******************************************************** DC.Title = EURIMÉDON OU L'ILLUSTRE PIRATE. TRAGI-COMÉDIE. DC.Author = DESFONTAINES DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:19:59. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DESFONTAINES_EURIMEDON.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72636j DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** EURIMÉDON ou L'ILLUSTRE PIRATE. TRAGI-COMÉDIE M. DC. XXXVII. Avec Privilège du Roi. Par le Sieur DESFONTAINES. PARIS, Chez Anthoine de Sommaville, au Palais, dans la petite Salle, à l'Écu de France.Achevé d'Imprimer le 6. Juin 1637. Représenté pour la première fois en 1635. MADEMOISELLE, Voici des étrangers qui viennent des extrémités de la Grèce, et qui attirés par la réputation de vos mérites, souhaitent de s'acquitter des hommages qu'on doit à votre vertu. Si vous daignez prêter l'oreille au récit de leurs aventures, vous ne les estimerez pas indignes de votre entretien ; et je m'assure que vous leur ferez un favorable accueil quand vous saurez qu'ils sont Princes, et que par des actions qui ne dégénèrent point de leur naissance, ils vous auront fait voir dans le Tableau de leur vie, les Images de tant de Héros que votre Illustre Maison a donnés à la France. Je parlerais de vos augustes devanciers, François, Odet, et Charles de Bretagne qui sortis des anciens Ducs de cette belle Province, se sont montrés dignes surjons d'une tige si glorieuse, et en ont conservé la gloire dans votre famille, qui en porte encore des marques aussi durables, que célèbres ; Je parlerais des notables services qu'ils ont rendus à l'État par les effets de leur fidélité, et de leur courage, si ce n'était publier des choses qui ne sont inconnues qu'aux barbares, et vouloir comprendre dans une lettre ce qui mérite des volumes entiers ; Je dirai seulement que ces deux grands Rois Charles huit et Louis douze ont honoré vos ancêtres du glorieux titre de frère, et qu'en mille occasions ils ont confirmé cette qualité avantageuse qu'Anne de Bretagne, digne Épouse de ces deux Monarques leur avait légitimement acquise. Cette considération (Mademoiselle) et celle de votre mérite particulier ont fait résoudre deux Rois de venir aussi vous rendre les honneurs que vos Aïeux ont autrefois reçus, et admirer en vous une Majesté qui leur faisant oublier la leur, les force d'avouer que vous seriez incomparable, si le Ciel ne vous avait donné une soeur qui partage avec vous les inclinations de tout le monde. La Renommée qui a rempli l'Univers de cette vérité, a donné de la jalousie aux plus belles de votre sexe, et de l'admiration aux plus parfaites, mais vous donnerez de l'étonnement à notre Eurimédon et à sa Pasithée, quand vous leur ferez connaître que la beauté, et la gentillesse des Dames de France emportent le prix sur celles de Grèce, et de toutes les nations de la Terre ; Aussi n'est-ce pas leur dessein de vous disputer cet avantage, mais seulement d'avoir l'honneur de vous entretenir, afin qu'après cette faveur ils puissent être les Paranymphes de vos merveilles, par la voix de celui qui a pris la hardiesse de vous les présenter ; et qui désire être toute sa vie, MADEMOISELLE, De votre Grandeur. Le très humble et très obéissant serviteur DESFONTAINES. SONNET Beauté par qui Vénus voit la sienne effacée Mes vers pour te louer ont trop peu d'ornements, Et je crains, te faisant ces faibles compliments Que ta rare vertu n'en soit intéressée. Ta gloire ne saurait être plus rabaissée Qu'alors que le commun en a des sentiments, On doit à tes attraits les plus beaux mouvements D'une âme que le Ciel ait toujours caressée : Pardonne toutefois à ma témérité Si j'ose découvrir à la postérité Ce qui te fait paraître avec tant d'avantage ; Qu'on sache que par toi le vice est abattu Et que tes actions mieux qu'un noble héritage Te donnent aujourd'hui le beau nom de VERTU. DESFONTAINE[S] AU LECTEUR. Lecteur je croirais offenser ton jugement si je ne le croyais capable de discerner les fautes qui se sont glissées en l'Impression de cet ouvrage, et je ferais tort à ta courtoisie si je ne croyais que tu les excuseras ; c'est pourquoi sans m'arrêter à t'en faire le dénombrement, je te supplierai seulement de remarquer qu'en deux ou trois endroits où tu verras que les vers manqueront en leurs mesures, la faute vient de ce que l'Imprimeur a écrit doncques pour donc, encore au lieu d'encor, et une fois avec, au lieu d'avecque pour le reste je le laisse à ta discrétion. LES ACTEURS ARCHELAS, roi de la Troade père de Pasithée. MÉLINTE, roi de Thessalie et frère d'Eurimédon. EURIMÉDON, amant de Pasithée. TYGRANE, prince d'Arménie et Rival d'Eurimédon. FALANTE, Écuyer d'Archelas. LYSANOR, écuyer d'Eurimédon. PASITHÉE, infante de la Troade. CÉLIANE, princesse d'Arménie, et Amante de Tygrane. ALERINE, suivante de Pasithée. ARGAMOR, page de Tygrane. La scène est en l'île de Lesbos. Le texte a été établi par Laurent Vogel à partir du document numérisé de Gallica [BnF YF-572]. ACTE I SCÈNE I. Eurimédon, Pasithée. EURIMÉDON, sortant d'un navire et mettant Pasithée au port. Enfin (belle Princesse) après beaucoup d'oragesVous revoyez encor ces aimables rivages,Neptune partisan des embûches d'amourS'est montré favorable à votre heureux retour,Son perfide élément a respecté vos charmes, Et votre ravisseur a fléchi sous mes armes,Qui n'ont pu consentir qu'une DivinitéServît de récompense à l'infidélité.Mais que cette bonté qui vous rend adorableÉpargne à mon sujet un Prince misérable. Puis qu'Amour est l'auteur du mal qu'il a commis,Et que vos yeux (Madame) ont fait vos ennemis :Pardonnez à l'offense en faveur des complices,La vie est quelquefois le plus grand des supplices ;Car la mort finissant les jours d'un Criminel Finit un châtiment qu'ils rendaient éternel. PASITHÉE. Grand Prince à qui je dois et l'honneur et la vieJe tiens puisqu'il vous plaît ma vengeance assouvie,Et s'il me reste encor quelque ressentimentC'est pour vous obéir que j'en ai seulement : Que sans crainte Araxès retourne à MytylèneUn secret repentir fera toute sa peine,Et ma direction ne rendra pas suspectCelui qui pour moi-même a manqué de respect. EURIMÉDON. Madame : la grandeur des illustres courages Se remarque bien mieux dans l'oubli des outrages,Qu'alors que la rigueur de leurs justes arrêtsSur quelque Criminel venge leurs intérêts :Ce n'est pas que je veuille autoriser sa faute,Ou prendre le parti d'une audace si haute ; Mais déjà son supplice à son crime est uni,Et s'il est sans espoir il est assez puni. PASITHÉE. Eh bien qu'il soit ainsi : mais je ne puis comprendreD'où vous vient pour ce traître un sentiment si tendre,Et je ne sais comment un coeur si généreux A pour son amitié fait ce choix malheureux ? EURIMÉDON. Madame, ce discours est de trop longue haleineUne autre occasion vous tirera de peine,Cependant s'il vous plaît, allons rendre à la CourAu lieu de la tristesse et la joie, et l'amour. Mais j'aperçois le Roi, si mon oeil ne se trompe,Et bien que je le voie avecque peu de pompeToutefois de son front l'auguste majestéMieux qu'un sceptre Royal fait voir sa qualité. SCÈNE II. Archelas, Eurimédon, Pasithée, Falante. ARCHELAS. Falante : je ne sais quelle secrète joie Avecque ce vaisseau la fortune m'envoie ;Mais je me sens forcé malgré mon désespoirDe l'aller dans le port moi-même recevoir. FALANTE. Sire, ces étrangers qui viennent du rivageVous pourront éclaircir de cet heureux présage. ARCHELAS. Où sont-ils ? FALANTE. Les voilà qui viennent droit à vous,Pour avoir le bonheur d'embrasser vos genoux. ARCHELAS. Ah ma fille ! Est-ce toi que je revois encore ?Est-ce toi Pasithée ? Ô grands Dieux que j'adoreJe crains que dans l'excès de mon contentement Mon trépas ne succède à ce ravissement !Mais n'est-ce pas aussi l'effet de quelques charmesQui veut tromper mes yeux affaiblis de mes larmes ? PASITHÉE. Non Sire, vous voyez celle que le malheurAvait fait le butin d'un infâme voleur : Voici cette Princesse indignement ravie,Et qui perdait l'honneur aussi bien que la vieSi l'invincible bras de ce libérateurN'eut empêché ma perte, en perdant son auteur. ARCHELAS. Chevalier, Je sais bien que ma reconnaissance Est plus en mes désirs que dedans ma puissance,Et que pour bien payer cette belle actionMon sceptre est au dessous de l'obligation :Il est vrai qu'un exploit si digne de mémoireTrouve ordinairement son salaire en sa gloire ; Mais de peur d'être ingrat à ce rare bienfait,Je vous offre le bien que vous nous avez fait,Partagez nos plaisirs, régnez dans mes provinces,Faites vous (s'il vous plaît) des sujets de mes Princes,Je ferai tout pour vous, ayant tout fait pour moi, Vous m'avez rendu père et je vous ferai Roi. EURIMÉDON. Ah Sire ! Mon secours ne vaut pas qu'on y penseEt ce qui fit ma peine a fait ma récompenseJ'ai suivi seulement les lois de mon devoirPour servir Pasithée, il ne faut que la voir ; Et puisque je cherchais cette belle contréeJe bénis le sujet qui m'en donne l'entrée,Heureux si les faveurs d'un auspice si douxMe permettent l'honneur de vivre auprès de vous. PASITHÉE. C'est pour moi seulement que je dois dire heureuse La même occasion qui vous fut dangereuse :Car quand vous n'auriez pas à mes yeux combattu,Cette Cour est toujours ouverte à la vertu :Mais si votre valeur m'eût lors abandonnée,Je serais maintenant la plus infortunée Qui jamais ici bas ait respiré le jour,Et je ne verrais pas cet aimable séjour :Je serais maintenant pour comble de misèrePeut être le jouet d'un horrible Corsaire ;Ou bien pour éviter ce servage inhumain Contre mon propre coeur j'aurais armé ma main :Mais au triste moment de cette violenceLa vôtre a prévenu leur crime, et mon offense,Et le coup qui finit leur trame, et mes malheursMêla leur sang brutal à mes prodigues pleurs. ARCHELAS. Il fallait réserver à de honteux supplicesL'auteur de ce projet, ou du moins ses complices,Pour donner un exemple à la postéritéDu juste traitement qu'ils avaient mérité ;La mort que le bourreau pouvait rendre exécrable La gloire de vos coups l'a rendue honorable,Et vous avez donné par des trépas si beauxÀ des infâmes corps des illustres tombeaux. EURIMÉDON. Sire, Le Dieu des eaux les a dans ses entrailles,Un perfide comme eux a fait leurs funérailles, Et comme partisan de ce traître desseinIl en cache l'auteur dans son humide sein :Enfin de ces brigands la défaite est entière,La mer fut leur refuge, elle est leur cimetière,Et l'onde a tellement prévenu mes efforts Qu'ils ont été plutôt ensevelis que morts. ARCHELAS. Finissons avec eux cette tragique HistoirePerdons-en s'il se peut jusques à la mémoire,Craignant que par le bruit des discours superflusNous ne ressuscitions ceux qui ne vivent plus ; Que la joie en nos coeurs succède à la tristesse,Bannissons désormais cette importune hôtesse,Et sans nous arrêter aux soucis des mortelsÀ ce Dieu tutélaire érigeons des Autels. EURIMÉDON. Ah grand Roi ! Cet honneur plus grand que ma naissance Au lieu de m'obliger, me choque et vous offense :Car cette vanité me rendant odieuxReproche en même temps une erreur à vos yeux :Bien loin de m'élever à ce degré suprêmeLa rigueur du destin m'a mis à l'autre extrême, Pour toute qualité je suis EurimédonLa fortune en naissant me mit à l'abandon,Et pourtant de mon sort l'admirable aventurePeut passer pour miracle à la race future :En un point seulement je le trouve assez beau Puisque j'eus pour le moins un illustre berceau.Un Aigle me voyant étendu sur la poudre,Soit qu'il me voulût mettre à couvert de la foudre,Ou bien faire de