******************************************************** DC.Title = LA BELLE ESCLAVE. DC.Author = DUMANIANT, Antoine-Jean Bourlin dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 28/12/2020 à 14:03:00. DC.Coverage = Maroc DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DUMANIANT_BELLEESCLAVE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5745644k DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA BELLE ESCLAVE OU VALCOUR ET ZÉILA COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE, MÊLÉE D'ARIETTES. Musique de M. PHILIDOR. Joué à Paris, sur le Théâtre des petits-comédiens de Monseigneur le Comte de Beaujolais, le 18 septembre 1787, et publiée au profit du sieur MOREL. Prix I liv. 4 s. 1787. PAR M. DUMANIANT. À PARIS, Chez PRAULT, Imprimeur du Roi, quai des Augustins à l'Immortalité. à Paris, sur le Théâtre des petits-comédiens de Monseigneur le Comte de Beaujolais, le 18 septembre 1787. AVERTISSEMENT. Le fond de cette pièce est tiré de trois héroïdes de Dorat. Il eût été facile d'en faire un Drame très touchant : comme chacun à sa manière d'envisager les objets, j'ai préféré de traiter la chose gaîment. Ce petit Opéra a fait fortune au Théâtre des petits comédiens de Monseigneur le comte de Beaujolais ; mais j'aime à convenir que ce succès est entièrement dû à la délicieuse musique dont Monsieur Philidor, en se jouant, a si fort embelli cette bagatelle. PERSONNAGES. SÉLIM, marchand d'esclaves. ALI, esclave et factotum de Sélim. VALCOUR, amant de Zéila. ZÉILA, jeune indienne, esclave de Sélim. FATMÉ, esclave de Sélim. ZISINE, esclave de Sélim. QUATRE MAROQUINS, personnages muets. La scène est à Maroc, dans la maison de Selim. LA BELLE ESCLAVE SCÈNE PREMIÈRE. Valcour, Ali. DUO. VALCOUR, en esclave. Quoi ! Dans ces lieux ! ALI. Oui, dans ce lieu. VALCOUR. Je vais revoir tout ce que j'aime. ALI. N'en doutez pas, c'est elle-même. VALCOUR. Moments délicieux !Je cède à mon impatience, On ne brûla jamais de tant de feux. ALI. Seigneur français, ayez de la prudence ;Un mot peut nous perdre tous deux. Ensemble. VALCOUR. Mon coeur plein de feuxBrûle d'impatience. ALI. Contentes vos feux Et moins d'impatience. VALCOUR. Quoi ! Dans ces lieux ? ALI. Oui, dans ces lieux. VALCOUR. Je vais revoir tout ce que j'aime. ALI. N'en doutez pas, c'est elle-même. VALCOUR. Moments délicieux ! Ensemble. VALCOUR. Ah ! Quelle impatience,Je ne me contiens plus. ALI. Ah ! Moins d'impatience,Où nous sommes perdus. ALI. De par Mahomet, Monsieur le Français, modérer ces transports, ou je romps le marché que nous avons fait ensemble. Quoique vos mille sequins me tentent, je vous avouerai, cependant, que je tiens encore plus à la vie qu'à l'argent que vous me promettez ; et sachez que le patron du logis, le seigneur Sélim, le plus riche marchand d'esclaves de Maroc n'entend pas raison, et qu'il pourrait bien, par manière de conversation, nous faire empaler l'un et l'autre, cérémonie qui, à tout prendre, ne m'amuserait pas autrement. VALCOUR. Mais êtes vous bien certain que celle que j'aime est au pouvoir de ce cruel et avare Sélim ? ALI. Oui. Une jeune personne ? VALCOUR. La beauté même. ALI. C'est à quoi je prends peu garde. VALCOUR. Son nom est Zéila ? ALI. Eh ! Oui, oui. Trouvée dans une île déserte, par