******************************************************** DC.Title = L'AFFAIRE DE LA RUE BEAUBOURG, COMÉDIE. DC.Author = CROS, Charles DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:45. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CROS_AFFAIREDELARUEBEAUBOURG.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2079440 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AFFAIRE DE LA RUE BEAUBOURG COMÉDIE 1881. Tous droits réservés. Charles CROS. F. Aureau, Imprimerie de Lagny. LES PERSONNAGES L'AVOCAT. Monsieur COQUELIN-CADET. LA VICTIME. Monsieur COQUELIN-CADET. Paru dans SAYNÈTES ET MONOLOGUES, PREMIÈRE PARTIE, pp. 165-171 L'AFFAIRE DE LA RUE BEAUBOURG L'AVOCAT, d'un ton éloquent. Et d'ailleurs, messieurs de la Cour, messieurs les jurés, oui, nous avons assassiné, lâchement assassiné même, avec préméditation, avec astuce. Et si la victime a survécu à notre attentat, c'est par un malheur. Se reprenant.C'est par un effet de la Providence dont les voies sont impénétrables. - Maintenant j'en appelle à chacun de vous messieurs de la Cour, messieurs les jurés... Vous avez vu il n'y a qu'un instant la victime s'avancer à la barre parfaitement guérie de sa blessure... Qu'est-ce que disait cette victime manquée ? Oh ! Mon Dieu ! Rien de mal ! Ces êtres-là ont ils jamais pensé rien de bien ou de mal. Vous l'avez vu se présenter à vous avec cet air bienveillant particulier aux personnes ineptes, vous avez cru voir un pâle reflet de ces types à la mode dont oh s'égaie dans les vaudevilles et dans les chansons. Il fredonne quelques mesures de l'Amant d'Amanda.J'ai vu, ne le niez pas ! La stupeur d'abord et ensuite le profond ennui se peindre sur vos visages, quand les bras ballants, l'oeil vague, il a ôté son carreau... qui ne lui sert à rien, il n'est pas myope ! Tenez, permettez-moi, pour mieux rappeler à votre souvenir les points saillants de cette affaire... Permettez-moi, dis-je, messieurs de la cour, messieurs les jurés, de vous réciter, en allant jusqu'à l'imitation vocale, les paroles prononcées par la victime dans l'instruction. LA VICTIME, d'un ton un peu gâteux. Mon Dieu, monsieur le président, c'est bien simple. Je n'ai pas du tout compris pourquoi monsieur qui était mon ami et qui est encore mon ami.... L'AVOCAT. Vous avez vu à l'audience mon client tressaillir sous cette parole. LA VICTIME. Qui est encore mon ami, a voulu attenter à mes jours. Nous étions tous deux camarades depuis six mois. Nous nous voyions tous les jours. J'arrivais chez lui vers les huit heures du matin et je me mettais à causer, car il faut vous dire que j'aime à causer. (Je suis comme ça.) Je lui racontais généralement ce que j'avais fait la veille ; c'est vrai qu'il avait été avec moi presque tout le temps mais il est si distrait qu'on dirait qu'il ne voit ni n'entend rien de ce qui nous arrive quand nous sommes ensemble. Et puis d'ailleurs je lui racontais aussi ce que j'avais fait en le quittant pas grand'chose puisque je le quittais le plus tard possible, et aussi ce que j'avais vu le matin depuis mon réveil jusqu'à mon arrivée chez lui. Vous savez, monsieur le juge d'instruction, il n'arrive pas à tout le monde des aventures de roman. Il ne m'en est jamais arrivé à moi. (Je suis comme ça.) Mais au contraire, il se passe presque tous les jours dans ma vie des coïncidences bizarres. Ainsi, par exemple, j'ai rencontré, je ne sais combien de fois, au tournant de la rue Beaubourg, en allant chez l'accusé, un fiacre à numéro impair traîné par un cheval blanc. C'était comme une fatalité. Ça n'arrivait pas absolument tous les jours ! Aussi quand j'en rencontrais un, je disais à mon ami, ? je veux dire à l'accusé, ? ce matin j'ai rencontré mon fiacre impair et son cheval blanc, c'est bizarre ; quand je n'en rencontrais pas, je lui disais ce matin je n'ai pas rencontré de fiacre impair ni de cheval blanc, au tournant de la rue Beaubourg, c'est bizarre. L'AVOCAT. Messieurs de la Cour, messieurs, les jurés, ce régime a duré six mois. LA VICTIME. Le jour de la tentative j'ai été chez fui le matin comme d'habitude, ?c'est-à-dire non, non, ce jour-là c'était un peu plus tôt, vers sept heures un quart, sept heures vingt. Il dormait je l'ai réveillé et je l'ai trouvé un peu souffrant ; alors je me suis mis à causer pour le distraire. Ce matin-là, j'avais justement rencontré deux fiacres à cheval blanc, au tournant de la rue Beaubourg, mais il y en avait un de numéro pair, c'était bizarre. Je lui ai dit