. Au moins dis moi son rang. JACINTE. Tout est égal en elle,La beauté, l'air, l'esprit, la qualité, le bien. GUZMAN. C'est-à-dire, Monsieur, que le tout n'y vaut rien. DON FERNAND. Maraud... GUZMAN. Vous la croyez à son apprentissage ? DON FERNAND. Mais pourquoi se cacher ? JACINTE. C'est qu'elle est bonne et sage,Et que l'on voit la fourbe un don si cavalier,Qu'il faut vous bien connaître avant que de s'y fier. DON FERNAND. Non, si ma passion ne va jusqu'à l'extrême,Si mon coeur n'est atteint... JACINTE. Chacun en dit de même Pour faire croire un feu qu'ils affectent souvent,Tous ont le même style, et la plupart, du vent. DON FERNAND. Mais ta Maîtresse enfin, ou qui qu'elle puisse être,Se trouvera forcée à se faire connaître ;Il en faudra venir à l'aveu que j'attends. JACINTE. Vous saurez le secret quand il en sera temps,Et prétendez en vain me voir changer de note,[Note : Tacet : terme de Musique, qui se dit de certaines parties qui se taisent, tandis que les autres chantent. On dit aussi d'un homme qui ne dit mot, qu'il tient le tacet. [F]]Je tiens bien le tacet. GUZMAN. La peste soit la sotte.Quel que fût le secret qu'on m'eût pu confierJe le dirais soudain de peur de l'oublier. DON FERNAND. Tu n'oses donc encor m'éclaircir l'aventure ? GUZMAN. Elle est faite, Monsieur, en dépit de Nature,Et le Ciel se trompant sans doute à la façon,Dans un moule de fille a cru faire un poisson. JACINTE. Adieu, brave causeur. GUZMAN. Adieu, chère muette. SCÈNE III. Don Fernand, Guzman. GUZMAN. Qui l'en croira, Monsieur, votre fortune est faite ;Esprit, naissance, bien, attraits, le choix est doux. DON FERNAND. Me voici cependant avec deux rendez-vous.Isabelle tantôt m'attend à la même heure. GUZMAN. Des deux occasions choisissez la meilleure, Allez où votre coeur est le plus attaché. DON FERNAND. Pour la Dame Inconnue il se sent plus touché ;Mais de peur de surprise, ignorant sa naissance,Autant que je le puis je le tiens en balance,Et comme je ne sais ce qui peut arriver, Si celle-ci manquait, l'autre est à conserver. GUZMAN. Mais puisqu'elle vous tient ses affaires secrètes,Lui deviez-vous sitôt découvrir qui vous êtes ?Sa Suivante a d'abord fait ouïr votre nom. DON FERNAND. Qu'il soit connu de tous, qu'en devinera-t-on ? Il est mille Fernands dans une même ville.Suffit que j'ai caché que je suis de Séville,Et qu'enfin me disant de Grenade, j'ai prisLe surnom d'Avalos pour celui de Solis. GUZMAN. Par ce nom trop tôt dit, autre embarras à craindre. Vous aimez Isabelle, ou du moins l'osez feindre ;Et si cette Inconnue apprend quelque beau jourQu'un Fernand Grenadin fasse en deux lieux sa cour ? DON FERNAND. César de ce péril par sa mort me délivre.Craignant que jusqu'ici l'on ne me sût poursuivre Je priai Don Juan d'abuser ses amis,Me nommant devant eux partout Don Dionis.Sous ce nom, d'Isabelle il m'assura la vue,Et je suis Don Fernand pour la seule Inconnue.Mais de quelque message on m'en vient régaler, Sa Suivante s'approche afin de me parler,Je la vois qui sourit. GUZMAN. Quoi, celle d'Isabelle,Votre première Amante ? DON FERNAND. Oui, Guzman. GUZMAN. Qu'elle est belle !Monsieur, préférons-la. DON FERNAND. Tu te trouves tenté ? GUZMAN. J'ai de malins instants pour la fragilité, Et par précaution j'essayerais du remède. SCÈNE IV. Don Fernand, Béatrix, Guzman. DON FERNAND. Aujourd'hui, Béatrix, tout à mes voeux succède.Ta rencontre est un bien qui doit m'être si doux... BÉATRIX. Pas tant, si je vous viens ôter un rendez-vous. DON FERNAND. Que dis-tu ? BÉATRIX. Que tantôt ma Maîtresse Isabelle Ne peut, Don Dionis, vous attendre chez elle ;Voilà ce que j'allais vous dire de sa part. DON FERNAND. J'attendrai son retour, et la verrai plus tard. BÉATRIX. Non pas pour aujourd'hui, votre amour va trop vite. DON FERNAND. Au moins à son défaut accepte ma visite, Et si tantôt sans toi par hasard elle sort... BÉATRIX. Il vous plaît de railler. DON FERNAND. Ah, c'est me faire tort.Non, à t'entretenir j'aurai la même joie,Et je croirai la voir pourvu que je te voie. BÉATRIX. Ma foi, je ne sais pas comme vous l'entendez, Mais je pense valoir ce que vous demandez.D'aussi bien faits que vous me verraient pour mon compte. GUZMAN. Qu'elle en sait ! DON FERNAND. Tout de bon, ton espoir me fait honte,Et je t'en trouve tant... BÉATRIX. Que vous le baillez doux !Trêve, Don Dionis point de guerre entre nous, J'ai peut-être de quoi vous donner votre reste. DON FERNAND. Tu tournes tout en jeu, mais je te le proteste,Que mon coeur sent pour toi certaine émotion... BÉATRIX. De grâce, arrêtez-là la protestation,Sans me charger encor d'un coeur comme le vôtre, J'ai tant de Protestants qu'ils s'étouffent l'un l'autre,Et dans les voeux divers qu'on me vient adresser,Je ne sais tantôt plus où les pouvoir placer. DON FERNAND. Ta beauté du plus fier te ferait un esclave. BÉATRIX. Je sais ce que je puis, ne faites point le brave, Et croyez seulement que l'ayant entrepris,Vous seriez bien adroit si vous ne restiez pris.Qu'on se défende ou non de chercher à me plaire,Quand j'ai dessein de prendre, on ne m'échappe guère,Et j'arrête si bien, qu'en ce droit absolu Je n'ai perdu jamais que ce que j'ai voulu. DON FERNAND. Qui ne t'en croirait pas ? Tu vaux que l'on t'admire,Tout est aimable en toi. BÉATRIX. Vous pensez-vous en rire,Mais après tout, peut-être à m'examiner bien,À la qualité près, il ne me manque rien. Quoi que montre d'appas ma Maîtresse et la vôtre,Cette taille et ce port en valent bien quelque autre.Si je n'ai point les traits si doux, si délicats,J'ai des je ne sais quoi que la beauté n'a pas,Le teint, je m'en rapporte, et pour de la jeunesse, Je pense que me voir c'est tout. GUZMAN. La bonne pièce !Si quelqu'un m'entend mieux, je le quitte. BÉATRIX. Jaseur,C'est à toi de parler avec les gens d'honneur ? GUZMAN. Si je puis librement dire ce qui m'en semble,Ton honneur et le mien sont bons à mettre ensemble. Et quiconque des deux pourrait n'en faire qu'un.Ferait encor, je pense, un honneur bien commun. DON FERNAND. Tu ne te tairas point, Maraud ? GUZMAN. Sur ma parole,La Matoise est, Monsieur, instruite en bonne école ;Elle vous en dira de toutes les façons, Et se peut aisément passer de nos leçons. BÉATRIX. Oui, je m'abaisserai jusqu'à prendre les tiennes. GUZMAN. Ah ! Mon Ange. BÉATRIX. C'est là que je veux que tu viennes.J'ai besoin des douceurs d'un Galant tel que toi ? DON FERNAND. Laisse-là ce badin, et ne songe qu'à moi. BÉATRIX. Quoi, ne songer qu'à vous ! Et que feraient mille autresDont les voeux acceptés ont précédé les vôtres ?Chaque moment du jour peut à peine fournirÀ donner à chacun son rang de souvenir ;Mais je perds trop de temps, adieu, je me retire. DON FERNAND. Si tôt ? BÉATRIX. Achevez donc, qu'avez-vous à me dire ? DON FERNAND. Béatrix. BÉATRIX. Est-ce tout ? Vous me ferez gronder,J'ai hâte. DON FERNAND. Laisse-moi du moins te regarder,À te voir seulement mon plaisir est extrême. BÉATRIX. Vous ne m'étonnez point, j'y prends plaisir moi-même Et dans plus d'un miroir on me voit chaque jourAller de temps en temps me faire un peu de cour. DON FERNAND. Il est doux de s'y voir quand la copie agrée. BÉATRIX. Je ne m'y trouve pas tout à fait déchirée,Et j'en prends plus de droit d'aimer l'original. SCÈNE V. Don Fernand, Don Juan, Béatrix, Guzman. DON JUAN. Seul avec Béatrix ? C'est n'être pas trop mal. DON FERNAND. Venez-vous m'envier le bien que je possède ? DON JUAN. Brûlant pour sa Maîtresse, il faut qu'on me la cède. DON FERNAND. Gardez qu'à l'obtenir vos efforts ne soient vains. BÉATRIX. Hé, de grâce, pour moi n'en venez pas aux mains. DON JUAN. Tu n'as qu'à décider, je prétends, il s'oppose. BÉATRIX. Je pense que pour vous je sens la même chose,Et crains bien que restant dans cette égalité,Aucun des deux jamais n'ait droit de primauté.Adieu. GUZMAN. Bonsoir, la Belle. SCÈNE VI. Don Fernand, Don Juan, Guzman. DON JUAN. Et Guzman la cajole ? Déjà ? GUZMAN. Non pas, Monsieur, c'est que je la console.Ces belles ont toujours l'esprit déconcertéQuand on leur dit adieu sans parler de beauté ;Il se faut acquitter du moins de la grimace. DON JUAN. Où l'avez-vous trouvé ? DON FERNAND. Dans cette même place, Où soudain il m'a vu changer de rendez-vous. DON JUAN. Aimant en deux endroits, ce changement est doux.C'est recouvrer soudain une faveur perdue. DON FERNAND. Je l'avais d'Isabelle, et l'ai de l'Inconnue.L'une hors du logis doit passer jusqu'au soir, Et sur quelques secrets l'autre cherche à me voir. DON JUAN. Vous brûlez d'éclaircir celui de l'aventure ? DON FERNAND. Cette assignation m'en donne bon augure. DON JUAN. Oui, mais je vous apporte un sujet de souci,Votre Beau-père sait que vous êtes ici. DON FERNAND. Que je suis arrivé, Don Juan ? DON JUAN. Que vous l'êtes.En vain j'ai cru tenir toutes choses secrètes ;Ayant été dès hier par Guzman avertiDu longtemps qu'il vous sait de Séville parti,Et de notre amitié sachant l'étroite chaîne, Il est venu chez moi me témoigner sa peine. DON FERNAND. Vous n'avez point alors tâché de l'abuser ? DON JUAN. Après ce qu'il savait, qu'avais-je à déguiser ?Votre arrivée ici se pouvait-elle taire ? DON FERNAND. De mon secret sans doute il est fort en colère ? Qu'aura-t-il cru de moi de ne l'avoir point vu ? DON JUAN. Que de votre combat c'est l'effet imprévu,Et qu'avant que le voir vous jugiez nécessaireD'attendre quelque temps le succès de l'affaire. DON FERNAND. Quel malheur ! DON JUAN. Cependant j'ai promis qu'aujourd'hui, Puisque vous étiez libre, il vous verrait chez lui;C'est à vous d'y songer, ma parole est donnée. DON FERNAND. Quel prétexte choisir pour rompre l'hyménée ?L'amour me cause ici d'étranges embarras. DON JUAN. Je n'entreprendrai point d'en combattre l'appas. Mais voyez Léonor, elle est sage, elle est belle,Et ce que vous aimez vaut peut-être moins qu'elle. DON FERNAND. Ah, ne m'en parlez point, Léonor me déplaît. DON JUAN. Sans la voir, sur son nom vous en donnez l'arrêt ? DON FERNAND. Je ne la puis souffrir. GUZMAN. La pauvre délaissée ! Monsieur, si par hasard elle était fort pressée,Et qu'à vous en défaire on vous vît empêché,Pour vous faire plaisir je prendrai le marché. DON JUAN. Guzman a le goût bon. DON FERNAND. Il faut voir l'Inconnue ;En l'état où je suis tout dépend de sa vue, Son destin éclairci pourra régler le mien. DON JUAN. Voyez-là, mais enfin ne précipitez rien. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Don Diègue, Isabelle, Béatrix. DON DIÈGUE. N'en soyez point surprise, ô charmante Isabelle,D'un bruit sourd et confus j'en ai su la nouvelle,Et comme rien pour moi ne peut être plus doux, Je m'en suis cru devoir expliquer avec vous.Excusez pour un fils ma tendresse de père,Je sais que Don Félix s'étudie à vous plaire,Et j'aurai grande joie à le voir sous vos lois,S'il a su mériter l'honneur de votre choix. Vous connaissez mon bien, vous savez ma famille,L'amitié semble étroite entre vous et ma fille,Et pour elle et pour moi je le tiendrais heureuxQue l'alliance encore en redoublât les noeuds. ISABELLE. Cet hymen proposé me fait voir tant d'estime, Que l'espoir m'en paraît à peine légitime.Je ne cèlerai point que ce peu de beautéM'acquiert de Don Félix quelque civilité,Mais, Monsieur, un dessein d'une telle importance,Avant qu'aller plus loin, vaut bien que l'on y pense, Et quoi qu'aucun n'ait droit de contraindre ma foi,Je dois en consulter de plus sages que moiJe sais de leur conseil ce que je puis attendre,Et c'est de Léonor que je le voudrais prendre,Si comme elle est sa soeur, les intérêts du sang Auprès de l'amitié n'étaient d'un autre rang. DON DIÈGUE. D'un si fâcheux délai quelle que soit la suite,Je ne puis qu'admirer votre sage conduite,Et si vos sentiments se déclarent pour nous,J'emploierai Léonor à les savoir de vous, L'Époux qu'elle attendait, arrivé de Séville,Va déjà commencer la joie en ma famille,Et comblant d'heur un fils qui se sent captiver,C'est votre seul aveu qui la peut achever.Le Ciel daigne en hâter l'heureuse certitude. SCÈNE II. Isabelle, Béatrix. BÉATRIX. Ce choix vous va causer un peu d'inquiétude ;Si Don Félix fait voir son amour par ses soins,Don Dionis pour vous n'en témoigne pas moins,Votre coeur doit parler c'est à vous de l'entendre. ISABELLE. En se déférant trop, il craint de se méprendre Ces Soupirants d'office, en tous lieux si chéris,Sont d'aimables Amants, mais de fâcheux Maris ;En vain la plus parfaite aura touché leur âme,S'ils l'adorent Maîtresse, ils la méprisent Femme,Et leurs voeux attachés à de nouveaux appas, Dédaignent ce qu'ils ont pour tout ce qu'ils n'ont pas.Voilà ce qui suspend tout ce que je propose. BÉATRIX. De vrai, le mariage est une étrange chose,Et qui s'en peut louer, pour en bien discourir,Au métier de forçat n'aurait guère à souffrir. La chaîne en est, dit-on, si rude et si pesante,Que qui n'en gémit point a l'âme bien constante,Et quand il faut choisir, jeune, galant, fleuri,Adroit, aimable, beau, c'est toujours un Mari,On est bien empêché comme on s'y doit conduire, Trop de précaution souvent ne fait que nuire,En vain pour mieux échoir on y fait cent façons,Puisque enfin les meilleurs ne sont jamais trop bons.Sans qu'un semblable choix nous chagrine d'avance,Il faut jeter les dés au hasard de la chance, Et dire en risquant tout, puisque enfin on le veut,Dieu nous la donne bonne, et vienne ce qui peut. ISABELLE. C'est en dire un peu trop. BÉATRIX. Ce n'est point là satire,Madame ; croyez-moi, l'on n'en saurait trop dire.Il est de ces rêveurs, il est de ces jaloux, Qui se font plus de mal qu'ils n'en craignent de nous.Qu'une Femme s'échappe à voir un peu le monde,Leur chagrin en murmure, et leur dépit en gronde,Et dans leur rêverie à rendre un esprit fou,L'on n'est sage jamais si l'on n'est loup-garou. Pour moi qui ne suis pas d'humeur trop endurante,Si jamais un Mari l'assemblage me tente,Le contrat d'union dans mon petit calculAura plus d'une clause, ou demeurera nul.Il me sera permis de danser et de rire, Je verrai mes Amis sans qu'il y trouve à dire,Et saurai le réduire à ne rien redouterDe toutes les douceurs qu'on me viendra conter. ISABELLE. Tu crois qu'il tiendra tout ? BÉATRIX. Et bien, quitte à se battre.Si j'enrage une fois il enragera quatre, Et me mettant au pis, je sais qu'il trouveraPlus de fâcheux moments qu'il ne m'en donnera.Après tout, le meilleur est de vivre sans Maître. ISABELLE. C'est un état heureux, et je le sais connaître ;Mais de quelque douceur qu'il flatte nos esprits, Le nom de vieille fille est un nom de mépris. BÉATRIX. Aussi, ce qui doit bien refroidir notre envie,Quand on est marié, c'est pour toute sa vie,Et pour qui s'en repent, à vous parler sans fard,L'espoir de se voir veuve est un triste hasard. Cette faveur du Ciel est toujours trop tardive,Nos beaux jours sont passés quand ce grand jour arrive,Et le plus souvent même abusant nos souhaits,Il nous rit, il nous flatte, et n'arrive jamais.Mais pour vos deux Amants, quel dessein est le vôtre ? Vous sentez-vous égale, et pour l'un et pour l'autre ? ISABELLE. Le choix, à dire vrai, n'est pas facile entre eux,Je tiens l'un plus galant, l'autre plus amoureux.D'abord Don Dionis, en m'expliquant sa flamme,Éblouit ma raison, charma toute mon âme ; Mais si j'en juge bien, je lui vois chaque jourPlus de galanterie avecque moins d'amour.De cette passion il n'a que l'habitude,Il en prends les dehors, soupire par étude,Et je crois, quand il tâche à lui donner crédit, Que son coeur ne sait rien de tout ce qu'il me dit. BÉATRIX. Don Félix pourra donc emporter la balance ? ISABELLE. Si son feu brille moins, j'y crois plus de constance,Et je tiens qu'à l'hymen un esprit arrêtéDoit moins chercher l'éclat que la solidité. BÉATRIX. Pourquoi permettre donc que son Rival vous voie ? ISABELLE. Pour juger mieux encor ce qu'il faut que j'en croie,Et c'est pour me pouvoir expliquer avec lui,Qu'il avait eu de moi rendez-vous aujourd'hui.Tu sais que Léonor a rompu la partie. BÉATRIX. Ma foi, je n'aurais point péché par modestie.Sa visite à demain eût reçu le renvoi,On doit à ses Amis quand on a fait pour soi. ISABELLE. Léonor seule ici me priant de l'attendre,C'est le moins, Béatrix, que je pouvais lui rendre. Mais je la vois entrer. SCÈNE III. Léonor, Isabelle, Béatrix. LÉONOR. J'en use librement. ISABELLE. Songez que l'amitié défend le compliment,Et qu'enfin vous servir fait ma plus forte envie. LÉONOR. Je viens vous confier le secret de ma vie,Et sais trop, que pour fuir le malheur que je crains Je ne pourrais le mettre en de plus sûres mains.Vous avez déjà su que mon père à SévilleNe crut pas avoir fait un voyage inutile,Puisque là pour époux à son retour j'apprisQu'il m'avait su choisir Don Fernand de Solis. Ignorant jusque-là ce que c'est qu'être Amante,Je tins cette nouvelle assez indifférente,Et mon coeur libre encor n'étant point prévenu,Souscrivit sans murmure au choix d'un Inconnu ;Mais dans cet intervalle usant de sa puissance, L'amour s'est bien vengé de mon indifférence.Un autre Don Fernand pour troubler mon repos... ISABELLE. Un autre ? Dites-vous ? LÉONOR. Don Fernand d'Avalos.Un procès qu'à la Cour il est venu poursuivre,L'a tiré de Grenade où le Ciel le fait vivre, Et mes sens en lui seul se sont sentis flattésDe tout ce qu'on peut voir d'aimables qualités.Sans savoir ce qu'en moi sa rencontre fit naître,Vous savez l'accident qui me le fit connaître,Un jour qu'au bord du fleuve où j'osai m'engager, Mes chevaux s'emportant m'eussent mise en danger,Si soudain à leur fougue opposant son courage,Il n'eût su m'épargner ce genre de naufrage.Je ne vous ferai point de récits superflus,Je le vis, il me plût ; il me vit, je lui plus. Une pareille ardeur dans nos coeurs sembla naître ;Mais quelque effort alors qu'il fît pour me connaître,Malgré ce grand service il ne pût rien savoir,Sinon qu'en ce lieu même il pourrait me revoir.Ainsi dès ce moment contre toute apparence, Mon amour commença par la reconnaissance,Et sans cesse mon coeur par de secrets discoursS'entretint du péril pour songer au secours.J'aimais à me tenir cette image présente,J'évitais d'être ingrate, et me rendais amante, Et pour me livrer mieux aux transports que je sens,L'Amour se prévalait de l'erreur de mes sens. ISABELLE. Mais engagée enfin à l'hymen par un père,Qu'est-ce dans cet amour que votre coeur espère ? LÉONOR. Tout, si d'un beau feu l'impérieuse loi Pour attendre de lui ce qu'elle obtient de moi.C'est par ce seul motif qu'il m'a vue obstinéeÀ lui taire et mon nom et de qui je suis née,Et qu'à le voir souvent ayant su m'obliger,Avant qu'il me connût j'ai voulu l'engager. L'Amour, dont on sait trop jusqu'où les droits s'étendent,Est toujours favorable à deux coeurs qui s'entendent,Et pour rompre un Hymen qui confond mon espoir,Pourvu qu'on l'en consulte, il a trop de pouvoir. ISABELLE. Mais l'Époux arrive, que pouvez-vous prétendre ? LÉONOR. C'est ce qu'à Don Fernand j'ai résolu d'apprendre,Et pour lui découvrir cet important souci,Jacinte qui l'attend va l'amener ici.Je m'en suis cru chez vous la liberté permise. ISABELLE. Il n'est rien qu'avec moi l'amitié n'autorise. LÉONOR. Le logis de derrière ouvre en un lieu désert,Par où le faire entrer sans qu'il soit découvert ;Jacinte en est instruite, et sait ce qu'il faut taire. ISABELLE. Cette précaution était peu nécessaire.Qui vit comme je fais, sans détour, sans façon, Brave la médisance, et craint peu le soupçon.Mais enfin aujourd'hui vous lui voulez tout dire ? LÉONOR. Non, mais ce seul hymen dont mon amour soupire,Et par ses sentiments prendre droit de jugerJusqu'où pour y répondre il me doit engager. ISABELLE. Souvent un beau dehors a l'art de nous séduire. LÉONOR. Aussi par vos conseils je cherche à me conduire,Et ce qu'il veut savoir ne lui sera connuQu'après que vous l'aurez vous-même entretenu.Vous sonderez son coeur, étudierez son âme, Et j'éteindrai par vous, ou nourrirai ma flamme. SCÈNE IV. Léonor, Isabelle, Jacinte, Béatrix. JACINTE. Madame. LÉONOR. Et bien, Jacinthe ? JACINTE. Il attend pour entrer. LÉONOR. Qu'il vienne. ISABELLE. Il ne faut pas dès l'abord me montrer.Dans l'aise qu'il aura du dessein que vous faitesSes premières douceurs doivent être secrètes. Quand à vous seconder vous aurez su le sien,Je ne refuse pas d'être de l'entretien.Viens Béatrix. LÉONOR. Enfin c'est en vous que j'espère. BÉATRIX. Ma foi, pour un Amant voilà bien du mystère.Je m'inquiète moins de m'en voir mille et plus, J'en tiens papier exact, et je dors là-dessus. SCÈNE V. Léonor, Don Fernand, Jacinte. JACINTE. Entrez, on vous attend. DON FERNAND. Madame, quelle grâce,Et pour la mériter que faut-il que je fasse ?Accorder tant de gloire à mon ardent amour ! LÉONOR. Enfin à le prouver le Ciel vous offre jour. S'il est tel que mes yeux semblent l'avoir fait naître,C'est à vous, Don Fernand, à le faire paraître.Le temps presse, du Sort je crains les derniers coups,Et si vous n'agissez, je ne puis être à vous. DON FERNAND. Ah, si de ce malheur je puis rompre l'atteinte, J'ai lieu de m'offenser de votre injuste crainte,Et quand les coups du Sort peuvent être forcés,Qui peut douter de moi ne peut m'aimer assez.Que pour m'ôter à vous la terre conjuréeTienne à mon coeur charmé la guerre déclarée, Pour en favoriser les violents desseinsLe seul aveu du vôtre est tout ce que je crains. LÉONOR. On ne l'aura jamais, et quoi que je hasarde,Les effets feront voir quelle foi je vous garde,Et qu'il n'est rien pour vous que j'ose négliger Quand sous les lois d'un autre on me veut engager.Oui, pour vous découvrir ce que j'ai dû vous taire,Apprenez, Don Fernand, que je dépends d'un père,Qui sans m'en consulter, de mon repos jaloux,A voulu par ses yeux me choisir un Époux. Cet hymen arrêté rend ma disgrâce extrême,Mais je vous dois la vie enfin, et je vous aime,Et vois avec plaisir que mon coeur en ce jourNe peut fuir d'être ingrat sans servir mon amour. DON FERNAND. Frappé trop vivement de ce grand coup de foudre, Le mien s'étonne, tremble, et ne sait que résoudre ;Mais enfin je sais bien que mon cruel ennuiNe redoublera point par le bonheur d'autrui.Quelque Époux qu'à choisir le devoir vous convie,Il n'aura point ce nom que je ne sois sans vie, Et même avant ce coup, s'il me doit accabler,Plus d'un Rival peut-être aura lieu de trembler. LÉONOR. Quoi qu'il nous faille ici conduire avec prudence,J'aime dans votre amour un peu de violence,Et si j'en dois calmer les transports furieux, Je ne saurais haïr ce qui le prouve mieux. DON FERNAND. Mais votre nom enfin ? Faites que je le sache. LÉONOR. Quelque raison encor veut que je vous le cache. DON FERNAND. La réserve en est vaine à qui doit présumer,Que sachant son logis, je puis m'en informer. LÉONOR. Dans un logis d'Amie on a su vous conduire ;De mon engagement j'ai cru devoir l'instruire,Et si son avis est qu'on ne vous cache rien,Peut-être dès ce soir vous me verrez au mien. DON FERNAND. Ainsi donc mon bonheur ne dépend plus que d'elle ? LÉONOR. Je l'en croirai. À Jacinte. Va vite avertir Isabelle. DON FERNAND, bas. Juste Ciel, Isabelle ! Ai-je bien entendu ?Si c'est celle qui m'aime, enfin je suis perdu.