un corsaire. VALCOUR. Oui ; dans une île déserte, où je l'abandonnai, après m'y avoir sauvé des horreurs du naufrage. ALI. Oh ! C'était mal à vous. VALCOUR. Mon crime fut involontaire. Un vaisseau monté par un capitaine de ma nation, vient y mouiller... ALI. Vous allez à bord, et pendant que vous faîtes une reconnaissance avec les gens de l'équipage le vent fraîchit, on lève l'ancre, et le navire s'éloigne. VALCOUR. Oui ; voilà ce qui m'arriva. J'eus beau crier, me plaindre... ALI. Le capitaine insensible à vos larmes, fumant tranquillement sa pipe, n'en poursuivit pas moins sa route. VALCOUR. Hélas ! Oui, le cruel! ALI. Zéila sur le rivage, vous tendait ses beaux bras ; mais bientôt elle et l'île disparurent à vos regards. VALCOUR. Qui vous aurait instruit ? ALI. Parbleu ! Vous-même. Vous ne prenez pas garde que depuis vingt-quatre heures que j'ai l'honneur de vous connaître, vous m'avez au moins fait trente à quarante fois le récit de votre roman. VALCOUR. C'est la vérité. Mais mes remords ont bien vengé Zéila. ALI. C'est dans l'ordre, il faut que justice soit faite. VALCOUR. Je viens mourir à ses pieds, ou en obtenir ma grâce. ALI. Elle vous pardonnera, car elle pleure. VALCOUR. ARIETTE.De l'amante la plus chérieDe celle qui n'aimait la vieQu'afin de faire mon bonheur,C'est moi qui cause la douleur !Zéila me croit infidèle, Quand je l'idolâtre toujours.Grands Dieux ! Si je suis haï d'elle,Terminez à l'instant mes jours.Ah ! Si ma faute involontaire,Chère amante, a pu t'outrager, Le tourment gui me désespère,Hélas ! A trop su te venger. ALI. À cet égard, soyez sans inquiétude ; elle est femme, et ce sexe trouve son compte et du plaisir à pardonner. VALCOUR. Je venais pour l'arracher à cet infâme séjour. J'ai fait offrir deux mille sequins pour sa rançon, c'est tout ce que je possède en ce moment, et le barbare me la refuse. ALI. Le barbare n'a pas tant de tort ; il en est amoureux : mais vos mille sequins mont touché l'âme ; ce soir à dix heures, Zéila, vous et moi, serons dans une barque, à dix milles d'ici, ou nous ferons empalés, ou dans un sac au fond de l'eau. VALCOUR. Cruelle alternative ! ALI. Elle n'est pas consolante, à la vérité. VALCOUR. Celle que j'aime périrait par un affreux supplice ! ALI. Ce n'est point elle qui m'inquiète. VALCOUR. Qui donc ? ALI. C'est de moi dont je suis inquiet. Que vous périssiez tous deux dans l'entreprise, à la bonne heure ! Il n'y a rien à dite, vous êtes amoureux, et j'y donne les mains ; mais que moi, qui n'ai presque jamais eu rien à démêler avec l'amour, j'aille vous tenir compagnie en l'autre monde ; cela n'est pas mon avis. N'importe, mille sequins font une fortune pour va pauvre hère qui ne possède rien, et je me hasarde à tout. VALCOUR. Ma reconnaissance... ALI. Je m'en passerai, votre argent me suffit. Sachez seulement vous contenir aujourd'hui. Songez que je vous introduis chez le patron en qualité d'eunuque, et que pour peu que vous vous échappiez, le moins qui peut vous arriver, est de le devenir tout de bon. VALCOUR. Ne craignez rien. ALI. De ce côté-là, ce sont vos affaires. Paix ! Quelqu'un vient. Ce font deux esclaves de Sélim, contentez-vous devant elles. Mais non, retirez-vous ; elles sont clairvoyantes, femmes, et par conséquent