******************************************************** DC.Title = GROS CHAGRINS, COMÉDIE. DC.Author = COURTELINE, Georges DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:18. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/COURTELINE_GROSCHAGRINS.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5673047q/f16.item DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** GROS CHAGRINS Carillon, 2 décembre 1897. 1929 de GEORGES COURTELINE. PERSONNAGES. CAROLINE. GABRIELLE. Extrait de "Théâtre III", Georges Courteline. Paris, Ernest Flammarion éditeur, 1929. pp 5-23. GROS CHAGRINS Au lever du rideau, Caroline fait de la tapisserie à la clarté d'une lampe posée sur un guéridon. Un silence. Brusquement, violent coup de sonnette. Caroline dépose son ouvrage, quitte la scène et va ouvrir. A la cantonade on entend : «Gabrielle !» et aussitôt les sanglots bruyants de Gabrielle. Réapparition des deux jeunes femmes. CAROLINE. Ah ça ! Mais, tu pleures ! GABRIELLE, éclatant en sanglots. Ah ! Ma chère ! Ma chère ! CAROLINE. Mon Dieu, que se passe-t-il ? GABRIELLE. Une chaise !... Donne-moi une chaise ! CAROLINE, la faisant asseoir. Tiens ! GABRIELLE. Merci !... Un verre d'eau, veux-tu ? CAROLINE. Tout de suite !... Mon pauvre chat ! Mon pauvre chat !... Pour Dieu, qu'est-ce qui t'est arrivé ?...Tiens, bois ! GABRIELLE, prenant le verre. Merci ! - Aide-moi à dégrafer mon boa. Tâte mes mains ! CAROLINE. Tu as une fièvre !... GABRIELLE. Je suis comme une folle ! CAROLINE. Calme-toi ; je t'en supplie ! Tu me tournes les sangs ! GABRIELLE. Je suis comme une folle, je te dis. CAROLINE. Bois encore un peu. Là !... Voilà !... Te sens-tu un peu mieux ? GABRIELLE. Oui... Non... Oui... Je ne sais pas !... Ah ! Mon Dieu, mon Dieu ! Soyez donc une honnête femme ! CAROLINE. Enfin que se passe-t-il ? GABRIELLE, avec éclat. Ce qui se passe ?... Il se passe que mon mari me trompe ! CAROLINE, incrédule. Non ? GABRIELLE. Si ! CAROLINE, les bras cassés. Qu'est-ce que tu me dis là ! GABRIELLE. La vérité. CAROLINE. Fernand ? GABRIELLE. Fernand ! CAROLINE. Qu'est-ce qui aurait pu croire ça de lui ? GABRIELLE. Crois-tu, hein ? Après neuf ans de mariage ! En pleine lune de miel ! CAROLINE, atterrée. Eh bien, nous sommes propres, toutes les deux ! GABRIELLE, avec espoir. Ah bah !... Est-ce que toi aussi ?... CAROLINE. Non ; moi, ce n'est pas cela. Seulement, imagine-toi que j'ai tous les ennuis : ma belle-mère est à l'agonie et je suis sans bonne. GABRIELLE. Allons donc ! CAROLINE. C'est comme je te le dis. GABRIELLE. Tu as renvoyé Euphrasie ? CAROLINE. Ce matin ! GABRIELLE. En voilà une histoire ! CAROLINE. Ne m'en parle pas; j'en suis malade. D'autant plus que c'était une perle, cette fille ! GABRIELLE. C'est vrai ? CAROLINE. Une perle ! Un diamant ! Elle avait toutes les perfections ! - Mais voleuse !... GABRIELLE. Qu'est-ce que tu veux ! Quand ce n'est pas ça, c'est autre chose. Ainsi moi, ... tu te rappelles Adèle, ma femme de chambre ? CAROLINE. [Note : Bringue : Populairement, femme mal bâtie. [L]]Parfaitement. Une grande bringue qui avait une tête de brochet ? GABRIELLE. Précisément ! CAROLINE. Eh bien ? GABRIELLE. Est-ce qu'un jour... - Non, mais écoute ça, - ... Je ne l'ai pas pincée en train de se débarbouiller avec mon éponge de... toilette ? CAROLINE, suffoquée. Pas possible ? GABRIELLE. Ma parole d'honneur ! CAROLINE. Ah ! La sale bête ! Je l'aurais tuée ! GABRIELLE. Tu es bonne ! On n'a pas le droit. Qu'est-ce que je disais donc ? Éclatant.Ah oui ! Alors voilà, ma chère ; il me trompe ! CAROLINE, la consolant. Eh là ! Eh là ! GABRIELLE, hurlant. Hi ! Hi ! Hi ! CAROLINE. Es-tu sûre, au moins ! GABRIELLE, les mains au ciel. Ah ! Dieu ! CAROLINE. Mon pauvre chou ! Mon pauvre chat ! GABRIELLE, toujours sanglotante. Ah ! Oui, va, tu peux me plaindre ! Je suis assez malheureuse. CAROLINE. Mais je te plains de tout mon coeur ! Ah ! Bien sûr non, tu n'avais pas mérité ça ! GABRIELLE. Enfin, est-ce vrai ? CAROLINE. Voyons, conte-moi ça en détail. Dis-moi tes peines, ma chérie ; cela te soulagera toujours un peu. GABRIELLE. Eh bien voilà. Elle se mouche, se tamponne les yeux, etc.Tu sais que Fernand va à la Bourse tous les jours ? Moi, je reste seule, et je m'ennuie. Alors, qu'est-ce que je fais ? CAROLINE. Tu retournes ses poches, je connais ça. GABRIELLE. Parfaitement. Et je fouille dans son secrétaire. CAROLINE. Tu as la clé ? GABRIELLE. J'en ai fait faire une. CAROLINE. Ce que tu as bien fait ! GABRIELLE. N'est-ce pas ? CAROLINE. Tiens !... GABRIELLE. Oh ! Ce n'est pas par curiosité ! CAROLINE. Bien sûr, non ! GABRIELLE. C'est par prévoyance ! CAROLINE. Sans doute ! GABRIELLE. Mieux vaut avoir deux clés qu'une seule. Au moins si on perd la première... CAROLINE. On a la seconde. GABRIELLE. Voilà tout. - Et à propos; que je te fasse rire ! Est-ce que je t'ai conté que l'autre jour, j'avais perdu la clé de chez nous ? CAROLINE, très intéressée. Ta clé ! Non ! Quand ? GABRIELLE. La semaine dernière ! Comment, je ne t'ai pas dit cela ? CAROLINE. En voilà la première nouvelle ! GABRIELLE, se tordant de rire. Ah ! Ma chère !... Ça a été toute une histoire ! J'avais passé la soirée chez maman, figure-toi. Tu sais que maman, le jeudi soir, donne du thé et des petits fours ? Bon ! Minuit sonnant, je saute en fiacre ; j'arrive chez nous, je grimpe mes trois étages quatre à quatre. Une fois à ma porte, pas de clé ! CAROLINE. Pas de clé ? GABRIELLE. Pas l'ombre ! CAROLINE. Ça, c'est drôle ! Et ton mari ? GABRIELLE. Au cercle ! CAROLINE. [Note : Guignon : Mauvaise chance, principalement au jeu. [L]]Un vrai guignon ! GABRIELLE. Crois-tu ! Avec ça, pas de lumière ! Je n'ai jamais tant ri. Je suis restée sur le palier jusqu'à deux heures du matin à attendre le retour de Fernand ! Fondant brusquement en larmes.Fernand !... Ah ! Le gredin ! Ah ! Le monstre !... Il me trompe !... - Où donc en étais-je ? CAROLINE. Aux poches retournées. GABRIELLE. C'est juste. - Eh bien, j'y ai trouvé une lettre, dans sa poche. CAROLINE. Une lettre oubliée ? GABRIELLE. Parfaitement ! CAROLINE. Mon Dieu, que les hommes sont bêtes ! Ce n'est pas à nous que ces oublis-là arriveraient ! GABRIELLE. Oh ! Non ! CAROLINE. De qui, la lettre ? GABRIELLE. Devine ! CAROLINE. Ma foi... GABRIELLE. Ne cherche pas, va ! C'est tellement