tout ça d'abord et puis je lui ai raconté ce que j'avais fait la veille au soir. Je me rappelle qu'alors mon ami, Se reprenant.... t'accusé s'est levé et s'est mis à repasser le rasoir sur le cuir... Il a même mis de la pâte. L'AVOCAT. Messieurs, si je vous raconte tout ça, c'est pour vous montrer combien il est regrettable que la victime ait été manquée. LA VICTIME. Quand tu m'asquitté hier soir si brusquement, - il m'avait en effet, quitté très brusquement - il était neufheures moins vingt, neuf heures moins un quart. J'ai été rue Montmartre n° 47, chez un fabricantde chaussettes, pour lui dire de m'envoyer aujourd'hui à sept heures précises, la demi-douzaine que je lui avais commandée. Moi j'aime qu'on me livre mes commandes exactement. (Je suis comme ça.) Le marchand m'a dit qu'il était en retard parce qu'un employé avait été obligé d'aller aux Ternes livrer une grosse de caleçons à un ancien mercier qui s'est retiré des affaires, et qui, je crois, a envie de reprendre le commerce. En sortant de chez le marchand de chaussettes, il était neuf heures dix, neuf heures un quart, j'ai pris l'omnibus pour rentrer chez moi, - vous savez qu'il faisait très humide hier soir ? J'essaie d'allumer une allumette, elle ne prend pas ; la seconde ne prend pas non plus, la troisième prend, mais elle s'éteint. Figurez-vous que ma femme de ménage avait mis le bougeoir à côté de la fenêtre entr'ouverte ; enfin il y en a une qui prend - une allumette. J'allume ma bougie qui pétille un peu, - baisse, baisse, et s'éteint. Alors je choisis les allumettes les plus sèches et je- vais au placard où j'ai soin d'avoir toujours un paquet de bougies. (Je suis comme ça.)Je ne sais pas pourquoi l'accusé qui était mon ami et qui est encore mon ami a trouvé quelque chose de mal à ce que je lui racontais là. Il s'est avancé sur moi, en tenant le rasoir avec lequel il venait de faire sa barbe, il m'a regardé attentivement et il l'a remis dans l'étui. Je n'y ai pas fait attention sur le moment ; mais j'ai réfléchi depuis qu'il avait déjà de mauvais projets. (Je réfléchis souvent après les choses), (je suis comme ça.)Quand il a été habillé, nous sommes sortis tous les deux pour prendre un peu d'appétit avant déjeuner ; moi j'aime bien à causer en me promenant. Je causais beaucoup ce matin pour distraire l'accusé qui était de plus en plus bizarre, les yeux semblaient lui sortir de la tête, il était rouge, rouge. Alors, à partir de ce moment-là, et pendant le déjeuner, lui qui ne disait jamais rien, il s'est mis constamment à me couper la parole en récitant un tas de tragédies, de comédies, je ne sais pas quoi, moi. Ça a duré toute la journée. Enfin dix minutes avant l'heure du diner, six heures moins dix, il s'est arrêté tout d'un coup, il semblait très abattu, et avait gagné une extinction de voix.Alors comme il ne mangeait pas, je me suis mis à causer pour le distraire : - Ce matin je me suis réveillé à six heures, six heures un quart, il ne faisait pas encore bien clair. J'ai mis mon pantalon et mes pantoufles, parce que ma femme de ménage ne vient qu'à six heures et demie me faire le café au lait et me cirer mes bottines. Je me suis lavé les pieds à l'eau froide. (Je suis comme ça.) Du reste à cette saison-ci, ça n'a rien de dangereux pour personne. Après ça je me suis mis à brosser mon gilet parce que j'ai remarqué que ma femme de ménage brosse bien mon paletot, brosse bien mon pantalon, brosse bien mon chapeau, mais... Il ne m'a pas laissé achever : « Il y a six mois que ça dure, c'est trop ! a-t-il dit à voix très-basse. C'est à ce moment qu'il s'est jeté sur moi, il avait l'air gai, je croyais qu'il voulait plaisanter ; mais il m'a pris par le nez qu'il a serré vigoureusement, et il a voulu me tuer en m'enfonçant dans l'oreille une fourchette pour les huîtres ! J'ai crié à l'assassin ! » On l'a arrêté ; mais vous pouvez le condamner, il sera toujours mon ami ! Un temps. L'AVOCAT, avec joie. Nous remercions messieurs de la Cour, messieurs les Jurés, de l'acquittement à l'unanimité qui vient d'être prononcé, mais en exprimant au jury toute notre gratitude, nous posons la question subsidiaire de l'internement, par précaution, de la prétendue victime, (cela dans l'intérêt de la tranquillité publique,) et nous supplions qu'il soit statué sur cette question séance tenante. Un temps. L'avocat se jetant dans les bras de son client.Il est interné, nous sommes sauvés. ==================================================