indiscrète. Allez m'attendre dans la pièce voisine. VALCOUR. Hâtez, je vous prie, l'instant où je vais revoir tout ce que j'aime au monde ; songez que le bonheur de ma vie en dépend. ALI, le poussant. Eh ! Oui, oui. SCÈNE II. Fatmé et Zisine entrent et suivent Valcour. ALI. Le bonheur de ma vie ! Voilà quelque chose de bien intéressant pour moi ! Qu'il me parle de ses mille sequins, à la bonne-heure ; voilà ce qui touche, voilà ce qui attache, voilà ce qui séduit mon coeur comme le mien. SCÈNE III. Ali, Fatmé, Zisine. ZISINE. Ali, quel est cet homme que je viens de voir ? Est-il de la maison ? ALI. C'est un nouvel esclave dont le patron du logis vient de faire l'emplette. Est-il de votre goût ? A-t-il le bonheur de vous plaire ? FATMÉ. On ne peut davantage. On va donc moins s'ennuyer ici. ZISINE. On n'y voyait auparavant que Sélim et toi, et vous n'êtes pas fort aimables l'un et l'autre. ALI. Il est vrai que nous ne nous en piquons pas. FATMÉ. Tu continueras de cultiver les fleurs du jardin de Zisine, et le nouvel esclave... ZISINE. Aura soin du vôtre, n'est-il pas vrai ? ALI. Vous en disposez toutes deux comme si vous en étiez les maîtresses. Sélim le destine à veiller sur son épouse. C'est un de ces gardiens de sérail : il n'entend rien au jardinage ; mais il chante à ravir. FATMÉ. J'aime peu la musique ; mais il amusera Zisine. ZISINE. Oh ! Non ; je vous le cède. FATMÉ. C'est dommage pourtant. Comme la mine trompe ! ZISINE. Mais, dis-tu, Sélim se marie ? Qu'elle est la femme qu'il épouse ? ALI. Peu vous importe ; il est si laid, si désagréable !... FATMÉ. Mais... Non, pas tant pour un mari. ZISINE. Il est vrai qu'il vaut mieux l'avoir comme cela, que de n'en pas avoir du tout ; et puis il est riche et fort vieux. ALI. Il est vrai ; c'est quelque chose que cela. Si bien donc que si Sélim laissait tomber son choix sur l'une de vous deux ; il ne courrait pas le risque de vous chagriner. TRIO. FATMÉ, à part, à Ali. Cher Ali, je t'ouvre mon âme,L'esclavage est un affront pour moi ;Que ton secours que je réclame, De Sélim m'assure la foi. ALI, à part, à Fatmé. Ah ! Madame, comptez sur moi. ZISINE, tirant Ali à part. Si j'obtiens une préférenceQue Sélim doit à mes attraits,Sois sûr que ma reconnaissance, Cher Ali, ne mourra jamais. ALI, à part, à Zisine. Ah ! Je suis à vous pour jamais. FATMÉ. Je suis bien trompée, ou Zisine Veut avoir Sélim pour époux. ZISINE. Moi ? FATMÉ. Vous. ZISINE. Je vois aussi sans être fine,Que l'obtenir vous serait doux. FATMÉ. Moi ! ZISINE. Vous. ALI. Allons, de bonne grâce,Avouez entre nous, Qu'une fille se lasseDe n'avoir point d'époux. ALI. Je vois à votre mine,Qu'il vous paraîtrait douxDe l'avoir pour époux. FATMÉ, ZISINE. Je vois sans être fine,Qu'il vous paraîtrait douxDe savoir pour époux. FATMÉ. Eh bien ! Au gré de votre envie,Ma chère, épousez-le en ce jour. ZISINE. Eh ! Non, non, ma très chère amie,Qu'il soit le prix de votre amour. FATMÉ. Sans jalousie. ZISINE. Sans jalousie. FATMÉ. Je saurai le voir dans vos bras. ZISINE. Je saurai le voir dans vos bras. FATMÉ, à part, à Ali. Ali, je t'en supplie, Fais qu'elle ne l'obtienne pas. ZISINE, à part, à Ali. Cher Ali, je t'en prie,Hélas ! Ne m'abandonne pas. FATMÉ. Vous êtes si jolie ! ZISINE. Vous avez tant d'appas ! FATMÉ, à part. Elle le croie. ZISINE, à part. Elle s'y fie. FATMÉ. Que vous devez bien l'emporter. ZISINE. Que rien ne doit vous résister. FATMÉ, à part. Que je la hais ! ZISINE, à part. Que je l'abhorre. ALI. Trêve de compliment.Allez, un autre soin encoreDoit vous troubler en ce moment. FATMÉ. Comment ? ZISINE. Comment ? ALI. Quelle humeur est la vôtre ; Soyez d'accord toutes les deux :Cet époux, l'objet de vos voeux,N'est ni pour l'une, ni pour l'autre. FATMÉ. Comment ? ZISINE. Comment ? ALI. C'est Zéila qu'il aime. FATMÉ, ZISINE. C'est Zéila qu'il aime ? ALI. Et qu'il épouse incessamment; FATMÉ, ZISINE. Zéila sait lui plaire ;Nous servirions cette étrangère,Plutôt la mort. ALI. Unissez votre effortPour vous venger d'un tel outrage :Elle l'emporte, c'est un tortQui doit exciter votre rage. FATMÉ, ZISINE. Unissons notre effort Pour nous venger d'un tel outrage :Elle l'emporte, c'est un toitQui doit exciter notre rage. SCÈNE IV. ALI. Bon ! M'en voilà débarrassé. Leur haine contre Zéila leurs petites tracasseries ne sauraient nuire à mes projets ; je les mettrai sous la clef à l'heure du départ. Je suis fâché de ne pouvoir emmener cette petite Zisine avec moi ; elle me revient assez. Je n'ose cependant lui rien confier : elle babillerait, tout serait perdu, et adieu les mille sequins ; et si je suis assez heureux pour les gagner, quelle joie ! Quelle satisfaction ! Je ferai comme tant d'autres. COUPLETS. Riches de la terre, Pour vous, vivre et doux ; Quand tout m'est contraire, Tout s'embellit pour vous. Ah ! Quel sort prospère, Quand matin et soir, On n'a d'autre affaire Qu'a suivre son vouloir. Ah ! Si la fortune Sourit à mes voeux, Sans contrainte aucune Je m'en vais vivre heureux. Que la Parque file Mes jours à son choix, Être gai, tranquille, Seront mes seules lois. Pour couler ma vie Toujours doucement, J'aurai tendre amie Au minois revenant. Serviteur ni maître, Je veux tour-à-tour, Ne voiR, ne connaître Que Bacchus et l'Amour. SCÈNE V. Sélim, Ali. SÉLIM. Bien, bien, Ali ; tu me parais joyeux, cela me fait plaisir. Écoute, tu auras soin de me préparer un festin pour vingt convives : puisque je me marie, je veux faire les choses dans les règles. ALI. Pour vingt convives ! Songez-vous à la dépense! SÉLIM. Je te répète, Ali, que je renonce à l'avarice. Ô béni soit l'instant où j'appris à lire ! Sans ce savant philosophe arabe, j'allais quitter la vie sans goûter ses plaisirs ; j'aurais vécu comme un sot, et je serais mort de même. Voilà quarante ans que j'accumule sequins sur sequins ; le beau plaisir que celui là ! Autant vaudrait-il avoir des pierres dans mon coffre, que de l'or qui ne m'y sert à rien. ALI. C'est ce que j'ai toujours dit. SÉLIM. C'est ce que dit aussi mon arabe. ALI. Et l'arabe a raison. SÉLIM. Cet or amassé va enfin me procurer le bonheur. Avoue-le toi-même, n'étais-je pas bien dupe d'acheter de belles femmes pour les autres ? Je serais mort auprès, sans oser y toucher du bout du doigt. Aussi vais-je bien m'en dédommager ! ALI. Vous vous ravisez un peu tard. Est-il temps de penser à se chausser lorsque le feu va s'éteindre ? SÉLIM. Tais-toi, ta morale me déplaît ; ne songe qu'à exécuter mes ordres ; surtout procure moi vingt flacons de ce bon vin de Chypre. ALI. Du