Ô d'un jaloux destin attaques imprévues !Sa maison peut répondre à deux diverses rues, C'est ici son quartier. LÉONOR. Que dites-vous tout bas ? DON FERNAND. Je me plains d'un malheur que je n'attendais pas. LÉONOR. Votre amour y rencontre un péril dont je tremble. DON FERNAND. Madame, il est encor plus grand qu'il ne vous semble. LÉONOR. Des conseils d'Isabelle espérons quelque fruit. DON FERNAND, bas. C'est elle-même, elle entre, où me vois-je réduis ? SCÈNE VI. Isabelle, Léonor, Don Fernand, Béatrix, Jacinte. ISABELLE, à Béatrix. Nous le verrons, mais Dieux ! Ma surprise est extrême,Je vois Don Dionis. BÉATRIX. Madame, c'est lui-même. ISABELLE. Il aime Léonor, et m'ose cajoler ! BÉATRIX. Bons Dieux ! Quel maître fourbe ! ISABELLE. Il faut dissimuler. LÉONOR, à Isabelle. Sachant quelle aventure à soupirer m'expose,Voyez en Don Fernand le sujet qui la cause.Vos sentiments ont droit d'en régler seuls la fin. DON FERNAND, à Isabelle. Je dois beaucoup, Madame, à mon heureux destin,Qui me laissant toujours inconnu ce que j'aime, Me fait connaître au moins comme une autre elle-même,L'amitié qui vous joint m'en persuade assez. ISABELLE. Je ne m'étonne point si vous me connaissez.Pour peu qu'avec un coeur l'on ait d'intelligence,De tout ce qu'il chérit on a la connaissance, Et l'amour qui du sien vous fait suivre la loi,Doit faire autant pour vous que l'amitié pour moi.J'en ai déjà tiré des lumières secrètesQui m'ont en un moment appris ce que vous êtes,Je sais presque de vous tout ce qu'on peut savoir. DON FERNAND. Un si brillant esprit ne se peut décevoir ;Mais si vous vous rendez à de justes prières,Madame, faites-m'en partager les lumières.De ce charmant objet j'adore la beautéSans avoir pu tirer mon feu d'obscurité, Son nom qu'elle me cache étonne ma constance. ISABELLE. Elle vous fait grand tort par cette défiance,Et sur ce que de vous je puis justifier,Elle verra bientôt comme on doit s'y fier. LÉONOR. Prendre déjà sa cause ! À moins qu'il vous corrompe... ISABELLE. Vous me ferez reproche en cas que je vous trompe. LÉONOR. Il faut vous l'avouer, si Don Fernand me plaît,Dès l'abord comme vous je vis tout ce qu'il est,Le coeur grand, l'âme belle, une entière franchiseMais de ses sentiments je craignais la surprise, Les plus prompts quelquefois ne sont pas les meilleurs. ISABELLE. À vous dire le vrai, je le connais d'ailleurs.Un Ami qui d'erreur est assez incapable,M'en avait fait une peinture aimable,Dont les traits délicats ayant gagné ma foi, Ne m'avaient rien caché de tout ce que j'y vois.L'air, la mine, l'esprit, enfin tout se rapporte. DON FERNAND. Je lui suis obligé d'une estime si forte. ISABELLE. Jamais d'un vrai mérite on ne fit plus de cas. LÉONOR. Et c'est ? ISABELLE. Don Dionis. DON FERNAND. Je ne le connais pas. ISABELLE. Ne le connaître pas ! Certes cela m'étonne,Vous est-il inconnu, s'il ne l'est à personne ?Un Cavalier civil, poli, galant, parfait,Qui pensant ce qu'il dit, plaît dans tout ce qu'il fait,Point fourbe, point trompeur, point de ces lâches âmes Qui cherchent en tous lieux à promener leurs flammes,Et d'ailleurs il se dit de vos meilleurs Amis. DON FERNAND. L'erreur m'est favorable où quelque abus l'a mis. ISABELLE. Deux noms divers en lui pourraient causer le vôtre.Qui m'est connu sous l'un, vous le sera sous l'autre. Don Dionis pourtant est le seul que je sais. DON FERNAND. Quoi qu'il ait pu dire, il vous aura dit vrai,S'il a su vous jurer que mon amour extrêmeEngage tous mes voeux à la beauté que j'aime.J'apprends qu'on la marie, et ce fatal revers Accable un malheureux qui languit dans ses fers.Ne pouvant m'éclaircir du père ni du gendre,Je forme cent desseins sans savoir lequel prendre.Dans ces obscurités daignez me secourir,Vous voyez qu'à vous seule on me fait recourir. Soulagez les ennuis dont mon âme est pressée. ISABELLE. Je ne vais pas si vite à dire ma pensée,Et si de son aveu j'ose en prendre le droit,Je crains de l'engager à plus qu'elle ne croit. LÉONOR. Non, à votre amitié tout mon coeur s'abandonne, Il en croira soudain quoi que son zèle ordonne,Et pour vous donner lieu d'en mieux délibérer,Je vous laisse tous deux, et vais me retirer,Adieu. DON FERNAND, à Léonor. Souvenez-vous que mes peines cruellesNe peuvent... LÉONOR. Vous aurez tantôt de mes nouvelles. BÉATRIX. Madame, nous pouvons enfin le régaler. ISABELLE. Voyons son impudence avant que de parler. SCÈNE VII. Don Fernand, Isabelle, Béatrix. DON FERNAND. À voir quelles bontés d'abord sans me connaîtreVous avez bien voulu me faire ici paraître,J'ai lieu de présumer que la peine où je suis Vous rendra favorable à finir mes ennuis.C'était pour moi sans doute une disgrâce extrêmeD'aimer avec excès, et d'ignorer qui j'aime,Mais d'un plus rude sort j'ai tout à redouter,Si par votre secours je ne puis l'éviter. ISABELLE. En vain à vous cacher votre esprit s'étudie.De grâce, jouez-vous ici la Comédie,Ou si vous prétendez que pour votre intérêtMon esprit soit brouillé comme le vôtre l'est ? DON FERNAND. Madame, où trouvez-vous que ce soit frénésies... ISABELLE. Oui, sans doute, il vous faut des douceurs mieux choisies,Et la pauvre abusée à qui vous en contez,Pour vous croire honnête homme, a de grandes clartés.Certes, votre méthode est galante et nouvelle.Pour moi Don Dionis, et Don Fernand pour elle ? Ce rare expédient à vous mettre en crédit,D'aucun autre avant vous n'avait frappé l'esprit,Et ce sont en amour de subtiles adresses,Que prendre autant de noms que l'on fait de Maîtresses.Un si beau stratagème en a-t-il bien dupé ? DON FERNAND. De quel étonnement mon esprit est frappé !M'amenait-on ici pour un pareil outrage ? BÉATRIX. Il fallait un peu plus vous sucrer le breuvage,À vous, qui Don Fernand quand vous vous avisez,[Note : Endioniser : comprendre "vous vous transformez en Don Dionis".]Chez nous effrontément vous endionisez ; Ce sont là les moyens d'en attraper de belles. DON FERNAND. Ces façons de traiter me sont assez nouvelles.Madame, c'est ainsi que me jugeant discret,D'une aimable Inconnue on m'apprend le secret ? ISABELLE. Elle apprendra le vôtre, et saura qui vous êtes ; Mais pour vous, croyez-moi, vos affaires sont faites,Vous n'en saurez jamais ni le rang ni le nom. BÉATRIX. Voyez le fourbe ! Et puis, à qui se fiera-t-on ? DON FERNAND. Mais à ce changement quel motif vous engage ? ISABELLE. C'est trop longtemps jouer le même personnage. Enfin, Don Dionis, mettons le masque bas. DON FERNAND. Quel est ce Dionis ? ISABELLE. Quoi, vous ne l'êtes pas ? DON FERNAND. Moi ? Si ce jeu vous plaît, quel qu'en soit le mystère... BÉATRIX. Payez son impudence, ou bien laissez-moi faire.Voyez, il nous prendra pour ses dupes, ma foi. DON FERNAND. Quelle est cette Beauté qui parle contre moi ?Madame, est-ce une Amie, ou bien quelque Parente ? BÉATRIX. Faites bien l'ignorant, je ne suis que Suivante,Mais telle que je suis, vous ayant rencontré,Vous me trouviez tantôt assez à votre gré. ISABELLE. Il t'en veut donc aussi ? DON FERNAND. Je ne l'ai jamais vue. BÉATRIX. [Note : Galantifier : il semble qu'il ne faille pas comprendre : "il m'a galantisée", c'est à dire "il a fait le galant avec moi", mais "il m'a rendue galante", au point que je l'aurais volontiers mis sur ma liste de galants.]Il m'a galantifiée au milieu de la rue,Et son coeur, s'il m'eût fait en croire ses serments,Se fût enregistré sur mon papier d'amant.La chose n'est pas vraie ? DON FERNAND. Il est vrai qu'on me joue, Et qu'on ne me dit rien que je ne désavoue.À pas une des deux je n'ai fait les yeux doux. ISABELLE. Don Juan de Torres n'est point connu de vous ? DON FERNAND. Je ne sais quel il est, et trêve d'incartade.Mon nom est Don Fernand ; et mon pays, Grenade ; Et je viens d'un procès presser ici la fin. BÉATRIX. [Note : Grenadin : moquerie, indiquant venant de Grenade. Ce terme est phonétiquement proche de "gredin".]Gardez d'être frotté, Monsieur le Grenadin.Quelque temps qu'à forger vous ait coûté l'histoire,Vous le passeriez mal si l'on m'en voulait croire.Entrant à l'aise ici, l'on ne vous hâtait pas, Mais, ma foi, pour sortir vous doubleriez le pas,Je vous remercierais de votre effronterie. DON FERNAND. Enfin est-ce gageure, ou bien galanterie ?Prétend-on quelque chose affectant ce courroux ? ISABELLE. Non, non, Don Dionis, on ne veut rien de vous. DON FERNAND. Mais ce Don Dionis qu'en moi l'on veut connaître... ISABELLE. Il m'importe fort peu que vous le vouliez être,Pourvu qu'en le voyant vous sachiez l'avertir,Que je ne l'ai souffert que pour me divertir.De ses fades douceurs, par coeur sans doute apprises, Il m'a plu quelquefois d'écouter les sottises,Mais loin qu'il pût avoir quelques charmes pour moi,Mon choix à Don Félix répondait de ma foi ;[Note : Baye : plaisanterie qu'on fait aux dépens de quelqu'un, à qui on donne de grandes espérances, ou à qui on fait peur de quelque chose qui n'est pas vraie. [F]]À des Provinciaux j'aime à donner la baye.Adieu, mon Cavalier. BÉATRIX. Voilà comme on vous paye, Messieurs, qui venez provincialementDébiter la fleurette, et prêter le serment.On vous fait bonne mine, on rit, on raille, on, cause,Mais les amis du coeur, dame, c'est autre chose,[Note : Tablature : terme de musique qui indique le registre. ici au sens figuré.]La tablature change, on parle sérieux. DON FERNAND. C'est donc à qui de vous m'embarrasseras mieux ?Si c'est là votre but, la pièce est imparfaite. ISABELLE. C'est assez, il est temps que vous fassiez retraite. DON FERNAND, voulant sortir par où on l'avait fait entrer. Adieu, ne croyez pas m'en avoir inquiété. ISABELLE, l'arrêtant. Non, non, mon Cavalier, tournez de ce côté, Sortez par l'autre porte, elle vous est connue. DON FERNAND. Quoi ? Vous continuez... BÉATRIX. Gagnons vite la rue,Le meilleur est pour vous de déloger sans bruit,Je vous y conduirai ; bonsoir et bonne nuit. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Don Fernand, Guzman. GUZMAN. Quoi, quand vous prétendiez l'entretenir chez elle, Le rendez-vous, Monsieur, était chez Isabelle ?C'est là que l'Inconnue avait su vous mander ? DON FERNAND. C'est là que de la fourbe il a fallu m'aider,Et que le jeu pour moi passait la raillerie,Si je n'eusse aussitôt payer d'effronterie. Quelquefois au besoin ce vice est de saison. GUZMAN. Mais comment n'avoir pas reconnu la maison ? DON FERNAND. Comment l'aurais-je pu, si dans une autre rueL'on me tenait ouverte une porte inconnue,D'où, sans qu'on m'ait rien dit, je me suis rencontré Dans un appartement où jamais je n'entrai ?Le plus fin en ma place eût donné dans le piège,Mais le don d'impudence est un grand privilège,Je l'ai mis en pratique, et je m'en suis tiré. GUZMAN. C'est un talent en vous de tout temps admiré ; Mais l'abord d'une Femme est un péril honnête,Lorsque prise pour dupe elle a martel en tête,Et vous deviez trembler ainsi pris au filet,D'en voir deux à la fois vous sauter au colet.Qui lors par impudence évite qu'on l'échine, En a provision, Monsieur, de la plus fine,C'est un pas qu'à franchir peu de gens ont appris,Et tout subtil qu'il est, le diable y serait pris. DON FERNAND. Aussi, pour en sortir j'aurais eu plus d'obstacle,Si le Ciel pour m'aider n'avait fait un miracle. Contre l'ordre commun il a fait qu'en ce jour,On avait vu la prudence accompagner l'amour,Et que du rendez-vous Isabelle en colère,Ait eu dans son dépit le pouvoir de se taire.Ainsi pour moi le pas était moins hasardeux Tant que j'ai pu me voir avec toutes les deux,Pour quelques mots couverts je m'en suis trouvé quitteMais dès que l'Inconnue a fini sa visite,Et qu'ayant malgré moi voulu se retirer,Seul avec Isabelle on m'a fait demeurer, En me traitant de fourbe, et Suivante et MaîtresseM'ont pensé mettre alors au bout de mon adresse.Don Dionis en moi leur étant trop connu... GUZMAN. Je vous tiens fort heureux d'en être revenu.Deux Femmes ! Rendez grâce aux heureuses Planètes Qui vous ont de leurs mains su tirer bragues nettes,Car tout autre que vous, quoi qu'adroit à mentir,Eût laissé la perruque avant que de sortir.Mais de vos feux errants les voyant éclaircies,Comment avez-vous pu vous les rendre adoucies, Et quel charme assez fort apaisant leur courroux,À détourner l'orage, et rabattu les coups ?Pour