moi quelque fameux guerrierPorta mon petit corps à l'ombre d'un laurier : Du depuis le destin lassé de me bien faireMe mit entre les mains d'un barbare CorsaireQui m'ayant dans un bois sous cet arbre trouvéParmi ses compagnons m'a toujours élevé.Cent fois il m'a juré que j'étais né d'un Prince Et m'a tout dit, hormis mon nom, et ma province,Car de peur de me perdre il m'a toujours cachéCet important secret qu'en vain j'ai tant cherché.Je n'avais que douze ans que déjà mon courageNe pouvait plus souffrir la paresse de l'âge, Et bien que j'eusse horreur de leurs traits inhumainsIl fallait que je fisse un essai de mes mains.Un jour l'occasion s'en montra toute prêteTrois Pirates venus fraîchement de la quêteNe purent sans débat partager leurs butins, Le lucre les rendant également mutinsIls passèrent enfin des discours, à l'épée ;Et la valeur d'un seul contre deux occupéeDans l'inégalité l'allait faire périrSi je l'eusse pu voir sans l'oser secourir. Contre ces lâches coeurs j'entrepris sa défense,Et comme l'un des deux méprisait mon enfanceIl donnait à mes coups tant de facilité,Que sa mort fut le prix de sa témérité.Dès lors tous étonnés de ce trait de courage, Comme à leur souverain ils me firent hommage ;Glorieux (disaient-ils) d'obéir désormaisAu Prince le plus grand que le ciel vit jamais :Du depuis leur respect pouvait servir de marqueQue j'étais en effet né de quelque Monarque : Mais je suis incertain de ma condition. PASITHÉE. Vous êtes trop modeste en votre ambition,Et si mon âme encor doute en votre origine,C'est qu'au lieu d'être humaine, elle la croit divine. EURIMÉDON. Ah ne me flattez pas, un si malheureux sort Avec le rang des Dieux a trop peu de rapport. ARCHELAS. Alcide avant sa mort était ce que nous sommes,Ce Héros comme vous naquit entre les hommes,Il fut leur protecteur, et cette qualitéLui fraya le chemin de l'immortalité : Ainsi cette vertu qui vous fait adorable,Et qui rend votre gloire à son nom comparable,Malgré les vains efforts d'un sort injurieuxVous réserve une place à la table des Dieux. EURIMÉDON. Mon coeur n'affecte pas ces dignités hautaines Dont la présomption bouffit les âmes vaines,Je préfère grand Roi, l'honneur de vous servirAux grandeurs qui pourraient dans le Ciel me ravir. ARCHELAS. De grâce (Eurimédon) quittez cette éloquence,Laissez-vous une fois vaincre à ma bienveillance Commandez en ma Cour, mais en ce juste pointPour me favoriser ne vous défendez point :Ou bien ce grand esprit qui tout autre surmonteÀ l'obligation ajoutera la honte,Et sa grâce conjointe aux offices du bras Nous fera confesser que nous sommes ingrats. SCÈNE III. TYGRANE. Destin, Neptune, Amour, Dieux cruels, tristes AstresNe délibérez plus, achevez mes désastres,Et vos foudres grondant en d'inutiles mains,Que ne punissez-vous les crimes des humains ? Souffrez-vous qu'un mortel brave votre vengeance ?Sans doute on vous croira de son intelligence,Et si contre mon chef vos courroux sont si lentsDe mon impunité naîtront mille insolents ;Trop pitoyables Dieux vengez-vous de Tygrane, J'ai trahi Pasithée et trompé Céliane,L'une en mon changement, l'autre par lâcheté :Céliane ressent mon infidélité,Et faute de secours, la belle PasithéeEst par ses ravisseurs indignement traitée, Cependant sur le point qu'elle s'en va périrJe suis les bras croisés et la laisse mourir.Ah ! c'est trop endurer un ingrat sur la terre,Cieux achevez mon sort par un coup de Tonnerre :Ce tragique accident ne sera pas nouveau, Le déluge du feu suivra celui de l'eau,Et mes membres épars sur cet humide empireAuront en même temps l'un et l'autre martyre.Mais qu'en vain pour avoir un remède à mes mauxJ'importune les Dieux puis qu'ils sont mes rivaux : Vaste mer qui retiens mon âme et mes délicesOuvre au moins à mon corps tes affreux précipices,Puisque déjà ma vie est sur ton Élément,Prends ce qui reste encor d'un malheureux Amant.Ah plutôt par mes cris ta colère irritée Emporte ma parole avecque Pasithée !Je la suivrai pourtant, et mes tristes vaisseauxFeront si promptement le grand tour de tes eaux,Que je te forcerai de me rendre ma Reine,Ou d'achever ma vie en achevant ma peine. SCÈNE IV. Falante, Tygrane. FALANTE. Où courez-vous Tygrane ? Et quel aveuglementVous oblige à revoir ce perfide Élément,Cependant que la Cour retentit d'allégresse,Et bénit le retour de sa chère Princesse. TYGRANE. De qui ? FALANTE. De Pasithée. TYGRANE. Ô rare invention ! Crois-tu par ce moyen calmer ma passion ?Non (Falante) sa perte est par trop véritablePour cesser mes transports au récit d'une fable. FALANTE. Tygrane, mon discours a tant de véritéQu'il peut vaincre aisément votre incrédulité, Si pour rendre à vos yeux la nouvelle certaineIl vous plaît seulement d'entrer à Mytylène,Là vous verrez l'objet qui vous fit amoureuxEt le libérateur qui vous a fait heureux. TYGRANE. Quel est ce Chevalier, est-il de connaissance ? FALANTE. Non, c'est un étranger, mais d'illustre naissance,On le traite de Prince, et son port gracieuxNe dégénère point de ce nom glorieux,Cet auguste guerrier cinglant devers cette ÎleSe venait rafraîchir à la première ville, Quand il a rencontré le funeste vaisseauQui mettait votre espoir et l'Infante au tombeau.Comme il s'en approchait d'une extrême vitesse,Il ouït cette voix (sauvez une Princesse)Aussitôt abordant ce traître Galion Il s'élança dedans plus hardi qu'un Lion,Malgré ses ravisseurs délivra Pasithée,Et mit à fond la nef qui l'avait emportée.Ce généreux héros après ce grand effortS'offrit incontinent de la remettre au port, Mais avec tant de grâce, et tant de bienveillanceQu'il rendit son respect égal à sa vaillance,Et l'Infante avoua qu'une telle actionFit voir moins de valeur que de discrétion. TYGRANE. Dieux que je suis confus ! et que cette nouvelle Me semble en même temps agréable, et cruelle !Deux mouvements divers tyrannisent mon coeur,J'aime bien ce retour, mais je crains son auteur.Son mérite, son port, sa valeur éprouvée,Cette discrétion de ma Reine approuvée Sont autant de Devins qui prédisent mon mal,Et d'un libérateur me feront un rival :Ainsi mes sentiments divisés en moi-mêmeEmportent mon esprit de l'un à l'autre extrême.Quand je songe au bonheur qu'il nous a procuré Aussitôt je conclus qu'il doit être adoré :Mais après combattu d'un mouvement contraireL'objet que j'ai flatté commence à me déplaire,Et si quelque devoir m'oblige à le chérirJe crois baiser la main qui me fera périr. FALANTE. Délivrez votre esprit de cette fantaisiePermettez à l'Infante un peu de courtoisie,Vous aurez son amour, lui sa civilité ;Cet honneur est un prix qu'il a bien mérité,Et même vous devez (au moins par complaisance) De quelque compliments honorer sa présence. TYGRANE. Hé bien (Falante) allons lui rendre ce devoir,Et vous mes tristes yeux préparez-vous de voirL'Astre de mon amour, et l'objet de ma crainte ;Toutefois insolents dedans cette contrainte Que vos jaloux regards ne me trahissent pas,Mais lisez en riant l'arrêt de mon trépas. ACTE II SCÈNE I. Eurimédon, Pasithée, Alerine. EURIMÉDON. Madame, excusez-moi si voyant tant de grâceJ'aime vos ennemis et chéris leur audace,Puisque les mêmes traits qui vous ont fait trahir Ne me permettent pas de les pouvoir haïr :Cette rare douceur, ces appas, et ces charmes,Contre un faible mortel sont de trop fortes armes,On ne peut éviter l'atteinte de leurs coups,Le coeur qui les reçoit même les trouve doux : Et quoique la raison à nos désirs opposeVous voir et vous aimer n'est qu'une même chose.De la sorte Araxès se sentant consommer,Pour éteindre ses feux eut recours à la mer,Mais vos yeux plus puissants que le flambeau du monde Brûlent également sur la terre, et sur l'onde ;Et son coeur amoureux par ce tour impudentEût sans moi sur les eaux fait un naufrage ardent :Enfin mon sentiment contre vous se rebelle,Je pardonne aux transports d'une faute si belle, Et ne me puis résoudre à blâmer un effetQui me permet de voir un objet si parfait. PASITHÉE. Je suis (Eurimédon) trop peu considérablePour vous rendre envers lui de beaucoup redevable :Et quand j'aurais assez de grâce et de beauté Pour toucher un guerrier de votre qualité,Votre vertu vous donne assez de privilègePour n'avoir pas besoin d'un Prince sacrilège.Mais qu'est-il devenu depuis votre retour,Je crois qu'il n'oserait se montrer à la Cour, Mon abord lui fait peur ou bien sa conscienceLui conseille de vivre en cette défianceMais il craint vainement. EURIMÉDON. Je ne sais si le sortOu sa timidité l'ont éloigné du port ;Mes gens pour le trouver ont tourné toute l'Île Mais sa fuite a rendu leur recherche inutile. PASITHÉE. Que les Dieux pour jamais l'exilent de LesbosPour mon contentement, et pour votre reposMes yeux n'ont que trop vu ce Prince abominableDont la rage a pensé me rendre misérable, Et vous n'avez vengé mon honneur qu'à demiSi vous n'abandonnez un si perfide ami. EURIMÉDON. Vos voeux seront suivis de mon obéissance,Mais (Madame) apprenez que notre connaissanceVenant plus du hasard que de mes volontés Je ne prends point de part en ses méchancetés.Un jour aux environs des côtes de l'ÉpireIl fut pris, et mené prisonnier en Corcyre,Mais lorsqu'il attendait le prix de sa rançonMa pitié le sauva. PASITHÉE. Dieux ! de quelle façon ? EURIMÉDON. Je connus par l'excès de la mélancolieOù l'âme de ce traître était ensevelie,Qu'une forte douleur agitait son esprit,Comme par ce discours sa bouche me l'apprit :Grand Prince (me dit-il) ne trouvez pas étrange Si dans cette prison où le destin me rangeJ'ose faire paraître un extrême souciMalgré tant de faveurs que je reçois ici :Je ne souffre pas seul, tout un peuple soupire,Et le fort d'Araxès est celui de l'Empire, Encore que ce point soit assez importantCe n'est pas toutefois ce qui m'afflige tantUn malheur plus pressant attaque ma fortune,Amour voulant trahir est trahi par Neptune ;Et la même prison qui me tient arrêté Me ravit ma maîtresse avec ma liberté.Cet objet (reprit-il) s'appelle Pasithée,Je l'aimai dès l'instant que je l'eus visitée,Et nous sommes unis par de si doux accordsQue vous n'avez de moi seulement que le corps : Cette princesse en a la meilleure partie ;Sa parole à ces mots en soupirs convertieParut plus éloquente en son affection,Et porta mon esprit à la compassion. PASITHÉE. Ah ! que favorisant cette âme criminelle, Votre pitié me fut rigoureuse, et cruelle ! EURIMÉDON. Il est vrai : mais aussi mon bras a réparéLe mal que mon esprit vous avait préparé,Et si lors je faillis, ce fut par innocence ;Comme je le croyais d'une illustre naissance Je crus que son amour, et ses intentionsAvaient quelque rapport à vos perfections,Outre que je voulais renoncer à la vieQu'à regret ma jeunesse a trop longtemps suivie.