vin ? SÉLIM. Oui, du vin. Si je m'en suis privé jusqu'à présent ; ce n'était que par lésinerie, et je veux devenir prodigue. ARIETTE.Avant de sortir de la vie.Je veux en goûter les plaisirs.Que j'aime la philosophie Qui s'accorde avec nos désirs !Malgré mon âge,Je veux me divertir ;C'est être sageQue de jouir. Que tout ici se réjouisse ;Soir et matinJe veux qu'on chante ce refrain :Nargue ! Nargue de l'avarice,Vive l'amour et le bon vin ! Hem ! Qu'en dis-tu ? ALI. Moi ? Je dis comme vous. Suite en duo. ALI. Oui, je serai votre complice ;Soir et matinJe répéterai ce refrain :Nargue ! Nargue de l'avarice,Vive l'amour et le bon vin ! SÉLIM. Que tout ici se réjouisse ;Soir et matinJe veux qu'on chante ce terrain :Nargue ! Nargue de l'avarice,Vive l'amour et le bon vin ! ALI. Je vous aime de cette humeur, pourvu que cela dure, et que l'avarice ne revienne pas encore s'emparer de vous. SÉLIM. Non, tout est dit ; j'en connais l'abus. Je veux briller, faire figure, monter ma maison comme celle d'un cadi, faire bonne chère comme nos dervis. M'as-tu acheté un eunuque pour veiller sur ma femme ? ALI. Oui, Seigneur ; j'attendais vos ordres pour vous le présenter. Esclave, paraissez. SCÈNE VI. Valcour, Ali, Sélim. ALI. Le voilà : qu'en dites-vous ? SÉLIM. Il a l'air triste. ALI, à part. On le serait à moins. SÉLIM. Combien l'as-tu payé ? ALI. Cinquante sequins. SÉLIM. Mais c'est un marché donné, il en vaut cent comme un... Je songe... Ce gros négociant, mon voisin, m'a prié de lui en procurer un ; conduis-le tout de suite chez lui. Je vais gagner cent sequins de la main à la main. ALI. Ah ! Ah ! Si, Seigneur, ce serait un trait d'avare ! SÉLIM. Tu as raison. Je ne suis pas maître de cela. Allons, je le garderai... Cependant, cent sequins ? ALI. Vous retombez toujours ; je doute que vous vous corrigiez. SÉLIM. Cela ne peut pas venir dans un moment : quarante ans d'habitude... ALI. Enracinent furieusement un vice dans le coeur d'un homme. SÉLIM. Cela part sans que j'y songe. Avertis moi chaque fois que je retomberai. ALI. J'y aurai attention ; et pour commencer à agir d'après votre nouveau caractère, envoyez galamment par votre eunuque, un présent à votre prétendue. SÉLIM. Je vais suivre ton conseil. Approchez discret gardien de la vertu de ma future ; allez dans le jardin cueillir un bouquet que vous irez lui offrir de ma part. VALCOUR. Seigneur, je vole exécuter vos ordres : heureux si la belle Zéila daigne agréer mon zèle, et voir en moi le plus fidèle et le plus fournis de tous les esclaves. SCÈNE VII. Ali, Sélim. SÉLIM. Cette commission paraît lui faire plaisir. Ce drôle-là prend feu comme si... Écoute, Ali, es-tu bien sûr de cet esclave ? ALI. Je me rends sa caution. SÉLIM. Je le laisse sur ta conscience ; en tout cas tu paierais pour lui. Je me sens en belle humeur, vas vite me chercher un cadi, tout ce qu'il me faut, et que tout soit terminé avant midi ; j'en dînerai de meilleur appétit. ALI, à part. Ah ! Diable ; allons tout préparer pour le départ. SÉLIM. Vas exécuter mes ordres. Zéila vient. ALI, a part. Je ne puis la prévenir. SÉLIM. Je ne sais que lui dire ; je n'ai jamais parlé amour. Je vais chercher mon esclave ; le drôle a l'air spirituel, je le chargerai du premier compliment. ALI. Bien