moi, j'aurais fort craint le saut par la fenêtre. DON FERNAND. J'ai feint effrontément de ne les pas connaître,Et comme l'Inconnue avait dit mon vrai nom, Sur ce déguisement j'ai toujours tenu bon.De leur Don Dionis, qu'elles nommaient sans cesse,Pour un jeu concerté j'ai fait passer l'adresse,Et comme tout n'étant que pour m'embarrasser,Niant jusques au bout, je me suis fait chasser. GUZMAN. Vous laisserez pester Isabelle à son aise ? DON FERNAND. Au contraire, Guzman, il faut que je l'apaise,Et que je fasse effort à lui mettre en l'esprit,Qu'elle croit trop l'erreur qui contre moi l'aigrit.Ayant à soutenir ce second personnage, Ici, pour le jouer, je l'attends au passage,Et sur un autre ton ayant su m'accorder,Comme Don Dionis, je prétends l'aborder.J'ai su par Don Juan qu'elle est chez une Tante,Et feignant tout le jour de l'avoir crue absente, Privé d'un rendez-vous dont je devais jouir,Je préviendrai sa plainte, et pourrai l'éblouir. GUZMAN. Et vous la voulez croire assez dupe et novice,Pour ne pas découvrir le noeud de l'artifice ? DON FERNAND. Mais on a vu des gens se ressembler si bien, Qu'à les voir séparés on n'y connaissait rien ;Si la rencontre est rare, elle est du moins possible. GUZMAN. Monsieur, dans ce dessein votre honte est visible.Si les traits du visage ont un rapport parfait,Ou la taille, ou la voix en détruisent l'effet ; Mais à moins que pour vous la foi n'entraîne l'âme... DON FERNAND. Aussi je ne prétends abuser qu'une Femme,Et je n'en sache point qu'on ne puisse obliger,Quand on sait bien s'y prendre, à croire de léger.Outre que Don Juan secondant mon adresse, Par de nouveaux détours fera valoir la pièce ;Pour appuyer la fourbe il est de tout instruit. GUZMAN. S'il a quelque talent, il peut faire grand fruit ;Qui prend de vos leçons a de hauts avantages.Enfin pour l'Inconnue, elle est cassée aux gages, Il ne s'en parle plus, c'est autant de vidé ? DON FERNAND. Mon coeur de ses attraits est toujours possédé,Jamais un plus beau feu n'eut tant de violence. GUZMAN. Monsieur, ayez de grâce un peu de conscience,Gardez-vous bien de suivre un conseil hasardeux, Qui vous les vouloir faire épouser toutes deux.Peut-être punit-on en matière pareille,Et celui qui consent, et celui qui conseille,Et je me trouverais assez peu soulagé,Que l'on vous accourcît si j'étais allongé. DON FERNAND. Tu vas un peu trop vite en faveur d'Isabelle,Je la veux adoucir, non pas à cause d'elle,Mais de peur que l'aigreur de son ressentimentN'engage l'Inconnue à quelque changement.Elle va de ma foi lui donner mille ombrages, Si je ne sais jouer tous les deux personnages,Et faire, dans l'état d'un noeud si surprenant,Tantôt Don Dionis, et tantôt Don Fernand.Voilà quel est mon but. GUZMAN. Tant pis. DON FERNAND. Il te chagrine ? GUZMAN. C'est qu'en mon coeur déjà l'amour prenait racine, Et que pour Béatrix ravi de n'en bouger,Si vous tournez casaque, il faut le déloger. DON FERNAND. Donc Béatrix te plaît ? GUZMAN. Monsieur par de là plaire.Ce serait bien mon fait, si j'étais son affaire,Et comme de tout temps les Belles m'ont tenté, Je me hasarderais à l'incongruité.Se charger d'une Femme en est une assez haute. DON FERNAND. Vraiment, je suis fâché du repos qu'elle t'ôte ;Mais crois-tu voir en elle assez pour t'engager ? GUZMAN. J'y vois plus qu'il ne faut pour me faire enrager. La Coquine a des yeux, dont la mutineriePasse le plus fripon de la friponnerie,Et les malins regards qu'elle m'a su darder,Navrant un pauvre coeur, prennent sans demander. DON FERNAND. Avec toi pour l'hymen obtiens qu'elle s'engage. GUZMAN. J'y fais réflexion, trêve de Mariage.Galante comme elle est, qui que vous épousiez,Quand vous en seriez saoul, vous me l'emprunteriez ;Mais je la vois venir, Monsieur. DON FERNAND. C'est Isabelle. GUZMAN. Peste ! Encor une fois que la friponne est belle ! Mon coeur en tombe presque en suffocation. DON FERNAND. C'est ici qu'il me faut pousser la passion. SCÈNE II. Don Fernand, Isabelle, Béatrix, Guzman. DON FERNAND. Madame, enfin le Ciel à mon amour propice,N'a pu de vos desseins approuver l'injustice,Ni souffrir plus longtemps qu'un ordre rigoureux Privât de votre vue un Amant malheureux.Il a fait naître exprès une telle rencontre,Aujourd'hui malgré vous à mes yeux il vous montre,Et m'offre la douceur dont un destin jalouxM'a tantôt empêché d'aller jouir chez vous. J'ose au moins me flatter de vous voir assez bonne,Pour consentir au bien que le hasard me donne,Et ne murmurer pas, que contre mon espoirIl accorde à mes voeux le plaisir de vous voir. ISABELLE. Pour vous le faire croire, il suffit de vous dire Que plus je vous connais, et plus je vous admire.Les divertissements que vous vous choisissezNe trouveront jamais qui les estime assez,Votre agréable humeur galamment les ordonne ;Mais afin d'épargner votre double personne, À qui d'elle avec vous parlai-je maintenant ?Est-ce à Don Dionis, ou bien à Don Fernand ?Êtes-vous de Grenade, ou venez-vous de Flandre ? DON FERNAND. De telles questions ont droit de me surprendre ;Vous avez déjà su par d'autres que par moi, Qu'en Flandre assez longtemps on m'a vu dans l'emploi,Le désir du repos a causé ma retraite.Cependant en ces lieux j'ai trouvé ma défaite,Et mon coeur que l'amour n'avait pu surmonter,Charmé de vos appas, n'a su leur résister ; Vous le savez, mais las ! Je crains bien que votre âmeNr cède au repentir d'avoir souffert ma flamme,Et que ce rendez-vous ôté cruellement,Ne soit déjà l'arrêt de mon bannissement. ISABELLE. Prévenir les sujets que j'aurais de me plaindre, C'est fort adroitement pratiquer l'art de feindre.Si j'avais pu tantôt tomber dans le panneau,Vous me feriez encor y donner de nouveau ;Mais quoi que mon esprit n'ait pas tant de lumières,Il faut pour l'éblouir des fourbes moins grossières, Et celles que par là vous pourrez attraper,Auront un grand talent à se laisser duper. DON FERNAND. Quelle énigme est-ce ci ? Madame... ISABELLE. Je vous prie,Afin d'ennuyer moins, changez de batterie ;C'est assez sur ce ton, vous ne m'y prendrez pas. DON FERNAND, à Béatrix. Tout ici de mon trouble augmente l'embarras.Tire-moi de la peine où tu vois qu'on me laisse ;Quelqu'un m'a-t-il su nuire auprès de ta Maîtresse ?Béatrix, quelle erreur tient ses sens obsédés ? BÉATRIX. Ah, Monsieur Don Fernand, vous vous dégrenadez ? Vous ne me prenez plus pour amie ou parente ! DON FERNAND. Enfin je n'ai point l'âme assez intelligente,Il faut s'expliquer mieux. De quoi m'accuse-t-on ?Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ? Que croit-on de moi ? GUZMAN. Bon.Voilà vous parler ferme, avisez à répondre. ISABELLE. Quoi, ce que vous oyez est peu pour vous confondre ? DON FERNAND. Faute d'y rien comprendre, on m'en voit interdit. BÉATRIX. Madame, il veut, je crois, nous renverser l'esprit.Donc tantôt tout du long me traitant d'Inconnue,Vous n'avez point nié de m'avoir jamais vue, De vous être adouci pour m'en conter un peu ? DON FERNAND. Moi, je l'aurais nié ? Pourquoi ce désaveu,Si t'ayant malgré toi dans la rue arrêtée... BÉATRIX. Avec combien de soin la pièce est concertée !Vous n'attraperez rien à prendre ce détour. DON FERNAND. Guzman. GUZMAN. Ce sont, Monsieur, gentillesses de Cour.Lorsque le jeu leur plaît, le plus fin n'y voit goutte. DON FERNAND. Mais, Madame, de grâce, éclaircissez mon doute,Ne puis-je au moins savoir de quoi vous vous plaignez ? BÉATRIX. De vous voir archi-fourbe, et des plus raffinés. DON FERNAND. Moi ? BÉATRIX. Qui voudra l'ouïr, c'est la même innocence. DON FERNAND. Mais enfin... ISABELLE. Mais enfin quelle est votre espérance ?Si je sais qu'en secret d'une Inconnue épris,Vous êtes Don Fernand, et non Don Dionis,Pourquoi sous ce faux nom tâcher à me surprendre ? Arriver de Grenade, et me parler de Flandre,Et de l'Armée enfin vous feignant de retour,Me cacher qu'un procès vous amène à la Cour ? DON FERNAND. Ce conte pour me nuire est un froid stratagème.Madame, qui le fait ? ISABELLE. J'ai tout su de vous-même. DON FERNAND. De moi ? Sans être fou, pourrais-je à mes dépens... BÉATRIX. Ma foi, vous n'aviez pas tantôt votre bon sens. ISABELLE. La rencontre chez moi vous était imprévue. DON FERNAND. Quoi, Madame, aujourd'hui chez vous je vous ai vue ? ISABELLE. Vous y veniez sans peine, attiré par l'amour. DON FERNAND. Parle ; m'as-tu, Guzman, quitté de tout le jour ? GUZMAN. Ah ! ISABELLE. L'honnête garant que vous faites paraître ! DON FERNAND. Mais il vous peut... GUZMAN. Oui dea, je puis piéger mon maître,Il est amant d'honneur si jamais il en fut. ISABELLE. De vos déguisements je découvre le but, Pour conserver toujours quelque place en mon âmeVous me voulez cacher votre nouvelle flamme,Mais n'en croyez pas tant l'espoir que vous prenez,L'un pour l'autre tous deux nous ne sommes point nés.À la seule Inconnue adressez votre hommage. Aussi bien ma parole à Don Félix m'engage,Et jamais à vous voir je n'ai su me forcer,Qu'aux moments de chagrin que j'avais à passer. DON FERNAND. Ce n'est pas sans raisons que de justes alarmes,Étonnant mon espoir, m'en défendaient les charmes, Sans chercher un prétexte aux mépris qu'on me rend.Le peu que je mérite en est un assez grand.Ne dites point qu'ailleurs je partage ma flamme,Mais dites qu'un Rival a su toucher votre âme,Et que sa passion engageant votre foi, Pour en remplir l'attente, il faut rompre avec moi. ISABELLE. Vous n'avez point d'intrigue avec une inconnue ? DON FERNAND. Pour vous seule d'amour mon âme est prévenue,Et cette ardeur est telle... ISABELLE. On en connaît le prix. DON FERNAND. Madame... ISABELLE. Adieu, c'est trop. DON FERNAND. Retiens-la, Béatrix, Aide-moi de mes feux à prouver l'innocence. BÉATRIX. Je ne sais quasi plus ce qu'il faut que j'en pense.Madame, accordez-lui... ISABELLE. Quoi, tu peux l'écouter ? BÉATRIX. Mais ne trouveriez-vous aucun lieu de douter ?S'il est Don Fernand, comme il semble paraître, Pourquoi s'obstiner tant à ne vouloir pas l'être ?Sur quel espoir si loin pousser la fiction ? ISABELLE. Tu te laisses gagner à la compassion,Et crois que jusqu'au coeur son déplaisir arrive ? BÉATRIX. C'est mon plus grand défaut, je suis trop compassive, Et parmi mes galants d'amour et d'amitié,J'en sais sur mon papier plus de cent de pitié ;Il est des étourdis, que refuser d'entendre,C'est contraindre autant vaut sur l'heure à s'aller pendre,J'évite le désastre, et fais tout pour le mieux. SCÈNE III. Don Juan, Don Fernand, Isabelle, Béatrix, Guzman. DON JUAN, contrefaisant l'étonné. Que vois-je ? Juste Ciel ! En croirai-je mes yeux ?Vous êtes ici ? Vous ? Ma surprise est extrême. DON FERNAND. Qui vous la peut causer ? DON JUAN. Mais c'est vous-même ?C'est vous ? Don Dionis ? DON FERNAND. Que veut-on que je sois ?Parlez. DON JUAN. J'en crois à peine encor ce que je vois. ISABELLE. Mais qui de ce transport vous peut rendre capable ? DON JUAN. Une aventure étrange, et qui semble une fable.Madame, à ce détour que je viens de quitter.Un Cavalier passant, j'ai voulu l'arrêter,Tel que Don Dionis, mêmes traits de visage, Même voix, même port c'est la vivante image,Et beaucoup se vêtant de la même façon,Son habit a laissé mon erreur sans soupçon.Pour m'en faire sortir, quoi qu'il est pu me dire,J'ai pris tout pour adresse, et cru qu'il voulait rire. Et serais encor loin de m'en voir éclairci,Si je ne rencontrais Don Dionis ici. DON FERNAND. Son nom est Don Fernand ? DON JUAN. Je n'ai su rien apprendre,Sinon que pour quelque autre on me l'aurait fait prendre,Et sans plus m'écouter il a tiré chemin. BÉATRIX. Madame, assurément c'est notre Grenadin. ISABELLE. Pauvre dupe ! BÉATRIX. Pas tant peut-être qu'il vous semble. DON FERNAND. Mais si le Ciel permet qu'un autre me ressemble,Faut-il sous ce malheur que je sois accablé ? GUZMAN. Monsieur, je suis perdu