À cette occasion je lui dis le dessein Que la gloire et l'honneur m'avaient mis dans le sein,Et que mon coeur pressé d'un plus noble génieVoulait me délivrer de cette tyrannie,Où ma valeur rebelle à ses propres effetsPlaignait le plus souvent ceux qu'elle avait défaits ; Lui pour me témoigner une amitié parfaiteM'offrit dans ses états une sûre retraite,Et moi pour obliger ce malheureux AmantJ'accompagnai de dons son élargissement :Nous prîmes rendez-vous ; Après son ambassade Il devait dans deux mois m'attendre en la TroadeOù mon navire allait heureusement ancrer,Quand mon sort et le sien me l'ont fait rencontrer.Mais que je fus d'abord confus en cet orage,Quand son casque levé me montra son visage, Il le faut avouer, mon esprit incertainNe pouvait approuver les efforts de ma main,Je plaignais son malheur, je blâmais mon courage,Mon bras se repentait d'avoir fait cet outrage,Et si votre pitié n'eût signé son pardon, J'eusse lavé son crime au sang d'Eurimédon. PASITHÉE. Le sien ne fut jamais digne de ce mélangeNe le regrettez point vous gagnerez au change,Vous m'avez secourue, et le Ciel l'a permisPour vous donner ici de plus nobles amis. EURIMÉDON. Madame, PASITHÉE. Poursuivez. EURIMÉDON. Je ne puis. PASITHÉE. Quelle crainteVous fait auprès de moi vivre en cette contrainte ? EURIMÉDON. Permettez moi Madame. PASITHÉE. Achevez. EURIMÉDON. D'espérer. PASITHÉE. Espérez. EURIMÉDON. Ah Madame ! Il vous faut adorer.Car pourvu que le coeur à la bouche réponde Je me tiens désormais le plus heureux du monde ;Mais à ce grand bonheur Tygrane espère aussi. PASITHÉE. N'importe (Eurimédon) laissez moi ce souci,Si votre amour est grand comme votre courageJe saurai bien aussi vous donner l'avantage. ALERINE. Madame parlez bas, j'entends venir quelqu'un. PASITHÉE. Sans doute (Eurimédon) c'est ce Prince importun. SCÈNE II. Eurimédon, Pasithée, Tygrane. TYGRANE. Depuis votre retour (divine Pasithée)Si je ne vous ai pas aussitôt visitée,Ne vous figurez point que l'oubli du devoir M'ait rendu moins ardent au désir de vous voir :Si j'avais su plutôt cette heureuse nouvelleVous auriez de mes soins une preuve fidèle,Que je vous suis toujours par inclination,Ce que je vous serai par obligation. Se tournant vers Eurimédon : Grand Héros si jamais le destin plus propiceM'offre l'occasion de vous rendre service. EURIMÉDON. Seigneur, je ne suis pas digne de cet honneurPuisque ce que j'ai fait se doit à mon bonheur,Je bénis toutefois mon heureuse fortune Qui m'a mis à propos sur le sein de Neptune,Pour punir les auteurs de son enlèvementEt faire de leur sang votre contentement. PASITHÉE. Grands Princes : je vous suis à tous deux obligée,Et les soins de tous deux m'ont si fort engagée, Que je devrais rougir de donner seulementPour de si bons effets un mauvais compliment ;Toutefois en ce point cette raison me flatte,Qu'il vaut bien mieux paraître ignorante, qu'ingrate. TYGRANE. Pour souffrir ce reproche, et l'esprit et le corps Font en leurs qualités de trop charmants accords. PASITHÉE. Si j'avais plus d'orgueil, et moins de modestie,Je pourrais avouer l'une et l'autre partie,Mais Tygrane apprenez que je sais mes défauts. TYGRANE. Si c'est par le miroir apprenez qu'il est faux, Et qu'inutilement vous consultez sa glaceS'il ne vous y fait pas remarquer votre grâce. EURIMÉDON. Il a pour ses attraits trop de fidélité. PASITHÉE. Et vous pour me flatter trop de civilité :Quoi donc après la paix, vous me donnez la guerre ? Vous me sauvez en mer, et m'attaquez en terre ?Désirez-vous encore un triomphe nouveau ? EURIMÉDON. Non je veux ma défaite en un combat si beau. PASITHÉE. Vous ne prendrez donc pas le soin de vous défendre. TYGRANE. On se défend en vain quand le coeur se va rendre. PASITHÉE. Il est vrai, mais je tiens un triomphe à méprisSi la difficulté n'en augmente le prix. TYGRANE. Vous aimeriez pourtant cette riche conquête,Quelque facilité qui vous la rendît prête. PASITHÉE. Tygrane, vous jugez de mon intention Selon la belle humeur de votre passion. TYGRANE. Mon sentiment plutôt parle selon la gloireQue vous pourra donner cette belle victoire. PASITHÉE. Quelle ? TYGRANE. D'Eurimédon, qui vous donne son coeur. PASITHÉE. Vit-on jamais vaincu triompher du vainqueur ? EURIMÉDON. Ou vainqueur ou vaincu souffrez que je sois vôtre,À qui vit sans espoir qu'importe l'un ou l'autre. TYGRANE. En amour toutefois l'espérance est l'aimant. EURIMÉDON. Oui pour vous qui portez la qualité d'Amant,Mais mon affection à bien moins se limite, Et je suis sans désir, ainsi que sans mérite. PASITHÉE. Puisqu'en tous ces débats j'ai beaucoup d'intérêtNous en pourrons donner une autre fois l'arrêt,Cependant je veux bien que l'un et l'autre espèrePour moi je m'en vais voir que fait le Roi mon père. SCÈNE III. TYGRANE. Dieux que viens-je d'ouïr : mais hélas qu'ai-je vu ?Il se peut faire aussi que je me sois déçuOu qu'un enchantement qui me trouble l'ouïePar de mêmes effets ait ma vue éblouie :Sans doute tout ceci n'est qu'une illusion Qui remplit mon esprit de sa confusion :Mais Prince infortuné que ton mal est extrême !As-tu quelque avantage à te tromper toi-même ?Après avoir été présent à leur discoursCherches-tu dans la feinte un frivole secours ? Non, non, ne flatte plus les mépris de ta Reine,Tu connais maintenant la cause de sa haine,Elle destine ailleurs son inclination,Et tu seras l'objet de son aversion.Ne venais-je en ce lieu qu'à dessein que j'y visse Qu'un rival me ravit les fruits de mon service ?Et que celle qui tient mon esprit en langueur,Garde pour lui l'amour, et pour moi la rigueur ?Ah que le sentiment d'un si visible outrageExcite dans mon coeur un violent orage ! Et qu'à regret mes yeux verront un inconnuTenir ici le rang que Tygrane a tenu !Mais que ma bouche emploie une faible allégeanceÀ des maux qui ne l'ont que dedans la vengeance,Mon rival doit mourir, et mon contentement Ne doit être tiré que de son monument. SCÈNE IV. CÉLIANE, en habit de cavalier. Hé bien cruel Amour que fera Céliane ?Porterai-je l'enfer dans le ciel de Tygrane ?Dois-je craindre, espérer, ou voir que ton flambeauÉclaire en même temps son lit, et mon tombeau ? Serai-je plus heureuse en ce bel équipage ?Crois-tu qu'en cet habit je plaise d'avantage ?Ne me fais point languir, achève mon dessein,Puisque c'est ton pouvoir qui me l'a mis au sein :Mon coeur pour t'obéir n'a point trouvé d'obstacle N'en trouve pas aussi pour produire un miracle,C'est toi qui m'as réduite en cette extrémité,Fais donc voir un effet de ta Divinité.Ce perfide autrefois vivait sous mon empire,Moi seule je faisais sa joie et son martyre, Et je réglais si bien ses inclinations,Que mes désirs étaient toutes ses passions ;Cent fois il m'a juré de donner à sa flammeUn aussi long destin que celui de son âme :Mais depuis quelque temps en cet objet vainqueur L'éloignement des yeux a fait celui du Coeur ;Maintenant Pasithée est la beauté divine,Qui bâtit son espoir dessus cette ruine,Et détruit une amour dont la sincéritéN'avait à désirer que l'immortalité. Mais contre tant d'attraits il n'a pu se défendre,Sa Princesse a le feu dont je n'ai que la cendre,Et toutefois jamais l'excès de sa froideurN'éteindra qu'en mon sang mon amoureuse ardeur,Ah pour un lâche coeur trop magnifique offrande ! SCÈNE V. Céliane, Argamor. ARGAMOR. Voilà comme je crois celui que je demande. CÉLIANE. Page que cherches-tu ? ARGAMOR. Je cherche Eurimédon. CÉLIANE. Feignons pour savoir tout que je porte ce nom. ARGAMOR. Ce Prince Monseigneur vous ressemble à l'extrême. CÉLIANE. Tu ne te trompes point Page : car c'est moi-même. ARGAMOR, lui donne le cartel. Ce mot donc (s'il vous plaît) en cette occasionVous dira le sujet de ma commission. CÉLIANE. Voyons ce qu'il contient : Ah qu'en ces caractèresMes yeux vont découvrir d'agréables mystères ! CARTEL de Tygrane à Eurimédon.En vain Eurimédon tu me penses ravir L'incomparable Pasithée, Mais la gloire de la servir Te sera si bien disputée,Que si je te puis voir avant la fin du jour,Nous perdrons l'un ou l'autre, ou la vie, ou l'amour. Oui Page il me peut voir ; s'il veut prendre la peineDe sortir promptement des murs de Mytylène,Il recevra de moi la satisfactionQu'on doit donner à ceux de sa condition. ARGAMOR, s'en allant. Seigneur dans peu de temps vous y verrez Tygrane. CÉLIANE. Et pour Eurimédon il verra Céliane.Ce Page à mon habit m'a pris pour ce rivalÀ qui ce Prince ingrat prépare tant de mal,Mais n'importe je veux m'exposer à sa rage,Et qu'il fasse le coup qu'aurait fait mon courage, Le Ciel n'est à mes voeux contraire qu'à demiSi je meurs de la main d'un si cher ennemi,Mon coeur à son amour autrefois si propiceAu lieu d'être l'Autel sera le sacrifice,Et le coup que son bras lui va faire sentir Fera d'un Idolâtre un amoureux martyr :Mes yeux pour ce cruel ont trop versé de larmes,Il est temps que mon sang soit tiré par ses armes,Et que par ses bouillons mes désirs innocentsMême au point de la mort lui donnent de l'encens. Mais aveugle fureur où portes-tu mon âme ?Pourquoi faut-il mon sang pour éteindre ma flamme ?Pour être malheureuse, est-ce un point importantQu'il me faille sauver en me précipitant ?Non, non, quittons l'erreur qui trouble ma pensée Et repoussons les traits d'une amour insensée,Évitons les appas de ce subtil poisonMettons au front d'amour les yeux de la raison,Et ne permettons pas qu'une passion feinteDonne à mon noble Coeur une si vile atteinte. Toutefois c'est en vain que je veux reculer,Le trait déjà lancé ne se peut rappeler :Il faut, il faut franchir constamment la carrière,Et ne point perdre coeur en perdant la lumière :Lorsque nous éprouvons le destin malheureux L'ennemi qui nous tue est le moins rigoureux.Amour vois que la mort me donne peu d'alarmesPuisque pour l'irriter je mets la main aux armes,Regarde cet habit, vois dessous cet armetÀ quelle extrémité ton pouvoir me soumet, Et comme tous les traits qui sont en mon visage,Commandent à mes maux d'assister mon courage ;Depuis que je sentis les destins ennemis,Je crus absolument que tout m'était permis,Que l'épée à ma main était même décente Pour maintenir les droits d'une flamme innocente,Sous cette passion mon esprit abattuSe moque des avis que donne la vertu,Et croirait mériter d'être au rang des infâmes,Si je suivais les moeurs du vulgaire des femmes ; Courage Céliane, achève ton desseinC'est folie en amour que d'avoir l'esprit sain,Suis tes nobles transports tu seras satisfaite,Et tu triompheras même par ta défaite :Car Tygrane privant Céliane du jour Fera de son tombeau celui de son amour ;Mais je le vois venir, songeons à nous défendre. SCÈNE VI. Tygrane, Céliane. TYGRANE. Chevalier excusez, Je vous ai fait attendre. CÉLIANE. Tygrane votre sang signera ce pardon. TYGRANE. Ce sera bien plutôt celui d'Eurimédon. CÉLIANE. C'est où votre valeur sera bien occupée. TYGRANE. C'est où je tremperai maintenant mon épée. CÉLIANE. Tu mentiras perfide. TYGRANE. Ah c'est trop discourir.Quand Mars et tous les Dieux te viendraient secourir,Ce propos insolent te coûtera la vie. CÉLIANE, tombant. Ah Dieux ! Ce coup mortel seconde son envie,Je meurs contente (ingrat). TYGRANE. C'en est fait il est mort.Et ce fameux Guerrier en éprouve un plus fort.Mais que me sert d'avoir vaincu ce grand courageS'il a même en sa mort dessus moi l'avantage : Triste ressentiment, inutile valeurVous triomphez de tout hormis de mon malheur,Mon rival perd la vie, et je pers PasithéeQui sera par ce sang justement irritée,Alors qu'elle saura que j'ai privé du jour Celui qu'elle avait fait l'objet de son amour :Mais afin d'éviter un visible naufrageMettons nous pour un temps à couvert de l'orage,Et fuyant les abords de l'Infante et du Roi,Sachons ce qu'ils auront délibéré de moi. SCÈNE VII. CÉLIANE, revenant de son évanouissement. Quel Astre malheureux jaloux de ma fortuneDonne encore à mes yeux sa lumière importune ?Quel funeste Démon après tant de douleursFait avecque mon corps revivre mes malheurs ?Pluton me chasse-t-il de ses demeures sombres, Me refuse-t-on place en l'empire des ombres ?Oui : parce que la mort a pour moi des appas,Les Dieux pour m'affliger ne me l'accordent pas.Viens donc lâche vainqueur, viens perfide TygraneAu lieu d'Eurimédon achever Céliane ; Ta cruelle pitié prolonge ma langueur,Et tu m'obligerais d'avoir plus de rigueur :Mais je t'appelle en vain, tu n'entends pas ma plainte,Vivons, mon coeur le veut, et je m'y vois