imaginé. SCÈNE VIII. Sélim, Zéila, Ali. SÉLIM. Attendez-moi là, Madame ; je suis à vous dans la minute, et je vous dirai quelque chose... par quelqu'un... Oh ! Vous serez contente. ALI. Me pleurez plus, vous allez être libre ; attendez-vous au plus grand bonheur qui puisse jamais vous arriver, et quoique vous voyez, gardez-vous de céder à vos premiers mouvements. SÉLIM. Allons, pars donc, maudit bavard ; tu n'entends rien à cela. Je vais chercher l'autre, Quoi qu'il en soit, séchez vos larmes ; c'est l'instant de rire où jamais. Restez-là, restez-là, je fuis à vous dans le minute. SCÈNE IX. ZÉILA, seule. RÉCITATIF.Ô ciel ! Se pourrait-il ? Quoi ! Ces mortels farouchesCompatiraient à mes douleurs ?Les discours consolants, hélas ! Sont dans leurs bouchesQuand la pitié, peut-être, est bien loin de leurs coeurs...Si de mes pleurs pourtant la source était tarie... Si le ciel finissait mes tourments inouïs ?...Je ne sais... mais je sens que mon âme est remplieD'un doux pressentiment qui calme mes ennui. ARIETTE.Quel espoir ! C'est pour moi l'auroreQui vient m'annoncer un beau jour. Vers l'objet que j'adore,Ne puis-je pas encorÊtre conduite par l'Amour,Hélas ! Une cruelle absenceTient mon pauvre coeur en souffrance ! Valcour ! Que fais-tu loin de moi ?Ah ! Cher amant, rapproche-toi.Quel espoir, etc.Mais qui peut les intéresser à mon sort ? Puis-je croire que la pitié puisse entrer dans des coeurs qui par état, semblent avoir fait voeu de n'en point avoir ? SCÈNE X. Zéila, Valcour, Sélim. SÉLIM, à Valcour. Tiens, la voilà ; tourne-lui cela le plus joliment qu'il te sera possible. TRIO. VALCOUR. De la part d'un amant fidèle. SÉLIM. Oh ! Très fidèle. VALCOUR. Qui n'a jamais aimé que vous. SÉLIM. Jamais que vous. ZÉILA. Où suis je ? Le destin jaloux,M'offre-t-il une erreur cruelle ? VALCOUR. Rassurez-vous. SÉLIM. Rassurez-vous. VALCOUR. De la part d'un amant fidèle,Qui n'a jamais aimé que vous,Recevez cette fleur nouvelle.Sans art comme elleVous êtes belle, Et votre amant,En vous aimant,Dans son ardeur est aussi impie qu'elle. ZÉILA. Est-ce une erreur ? VALCOUR. Ne craignez rien. SÉLIM. Il dit fort bien. VALCOUR. Le printemps de retour De ses dons vient embellir Flore ;Et de même l'Amour,Offre à vos yeux en ce séjour,L'amant qui vous adore. SÉLIM. Cet esclave m'enchante, Et parle bien amour.Eh bien ! Soyez contente,Au gré de votre attenteTout ira dans ce jour. ZÉILA. Votre âme bienfaisante Comblerait tous mes voeux!Quoi ! Nous serions unis tous deux ! VALCOUR, SÉLIM. Oui, tous les deux. VALCOUR. On respire, on vous aime. SÉLIM. Et l'on veut être aimé de même. VALCOUR. On tombe à vos genoux. SÉLIM. Paix ! Notre ami, modérez vous.Tudieu ! Comme il s'enflamme !Respectez mieux la femmeDont je serai l'époux. VALCOUR. Je me trahis moi-même. ZÉILA. Ma surprise est extrême. VALCOUR. Rassurez-vous, ne craignez rien. À part.Calme-toi, sache feindre. SÉLIM. Eh bien ? VALCOUR. Eh ! Seigneur, l'on vous aime. SÉLIM. Je dois être à son gré» ZÉILA. Je vois l'objet que j'aimeMon coeur est rassuré,J'ignoreEncorePar quel moyen mon coeur Retrouve le bonheur. VALCOUR, ZÉILA. Ce n'est point un prestige,L'Amour fait ce prodige :Ce dieu par ses bienfaits,Va combler mes souhaits. Va combler mes souhaits. TOUS TROIS. Il n'est aucun