si vous êtes doublé. Ce second Dionis terriblement me choque,Aux dépens de mon dos j'en crains bien l'équivoque.Si l'abordant pour vous, il prend son sérieux ? DON JUAN. Enfin jamais portrait ne ressemblera mieux.Tout autre y serait pris. ISABELLE. Il faut que je l'avoue, Chacun de vous fait bien dans le rôle qu'il joue,Le conte avec grand art est sans doute inventé.De grâce, Don Juan, vous a-t-il bien coûté ?Ce rare effort d'esprit vous comblera de gloire. DON JUAN. Je ne suis point surpris qu'on ait peine à me croire, Moi-même qui m'en trouve encor tout interdit,Je prendrais pour un conte un semblable récit ;Mais il n'est rien plus vrai. BÉATRIX. Vous en doutez, Madame ? ISABELLE. Qu'il est souvent aisé de tromper une Femme !Simple, tu ne vois pas qu'ils s'entendent tous deux ? BÉATRIX. Doutez, puisqu'il vous plaît ; pour moi, je suis pour eux,Et j'ai vu tant de fois de telles ressemblances,Que je ne puis avoir toutes vos défiances.Pour s'être tenu prêt à fourber avec nous,Pouvait-il deviner qu'on le menait chez vous ? Y serait-il venu sachant ce qu'il hasarde ?Outre que si vous-même y voulez prendre garde,Quel que soit leur rapport de visage et de voix,L'autre semblait moins large, et plus grand de deux doigts. DON JUAN. Oui, je lui crois la taille un peu plus déchargée. DON FERNAND. Non, non, c'est entre nous une histoire forgée,Madame en juge mieux, et me doit quereller,De peur que mon malheur ne m'oblige à parler. ISABELLE. Quels reproches de vous aurais-je lieu de craindre ? DON FERNAND. Celui de mal aimer, ou plutôt de trop feindre, Et de m'avoir caché qu'un plus heureux que moiÉtait maître du coeur où prétendait ma foi. ISABELLE. Si quelque autre a sur lui la victoire obtenue,Je pourrais opposer l'amour d'une Inconnue ;Mais quoi que vous fassiez j'y prends peu d'intérêt. DON FERNAND. Pour l'Inconnue enfin je ne sais ce que c'est,Une telle aventure en vain pour moi s'applique,Je n'y prends point de part, mais... GUZMAN. Elle est hérétique,Monsieur, vous perdez temps. BÉATRIX. Quel serait son dessein,Madame ? Pensez-vous... ISABELLE. Tu me parles en vain. Je ne croirai jamais qu'un autre lui ressemble,Si tous deux aujourd'hui je ne les vois ensemble.Tantôt pour m'éclaircir il peut venir chez moi. DON FERNAND. J'irai, mais Don Fernand vous répond-il de soi ? ISABELLE. Qu'un semblable souci n'ait rien qui vous tourmente. Depuis une heure au plus j'ai revu son Amante,Qui sans savoir encor ce que je crois de lui,Doit chez moi de nouveau l'envoyer aujourd'hui.L'un ou l'autre y manquant, je sais mon personnage,Adieu. SCÈNE IV. Don Juan, Don Fernand, Guzman. GUZMAN. C'en est fait, Monsieur, il faut trousser bagage, À l'impossible enfin nul, dit-on, n'est tenu. DON FERNAND. Va, mon talent encor ne t'est pas bien connu. DON JUAN. Quoi, vous croyez plus loin pousser l'effronterie ? DON FERNAND. Je prétends au besoin suppléer d'industrie.Pour rompre l'embarras où le hasard m'a mis, Il ne faut qu'un exempt qui soit de vos amis. DON JUAN. Je puis vous en fournir. DON FERNAND. Voyons-en un de grâce,Et nous concerterons ce qu'il faudra qu'il fasse. DON JUAN. Ce que vous méditez voudra le jour entier ;Ainsi puisque avec vous je suis dans ce quartier, Dégagez ma parole avant que de rien faire.Par devoir tout au moins voyons votre Beau-père,Ce serait l'offenser que d'attendre à demain. DON FERNAND. Je sais qu'il faut le voir, et j'en ai le dessein,Mais souffrez que sans vous je lui fasse visite, Allant seul, je pourrai plutôt en être quitte,Et s'il veut m'arrêter, je feindrai que ce soirUn succès important m'oblige à vous revoir.Tu connais sa maison, Guzman ? DON JUAN. Voici sa porte. DON FERNAND. Adieu donc, quittez-moi, je tremble qu'il ne sorte. Cependant vous savez ce que j'attends de vous. DON JUAN. Fiez-vous-en à moi. SCÈNE V. Don Fernand, Guzman. GUZMAN. Vous l'allez bailler doux ?Faites bien le dolent d'avoir cru nécessaireQu'il ne partageât pas l'ennui de votre affaire ?Vos excuses sans doute auront ce fondement ? DON FERNAND. Je vais sur son accueil régler mon compliment. GUZMAN. Mais croyez-vous chez lui comme Gendre paraître,Sans que soudain ailleurs il vous fasse connaître ?Si jusqu'à l'Inconnue on fait courir ce bruit,Au choix de Léonor vous vous verrez réduit. Isabelle de vous déjà se désabuse. DON FERNAND. Il faut pour le beau-père inventer quelque ruse,Et la mener si bien, qu'après mon complimentIl me permette encor huit jours d'éloignement.Je puis chez Don Juan d'une affaire secrète Pour un terme si court prétexter ma retraite,Pressez mon aventure, et pénétrer enfinQuel succès de mes feux doit régler mon destin. GUZMAN. Ce sont deux volatils dont je crains bien l'issue.Deux beautés à la fois vous ont frappé la vue, Et quittant Léonor sur l'appas d'un faux bien,Vous risquerez à tout, et n'attraperez rien DON FERNAND. Voyons-la, puisque au père il faut rendre visite,Entrons. Mais Dieux, Guzman, que j'ai l'âme interdite ! GUZMAN. Qu'avez-vous ? DON FERNAND. Qui jamais vit un feu plus constant ? Dans la cour de Don Diègue on m'épie, on m'attend,J'y vois mon inconnue avecque sa Suivante. GUZMAN. N'en doutez point, Monsieur, la chose est évidente,Elle a su votre hymen, et voulant l'empêcherIci chez le beau-père elle vient vous chercher. Voilà comme un secret ne se peut jamais taire. SCÈNE VI. Don Fernand, Léonor, Jacinte, Guzman. LÉONOR, à Jacinte. Que Don Fernand s'expose à venir chez mon père ? JACINTE. Sa passion par là se croit justifier.Il avait su de vous qu'on veut vous marier,Et d'Isabelle ensuite ayant appris le reste, Il vient chercher à rompre un hymen si funeste.Madame, qui craint tout doit un peu hasarder. LÉONOR. Il m'en croit offensée, et n'ose m'aborder. DON FERNAND. M'ayant vu prêt d'entrer, Guzman, que dira-t-elle ? LÉONOR, à Don Fernand. De votre amour pour moi cette épreuve est cruelle, Et je n'aurais pas cru qu'un mouvement jalouxVous fît payer si mal ce que j'ai fait pour vous.Quoi que sur mon rapport vous ayez lieu de craindreQue mon père à l'hymen ne me veuille contraindre,Vous avez dû me croire assez de fermeté Pour n'en redouter pas toute l'autorité.Cependant c'est par vous que le sort m'assassine ;Vous venez chez Don Diègue assurer ma ruine,Et ne voulez pas voir qu'en ce pressant ennuiC'est me perdre en effet que paraître chez lui. Qu'y venez-vous chercher, sachant ce qui se passe ?Laissez-moi les moyens d'éviter ma disgrâce,Et ne dédaignez pas, pour mériter ma foi,Quand j'ose tout pour vous, de faire un peu pour moi. DON FERNAND. Si vous voulez, Madame, en croire l'apparence, Le sujet qui m'amène est pour vous une offense,Et par ce qui paraît, déclaré contre vousJ'ai mérité l'aigreur de tout votre courroux.Je venais chez Don Diègue, et vous pouvez me direQu'il semble contre soi que mon amour conspire, Puisque m'y hasardant, je ne pouvais douterQue le vôtre par là n'eût tout à redouter ;Mais j'atteste le Ciel qui voit toute mon âme,Qu'on ne brûla jamais d'une si pure flamme,Et que quoi qu'en ordonne un destin trop jaloux, Je périrai plutôt que n'être point à vous. LÉONOR. Un semblable serment a pour moi bien des charmes ;Mais daignez m'épargner de puissantes alarmes,Et pour ne me laisser aucun lieu de souci,Sans vouloir voir Don Diègue éloignez-vous d'ici. DON FERNAND. J'y consens, mais pour prix d'une amour si fidèle,Ne puis-je... LÉONOR. De ma part allez voir Isabelle,Et suivez un espoir qui vous est confirmé,Si vous aimez autant que vous êtes aimé. DON FERNAND. Ah ! Si vous en doutez... LÉONOR. Retirez-vous, de grâce, Mon amour vous l'ordonne, et ma crainte vous chasse ;Être ici plus longtemps ce serait me trahir.Adieu. DON FERNAND. Vous le voulez, et je dois obéir. SCÈNE VII. Léonor, Jacinte. JACINTE. Madame, heureusement de la ville arrivées,Au besoin dans la cour nous nous sommes trouvées. Il eût vu votre père, et fait peut-être éclat. LÉONOR. J'ai souffert dans mon coeur un étrange combat,D'un si hardi dessein je voyais tout à craindre. JACINTE. Mais puisqu'il vous connaît, il n'est plus temps de feindre,Il faut songer à rompre, ou recevoir sa foi. LÉONOR. Viens dans mon cabinet en résoudre avec moi. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Béatrix, Guzman BÉATRIX, paraissant à la porte d'Isabelle au même temps que Guzman se présente pour entrer. Guzman vient seul ici ! Qu'a-t-il fait de son Maître. GUZMAN. Je suis son Lieutenant quand il ne peut paraître,Avec un grand Parleur dans la rue arrêté,Il trouve à le quitter quelque difficulté, Et s'il tarde un peu trop, craignant qu'on ne l'accuse,Il m'envoie en tous cas en faire son excuse.Il saura trancher court, et peut-être il me suit. BÉATRIX. Enfin on l'attendra plutôt jusqu'à la nuit.Mais pourquoi n'entrer pas ? Qui t'arrête à la porte ? GUZMAN. J'en avais à mon gré raison valable et forte ;Mais on ne saurait fuir ce qui doit arriver,Je craignais de te voir, et tu me viens trouver. BÉATRIX. Quoi, pour te faire peur suis-je assez effroyable ? GUZMAN. Non pas, mais je te crains pourtant comme le diable, Et choisirais plutôt, s'il dépendait de moi,D'être tenté par lui que de l'être par toi. BÉATRIX. Ne t'épouvante point ; si ton coeur en soupire,Tu t'accoutumeras. GUZMAN. Il ne coûte qu'à dire ;Et quoi qu'un pauvre coeur soit tout percé de coups, Pourvu qu'on s'accoutume il doit être fort doux ?Mais en m'accoutumant, comme j'ai l'âme prompte,Quand je n'en pourrai plus, ce sera pour mon compte.Cependant de ta part, loin de me soulager,Tu t'accoutumeras à me faire enrager. BÉATRIX. Tu crois donc qu'à me voir ton repos se hasarde ? GUZMAN. Je suis tout palpitant dès que je te regarde,Et de mes sens ravis en contemplation,Mes yeux seuls près de toi gardent leur fonction,Peu s'en faut que mon coeur n'en soit paralytique. BÉATRIX. Pourrait-il craindre un mal que ta langue m'explique ?Qui le connaît si bien n'est pas pour en mourir,Et si je t'ai blessé, je pourrai te guérir. GUZMAN. Si tu connais assez jusqu'où va ma blessure,Tu n'entreprendras pas une légère cure, Et je puis t'en promettre un honneur sans égal,La rechute, dit-on, est pire que le mal,Mais à guérir le mien s'il faut que tu consentes,Tiens mon coeur en état d'en avoir de fréquentes,Et songe qu'avec toi ravi de s'embourber, Il ne voudra guérir qu'afin de retomber. BÉATRIX. Va, Guzman, j'aurai soin, de peur qu'il ne t'empire,D'avoir quelque douceur chaque jour à te dire,Ni langueurs ni soupirs ne te coûteront rien. GUZMAN. Je crois qu'aux délicats tout cela fait grand bien, Mais pour moi qui crains fort les crudités venteusesJ'eus toujours l'estomac contraire aux viandes creuses,Et quand pour mes péchés il en est question,Je n'en tâte jamais sans indigestion. BÉATRIX. Tu n'es donc point mon fait, ainsi que de tous âges. Parmi mes Soupirants j'en ai de tous étages.Je reçois compliment, soins, complaisance, voeux,Mais ce meuble d'amour est tout ce que j'en veux,Chacun me fait sans peine écouter son martyre,J'estime les polis, et les sots me font rire. C'est ainsi que l'amour dans mon coeur se nourrit. GUZMAN. Cet amour est bien jeune, on n'a guère d'esprit.Je sais bien qu'en effet, quand il commence à naître,Ce n'est que de douceurs qu'il aime à se repaître,Cet aliment alors sans peine le soutient, Mais je le crois léger quand l'appétit lui vient.S'en tenir toujours à tu m'aimes, et je t'aime,Si c'est faire enrager, c'est enrager soi-même,Et le simple art coquet, si des sottes l'ont eu,Sans de grands ragoûts n'est pas grande vertu. BÉATRIX. Tu vas un peu trop loin ; encor sommes-nous faitesPour ouïr des douceurs, écouter des fleurettes ;C'est à quoi la plus prude aisément se résout,Mais il faut que toujours la vertu règle tout. GUZMAN. Tu me la bailles belle avec ta pruderie. Enfin qu'attrape-t-on par la coquetterie,Et que sert la vertu que tu