******************************************************** DC.Title = LES NOCES DE VAUGIRARD, OU LES NAÏVETÉS CHAMPÊTRES, PASTORALE DÉDIÉE À CEUX QUI VEULENT RIRE. DC.Author = DISCRET, L.C. DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 23/08/2023 à 19:38:23. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DISCRET_NOCESDEVAUGIRARD.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6269158p DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES NOCES DE VAUGIRARD OU LES NAÏVETÉS CHAMPÊTRES. PASTORALE dédiée à ceux qui veulent rire. M. DC. XXXVIII. Avec Privilège du Roi. À PARIS. Chez JEAN GUIGNARD, au premier Pilier de la grand' Salle du Palais. Représenté pour la première fois en 1635 au Théâtre du Marais. EPÎTRE SERVANT D'AVERTISSEMENT à ceux qui veulent rire. MESSIEURS, Je ne suis point de ces savants personnages dont les siècles ont si curieusement conservé les précieuses reliques pour nous donner lumière des sciences qui les ont fait estimer vrais Orateurs, si parfaitement bons poètes : mon savoir est aussi peu connu que ma personne, mais mon humeur indifférente ne se soucie de la probation des doctes, ni du mépris des ignorants : mes écrits en petit nombre, et en peu de volumes n'ont d'autorité que les divers sentiments de ceux qui prennent la peine de les lire. Vous ne verrez point d'apologiste qui me dise confidemment à l'oreille que j'ai parfaitement bien réussi, que j'ai grandement obligé le public lui donnant des oeuvres si pleines de moralités et de subtiles pointes, que j'attribue des richesses aux rythmes capables de me faire passer pour divin, que j'attraperai la gloire où tous les autres veulent atteindre, et où pas un ne saurait parvenir, et qu'enfin il serait aussi difficile de trouver mon second ,comme de rencontrer deux Rois de France en l'Europe. Tous ces discours de vanité, et de flatterie n'auraient autre remerciement de moi, que celui que l'on peut faire a des gens que l'on reconnaît se moquer honnêtement d'un ami, je leur donnerais l'épithète d'esprits faibles plutôt que celle d'esprits forts, comme n'ayant pas assez de force pour me persuader une méconnaissance de moi-même : les défauts de mes ouvrages ne trouveront ni de louanges ni d'excuses dans les plumes d'autrui. Vous n'y trouverez point dans l'Avertissement au Lecteur ce que les Auteurs du temps ont coutume d'y mettre : Qu'ils savent faire une pièce en quinze jours, qu'ils n'avaient que quinze ans lorsqu'ils l'ont faite, que leurs amis les ont forcés à la faire mettre sous la presse, et sous l'assurance qu'on leur a donnée, quelle serait bien reçue que c'est un premier essai et qu'on doit espérer que quelque jour ils feront mieux : les autres diront que leur absence a causé le désordre, et les fautes qui se rencontrent dans leurs livres, qu'ils ont été imprimés à leur insu sur des copies malpolies qui leur avaient été dérobées, ou qu'ils avaient données a l'un de leurs amis, mais qu'à la seconde édition ils seront vêtus des robes de la merveille, et qu'on ne les reconnaîtra plus. Toutes ces raisons si anciennes, et tant de fois répétées pour faire trouver bonne une mauvaise chose, ne peuvent être appelées autrement que les honnêtes excuses de l'ignorance, le manteau de l'incapacité, la couverture de l'imperfection, le voile des petites imaginations la stérilité des bonnes paroles, le bandeau des rimeurs, et la folie des Poètes ; et pour moi, afin qu'ils sachent mon sentiment je conseillerais volontiers à ces esprits de donner plus de temps à la composition de leurs ouvrages, et de ne les entreprendre si jeunes, vu que leurs pointes, qui pour proprement parler, ne sont que métaphores hyperboliques forment des épines si piquantes, que leur honneur s'y écorche le plus souvent : il n'y a pas un pied de vers qui n'en prête deux aux lecteurs pour marcher sur la tête de leur vanité, ni pas un vers qui n'en fournisse quatre pour ronger ce qu'il y a de mal digéré dans leur travail de sorte que comme la chauve-souris à cause de sa difformité n'ose paraître devant le jour, ces ouvrages devraient demeurer enfermés, ou n'être mis en lumière que par le feu ; car pour moi je ne saurais flatter, je dis librement mes pensées ; on ne saurait donner trop de soin à un ouvrage qui paraît en public. Voici (Messieurs) une Pastorale où j'ai fait parler les personnages selon que la naïveté des champs les a représentés à mon imagination : j'ai beaucoup de fois repassé par dessus, j'ai corrigé quantité de choses, j'ai fait mon possible pour la polir, et empêcher qu'il n'y eut point de fautes remarquables, et si je puis vous assurer qu'elle n'est pas trop bien, que les oreilles délicates n'y trouveront point leur satisfaction, que les chercheurs de pointes en trouveront plus chez les vitriers que dans mon livre, et que les belles pensées, et les bons mots y sont clairsemés, et néanmoins pour m'instruire sur les divers jugements sans chercher la protection des grands, ainsi que beaucoup font, et qui s'imaginent que le nom de ceux à qui leurs livres sont dédiés excusent leurs fautes, et défendent leurs oeuvres de la médisance. Je vous faits présent (Messieurs) de cette pastorale, recevez-la telle quelle est, achetez la, ne l'achetez pas, lisez là, ne la lisez, pas, riez en, n'en riez pas : il y a longtemps que je fais profession de ne me soucier des louanges du monde, et que j'ai perdu la volonté de paraître habile homme, puisque j'ai reconnu avoir été ne pour ne l'être pas. Tout le contentement que j'espère donnant cette pastorale au public, est de vous faire voir par le compliment ordinaire que je suis véritablement, MESSIEURS, Votre très humble, et obéissant serviteur L. C. D. ARGUMENT. Amarille est jointe par mariage à Floridon qu'elle n'aime point sous promesse faite de l'advis de ses parens, et pour la contenter que Floridon ne cueillera le fruit de son amour, que six mois après le jour de leurs noces, pendant lequel temps Polydas fils d'une des Illustres maisons de Paris déguisé en Berger, et qui chérissait grandement Amarille, promettait de l'enlever secrètement, mais étant mandé à la noce avec une jeune Bergère nommée Lidiane, qui était venue avec sa mère demeurer à Vaugirard à cause des guerres qui étaient dans la Province de leur naissance. Polydas devient amoureux de Lidiane, oublie la promesse qu'il avait faiate à Amarille, et continue ses amours avec elle, nonobstant les jalousies d'Amarille. Pendant que Polydas, Lidiane, Pysandre, Cleanide, et Amarille Bergers, et Bergères passent le temps à mille gentillesses, et tromperies amoureuses : Luciane mère de Lidiane ayant veu au travers d'une vitre Polydas qui baisait sa fille. Cette action lui donne suject de l'enfermer, Polydas désespéré de ne plus voir sa maîtresse, prend résolution de l'enlever, et pour cet effet lui ayant fait savoir par un mot de lettre que Pysandre lui porte (sans savoir ce qui était dedans) qu'elle se tint prête pour la nuit suivante de son dessein, il met la nuit le feu dans une grange, pendant que les villageois sont empêchés à l'éteindre, il l'enlève, et la mène au bord de l'eau, où s'étant trouvé un bateau, Lidiane sautant dedans, pendant que Polydas le veut lâcher, la corde rompt, le bateau emène Lidiane, et laisse Polydas à la rive dans des fâcheries étranges : elle cependant que l'eau entraînait toujours voyant une île proche d'elle, s'élance du bateau sur le sable, mais le pied lui glissant elle tombe en la rivière où à l'instant enveloppée des ondes à la vue de son berger, elle eut été noyée si deux pêcheurs qui de grand matin avaient tendus leurs filets, ne l'eussent repêchée. Polydas qui croit qu'elle est morte se précipite dans la grotte des Démons, Amarille qui se doute qu'elle est trompée, voyant que Polydas était précipité, s'y jette pareillement, laissant tous leurs parents dans une confusion épouvantable, et enfin Lidiane repêchée, et ramenée par les pêcheurs au lieu où elle pensait retrouver Polydas, est à l'instant prise par les Députés de Vaugirard qui faisaient la recherche d'eux, par le soupçon qu'ils avaient que Polydas avait été le boutte-feu, elle est menée devant les juges qui lui font son procès, et quelques prières, et supplications que leur puissent faire les habitants du village, elle est par eux condamnée à être précipitée dans la même grotte des Démons, où étaient Polydas, et Amarille ; mais comme on vient pour exécuter cette sentence, l'ombre de Castrape Magicien, qui avait bâti cette grotte, sort tenant Polydas d'une main, et Amarille de l'autre sains et sauves, arrête l'exécution de cette condamnation, et faisant le récit de toutes leurs aventures, ordonne des mariages du bon homme Pancrace avec la vieille Luciane, dont les grotesques amours sont naïvement traitées, redonne Amarille à son Floridon Polydas à sa Lidiane, et Pyfandre à Cleanide, et par ces mariages inespérés calment les différents de tout le village, et leur cause une réjouissance publique. A. D. D. L. R. D. L. Beautés de qui les yeux captivent les franchises De tous les jeunes cours qui passent devant eux, Si les vôtres ont l'heur que de n'être amoureux, Du moins ne soyez plus à votre porte assises. Tous ceux que vous blessez la voudraient voir fermée, Plutôt que d'y trouver des objets de rigueur : Et pour moi lors qu'amour m'y vint blesser le coeur, Son feu devait aussi me réduire en fumée. Aux Lecteurs. Messieurs vous ne l'entendez pas, N'en faites de faux jugements : Quand vous serez tous des Midas, Vous entendrez mes sentiments. Errata Page 13, vers 4 lisez baise pour baiser p. 40. v.7. 1. sans vous veoir p.49.v.13. l. d'Orphee. p.53 v.18 et 19 l. affection au premier, et affliction au second. p.57.v.8. l. qu'un pour qu'en. p.58.v.10. l. faicts pour faictes. p.63.v.9. l. me parleront. p.101.v.15 l. seile pour sicle. p.107.v.10. l. qu'un pour qu'en. ACTEURS PANCRACE, vieil Berger, père d'Amarille. FLORIDON, mari d'Amarille. POLYDAS, Berger. PYSANDRE, Berger. LIDIANE, Bergere. CLÉANIDE, Bergere. AMARILLE, Bergere. LUCIANE, vieille, mère de Lidiane. LES DEUX PESCHEURS. LE JUGE. LE PROCUREUR FISCAL. LE GREFFIER DE VAUGIRARD. LES DEPUTÉS DE VAUGIRARD.. Un en troupe L'OMBRE DU GRAND CASTRAPPE, magicien. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. PANCRACE. Enfin le juste Ciel par un saint hyménée,De ma fille ce jour borne la destinée,Lui donnant un Berger digne d'affection,Autant riche de biens que de perfection ;[Note : Dispos : Il signifie, qui est agile, léger, qui se porte bien. [F]]Le plus sage et dispos de tout notre village, Et qu'on voit posséder le meilleur héritage :Outre ses grands troupeaux qui font dire aujourd'huiQue l'on en voit fort peu qui soient pareils à lui :Il sait le cours par coeur du grand éphéméride :Sur tous les différends des Bergers il préside, Avec un jugement si rempli de raison,Qu'il en sait plus que moi qui ai le poil grison.Le Juge de ce lieu le plus souvent le mande,Pour résoudre avec lui tout ce qu'on lui demande :Il a de la prudence et du savoir beaucoup, Il a l'invention pour empêcher qu'un loupN'aborde son troupeau, et sait un artificePour en toutes saisons accoupler la génisse.Ses brebis, son bélier, ses chèvres, et son chien,Il fait danser un branle, une courante, ou bien Jouant de son pipeau de cent sortes d'aubadesIl leur fait dans nos prés faire mille gambades :Et puis quand il lui plaît, nos fillettes souventFeront voir en dansant le derrière et devant,Par un charme qu'il fait, et bien d'autres merveilles, Ma fille à son bonheur n'aura point de pareilles :Et s'il n'était encor ce jourd'hui mariéLes Nymphes de ce lieu l'auraient d'amour prié :Tant son corps est aimable en toute modestie,Ou la Nature agit en chacune partie, Grâces, beautés, vertus, forment son action,Bref, c'est le cabinet de la discrétion,Que je puis m'assurer d'avoir ce jour pour gendre,Ma fille, sotte un peu n'y voulait pas entendre,Et si elle n'eut craint le paternel courroux Elle ne l'eut jamais accepté pour époux.Un pasteur inconnu de nom et de lignéeAvait si puissamment sa volonté gagnée :Que si je n'eusse bien ce jeune esprit presséL'accord fait entre nous ne serait point passé : [Note : Brider la bécasse : attraper, tromper quelqu'un. [L]]Mais ma foi maintenant la bécasse est bridéeEncor que ce Berger vive dans son idée,Et que par un article écrit au compromis,Son amoureux époux ait par sa foi promis,Que de six mois entiers du jour du mariage, Il ne la pressera d'avoir son pucelage :Ceste clause pourtant ne m'afflige qu'un peu,Car je crois que la mèche étant auprès du feuPourra bien s'enflammer si l'amour de ses ailesPeut faire de leurs cours sortir des étincelles, Ha ! Que ne peut l'amour, sa puissance peut toutEt des plus dédaigneux il sait venir à bout,J'espère dans neuf mois ou un peu davantage,Qu'ils verront d'un enfant accroître leur ménageCertes l'occasion fait naître le désir, Et je sais que ma fille étant à son plaisir[Note : Lice : Champ clos, carrière où combattaient les anciens chevaliers. On dit au propre comme au figuré, qu'un homme fuit la lice, quand il évite le combat, ou la dispute. [F]]Auprès de sa moitié, ne pourra dans la licePasser une ou deux nuits sans ce doux exerciceCar il est trop friand pour ne le goûter pas,Son berger est rempli de si charmants appas Qu'il ne l'aura jamais deux seules fois baisée,Que cet amoureux jeu ne la rende apaisée :Quand on voit de beaux fruits on en voudrait goûter,Je n'ai plus désormais de quoi me tourmenterVoici le lieu public où Pysandre s'apprête Pour se faire estimer le valet de la fête,La serviette en la main, le bouquet de muguet,[Note : Branle : se dit figurément du commencement d'une affaire, lorsqu'on la met en train d'aller, qu'on lui donne le premier mouvement. [T]]Fait voir qu'il mènera le second branle gai,Le premier par sus tous à moi seul je réserve,Et par discrétion l'honneur me le conserve, De tous ceux qui ont bu un peu trop sans raison,Il n'en est demeuré que deux à la maison :Le Berger Petrolin et sa femme Macée,Mais discourant ainsi de pensée en pensée,Je retarde beaucoup, sans doute l'on m'attend Ce murmure ici près et ce bruit que j'entends, On fait du bruit derrière le théâtre.M'annonce leur venue, il faut que je m'avanceAfin que par la main je la mène à la danse,Je viens de donner ordre au souper préparerPendant que ces amants pensent à leur parer. SCÈNE II. FLORIDON. Ravi dans un bonheur qui me suit à la piste,Qui condamne ma peine et ma fortune assiste,Qui me promet encor des plaisirs non-pareils,Que j'espère goûter entre les deux soleilsQui premiers paraîtront dessus notre hémisphère, Bref qui me