obstacle,Je le sens en ce jour ;Il n'est point de miracleImpossible à l'Amour. SCÈNE XI. Sélim, Valcour, Zéila, Ali. ALI. Seigneur, Zadig vient pour vous payer la demi-douzaine de femmes que vous lui avez vendues la semaine dernière. SÉLIM. Je vais recevoir l'argent de Zadig. ALI. Les gens du Cadi viennent aussi pour traiter avec vous, pour Fatmé votre circassienne. SÉLIM. Tu me conseilles donc de m'en défaire ! ALI. Si je vous le conseille ? Vous allez avoir deux cents pour cent de bénéfice, pour la facture et le droit de courtage. SÉLIM. Je voulais la garder pour moi ; mais à mon âge on en a déjà trop d'une, et puis, l'argent que j'en retirerai va me payer tous les frais de mon mariage. Je vais à eux, je reviens et j'épouse tout de suite. Esclave ? Pendant que je n'y ferai pas, chante lui quelque chose pour la désennuyer. Il fait en sortant un geste d'intelligence à Ali, comme pour lui dire de veiller sur eux. SCÈNE XII. Valcour, Zéila, Ali. ZÉILA. N'est-ce point un songe qui m'abuse ! Est-ce toi, cher Valcour, que j'ai le bonheur de revoir en ces lieux ? ALI. C'est lui-même en personne, amoureux et fidèle ; il vient vous délivrer. ZÉILA. Par quel miracle ? ALI, vite. En deux mots voici l'histoire. On le sépara de vous malgré lui. De retour en France, il s'est rembarqué pour l'île, où il ne vous a pas trouvée parce que vous n'y étiez plus, un vaisseau qui faisait la même route que celui qui vous emmenait, l'a conduit ici quinze jours après vous. Il voulait vous racheter, le patron n'a pas voulu, il m'a propose de vous enlever, j'y ai consenti : nous devions partir cette nuit, nous partirons dans une demi-heure. Le vent est favorable, il pourrait changer d'ici au soir ; les brigantins qui pourraient nous donner la chasse sont tous dehors ; les gens que j'ai conduis ici vont occuper Sélim : nous n'avons qu'un instant, sachons en profiter. Restez ici ; l'on m'attend au port, je vole avertir le patron de la barque, et je viens vous chercher. Tout est prêt pour le départ ; la mer est grosse, le vent est bon, l'occasion est belle : nous avons du courage, de l'amour, de la résolution, de l'argent ; et vogue la galère, nous ne saurions manquer de réussir. SCÈNE XIII. Valcour, Zéila, ensuite Fatmé, Zisine dans le fond. ARIETTE. ZÉILA. Mon coeur, par ta présence,Doucement agite,Goûte la récompenseDe sa fidélité.Ce moment plein de charmes, Où tu reviens pour moi,Me console des larmesQue je versai pour toi. VALCOUR. Si ton amant coupableAvait pu te trahir, Le remord implacableAurait su l'en punir,Loin de toi dans les larmes,Il fut mort sans l'espoir.Pour bannir ses alarmes, C'est assez de te voir. Fatmé et Zisine paraissent. DUO. VALCOUR, ZÉILA. Au sort longtemps barbare,Pardonnons ses rigueurs.Alors qu'il les répareÀ force de faveurs. Si l'amour le plus tendre,Peut rendre heureux un coeur,Qui pourrait mieux prétendreAu suprême bonheur ? SCÈNE XIV. Les précédents, Sélim, et quatre personnages muets. FATMÉ, à Sélim qui entre. Seigneur, vengez-vous d'une infidèle qui vous trahit. ZISINE. Ce beau chanteur supposé, c'est son amant. SÉLIM. Est-il possible ? VALCOUR. Nous sommes perdus ! ZÉILA. Malheureuse ! J'ai causé ta mort. SÉLIM. Ah ! Traître ! Ah ! Scélérat ! Me faire cet affront ! Vouloir me fouiller la