me veux prêcher,Si sous l'habit du vice on aime à la cacher ?C'est être sage en vain que ne la point paraître.Pour moi, je sui pécheur autant qu'il le faut être, Et je ne sache rien qui me choque l'esprit,Comme se vendre au Diable, et s'y vendre à crédit. BÉATRIX. Je pense, pour t'avoir, qu'il lui doit coûter bonne. GUZMAN. Ce n'est pas trop gratis, et fol est qui s'y donne.Mais enfin, bien plutôt que je n'eusse espéré. D'avec son grand Parleur mon Maître s'est tiré. SCÈNE II. Don Fernand, Guzman, Béatrix. GUZMAN. Monsieur, on vous attend, mais cependant j'enrageD'être avant vous ici venu faire message ;Avec la Béatrix pour avoir babillé,Jusques aux intestins je me trouve grillé. DON FERNAND, faisant semblant de ne pas connaître Guzman. Que veut dire ce fou ? GUZMAN. Ben, et grand bien vous fasse ;Voyez s'il y fait chaud, je vous quitte la place,Pour m'ôter de péril vous venez bien à point. DON FERNAND, le repoussant. Ami, les froids railleurs ne divertissent point,Retire-toi. GUZMAN. Chasser un homme de ma sorte ? BÉATRIX. Voyez qu'exprès pour vous j'attendais à la porte ;Mais comme je n'ai pas le don de deviner,Apprenez-moi quel nom il me faut vous donner. DON FERNAND. Le mien est Don Fernand, est-ce que l'on en doute ? BÉATRIX. Si vous ne vous nommez, Monsieur, on n'y voit goutte, Et quand Don Dionis... DON FERNAND. Encor Don Dionis ?Ces divertissements devraient être finis.Cet Objet inconnu qui me tait sa naissance,Me fait de ta Maîtresse implorer l'assistance,Et pour m'en éclaircir je suis ici venu. BÉATRIX. Ainsi donc ce valet ne vous est pas connu ? DON FERNAND. Je ne le vis jamais, bien loin de le connaître. GUZMAN. Quoi, vous ne seriez pas Don Dionis mon Maître ? DON FERNAND, lui donnant un soufflet. Maraud tu peux railler ? GUZMAN. Monsieur vous êtes prompt.Ah, devant Béatrix m'avoir fait un affront ? J'en ai la rage au coeur. BÉATRIX. Vous avez été vite. DON FERNAND. Il aurait vu sans toi comme je m'en acquitte,Et si Don Dionis m'a jamais ressemblé. GUZMAN. Peste de la figure, et du Maître Doublé. DON FERNAND, tirant sa bourse de sa poche. Mais avant que d'entrer, prends, et daigne me dire Pour quel charmant Objet mon triste coeur soupire ;Je crains de ta Maîtresse encor quelques refus. BÉATRIX. Vous me voulez en vain éprouver là-dessus,Cet essai n'est pour vous qu'une faible ressource. DON FERNAND. Mais... BÉATRIX. Mon coeur est fermé, n'ouvrez point votre bourse. DON FERNAND. Au moins... BÉATRIX. Encor un coup ; Monsieur, je ne prends rien,Vous me connaissez mal. GUZMAN. Ô la fille de bien !Elle est incorruptible. DON FERNAND. Un présent t'épouvante ! BÉATRIX. Pourquoi, s'il m'en revient plus de mille de rentes ?Mais il faut, quels qu'ils soient, pour les voir sans mépris, Que la galanterie en fasse tout le prix.Je veux qu'avec tant d'art son adresse en ordonne,Qu'on me soit obligé de tout ce qu'on me donne,Et qu'on fasse si bien, que le don accepté,Je semble avoir encor moins reçu que prêté. C'est assez que mon coeur connaît ce que j'en pense. DON FERNAND. Pour tes adorateurs c'est trop de récompense ;Mais en ayant grand nombre, il est bien malaiséQu'ils touchent vivement un coeur si divisé.De l'un par l'autre ainsi tu confonds le service. BÉATRIX. L'Alphabet que j'en tiens à chacun rend justice,Et selon les degrés du mérite qu'il a,Pour ne confondre rien, je lui fais un Nota. DON FERNAND. Le secret est galant pour ne s'y méprendre. BÉATRIX. Nous avons obligé ma Maîtresse à descendre ; La voici qui paraît. SCÈNE III. Don Fernand, Isabelle, Béatrix, Guzman. DON FERNAND. Dois-je encor redouterL'erreur qui contre moi vous a fait emporter ?L'ordre d'une inconnue à qui mon coeur se donne,Veut qu'à vos volontés Don Fernand s'abandonne,Et dans l'obscur succès dont je presse la fin, Ce que vous résoudrez réglera mon destin. ISABELLE. Vous serez Don Fernand, si vous le voulez être,Lorsque Don Dionis aura voulu paraître ;Vous êtes tous les deux tant qu'on ne le voit pas. BÉATRIX. Ne doutez plus, Madame, il n'est qu'à trente pas; Son Valet qu'il envoie en ôte tout scrupule. ISABELLE. Il ne me l'ôte pas. GUZMAN. Je suis moins incrédule,Et me suis trop senti de la contrefaçon. DON FERNAND. Mais, Madame, pourquoi cet outrageant soupçon ?Que pourrais-je espérer d'une lâche imposture ? ISABELLE. Sans aucun intérêt je vois cette aventure ;Dionis ou Fernand, tout est égal pour moi,Je vous l'ai déjà dit, Don Félix a ma foi ;Mais la Dame Inconnue à qui vous voulez plaire,Par beaucoup de raisons me doit être bien chère, Et si vous la trompez, je ne puis refuserD'employer tous mes soins à la désabuser. DON FERNAND. Jamais fidélité n'approcha de la mienne. ISABELLE. Entrons, en attendant que Don Dionis vienne ;C'est l'unique moyen de vous justifier. SCÈNE IV. Isabelle, Don Fernand, Béatrix, Guzman, Un Exempt, Suite de L'Exempt. L'EXEMPT, saisissant l'épée de Don Fernand Monsieur, de par le Roi, je vous fais prisonnier. DON FERNAND. Moi ? L'EXEMPT Vous-même. DON FERNAND. Voyez quelle erreur est la vôtre,Messieurs, vous me prenez sans doute pour un autre. L'EXEMPT Don Fernand d'Avalos nous est assez connu.Vous verrez le Décret contre vous obtenu. Votre Partie enfin a fait voir qu'à GrenadeVous avez fait tuer Don Lope d'Alvarade,Qu'un autre en est pour vous faussement accusé. GUZMAN, bas. Voici pour les surprendre un trait assez rusé,Il faut aider la Pièce. DON FERNAND. Ah ! Messieurs, je proteste... L'EXEMPT C'est aux Juges demain que vous direz le reste,Ces éclaircissements passent ma fonction. ISABELLE. Mais ne pourrait-il pas vous donner caution ? L'EXEMPT Madame, à ces rigueurs la Justice est contrainte. GUZMAN. Messieurs, pour un soufflet, je couche aussi ma plainte. L'EXEMPT Marchons sans faire éclat. GUZMAN. Me voilà satisfait ;Ah ! Monsieur Don Fernand, vous payerez le soufflet. DON FERNAND, à Isabelle. Je puis fort aisément prouver mon innocence ;Mais en vous cependant je mets mon espérance,Rendez-vous favorable à seconder mes voeux. GUZMAN. Je le verrai loger. SCÈNE V. Isabelle, Béatrix. BÉATRIX. Vous vous défierez d'eux,Et voudrez croire encor que le tout soit adresse ? ISABELLE. Nomme ma défiance injustice ou faiblesse,Condamne sur mes sens ce qu'elle a de pouvoir,Dans ces occasions on n'en peut trop avoir. BÉATRIX. Quoi, vous la croiriez juste, après ce qui se passe ? ISABELLE. Je plains de Don Fernand la fâcheuse disgrâce ;Mais crois-moi, ses détours vont être superflus,Puisqu'il est arrêté, Don Dionis n'est plus.Son valet qui le suit fait voir le stratagème. BÉATRIX. J'en avais cru d'abord la ressemblance extrême,Mais ici tout à l'heure, à le voir de plus près,J'ai fort bien remarqué qu'ils n'ont pas les mêmes traits.Qui s'y veut attacher, en voit la différence. ISABELLE. Tu seras toujours folle avec ta ressemblance. Enfin c'est Don Juan qui t'a gâté l'esprit.Il n'est rien de plus vrai que ce qu'il nous dit ?Voilà comme tu crois si tôt que l'on t'en conte BÉATRIX. Bien d'autres là-dessus ont la croyance prompte,Et quand je m'examine, au moins vois-je de quoi Mériter les soupirs qui s'adressent à moi.Qu'on en vienne aux transports, qu'on se plaigne, languisse,Pourquoi ne croire pas que l'on me rend justice ?La fausse modestie est des faibles d'esprits ;Après tout, il est bon de connaître son prix. Quelques voeux dont chacun à l'envi nous accable,Qui croit en être digne, en devient plus aimable.Pour moi, qui sur moi-même ouvre assez bien les yeux,Je sais ce que je vaux, et j'en crois valoir mieux ;J'en prends un droit d'empire, un air de confiance, Qui force les plus fiers, et prend les coeurs d'avance,Un peu d'orgueil sied bien pour en venir à bout,Et pour grossir la troupe on fait armes de tout.Vous savez qu'en Amants je ne hais pas la foule,La beauté se flétrit, la jeunesse s'écoule, Et je tiens qu'en notre âge il faut sans consulterPrendre tout, au hasard de ce qui doit rester. ISABELLE. Je te souffre l'erreur qui t'a toujours flattée ;Mais dans mon coeur enfin la chose est arrêtée,Et quand Don Dionis serait tel que tu crois, J'ai su pour Don Félix déterminer mon choix.Son retour à Madrid que dans peu l'on espère,S'il est toujours le même, achèvera l'affaire,Et si pour Léonor j'étais hors de souci...Mais je vois Don Juan. SCÈNE VI. Don Juan, Isabelle, Béatrix. ISABELLE. Qui vous fait rire ainsi ? DON JUAN. Je ris de l'embarras où depuis plus d'une heureAvec un vieil ami Don Dionis demeure.Jamais plus de grands mots n'avaient encor si bienFait voir le haut talent de nos diseurs de rien.Quoi que l'on ait pu dire, quoi qu'on ait pu faire, Il a fallu l'entendre, enrager, et se taire.Je les viens de laisser aux compliments d'adieu. ISABELLE. Don Dionis ne fait que sortir de ce lieu. DON JUAN. Don Dionis ? ISABELLE. Lui-même. DON JUAN. Oui, sans doute, Madame,Je viens tâcher encor à surprendre votre âme, Mais me donnant la main, pour vous éclaircir mieux,À trente pas d'ici vous en croirez vos yeux. BÉATRIX. J'y vais pour vous, Madame, Et si votre assurance... DON JUAN. Il n'en est pas besoin, le voici qui s'avance. SCÈNE VII. Don Fernand, Don Juan, Isabelle, Béatrix. BÉATRIX. Et bien, voyez un peu les yeux de celui-ci. Madame, tout de bon l'autre est-il fait ainsi,Et si quelque rapport à douter vous engage,Pourriez-vous lui trouver même tour de visage ?Ce front vous semble-t-il également ouvert ? ISABELLE. Tout augmente mon trouble, et mon esprit s'y perd ; Mais tu doutes en vain, Béatrix, c'est le même. DON FERNAND. Madame, on craint toujours quand l'amour est extrême,Et je vous dois paraître encor inquiétéD'un fâcheux embarras qui m'a trop arrêté.J'appréhendais chez vous de m'être fait attendre, Mais je me trouve encor le premier à m'y rendre,Et votre Don Fernand qu'on y faisait venir,Du moins, s'il s'en souvient, s'est laissé prévenir. ISABELLE. Don Fernand est venu dégager sa parole.Vous pouvez là-dessus poursuivre votre rôle, Il vous laisse en état de bien l'exécuter. DON FERNAND. J'ai lieu d'être surpris qu'on ait pu l'arrêter. ISABELLE. Quoi, pour votre intérêt vous voulez qu'il s'arrête,Quand le pouvoir du Roi rend son excuse prête ?C'est pour n'y pas céder une trop juste loi. DON FERNAND. Que dites-vous, Madame ? Il est mandé du Roi ? ISABELLE. Que vous êtes adroit à bien donner le change !Mais rien de votre part ne doit sembler au étrange,Et la fourbe est pour vous un don si naturel... DON FERNAND. M'en accusez encor ! Ce reproche est cruel, Si votre injuste erreur vous est toujours si chère,Que rien sans Don Fernand ne vous peut satisfaire,Quoi qu'il vous opposât, deviez-vous consentir,Puisqu'il était chez vous, à le laisser sortir ? ISABELLE. Le trait est si subtil, qu'il faut que je confesse Qu'on ne peut rien conduire avec plus de justesse,Et comme de l'Exempt je connaissais le nom,J'ai cru, vous arrêtant, que c'était tout de bon.Où l'avez-vous laissé ? DON FERNAND. Qui, Madame ? ISABELLE. Hé de grâce,Faites voir ailleurs vos tours de passe-passe. L'on me dupe d'abord, mais j'en reviens soudain. DON FERNAND. Qu'est-ce ci ? DON JUAN, à Don Fernand. Remettez la partie à demain.Aussi bien pour guérir l'erreur qui la possède,Vous voir tous deux ensemble est l'unique remède.Sans une telle preuve elle n'a point de foi. DON FERNAND. Béatrix... BÉATRIX. Elle voit son erreur comme moi,Mais l'obstination d'une Femme à combattre,Est un petit Démon qui fait le diable à quatre,Son esprit de longtemps n'en sera délivré. SCÈNE VIII. Don Fernand, Don Juan, Isabelle, Guzman, Béatrix. GUZMAN. Enfin je suis content, le galant est coffré, S'il m'a pu souffleter, il en payera l'amende. BÉATRIX. Tu l'as suivi, Guzman ? GUZMAN. Suivi ? Belle demande ! DON FERNAND. Qui ? Parle, explique-toi. GUZMAN. Vous en serez surpris,Monsieur, votre Figure est un sot mal appris,Mai réjouissez-vous. DON FERNAND. Quel