donne en fin les biens qu'amour confère.Puisqu'aujourd'hui je sors des liens du tourment,Je me puis dire heureux plus que pas un amantAmarille est l'objet où butte ma victoireAmarille est le Ciel où se borne ma gloire, Amarille est le point de ma félicité,Amarille est le prix de ma fidélité,Amarille est le bien que mon esprit désire,Amarille est le centre où ma fortune aspire.Amarille en un mot, est tout ce que je veux Et son coeur et le mien n'en feront qu'un des deuxQue de contentement quand une flamme égalePartage ses douceurs sur une amour loyale,Je pensais qu'à regret elle eût donné sa foiQu'un Berger inconnu qu'elle a vu depuis moi, Eut dans son jeune coeur allumé quelque flamme,Mais ce contentement me demeure dans l'âme,D'avoir vu cet amant perdre en un même jourLe loyer de sa peine avecque son amour,À sa confusion nos lois sont mutuelles Et le refus qu'a fait ce miracle des belles :Ce tableau raccourci de toutes raretés,Dont Vénus et l'Amour admirent les beautés :N'était que pour masquer son dessein d'une feinte,Que ce qu'elle en faisait n'était que par contrainte Afin que l'étranger n'accusât son espritD'avoir trop peu d'amour à son désir prescrit,Cette ruse m'a plu autant qu'on saurait direMais le voici qui vient, et moi je me retire,Aussi bien l'on m'attend, sans moi l'on ne peut rien, Amour guide mes pas vers l'objet de mon bien. SCÈNE III. POLYDAS. BErger Infortuné Polydas misérable, Que la rage possède et le malheur accable,Quel funeste démon glisse en ce lieu ses pasPour voir devant tes yeux ravir d'entre tes bras Une jeune beauté (que la gloire accompagne)Et qui t'a fait venir habiter la campagne.Où est ton sentiment, ta gloire, ta valeur,Peux tu voir malheureux cet insigne voleurTriompher aujourd'hui de ta belle maîtresse ? Si je ne m'attendéis à la juste promesseQu'à ma fidélité elle a faite ce jour,Qu'il n'aura de six mois le fruit de son amour,Je jure ce soleil qui m'a l'âme ravie,Qu'avant le jour passé il n'aurait plus de vie, Mille coups de poignard par un pur assassinDu traître Floridon auraient percé le sein,Pour tirer la raison d'un si fâcheux outrage.Mon courage assez grand peut faire davantageSi ce n'était l'espoir que son affection Tiendra ferme toujours sa résolution,Je rendrais tellement sa noce malheureuseQu'à jamais la mémoire en serait odieuse.Mais j'espère bientôt l'enlever de ce lieu,Un vaisseau que j'attends doit arriver dans peu, Quand le vent l'aura fait jeter l'ancre au rivageJe ne tarderai pas un moment davantage :Prenons donc patience, attendant ce bon heurJe m'en vais à sa noce où m'invite l'honneur,De peur que l'on ne tint suspecte ma personne, Et que de notre fait quelque chose on soupçonne, On joue des hautbois.Le son de ces hautbois dit qu'ils viennent iciPour ne les rencontrer je prends ce chemin ci. SCÈNE IV. Pancrace, Polydas, Lidiane, Floridon, Amarille, Luciane, Pysandre, Cleanide. PANCRACE. Or sus mes bons amis que chacun prenne place,Que l'on nous donne un branle et que de bonne grâce, Les violons jouent un branle pendant que Polydas parle et que les conviés dansent.On danse gaiement, de coeur, d'affectionJe vous veux faire voir ma disposition. POLYDAS. Je ne pouvais choisir l'occasion meilleure,Me voici justement arrivé de bonne heurePour les voir commencer, admirons donc leur pas, Je serai fort joyeux qu'ils ne me voient pas,Dieux ! Quelle est la beauté qui marche la seconde,Il ne se peut rien voir de pareil en ce monde,Confus en contemplant ses belles actionsJe demeure étonné de ses perfections, Considérez un peu son port, sa bonne mine,Vous jugerez qu'elle est quelque grâce divine,De vallée ici bas pour le faire admirer,Certes c'est un soleil que l'on doit adorer,Diane oncques ne fut si belle ni légère, Je crois que c'est Venus déguisée en Bergère,Ou sans doute les deux lui cédant leurs appas,L'ont faite des beautés la merveille ici bas :Voyons plus à loisir sa grâce et ses mérites,[Note : Charites : Ce mot est purement grec. On s'en servait autrefois en poésie pour désigner les trois Grâces. [SP]]Indubitablement c'est l'une des Charites. PANCRACE. Sus c'est assez branler Messieurs les violons,[Note : Gaillarde : Nom d'une ancienne danse française. Le pas de danse qu'on nomme pas de gaillarde, est composé d'un assemblé, d'un pas marché et d'un pas tombé. [L]]Donnez nous la gaillarde, ou bien les Pantalons. On joue la gaillarde que Pancrace danse avec Luciane. POLYDAS. Non, non je ne puis plus demeurer en silence,Pour saluer la troupe il faut que je m'avance. PANCRACE. Où cet amant transi vient il dresser ses pas, Il ne faudra que lui pour troubler nos ébats. POLYDAS. Bergers permettez moi la faveur excellente,[Note : Courante : Ancienne danse très grave, qui se dansait sur un air à trois temps. Elle commençait par des révérences, après quoi le danseur et la danseuse décrivaient en pas de courante une figure réglée qui formait une sorte d'ellipse allongée. ]Qu'avec cette beauté je danse une courante. PANCRACE. Vous avez tout pouvoir de commander ici. POLYDAS. De même en mon endroit vous le pouvez aussi. LIDIANE. Berger pour mon sujet c'est prendre trop de peine,Souffrez que Floridon ou Pysandre me mène. POLYDAS. C'est le plus grand honneur qui me puisse arriver,[Note : Heur : rencontre avantageuse. [F]]Ma belle, ne daignez de cet heur me priver. LIDIANE. Je n'ose le donner à votre courtoisie Sans qu'un fâcheux effet de quelque jalousie,Ne glisse dans le coeur de chacune beauté. POLYDAS. Elles ont trop d'esprit et trop d'humilité,Joint qu'il n'y en a point en ces nombres d'élitesQui ne voulut céder à vos rares mérites. LIDIANE. Beau Pasteur je n'ai pas assez de vanité Pour croire ce discours loin de la vérité. Ils dansent. PANCRACE. Les jeunes amoureux que de grâce et d'adresse Les bergers et bergères donnent chacun une courante.Chacun mène danser et baiser sa maîtresse. POLYDAS remenant Lidiane à sa place. Belle nymphe excusez mon importunité. LIDIANE. Pour vous servir toujours j'aurai la volonté. PANCRACE. Hola hola Bergers c'est assez pour cette heureAutre occupation qui est beaucoup meilleure,Nous attend au logis allons vite dedansFaire sur le souper danser toutes nos dents. FLORIDON. Adorable sujet qui m'a l'âme asservie,Allons passer heureux ensemble notre vie,Ne veux-tu plus danser dis-le moi librement, AMARILLE. C'est le moindre souci de mon contentement. PYSANDRE à Cleanide. Quel heur ont ces amants, est il pas vrai ma Reine, Nous voudrions bien tous deux être en la même peine. CLÉANIDE. Mon espoir qui n'attend que le vouloir des DieuxMe fait imaginer qu'ils font tout pour le mieux. POLYDAS, à Lidiane. Déesse à qui l'amour ce grand Dieu doit l'hommage,Permettez que ma main vous remène au village, LUCIANE. Pancrace prêtez moî s'il vous plaît votre main,Car de votre maison je sais mal le chemin. PANCRACE. Très volontiers mamie, allons à la pareille,Quand je vous vois l'amour dans mes os se réveille :Il me souvient toujours de ma défunte Alix, Dont le teint était peint de roses et de lys. LUCIANE. Moqueur en mon endroit vous n'avez bonne vue. PANCRACE. Ha quand j'y pense encor ce seul regret me tue. LUCIANE. Ce regret inutile n'apporte que tourment,Allez n'y pensez plus, marchons tout doucement. PANCRACE. Luciane il est vrai votre raison est bonne. LUCIANE. Lidiane approchez plus près de ma personne. LIDIANE. Ô dieux que la vieillesse est d'une étrange humeur,Ma mère je vous suis. POLYDAS. Dieux que j'ai de malheur. SCÈNE V. Amarille, Polydas. AMARILLE. De la confusion maintenant délaissée, Je viens entretenir à loisir ma pensée,Pendant que le festin rend nos amis contents,Je me suis dérobée aux yeux des assistants,Pour venir librement plaindre la jalousie,Qui depuis le matin trouble ma fantaisie, Ce ver sans nul repos me dévore le coeur,Et dedans le plaisir je trouve la douleur,Parjure Polydas, ingrat, est il possibleQue tu pense aujourd'hui que je sois insensible ?Que je puisse souffrir sans regret furieux Qu'à un autre qu'à moi tu fasses les doux yeux :Non perfide, non non, ne crois pas que mon âmePour aimer mon époux puisse éteindre la flammeQui pour ton seul sujet s'alluma dans mes os :J'ai trop d'affection, j'aime trop ton repos, Jamais le changement ne blessa mon envie,Et ne crains point encor ce reproche à ma vie,Tandis que mon esprit fera sa fonction,J'aurai toujours pour toi la même affection :Que depuis un long temps je t'ai partout montrée, Et presqu'à tous moments sur mes genoux jurée :Mais toi, sot, inconstant, fol, volage, et trompeur,Ton amour dure moins que le mail de la fleur,Qui naissant au matin se perd l'après-dîner,Et sans doute qu'Iris nourrit ta destinée : Mais ne le vois je pas ? Oui, voici l'effronté,Je lui veux témoigner un visage attristé,Afin qu'à l'action froide et sans raillerieIl connaisse à l'instant d'où vient ma fâcherie. POLYDAS. Si jamais amoureux a souffert des tourments Parmi le bal, la danse, et les contentements,Je pense avoir senti plus de mal en mon âme,Que n'en ont enduré ni Pâris, ni Pyrame,J'ai tout seul supporté dedans ma passion,[Note : Ixion : roi des Lapithes, fit périr par surprise Déionée, son beau père, pour n'avoir pas à acquitter une dette contractée envers lui, et fut pour ce crime chassé de ses États. Personne ne voulant le purifier de ce crime, il ne trouva l'hospitalité que chez Jupiter dont il excita la pitié. Mais il essaya de séduire Junon. Jupiter substitua à sa femme une nue à laquelle il donna la forme de la déesse. S'étant convaincu des projets criminels d'Ixion, il le précipita dans les Enfers, où il faut attaché sur une roue qui tournait sans cesse. Du commerce d'Ixion avec la Nue naquirent les Centaures. [B] ]Des tourments plus cruels que n'endure Ixion, Me voyant engagé dans un respect de crainte,Qu'aucun par un soupir ne connût ma contrainte.Mais enfin dégagé de ce piège tendu,Je puis plaindre mon mal et sans être entendu,[Note : Argus : personnage de la mythologie gréco-romaine, c'était un géant qui avait cent yeux dont cinquante ouverts pendant que cinquante étaient fermé et dormaient.]Ni vu de cet Argus, mais des yeux de Diane Moins belle en vérité que n'est ma Lidiane,Je puis chanter tout haut sa gloire et ses appas,Ô bons Dieux ! Qu'ai je dit, parlons un peu plus bas.J'aperçois Amarille, ha ! Ciel, si cette belleM'a ouï, elle dira que je suis infidèle, Il faut feindre pourtant pour ôter le soupçon,De m'avoir entendu parler de la façon :Hé Dieux, où va si tard une belle épousée ?Viens-tu mon coeur ici, afin d'être baisée :Encor une ou deux fois avant que ton mari Prenne même faveur que moi ton favori. AMARILLE. [Note : Créance : Opinion, sentiment, foi. Voir Croyance. [F]]Tout beau, Berger, tout beau, votre créance est vaine,Sachez que ce sujet nullement ne m'amène. POLYDAS. C'est donc quelque dessein qui est particulier, AMARILLE. Rien moins. POLYDAS. [Note : Hallier : Celui qui garde les marchandises déposées dans une halle. Marchand qui étale aux halles. [L]]N'as tu point peur que dedans un hallier Quelqu'un se soit caché, qui cruel et profaneT'enlàve. AMARILLE. Je n'ai pas les yeux de Lidiane.Pour rendre les Bergers amoureux de ma peau. POLYDAS. Ha ! De quelque courroux arrivé de nouveau,Ton esprit est troublé, mamour, je te conjure, De me dire qui peut t'avoir fait une injure,Car j'atteste l'amour qui nourrit nos désirs,De l'aller massacrer au milieu des plaisirs. AMARILLE. C'est un jeune pasteur qui avec son amante,À la noce a dansé la première courante. POLYDAS. Quoi, ma nymphe, est-ce moi que tu accuses ainsi ?Ha ! Je sais d'où peut naître à présent ton souci ;Confesse librement qu'un trait de jalousieEn me voyant danser a ton âme saisie. AMARILLE. Mon soupçon n'est conçu qu'avec bonne raison, POLYDAS. Ma belle tu m'accuse ici de trahison,Si je l'ai fait danser je t'assure mon âme,Que c'était pour chasser le soupçon et le blâmeDe ceux qui ont ouï parler de nos amours. AMARILLE. Lidiane nommée en vos meilleurs discours, M'assure qu'en ma place elle a nom de fidèle. POLYDAS. Je te jure mon tout, que si j'ai parlé d'elle,C'était pour librement déplorer le malheur,Qui d'être ton époux m'a ravit le bon-heur.N'embrouille ton esprit sur ce nom inutile, Car dessous celui-là j'entendais Amarille :Rassure mon souci, ton émulationC'est blesser le saint noeud de notre affectionEt si de mon côté telle faute est trop grande,Ma Reine à deux genoux le pardon j'en demande. AMARILLE. Croirai-je ta parole un véritable effet ? POLYDAS. Par moi la vérité ce discours vous a fait. AMARILLE. Je te pardonne donc. POLYDAS. Telle faute remise,La faveur d'un baiser me doit être permise, AMARILLE. [Note : Impourvu : Terme vieilli. Non prévu. [L]]Prend garde que quelqu'un n'arrive à l'impourvu, POLYDAS. J'aimerais mieux mourir que quelqu'un nous eut vu. AMARILLE. Adieu je m'en retourne. POLYDAS. Adieu belle déesse. AMARILLE. Pensez de m'enlever suivant votre promesseJe vous garde six mois ma pure chasteté. POLYDAS. Ce ne sera si tôt que je l'ai souhaité, Mais excusez aussi, si en votre présence,Je caresse quelqu'autre évitant médisance. AMARILLE. Ne crains pas, mon espoir connaissant ton humeur,Que jamais mon esprit retombe en telle erreur. POLYDAS seul. Pauvre Amarille, hélas, te voila bien trompée, Tu crois que ma raison soit toujours occupéeÀ penser aux appas de tes perfections,Et c'est le moindre but de mes conceptions.Lidiane toujours vivra dans ma pensée,D'où l'image à jamais ne peut être effacée, Aussi bien sans mentir je ne croirai jamaisQue tu puisses empêcher ton mari désormaisDe goûter les douceurs de l'amoureux martyre,Tenant entre ses bras le sujet qu'il désire,Joint que sur ta beauté Lidiane a le pris, Mais je veux retourner peur d'être encor surpris.Afin de remener cette rare merveille,Amour fais la moi voir avant que je sommeille :Favorise l'effet de mon contentement,Et je te ferai voir que je suis vrai amant. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Lidiane, Polydas. LIDIANE. Que celui est heureux qui lors de sa naissance,Perd aussitôt le jour qu'il en a connaissance :Il ne se voit sujet aux rigueurs du destin ?Et n'est point du malheur le renaissant butin,Les disgrâces d'amour à nous autres communes, Ne troublent son repos d'aucunes infortunes :Jamais en son esprit il n'est inquiétéSi ce n'est pour louer la juste Déité :Alors qu'il reconnaît que ces pieux offices[Note : Jupin : terme burlesque. Nom que l'on donne à Jupiter en badinant, et dans le style burlesque, au lieu de celui de Jupiter. [T]]Ne peuvent de Jupin payer les bénéfices : Hélas pauvres mortels à combien de tourments,Sommes nous destinés depuis les deux momentsQue nous sommes conçus et produits sur la terre,Toutes sortes d'ennuis nous vont livrant la guerre :Jusqu'au dernier soupir qui cille nos deux yeux D'un sommeil éternel qui nous rend glorieux :Ô mort combien de fois depuis que je suis née,Ai-je désiré voir trancher ma destinée !Je n'avais pas encore l'usage de raison,Lors que je commençai de goûter le poison. Des douloureux regrets d'une fuite causée,Par les guerriers exploits du Prince de Luzée :Et puis de temps en temps les plaintes, les douleurs,Les disgrâces, le mal, bref infinis malheurs,Compagnes en tous lieux m'ont suivis à la piste. Mais laissons ce parler, il est un peu trop triste.S'il fallait de mes maux réciter tout le cours,Trois jours ne suffiraient pour un si long discours.L'on dit qu'il n'y a rien qui soit plus agréableQue de penser à ceux dont le corps est aimable : Et qui par les attraits de leurs perfections,Ont fait naître en un coeur quelques affections :Aussi, pour divertir mon esprit des pensées,Qui me font toujours voir mes fortunes passées,Je veux l'entretenir sur les charmants appas, Et parfaites vertus du berger Polydas.Mon Dieu qu'il est aimable et qu'il a bonne grâce,La beauté de l'esprit correspond à la face :Ce miracle d'amour a des yeux ravissants,Et dans ses cheveux d'or s'enchaînent tous mes sens. S'il est aussi constant comme il est agréable,Certes en vérité son corps est adorable :Et je croirai plutôt que ce soit quelque DieuEn berger déguisé, qu'un pasteur de ce lieu.Toutes ses actions et sa docte éloquence, Font voir que d'un pasteur il n'a point pris naissance :Son port plus relevé que cette nation,Monstre qu'il tire lieu de notre extraction :C'est peut être un Seigneur, que quelque sujet porteÀ délaisser la Cour déguisé de la sorte : N'importe tel qu'il soit, il promet de m'aimer ;Aussi son bel objet a su mon coeur charmerDe telle passion, qu'une amour réciproqueNe veut que mon désir jamais ne la révoque :Je serai très heureuse et lui sera content, Nos coeurs changés en un, sera toujours constant.Personne ne saurait empêcher votre envie,Mais n'aperçois-je pas ce Soleil de ma vie,Ce Phénix des amants qui s'achemine ici ? POLYDAS. Sans mentir tu dis vrai ma nymphe, le voici Tout prêt de t'obéir si tu le crois propice,À te rendre aujourd'hui quelque courtois office. LIDIANE. De si bonne façon vous savez obliger,Qu'impossible serait de s'en pouvoir venger :L'excès d'humilité joint à la courtoisie, Font que pour obliger votre âme fut choisie,[Note : Suasion : Terme vieilli. Conseil, sollicitation. [L]]Mais si le Ciel un jour à ma suasion,Fait que pour vous servir naisse l'occasion :Je vous témoignerai par mon obéissance,Que je n'ai rien si cher que votre bienveillance. POLYDAS. C'est à moi bel objet à souhaiter tel heur,Votre amitié m'est plus que tout autre faveur,L'honneur que je reçois d'être en si bonne estime,Auprès d'une beauté que la prudence anime :Fait nager mon esprit en des contentements, Qu'on ne peut exprimer que par ravissements. LIDIANE. Berger excusez moi j'ai si peu de mérite,Que le moindre pasteur me voyant prend la fuite. POLYDAS. Je ne m'étonne pas de sa fuite, mon oeilC'est qu'il craint de brûler aux rayons du Soleil, Mais moi comme celui qui vole avec prudence,J'ose m'en approcher sans craindre leur puissance LIDIANE. Leur pouvoir que l'on voit moindre qu'une vapeur,Ne doit les approchant donner aucune peur : POLYDAS. Leur pouvoir est si grand que fermant leur paupière, La nuit au même instant nous ôte la lumière. LIDIANE. Ô Dieux ! Où votre esprit s'alambique les sens. POLYDAS. C'est à vous que l'on doit les voeux et les encens. LIDIANE. Pasteur telle louange est beaucoup inutile. POLYDAS. Je n'eusse pas quitté l'amitié d'Amarille : Si vous yeux absolus dessus mes volontés,Ne m'eussent commandé d'adorer vos beautés. LIDIANE. Je me tiendrai berger infiniment contenteD'être de vous vertus la très humble servante. POLYDAS. Ce titre m'appartient plus légitimement, Et pour en voir l'effet, commandez seulement. LIDIANE. Puisque vous me donnez ce pouvoir sur votre âme,Je commande à vos yeux de ne voir nulle dame,Qui plus belle que moi les puissent captiver. POLYDAS. Ne craignez pas cela, il ne s'en peut trouver : Les Dieux qui vous on faite au modèle des grâces,Veulent que vos beautés tiennent ici leur places. LIDIANE. Amarille pourtant est bien auprès de vous, POLYDAS. Je confesse en effet qu'avant qu'elle eut époux,Je l'aimais grandement, mais étant engagée A l'aspect de vos yeux, mon amour s'est changée.Toutefois d'un seul point je vous veux avertir,C'est que si quelquefois venant se divertir,Je témoignais encor quelqu'amitié pour elle,Ce ne sera que feinte. LIDIANE. Ha c'est être infidèle. POLYDAS. Mais c'est pour prévenir la jalouse fureur,Qui se pourrait glisser dans votre belle humeur. LIDIANE. Si telle feinte aussi se trouve véritable, POLYDAS. Ha que plutôt le Ciel d'un foudre épouvantable.Mette mon corps en poudre ayant manqué de foi, Envers votre beauté que j'aime plus que moi. LIDIANE. Où en sont les témoins ? POLYDAS. Ces baisers pleins de flamme,Qui pour votre sujet met en cendre mon âme. LIDIANE. Gardez que quelque Argus voie la privautéDont vous venez d'user envers ma chasteté, Allons sous ces ormeaux nous asseoir un quart d'heure,Pysandre ne saurait faire longue demeure. POLYDAS. Ni Cléanide aussi car ses agneaux aux champsVous la verrez ici venir passer le temps. SCÈNE II. Pysandre, Cleanide, Polydas, Amarille, Lidiane, Floridon. PYSANDRE. Allez petit troupeau savourer les herbettes, Pendant que je dirai mes belles amourettes :Aux échos qui souvent entendant mon tourment,Me promettent toujours quelque soulagement.Ce qui fait que souvent leur antre je visite,L'amour à tout moment sans trêve m'y invite. ÉCHO. Vite. PYSANDRE. Attend fille de l'air je ne veux ton repos,D'un discours importun interrompre si tôt. ÉCHO. Tôt. PYSANDRE. Je n'ai pas le loisir rien encor ne se gâte,Mon esprit sur l'amour ne court en si grand hâte. ÉCHO. Hâte. PYSANDRE. Ne m'importune plus, car je n'en ferai rien, Mon âme maintenant veut un autre entretien. ÉCHO. Tiens. PYSANDRE. Quoi que veux-tu donner importune criardeJe fuirai si ta voix le silence ne garde. ÉCHO. Garde. PYSANDRE. Le récit des malheurs dont un amant joui,Rend il en quelque effet ton esprit réjoui ? ÉCHO. Oui. PYSANDRE. Inhumaine ! Adieu donc, ne crains pas à cette heureQu'en ce lieu désormais plus longtemps je demeure. ÉCHO. Meure. PYSANDRE. Cette fâcheuse Écho de l'un à l'autre bout,Pour me désespérer me veut suivre partout. ÉCHO. Partout. PYSANDRE. Si n'en feras-tu rien car en changeant de place, Je n'écouterai plus de ta voix la menace. ÉCHO. Menace. PYSANDRE. Je te conjure Écho par l'amoureux lien.De ne plus empêcher le repos de mon bien. ÉCHO. Bien. PYSANDRE. Dieux, que ce beau Narcisse avait sur toi d'empire,Si Junon t'eut permis lui conter ton martyre : Et que ce beau visage eut chéri ta beauté,Un beau cristal mouvant ne te l'eut pas ôtée :Certes tu méritais l'amour de ce Cephide,Comme j'ai mérité l'amour de Cléanide :Par tant de longs travaux soufferts si constamment, J'ai crainte que ma Nymphe aussi pareillementRegardant sa beauté dans une eau Cristaline,Rende amoureux ses yeux de sa face divine,Pour mépriser après les feux de mon Amour,Je me suis cette nuit avisé d'un bon tour, Pour baiser quelque fois cette petite bouche,Qui ravit tous les coeurs avant que l'on y toucheQui paraît mille fois plus rouge que corail,Ceinte d'un marbre blanc plus luisant que l'émail,Ô dieux que de plaisir ce dessein me prépare, Voici ce bel objet où nature s'égare,Dans l'admiration de ses charmants appas,Voyons si mon dessein ne réussira pas. CLÉANIDE. Belles fleurs que Zéphir incessamment caresse J'ai peur que l'on m'accuse aujourd'hui de paresse : D'avoir mis si longtemps à venir visiter,Votre émail bigarré qui sait l'oeil contenter :Et vous arbres sacrés, bois, rochers et fontaines,Qui de mon chaste amour tous seuls savez les peines,Ne les publiez pas de peur que mon berger De mon affection se veuille avantager :Et vous air gracieux gardez que ma parole,Par le vent emportée à ses oreilles vole :Je n'ai su plus matin délaisser le logis,[Note : Mâtin : Gros chien servant ordinairement à garder une cour, à suivre les chevaux, etc. Terme d'injure populaire. Mâtin, mâtine, celui, celle qu'on assimile à un mâtin, à un chien.]J'ai laissé mon mâtin pour garder mes brebis, Cependant que je viens pour faire une guirlande,Que mon berger aura pourveu qu'il la demande. PYSANDRE. À l'aide, hélas ! Je meurs, ô secours ô secours ! CLÉANIDE. Pysandre qu'avez vous ? PYSANDRE. Je vais finir mes jours. CLÉANIDE. Hé Dieux dites le moi. PYSANDRE. Sachez rare merveille, Qu'en passant dans ce pré une mauvaise abeilleM'a planté l'aiguillon sur la lèvre, ha je meursLes violents efforts de ces âpres douleurs,Me ravissent l'esprit, adieu chaste bergère, CLÉANIDE. Prend courage pasteur, la peine est fort légère. Si ce n'est que cela, mon berger, ce n'est rien,Dans un quart d'heure au plus tu te porteras bien,Prête que je la suce, ô la fortune étrange !Sens-tu allègement ? Elle le baise à la bouche. PYSANDRE. Pas encore mon ange, Elle le baise encore. CLÉANIDE. Hé bien es-tu guéri ? PYSANDRE. Non encore un petit, Ce remède excellent me met en appétit. CLÉANIDE. Finet serait ce point quelque tour de souplesse ? PYSANDRE. Non je jure tes yeux ma fidèle maîtresse. CLÉANIDE. J'en doute fort pourtant. PYSANDRE. Ha que plutôt la mort Sur ce corps innocent fasse un dernier effort. CLÉANIDE. Si est-ce que si plus un tel mal te possède,Tu pourras bien ailleurs aller chercher remède. PYSANDRE. Pourquoi, si dans ta main tu tiens ma guérison,[Note : Lairer : assembler.]Me lairras tu mourir contre toute raison ? CLÉANIDE. J'y aviserai lors. PYSANDRE. Tu serais inhumaine. CLÉANIDE. Ne parle plus berger, car voici dans la plaineLa chaste Lidiane et le beau Polydas. PYSANDRE. Allons au devant d'eux marchands au petit pas. POLYDAS. Pan, Diane et l'Amour vous comblent de liesse. PYSANDRE. Que Bacchus et Ceres vous comblent de richesse. LIDIANE. Le Ciel fasse sur vous toutes faveurs pleuvoir. CLÉANIDE. Que la docte Pallas vous donne son savoir. POLYDAS. Où allez vous ainsi discrète Cléanide,Avec ce beau Pasteur votre fidèle guide ? CLÉANIDE. Ravis de votre vue où loge le bonheur, Pysandre et moi venons en rechercher l'honneur. POLYDAS. C'est nous qui recevons cette faveur extrême,Et croirons vous servant jouir d'un bien suprême. PYSANDRE. Courtois dans la parole autant que dans l'effetOblige nos désirs d'avoir pareil souhait. POLYDAS. Vous savez tout le monde obliger au possible,Et pour ne s'en venger faudrait être insensible. PYSANDRE. Je réfère ce point à votre humilité. POLYDAS. C'est pour faire admirer votre civilité. LIDIANE. Tous ces beaux compliments empêchent notre envie. POLYDAS. Quel dessein faites vous lumière de ma vie ? LIDIANE. De passer gaiement ce qui reste du jour. PYSANDRE. À quoi. CLÉANIDE. Dansons, LIDIANE. Hé bien. POLYDAS. Il fait bien chaud mamour. LIDIANE. Jouons à quelque jeu rempli de modestie,Amarille qui vient sera de la partie. AMARILLE. Bonjour gaillard troupeau, encor que je soisContrainte d'obeir aux maritales lois.Pourtant vostre entretien si profitable à suivre,Fait sans voir un jour que je ne sçaurois vivre. POLYDAS. C'est trop nous obliger, CLÉANIDE. Pysandre invente un jeu. PYSANDRE. J'en sais plus de deux cents, mais nous sommes trop peu.[Note : Panetière : Espèce de sac de cuir, suspendu en forme de fronde, où les bergers portent leur pain. [L]]J'ai dans ma panetière une chose opportune,C'est un petit livret de la bonne fortune.Si vous voulez savoir qui vous arrivera,Piquez et je suis sûr qu'elle vous le dira. AMARILLE. Vraiment nous le voulons, PYSANDRE. Prenez donc cette aiguille :Pour voir ce que dira cette inconstante fille,Ce fut Endymion qui fit ce beau traité,Et tout ce qu'il prédit ce trouve vérité. LIDIANE. Assisons nous ici mais que cérémonie Soit tout premièrement d'avecque nous bannie. POLYDAS. À quoi sert tout cela. CLÉANIDE. C'est parler franchement. PYSANDRE. Amarille tirez s'il vous plaît vitement. Ils piquent dans un livre où ces quatrains sont transcrits. LA FORTUNE à Amarille. Belle vous n'êtes assez fine Pour voir des yeux de votre esprit, Celui dont l'amour vous surprit, Baiser bien souvent sa voisine. POLYDAS. Dieux quel contentement, le bon trait que voilà. PYSANDRE. Sus Lidiane à vous, AMARILLE. Je ne crois point cela, LA FORTUNE à Lidiane. Pour être un petit trop hardie, Sur le point de souffrir la mort, Une ombre pour dernier effort, Guérira votre maladie. CLÉANIDE. Ce parler est obscur. LIDIANE. Je n'y ajoute foi. POLYDAS. Vous ne le devez pas, CLÉANIDE. Pysandre c'est à moi. LA FORTUNE à Cleanide. Ne faites point tant la farouche, Confessez que vous aimez mieux Les baisers de votre amoureux, Que tous ceux de quelqu'autre bouche. AMARILLE. Cléanide est il vrai ? CLÉANIDE. Non, ne le croyez pas. PYSANDRE. Je n'en veux point douter. LIDIANE. C'est à vous Polydas. LA FORTUNE à Polydas. L'amour qui captive votre âme, Vous fera jeter dans un trou, D'où sortant ainsi qu'un hibou, Trou-Madame: Jeu d'adresse qui se joue avec des boules de bois sur une table. Irez jouer au trou-Madame. POLYDAS. Ha voila le meilleur, CLÉANIDE. Pysandre c'est à vous. AMARILLE. Quiconque ait fait cela sans doute il était fou. LA FORTUNE à Pysandre. Si votre amour ne diminue Je juge pourtant aujourd'hui, Que vous aimerez bien l'appui Sur votre nymphe toute nue. POLYDAS. Certes ce petit livre est excellemment bon, AMARILLE. Berger changeons de jeu car voici Floridon,Défaisons nous de lui sans lui faire paraître. POLYDAS. Je prends ce soin tout seul. FLORIDON. Pasteurs n'en saurais-je être ? PYSANDRE. Très volontiers Berger. FLORIDON. À quel jeu jouez vous ? POLYDAS. [Note : Cligne-mussette : Jeu d'enfant, auquel l'un d'eux ferme les yeux, tandis que les autres se cachent ; et il est obligé de les découvrir où ils sont cachés. [L] On dit actellement cache-cache.]