première femme que je m'avise d'aimer ! Et vous, la belle pleureuse, vous preniez donc plaisir à la chose ? FATMÉ. Je vous en réponds. Montrant Ali qui entre.Voilà le traître qui a tout conduit. SCÈNE XV ET DERNIÈRE. Les précédents, Ali. ALI, entrant. La barque est prête. Ah ! Que vois-je ? Décampons! SÉLIM, l'arrêtant. Halte-là. C'est toi, perfide esclave, qui tramais tout cela. Tu vas être puni de ta déloyauté. Finale Dialoguée. SÉLIM. Tremblez de ma juste colère. À Ali.Pour toi, maudit faussaire.Ton dos payeraLes frais de cette affaire. ALI. Ah ! J'avais bien affaireD'aller me mêler de cela ? Le joli coup que j'ai fait là ! SÉLIM, montrant Valcour, Vite, que l'on me lieCet insolent. ZÉILA. Seigneur prenez ma vie,Et faites grâce à mon amant. VALCOUR et ZÉILA. Que votre âme attendrie,Soit sensible à ses pleurs,Et que ma mort expieMon crime et mes malheur. VALCOUR, ZÉILA, ALI. Grâce, hélas ! Seigneur, grâce ! SÉLIM. Il faut que justice se fasse. FATMÉ, ZISINE. Montrant Valcour.Pardonnez-lui. Montrant Zéila.Renvoyez-la. SÉLIM. Pour la punir, elle m'épousera. ZÉILA. Qui ? Moi ! Cruel ! SÉLIM. Ma douce amie,Il vous faut en passer par-là.Eh ! Vite, que l'on m'expédieContrôle-la. ALI. Seigneur ! Écoutez la clémence. ZISINE, FATMÉ. Voyez, il est si bon garçon.Grâce ! Grâce ! Seigneur ! SÉLIM. Non, non.Qu'on m'obéisse en diligence. VALCOUR, ZÉILA. De ton courroux,Sur moi seul fait tomber les coups ; Mais épargne son innocence. ALI. Il a de l'or en abondance. SÉLIM. Ceci fait une différence ! ALI. Deux mille sequins que voilà. VALCOUR, offrant une bourse. Prends, délivre Zéila. SÉLIM. Pars, si tu veux, à ce prix-là ;Mais pour elle, elle restera. VALCOUR. Eh quoi ! Monstre. SÉLIM. Tempête, jure ;Vains propos, discours superflus !Parle ; veux-tu, ne veux-tu plus ? Le temps me presse, il faut conclure. VALCOUR. Eh bien ! Monstre fais moi périr. ZÉILA. Âme farouche !Puisqu'aucune pitié ne toucheTon lâche coeur, fait pour haïr. Elle se saisit du poignard de Sélim qui se recule, croyant qu'elle veut le tuer.Le trépas, malgré toi, saura nous réunir. ALI, la retenant. Seigneur ! Elle est femme à le faire.Prenez l'argent, renvoyez-la. SÉLIM. Donne la bourse. ALI. La voilà. Faisant sonner la bourse.Le joli son que celui-là. SÉLIM. Je vous pardonne, plus d'alarmer. VALCOUR, ZÉILA. Nous sommes unis, plus d'alarmes, SÉLIM, faisant sonner la bourse. C'est un beau son que celui-là ;Mais une femme a bien des charmes ! FATIME. Eh bien ! Seigneur, épousez-moi. SÉLIM. Qui ? Toi ! FATIME. Oui, moi ;Tout comme une autre j'ai des charmes. SÉLIM. Elle me tente, par ma foi. FATMÉ. Eh bien ! Seigneur, épousez-moi. SÉLIM. Tope ! Je te donne ma foi. ALI. Pour que chacun à sa chacune,Soit réuni dans ce beau jour,Ma Zisine, il faut à ton tour,À mon sort unir ta fortune. ZISINE. Qui ! Moi ! ALI. Oui, toi ! Tout comme un autre je peux plaire. ZISINE. Tu peux plaire, je le sens bien ;Mais je suis pauvre et tu n'as rien. ALI. L'Amour sera notre soutien. TOUS. Puisque le destin favorable Veut nous combler de ses faveurs,Chantons l'Amour et ses douceurs,Célébrons ce Dieu ton aimable :Seul, il sait combler nos désirs.Il n'est point d'amour sans plaisir Et sans l'amour point de plaisirs. ==================================================