sujet m'y convie ? Dis. GUZMAN. Vous serez roué bientôt en effigie ? DON FERNAND. Maraud... GUZMAN. Votre portrait, ce Don Fernand maudit,D'un saut qu'on lui prépare a lieu d'être contrit ;Pour vol, brûlement, meurtre, on l'a mis en clôture. DON FERNAND. On l'a saisi ? GUZMAN. Demain il aura la torture... DON FERNAND. Quoi, ce même Fernand qu'on dit me ressembler ? GUZMAN. Le traître d'un soufflet a pensé m'accabler,Sa main pesante et large a grande expérience ;Je l'eusse pris pour vous sans cette différence,Tant sur vous, aux mains près, il est bien copié. DON FERNAND. Il t'a battu ? GUZMAN. Monsieur, j'en suis estropié;Mais si pareils soufflets sont toujours dans sa manche,Je prétends en avoir bientôt bonne revanche,Et venir des premiers ouïr son compliment,Quand il haranguera patibulairement. DON FERNAND. Madame, après cela seriez-vous si cruelle,Que de douter encor... GUZMAN. Il était avec elle,Monsieur, quand au collet on l'est venu gripper. ISABELLE. Certes, je vous devrais aider à me duper ?Mais personne jamais n'eut moindre complaisance, Vous perdez votre temps. DON FERNAND. L'étrange défiance !Vous voyez, vous oyez, et vous ne croyez rien. ISABELLE. Je crois tout, mais enfin je vous connais trop bien. DON FERNAND. Quoi, c'est moi qu'en prison Guzman a vu conduire ? ISABELLE. Guzman mérite bien que vous daigniez l'instruire ? Il fait de vos leçons un merveilleux emploi.Tu l'as donc vu, Guzman ? GUZMAN. Tout comme je vous vois. ISABELLE. Où l'a-t-on fait entrer ? GUZMAN. À deux détours de rue,Ici... Mais la prison vous doit être connue. DON FERNAND. Madame... ISABELLE. C'est assez, nous nous verrons demain, Adieu ; viens, Béatrix. DON FERNAND. Quel est votre dessein ?Au moins de quelque espoir daignez flatter ma flamme. ISABELLE. Vous avez déjà su le secret de mon âme,Ma foi pour Don Félix toujours se soutiendra ;Et pour vos intérêts, le temps en résoudra. SCÈNE IX. Don Juan, Don Fernand, Guzman. DON JUAN. Elle a tant de soupçon de votre stratagème,Qu'elle ne veut enfin en croire qu'elle-même,Et si j'en juge bien, elle va maintenantJusque dans la prison demander Don Fernand. DON FERNAND. Je le crois comme vous. DON JUAN. Elle aura beau s'en plaindre, Le Concierge a le mot, vous n'avez rien à craindre. DON FERNAND. Non, si mon Inconnue avecque moi d'accordM'avait pour assurance expliqué son vrai sort.Je ne sais que résoudre à moins de la connaître. DON JUAN. Que chez votre Beau-père elle ait osé paraître ! Cet effort part d'un coeur profondément atteint. DON FERNAND. Il en faut voir la fin, et l'amour m'y contraint,Mais comme j'en attends toujours quelque message,En vain votre parole à Don Diègue m'engage,Je ne puis aujourd'hui me résoudre à le voir. Inventez quelque excuse, allez chez lui ce soir ;Pour en manquer pour moi vous avez trop d'adresse. DON JUAN. Il faut vous satisfaire. DON FERNAND. Adieu donc, je vous laisse,D'Isabelle en ce lieu j'attendrai le retour. SCÈNE X. Don Juan, Guzman. GUZMAN. Monsieur, vous faites rage en matière d'amour ; Mais quand pour Don Fernand vous prenez la parole,Vous pourriez retrancher quelque peu de ce rôle,J'y trouve, en le jouant, un endroit superflu. DON FERNAND. Quel ? GUZMAN. Celui du soufflet qui m'a très fort déplu.J'ai pensé m'oublier, vous frappez comme un diable. DON FERNAND. C'est pour mieux conserver partout le vraisemblable. GUZMAN. On s'y doit attacher, mais il est certain casOù vraisemblablement il ne me plairait pas ;J'en ai la conséquence, et me connais à vivre. SCÈNE XI. Don Fernand, Jacinte, Guzman. JACINTE. Monsieur, on vous attend, et vous pouvez me suivre. DON FERNAND. Ah ! C'est toi. Que de joie à mon coeur amoureux ! JACINTE. Ma Maîtresse m'envoie, et vous êtes heureux.Venez sans différer. DON FERNAND. L'agréable nouvelle !Mais où la dois-je voir ? JACINTE. Vous la verrez chez elle. DON FERNAND. Et l'obstacle du père ? JACINTE. Il est grand, mais enfin On tient ouverte exprès la porte du jardin.Ainsi vous entrerez sans qu'il le puisse apprendre.Suivez de quelque pas. DON FERNAND, à Gusman. J'avais raison d'attendre ;Tu vois avec quel soin on cherche à me parler. GUZMAN. Garde aussi le vieillard pour vous mieux régaler. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Isabelle, Léonor, Béatrix. ISABELLE. La visite où pour vous ici je me dispense,Peut-être choquera l'exacte bienséance,Et quand pour Don Félix on presse mon aveu,Je n'entre point chez vous sans en rougir un peu.Aussi quoi qu'à vous voir l'amitié m'autorise, Je ne m'en croirais pas la liberté permise,Si le voyant absent, je ne venais sans peurDe rencontrer le Frère où je cherche la soeur.Vous m'avez confié votre secrète flamme,Et sachant ce que peut Don Fernand sue votre âme, Ce serait mal répondre à ce que je vous dois,Que de vous refuser mon avis sur ce choix. LÉONOR. En l'état déplorable où l'amour m'a réduite,J'ai bien besoin qu'on m'aide à régler ma conduite.Cet époux qu'à Séville un père m'a choisi, Fait le chagrin mortel dont mon coeur est saisi.De moment en moment il doit ici paraître,Et pleine du désordre où vous me voyez être,J'ai mandé Don Fernand pour résoudre avec luiCe que mon feu du sien peut attendre d'appui. Comme il sait qui je suis, je n'ai plus lieu de feindre. ISABELLE. Donc à vous déclarer il a su vous contraindre ? LÉONOR. Quoi, ce n'est pas de vous qu'il tient tout mon secret ? ISABELLE. Peut-être pour le taire est-il assez discret ;Mais s'il l'a su de moi, j'ai mauvaise mémoire. LÉONOR. Ce qu'il a fait tantôt m'obligeait à le croire.De l'hymen qui me perd désespéré, jaloux,Afin d'y mettre obstacle, il est venu chez nous.À peine ai-je obtenu qu'il n'ait pas vu mon père. ISABELLE. Cette chaleur d'amour ne doit pas vous déplaire, Mais si son coeur pour vous nourrit des feux constants,Vous êtes en danger de l'attendre longtemps. LÉONOR. Quoi, vous doutez qu'ici Jacinte ne l'amène ? ISABELLE. Je crains qu'à le trouver elle n'ait quelque peine,Tout à l'heure, à mes yeux, on vient de l'arrêter. LÉONOR. Quel rude revers avais-je à redouter ?Que le Sort m'est cruel ! ISABELLE. J'ai pourtant un scrupule,Qui sur ce point encor me laisse peu crédule.Je viens de la prison, où de tout mon pouvoirJ'ai tâché, mais en vain, d'obtenir de le voir ; Le concierge en oppose une étroite défense. LÉONOR. Quel sujet avez-vous par là de défiance ? ISABELLE. C'est que j'en ai beaucoup de me persuaderQue jamais de la fourbe on ne sut mieux s'aider.Ce même Don Fernand qui vous voit, qui vous aime, Doit être un Dionis qui m'en conte à moi-même,Ou s'il ne l'était pas, le rapport est si grand,Qu'il confond en effet plutôt qu'il ne surprend.Béatrix n'y peut voir pour tant de ressemblance. BÉATRIX. J'en vois autant qu'il faut, et dis ce que je pense ; Mais que ce soit le même, à quoi bon s'alarmer ?Vous suffira-t-il pas qu'il sache bien aimer ? LÉONOR. En conter en tous lieux n'en est pas un bon signe. BÉATRIX. De votre amour par là vous le croiriez indigne ;Ma foi, si la maxime avait lieu contre nous, S'il est bien des galants, il serait peu d'Époux.Se trouve-t-il encor de ces sottes cruellesQui se fâchent d'ouïr que l'on se meurt pour elles,Et parmi tous nos droits, n'est-ce pas le plus vieuxD'ouvrir presque l'oreille aussitôt que les yeux ? Il n'est pour un Amant fidélité qui tienne,Tout ce qui flatte plaît, de quelque part qu'il vienne,On écoute, et fît-on magasin de vertu,Jamais pour des douceurs galant ne fut battu.Qu'on y trouve à redire après tout, qu'on y glose, La faculté d'ouïr est une belle chose,Et qui jugera bien des malheurs les plus hauts,Trouvera qu'être sourde est le plus grand des maux.Pour moi, que la fleurette a toujours réjouie,Je n'entretiens mes jours qu'au moyen de l'ouïe, Et j'en aurais déjà vu le cours arrêté,S'il m'en était échu quatre de surdité. LÉONOR. L'humeur de Béatrix n'aura jamais d'égale.Malgré mon déplaisir j'écoute sa Morale ;Mais elle adoucit peu ce que ma flamme craint, S'il faut que Don Fernand soit tel qu'on me le peint. BÉATRIX. Il me semble pourtant, que sans trop de mystèreDe tout ce que je dis la conséquence est claire.De même qu'en tous lieux il nous plaît d'écouter,Les hommes de leur part prennent droit d'en conter ; Mais de tant de galants dont la fleurette roule,Il en est toujours un qu'on met hors de la foule.Le coeur, quoi qu'il le cache, a son choix favori,On préfère, et c'est là ce qui fait un Mari.C'est ainsi qu'un Amant jamais ne se partage, Que quelqu'une en secret n'ait toujours son hommage,Et que ce Don Fernand qui vous fait les yeux doux,Peut protester à cent, et n'adorer que vous. ISABELLE. Enfin de sa prison, ou fausse, ou véritable,Dépend de ce qu'il est la preuve indubitable ; C'est à quoi je m'arrête, et vous devez jugerQu'ici votre intérêt me peut seul engager.Je dois un coeur fidèle aux voeux de votre Frère,Et quand à tous Objets son amour me préfère,Le mien de ce qu'il vaut par ses respects instruit... Mais, Dieux ! Je vois Jacinte, et Don Fernand la suit. LÉONOR. Que me disiez-vous donc, et quelles conjectures... ISABELLE. Sur ce que vous savez prenez bien vos mesures. À Béatrix. Et bien ? Ce n'est pas fourbe encor que sa prison ? BÉATRIX. À la fin je crains bien que vous n'ayez raison. SCÈNE II. Isabelle, Léonor, Don Fernand, Guzman, Jacinte, Béatrix. DON FERNAND, à Guzman. Que je trouve Isabelle avec mon Inconnue ? GUZMAN. Nous avons tous notre heure, et la vôtre est venue,Monsieur, c'est sans remède, il faut passer le pas. LÉONOR, à Don Fernand. Vous voir est un bonheur que je n'attendais pas.Sur un bruit, Don Fernand, qui m'avait mise en peine, J'avais lieu de tenir cette espérance vaine ;On parlait de disgrâce, et d'emprisonnement. DON FERNAND, montrant Isabelle. J'étais avec Madame en ce fâcheux moment,Mais comme dans la Cour contre la violenceJ'ai des Amis puissants qui prennent ma défense, À peine ont-ils appris que j'étais arrêté,Qu'ils ont fait de leur rang agir l'autorité.Leur parole donnée a causé ma sortie. ISABELLE. C'est avoir promptement dressé votre partie.Leur envoyer l'avis, prendre leur caution, Trouver, suivre Jacinte à l'assignation,Le tout en moins d'une heure, et dans un temps si juste,Qu'il semble qu'à vos voeux chaque moment s'ajuste ;Qui pour aller si vite a des ressorts tout prêts,S'il n'est quelque peu fourbe, a d'étranges secrets. DON FERNAND. L'amour est un grand maître, et tout le favorise. ISABELLE. Mais tout à l'heure encor ce qui fait ma surprise,Le Concierge semblait n'avoir pas le pouvoirDe souffrir seulement qu'un Ami vous pût voir. DON FERNAND. C'est à quoi ma Partie avait su le contraindre ; Mais il a vu bientôt qu'il n'avait rien à craindre,Et trop de gens de marque ont répondu de moi. LÉONOR. Cependant il s'agit de prouver votre foi,On me la rend suspecte, et si je l'en veux croire,Je ne m'y puis fier sans hasarder ma gloire, Il doit faire mal sûr recevoir vos serments. DON FERNAND. Elle a conçu de moi d'étranges sentiments !Mais hélas ! Se peut-il, que les ayant su prendre,Vous doutiez d'un amour et si pur et si tendre,Et qu'un soupçon indigne et de vous et de moi, Déshonorant mes voeux, fasse outrage à ma foi ? LÉONOR. Je tâcherais en vain, Don Fernand, de vous taire,Qu'un mouvement secret m'en rendit l'offre chère,Et que rien à mon coeur ne peut être plus doux,Que vous voir mériter ce qu'il ressent pour vous ; Mais réduite à l'hymen qu'un père me prépareSi contre mon devoir mon coeur ne se déclare,Songez que cet effort ne se doit hasarderQue pour prix d'une foi qu'on veuille me garder. DON FERNAND. Ah ! Si brûler pour vous ne fait toute ma gloire... LÉONOR. Dans ce qu'on vous impute ai-je lieu de le croire ?Tout ce que Don Fernand me conte de douceurs,Don Dionis, dit-on, le sait conter ailleurs.C'est sous deux divers noms que son coeur se partage. DON