contrainte,Attendant que le Ciel plus émeu de pitié Lance le dernier trait de son inimitié ;J'irai dans le séjour de quelque solitudeChercher allègement à mon inquiétude. ACTE III SCÈNE I. Eurimédon, Pasithée. EURIMÉDON. C'en est fait, Pasithée, il faut céder au sortQui contre nos amours fait son dernier effort, Il faut prendre congé de ces chères délicesQu'un soudain changement convertit en supplices ;Je ne m'y puis résoudre, et pour me secourirLe Ciel me ferait grâce en me faisant mourir :À mes plus justes voeux la fortune s'oppose, Et vous perdant hélas ! Je perdrai toute chose ;Éloigné de vos yeux tout me fâche, et me nuit ;Je tiens indifférents et le jour, et la nuit,C'est par vous seulement que mon âme respire,Mais quoi sa Majesté veut que je me retire. Ah trop sévère arrêt ! Triste commandementQui ne différez plus ma mort que d'un momentSatisfaites le Roi, contentez son envie,Je consens librement qu'on m'arrache la vie,Pourvu qu'en vous disant ces funestes adieux, On m'accorde l'honneur de mourir à vos yeux. PASITHÉE. Eurimédon, le Roi hait trop l'ingratitudePour faire à ses amis un traitement si rude,Et vous devez penser qu'il aime assez l'honneurPour ne vous pas ôter un si faible bonheur. EURIMÉDON. Madame, pleut aux Dieux que ce fût un mensongeQu'auraient fait seulement les chimères d'un songe,Mais mon malheur est vrai : Falante ce matinPar ce triste discours a marqué mon destin.Eurimédon, le Roi jaloux de votre gloire, Craint de vous dérober quelque insigne victoire,Et pour votre intérêt touché de ce souciIl veut bien (s'il vous plaît) que vous partiez d'iciPour vous bien employer ses États sont trop calmesEt vous pouvez ailleurs arracher mille palmes, Au lieu que la grandeur d'un courage indomptéSe détruit tous les jours dedans l'oisiveté. PASITHÉE. Sans doute (Eurimédon) que c'est un stratagèmeQue Tygrane a joué croyant que je vous aime ;Mais à ce compliment qu'avez vous répondu ? EURIMÉDON. Ce que pouvait alors un esprit éperdu,J'ai promis d'obéir, quoique pour m'y résoudreIl faille auparavant que je sente la foudre. PASITHÉE. Mon Prince relevez votre esprit abattu,Contre elle vos lauriers ont assez de vertu, La volonté du Roi n'est pas irrévocable,Je rends (quand il me plaît) son humeur plus traitable,Et si quelque envieux vous a désobligéVous aurez le plaisir d'être bientôt vengé. EURIMÉDON. Ah Madame ! si j'ose espérer cette grâce Ne blâmerez-vous pas l'excès de mon audace ? PASITHÉE. Mais si je vous laissais en cette extrémitéN'accuseriez-vous pas mon coeur de lâcheté ? EURIMÉDON. Non, j'en accuserais seulement la fortune. PASITHÉE. Vous n'en aurez jamais qui ne me soit commune, En cette occasion le Roi par sa rigueurPeut beaucoup sur mon corps, et rien dessus mon coeur. EURIMÉDON. Cette faveur (Madame) augmente mes souffrances,Pour ôter mes regrets, ôtez mes espérances,Que vos yeux contre moi soient armez de courroux, Vos regards plus cruels me seront les plus doux ;Et puisque ma blessure est un coup de leur flamme,Qu'avecque leurs mépris ils guérissent mon âme. PASITHÉE. Si Tygrane lassé d'être ingrat et jaloux,Me faisait aujourd'hui les mêmes voeux que vous, Cette requête aurait quelque juste apparence,Et je le traiterais avec indifférence,Mais plutôt que d'user envers vous de rigueurJ'aime mieux qu'on m'arrache et les yeux, et le coeur. EURIMÉDON. Il est vrai qu'à présent que mon malheur ordonne Pour obéir au Roi que je vous abandonne,Vous feriez conscience en mon éloignementD'ajouter à mes maux un mauvais traitement ;Mais si dorénavant ma présence importuneVeut que je quitte Amour pour suivre la fortune De quoi vous servira le triste souvenirDont vous avez dessein de vous entretenir ? PASITHÉE. Cet agréable objet de mérite, et de gloire,Conservera ce bien au moins à ma mémoireQue tenant occupés mon coeur, et mes esprits Il les empêchera d'être jamais surpris,Dès que d'un courtisan je serai regardée :Aussitôt consultant cette divine Idée,Je lui témoignerai qu'après des feux si beauxJe ne saurais brûler pour de moindres flambeaux : Si quelqu'un me prétend par le nom de fidèle,Je dirai : Mon Amant en était le modèle ;Et pour ôter l'espoir aux plus ambitieuxVotre gloire sera la honte de leurs yeux ;Je leur proposerai vos vertus pour exemples, Vos rares qualités qui méritent des Temples,Vos faits, votre valeur, votre discrétion,Et surtout votre amour, et mon affection. EURIMÉDON. Que mon destin (Madame) a d'étranges caprices !Voyez combien de fiel altère mes délices, Au point du désespoir il me veut réjouir,Et m'offre des faveurs quand je n'en puis jouir. PASITHÉE. L'amour (Eurimédon) fait de plus grands miracles,Pour savoir vos aïeux consultez les Oracles,Et si je manque alors à ce que j'ai promis, Je consens que les Dieux soient tous mes ennemis. EURIMÉDON. Pour arrhes de ce bien dont mon âme est ravie,Ma Reine permettez que je laisse ma vie Eurimédon se penche pour lui baiser le sein. Sur ce superbe Autel où mon coeur enflamméN'attend que le bonheur de se voir consommé. SCÈNE II. Eurimédon, Pasithée, Archelas, Falante. ARCHELAS, mettant la main à l'épée. Insolent bien plutôt mon courroux légitimeTe va faire servir à mon bras de victime. FALANTE. Ah Sire ! ARCHELAS. Laisse-moi punir ce suborneur,Qui fait de mon Palais le tombeau de l'honneur. PASITHÉE, à Eurimédon. Seigneur au nom des Dieux évitez sa colère. EURIMÉDO, s'en allant. Ah de tant de bienfaits trop indigne salaire ! ARCHELAS. Mais d'un acte insolent juste punition. PASITHÉE. Si vous examiniez quelle est sa passionElle vous ferait voir beaucoup de modestie. ARCHELAS. Vous voulez contre moi vous rendre aussi partie Madame : et vous croyez que son impunitéAutorise à présent votre témérité ? PASITHÉE. Non Sire ; Mais en vous le Ciel veut que j'espèreLa clémence d'un Juge, et la bonté d'un père ;Afin de m'excuser si ma civilité A déplu maintenant à votre Majesté. ARCHELAS. Comme Juge je dois châtier son offense,Et comme père aussi corriger la licence,Qui vous a fait donner à ce jeune effrontéTant d'injustes faveurs et tant de privauté. PASITHÉE. Sire je ne pouvais à moins d'être incivileÀ mon libérateur être plus difficile,Si ce Prince a reçu quelque chose de moiVous m'avez le premier imposé cette loi,Et sa propre vertu me forçait de lui rendre Les devoirs que l'honneur ne me pouvait défendre :Tantôt vous admiriez ce Prince généreux,Pour le même à présent vous êtes rigoureux ;Je dois à ce Guerrier le jour que je respire,Vous voulez toutefois qu'il sorte de l'Empire, Et trompant son espoir avec un faux accueilVous promettez un trône, et donnez un cercueil. ARCHELAS. Qu'a fait ce Chevalier ? Et que doit-il prétendre !Si ce qu'il a sauvé lui-même il le veut prendre,Et ne vous a rendue à la Cour seulement Que pour pêcher ici plus magnifiquement,Vous souffrez toutefois que seul il vous cajole,Contre un père pour lui vous prenez la parole,Il baise librement et la bouche, et le sein,Et tout cela chez vous passe pour bon dessein : Sa conversation est la même innocence,En parler seulement c'est commettre une offense :Croyez que si le fait se passe impunémentJe n'ai plus de mémoire ou de ressentiment,Et que ne pouvant pas vous porter à me craindre Pour vous persuader je saurai vous contraindre ;Malgré ce beau mignon qui cause tout ceciVos discours changeront dans peu de temps d'ici. SCÈNE III. EURIMÉDON, s'en allant. À quel point m'a réduit la cruauté des Astres Qui m'affligent toujours, Que je ne puis trouver parmi tant de désastresLa fin de ma misère, et celle de mes jours.Sans cesse le malheur me livre ses atteintes, Et mon mal sans pareilM'arrache chaque jour plus de cris et de plaintes Qu'on ne voit de moments marqués par le Soleil.Quoiqu'à ces rudes coups je fasse résistance Je suis sans guérison :Et lorsque je m'en plains, si j'ai peu de constanceOn n'en peut avoir moins avec plus de raison. Je souffre injustement, et mon âme incapable De plus d'affliction,Pour mériter ces maux ne se trouve coupableQu'en peu de prévoyance, et trop d'affection.Un père toutefois avec ses artifices L'a rendue un écueil,Où mes voeux innocents et tous mes bons officesEn recherchant le port, ont trouvé le cercueil.Prince dont l'âme ingrate autant que déloyale,Représente si mal la qualité Royale, Sache que quelque jour ton propre repentirTe punira des maux que tu me fais sentir.Lâche Roi quelle gloire as-tu de cet outrage ?Crois-tu faire passer pour un trait de courageCelui dont ta rigueur afflige Eurimédon ? SCÈNE IV. Céliane, Eurimédon. CÉLIANE, en sa solitude. Dieux que je suis surprise et confuse à ce nom !Tirons nous à l'écart, et sachons par sa plainteToutes les passions dont son âme est atteinte. EURIMÉDON, se promenant. Je devais, Archelas, mieux user du destinQui m'avait envoyé ta fille pour butin, Je devais faire esclave, et mener en CorcyreCelle qui doit un jour régner en ton empire ;En ce cas ton courroux aurait du fondementEt tu me haïrais, mais légitimement.Tu sais comme à Lesbos j'ai rendu Pasithée, Que je l'ai comme Reine avec respect traitée ;Tu me chasses pourtant, et tu souffres chez toiCeux qui t'ont témoigné moins d'amour que d'effroi,Lorsque par Araxès leur Princesse ravieDevait être sauvée aussitôt que suivie. CÉLIANE, à part. Voilà le Chevalier pour qui j'ai combattu,Et de qui ma faiblesse a trahi la vertu. EURIMÉDON. Que Tygrane a bien fait ! que sa valeur est rare !Qu'il a bien mérité l'honneur qu'on lui prépare !Qu'il a diligemment suivi le ravisseur De l'objet dont on veut le rendre possesseur !Ah le lâche ! Il ne mit jamais la main aux armes,Et je tirais du sang quand il versait des larmes,Toutefois son bonheur le va mettre en un rangQui me fera verser et des pleurs et du sang. CÉLIANE. Le sens de ce discours marque ma destinée,Céliane empêchons ce funeste hyménée,Donnons à ce Guerrier de nouveaux mouvements,Et joignons notre droit à ses ressentiments. EURIMÉDON. Le Ciel. CÉLIANE, l'abordant. Eurimédon vous sera plus propice S'il ouvre quelque jour l'oreille à la Justice EURIMÉDON. Je l'éprouve déjà plus clément et plus douxS'il m'a donné l'honneur d'être connu de vous. CÉLIANE. À peine je fus mise au port de MytylèneEt j'imprimais encor mes pas sur son arène, Que je savais déjà par la voix du renomVos rares qualités, et votre illustre nom,Je sus que par un rapt la Troade affligéeÉtait à votre bras puissamment obligée,Et que le Roi touché de ce trait de valeur Voulait faire de vous. EURIMÉDON. L'exemple du malheur,Oui Seigneur, apprenez que son ingratitudeM'a rendu vagabond en cette solitude,Où pour mieux obéir aux rigueurs de mon sortJe cherche le chemin qui conduit à la mort. CÉLIANE. Au contraire cherchez le chemin de la gloirePlutôt que d'offenser votre illustre mémoire,Et ne permettez pas que les traits du malheurDemeurent triomphants d'une insigne valeur,Que le sort contre vous arme toute sa rage, Un grand coeur est toujours au dessus de l'orage,Et malgré ses fureurs un généreux effortÀ travers les écueils se fait passage au port. EURIMÉDON. Lorsque mon désespoir vous parle de la sorte,Ce n'est pas (Chevalier) la fureur qui m'emporte Mais plutôt de la mort un mépris généreuxM'oblige d'abréger un destin malheureux ;Si je voyais encore quelque faible apparenceDe conserver ma vie avec mon espérance,J'emploierais tous mes soins à prolonger mes jours, Et ce bras à mon coeur prêterait son secours ;Mais puisqu'un Prince ingrat m'a banni comme infâmeQu'il m'a cruellement séparé de mon âme ;Et que pour m'affliger avec plus de rigueurPour contenter Tygrane on m'arrache le Coeur ; Enfin puis qu'à mes voeux Pasithée