******************************************************** DC.Title = ARGENIS ET POLIARQUE ou THÉOCRINE, TRAGI-COMÉDIE DC.Author = DU RYER, Pierre DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:07. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DURYER_ARGENISPOLIARQUE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111551b DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ARGENIS ET POLIARQUE ou THÉOCRINE TRAGI-COMÉDIE M. DC. XXX par le sieur du Ryer chez Nicolas Bessin, au Palais en la galerie des Merciers, sous le montée de la cour de AidesAchevé d'imprimé ce dixième jour de mai mille six cent trente Représenté pour la première fois en 1630. LES ACTEURS. LICOGENE, prince de Sicile amoureux d'Argenis. OLOODEME, ami de Licogène. ERISTENE, ami de Licogène. POLIARQUE, roi de France, amoureux d'Argenis. GELANORE, son confident. MELEANDRE, roi de Sicile. EURIMEDE, conseiller d'État. SELENICE, gouvernante d'Argenis. ARGENIS, infante de Sicile. FLORICE, damoiselle d'Argenis. TIMONIDE, gentilhomme sicilien. MENOCRITE, capitaine de Licogène. ANAXIMANDRE, son neveu. SACRIFICATEUR. Première troupe des soldats de Licogène. Seconde troupe des soldats de Licogène. Soldats de Méléandre. [La scène est en Sicile.] ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Licogène, Oloodeme, Eristene. ERISTENE. Généreux confidents des secrets de mon âme,Qui se découvre à vous sur un coeur tout de flamme,Véritables amis, dont le soin glorieuxFait honte aux plus parfaits des siècles le plus vieuxEt de qui l'amitié naquit dans la tempête Qu'un malheur éternel assembla sur ma tête,J'adore le destin, dont les sensibles traitsM'ont donné tant de maux, et des amis si vrais,Je crois que sous mes pieds, la fortune asservieA perdu les rigueurs qui traversaient ma vie, Depuis que le démon de nos contentementsMe fit trouver en vous des trésors si charmants,Ce n'est pas sans sujet, que ma voix avancéeVous montre ainsi l'image où se voit ma pensée :Un ami véritable est un trésor bien cher Que le hasard nous donne, et ne peut arracher,Combien en voyons-nous, dont les feintes caresses,Suivent leurs intérêts et non pas nos tristesses,Dont la bouche est de rose, et le coeur est de fer,Et qui n'embrassent point qu'à dessein d'étouffer. OLOODEME. Prince à qui la vertu communique des charmesQui domptent la fortune, et qui brisent ses armes,Quand les cieux conjurés contre tous mes travauxLâcheraient sur moi seul l'influence des maux,Quand l'enfer ferait voir l'horreur de son empire Contre les bons desseins, que la raison m'inspireL'honneur de vous servir me conduira toujoursAu mépris des dangers qui poursuivent nos jours,Et la constance même est bien moins assurée,Que la fidélité que je vous ai jurée. ERISTENE. Puisque le même coeur anime nos deux corpsSes désirs et les miens font les mêmes accords,Me fallut-il pour vous chercher des diadèmes,Ou le malheur a mis les dangers plus extrêmes,Vous me voyez tout prêt à tenter les hasards, Qui se trouvent sans cesse à la suite de Mars.La vertu ne craint rien, quoiqu'on lui fasse accroire,Et toujours ses desseins s'achèvent dans la gloire. LICOGENE. Je ne reconnais plus tous ces desseins guerriersQui dressent nos tombeaux dans un bois de lauriers, Les myrtes de l'amour ont pour moi plus de charmes,Et mon courage cède au pouvoir de ses armes,Le désir de la guerre a perdu ses appas,Le Dieu des combattants s'éloigne de mes pas,Et voyant dans mon coeur qu'un enfant le surmonte Il rougit aujourd'hui moins de sang que de honte. OLOODEME. Jamais Mars, et l'Amour ne furent étrangersDedans un coeur royal qui brave les dangers,L'amour avec lui s'accorde et se modèreDe même que le fils s'accorde avec le père, Et l'on abuse fort des droits de la raisonDe dire que l'amour est dans l'âme un poison,Comme si les grands Dieux qui l'ont mis à leur tableSe nourrissaient au Ciel d'un poison détestable,L'amour est un rayon de la divinité Qui dépouille les coeurs de leur brutalité,Nos corps prennent du Ciel une amoureuse flammeDès le même moment, qu'ils en reçoivent l'âme,Si les esprits humains étaient sans amitiéL'on ne reconnaîtrait ni douceur ni pitié, Nous vivons par l'amour, et même notre vieVient de l'amour qui tient l'âme au corps asservie,Au contraire la mort n'est dedans ses effortsQu'une haine