À la cligne-mussette. FLORIDON. Et qui l'est de vous tous. AMARILLE. Nous allions commencer quand sortant ce bocage,Je vous ai vu venir côtoyant le village. LIDIANE. Je vais mouiller le doigt et quiconque l'aura Pour ne point disputer sans refus clignera :Prenez donc s'il vous plaît. FLORIDON. Est-ce toi Amarille, AMARILLE. [Note : Nenni : adv. negatif. Nenni da, Nenni vraiment. Il est bas, il est quelquefois subst. fem. [F]]Nenni vraiment, FLORIDON. Ni moi. LIDIANE. Qu'à prendre on soit habille,Or sus c'est Polydas allons vite cacher, POLYDAS. Je n'arrêterai pas à vous aller chercher, Est-ce fait. Ils se vont cacher. CLÉANIDE. Oui. POLYDAS. Ma foi si Floridon j'attrape,Croyez qu'il sera fort si des mains il m'échappe. AMARILLE. Vite soeurs sauvons nous. POLYDAS. Il vous est fort aisé :Mais où est Floridon. AMARILLE. Dans un arbre creusé,À douze pas d'ici vous le prendrez sans doute. Il le va prendre. POLYDAS. Or sus vous voilà pris clignez et sans voir goutte.Ainsi comme j'ai fait. FLORIDON. Berger c'est la raison, POLYDAS. Sus que chacun chez soi s'en aille en sa maison.Allons voir nos troupeaux, des oiseaux le ramage,Dit qu'il nous faut bientôt retourner au village, Et devant qu'il soit nuit dedans quelque autre lieu,Nous pourrons bien encor jouer à quelque jeu. Ils s'en vont et laissent Floridon seul. FLORIDON. Est-ce fait ? Est-ce fait ? Ô la plaisante histoire,[Note : Houlette : Fig. Poétiquement, l'état, la condition de berger. [L] La houlette est la bâton de berger.]Laissons pour mieux courir ma houlette d'ivoire. ÉCHO. Voire. FLORIDON. Assez proche de moi l'on c'est évanoui Je n'irai pas trop loin est-ce fait dites oui. ÉCHO. Oui. FLORIDON. Allons donc les chercher, l'occasion est chauve,J'ai peur qu'en les cherchant l'un et l'autre se sauve. ÉCHO. Sauve. FLORIDON. Ma foi l'un sera pris au chemin que voiciC'est être trop longtemps êtes vous loin d'ici. ÉCHO. Ici. FLORIDON. Ha je ne jouerai plus après cette rechercheIl y a trop de temps que partout je vous cherche ? ÉCHO. Cherche. FLORIDON. Hé où, je n'ai point d'yeux qui puissent voir un lieu,Où je n'aie cherché, adieu Bergers adieu ? ÉCHO. Adieu. FLORIDON. Leur voix de qui le son me frappe dans l'oreille Me fait quasi douter si je dors ou je veille. ÉCHO. Veille. FLORIDON. Se sauve qui voudra je lui donne pouvoir,Et tout présentement vous donne le bonsoir. ÉCHO. Bonsoir. FLORIDON. Que sert tant de discours telle feinte me lasseMontrez vous donc Bergers et prenez de l'espace. ÉCHO. Passe. FLORIDON. Telle subtilité ne m'étonnent beaucoup,Et j'en faits moins d'état que du chant d'un coucou. ÉCHO. Coucou. FLORIDON. Pasteurs vous avez tort, n'injuriez personne,Je me sais ressentir quand sujet on m'en donne. ÉCHO. Donne. FLORIDON. Certes quelqu'un de vous en sera mal content Ma houlette et mon bras me le vont promettant. ÉCHO. Et tant. FLORIDON. Je crois que cet Écho qui répond quand j'appellePour en être éclairci je veux parler à elle. ÉCHO. Elle. FLORIDON. Ha que je suis fâché d'avoir tant arrêtéIls riront maintenant de ma simplicité. SCÈNE III. Pancrace, Luciane. PANCRACE. Un parfait amoureux jamais ne se reposeSon esprit captivé ne pense à autre chose,Qu'à chercher chaque jour milles inventions,Pour plaire au beau sujet de ses affections :Aussi depuis qu'amour loge dans ma cervelle Je cherche à tout moment quelque chose nouvellePour plaire à la beauté qui m'a d'amour éprisJe la trouve cent fois plus belle que Cypris.Et ne l'ayant ce jour vue à la promenade,Je lui viens à ce soir donner la sérénade, Maintenant que la nuit a le dessus du jour,Je veux vite accorder ma flûte à mon tambour, Il accorde son tambour et sa flûte.Ha la douce harmonie ha je rendrai Orphée,D'Amphion et de Pan la mémoire étouffée.Sus voila le Palais où mon beau soleil dort Allons le réveiller d'un musical accord :Il me semble déjà que je le vois paraître,Il ne fait jamais nuit où son bel oeil peut être. LUCIANE, coiffée de nuit à la fenêtre. Bonsoir, bonsoir Pancrace, ha vraiment c'est trop tard. PANCRACE. Un amant comme moi ne craint point le hasard. LUCIANE. Certes votre musique est parfaitement bonne. PANCRACE. Il faut qu'encore un air sur ma flûte j'entonne. Il recommence.Hé bien qu'en dites vous. LUCIANE. Que vous me ravissezQu'on ne vous peut donner de louanges assez. PANCRACE. Tout beau belle tout beau mais ayez agréable, Que souvent désormais je fasse le semblable. LUCIANE. J'aurais trop de regret de vous causer ce mal. PANCRACE. Au contraire ce bien n'en peut avoir d'égal,Et pourvu qu'en effet ce passe-temps vous plaise,Ce seul contentement rendra mon coeur trop aise : Si vous ne l'obligez d'un heur particulier. LUCIANE. J'ai un petit anneau de corne de bélier :Que je vous veux donner recevez-le de grâce. PANCRACE. Ô bienheureux amant, ô fortune Pancrace,Ha c'est trop m'obliger d'une telle faveur, Tenez moi seulement pour votre serviteur :Et croyez que jamais nul ne fut plus fidèle. LUCIANE. Prenez-le s'il vous plaît au bout d'une ficelleCe fut un beau pasteur qui m'en fit un présent,Que j'aimais autrefois comme vous à présent Adieu mon serviteur le sommeil me tourmenteCroyez que Luciane est votre humble servante. PANCRACE. Bonsoir ma Reine adieu ô céleste faveur,Allons plus à loisir admirer ta valeur. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Polydas, Pysandre. POLYDAS. L'Inimitié d'un Roi, d'un Prince, d'un monarque, Ne peut de son courroux donner aucune marque :Que par un coup mortel qui passe en un moment,Mais celle de l'amour dure éternellement.On souffre tous les jours mille morts inhumainesEt si cet indiscret se moque de nos peines, Depuis que de ce Dieu le mal contagieux,Voyant une beauté pénétra mes deux yeux :Je crois avoir souffert des gênes plus cruelles,Que n'en souffrent là bas les âmes criminelles :Sa malice sans cesse en a de tous nouveaux Et jamais on ne voit la fin de ses travaux :Hier j'étais content aujourd'hui ma bergèreEst captive au logis pour chose fort légère !Ha Ciel pouvez vous voir m'être fait un tel tort,Sans en punir l'auteur d'une cruelle mort : Non non vous n'avez plus de feux ni de justiceLe triomphe est bâti de la gloire du vice :Le coupable à présent reçois par vanité,Ce qu'un pauvre innocent de juste a mérité. PYSANDRE. À quoi servent ami tant de plaintes frivoles Sinon qu'à troubler l'air d'inutiles paroles :Je te conjure au nom de notre affliction,De me faire récit de ton affection. POLYDAS. Ha c'est renouveler une sanglante plaieDont l'horreur de penser tant seulement m'effraye. PYSANDRE. Celui qui veut d'un mal tirer allègement,Il faut qu'auparavant il dise son tourment. POLYDAS. Je crains qu'en récitant mon malheur trop sensible,À me pouvoir guérir se trouve l'impossible. PYSANDRE. Le mal est incurable à qui le veut cacher, Mais on a guérison quand on la veut chercher. POLYDAS. La mort de tous mes maux est seule médecine. PYSANDRE. Nous causons bien souvent notre propre ruine. POLYDAS. Une grande douleur n'est facile à porter. PYSANDRE. L'artifice souvent peut le cours arrêter. POLYDAS. Ma langue ne peut pas dire ce que j'endure. PYSANDRE. Le respect quelquefois nous fait souffrir injure. POLYDAS. Aux maux désespérés tous remèdes sont vains. PYSANDRE. C'est effet de prudence aux esprits des humains,D'accorder plus de chose à raison qu'à colère. POLYDAS. Quel plaisir auras-tu d'entendre ma misère. PYSANDRE. De prendre avecque toi part de la pitié. POLYDAS. La force qui contraint fait perdre l'amitié. PYSANDRE. Quand tu m'auras conté le mal qui te possède.Je pourrai bien peut être y trouver du remède. Sans perdre pour cela notre société,Dont je reçois l'honneur sans l'avoir mérité. POLYDAS. Apprête donc des pleurs pour ouïr ma fortune,Phébus hier au soir faisant place à la Lune,Retirait sa clarté du séjour des humains, Les faisant de chez eux reprendre les chemins.Et déjà par nos champs une pâleur nocturneAvait fait déloger les oiseaux de Saturne,Dont le funeste chant ne s'entend que la nuitAlors que le silence est éloigné du bruit : [Note : Gorgette : Petite gorge.]Les petits passereaux de leur tendre gorgette,De ma nymphe et de moi entonnaient la retraite,Après t'avoir quitté, ramassant nos troupeauxNous les reconduisons jusque dans nos hameaux.Puis en me séparant de ma belle maîtresse, Je pris d'elle un baiser, et fuyant de vitesse :Contant je ne pensais que personne n'eut vuMais sa mère, ô bons Dieux qui m'avait aperçuAu travers d'une vitre accourt et vient à elle :Et de quelques soufflets outragea cette belle : Et non contente encor lui dit qu'elle fera,Que de six mois entiers elle ne sortira :Juge donc si j'ai pas vrai sujet de me plaindreJe n'en eusse rien su sans le berger Philindre :Qui son proche voisin m'a récité ce fait, Donc je puis accuser la Lune du forfait :Car si elle eut permis sa lumière éclipse,Comme au temps qu'un berger vivait dans sa pensée.[Note : Alecton : dit l'Implacable, est une des trois Furies (ou Euménides en grec) qui poursuivaient Oreste, parricide et mari incestueux de sa mère Clytemnestre. Voir la tragédie "Les Euménides" d'Eschyle.]Cette vieille Alecton n'eut vu la privautéDe laquelle j'eusse envers cette beauté : Ô astres inhumains pensant à ce dommage,Je crève de dépit à peu que je n'enrage :Vois donc cher compagnon si je n'ai pas sujet,De quoi me tourmenter en perdant cet objet. PYSANDRE. Vous en avez raison mais non pas de la sorte, Qu'il faille qu'un regret dans l'excès vous emporte :Vous savez qu'une mère a le courage bas,Et qu'envers un enfant son fiel ne dure pas :Peut être dès demain avecque ses compagnes,La verrez vous mener ses agneaux aux campagnes. Cependant vous savez que je suis son cousin,Si je vous puis servir comme ami ou voisin :Commandez seulement : car je veux faire au reste,[Note : Oreste et Pylade dont les deux personnages masculins principaux de la tragédie Andromaque de Jean Racine (1668).]Que vous étant Pylade on m'estime un Oreste. POLYDAS. Ce m'est trop de faveur vous êtes trop courtois, Ne faut importuner son ami tant de fois. PYSANDRE. Librement voulez vous lui mander quelque chose. POLYDAS. Ce petit mot d'écrit en tes mains je déposeJe te conjure ami de lui faire tenirEt t'oblige au surplus de vite revenir. PYSANDRE. [Note : Parentèle : Qualité de parent. [F]]Je n'y manquerai pas car notre parentèleMe donne à tous moments un libre accès chez elle,Dans une heure au plus tard je serai de retourRendez vous en ce temps auprès du carrefour. POLYDAS. L'amour pour y aller me donnera des ailes, Ami fais qu'aujourd'hui j'en sache des nouvelles. SCÈNE II. Amarille, Floridon. AMARILLE. L'esprit inquiété de milles pansements,Dont la jalouse ardeur blesse mes sentiments :Sans résolution je demeure confuse,Et dans ma passion une crainte m'abuse : Faisant voir par les yeux de mes sens agités,Combien mon Polydas use de privautés :Par tant de doux regards jetés sur Lidiane,Mille petits souris truchements de l'organe,Semblent dire pour elle à mon affection, Que ce volage amant moque ma passion :Hé dieux serait-il vrai que leur âme traîtresse,[Note : Simplesse : Terme populaire, qui ne se dt qu'en cette phrase proverbiale : Il ne demande qu'amour et simplesse ; pour dire, il n'est d'humeur à quereller personne. Action niaise, et imprudente. [L]]Se jouant de mon sort, se rit de ma simplesse :Ha je ne le crois pas les serments qu'il m'a fait,Indubitablement seront mis en effet, Ou bien le ciel rendrait le crime tolérable,Où va cet importun qui me rend misérable. FLORIDON. Languirai-je toujours dans l'attente d'un bienQue ma fidélité doit avoir rendu mien :Quel souci continu te ronge la cervelle. AMARILLE. De vous voir en ce lieu où je ne vous appelle. FLORIDON. Quoi ton contentement va-t-il jusqu'à ce point. AMARILLE. Mon plaisir est parfait quand je ne vous vois point. FLORIDON. [Note : Hyménée : divinité fabuleuse des païens, qu'ils croient présider aux mariage. (...) signifie aussi poétiquement le mariage. [F]]Que je suis malheureux sous la loi d'Hyménée. AMARILLE. N'espérez rien de moi mon amour est donnée. FLORIDON. Les six mois accomplis ton coeur s'adoucira. AMARILLE. Plus vous le pressez et plus il durcira. FLORIDON. Si ce n'est d'amitié vous y serez forcée. AMARILLE. La force et l'amitié n'ont rien sur ma pensée. FLORIDON. As-tu quelque sujet de me traiter ainsi. AMARILLE. As-tu quelque raison de me chérir aussi. FLORIDON. En quoi t'ai-je méfait que ta haine je porte. AMARILLE. En quoi t'ai-je obligé pour m'aimer de la sorte. FLORIDON. Ta beauté m'a forcé de lui rendre mes voeux. AMARILLE. C'est pourquoi je te hais reprends les si tu veux. FLORIDON. Mon coeur est captivé d'une chaîne trop dure. AMARILLE. Si tu veux à l'instant j'en ferai la rupture. FLORIDON. C'est reconnaître mal les services rendus. AMARILLE. Si tu meurs aujourd'hui je t'en rends deux fois plus. FLORIDON. Serait donc de regret de servir une ingrate. AMARILLE. Je meure, j'ai regret qu'un sot espoir te flatte. FLORIDON. Ah mon amour n'a rien de commun que le nom. AMARILLE. Ajoute que d'un fol il t'acquiert le renom. FLORIDON. Appelle-tu folie une amitié parfaite. AMARILLE. Oui, quand l'un des amants a la tête mal faite. FLORIDON. Telle imperfection vient donc de ton côté. AMARILLE. Je crois qu'en ton endroit ce point est limité. FLORIDON. C'est parce que mon coeur avec le tien se lie. AMARILLE. Aimer sans être aimé témoigne une folie. FLORIDON. Par la même raison nous sommes fous tous deux. AMARILLE. Si j'aime Polydas il m'aime encore mieux. FLORIDON. Comme quoi penses-tu qu'il chérisse ta flamme ? AMARILLE. Autant que la vertu que respire son âme, FLORIDON. Que j'y verrai bientôt un subit changement. AMARILLE. Ta voix ne me rendra jalouse nullement. FLORIDON. Bien changeons de discours car celui-là t'afflige. AMARILLE. De t'en aller d'ici que ton amour m'oblige. FLORIDON. Absent, ta volonté ne songe plus à moi. AMARILLE. Ces arbres, ces rochers, ne parleront pour toi. FLORIDON. Muets tu ne craindras qu'ils troublent ton silence. AMARILLE. Tu devines vraiment aussi bien que je pense. FLORIDON. Dis donc que les oiseaux te diront mes amours AMARILLE. Dit plutôt qu'ils riront oyant tes sots discours. FLORIDON. Qu'un baiser enflammé me contente Amarille. AMARILLE. Si tu devais brûler je t'en donnerais mille. FLORIDON. Enfin mon amitié dessus toi n'aura rien. AMARILLE. Que la haine d'avoir troublé mon entretien. FLORIDON. Ni faveur ni baiser ni parole agréable. AMARILLE. Ces fruits étant trop doux je me rendrais blâmable. FLORIDON. J'aimerais donc autant n'être point marié. AMARILLE. Tu le peux si tu veux je ne t'en ai prié. FLORIDON. Notre hymen a rendu nos coeurs inséparables AMARILLE. Je sais bien que le mien fuit de loin tes semblables. FLORIDON. Telle haine toujours ne saurait pas durer. AMARILLE. Autant que l'on verra le soleil éclairer. FLORIDON. Ce bel astre ce soir vaincra donc ta malice. AMARILLE. Jamais comme j'entends tu n'y verras d'éclipse. FLORIDON. Le temps dissipera cette fâcheuse humeur. AMARILLE. Je crois que de la mort dépend tout ton bonheur. FLORIDON. Il faut que mon destin la patience attrape. AMARILLE. Lorsque tu la tiendras garde bien qu'elle échappe. FLORIDON. Je