monstrueux, tellement abject, tellement ignoble ! - Rose Mousseron ? CAROLINE. [Note : Parisiana : Salle de spectacle située au 27 boulevard Poisonnière à Paris, entre 1894 et 1987.]De Parisiana ? GABRIELLE. Oui, ma chère ; de Parisiana ! Cette fille qui chante. CAROLINE. Ce n'est pas l'air. GABRIELLE. Si. CAROLINE. Non. GABRIELLE. Si. CAROLINE. Tu te trompes. GABRIELLE. Tu es sûre ? CAROLINE. Je te jure ! Tiens, c'est comme ça. Elle chante. GABRIELLE, qui a battu la mesure. [Note : Almée : danseuse, originairement d'orient.]Tu as raison. Je confondais avec l'Almée de la rue du Caire. Recommence un petit peu, pour voir. Caroline reprend, Gabrielle l'accompagne, en souriant d'abord, puis à toute voix. LES DEUX FEMMES, à tue-tête. J'ai z'une petite maisonÀ BarbeÀ BarbeJ'ai z'une petite maisonÀ Barbizon ! CAROLINE. Tu y es. GABRIELLE. Ça ne doit pas être bien malin, d'avoir du succès au café-concert. CAROLINE. Parbleu ! - Et alors ? GABRIELLE. Quoi, alors ? CAROLINE. Pour m'en finir avec ton histoire ? GABRIELLE. Quelle histoire ? CAROLINE. L'histoire de la lettre. GABRIELLE. Quelle lettre ? CAROLINE. La lettre de Rose Mousseron ? GABRIELLE. La lettre de Rose Mousseron ?... Ah oui ! Une lettre immonde, ma chère ! Pleine de saletés et d'horreurs ! Une véritable dégoûtation ! CAROLINE. Tu l'as sur toi, mon coeur ? GABRIELLE. Non. CAROLINE. Tant pis. GABRIELLE. Ah ! Les lâches ! Ah ! Les misérables, les infâmes ! Voilà pourtant à qui nous sacrifions tout, notre jeunesse, nos illusions, nos pudeurs ! Elle sanglote.Jamais, tu entends bien, jamais je ne pardonnerai ça à Fernand ! Mon Dieu, que je souffre ! Pour sûr, je vais avoir une attaque de nerfs ! CAROLINE, désolée. Je t'en prie, Gabrielle, pas d'attaque ! Puisque je te dis que je suis sans bonne ! GABRIELLE. Donne-moi un peu d'eau de mélisse ! CAROLINE. Tout à l'heure. - Tiens, mon petit chat, tu ne sais pas ce que tu vas faire ? GABRIELLE. Si ! Je vais me suicider. CAROLINE. Mais non. Tu vas rester à dîner avec moi. Ça te changera le cours des idées. GABRIELLE. À dîner ?... Je ne peux pas ! CAROLINE. Pourquoi ? GABRIELLE. Nous dînons chez les Brossarbourg. Au comble de la joie.[Note : Pas de quatre : Pas de danse de ballet pour quatre personnes. Le Lac des cygnes, contemporain de cette oeuvre, comporte une pas de quatre.]Il paraît que ce sera charmant. On dansera ! - Et pendant que j'y pense : tu connais le pas de quatre, Caroline ? CAROLINE. Oui. GABRIELLE. Veux-tu être bien mimi avec ta pauvre affligée ? CAROLINE. Certainement. GABRIELLE. Apprends-le-moi, dis ? CAROLINE. Comment donc ! Les deux femmes se placent en vis-à-vis, l'une à la cour, l'autre au jardin. L'orchestre joue le Pas de quatre. CAROLINE. Trois pas en avant et un petit coup de pied. Exécutant le mouvement.Tra la la la, tra la la la ! GABRIELLE, l'imitant. Comme ça ?... Tra la la la, tra la la la ! CAROLINE. Tu y es !... GABRIELLE. Ce n'est pas difficile ! CAROLINE. Pas pour deux sous !... Tra la la la ! Tra la la la ! Bien balancé... et en mesure ! GABRIELLE, chantant et dansant à la fois. Tra la la la ! Tra la la la ! ==================================================