sans fin que l'âme porte au corps. ERISTENE. Il est vrai que l'amour ami de la Nature L'empêche de tomber dedans la sépulture,Sans les feux éternels, qui sortent de sa loiL'univers dépeuplé n'aurait que de l'effroi,Si bien qu'en le chassant du séjour où nous sommes,On se rend ennemi de Nature, et des hommes, Et le vouloir bannir, c'est dire en même tempsQue l'on veut à la terre arracher son printemps.Mais malgré l'ennemi qui leur ferait la guerreL'un et l'autre sont faits pour réjouir la terre,Le monde que l'hiver avait mis en langueur Reçoit dans le printemps sa première vigueur,Et ceux que retenait la faiblesse de l'âgeTrouvent dedans l'amour la force, et le courage,Aussi pour faire voir, qu'il est fort ici bas,L'on nous dit qu'il est né du grand Dieu des combats. LICOGENE. Ainsi l'antiquité gouverna par des fablesLes crédules esprits et les moins raisonnables,Mais la vérité montre à mes soins infinisQu'il est né seulement des beaux yeux d'Argenis,Sa grâce qui me force, et me met à la gêne Me veut faire douter si je suis Licogène,Je prise plus le bien de vivre sous sa loiQue de voir l'Univers assujetti sous moi,Et mon coeur glorieux de porter son imageNe fait plus de desseins, que pour lui rendre hommage. Amis voila l'objet, dont la perfectionAttire tous les voeux de mon affection,Ce n'est point le désir de régner avec elleQui m'échauffe le sang d'une flamme si belleBien qu'un jour la destine au sceptre de ces lieux, Ce titre plein d'appas en a moins que ses yeux,Un véritable Amour se consacre aux personnesBien plutôt qu'à l'éclat des plus riches couronnes. ERISTENE. Le Destin qui vous lie à la race des rois,Vous permet d'espérer Argenis et ses droits, Et votre ambition louable en son extrêmePeut porter vos amours jusques au Diadème. OLOODEME. Rien ne peut empêcher l'effet de vos désirs,Rien ne peut arrêter le cours de vos plaisirs,Aussitôt que le roi connaîtra votre flamme Un mariage heureux soulagera votre âme.L'égalité du sang et de votre grandeurAutorise déjà votre amoureuse ardeur,Et dans ce mariage aussi beau que facileOn puisera des biens pour toute la Sicile. LICOGENE. Il faut secrètement s'instruire là-dessusDes desseins, que le roi peut en avoir conçus,Et lire dans ses yeux, et dessus son visage,Les sentiments du coeur éloignez du langage,Notre front et nos yeux malgré nous indiscrets Sont toujours les tableaux des pensers plus secrets.Allez donc tous deux consulter cet oracle. OLOODEME. Nous vous obéirons et contre tout obstacleOpposant l'artifice, et la dextérité,Nous ferons que bientôt il y sera porté. SCÈNE II. Poliarque, Gelanore. POLIARQUE, tenant le portrait d'Argenis. Confesse avec moi, qu'une si belle imageA mérité l'encens d'un éternel hommage,Et que pour adoucir ces peuples furieuxQue la cruauté même engendra sous les cieux,Il suffit de montrer cette rare peinture Où l'art est en dispute avec la nature,Où le plus digne objet, que les yeux puissent voirDécouvre ses beautés ainsi que son pouvoir,Gelanore vois-tu que sans ouvrir la boucheIl enseigne l'amour à l'esprit plus farouche, Dis-moi, ne sens-tu pas que ce portrait vainqueurSe laisse par tes yeux tomber dessus ton coeur ?Que ton âme s'allume en tes veines glacées,Quelle forme des voeux de toutes tes pensées,Et qu'enfin Argenis mérite plus d'autels Que notre piété n'en dresse aux immortels. GELANORE. Bien qu'il soit assuré qu'un portrait de la sortePuisse ressusciter une personne morte,Que sa grâce ait rendu par des attraits si doux,La terre glorieuse, et le Soleil jaloux, Que votre Majesté m'excuse, et me pardonne,Si je dis que l'amour trahit votre couronne,Et que votre bonheur avec lui douteuxN'en saurait recevoir que des liens honteux. POLIARQUE. Honteux ne sais-tu pas, que c'est une Princesse À qui la Destinée a voué ma jeunesse. GELANORE. Vous aimez en Sicile, et ses sévères loisNient son alliance aux monarques gaulois. POLIARQUE. L'amour dont le pouvoir me livre ses atteintesEst plus fort que les lois, et que les choses saintes. GELANORE. Si vous ne craignez rien pour un Roi comme vousCraignez à tout le moins pour le sceptre et pour nous,Vous ne pourrez jamais abandonner la France,Sans qu'elle perde en vous, sa plus belle espérance. POLIARQUE. J'y laisse des esprits dont les justes travaux Veilleront dans le soin