n'aurai donc si tôt le fruit de mon amour. . Alors que nous verrons le soleil sans le jour. FLORIDON. Vraiment je m'en plaindrai tantôt à votre père. AMARILLE. Tant plus on m'importune et plus je suis sévère. Va va retire toi spectre, fantôme hideux,Ta présence me donne encor plus d'effroi qu'eux.Si Polydas témoigne envers moi sa constanceEt qu'il me tire un jour de dessous ta puissanceJe ferai dans peu voir à tes yeux clairement, Qu'il ne faut marier les filles forcément.Pères mal avisés sur moi prenez exemple,Que chacun des mortels mon désastre contemple :Voyez où m'a réduit le paternel pouvoir, Une plus misérable on ne peut jamais voir. Le souci, la douleur, la jalouse manie,Ont troublé tout à coup de mes sens l'harmonie :Hélas que deviendrai-je après tant de travaux,Peut-être que le Ciel adoucira mes maux.Lorsqu'il contemplera avec quelle constance, Supportant mes ennuis je lui fais résistance :Je veux tous les malheurs rendre à la fin lassés,D'avoir dessus mon chef tant de tourments versés :Celui qui patient souffre de l'injustice,Force son ennemi à lui être propice. SCÈNE III. Luciane, Pancrace. LUCIANE. Que l'indiscrétion fait naître de tourment,À ceux dont les enfants vivent trop librement :J'approuvais fort les lois des antiques famillesDont l'extrême rigueur ne permettait aux fillesDe voir, ni d'écouter, même de s'enquérir, Des points de quoi l'honneur peut du blâme encourir :À l'âge de vingt ans nulle, d'esprit parfaite,N'eut sut dire comment elle avait été faite.L'amour ne les troublait en leur contentementNe sachant que c'était d'amante ni d'amant, Mais hélas maintenant on fait gloire du vice,Une fille à douze ans sait autant de maliceQue celle qui jamais n'a fait d'autre métier,Que de suivre d'amour le pénible sentier :Le plus ardent désir qui possède leur âme, Est de leur voir changer le nom de fille, en femme :Il n'y a plus d'enfance à ce que je puis voir,Ô que ma Lidiane a trompé mon espoir.Pancrace mon ami il faut que je vous die,Que si autre eut vu cette action hardie : Me le venant conter je ne l'eusse pas cru,Mais c'est un fait certain que mes deux yeux ont vu.Un berger la baisa auprès de notre porte,Dont alors de regret j'étais à demi-morte. PANCRACE. Je ne trouve point là de quoi vous tourmenter, C'est un jeune appétit qui se veut contenter :On est impatient d'avoir ce qu'on désire. LUCIANE. Vous êtes un railleur, vraiment vous voulez rire,C'est bien me consoler sur ce fait important. PANCRACE. Vous en avez bien fait autrefois tout autant. Quand j'étais en l'ardeur de ma verte jeunesseJe fusse mort cent fois pour baiser ma maîtresse. LUCIANE. Ne dites pas cela, car ma mère en tous lieux,Conduisant mon troupeau ne me perdait des yeux,Et jamais un berger si ce n'est par surprise, N'emportât de ma bouche un baiser de franchise. PANCRACE. Si sais-je bien pourtant que Philin bon garçon,Vous baisa quatre fois à l'ombre d'un buisson. LUCIANE. Ha ha malicieux, vous savez des nouvelles[Note : Gazette : petit imprimé, cahier, feuille volante, qu'on débite toutes les semaines, qui contient des nouvelles de toutes sortes de pays. [F]]Autant que la Gazette. PANCRACE. Ô la Reine des belles, Quand je vois de vos yeux les ravissants attraitsJe vois de ma moitié vivre en vous les portraits. LUCIANE. À d'autre à d'autre, ami. PANCRACE. Fâchez vous, soyez aise,Si faut-il toutefois que ma bouche vous baise. LUCIANE. Mais voyez un petit vraiment vous êtes fous PANCRACE. Du moins votre mari n'en sera point jaloux. LUCIANE. Ha ne me faites point revivre sa mémoireVous me ferez pleurer. PANCRACE. Si vous me voulez croire,Pour achever contents le reste de nos jours,Nous ferons un hymen de nos vieilles amours. LUCIANE. Dieux de quoi parlez vous. PANCRACE. Que j'ai beaucoup de force,Et qu'encore au fusil se trouve de l'amorce. LUCIANE. Quand le pot est couvert c'est signe, ce dit-on,Que le feu en est loin et la chair se morfond. PANCRACE. Ma calotte vous fait parler de telle sorte, Mais chacun jeune fou par bienséance en porte : LUCIANE. Vous vous riez toujours. PANCRACE. Mignonne croyez moi,Sur toutes les beautés je vous aime, ma foi. LUCIANE. Ne vous pensez moquer, autrefois j'étais belle. PANCRACE. À qui le dites vous j'étais votre fidèle : Si nos proches parents eussent été amisNe nous étions nous pas mariage promis ? LUCIANE. Hélas je m'en souviens, une telle hardiesseM'a bien depuis ce temps causé de la tristesse,Encore que l'action ne touchât à l'honneur, Mais celle de ma fille est à son déshonneur,Se laissant suborner d'une jeune cervelle,[Note : Lignage ; Parenté issue d'une même souche.]De lignage inconnu. PANCRACE. Dites comme il s'appelle :J'ai un ardent désir de courir de ce pas L'assommer tout d'un coup. LUCIANE. Le voici. PANCRACE. Parlons bas. LUCIANE. Vous êtes trop hardi. PANCRACE. Quoi ? C'est ce jeune drôle,Qui nos filles cajole et tout chacun contrôle :[Note : Faire l'amour : Dans les pastorales et dans le langage du XVIIème siècle, faire l'amour est synonyme de courtiser, conter fleurette, se cajoler et au mieux s'embrasser.]Je le veux envoyer là-bas faire l'amour. LUCIANE. Tout beau ce n'est pas lui. PANCRACE. C'est Pysandre, m'amour,Avant qu'il soit ici regagnons le village Une collation de fruits et de laitage :Nous attend au logis, hâtons nous d'y aller. LUCIANE. Je reçois trop d'honneur, PANCRACE. Il n'en faut point parler. SCÈNE IV. Pysandre, Lidiane. PYSANDRE. L'Amitié d'un ami oblige à l'impossible,Il faudrait être ingrat, mais plutôt insensible, Pour ne le pas servir après que par effet,Il vous a témoigné son courage parfait.Pour servir Polydas mon ami plus intime,J'offrirais à la mort mon âme pour victime,Je n'ai rien de plus cher que sa félicité, Aussi de ses amours fidèle député,Je vais faire tomber ce mot à Lidiane,J'ai crainte de trouver au logis Luciane :[Note : Prou : Il se ne dit guère qu'en riant et dans le comique. Il signifie, beaucoup. suffisamment. [F]]Hasard, j'ai prou d'esprit pour savoir déguiser,Et discourant de loin sa prunelle abuser : Je veux tout doucement du pied frapper la porteJe n'oserais quasi, toutefois, il n'importe :Puisque de ce dessein nul ne se doute pas,Hola ho. LIDIANE à la fenestre. On y va, parlez qui est là-bas ? PYSANDRE. Pysandre. LIDIANE. Excusez-moi, car de peur que je sorte Ma mère a emporté la clef de notre porte. PYSANDRE. Bons Dieux qui l'a contrainte à si grande rigueur. LIDIANE. Le fantastique appas d'un mensonge trompeur :Elle dit avoir vu au travers la fenêtre,[Note : Baiser : embrasser.]Un berger me baiser, jugez s'il ce peut être. PYSANDRE. Ha c'est pour ce sujet trop de sévérité. LIDIANE. Le ciel puisse punir telle inhumanité :Cousin le coeur me fend. PYSANDRE. N'y pense plus cousine,Le berger Polydas. LIDIANE. Gardez que la voisine :N'entende vos discours. PYSANDRE. Reçois donc cet écrit. Il lui jette.Pour voir en quel état j'ai laissé son esprit :Ne t'afflige point tant de semblables colères,À bien conjecturer ne peuvent durer guères.Hé bien a-t-il raison ? A-t-il le coeur loyal ? LIDIANE, lit la lettre tout bas puis dit, Je ne mérite pas qu'il souffre tant de mal, Cher cousin dites lui que ce qui plus m'affligeC'est qu'avec trop d'ardeur son honneur il obligeQue d'un si grand dessein je crains l'événementEt qu'il ne réussisse à son contentement,Pourtant assurez le sans craindre la tempête Que pour lui obéir je serai toujours prête. PYSANDRE. Adieu je me retire afin qu'en devisantNous ne soyons ouïs de quelques médisants :Jugez si je vous puis servir en quelque chose. LIDIANE. Pysandre entre vos mains mon honneur je dépose : Que le Ciel puisse un jour faire naître un sujet,De vous pouvoir servir en quelque bon projet. Pysandre sort.Dieux qu'il me tardera que la nuit soit venueIl me semble déjà que mon mal diminue :Puisque mon cher amant me doit tirer d'ici, Je m'en vais m'apprêter, et mon bagage aussi. SCÈNE V. Luciane, Pancrace, Polydas, Pysandre. LUCIANE. Pancrace en vérité vous êtes un prodigueLe sujet ne vaut pas la peine et la fatigue :Que vous prenez pour lui, car je jure ma foi :Qu'un si riche festin méritait mieux que moi. PANCRACE. Ha ne vous moquez point j'ai assez de courage,Pour à votre sujet faire encor davantage. LUCIANE. Vraiment vous ne sauriez. PANCRACE. Excusez seulement,Si je ne vous ai fait un meilleur traitement.Mais quoi le bon accueil passe la bonne chère, Cette collation était un peu légère :Mamie priez Dieu donc, pour les maltraitésCar vous ne l'êtes pas comme vous méritez. LUCIANE. Mon dieu pardonnez moi, c'est trop d'honneur Pancrace,Tenez moi, s'il vous plaît en votre bonne grâce. Adieu jusqu'au revoir. PANCRACE. Je vous veux remener Polydas et Pysandre paraissent à un bout du théâtre sans voir Pancrace et Luciane.Mais qui sont ces bergers que je vois cheminerLà bas dedans ce pré proche de ces logettes. LUCIANE. Attendez, s'il vous plaît que j'aie mes lunettesC'est ce jeune galant qui sait si bien baiser. PANCRACE. Pysandre est avec lui, écoutons les causer,Je veux tout devant vous faire une réprimandeÀ ce jeune insensé, que tout le monde entende. POLYDAS. Enfin mon cher ami ma nymphe t'a promisÔ dieux que j'ai bien fait quand je me suis remis, Dessus ta vigilance à nulle autre commune,Je tiendrai désormais de toi seul ma fortune :Et si en récompense il faut pour ton sujet,Faire quelque dessein sur un divin objet.Tiens sûr que Polydas voue tout son service, Pour te remercier par quelque bon office. PYSANDRE. Je n'ai pas mérité une telle faveurJoint que de vous servir c'est mon plus grand honneur. POLYDAS. Fidèle confident de mes amours secrètes, PANCRACE. Venez-ça venez-ça beau baiseur de fillettes. POLYDAS. Est-ce à moi que l'on parle ? LUCIANE. Oui. POLYDAS. Vous vous méprenez,Pancrace et Luciane à d'autres cheminez. LUCIANE. Je ne me trompe point j'ai encor bonne vue,Ce fut vous qui baisa ma fille dans la rue. PANCRACE. Il est vrai sur ma foi. POLYDAS. Ha vous m'importunez, Passez votre chemin. PANCRACE. Vous m'avez sur le nez,S'il vous arrive plus de baiser Lidiane. POLYDAS. Je ne vous crains non plus que je fais Luciane.Vous êtes un bel homme. PANCRACE. Ha, ne m'offenses pas, Que tout présentement tu n'aies le trépas. POLYDAS. Trente pareils à vous ne me feraient de crainte. PANCRACE. Ho le hardi soldat pour combattre une pinte.Je te voudrais bien voir une épée à la main,Sans doute on te prendrait pour guetteur de chemin. POLYDAS. Telle comparaison à vous seul se réfère. PANCRACE. Inconnu de maison, de nom, de père, et mère,Pour qui te peut-on prendre avec tes beaux habits,Car tu n'as pas vaillant seulement deux brebis. POLYDAS. Pour tel que je puis être. PANCRACE. Il a raison je jure,Champignon d'une nuit il vint à l'aventure. POLYDAS. J'ai plus dans ce pays que vous n'aurez jamais. PANCRACE. [Note : Rodomontade : Vanterie, ou menace vaine et sans fondement. [F]]Telle rodomontade est l'espoir d'un niais :Ô le grand emballeur ! LUCIANE. Dieu n'y prenez pas garde,C'est un jeune éventé. PANCRACE. [Note : Hallebarde : Arme d'hast offensive ; composée d'un long fût ou bâton d'environ cinq pieds, qui a un crochet ou un fer plat et échancré aboutissant en pointes, et au bout une grande lame de fort forte et aiguë. [F]]Où est ma hallebarde ?Je mettrais tout d'un coup sa tête par morceaux. POLYDAS. Ce serait un beau coup pour assommer des veaux. PANCRACE. Qui te ressembleraient. POLYDAS. Regardez ce vieil singe,Il fait tant le vaillant et plus faible qu'un lingeNe se peut soutenir. PANCRACE. Tu te trompes bien fort,J'ai assez de vigueur pour te donner la mort. POLYDAS. Ô le grand champion, dieux comme il s'évertue. PANCRACE. Mon amour tenez moi de peur que je le tue :Je suis trop en colère, il y aura malheur. LUCIANE. Hé dieux n'en faites rien gardez votre valeur,Pour quelque occasion qui soit un peu meilleure. POLYDAS. Le bonhomme mourrait avant demi quart d'heure. PANCRACE. Nargue, j'en ai bien vu deux mille comme toi,Qui n'ont jamais fait peur à six pareils à moi. POLYDAS. Vous n'aviez pas peut-être ensemble de querelle. PANCRACE. Ô Dieux où est le temps que j'étais sentinelle Dedans notre clocher pour découvrir de loin ? POLYDAS. Pour prouver sa valeur voila un bon témoin.Pysandre qu'en dis-tu [?] PYSANDRE. Certes je meurs de rire. LUCIANE. Pancrace allons nous-en, à quoi sert de tant dire ? POLYDAS. Cela fait voirement échauffer le cerveau. PANCRACE. [Note : Godelureau : Jeune fanfaron, glorieux, pimpant et coquet qui se pique de galanterie, de bonne fortune auprés des femmes, qui est toujours bien propre et bien mis sans avoir d'autres perfections. Les vieux maris ont sujet d'être jaloux de ces godelureaux qui viennent cajoler leurs femmes. [F]]Adieu jeune badin, adieu goguelureau,Crois que tu dois la vie aux yeux de Luciane. LUCIANE. Je vous prie marchons, j'ai laissé LidianeToute seule au logis. POLYDAS. Adieu vieil escargot,[Note : Silène : Demi-dieu, fils de Pan et d'une nymphe, père nourricier et compagnon de Bacchus. [L]][Note : Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]]Compagnon de Silène, engeance de magot. PANCRACE. Apprends à devenir une autrefois plus sage. POLYDAS. Pysandre il s'en va tard, retournons au village.Nous nous verrons demain dedans ce même lieu. PYSANDRE. Je n'y faillirai pas, et cependant adieu. SCÈNE VI. PANCRACE, seul une hallebarde à la main. Il revient.Que sont-ils devenus ? Certes ils n'avaient garde, De m'attendre au retour, j'eusse donné nasarde,À ce fol indiscret, qui présume être telQue pour le pouvoir vaincre il faut un immortel,Lui faisant voir à l'oeil qu'il n'est que la vieillesse,Pour dans l'occasion montrer de la prouesse. Ô qu'il eut été mis vite sur le carreau,Il n'eut non plus duré qu'un petit lapereau :Devant le fin renard, j'en avais bonne envie,Luciane en effet lui a sauvé la vie.Car pour lui obéir je n'ai voulu tuer, Si j'eusse en vérité voulu m'évertuer :D'un seul coup de bâton, j'eusse envoyé son âmePromener chez Pluton comme une race infâme.Or sus le jour s'en va, moi je m'en vais aussi, Jupin, l'Amour, et Pan, prennent de moi souci. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. POLYDAS, tenant un flambeau allumé. Déesse de la nuit aux amants favorableQui bornez leurs désirs d'une gloire durable :Et pour les assurer dans leur contentement,Faites cacher du ciel le plus bel ornement.Si jamais amoureux eut besoin de votre aide C'est moi qui dans vos bras va chercher son remède :C'est moi dont le dessein ne peut être caché,Si du sommeil glissant chacun n'est attaché :[Note : Morphée : Terme de mythologie. Le fils du Sommeil, et le dieu des songes. Être dans les bras de Morphée. Les pavots de Morphée. Morphée avait versé sur lui tous ses pavots. [L]]Morphée, c'est à toi que je fais ma prière,Puisque tu as pouvoir de clore la paupière : Des humains d'ici bas, faits, morne déité,Que mon désir parfait se trouve exécuté :Sans être découvert d'aucune créature,Favorise l'amour et la mère nature :En me faisant plaisir tu les obligeras, C'est un de leurs sujets qui te tend les deux bras.Un Prince connaissant son serviteur fidèle,Menacé d'un malheur, épouse sa querelle :Pour rompre s'il se peut le piège à lui tendu.Moi qui du Dieu d'amour suis esclave rendu, Si je reçois faveur de ta bonne assistance,Ce Dieu t'en donnera la juste récompense :Puisque de ses sujets portant titre d'amant,Jamais nul comme moi n'aimât si constamment.Puissantes déités qui savez ma détresse, Courtois permettez moi d'enlever ma maîtresse,Vous savez le dessein que j'ai fait depuis peuDe mettre cette nuit dans son logis le feu :Afin que cependant qu'on le voudra éteindre,Je la puisse enlever sans la poursuite craindre : Me voici prêt, bons Dieux de le mettre en effet,Ce flambeau que je tiens le va rendre parfait :Sus voilà le logis puissances tutélaires,Embrassez s'il vous plaît l'état de mes affaires. Il met le feu.Or sus le feu s'allume et peut longtemps durer, Je me veux un petit à l'écart retirer :Et lorsque je verrai au plus fort de l'orageChacun courir à l'eau pour sauver le village,Prenant l'occasion ferme au poil inconstant,J'irai ma Lidiane enlever à l'instant. SCÈNE II. Luciane. Pancrace, Pysandre, Troupe de Pasteurs. LUCIANE, à la fenêtre. Vite vite debout, une épaisse fuméeMe dit qu'une maison ici proche allumée :Pourrait mettre le feu dedans notre logis,Ô bons Dieux ! C'est céans, à l'aide mes amis.Ô feu, ô feu. PANCRACE, nu en chemise avec une lanterne. Où est-ce ? PYSANDRE. Où est-ce ? PANCRACE. Patience, Ils viennent en chemise avec des lanternes et des sceaux.Que d'apporter de l'eau l'on fasse diligence :La grange et le fournil de Luciane en feuVeut que par charité vous l'assistiez un peu. PYSANDRE. Oui dà, très volontiers sus Passeurs sans rien craindre,Courrons quérir de l'eau pour promptement l'éteindre. LUCIANE. Hélas ! Que ferons nous, ami, tout est perdu, PANCRACE. Ne vous tourmentez point le feu n'est répandu Ils rentrent.Encore tout partout, bon voici l'eau venue,Sus enfants suivez moi, que chacun s'évertue. SCÈNE III. Polydas, Lidiane. POLYDAS. Enfin grâces aux Dieux ma juste intention, Va je crois réussir à sa perfection :Une crainte pourtant talonne ma conquête,Non non il faut entrer, car Lidiane est preste : Il entre et l'emmène.[Note : Soulas : Terme vieilli. Soulagement, consolation, joie, plaisir. [L]]Allons chaste Cipris mon soulas mon souci,Un bateau nous attend à quatre pas d'ici. LIDIANE. Las fidèle pasteur hâtons notre voyage. POLYDAS. Mon ange, ne crains point j'aperçois le rivage :Regarde devant toi tu verras le bateau,Ma Reine entre dedans et tiens bien ce flambeau,Je m'en vais le lâcher, et l'aurore venue, Nous serons éloignés. LIDIANE. Dieux ! La corde est rompue : La corde rompt et le bateau emmène Lidiane et laisse Polydas seul.Polydas au secours, vite prêtez la mainL'eau rapide à son fil adresse mon chemin :Hâtez vous, ô grands Dieux Jupiter et Neptune,Conduisez à bon port l'état de ma fortune : Adieu cher Polydas si l'eau me fait périr,Sachez que votre amour seule me fait mourirSouvenez vous toujours de notre unique flamme,Et que mon souvenir touche souvent votre âme. POLYDAS. Attend chère moitié je vais courir après, Ha ciel pas un bateau ne se montre ici près,Cette rive paraît en être dépourvue,Ou bien l'obscurité les cachent à ma vue :Non je n'en trouve point, encore par malheur,Diane peint le ciel d'une noire couleur, Des nuages épais éclipsent ses lumières,Les yeux du firmament ont fermé leurs paupières :Mon flambeau jusqu'ici ne peut plus éclairerBref tout semble en effet contre moi conspirer :Justes Dieux que ferai je à ce coup d'infortune Ces astres inhumains, cette inconstante Lune :Pour ne voir ma douleur ont voilé leurs clartés,Ô cieux que puis-je faire en ces extrémités :[Note : Colombelle : Petite colombe, au propre et au figuré. [L]]Sinon suivre de l'oeil ma colombelle aimable,Et voir si quelque Dieu lui sera favorable : Non, sourds vous avez tous sur la face un bandeau,Ha destins qu'ai-je vu elle est chute dans l'eauSon flambeau s'est éteint aussitôt que sa vie,Venez rages des eaux qui me l'avez ravie,M'engloutir avec elle ô Dieux ! Ô Dieux ! Cruels, Rendrez vous mes ennuis et mes maux éternels :Oui puisque l'inclémence accompagne vos âmesEt qu'un jaloux amour vous brûle de ses flammes :Neptune, est-ce point toi qui m'a joué ce tour,Voyant ce cher objet plus beau que n'est le jour. Se mirer dans tes eaux sans doute son mérite,[Note : Amphitrite : Terme de mythologie. Déesse de la mer, et, poétiquement, la mer elle-même. [L]]T'a fait mettre en oubli Thesis et Emphitrite :Indubitablement ses attraits ravissants,Ont surpris tes esprits et charmé tous tes sens :Mais quoi ? Puis-je endurer un affront si sensible, Il le faut malgré moi puisqu'il est impossibleDe se pouvoir venger d'un Dieu ni d'un démon :[Note : Palémon : Nom de berger dans les pastorales. [L]]Peut être n'est-ce toi, mais quelque PalémonOu autre déité surprise de ses charmes,[Note : Jupin : terme burlesque. Nom que l'on donne à Jupiter en badinant, et dans le style burlesque, au lieu de celui de Jupiter. [T]]Jupin assistez moi de vos divines armes : Autrement je dirai ce qui semble en effet,Que vous participez au tort que l'on m'a fait :Hélas où sont des Dieux la clémence et l'estimeOn les voit aujourd'hui favoriser un crime,Commis en mon endroit, ô ciel quel crève coeur Ô rage, ô désespoir, ô malheur, ô fureur,[Note : Errynies : personnages de la Myhtologie autrement nommées Furies.][Note : Larve : Terme d'antiquité. Génie malfaisant, qu'on croyait errer sous des formes hideuses. [L]]Démons larves horreurs, Errines, Euménides,[Note : Atropos : L'une des trois Parques qui tenaient les ciseaux qui coupaient le fil de la vie des hommes.]Gorgone, Atropos, monstres Achérontides,Venez mettre mon corps en cent mille morceauxLes dieux qui souffrent tout auteurs de mes travaux, Vous en donnent pouvoir, leur coeur inexorableRefuse son secours au pauvre misérable :Ô iniques destins, ô sort malencontreux,Infortuné berger, déplorable amoureux :Polydas Polydas sus il faut que la Parque Te fasse maintenant passer la triste barque :Choisis de quelle mort tu veux donques mourirL'eau, le fer, ou le feu, peuvent tes maux guérir :L'eau, si je m'y jetais Neptune aurait la gloire,D'avoir par dessus moi emporté la victoire : Le fer est trop sanglant, mon homicide mainMe ferait à jamais estimer inhumain.De mourir par le feu je ne m'y puis résoudre,Jupin se venterait que ce serait son foudre :Qui aurait consommé mon coeur et mes poumons, Choisissons donc plutôt la grotte des Démons :Le jour qui peu à peu recommence à paraître,L'a fait proche de moi à mes yeux reconnaître.Je veux sans différer me jeter au milieu, Adieu pauvre pays, adieu malheureux lieu : Souviens toi quelquefois de l'amour mutuelleDe ma Nymphe et de moi, ha mon mal renouvelle,Je veux avant mourir graver sur mon tombeau,Quelques funèbres vers avecque ce couteau : Il grave quatre vers sur son tombeau qui seront lus par Amarille.C'est assez, sus Démons de cette grotte sombre Recevez moi là-bas et faites que mon ombreNe reçoive aucun mal sans l'avoir mérité,Pesez mon innocence et ma fidélité.Surtout permettez moi qu'en la plaine Élizée Je voie la beauté qui m'a la mort causée. Il se précipite. SCENE IV. LUCIANE. Accablée d'ennuis, de maux, d'afflictions,De douleurs, de malheurs, le but de passions,À qui me dois-je plaindre en ces peines extrêmes,M'adresserai-je à vous divinités suprêmesOu aux hommes mortels l'ouvrage de vos mains Non car votre pouvoir s'étend sur les humains :Ils ne peuvent sans vous agir en nulle sorte,C'est c'est donc contre vous que ma plainte se porte,Puisque vous permettez qu'on viole les lois,De douceur et d'amour envers moi cette fois J'avais toujours vécu d'une telle manière,Que je n'espérais pas sentir votre colère :Las qu'ai-je fait (bon dieux) pour voir contre raison,Enlever mon enfant et brûler ma maison :Par un traître pasteur un méchant, un perfide, Un brûleur de maisons un voleur homicideQue ne le tiens-ici ha je jure ma foi,Qu'il trouverait sa mort quoi qu'il n'y eût que moi.Mes ongles et mes dent quoi qu'atteints de vieillesse,Sont encor assez forts pour punir sa jeunesse : Ô malheureux enfants, ô indiscrétion,Que tu nous faits souvent souffrir d'affliction,Ô ma fille faut-il qu'une amour effrénée,Fasse qu'à ce berger tu sois abandonnée,Ô folle, ô indiscrète, hélas tu ne sais pas La ruse, la finesse, et les pipeurs appas,Des hommes inconstants qui vivent sur la terreTa lettre que tantôt j'ai trouvé sur ma chaire,Me transporte les sens quand tu me dits qu'un jour,Je te verrai au rang des Dames de la cour : Ô que ton sot espoir te causera de peine,Simple, crois-tu cela une chimère vaine,Avecque les serments d'un jeune courtisan,Pour une même chose on les tient à présent,Sans mentir j'ai regret que ton jugement louche, N'ait pu voir les abus de sa trompeuse boucheVa va méchante fille où te conduit le sort,Le ciel puisse bientôt me livrer à la mort :De peur qu'un mauvais bruit blessant ta renommée,Ne rende à tout jamais ma race diffamée, Ô Dieux je n'en puis plus mes larmes et soupirs,Étouffent mes propos dedans mes déplaisirs.Retournons au hameau reste de l'incendie,Pour voir si à sauver le reste on remédie,Ô qu'une fille sotte est un fâcheux fardeau, Plutôt qu'en souhaiter j'élirais le tombeauJe m'en vais envoyer ma servante Pernelle,Pour voir si quelque part elle en aura nouvelle. SCÈNE V. AMARILLE. Pleure Amarille hélas ton malheur sans pareil,Que les larmes jamais ne sèchent dans ton oeil, Soupire incessamment ton douloureux désastreL'amante, sans repos l'injure de ton astre :Crie, gémis, plains toi, remplis l'air tout de pleurs,Pour émouvoir le ciel à plaindre tes douleursEt faire que ton mal le rende favorable, Pour en punir l'auteur d'un foudre inévitable :Bon Dieux cela est juste et selon l'équité,Vous savez ma constance et l'infidélité :Du Berger Polydas et de sa Lidiane,Où êtes-vous Didon, vous crétoise Ariane. Venez voir le Pasteur qui cause mon ennuiComme le plus méchant qui respire aujourd'hui.Ce n'est point un AEnée encor moins un Thésée,Il est pire cent fois et d'humeur moins posée :C'est un traître parjure, un lâche, un imposteur, Un Amant infidèle un signalé trompeur.Bref je puis dire ici comme je conjecture,Que c'est le plus méchant qu'ait formé la nature :Nature je me trompe, ha il ne se peut pas,Tesiphone plutôt l'a enfanté là-bas : Nul mortel n'eut jamais une si mauvaise âme,Ô Dieux, ô Dieux, faut-il qu'en vain je vous réclame :Ne verrai-je point l'air se troubler de vos feuxPour consommer les os de ces deux amoureux :Non vous ne voulez pas, non vous avez envie De voir le désespoir triompher de ma vie :Je n'aurai pas ce bien que de les voir punir,Je serais trop contente à ce doux souvenir :Il faut auparavant que l'inhumaine Parque,Me fasse dévaler dans l'infernale barque Je le veux, je le veux, aussi bien desormais,Tout mon contentement serait mort à jamais :Je ne refuse pas de franchir la carrière,Immortels prononcez ma sentence dernière :Que sert de retarder le décret de ma mort, Est-ce pour m'affliger de plus fort en plus fort ?Ou pour vous accuser d'inclémence et de haine,Méritai-je le mal d'une si longue peine :Non, je ne le crois pas, vous estes des cruelsVous ne méritez pas l'amitié des mortels. Je veux présentement malgré votre puissance,En me donnant la mort apaiser ma souffrance :La grotte des Démons que je vois devant moiVa servir maintenant à guérir mon émoi :Mais quels vers sont gravés sur cette pierre dure, Approchez vous mes yeux, voyons quelle aventureSe pourrait être ici : car jamais on n'appritQu'il y eut en ce lieu quelque chose d'écrit. AMARILLE lit le tombeau de Polydas. Passant sache que mon flambeau, A dans les eaux éteint sa vie, Et Polydas malgré l'envie, A ici choisi son tombeau. Ô bons Dieux est-il vrai ce que je viens de lire ?Polydas est-il mort d'un si cruel martyre ?Hélas ! Pauvre Berger je regrette ton mal, Ô Dieux ! Qui t'a causé cet accident fatal ?Je n'en puis que juger, sinon que ta maîtresseEst morte dans les eaux, et que toi de détresseTu t'es venu jeter dans ce gouffre fumant,Du moins ces vers ici le disent clairement : Mais n'est-ce point aussi qu'il a fait cette ruse,De peur d'être suivi, ou bien que je m'abuse :Non, sans doute il est mort dans ce lieu malheureux,Allons donc le trouver pour vivre plus heureux !Dieux, esprits, ou démons, qui habitez ce siècle, Prenez l'âme et le corps de la pauvre Amarille :Et si vous la voulez doublement obliger,Faites tant qu'elle soit auprès de son berger. Elle se précipite. SCÈNE VI. Pysandre, Cleanide. PYSANDRE. En vérité mon coeur il faut que je confesseQu'un extrême regret fort vivement me presse : Je ne puis concevoir aucun contentement,Quand de nos deux amis je vois l'éloignementÔ certes Polydas notre amitié jurée,A de votre côté eu trop peu de durée :Il fallait m'avertir de ce mauvais dessein, Ainsi qu'en pareil cas je t'eusse ouvert mon sein :Mais ma Nymphe dis moi si jamais LidianeNe te l'a découvert. CLÉANIDE. Non, je jure Diane :Elle était trop finette, et dans sa passionElle a toujours montré telle discrétion : Qu'on ne se fut douté de leur amour secrète :Mais sans mentir Pasteur, sa perte je regretteCar c'était ma compagne, et je crois qu'en ces lieux,Tous objets désormais me seront ennuyeux. PYSANDRE. Il est vrai que leur fuite apporte un grand dommage, Nous perdons nos hameaux et tout notre village :Outre leur entretien que je prisais beaucoup. CLÉANIDE. Ô cieux que de frayeur m'a surprise d'un coupQuand pensant sommeiller j'ai ouï dedans la rueQuelqu'un crier au feu d'une voix éperdue : Nous n'avons je vous jure eu rien plus que le temps,De pouvoir transporter nos meubles dans les champs PYSANDRE. Et moi de même aussi mais déjà l'on s'apprêtePour faire réparer ce grand coup de tempête,Au plus tard dans huit jours sera fait bâtiment, Capable de servir à notre logement. CLÉANIDE. Il ne nous est resté qu'un petit toit à bêtes,Ou nous ne pouvons pas tenir droites, nos têtes. PYSANDRE. Venez vous-en chez moy vous n'aurez pis ni mieux,Dedans un même lit nous coucherons tous deux Et si vous me ferez un honneur incroyable. CLÉANIDE. Vous êtes sans mentir pasteur