est ravieN'est-ce pas lâcheté d'aimer encor ma vie,Me conseilleriez-vous de respirer le jourAprès avoir perdu ce bel astre d'amour ;Non sans doute, mourons avant qu'on la possède, Et que ma mort plutôt que mon amour la cède. CÉLIANE. Pour la même raison vous devez tout souffrirPlutôt que de songer au dessein de mourir,Quand le combat est grand la victoire est plus belleVivez pour Pasithée, et combattez pour elle. EURIMÉDON. Encor que ce projet soit généreux et beau,Que peut contre un grand sceptre un débile roseau ?Que peut un étranger, dont la faible puissanceN'a pour tout son secours que sa seule innocence ?Contre qui les mortels et les Dieux conjurés Décochent tous les jours mille traits acérésQui n'a pas seulement une sûre retraite,Pour empêcher le coup qui marque sa défaite,Et qui de toutes parts rudement combattu,N'a plus pour se parer qu'un reste de vertu. CÉLIANE. Quoi donc vous laisserez la victoire à Tygrane ?Vous souffrirez l'Infante en sa couche profane ?Et sans lui disputer ce Myrte glorieuxIl aura Pasithée en ses bras odieux ?Ah cette lâcheté serait trop apparente ? Ranimez (Chevalier) votre vertu mourante,Afin de rétablir l'éclat de vos lauriers,Mes États ont pour vous d'assez braves guerriers. EURIMÉDON. Ah qui que vous soyez, ou l'honneur des Monarques,Ou plutôt (si je crois à ces divines marques, Dont les puissants rayons éblouissent mes yeux)Le plus grand et plus beau de la troupe des Dieux,Ordonnez de mon sort, et s'il faut que je vive,Mes jours seront heureux pourvu que je vous suive. CÉLIANE. Non, non, je ne suis pas du rang des immortels, Et je n'aspire pas à l'honneur des Autels,C'est assez que le Ciel m'ayant fait naître Prince,M'ait aussi fait Seigneur d'une belle Province,Où mes sujets vivraient sous de paisibles lois,Si l'aveugle Tyran qui triomphe des Rois, Et qui fait aujourd'hui notre commun martyre,N'avait dedans ma Cour établi son empire :Oui (brave Eurimédon) je suis intéresséEn l'amour qui vous rend de Tygrane offensé ;Et si vous secondez ma fureur irritée Je l'empêcherai bien d'épouser Pasithée. EURIMÉDON. Quoi ? L'Infante est aussi votre inclination ? CÉLIANE. J'ai pour ce haut dessein trop peu d'ambition :Mon désir seulement est de punir TygraneEt de venger le tort qu'il fait à Céliane, Cette pauvre Princesse avait reçu sa foi. EURIMÉDON. Ah le traître ! CÉLIANE. D'où vient cet homme que je vois ? SCÈNE V. Eurimédon, Céliane, Lysanor. EURIMÉDON. C'est mon cher Lysanor qui vient de MytylèneOù je l'avais laissé pour savoir de ma ReineCe que de mon amour je devais espérer, Et s'il m'était permis de vivre, ou d'expirer :Dis-moi donc Lysanor qu'a-t-on fait de l'Infante ?L'amour de mon rival est elle triomphante ?Dit-on que Pasithée aime ce bel Amant ?Que le Roi soit content de mon éloignement ? Ai-je par mon départ sa colère apaisée ?Sa Cour n'est-elle plus de soucis divisée ?Enfin, voit-on régner dans ce noble PalaisLa concorde, l'amour, le repos, et la paix ? LYSANOR. Je ne sais si je dois ou parler, ou me taire : Mais puisque sur ce point il vous faut satisfaire,Sachez que d'Archelas les malheurs redoublésOnt rendu le chaos à ses États troublés :Depuis votre départ l'Infante est prisonnière,Araxès animé de sa flamme première, Avec mille Guerriers dans l'Île descenduRend d'horreur et d'effroi tout ce peuple éperdu :Le Roi pour résister à ce subit orage,Dont l'horrible fureur ébranle son courage,De crainte en même temps, et de rage interdit Vient de faire partout publier cet Édit.Que quiconque pourrait empêcher sa défaite,Emportant d'Araxès l'abominable tête,Pour prix de sa valeur et de son actionIl aurait Pasithée et son affection. CÉLIANE. Chevalier (s'il vous plaît) soyons de la partie,Immolons au trépas cette coupable hostie. EURIMÉDON. Ce perfide Araxès par mes coups avertiÉprouverait le bras qu'il a déjà senti,Si je ne le cédais à la valeur du vôtre. CÉLIANE. J'ai destiné mon bras à la perte d'un autre,Tygrane occupe seul tous mes ressentiments,Ainsi notre dessein fera deux châtiments. EURIMÉDON. Il est vrai : mais je crains qu'une rigueur extrêmeNe fasse révolter ce Roi contre moi-même, Et que si j'ose encor me montrer à ses yeux,Même plus qu'Araxès je ne sois odieux. LYSANOR. Chassez, Eurimédon, cette inutile crainteCette haine à présent par une autre est éteinteEt puis vous pouvez bien par un déguisement, Éviter les transports d'un premier mouvement. EURIMÉDON. Ici la volonté d'un puissant Dieu raisonne,J'irai dans Mytylène en habit d'Amazone,Et puis qu'ici le Myrte est conjoint aux lauriersJ'aurai pour moi Vénus et le Dieu des Guerriers. CÉLIANE. Puisque ma passion est de même natureJe suivrai (Grand Héros) votre illustre aventure,Non pas pour m'ajouter au rang de vos rivaux,Mais bien pour vous aider à finir vos travaux. EURIMÉDON. Puisque vous partagez cette louable envie, Allons Prince adorable où l'honneur nous convie. SCÈNE VI. Pasithée, Alerine dans la prison. ALERINE. Ah Madame ! Ces pleurs, et ce coeur abattuSont indignes de vous et de votre vertu,Essuyez, essuyez ces inutiles larmes,Et n'ayez pas recours à de si faibles armes ; La tristesse sied mal sur un front généreux,Il doit paraître égal bien qu'il soit malheureux,Et même témoigner au plus fort de l'orage,Qu'il peut changer de sort, mais non pas de courage. PASITHÉE. En l'état où je suis, il est bien malaisé D'avoir le front égal et l'esprit apaisé,Mes larmes toutefois arrêteront leur course,Mais je veux aussitôt ouvrir une autre source,Et puisque c'est trop peu que de verser des pleurs,Mon sang fera mieux voir l'excès de mes malheurs. ALERINE. Le désespoir (Madame) est pour ces âmes basses,Qui ne sauraient souffrir un moment les disgrâces,Aussi bien que vos pleurs épargnez votre sang,Et faites voir un coeur égal à votre rang,Le malheur est souvent la source de la gloire, L'Astre qui fait le jour sort d'une couche noire,Et le pompeux éclat de ce divin flambeauParaît après l'orage et plus clair, et plus beau ;Et puis je ne vois pas le sujet de vos craintes,Ni quelle occasion autorise vos plaintes, Car encor que ce lieu ne soit pas un PalaisDigne de recevoir l'honneur de vos attraits,Puisque pour vous ravir on attaque cette île,C'est moins une prison que non pas un Asile. PASITHÉE. Vois le triste état de mon sort, Et me voyant si mal traitéeJuge si différer l'heureux coup de ma mort. Ce n'est pas trahir Pasithée. Par un prodige tout nouveau Mon propre père est mon bourreau ; Ma partie est mon Roi, mon Juge est mon complice ; Mon Palais une triste tour, Mon espérance, mon supplice,Ma vertu c'est mon vice, et mon crime l'amour. Ma beauté cause ma douleur Au lieu de me rendre adorable,Et les traits qui devraient établir mon bonheur Me rendent plutôt misérable : Je suis un objet de mépris Que les destins ont fait le prix Et l'espoir incertain d'une insolente armée ; Où je me vois réduite au point D'être Épouse avant qu'être aimée,Peut-être de celui que je n'aimerai point. Encor si mon Eurimédon Pouvait être de la partie,Sans doute je serais son prix, et son pardon Et j'espérerais ma sortie : Mars, et l'Amour qui de mon coeur L'ont déjà rendu le vainqueur, Lui donneraient encor cette heureuse victoire ; Et mon sort devenu plus beau Ferait le trône de ma gloire,Sur les mornes apprêts de mon triste tombeau. Mais au point où mon sort est mis En vain ce doux penser me flatte,Les Dieux pour m'obliger sont trop mes ennemis Et la terre m'est trop ingrate : Pour m'ôter de cette prison Usons du fer, ou du poison. Et sortons de nos maux, en sortant de la vie ; Cette généreuse action Rendra ma mort digne d'envie,Autant que mon malheur l'est de compassion. Toutefois avant cet effort Attendons la fin de l'orage.Souvent les malheureux sont jetés dans le port Sur le débris de leur naufrage : Avant que de perdre le jour Voyons à qui Mars, et l'Amour Réservent aujourd'hui la fatale Couronne, Nous mourrons toujours bien après, Et si dans le champ de BelloneIl cueille le Laurier, Je prendrai le Cyprès. ACTE IV SCÈNE I. Archelas, Falante. ARCHELAS. Falante en quel État as-tu vu mon armée ? Est-elle puissamment au combat animée ?Ne dissimule point, découvre moi mon sort,Je verrai d'un même oeil le naufrage, et le port. FALANTE. Sire, jamais le Ciel ne vit un tel orage,L'un et l'autre parti sont de même courage, Et comme un même espoir fait leurs ambitions,Une pareille ardeur marque leurs actions ;Le moindre des soldats combat en Capitaine,Leur émulation rend leur gloire incertaine,Et les tient tour à tour l'un sur l'autre avancés, Tantôt victorieux, et tantôt repoussés. ARCHELAS. Enfin tu ne sais pas de quelle destinéeMa fortune aujourd'hui se verra terminée ? FALANTE. Sire, cette inconstante a cessé son courroux,Les Dieux visiblement se déclarent pour nous, Et s'ils ont tant laissé la victoire douteuse,La perte d'Araxès en sera plus fameuse. ARCHELAS. Quel témoignage as-tu de cet Événement ? FALANTE. Un prodige (grand Roi) digne d'étonnement :J'ai vu (Sire) j'ai vu dans le champ de Bellone Une auguste Déesse en habit d'Amazone,Aux plus fiers ennemis arracher des Lauriers,Et donner l'épouvante aux plus braves guerriers ;À chaque mouvement son courage se montre,Tout fait jour à ses coups, tout fuit à sa rencontre ; Où sa fureur l'emporte, on voit à chaque rangDes cadavres noyés dans des fleuves de sang,Et l'infâme Araxès ne serait plus qu'une ombreS'il n'était protégé de la force du nombre ;Sans cela le combat serait déjà fini, Vous vengé, nous vainqueurs, et le traître puni. ARCHELAS. Les Dieux ont de tout temps protégé ma Couronne. FALANTE. Aussi n'est-ce pas là le sujet qui m'étonne,Un miracle plus grand confond mon jugement. ARCHELAS. Ne m'entretiens pas tant, et parle clairement. FALANTE. Cette belle Amazone a comme le courageDu Prince Eurimédon, le port et le visage ;Même ces deux objets se ressemblent si fortQu'elle a trompé mes yeux à son premier abord. ARCHELAS. Mais peut-être Falante est-ce Eurimédon même. FALANTE. Non Sire : bien qu'entre eux le rapport soit extrême,Elle m'a protesté n'avoir jamais connuCe Prince dont je l'ai longtemps entretenu,Hermionne est son nom, son pays est la Thrace,Et Mars assurément est l'auteur de sa race ; Au lieu qu'Eurimédon ne sait en quel séjourLe Ciel ouvrit ses yeux à la clarté du jour :Et quand cette raison tromperait ma créance,Je sais bien que le sexe en fait la différence. ARCHELAS. Qui que tu sois Déesse achève tes bienfaits Et rends à mon État le repos et la paix :Mais quel étrange bruit vient frapper mon oreille ? FALANTE. Sire c'est l'Amazone. ARCHELAS. Ah Dieux quelle merveille !Cette grave douceur et cette Majesté,Sont les visibles traits d'une Divinité. SCÈNE II. Eurimédon, Archelas, Falante, Tygrane, Céliane déguisée. EURIMÉDON, en amazone tenant la tête d'Araxès. Enfin (Sire) voilà ce superbe EnceladeDont la témérité menaçait la Troade,Voilà de vos sujets la terreur, et l'effroi,Et le vain poursuivant des couronnes d'un Roi ;En un mot, vous voyez l'usurpateur infâme, Si bien humilié par la main d'une femmeQue son coupable chef à vos pieds abattu,Et contraint de baiser les pas de la vertu. ARCHELAS. Ah divine guerrière ! après cette victoireCombien je dois d'encens à votre illustre gloire ! Que je suis redevable à mon propre malheurDe m'avoir aujourd'hui procuré cet honneur,Qu'une divinité si puissante, et si belle,Ait voulu prendre part en ma juste querelle,Et malgré la fureur d'un perfide attentat Sauver d'un coup heureux mon Sceptre et mon état. EURIMÉDON. Sire, Je ne suis pas immortelle, ou divine,C'est assez que je sois d'une illustre origine ;Et qu'entre mes aïeux je puis compter des RoisDont autrefois la Thrace a révéré les lois : J'en pouvais justement espérer la couronne,Si le sort eut voulu mieux traiter Hermionne ;Mais lorsque l'inconstant m'eut mis le Sceptre en mainLe traître me l'ôta du jour au lendemain :J'ai suivi du depuis sous l'habit d'Amazone L'exercice sanglant de la fière Bellone,Et pour me signaler je cherchais les hasards,Quant j'ai vu déployer vos heureux étendards ;Dès que j'ai reconnu par ces augustes marquesLes vaillants escadrons du plus grand des Monarques, Et qu'infailliblement un traître usurpateurÉtait de cette guerre et le Chef, et l'auteur,Aussitôt ma fureur justement animéeChercha cet insolent parmi toute l'armée,Afin de lui ravir par un coup solennel, Le prix qu'il attendait d'un dessein criminel. ARCHELAS. Puisqu'on vous a ravi le Sceptre qui fut vôtre,Daignez belle Princesse en recevoir un autre,Et si vous agréez les hommages d'un RoiRégnez dans mon empire et triomphez de moi. EURIMÉDON. Que je règne et triomphe ! Ah Dieux quelle apparenceQue l'objet du mépris et de l'indifférenceOsât à ce degré de grandeur aspirer,Qu'à peine une Déesse oserait espérer !Mais puis que votre rang vous permet toute chose, Je ne refuse pas ce qu'un Roi me propose ;Sire (puis qu'il vous plaît) j'accepte cet honneur,Que votre Majesté présente à mon bonheur,Et la conjure ici d'avoir en sa mémoireL'offre qui me doit mettre au comble de ma gloire. ARCHELAS. Je n'en perdrai jamais l'aimable souvenir,Ma promesse pour vous est facile à tenir,Il me tarde déjà que je ne l'effectue,Je vous aime (Madame) et ce délai me tue. EURIMÉDON. Cet amour pour durer est un peu violent, J'aimerais mieux ce feu s'il paraissait plus lent :Sire modérez-vous, et donnez à votre âmeLe loisir de pouvoir examiner sa flamme,L'esprit blâme souvent ce que l'oeil a voulu. ARCHELAS. On délibère en vain sur un point résolu : Cette rare vertu dont votre âme est pourvueSurprend en même temps et l'esprit et la vue,Et donne dès l'abord des transports si puissants,Qu'elle est en un moment maîtresse de nos sens,Enfin si vos rigueurs trompent mon espérance, Vous ne me verrez mettre aucune différenceEntre aimer, et mourir pour un objet si beau. EURIMÉDON. Grand Roi j'atteste ici le céleste flambeau,Que j'aime tant l'honneur de votre bienveillanceQue je meurs du désir d'être en votre alliance, C'est un bien que mon coeur souhaite plus que vous,Et je ne vivrais pas sans un espoir si doux ;Mais la fureur encor possède trop mon âmePour faire sitôt place à l'ardeur de ma flamme,Il faut donner à Mars le temps de respirer Auparavant qu'Amour le fasse retirer. ARCHELAS. Ma Reine je le veux pourvu que mon attenteConserve en votre coeur une flamme constante. EURIMÉDON. Mon Prince, Je consens qu'on me prive du jour,Si je change jamais l'objet de mon amour. ARCHELAS. Hé bien ! Tygrane : enfin ma gloire est sans seconde ;Connais-tu quelque Roi plus heureux dans le monde ?Possédant cette Reine est-il sous le SoleilUn Monarque honoré d'un triomphe pareil ? TYGRANE. Non Sire : Ce bonheur comme votre mérite Ne reçoit point d'égal, non plus que de limite,Et je crois que les Dieux quand vous serez unisVous combleront encor de plaisirs infinis :Mais puisque de ce bien votre âme est si contente,Finissez (grand Monarque) une importune attente, Vous savez bien le prix que vous avez promisÀ celui qui pourrait chasser vos ennemis,Il est vrai qu'Hermionne a fait notre victoire,Et qu'on doit à son bras une immortelle gloire ;Mais puis qu'auprès de vous elle a déjà son prix Que le nôtre (grand Roi) ne soit pas un mépris,Comme elle nous avons montré notre courage,Et nous avons senti notre part de l'orage ;Encore qu'Araxès soit par elle abattu,En cela son bonheur seconda sa vertu ; Mais en tout le combat nous l'avons assistée,Voyez donc qui de nous mérite Pasithée.Grand Prince disposez de ce prix glorieux,Et finissez l'espoir de mille ambitieux. ARCHELAS. Puis qu'aujourd'hui je dois l'appui de ma Couronne, À la seule valeur de la belle Hermionne,Il est juste qu'elle ait toute seule l'honneurQu'on doit à sa vertu bien plus qu'à son bonheur :C'est pourquoi je la rends de ces lieux Souveraine,Je veux que mes sujets la révèrent en Reine, Et comme mon État ne se peut séparerSeule elle aura le prix qu'on devait espérer. TYGRANE. Qu'Hermionne (grand Roi) possède votre Empire,Ce n'est pas à ce prix que mon courage aspire,Que cette Déité règne dans votre Cour, Mais ne refusez point Pasithée à l'amour. CÉLIANE, ôtant son casque. Perfide, osez-vous bien paraître en cette lice ?Crois-tu que la vertu récompense le vice ?Et que le Ciel honteux des crimes que tu faits,Au lieu de te punir t'accorde des bienfaits ? N'est-ce pas pour avoir abusé CélianeQu'on te doit Pasithée, infidèle Tygrane ?Ou bien pour avoir fait ce généreux duel,Où tu fus si vaillant, ou plutôt si cruel ?Si tu ne te souviens de ce juste reproche Retournons sur les lieux : le champ est assez procheOù sur Eurimédon tu crûs être vainqueur,Mais ce fut moi qui fus l'objet de ta rigueur,Avecque tes mépris je ressentis ta rage,Tu surmontas ma force, et non pas mon courage ; Et quoique mon dessein ne fût que de périr,Ton fer me blessa bien, mais je ne pus mourir.Tu rougis infidèle, et tu croyais peut-êtreQue l'on devait ici récompenser un traître :Non, non, le Ciel est juste, et les Dieux irrités, Punissent tôt ou tard les infidélités,Ne demande donc pas un salaire Profane :Mais reconnais ici ton crime, et Céliane. TYGRANE. Je reconnais (Madame) et mon crime et vos yeuxIls sont en même temps mes Juges, et mes Dieux ; Qu'ils me punissent donc et que leur vive flammeAbrège de mes jours la malheureuse trame,Il est vrai j'ai failli, votre rare beautéMéritait plus d'amour, et de fidélité,Mais ce qui me console au milieu de ma peine Vous fûtes toujours belle, et jamais inhumaine :Toutefois si je suis indigne de pitiéSacrifiez Tygrane à votre inimitié. Il lui présente son épée. Tenez voilà de quoi contenter votre envie,Vengez-vous Céliane, arrachez-moi la vie, Et par mon sang coupable à vos pieds répanduPayez-vous de celui que vous avez perdu. CÉLIANE. La mort pour un ingrat serait trop favorableEt le coup de ma main un peu trop honorableTes regrets feront mieux cet office que moi. EURIMÉDON. Madame révoquez cette sévère Loi,Il n'est point de péchés qu'un repentir n'efface. ARCHELAS. Je veux qu'en ma faveur il obtienne sa grâceQu'il vive sous vos lois, mais à conditionQu'il sera plus fidèle en son affection. CÉLIANE. Sire (puis qu'il vous plaît) Céliane est contente,De régler son amour sur cette heureuse attente. ARCHELAS. C'est assez Céliane, on verra quelque jourSi ce Prince sera digne de votre amour. SCÈNE III. Archelas, Eurimédon déguisé. ARCHELAS. Oserai-je espérer qu'il vous plaise (Madame) Sur un point curieux satisfaire à mon âme,Et ne tiendrez-vous pas pour incivilité,Si je vous fais savoir ma curiosité ? EURIMÉDON. Sire à vous obéir me voilà toute prête. ARCHELAS. D'où provenait tantôt cette rougeur honnête, Qui m'a fait remarquer votre altérationQuand Tygrane a parlé de son affection,Et surtout quand ce Prince a nommé Pasithée ;Ma vue était alors dessus vous arrêtée :Ne dissimulez point, dites moi franchement Ce qui vous a causé ce soudain mouvement. EURIMÉDON. Quand Tygrane a parlé de sa belle entrepriseVous croyant sans enfants ce propos m'a surprise,Et si j'ai fait paraître un peu d'émotion,J'avais pour l'exciter assez de passion. ARCHELAS. Des fruits de mon amour je n'ai que cette fille,Elle seule aujourd'hui fait toute ma famille,Encore maintenant suis-je réduit au pointDe m'estimer heureux si je ne l'avais point. EURIMÉDON. Quel mécontentement avez-vous reçu d'elle Dont la faute aujourd'hui la rend si criminelle ? ARCHELAS. Naguère un étranger en cette île arrivéA si soudainement son esprit captivé,Que pour mieux étouffer cette flamme naissanteQui dans leurs jeunes coeurs se rendait trop puissante, Je me suis vu contraint de la mettre en prison,Afin d'en retirer son coeur et sa raison ;Son amant par sa fuite évita ma colère. EURIMÉDON. Vraiment cet Étranger eut tort de vous déplaire ;Mais Seigneur avait-il son honneur assailli Au point que vous croyez que l'Infante ait failli ? ARCHELAS. Non : elle ne s'est pas tellement oubliée,Et je crois seulement qu'elle s'était liéeAvecque moins d'amour que d'obligationÀ ce nouvel objet de son affection, Je connus toutefois leurs flammes indiscrètes,Je sus qu'ils se donnaient des visites secrètes,Et comme Pasithée aidait à son desseinJe le surpris un jour qu'il lui baisait le sein ;Mon âme à cet objet de colère enflammée Voulut perdre d'un coup et l'amant, et l'aimée,Mais EURIMÉDON. Vous avez puni trop rigoureusementL'amour d'une Princesse, et les voeux d'un AmantQui n'était pas peut-être indigne de sa flamme. ARCHELAS. En cette occasion je confesse (Madame) Que ce jeune étranger avait des qualités,Capables de fléchir les plus rares beautés,Et même il nous avait rendu quelque service. EURIMÉDON. Vous lui rendiez pourtant un très mauvais office,Et c'est mal s'acquitter d'une obligation, De donner pour un prix une punition :Mais encor était-il d'une illustre naissance ? ARCHELAS. Il ne savait sur quoi fonder cette espérance,Et prétendait pourtant sans mon consentementUn rang que je réserve à des Rois seulement. EURIMÉDON. Avouez que l'amour est un crime agréable,Qu'on devrait appeler une erreur excusable,Et si ceux qui le font méritent le trépasIls ne doivent mourir qu'au milieu des appas :Excusez donc Seigneur ces Innocentes flammes, Elles ne logent point que dans les belles âmes,Et le mépris d'amour est plutôt un effetD'une arrogante humeur que d'un esprit bien fait.Enfin en ma faveur délivrez Pasithée,Sinon le trône auguste où je suis invitée, Me plaira beaucoup moins que ne fait le tombeau. ARCHELAS. Pour ne me pas fléchir l'Orateur est trop beau,Ma Reine j'y consens, et promets à cette heureDe la tirer demain de sa triste demeure,Pourvu que votre Esclave, et de plus votre Amant Puisse espérer de vous un pareil traitement. EURIMÉDON. Je m'en vais lui porter cette heureuse nouvelle. Il sort. ARCHELAS. Allez. Que cette Reine est pitoyable, et belle !Que les traits de ses yeux mes superbes vainqueursOnt des charmes puissants pour captiver les coeurs ! Il n'est point de dépit qui ne cède à sa grâce,Point de ressentiment que sa bouche n'efface,Alors qu'elle commande il lui faut obéir,Et ce quelle chérit, on ne le peut haïr. SCÈNE IV. Eurimédon, Pasithée, Alerine dans la prison. EURIMÉDON, en Amazone. Digne objet de pitié, mais beaucoup plus d'envie Qui tiens même d'Amour la liberté ravie,Se peut-il que je voie en ces funestes lieuxCelle dont la beauté peut captiver les Dieux ?Non, non : Je ne saurais souffrir cette injustice,Tout le monde prend part en ce rude supplice, Et sans vos doux regards son destin a pareilAux lieux qui sont privés des clartés du Soleil,Il est temps que la Cour dissipe sa tristesse,Qu'on lui rende sa joie avecque sa Princesse,Et que de la prison vous veniez au Palais, Goûter avecque nous les douceurs de la paix. PASITHÉE. Madame : Les prisons sont des champs Élysées,Quand vos divins regards les ont favorisées,Au lieu que les Palais où vos yeux ne sont pas,Ne sont que des Enfers où règne le trépas. Mais par quelle faveur, et de quel bon GénieAi-je aujourd'hui reçu cette grâce infinieQu'un Astre dont l'éclat est si doux à mes yeuxVienne luire, où jamais ne luit celui des Cieux ? EURIMÉDON. C'est le flambeau d'Amour qui finira vos peines. PASITHÉE. Ah ce tyran (Madame) est