de détruire ses maux. GELANORE. Mais vous n'y laissez point de braves Poliarques. POLIARQUE. Mais en eux la vertu fait voir toutes ses marques. GELANORE. Sire le plus souvent le visage est trompeur. POLIARQUE. Leurs bons déportements dissipent cette peur. GELANORE. Leurs plus fortes raisons mettraient leur industrieÀ rompre ce dessein de quitter la patrie.S'ils voulaient voir ici le repos de l'ÉtatÉloigné des assauts d'un tragique attentat.Un état sans monarque est un vaisseau qui flotte À la merci des vents sans guide et sans pilote,Tout le monde y commande et l'absence d'un roi,Y fait toujours régner le désordre et l'effroi,Un empire sans prince, est comme un corps sans têteOù la corruption facilement s'arrête. Je sais que le prétexte emprunté d'un grand voeuCache aux plus avisés l'ardeur de votre feu.Ils pensent qu'un devoir d'offrandes légitimesVous oblige à porter autre part des victimes ;Mais si le bien public se logeait dans leur sein Ils auraient des raisons contre votre dessein,Et leur facilité suspecte à mon courageNe consentirait pas au cours de ce voyage,Ils diraient que les rois qui sont nos vrais soleilsTraitent avec les Dieux comme avec leurs pareils, Et que quelqu'un commis dans les autres provincesPeut accomplir les voeux, et les désirs des Princes. POLIARQUE. Plus je vois ce tableau, plus mes sens transportésSont forcés de chérir ses muettes beautés.Sans doute, celui-là qui forma cette image Justement idolâtre adora son ouvrage,Que son noble travail eut de téméritéDe vouloir raccourcir une divinité !Il faut, il faut la voir pour comble de ma gloire. GELANORE. Le rapport des tableaux en fait souvent accroire, Et le pinceau flatteur prodigue les appas,Que la nature nie aux objets d'ici bas. POLIARQUE. Au rapport du renom, ses grâces sont sans nombreEt ce rare portrait est moins beau que son ombre. GELANORE. Ce monstre composé d'oreilles et de voix Abuse bien souvent les peuples et les rois,Et sa légèreté qui ne peut rien connaîtreS'accorde aux vains discours de ceux qui le font naître,La plupart de ses voix se donne aux faussetés,Pour ce que l'Univers a peu de vérités. POLIARQUE. Mais puisque mon amour choisit ta confidence,Rejette en ma faveur les soins de la prudence,Approuve mon dessein, et crois que les amours,Qui ne sont rien qu'enfants n'aiment point le discours,Les appas sans pareils de la beauté que j'aime Méritent pour le moins des recherches de même. GELANORE. À quoi que vous vouliez, Sire, me voila prêt,Je suis prêt à mourir, si mon trépas vous plaît,Ainsi que le devoir m'obligeait à vous direLes sentiments que j'ai pour le bien de l'empire, Il m'oblige à vous suivre, et mépriser pour vous,La tempête sur mer et le sort en courroux. POLIARQUE. Aussitôt que la nuit dans sa noire carrièreAura couvert la terre, et défait la lumière,Sans instruire la cour d'un dessein si nouveau Nous nous exposerons à la merci de l'eau,Ni les chiens aboyants sous les ondes de ScilleNi le gouffre conjoint aux bords de la Sicile,Ni tout ce que la mer a de plus rigoureuxNe pourraient divertir ce voyage amoureux, Un généreux amour méprise les disgrâcesEt pour lui les dangers n'ont que de douces faces.Qu'on ne s'étonne point si je quitte nos bordsIl faut passer des mers pour avoir des trésors. SCÈNE III. Meleandre, Eurimede, Oloodeme, Eristene. MELEANDRE. Il est vrai que la loi d'un heureux hyménée Fait revivre les rois dont la gloire est bornée,Il arrête ici bas par son noeud florissantUn peuple légitime et toujours renaissant,Il assure aisément les couronnes tremblantesSon pouvoir adoucit les âmes plus sanglantes, Et ses liens sacreés nous captivent la paixSi sujette à quitter la pompe des Palais,Mais devant que d'entrer sous la loi qu'il nous donneIl veut que l'on l'approuve et qu'on la trouve bonne,Et qu'amour et le temps disposent nos esprits Au désirable effet du dessein qu'on a pris.Il faut suivre partout la voix de la prudenceEt la faire toujours de notre confidence,De là vous pouvez voir mon juste sentiment,Que la même raison autorise aisément. EURIMEDE. Sire vos sentiments sont des oracles mêmes,La prudence établit le bien des diadèmes,Son oeil veille toujours, et va voir les dangersJusques dedans le sein des princes étrangers,C'est l'unique soleil qui chasse les tempêtes Que les séditions