trop charitable.Je vous en remercie. PYSANDRE. Avisez seulement,Car je vous traiterai assez modestement :Vous aurez chaque jour un petit ordinaire, Que votre ceour demande et que le mien espère. CLÉANIDE. Rien moins, sachez berger que le fruit et le laitSur tous les autres mets contentent mon souhait. PYSANDRE. Bien je vous donnerai du fruit de mon serviceQui vous donnant du lait vous peut rendre nourrice. CLÉANIDE. Ha c'est être indiscret jusques au dernier point. PYSANDRE. Ma belle pour cela ne te courrouces point. CLÉANIDE. Berger devenez sage et sans cérémonie,Ou je me bannirai de votre compagnie. PYSANDRE. Je l'ai toujours été, en doutes-tu mon coeur ? CLÉANIDE. Vous êtes insolent aussi bien que moqueur :Flattez moi maintenant. PYSANDRE. Cela c'est infaillible.Beauté qui peut charmer une chose insensible :Et la faire mouvoir de même que le vent,Pardonne moi ce crime où je tombe souvent. CLÉANIDE. Il vous est pardonné adieu. PYSANDRE. Adieu mauvaise,Avant que de partir il faut que tu me baises. CLÉANIDE. Non, non vous avez tort, pasteur laissez cela. PYSANDRE. Ô ciel je suis ravi, quel bon morceau voilà. CLÉANIDE. S'il vous arrive plus de me mettre en colère, Berger je le dirai sans mentir à ma mère. PYSANDRE. Tu n'as garde à ce coup, adieu mon beau soleil,Unique parmi nous comme au Ciel sans pareil. SCÈNE VII. Floridon, Pancrace. FLORIDON. Misérable berger qui vois ton espérance Mourir avec le fruit de ta persévérance : Misérable berger qui vois l'inique sort,Balancer ton destin dans les mains de la mortMisérable berger mille fois misérable,À qui le ciel refuse un effet secourable,Et qui n'a plus d'espoir que celui du trépas, Pipé dans le désir d'un amoureux appas,Regarde de quel fil on dévide ta trame,Dépossédé de biens, d'honneur, et de ta femme :Où pourras tu trouver désormais du bonheur,Qui puisse dans la joie emporter ta douleur : Le ciel n'en peut avoir, lui, la mer, et la terre,Contre toi conjurez te déclarent la guerre :L'enfer n'a plus de rage à verser dessus moi,De toutes ses horreurs je n'aurai plus d'effroi :Qu'il tonne, qu'il éclaire, et qu'en déluge abonde, Qu'il brûle l'univers, qu'il abîme le monde :Bref qu'il réduise tout en son ancien Chaos,Je supporterai tout et d'un ferme propos,Puis qu'en effet chacun employant sa rancune,Ne me saurait punir que d'une mort commune. Je ne m'étonnerai de toutes ses fureurs,Ô perfide Amarille ! Ô crédules erreurs !Vous m'avez fait penser que les yeux de ma face,Pourraient avec le temps faire fondre sa glace :Vraiment elle eut raison quand elle dit un jour. Que la mort finirait le cours de mon amour :Je vois bien maintenant son dire véritable,La mort qui suit mes pas d'un dard inévitable,Dispute avec nature à qui triompheraSur ma vie, et je crois que la mort gagnera : J'y suis tout résolu, car aussi bien de vivre,Et voir tant de malheurs à tous moments me suivre,Je souffrirais des maux pires que le trépas,Adieu donc Amarille et ton cher Polydas,Instruments malheureux des impudiques flammes, Exécrables amants, adultères infâmes :Vivez, vivez, contents à ma confusion,Pour mourir maintenant je prend l'occasion :Je la prends, non ferai cela m'est trop sensible,Il faut qu'à vous trouver je fasse mon possible : Afin de me venger comme vous méritez,Dieux où est maintenant l'excès de vos bontés :Où repose ce feu qui réduit tout en poudre,Sera-ce l'innocent qu'on punira d'un foudre :Ha serait témoigner trop de sévérité, Astres, cieux, terre et mer, voyez l'extrémité :Ô me réduit le sort des lois de mariage,Vous en êtes témoins bois, prés, roc, et bocage :Admirez l'inclémence et le courroux des Dieux : Ô iniques arrêts ô sort injurieux Malheurs, tourments, ennuis, douleurs, soucis, rancunes,N'abandonnez jamais le cours de mes fortunes.Le décret immortel l'a ainsi ordonné,Je ne verrai jamais mon tourment terminé :Et si faut désormais qu'encor moins je l'espère, Hélas ! Où allez vous, pauvre infortuné père. PANCRACE. Mon gendre si jamais homme fut affligé,Des rigoureux ennuis que l'enfer a forgé.Je crois avoir souffert sans avoir fait offense,Tout ceux qu'onc inventât cette noire puissance. Depuis que l'on m'a dit ce qui t'est arrivé,Que tu étais (hélas !) de ta moitié privé,Ô Dieux ! Qu'un tel départ m'a jà coûté des larmes,Qu'il m'a livré ce jour de cruelles alarmes :Ô ma fille où es-tu ! Las faut-il que l'amour T'ait fait donc éprouver un si funeste jour :Ô traître Polydas, ce malheureux profaneL'a sans doute emmenée avec sa Lidiane :Dieux, que ne sais-je où sont ces indiscrets amants,Je ne craindrais la mort ni tous les éléments : Pour les aller trouver et sais que mon épéeDu sang de ce berger serait bientôt trempée. FLORIDON. Vous n'êtes pas tout seul qui pleurez ce malheur,J'ai bien autant que vous pris part à la douleur.Il me touche de près, car mon âme constante, Eut goûté dans un mois le fruit de son attente. PANCRACE. Il est vrai Floridon, hélas c'est ce qui plusRend mon coeur attristé et mes sens tous confus :Il n'y a nul mortel dedans notre village,Qui ne pleure avec nous ce désastreux dommage Le ciel même aujourd'hui en a jeté des pleurs. FLORIDON. Les fleurs en ont perdu leurs plus vives couleurs. PANCRACE. D'aujourd'hui les oiseaux n'ont chanté leurs ramages. FLORIDON. Pan, l'Amour, et Zéphir ont quitté nos bocages. PANCRACE. Les Échos amoureux en sont devenus sourds FLORIDON. Les eaux ont retenu dans la source leur cours. PANCRACE. Les arbres ont jeté leur plus belle verdure. FLORIDON. Les troupeaux ce jourd'hui n'ont voulu de pâture. PANCRACE. La terre de douleur en a crevé son flanc. FLORIDON. Les fontaines et puits n'ont produit que du sang. PANCRACE. Nos matins n'ont mangé depuis l'heure je jure. FLORIDON. Enfin tout participe au tourment que j'endure. PANCRACE. Ô cruel souvenir qui me donne la mort ! FLORIDON. Hélas méritons nous de ressentir ce tort ?Quel mal avons nous fait digne de pénitence ? PANCRACE. Mon gendre il faut du ciel tout prendre en patience.Les Dieux qui ont borné le destin des humainsOnt encore pour nous le bonheur dans les mains.S'il plaît à leurs bontés le verser sur nos têtes,Nous viendrons à bon port malgré toutes tempêtes. FLORIDON. Fasse le juste ciel et le grand Dieu d'Amour,Que je voie bientôt ma femme de retour :Pleine d'amour pour moi avec ce chaste gage,Qui depuis un longtemps me retient en servage. PANCRACE. Je les en prie aussi de pure affection. FLORIDON. Dieux, mettez bientôt fin à notre affliction. PANCRACE. Retournons au hameau et voyons l'assemblée,Qui de tant de malheurs est grandement troublée :Je crois qu'on est après pour faire réparerLe mal que Polydas est venu préparer. À tout le voisinage ! Ô bons dieux, que les fillesSont cause de tourments pour être trop fragiles.Que ne leur a-t-on fait un esprit moins malin,Puisque c'est le secours du sexe masculin ? ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Lidiane, Les Deux Pêcheurs, Floridon, troupe de Bergers LIDIANE. Les deux pécheurs ramènent Lidiane dans le bateau.AMis de qui je tiens le repos et la vie, Que la fureur des eaux m'avait presque ravie :Que je suis obligée à votre bon secours,Je m'en ressouviendrai le reste de mes jours :Et si je ne fais pas d'égale récompense,Sachez mes bons amis que je ne m'en dispense, Ce bien reçu de vous ne s'oubliera jamais,J'espère avec le temps vous rendre satisfaits.Non pas si justement que mérite la choseMais selon la raison que mon esprit propose. Elle leur donne une bague. PREMIER PÊCHEUR. Bergère grand merci je n'eusse pas pensé Devoir être de vous si bien récompensé. SECOND PÊCHEUR. Ma foi ni moi non plus ; car de toute l'annéeNous n'avons tant gagné comme cette journée. PREMIER PÊCHEUR. Nous voudrions tous les jours prendre de tels poissons,Et si ne nous faudrait lignes ni hameçon. LIDIANE. Faites votre profit. SECOND PÊCHEUR. Que tout vous soit prospère. LIDIANE. Adieu donc chers amis. SECOND PÊCHEUR. Adieu. PREMIER PÊCHEUR. Parle compère,Allons vendre à Paris ce riche diamant,Puis nous partagerons l'argent ensemblement :Afin d'en acquérir quelque bon héritage. SECOND PÊCHEUR. Nous boirons en passant dans ce petit village. LIDIANE, seule. Agréable séjour, arbres, cyprès, jasmin,Pour trouver Polydas montrez moi le chemin :Voici le même lieu où l'ingrate fortune,Nous sépara tous deux de façon non commune. Hélas où peut il être, ô soleil radieux !Pour le voir maintenant prête moi tes beaux yeux :Et toi puissant amour qui nous connaît fidèles,Pour l'atteindre bientôt prête moi tes deux ailes.Et pour ta récompense un autel je promets, Où le musc et l'encens fumeront à jamais :Je ne puis te promettre à présent davantage,Bons Dieux, que j'ai désir de revoir son visage :Tant je crains qu'un malheur ne lui soit survenu,Par ce maudit chemin du bon-heur inconnu : Las s'il n'a point trouvé de bateau pour me suivre,Que quelqu'un ait voulu notre fuite poursuivre.Et qu'on l'ait rencontré cheminant en ce lieu :Si l'on doute qu'il soit la cause de ce feu,On l'emprisonnera, ô soleil de Justice, Détournez de son chef le mal qui suit son vice :Ô dieux que l'imprudence apporte de malheur !Que j'ai depuis ce jour supporté de douleur !Il faut qu'incessamment je pleure et je soupire,Je ne verrai jamais la fin de mon martyre : Car mon destin le veut, et le ciel endurciPrend plaisir quand il voit me tourmenter ainsi. Elle s'assit. FLORIDON parlant à sa troupe de députés. Fidèles députés de tout le voisinage,Pour rechercher celui qui de notre villageÀ la perte causé par un embrasement, Commis pour enlever ma femme nuitamment :Nous voici délivrés tantôt de notre quête,Sans que notre labeur soit orné de conquête :Il ne nous reste plus qu'à voir ici autour,Si ce traître berger cependant qu'il fait jour : Ne se retire point dedans quelque bocage,À l'écart du chemin le long de ce rivage :Voyons, voyons partout, je pense voir là-basCelle qu'a tant aimé le berger Polydas,Il n'est pas éloigné qu'on se saisisse d'elle, Et qu'on la traite ici comme une criminelle. LIDIANE. Quelle troupe de gens se découvre à mes yeuxPour ne les rencontrer je fuirai devant eux. Elle fuit. FLORIDON. Suivez suivez enfants cette biche légère. LIDIANE. Amis que voulez vous d'une pauvre bergère ? FLORIDON. Que tout présentement vous nous faciès savoirOù est ce Polydas [?] LIDIANE. Il n'est en mon pouvoir :Car ne l'ayant pas vu depuis une journée,Je ne vous puis répondre. FLORIDON. Il vous a emmenée,Et Amarille aussi. LIDIANE. Rien moins, croyez pasteur Que jamais Polydas ne fut d'un crime auteur. FLORIDON. Vous estes trop rusée et pleine de malice,Sus, allons la livrer ès mains de la Justice. SCÈNE II. Le Juge, Le Procureur Fiscal, Floridon, et sa troupe, Lidiane, Le Greffier. LE JUGE. Nous qui tenons des Dieux la balance à la main,Pour juger ici bas le différent humain : Alors que l'équité plus forte que le vice,Fait voir devant nos yeux où règne la Justice :Adjugeant le bon droit à ceux qu'il appartient,Cause qu'en l'univers tout chacun se maintient : Mais encor qu'aigrement on punisse le crime, Si est-ce toutefois qu'on n'en fait pas d'estimeLe mortel ne craint point le tourment préparéQuand à faire du mal il s'est délibéré :Nous en voyons l'exemple arriver à toute heure,Et même en Polydas. LE PROCUREUR. Tout chacun veut qu'il meure Si tôt qu'il sera pris. LE JUGE. J'en suis d'avis aussi :Mais encore faut-il examiner ceci,Vous savez que l'amour a de si puissants charmes,Que pour lui résister on ne trouve point d'armes :(Que tant de grands, héros de notre antiquité, Ont commis tels délits sous sa divinité :Sans pouvoir de ses mains retirer leur franchise)Qu'il semble que le ciel ait cette loi permise :Puisque les Dieux auteurs de tels ravissementsOnt fait ce qu'aujourd'hui font ces jeunes amants. Or il semble en ce cas que l'amour est coupablePolydas innocent et l'action blâmable :Mais digne de la mort je ne le juge point, LE PROCUREUR. Monsieur pardonnez moi, considérant un poinct8Grandement décisif, je veux vous faire dire Qu'il mérite la mort, que le peuple désire :Premièrement ce fait regarde tout chacun,S'il n'était châtié, il se rendrait commun :En second lieu le ciel notre devoir oblige,À retrancher le pied d'une mauvaise tige : Outre que la raison veut que tout malfaiteur,Reçoive le tourment dont son crime est auteur.Or il n'a pas commis seulement pour un crimeMais il en a fait trois, dont le moindre j'estimeÊtre assez suffisant pour le faire mourir : Sans qu'il ose à nos lois sa grâce requérir :S'il avait seulement enlevé sa maîtresse,On ne l'estimerait qu'un tour de gentillesse :Mais il est accusé de rapt violemment,D'adultère impudique, et d'avoir nuitamment Mis indiscrètement le feu dans le village,Dont s'en est ensuivi l'injurieux dommage :De quoi chacun se plaint : c'est pourquoi sans mentir,Sa condamnation ne se peut divertir. LE JUGE. L'on doit punir celui qui au mal persévère Et non du premier coup quand la coulpe est légère. LE PROCUREUR. Celui que l'on commet pour punir le méfait,S'il se laisse emporter, est complice du fait :Il ne se peut commettre une faute plus grande,Et sa vie en effet n'en peut payer l'amende. LE JUGE. Un juge trop sévère a renom d'un tyran. LE PROCUREUR. Favoriser le mal est un crime appariant :Le Juge doit porter la moitié de la peine. LE JUGE. Il faut avoir pitié de la nature humaine. LE PROCUREUR. Le ciel commande exprès de punir les méchants, LE JUGE. Il nous commande aussi d'être doux en tout temps. LE PROCUREUR. Celui doit être heureux qui rendra la justice. LE JUGE. Je crois qu'en pardonnant on fait un bon office. LE PROCUREUR. Oui bien si vous étiez tout seul intéressé. LE JUGE. Le peuple ne peut rien où ma voix a passé. LE PROCUREUR. Il en peut appeler devant la juste essence, LE JUGE. Il ne faut point juger contre sa conscience. LE PROCUREUR. J'en demeure d'accord le droit le veut aussi, LE JUGE. Selon mon sentiment je jugerais ainsi. LE PROCUREUR. Certes, serait très mal balancer cette affaire, Vous changerez d'avis la preuve étant plus claire. LE JUGE. Je changerai d'avis s'il apparaît un peu,Que ce soit Polydas qui ait mis le feu. LE PROCUREUR. Voici nos députés de retour de leur quête. LE JUGE. Entendons les parler Floridon s'y apprête. FLORIDON, et les députés amenant Lidiane. Grands Juges délégués par les dieux ici bas,Pour réprimer le vice et calmer les débats :Sachez qu'après avoir couru cette contrée,Sans avoir de nos pas la cause rencontrée :Nous reprenions déjà le chemin de ce lieu, Lorsque nos yeux guidés par quelque puissant Dieu,Nous ont fait découvrir au bord de la rivièreAssez proche de nous cette jeune bergère :Fille de Luciane et la