l'auteur de mes chaînes ! EURIMÉDON. Ainsi le même trait qui fit votre tourmentFera dorénavant votre contentement,Si vous favorisez sa prudente conduite. PASITHÉE. Ah Dieux ! à cet objet je suis toute interdite, Et j'ai dans mon esprit tant de confusion,Que tout ce que je vois me semble illusion. EURIMÉDON. Ne vous souvient-il pas quand nous sommes ensemble,D'avoir jamais connu quelqu'un qui me ressemble ?Ne craignez point (Madame) avouez le secret, J'ai pour en bien user l'esprit assez discret ;Outre que j'ai beaucoup d'intérêt en l'affaire,Elle concerne encore le salut de mon frère,Qui vivement touché des traits de votre amourNe voit plus qu'à regret la lumière du jour ; Oui (Madame) j'entrai dedans cette Province,Afin de secourir ce misérable Prince,Ce cher Eurimédon qui vous iame si fort,Et que le désespoir va réduire à la mort :Ma valeur a rendu la paix à Mytylène, Et je puis espérer la qualité de Reine,Puis que j'ai pu donner assez d'amour au RoiPour me faire l'honneur de me donner sa foi :Mais qu'il n'espère pas la faveur qu'il souhaiteQu'Hermionne ne soit de tout point satisfaite, Qu'il ne m'ait de mon frère accordé le pardon,Et que vous ne soyez femme d'Eurimédon. PASITHÉE. Madame, Je croirais que vous voudriez surprendreCet esprit innocent qui vient de vous entendre,Si le Ciel en naissant ne vous avait fait don Des plus aimables traits de mon Eurimédon :Mais puisque vous portez de si visibles marquesDe celui que j'honore au dessus des Monarques,Je reconnais assez que vous êtes sa soeur ;Il a les mêmes yeux et la même douceur, Cette bouche, ce front, cette grave apparence,Enfin le sexe seul en fait la différence. EURIMÉDON. Tout le monde a de nous la même opinion. PASITHÉE. Puisque vous êtes joints d'une telle union,Et que pour son repos vous veillez de la sorte, J'avouerai librement l'amour que je lui porte :Oui je l'aime, Madame, et ma captivitéTrouve parmi mes fers de la félicité,Il calme ma douleur, Il fait tarir mes larmes,Lorsque mon souvenir m'entretient de ses charmes, Et si par fois je fais des projets inhumains,Son beau nom fait tomber les armes de mes mains. EURIMÉDON. Que mon frère (Madame) aurait l'âme ravieEt que j'estimerais son sort digne d'envie,S'il oyait ces propos pleins d'amour, et de foi, Ou plutôt s'il pouvait vous baiser comme moi. PASITHÉE. Au point où je vous vois auprès du Roi mon père,Vous pouvez tout Madame. EURIMÉDON. Hé bien ! Laissez-moi faire.Quand vous m'aurez donné votre consentementIl ne manquera rien à son contentement : Mais c'est assez parlé de l'intérêt d'un autre,Il est temps désormais que nous pensions au nôtre :Voudriez vous maintenant me faire une faveur ? PASITHÉE. Vous obéir (Madame) est mon plus grand honneur,Commandez seulement et vous serez servie. EURIMÉDON. Dans ce cher entretien mon âme est si ravie,Que je ne voudrais pas m'en séparer jamais.Madame trouvez bon que j'envoie au Palais,Pour supplier le Roi qu'il m'accorde une chose. PASITHÉE. Quelle ? EURIMÉDON. Qu'auprès de vous cette nuit je repose, Si je ne vous suis pas importune ; PASITHÉE. VraimentVous pouviez employer un autre compliment.Importune bons Dieux ! Me croyez-vous si vaine,Que vous considérant pour ma mère et ma ReineJ'abuse de l'honneur, et de l'affection Que vous me témoignez en cette occasion ?Non, non, je ne suis pas à ce point arrogante,Vous devez autrement traiter votre servante :Vous avez sur mon âme un absolu pouvoir,Et vous devez penser que je sais mon devoir. EURIMÉDON. De ces soumissions je suis toute confuse,Mais avec ce respect pourtant on me refuse. PASITHÉE. Nullement : Alerine allez trouver le Roi,Dites lui que Madame est encore chez moi,Et que pour me parler d'un souci qui la touche Elle souhaite fort de partager ma couche ;Mais avecque l'aveu de son consentement. ALERINE. J'y vais Madame. PASITHÉE. Allez : et venez promptementPour me déshabiller ; Il est tard ce me semble,Nous aurons tout loisir de deviser ensemble, Si la bonté du Roi s'accorde à nos désirs. EURIMÉDON. Déjà ce doux espoir me comble de plaisir,Mais je crains que l'effet de cette courtoisieNe donne à notre Amant un peu de jalousie,S'il apprend quelque jour le bonheur où je suis : Cependant que son coeur est parmi les ennuis,Et dedans les langueurs d'une fâcheuse absenceFait d'un excès d'amour l'injuste pénitence. PASITHÉE. Si jusque ici l'amour a mal traité nos voeux,Le même quelque jour nous ravira tous deux, Et par notre union finissant nos supplicesVersera sur nos maux ses plus chères délices. EURIMÉDON. Pour la même raison vous devez croire aussiQue le mal de mon frère est beaucoup adouci,Et quelque déplaisir qui trouble sa pensée, La cause de son mal rend sa peine effacée :Mais bons Dieux ! qu'Alerine est longue en son retour ! PASITHÉE. Madame : la voici. EURIMÉDON. J'en rends grâce à l'amour. SCÈNE V. Eurimédon, Pasithée, Alerine. EURIMÉDON. Hé bien qu'a dit le Roi ? ALERINE. Que la belle HermionnePour suivre ses désirs n'a besoin de personne, Et que ses volontés sont d'assez fortes loisPour ne pas relever de la faveur des Rois,En un mot Archelas s'accorde à votre envie. Elle se retire. EURIMÉDON. Il me fait trop d'honneur. PASITHÉE. Et moi j'en suis ravie. EURIMÉDON. Certes voilà des traits d'une extrême bonté. PASITHÉE. Mais plutôt du crédit de votre Majesté,Dont la grâce est unique ainsi que sans pareille. EURIMÉDON. Exceptez-en la vôtre (adorable merveille,)Car c'est d'elle qu'on peut dire avecque raisonQue ses charmes divins sont sans comparaison. PASITHÉE. Vous me forcez pourtant d'avouer à ma honteQue votre courtoisie aujourd'hui me surmonte. EURIMÉDON. Pour être un digne objet à votre affectionJe veux bien vous laisser en cette opinion,Mais le peu de mérite où mon espoir se fonde Accusera d'erreur les plus beaux yeux du monde,Et fera reprocher à votre jugementQu'il a lorsqu'il me flatte un peu d'aveuglement. PASITHÉE. Ici votre vertu m'impose le silence,Mais l'admiration sera mon éloquence. EURIMÉDON. Brisons là ce discours, Madame. PASITHÉE. Je le veux. EURIMÉDON. Que le Ciel (ma Princesse) est propice à mes voeux !Ah que sur ce beau sein je vois de belles choses !Son teint ressemble aux lys, et votre bouche aux roses,Les grâces dedans l'une ont choisi leur séjour, L'autre d'un beau rocher fait le trône d'Amour,Et comme ils sont tous d'eux de visibles miracles,L'un reçoit tous nos voeux, l'autre rend des Oracles ;Enfin je vois ici comme dans un tableauTout ce que la nature a de rare et de beau. Mais que j'ai de regrets parmi ces belles choses !Que je vois de soucis au milieu de ces roses !Et que je suis confuse en ce dernier effortOù peut-être ma nef fera naufrage au port. PASITHÉE. Vous soupirez (Madame) et votre teint se change, D'où vous vient si soudain cette pâleur étrange ?Dieux ! vous trouvez-vous mal ? EURIMÉDON. Madame il faut mourirOu que votre pitié s'offre à me secourir. PASITHÉE. Ce n'est pas un devoir que ma main vous refuse,Mais ce nouveau discours me rend toute confuse, Parlez moi clairement. EURIMÉDON. Ah Madame ! Pardon.C'est trop vous abuser, Je suis Eurimédon. PASITHÉE. Eurimédon bons Dieux ! EURIMÉDON. Lui-même ma Déesse. PASITHÉE. Ô misérable fille ! ô chétive Princesse.C'en est fait, ton malheur arrive au dernier point. EURIMÉDON. Madame parlez bas, et ne vous fâchez point. PASITHÉE. Quoi méchant tu voudrais après cette impudenceQue ma voix fût encore de ton intelligence ?Après avoir tendu ce piège à mon honneur,Tu veux que je me taise insolent suborneur ? Non, non, traître, je veux que ma douleur éclate. EURIMÉDON. Madame, PASITHÉE. C'est en vain que ton amour me flatte,Ne m'importune plus de tes voeux indiscrets,Mais permets à la mort d'étouffer mes regrets.Ô sensible malheur ! SCÈNE VI. Eurimédon, Pasithée, Alerine. ALERINE. Hé qu'avez-vous Madame ? PASITHÉE. Un mal qui m'a surprise, et qui m'arrache l'âme. ALERINE. Votre voix a d'abord troublé tous mes esprits. PASITHÉE. L'excès de ma douleur m'a fait jeter ces cris. ALERINE. Ce mal est bien soudain, et j'en suis fort en peine. PASITHÉE. Alerine de peur d'incommoder la Reine, Je vais passer la nuit dans votre appartement. Elles sortent. EURIMÉDON, seul. Ah déplorable Prince ! ô malheureux Amant !Que ton impatience a détruit de délices !Et prépare à ton coeur de sensibles supplices !Mais ne murmure point contre cette beauté Que tu viens d'offenser par ta témérité,Tu sens un châtiment moindre que ton audace,Et malgré son courroux la pitié t'a fait grâce.Venge plutôt le tort que ton amour a fait,Offre-toi pour victime à cet objet parfait, Et par ton propre sang effaçant ton offenseN'épargne par tes jours quand tu perds l'innocence :Espérons toutefois : Mes services passésNe sont pas tout à fait de son coeur effacés,Puisque dans sa douleur sa bouche s'est contrainte, Et n'a pas découvert le sujet de sa plainte,Ce silence discret montre qu'assurémentSon amour est plus fort que son ressentiment. ACTE V SCÈNE I. TYGRANE. Amour ôte à mes sens cette importune IdéeDont mon âme est encore malgré moi possédée, Romps les fers orgueilleux où je suis engagé :Et rends par mon repos mon esprit soulagé :N'entretiens plus mon coeur des charmes de l'Infante,Fais paraître à mes yeux sa beauté moins puissante,Et pour rendre aujourd'hui mon mal moins rigoureux Forme-la moins aimable, ou fais-moi plus heureux :Si tu veux m'obliger dis-moi que Céliane,Surpasse en ses attraits et Vénus, et Diane ;Vante à tout l'Univers sa générosité,Et les nobles effets de sa fidélité ; Mais plutôt de ce pas allons lui rendre hommage,Et demander pardon d'avoir été volage,Mes yeux préparez-vous d'adorer ses appas,Puis qu'elle a dans ses mains ma vie, et mon trépas,Allons. SCÈNE II. Céliane, Tygrane. CÉLIANE. Où va Tygrane ? TYGRANE. Où son devoir l'appelle. CÉLIANE. Perfide dis plutôt où t'attend une belle.Il est vrai que j'ai tort de blâmer ton devoir,Et de te regarder lorsque tu vas la voir ;Pasithée a des traits qui font que CélianeN'oserait espérer l'entretien de Tygrane. TYGRANE. Ah Madame ! Épargnez un malheureux Amant,Je bornais mes desseins à vous voir seulement. CÉLIANE. As-tu mise en oubli la Reine de ton âme ? TYGRANE. Je ne puis l'oublier puisque c'est vous (Madame)Dont l'absolu pouvoir règne sur mes esprits. CÉLIANE. Et tu n'es plus pour moi qu'un objet de mépris. TYGRANE. Oubliez mon erreur, oubliez mon offense,Et voyez mon amour après mon inconstance ;Comme l'Astre du jour alors qu'il sort de l'eau,Mon feu sera plus net et paraîtra plus beau, Pourvu qu'en ma faveur quelque pitié vous touche. CÉLIANE. Depuis quand cette amour loge-t-elle en ta bouche ?Sans doute déloyal tu ne te souviens pasCombien ta Pasithée a de grâce et d'appas. TYGRANE. Ah belle Céliane ! CÉLIANE. Hé bien Prince volage ? TYGRANE. Serez-vous sans pitié ? CÉLIANE. Seras-tu sans courage ? TYGRANE. Il en faut bien avoir pour souffrir vos discours. CÉLIANE. Il faut trop de pitié pour te donner secours. TYGRANE. Il est vrai la faveur d'une grâce est trop grandeEt ce n'est pas aussi ce que je vous demande, Non, je n'invoque plus ici votre pitié,Mais j'ai plutôt recours à votre inimitié ;Oui qu'elle fasse au moins cet honneur à ma vieDe la croire aujourd'hui digne d'être ravie,Pour réparation du crime que j'ai fait D'avoir osé trahir un objet si parfait. CÉLIANE. Tygrane c'est assez, mon âme moins cruelleVeut attendre de vous une amour plus fidèle :J'approuve vos devoirs, et la suite du tempsSi vous persévérez nous peut rendre contents, Allez : retirez-vous avec cette espérance. TYGRANE. Et vous vivez (Madame) avec cette assurance,Que je conserverai