FERNAND. Madame a contre moi rendu ce témoignage, Je connais quelle erreur m'attire son courroux,Mais je suis Don Fernand, et je n'aime que vous. ISABELLE. Enfin de vos talents elle est bien informée.Qu'elle aime là-dessus, qu'elle se croie aimée,J'ai pour ses intérêts agi comme j'ai dû. DON FERNAND. Et d'un soupçon si bas rien ne m'a défendu ?Vous n'en voulez juger qu'à mon désavantage ? LÉONOR. Mais de Don Dionis connaissant le visage,Croirai-je qu'en effet elle ait pu s'abuser ? DON FERNAND. Elle est du moins trop prompte à vouloir m'accuser. Si l'on en croit le bruit dot elle a connaissance,Avec ce Don Dionis j'ai quelque ressemblance,Et ce rapport de traits, sans doute surprenant,M'ôte dans son esprit le nom de Don Fernand. ISABELLE. Un rapport si fidèle a grand lieu de surprendre. LÉONOR. Mais peut-il être tel, qu'on s'y puisse méprendre,Et que dans cet abus, la taille ni la voix... DON FERNAND. L'autre, dit-on, Madame, est plus haut de deux doigts.Aucun ne nous a vus, qui dans la ressemblanceN'ait marqué soudain beaucoup de différence, Et de la vérité soutenant l'intérêt,Béatrix vous dira que... BÉATRIX. Non pas, s'il vous plaît.Avec tous vos détours vous m'aviez attrapé,Mais j'en vois l'artifice, et je suis dédupée.Vous savez donc ainsi vous faire prisonnier ? DON FERNAND. Quoi, pour me perdre mieux, veux-tu... BÉATRIX. Point de quartier,Je connais ma sottise, elle en vaut bien une autre,Je le sais, mais ma foi, vous avouerez la vôtre,Et nous éclaircirons votre genre douteux. LÉONOR. Ce procédé pour vous n'a rien que de honteux. Partout, sous divers noms, faire intrigues nouvelles ? GUZMAN, bas. Le voilà justement le cul entre deux selles ;Pour en embrasser trop, il l'a bien mérité. DON FERNAND. Ce reproche est sensible à ma fidélité ;Mais si quelques soupçons vous tiennent en balance, Le temps de mon amour prouvera la constance,Et des soins si pressants la feront éclater,Que vous n'aurez enfin aucun lieu d'en douter. LÉONOR. En vain cette assurance à mes soupçons s'oppose.Don Dionis ailleurs promet la même chose, D'autres en ont ouï ce qu'il dit maintenant. DON FERNAND. Laissez Don Dionis, et croyez D .Fernand ;Je le suis, et ma foi vous en devrait répondre. LÉONOR. Mon doute me déplaît, je cherche à le confondre ;Mais peut-on refuser de croire ce qu'on voit ? BÉATRIX. Puisqu'il veut l'être enfin consentez qu'il le soit,Madame, et seulement tâchons de savoir commeIl nous amène ici ce brave gentilhomme. GUZMAN. Je suis laquais d'honneur, et tu me fais grand tort. DON FERNAND. C'est que m'ayant trouvé... ISABELLE. Parlez pour lui d'abord ! Vous viendrez au secours, s'il sait mal vous connaître.Parle, à qui donc es-tu ? GUZMAN. Moi ? Je suis à mon Maître. ISABELLE. Et c'est Don Dionis, que ce Maître ? GUZMAN. Il est vrai. ISABELLE. Est-ce lui que tu vois ? GUZMAN. Si c'est lui ? Je ne sais.Puis-je le démêler d'avecque sa figure ? DON FERNAND. Ce que j'ai dit, Madame, est la vérité pure ;Don Dionis sans doute est un autre que moi. BÉATRIX. Mais nous l'avons laissé tantôt avecque toi. GUZMAN. L'ayant quitté depuis, je ne sais plus qu'en dire,On me l'a pu changer, et j'en aurais le pire. ISABELLE. Mais tu l'aurais connu quand tu l'as abordé ? GUZMAN. Je m'avançais vers lui quand je l'ai vu mandé.Ainsi j'ai cru devoir le suivre à l'aventure,Don Dionis, tant mieux ; Don Fernand, je l'abjure. LÉONOR. Pour les pouvoir surprendre, ils s'entendent trop bien. JACINTE. Tous leurs déguisements ne vont servir de rien.Quand la coiffe abaissée, allant en Inconnue,J'ai trouvé ce matin Don Fernand dans la rue ;Et que de ma Maîtresse il a lu le billet,Tu m'as complimentée, en fidèle Valet ; Tu disais ton avis, c'était alors ton Maître ? GUZMAN. J'étais avecque lui ? Moi ? Cela ne peut-être,À moins que le doublant comme il paraît ici,Le Diable eût pris plaisir à me doubler aussi. JACINTE. Quel impudent valet ! Madame, je proteste... BÉATRIX. Enfin il faut ici jouer de votre reste. DON FERNAND, à Léonor. Tout semble avoir juré ma perte auprès de vous ;Mais je veux que du Ciel m'accable le courroux,Si je ne suis... LÉONOR. Soyez tout ce qu'il vous plaît d'être,Loin de prendre intérêt encor à vous connaître, C'est un surcroît sensible à mes tristes ennuis,Qu'on vous ait malgré moi découvert qui je suis. DON FERNAND. Moi, je le sais, Madame, et vous êtes capableDe vouloir insulter au sort d'un misérable,Qui du plus pur amour se sentant consumer, Ignore en vous aimant qui le force d'aimer ? LÉONOR. Quoi, jaloux d'un hymen que je n'ai pu vous taire,Vous n'êtes point venu pour parler à mon père,Lui proposer de rompre ? DON FERNAND. Où prendre sa maison ?Où le chercher enfin si j'ignore son nom ? LÉONOR. Ah ! C'est trop soutenir un lâche stratagème.Nier obstinément ce que j'ai vu moi-même,Et de l'art de fourber se tenant glorieux,Démentir à la fois mon oreille et mes yeux !Je n'en demande point une preuve plus forte, Adieu. Va du Jardin le remettre à la porte,Jacinte, je rougis de l'avoir écouté. DON FERNAND. Je n'avouerai jamais ce qui m'est imputé ;Mais pour vous témoigner que ma flamme est sincère,Faites-moi tout à l'heure entretenir ce père, Qu'instruit de la naissance, il puisse examinerSi je vous ai rien dit qu'on doive soupçonner. LÉONOR. Enfin je ne veux point m'éclaircir davantage.Pour un autre à l'hymen sa parole m'engage,Il le veut, il l'ordonne, et je dois obéir. DON FERNAND. Ô Ciel ! Pour mon rival chercher à me trahir !Madame, songez mieux... JACINTE. Parlez bas, je vous prie ;Madame, le bonhomme est dans la galerie,Je crois qu'il vient ici. GUZMAN. Monsieur, tout est perdu. LÉONOR. Après ce que j'ai fait ce malheur m'est bien dû. ISABELLE. Songez à les cacher ; s'il faut qu'il les surprenne... JACINTE. Entrez ici... DON FERNAND. Non, non, la prévoyance est vaine,En l'état où je suis il faut tout hasarder. LÉONOR. N'espérez pas... DON FERNAND. L'amour saura me seconder. LÉONOR. Donc à ne craindre rien le péril vous anime ? GUZMAN. Bon pour lui, mais pour moi, qui suis pusillanime,Mesdames, n'est-il point dans ce mortel dangerQuelque endroit charitable où me pouvoir loger ? JACINTE. Je l'entends à sa toux, vous l'aller voir paraître,Entrez vite... GUZMAN. Eh, Monsieur ! DON FERNAND. [Note : "Paraître" rime avec "Croître" cr il s'orthographiait "Paroître".]Mon malheur ne peut croître, Il faut avec éclat justifier ma foi. LÉONOR. Mais cet éclat me perd. DON FERNAND. Dieux ! Qu'est-ce que je vois ?N'est-ce pas Don Juan ? GUZMAN. Et de plus le Beau-père. DON FERNAND. Où suis-je, et que croirai-je ? LÉONOR. Hélas ! Que dois-je faire ? ISABELLE. Préparez quelque excuse, et je vous aiderai. SCÈNE III. Don Diègue, Don Juan, Isabelle, Léonor, Don Fernand, Béatrix, Jacinte, Guzman. DON DIÈGUE, à Don Diègue. D'où naît ce changement, si vous m'avez dit vrai ?J'aperçois Don Fernand. DON FERNAND, à Don Diègue. Ah : Monsieur. LÉONOR. Ah ! Mon père,De ma témérité vous serez en colère ;Mais quand vous apprendrez... DON DIÈGUE. Je vois que tu rougis,D'avoir reçu sans moi Don Fernand de Solis ; Mais le titre Époux qu'il a droit de prétendre,Souffre la liberté que nous te voyons prendre.Sans doute qu'à tes voeux mon choix a répondu ? LÉONOR, à Jacinte. Don Fernand de Solis ! Ai-je bien entendu ? DON FERNAND. L'Inconnue est sa fille ! Ah ! Guzman, quelle gloire ! DON DIÈGUE. Si ton bonheur est tel que j'ai lieu de le croire,Il faut que je te loue au moins d'avoir eu soinQue l'aimable Isabelle en pût être témoin. ISABELLE. Comme pour Léonor une forte tendresseToujours dans son destin veut que je m'intéresse, Le choix de Don Fernand ne peut m'être que cher,S'il est digne du coeur qu'il tâche de toucher. DON FERNAND. C'est dont je n'ose encor me souffrir l'espérance,Et ce doute cruel me réduit au silence.Madame, quoi qu'un ppère autorise mes voeux, Son aveu sans le vôtre en vain me rend heureux ;Mon coeur ne reconnaît que votre seul empire.Parlez expliquez-vous. LÉONOR. Je l'ai déjà su dire,Mon père ayant des droits que je ne puis trahir,S'il a choisi pour moi, je ne sais qu'obéir. DON JUAN. Ainsi par cet aveu votre soupçon s'efface.Mais de Don Dionis obtiendrons-nous la grâce ?Madame... ISABELLE. C'est assez, votre jeu concertéN'a pas surpris en moi trop de crédulité. DON DIÈGUE, à Isabelle. Enfin dans le bonheur qu'ici le Ciel m'envoie, Un mot de votre bouche achèverait ma joie.Madame, Don Félix, dont j'attends le retour... ISABELLE. Vous m'avez pour répondre accordé plus d'un jour,Suffit que je l'estime, et que je ne puis taireQue la soeur près de moi peut beaucoup pour le Frère. DON DIÈGUE. Je ne demande rien après ce doux espoir. DON JUAN. Il ne nous reste plus que Guzman à pourvoir ;C'est à lui de choisir entre les deux Suivantes. GUZMAN. Ah ! Béatrix. BÉATRIX. Et bien, est-ce fait ? GUZMAN. Tu me tentes,Et si je m'arrêtais à jeter l'oeil sur toi, Le Diable pourrait bien être plus fin que moi. BÉATRIX. Quoi, tu doutes ? GUZMAN. Vois-tu ? L'hymen dont tu me priesDoit durer un peu plus que tes friponneries.Pour un bail de six mois je pourrais hasarder,Mais ma foi, pour toujours, Dieu m'en veuille garder. Tous ces friands attraits qui parent ton visage,Sont meubles de haut prix mal propres au ménage,Et je tiendrais heureux qui les doit posséder,S'il ne fallait toujours que voir et regarder.Mais, chère Béatrix, qui sous l'hymen se range, Fait tout comme un autre homme, il boit encor et mange.Partant, Jacinte, tiens. JACINTE. Tu la quittes pour moi ? GUZMAN. Va, touche. BÉATRIX. Pauvre fou ! J'aurais voulu de toi ?Dans quelle folle erreur ton esprit s'enveloppe !Sais-tu que j'ai fait tirer ton horoscope, Et que le moindre honneur qui me puisse être acquisC'est avant qu'il soit peu d'épouser un Marquis ?Peut-être même un Duc, ou plus. GUZMAN. Le doux augure !Bonsoir, belle Marquise, ou Duchesse future.Le Ciel... DON JUAN. Va, Béatrix, n'écoute plus ce fat, Je vais faire ériger ma terre en Marquisat,Et si dans ce temps-là ta foi n'est point promise,Prends-en la mienne ici, je te ferai Marquise.Comme en toi je choisis l'objet le plus parfait,J'en sais qui m'ont trouvé peut-être assez bien fait, Je plais où je veux plaire, et suis assez de mise. BÉATRIX. Nous n'avons pas besoin tous deux qu'on nous le dise,Et si je crois valoir qu'on ait des yeux pour moiVous avez pour vous-même autant de bonne foi.Mais, à bien prendre tout, quoi qu'un peu plus grand' Dame, Je n'en serais pas mieux pour être votre Femme,Et nous n'irions pas loin ensemble à communs frais,Qu'il ne fût question de venir au rabais.De l'humeur dont je suis, de l'humeur dont vous êtes,Je crois qu'assez souvent nous ferions bourses nettes. Nous sommes en défauts opposés tant soit peu,J'aime fort la dépense, et vous aimez le jeu.L'un de l'autre par là nous nous verrions les dupes ;Je voudrais de l'argent pour acheter des jupes,Et loin de m'en fournir comme j'aurais pensé, Peut-être ce jour-là vous auriez tout massé ;Un point, ou de Venise, ou de quelque autre mode,[Note : Tope et tingue : terme de jeu de dés venant de l'espagnol "toppo et tinguo".]Serait d'un tope et tingue une suite incommode,Et vous enrageriez cent fois tout votre saoul,Quand vous me verriez brave, et n'auriez pas le sou. Si la nécessité se trouvait trop pressante,On prendrait au besoin un peu d'argent en rente,La somme doublerait, elle ferait éclat,Et la terre saisie, adieu le Marquisat.Voilà comme le tout s'en irait en fumée. DON JUAN. Je n'ai pas avec toi méchante renommée.Puisque tu me connais, n'allons pas plus avant,Aussi bien nous pourrions nous quereller souvent,Au lieu que demeurant aux termes où nous sommes,Tu verras que je suis le plus ardent des hommes, Et que tant que le jeu me laissera de quoi,Si tu prends à crédit, j'irai payer pour toi. ==================================================