cause en effet,Du pernicieux tour que Polydas a fait : Elle sait où il est, mais elle est si rusée,Qu'elle croit rendre encor la justice abusée. LE JUGE. Bergère approche toi, parle ici librement,Ne me recèle rien pour crainte du tourment :Si tu es innocente autant que véritable : Notre âme à la pitié se rendra favorable :Mon pouvoir maintenant tel que celui des Dieux,Te peut donner la vie ou te l'ôter comme eux :[Note : Afféterie : Recherche mignarde dans les manières ou dans le langage. [L]]Avise donc ici que ton afféterie, [Note : Menterie : Synonyme familier de mensonge. [L]]Ne dise devant nous aucune menterie : Dits nous présentement où est ce Polydas,Qui nous a tant causé de plaintes et débats. LIDIANE à genoux. Arbitres souverains des affaires du monde,Sur qui chacun mortel son espérance fonde :Pour tirer la raison de l'infidélité, Je vous veux déclarer toute la vérité.Ainsi que je ferais si le maître au tonnerre,Était au lieu de vous maintenant sur la terre.Mais permettez aussi que la douce pitié, Trouve chez vous pour moi quelque trait d'amitié. LE JUGE. Nous te l'avons promis parle avec hardiesse. LIDIANE. Le berger Polydas de qui j'étais maîtresse,M'a longtemps fait l'amour sans que comme j'ai su,Aucun de mes parents l'ait oncques aperçu.Mais un jour ramenant notre troupeau de paître, Arrive que ma mère étant à la fenestre, Vis ce jeune pasteur qui feignant de causer,Par surprise emporta de ma bouche un baiser,Ce qui la contraignit à me tenir captive,Malheur, cause à présent que tout ce mal arrive. Car ce pauvre berger ayant su ma prison,L'amour qui dominait ses sens et sa raison :Lui ouvre le moyen propre à son entreprise,Résolvant par le feu de mettre en franchise :Et de fait par un mot il me le fit savoir, Mais d'y remédier n'était en mon pouvoir :Car ne pouvant sortir pour calmer cette orage,Je dispose mes pas à suivre ce volage :Et l'heure étant venue et le feu allumé,Pendant que tout chacun de la peur alarmé : Pour l'éteindre courait aux rives de la Seine,Par un autre côté cet indiscret m'emmène :Nous cheminons tous deux jusques au bord de l'eau,Ou s'étant rencontré un seul petit bateau :J'y saute habilement, lui demeure à la rive, Afin de le lâcher, mais un malheur arrive :Le plus grand qu'un esprit se puisse imaginer,La corde se rompit et l'eau vient entraîner :Dans son fil le bateau où seule je demeure,Appelant du secours, je soupire, je pleure : Mais en vain tout cela car notre affection,Trouva par ce moyen sa séparation :Je n'ai depuis ce jour vu le berger que j'aime :Après je me trouvai dans un danger extrême :Car voyant près de moi une île dont l'abord, Me semblait fort facile à sauter sur le bord :Je me lance à l'instant sur le sable où je glisse,Et tombant dedans l'eau je souffre un tel supplice,Qu'il m'allait de la mort faire franchir le pas,Si deux pauvres pécheurs étants un peu plus bas Avecque leurs filets ne m'eussent repêchée,Et après que chez eux je fus un peu séchée :Je les priè tous deux de m'amener ici,Pensant y retrouver l'objet de mon souci.Mais je n'ai eu plutôt mis le pied sur l'arène Que surprise à l'instant devant vous on m'amèneVoyez donc maintenant si je puis avoir tort,Et si vous me jugez coupable de la mort,Car tout ce que j'ai dit est aussi véritableQue le soleil nous voit sur la terre habitable : Et si j'ai parlé faux d'un seul point seulement,Que Jupin de ses feux me brûle en un moment. LE PROCUREUR. Vous en avez trop dit pour paraître innocenteVotre ennuyeux discours rend la preuve évidente :Monsieur qu'en dites vous, selon mon jugement : Il la faut condamner à mourir. LE JUGE. Nullement,Sachons encore d'elle un moyen très utile,Où avez vous laissé la bergère Amarille. LIDIANE. Je crois qu'elle est chez elle et Floridon présent,Vous peut mieux que moi dire où elle est à présent. LE JUGE. Quoi n'était elle pas de la même entreprise ? LIDIANE. Je ne le pense pas. FLORIDON. Messieurs elle déguiseIl faut que promptement on la fasse mourir,C'est le moindre tourment qu'elle puisse encourir. LE JUGE. Je le veux, mes amis, je connais son offense, Approchez vous de moi pour ouïr sa sentence. LE GREFFIER. Pendant que les Juges opinent le Greffier dit.Voyez que la jeunesse a peu de jugement,L'amour dans le péril l'a jeté librement,Bergers levez le nez à quoi prenez vous garde, Les Bergers font feinte de regarder ce que le Greffier écrit.Je ne saurais écrire alors qu'on me regarde. LE JUGE, prononce le Jugement contre Lidiane. Nous Juges délégués par sainte élection,Pour les cas contenus en l'information.Par jugement dernier condamnons Lidiane,Comme atteinte du crime odieux et profane :À mourir dans le feu de la grotte aux démons, Le berger Floridon avec ses compagnons,Seuls exécuteront la présente sentence,Où notre autorité imposera silence :Lorsque la nuit viendra dessus notre horizon,Ordonnons cependant qu'elle tiendra prison. LIDIANE. Ou juste ciel faut-il que je meure innocente. LE JUGE. Emmenez-la bergers. LE PROCUREUR. Gardez qu'elle s'absente. SCÈNE III. Pysandre, Cleanide, Luciane. PYSANDRE. Bons Dieux qu'il court ici un effroyable bruit,Lidiane mourra auparavant la nuit.Sa sentence de mort vient d'être prononcée. CLÉANIDE. Hélas qui vous l'a dit [?] PYSANDRE. C'est la vieille Macée. CLÉANIDE. Ô cieux que dites vous hélas je n'en puis plusPysandre soutenez mes membres abattus :Ce sensible regret touche si fort mon âme,Qu'elle va s'envoler vers la céleste flamme. PYSANDRE. Ma Nymphe prend courage il ne faut pas mon coeur,Se laisser emporter si fort à la douleur :Reprends un peu tes sens et tiens pour véritableQue sans doute le ciel lui sera favorable. CLÉANIDE. Ha laissez moi mourir, PYSANDRE. Le ciel ne le veut pas. CLÉANIDE. Mais encor que dit-on du berger Polydas. PYSANDRE. On ne sait où il est. CLÉANIDE. Comme a elle été prise. PYSANDRE. Dessus le bord de l'eau où elle était assise. CLÉANIDE. Pauvre bergère hélas que je plains tes malheurs,Pasteur voici sa mère, écoutons ses douleurs. LUCIANE. Bergers une faveur, dites si les nouvelles,Que l'on dit de ma fille assurément sont telles. PYSANDRE. Nous le venons d'apprendre et crois que nul de nous,N'en sait pas à présent d'avantage que vous. LUCIANE. Il faut donc passer outre, ô ciel inexorable ! PYSANDRE. Nous irons avec vous si l'avez agréable. LUCIANE. Très volontiers cousin vous m'obligerez fort,Pancrace est ici près qui m'attend demi-mort,Nous irons chez le Juge avec lui tous ensemble,Dieux je ne puis aller tant, tout le corps me tremble. PYSANDRE. Prêtez moi votre main pour marcher fermement. CLÉANIDE. Pan fasse réussir le tout heureusement. SCÈNE DERNIÈRE. Le Juge, Lidiane, Luciane, Pancrace, Floridon, Pysandre, Cléanide, L'ombre de Castrape, Polydas, Amarille LE JUGE. Voici le lieu Bergère où il faut que ta vie,Pour punir ton forfait soit des flammes ravie.Avise si tu veux avant que de mourir, Sur ce fait important quelque cas découvrir.Nous te pouvons encor sauver du sacrifice,Nous livrant Polydas pour en faire Justice :Vois, regarde, consulte, avise sur ce cas,Je te donne du temps autant que tu voudras. LIDIANE, ayant lu le tombeau de Polydas. Pendant que le juge parle, Lidiane lit les vers du tombeau de Polydas.Las comment voulez vous grand Juge vénérable,Que je mette en vos mains un pauvre misérable :Qui comme vous voyez gravé sur ce perron.A déjà traversé le fleuve d'Achéron.Ce serait m'obliger à plus que l'impossible, Sus sus je veux mourir sa mort m'est trop sensible :Qu'on ne diffère plus le moment de ma mort,Amis dépêchez vous je veux franchir ce port.Vivre sans Polydas le jour est sans lumière,Qu'on me pardonne ou non voici l'heure dernière : Que le soleil verra tous mes travaux finir,Car l'âme de mon corps s'en va se désunir :Il me semble déjà que je te vois belle ombre,Suivie dans ces lieux par des âmes sans nombre,Qui t'admirent voyant ton esprit nonpareil, Croyant que devers eux soit allé le soleil :Je t'y veux suivre aussi, âme plus qu'adorableQui toute seule rend cette grotte admirable :Bel ange je te suis, tu m'appelle, attend moi,Mon âme va partir pour courir après toi. LE JUGE. Pasteurs soutenez la l'excès du mal l'emporte. LUCIANE. Hâtons nous car j'ai peur qu'elle soit déjà morte. Elle vient avec sa troupe. PANCRACE. Non fera, non fera, LUCIANE. Ô bon dieux ! C'en est fait,Sa vie a expié son énorme forfait.Quoi là on fait mourir sans ouïr sa défense. FLORIDON. Non, l'état où elle est vient d'une défaillance. LUCIANE. Ma fille ouvre les yeux parle un mot seulement. LIDIANE. [Note : Rengreger : Augmenter le mal. [F]]Las ! Pourquoi venez vous rengreger mon tourment ?Ma mère pardonnez à ma flamme indiscrète,Et me laissez souffrir la mort que je souhaite. LUCIANE. Hélas ! Pourquoi faut-il que tu meures aujourd'hui ? PANCRACE. Si cela dure encor je pleurerai d'ennui. PYSANDRE. L'amour va perdre en elle un de ses puissants charmes. CLÉANIDE. Mes yeux ne peuvent plus en retenir leurs larmes. FLORIDON. La pitié me transit et voudrais en ma foi, Que l'on la pût sauver, il ne tiendrait à moi. LUCIANE. Jeunes filles pleurez votre pauvre compagne,Que la larme toujours votre visage bagne,Et vous braves pasteurs à mon malheur présents,Voyez si mes ennuis ne sont pas bien cuisants. LE JUGE. Avez vous assez dit, sus dépêchez vous femme. LUCIANE. Si jamais la pitié trouva place en votre âme,Grand arbitre des Dieux, qu'en jugeant vous servez,Rétractez votre arrêt puisque vous le pouvez.Ou s'il ne se peut pas, permettez moi de grâce Pour sauver mon enfant que je meure en sa place :Ou bien si vous jugez le mal trop odieux,Pour me faire plaisir condamnez nous tous deux. LE JUGE. C'est par trop discourir jetez dans la fournaise. LUCIANE. Las permettez encor qu'un seul coup je la baise ; Adieu ma chère fille, ha je ne puis parler. LIDIANE. Ma mère, adieu, le ciel vous veuille consoler. PANCRACE. Sage et juste Minos octroyez la prière,Que vous fait à genoux cette dolente mère :La troupe que voici vous en prie par moi, LE JUGE. Non, non, n'en parlez plus, berger dépêche toi. L'ombre de Castrape, sortant de la grotte, tenant Polydas d'une main, et Amarille de l'autre.Demeurez malheureux cessez votre vengeance,Approchez ceste grotte et me prêtez silence :Je sors des noirs palus de l'abîme infernal,Pour venir empêcher votre dessein brutal : Je suis l'Ombre sans corps du renommé Castrape,Fils d'un Dieu, né d'un Roi, et neveu d'un satrape :Dont le pouvoir cogneu sur la terre en tous lieux,La fait craindre autrefois des hommes et des Dieux :Quand pour exécuter quelque rare entreprise, Il fallait par mon art captiver la franchise :De la terre, et la mer, du Ciel, et des enfers,Mettre les Dieux captifs, et les Démons aux fers.L'eau montait dans le Ciel, le Ciel était sur terre,Les Éléments tremblaient, j'enfermais le tonnerre. Bref, tout ce qu'impossible était au temps passé,Était aussitôt fait que je l'avais pensé :Mais parce qu'en ce lieu j'ai appris ma science,Que j'y fis mon tombeau, que j'y pris ma naissance :J'en ai toujours eu soin et ne désirant pas Qu'aucun malheur jamais vint troubler vos ébats,Je bâtis cette grotte où jusques à cette heure,Mon Ombre a presque fait jour et nuit sa demeure :Ayant prévu le mal qui devait opprimerCes fidèles amants pour par trop leur aimer : Polydas ayant vu tomber dans la rivière,Sans espoir de secours son aimable bergère,Se vint précipiter dans cet antre fumeux,Puis Amarille après d'un esprit généreux,Voyant que ce berger oubliant sa promesse, Ne l'avait enlevée ainsi que sa maîtresse :S'y vint jeter aussi, mais moi les yeux au soin,Jugeant que de mon art ils avaient grand besoin,J'ai curieusement conservé leur personne,Mais entendez par moi ce que Jupin ordonne : Pour nourrir entre vous l'amitié désormais,Et dedans vos maisons faire régner la paix :Le Ciel veut que Pancrace épouse Luciane,Que Polydas aussi ait sa Lidiane.Pysandre, Cleanide et qu'aussi Floridon Prenne son Amarille et lui fasse pardon :Allez tous vivre heureux, gardez que l'imprudence,Ne vous fasse oublier cette sainte ordonnance :Chacun retrouvera son logis rebâti,Mes esprits diligents sont ce matin sorti : Avec commandement qu'avant la nuit prochaineVotre perte se trouve une chimère vaine :Souvenez vous toujours du grand bien que vous fait,L'ombre du grand Castrape admirable en effet,Allez jouir chacun des douceurs amoureuses, Je retourne au séjour des âmes bienheureuses. LE JUGE. Puisque des immortels telle est la volonté,Je veux que mon arrêt ne soit exécuté :Bergers vite, mettez Lidiane en franchise,Je vois bien que le Ciel ses Amours favorise. PANCRACE. Dieux ! Quel contentement, ô l'agréable arrêt !Luciane approchez, baisez moi je suis prêt. LUCIANE. Hélas ! Qui eut pensé qu'après tant d'infortuneIl nous dût arriver une telle fortune ?Ma fille vous avez votre contentement, Baisez moi, puis allez embrasser votre amant :Et que chacun berger fasse ainsi de la sienne. PANCRACE. Pour moi je suis content des baisers de la mienne. POLYDAS. Veillé-je ou si je dors adorable beauté,Croirai-je en vous baisant que ce soit vérité ? LIDIANE. Ha mon cher Polydas que d'étranges merveillesJe ne sais si mes yeux démentent mes oreilles. PYSANDRE. Que de bonheur nous suit certes faut avouerQue le ciel nous chérit et qu'il le faut louer. CLÉANIDE. Chère âme en vérité les Dieux sont adorables, Aux maux désespérés se rendant secourables. FLORIDON. Ô ma douce Amarille, ô ma chère moitié !Vivons tous deux contents en parfaite amitié. AMARILLE. Venge toi Floridon de mon ingratitude,Je veux vivre à jamais dessous ta servitude. POLYDAS. Amis je suis fâché qu'il faille qu'un adieuMe face incontinent abandonner ce lieu :Mais n'étant né berger, Paris qui me souhaite,M'obligera bientôt d'y faire ma retraite :Et toi fidèle ami que le ciel m'a donné, Pour rendre maintenant mon malheur terminé,Reçois ce souvenir de notre bienveillance, Il lui donne une chaîne d'or.Si tu ne veux venir au lieu de ma naissance,Où j'espère emmener cette rare beauté,Pour la faire honorer comme elle a mérité, Mais je veux qu'en ce lieu notre Hymen s'accomplisse, LE JUGE. Enfants vivez joyeux que tout vous soit propice. PANCRACE. Le Ciel puisse bénir nos amours triomphants,Afin que dans neuf mois nous ayons quatre enfants :Le suppliant (monsieur) pour votre récompense Qu'il vous puisse donner les cornes d'abondance.Allons, retirons-nous auparavant la nuit,Et chacun pense à soi pour l'amoureux déduit,Afin que le plaisir dans le lit nous assemble[Note : Cogner un fétu : s'occuper de choses sans importance. [L]]Et qu'à cogne fétu pas un de nous ressemble. ==================================================