même après le trépasL'amour que j'ai vouée à vos divins appas. Il sort. CÉLIANE, seule. Enfin ma passion triomphe de Tygrane, Ce superbe vainqueur se rend à Céliane,Et les traits de mes yeux plus forts que ses dédainsRéparent la faiblesse et l'affront de mes mains :À ces nobles efforts ma raison rend les armes,Je trouve que son crime est moindre que ses charmes, Et de quelque dépit dont mon coeur soit touchéJe crois le repentir plus grand que le péché ;Après cette faveur (Amour) je te rends grâceDe m'avoir inspiré la généreuse audaceQui m'a fait rencontrer dans l'orage le port, Et m'a donné la vie, où je cherchais la mort. SCÈNE III. Archelas, Mélinte et leur suite. ARCHELAS. Grand Monarque, il est vrai : l'insolence d'un PrinceA troublé depuis peu cette heureuse Province,Mais cet Eurimédon que vous cherchez iciNe nous a pas ôté ce pénible souci. Quand le traître Araxès descendit dans cette Île,Déjà ce Chevalier avait quitté la ville,Et parmi le danger de ce soudain malheurSon absence m'eût fait regretter sa valeur,Si les Dieux par le bras d'une auguste Amazone N'eussent puni le traître, et rassuré mon trône ;Je ne laisse pourtant de vous être obligéD'avoir voulu défendre un État affligé. MÉLINTE. Le devoir mutuel qui nos sceptres allieM'a fait pour ce sujet partir de Thessalie, Où j'appris que Bellone exerçait son courrouxSur cette nation qui relève de vous ;Et comme Eurimédon n'aime rien que la guerre,J'ai cru le rencontrer en cette heureuse terre :Mais à ce que je vois le sort malicieux L'a contre mon espoir éloigné de ces lieux. ARCHELAS. Ce fut plutôt l'effet de ma juste colère. MÉLINTE. Quoi, vous l'avez chassé ? ARCHELAS. Sans doute. MÉLINTE. Ah c'est mon frère ! ARCHELAS. Votre frère bons Dieux ! MÉLINTE. Oui, mon frère. ARCHELAS. Grand Roi.J'ai regret de l'avoir si mal traité chez moi S'il m'avait déclaré son illustre naissance,Je n'aurais pas commis envers lui cette offense,Au contraire j'aurais contenté ses désirs,Et par un bon accueil fini ses déplaisirs. MÉLINTE. Lui-même ne sait pas qu'il soit de notre race, Il vit avec ses jours commencer sa disgrâce,Et l'Astre qui premier éclaira son berceauPensa d'un même temps éclairer son tombeau :Toutefois si le sort fut ingrat, et barbare,Le Ciel de ses trésors ne lui fut pas avare ; Car il fit éclater en des lieux écartésParmi de viles gens de nobles qualités ;Moi-même je le vis, et sa seule vaillanceSans que je le connusse, acquit ma bienveillance :Mais depuis que je suis en cet illustre rang Un Pirate m'a dit qu'il était de mon sang,Et que ses compagnons l'avaient pris à MessineEntre les faibles bras de ma mère Euphrosine,Lorsque par Dicéarque en ces lieux attirésIls lui firent les maux qu'ils avaient conspirés Ah que je fus content d'ouïr cette nouvelle !Mais que je trouve ici son absence cruelle !Et que mon coeur saisi de son éloignementGarde pour son malheur un vif ressentiment :Où pourrai-je trouver ce misérable Prince, Il erre maintenant de Province en Province,Il court cet Univers de l'un à l'autre bout,Et ne possédant rien il croit posséder tout :Mais encore quel sujet excita votre haine ? ARCHELAS. L'excès de son amour qui me mit fort en peine. Car comme je croyais que son ambitionN'avait point de rapport à sa condition,Je trouvais fort mauvais qu'il eût pris l'assuranceDe regarder l'Infante avec de l'espérance,Si bien que redoutant la fin de ce projet, Je séparai d'ensemble et l'un, et l'autre objet. MÉLINTE. Ainsi doncques l'amour a produit son contraire,Et ce qui fait aimer a fait haïr mon frère,Ah misérable Prince où t'a réduit le sort ? ARCHELAS. Si jamais son destin le rendait à ce bord. Je traiterais si bien ce généreux courageQue je le forcerais d'oublier mon outrage,La main qui l'a blessé guérirait sa douleur,Ce qui fit mon courroux, finirait son malheur ;Et l'espoir de mon sceptre avecque Pasithée Rendrait dans ce pays sa course limitée :Mais puisque les destins ne le permettent pas,En vain ma passion lui promet ces appas ;Attendons que les Dieux à nos voeux plus propices,Fassent par son retour renaître nos délices ; Cependant s'il vous plaît d'entrer dans le Palais,Vous y verrez l'objet à qui je dois la paix,Et qui dorénavant doit partager mon trône. MÉLINTE. Je le veux bien, voyons cette belle Amazone. SCÈNE IV. Eurimédon, Pasithée, Céliane. CÉLIANE. Madame : Je vous ai tant d'obligation De vous être fiée à ma discrétionQu'il n'est point de moyens, ni de traits de courage,Qu'à votre occasion je ne mette en usage ;Je savais déjà bien tout ce déguisementEt que sous cet habit vous aviez un Amant, Je fus le Conseiller de la belle Hermionne,Quand elle fit dessein de se faire Amazone :Et que cette action soit un crime, ou bienfait,Mon coeur est partisan de tout ce qu'elle a fait.Souffrez donc qu'aujourd'hui j'achève mon ouvrage, Souffrez que je vous mette à couvert de l'orage,Et comme cet État m'a tiré de souci,Permettez que le mien vous en retire aussi. PASITHÉE. Ce conseil serait bon généreuse PrincesseSi mon esprit timide avait moins de faiblesse : Mais mon coeur interdit de crainte, et de respectMe fait irrésolue, et me rend tout suspect :Car quelque invention que votre esprit médite,Mon honneur ne saurait se sauver en ma fuite,Et quand bien je serais hors des terres du Roi J'aurais toujours en suite et l'horreur et l'effroi. EURIMÉDON. S'il est de la terreur c'est ce bras qui la donne,Et s'il sait appuyer le faix d'une Couronne,Il pourra bien aussi vous sauver de la peurQui loge indignement dans un si noble coeur : Quoi donc, aimez-vous mieux que la rigueur d'un pèreFasse d'une Princesse un objet de misère ?Voulez-vous que ma teste attende son courroux,Ou que comme un ingrat je m'éloigne de vous ?Quand il aura connu mon sexe et ma personne, Qu'il saura que je n'ai que le nom d'Hermionne,Croyez-vous éviter la noire impressionQu'il doit avoir alors de notre affection ?Non, non, notre retraite est un coup qu'il faut faire,Et votre enlèvement est un mal nécessaire. Quand vous ne serez plus en ses barbares mainsLe temps adoucira ses projets inhumains,Mais si nous ne quittons ce funeste rivageIl nous faut disposer aux effets de sa rage. PASITHÉE. Hé bien, puis qu'il le faut, j'y consens : mais bons Dieux ! Qu'un extrême malheur m'arrache de ces lieux !Puisque pour un Amant qui cause mon martyreIl faut que j'abandonne et mon père, et l'Épire ?Mais (cher Eurimédon) Je ne conteste plus,Aussi bien les regrets sont ici superflus, Je suis tes volontés, ma raison rend les armes. EURIMÉDON. Ma Reine essuyez donc ces inutiles larmes,Et de peur d'éventer ce généreux desseinÉtouffez vos soupirs au fond de votre sein,Fiez vous cependant dessus ma prévoyance Je vais tout préparer. Il fait semblant de s'en aller. SCÈNE V. Archelas, Mélinte, Eurimédon, Tygrane, Pasithée, Céliane et leur suite. ARCHELAS. La voilà qui s'avance. MÉLINTE. Je vais la saluer. Miracle des beautés,Mais quel charme puissant tient mes yeux enchantez ?Je vois, ou je me trompe, Eurimédon mon frère. EURIMÉDON. Ah Dieux ! que vous m'auriez obligé de vous taire, Vous me perdez Mélinte. MÉLINTE. Ah mon frère ! pardon,Je ne me saurais taire auprès d'Eurimédon ;Mon bonheur est trop grand, et ma joie est trop forte,Pour demeurer muet, et feindre de la sorte :Je suis votre Mélinte, et vous trouvez en moi L'affection d'un frère, et le support d'un Roi ;Un de vos ravisseurs m'a dit votre origine,Et nous sommes tous deux les enfants d'Euphrosine ;Notre père Hermocrate étant avec les DieuxJe possède le trône où régnaient nos aïeux, Mais comme je vous tiens de cette illustre race,Je veux auprès de moi vous y faire une place,Mon Sceptre, et mes états suffiront à nos voeux,Et la même Couronne en couronnera deux. ARCHELAS. Quoi donc en même temps je vois en cette Reine L'objet de mon amour, et celui de ma haine ?Et le feu dont ses yeux ont mon coeur enflamméSera par elle éteint aussitôt qu'allumé ?Quoi, mon affection de la sorte abuséeServira lâchement à vos yeux de risée ? Et ce perfide ira se vanter désormaisQu'il m'est venu braver dans mon propre Palais ?Ah ! mon ressentiment effacera ma honte. Il met la main à l'épée. TYGRANE. Ne souffrez pas (grand Roi) que l'ire vous surmonte,Apaisez ce courroux un peu trop violent. ARCHELAS. Plutôt à me venger je suis un peu trop lent ;Quoi séduire une fille, et se jouer du pèreCe n'est pas (dites-vous) un sujet de colère ? EURIMÉDON. Ah Sire ! si jamais un si lâche desseinEn ce déguisement m'est entré dans le sein, Si manque de respect, l'honneur de PasithéeA senti les efforts d'une audace effrontée,Si son corps n'est encor aussi pur que ma foiJe consens que le Ciel éclate contre moi :Il est vrai : J'ai chéri cette belle Princesse, Mais je l'ai respectée ainsi qu'une Déesse ;Et quoiqu'elle ait été deux fois en mon pouvoir,Jamais ma passion n'a trahi mon devoir ;Lorsque votre ennemi vous l'avait enlevéeVous savez qu'elle fut par mes armes sauvée, Et que sans me servir de la faveur du sortMa générosité vous la rendit au port :Donnez donc (s'il vous plaît) un pardon à ma flammePuisqu'elle est sans reproche aussi bien que sans blâme,En mon déguisement vous n'avez rien perdu, Car ce qu'on vous ôtait mon bras vous l'a rendu. MÉLINTE. Monsieur, si pour vous rendre à ses voeux favorable,La prière d'un Roi vous est considérable,Mon frère auprès de vous obtiendra son pardon,Et vous vous résoudrez d'aimer Eurimédon : Encor qu'il ne soit pas du sexe d'HermionneSa tête n'est pas moins digne d'une Couronne,Et le Sceptre Royal qu'on lui refuse en vainN'aura pas moins de grâce en son auguste main ;Pasithée est son prix selon votre ordonnance Puis qu'il a d'Araxès réprimé l'insolence,Et quand il n'eût pas fait cette belle actionIl la mériterait par sa condition :Changez, changez (Monsieur) cette haine obstinée,Dégagez cette foi que vous avez donnée, Et qu'un heureux Hymen laisse dans le reposLes champs Thessaliens, la Troade, et Lesbos. ARCHELAS. Mélinte : vos vertus vous rendent trop auguste,Et vous me demandez une chose trop justePour souffrir de ma part un superbe refus ; Excusez seulement si mon esprit confusA tardé si longtemps d'accorder PasithéeÀ celui dont l'amour l'a si bien méritée,Et si j'ai fait paraître une injuste fureur,Songez que cette feinte a causé mon erreur. Ma fille je vous donne à ce Prince adorable. PASITHÉE. Sire, cette faveur rend mon sort honorable,Et les commandements sont doux à recevoirOù votre volonté s'accorde à mon devoir. EURIMÉDON. Par ce commandement, et cette obéissance, Que je reçois (Amour !) une ample récompense !Et que je dois bénir l'atteinte de tes traits,Puisque tu la guéris avecque tant d'attraits. TYGRANE. Et moi voyant les biens que le Ciel leur envoieVerserai-je des pleurs sur la commune joie ? Après tant de rigueur, et de travaux soufferts,Voulez-vous que je meure accablé de mes fers ?Ne vous lassez vous point de me voir misérable ? ARCHELAS. Madame, c'est assez faire l'inexorable,Puisqu'une heureuse nuit doit suivre un si beau jour Vous devez ce bonheur à son fidèle amour. CÉLIANE. Je voulais plus longtemps faire l'expérienceEt de sa passion, et de sa patience,Mais puisqu'un si grand Roi me prescrit mon devoir.Je veux vous obéir, et le vais recevoir. TYGRANE. Puisque par vous j'obtiens ce bien incomparableQue je vous suis (Seigneur) aujourd'hui redevable ! ARCHELAS. Allons donc mes amis célébrer ce beau jourQui vous doit couronner des myrtes de l'amour,Et donner quelque jour à ces belles provinces Par vos embrassements des Reines, et des Princes. ==================================================