élèvent sur nos têtes. OLOODEME. Elle n'est pas toujours la mère du bonheurQu'un Royaume paisible ajoute à son honneur,Bien souvent son conseil trop tardif à paraîtreLaisse périr le bien qui commençait à naître, On connaît qu'il s'envole, et que facilementL'occasion se perd dans le retardement. MELEANDRE. L'occasion renaît pour une telle affairePlus souvent que le jour dessus notre hémisphère.L'amour n'est pas mortel, aussi nos vanités L'ont mis pour ce sujet au rang des déités,Portez donc mon vouloir au prince Licogène,Le temps soulagera son amoureuse peine. ERISTENE. Les divines raisons de votre MajestéRéduisent nos esprits sous votre volonté, Trop glorieux d'avoir consulté des oracles,Dont les moindres discours sont autant de miracles ;Nous nous retirerons avec les désirsDe mourir et de vivre au gré de vos plaisirs. Oloodeme et Eristene se retirent. MELEANDRE. Voyez vous ce que peut l'ambition dans l'âme Et combien Licogène en a tiré de flamme,L'audace est un témoin de son ambition,Et non pas des transports de son affection,Nous savons dès longtemps qu'un amour de la sorteA mis son espérance au sceptre que je porte. EURIMEDE. Bien qu'amour soit tout nu, son pouvoir plein d'attraitsSait triompher de tout avec ses petits traits,Le discours des flatteurs, amis de Licogène,Peut toucher aisément Argenis de sa peine,On déguise l'amour avec tant de couleurs Qu'aux rochers les plus durs, il arrache des pleurs,Jugez donc de là, si des douleurs sans nombreBien que dedans l'effet plus légères qu'une ombre,Si des maux que la feinte aurait faits infinis,N'en pourraient pas tirer de l'âme d'Argenis : Son âge faible encor, est d'autant plus sensibleAux funestes efforts d'une pitié nuisible,Et l'usage ordinaire apprend que la pitiéFait souvent un passage aux traits de l'amitié,Son coeur encore jeune est semblable à la cire Qui reçoit aisément les formes qu'on désire. MELEANDRE. Je veux mettre Argenis dans un château si fortQue l'amour tout armé n'y ferait point d'effort,Un édit solennel en défendra l'entréeQue l'on gardera mieux, qu'une chose sacrée, Et si quelque désir portait les curieuxJusques à visiter la porte de ces lieux,Leur curiosité contre moi criminelleN'y pourra rencontrer qu'un châtiment pour elle. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Silenisse, Argenis, Flocice. SELENISSE, suivie d'une des Damoiselles d'Argenis. Vous qui marchez toujours au dessus du soleil, Qui jouissez d'un bien sans fin et sans pareil,Protecteurs immortels des sceptres de la terreGrands Dieux qui conduisés, et la paix, et la guerre,Faîtes que mon devoir obligé par la loiGouverne heureusement l'héritier d'un roi, Répandez vos faveurs sur cette forteresseOù la nécessité retient une princesse,Fermez cette demeure aux malheureux desseins,Pernicieux enfants des courages malsains,Soyez notre soutien, et que nos sacrifices Rendent à nos désirs vos puissances propices.Et nous mépriserons l'attaque des ennuisAlors que nous aurons de si fermes appuis.Hélas ! que la grandeur si souvent poursuivieA de contraires lois au repos de la vie, Que les malheurs sont longs, que les plaisirs sont coursDans l'orgueilleux séjour de nos royales cours.Et qu'à notre bonheur les vanités funestesDans les coeurs aveuglés sont de cruelles pestes :Mais vous voulez montrer, influences des cieux, Qu'en cela les mortels sont différents des Dieux,Et que la liberté que la nature donneS'évanouit souvent auprès de la couronne.La princesse Argenis ne l'y conserve pasBien qu'elle ait dans son sort rencontré tant d'appas, Sa naissance royale est le sujet uniqueQui lui fait éprouver sa grandeur tyrannique,Et qui la renfermée en un lieu si fatalAux injustes amours d'un prince trop brutal,Ici son coeur est franc de toute inquiétude Les hommes n'entrent point en cette solitude,Et même on défendrait au soleil d'y venirS'il n'amenait le jour pour nous entretenir,C'est ici qu'Argenis éprouve des délicesQue la même innocence exempte de malices, Tout le temps qu'elle emploie est si bien limitéQu'elle ne connaît rien de sa captivité ;Mille jeux différents, et changés à toute heureDéfendent aux ennuis de voir cette demeure,Quelquefois l'arc en main en ces lieux raccourcis, On envoie des traits au devant des soucis,Ou bien selon les pas d'une juste cadence,On fait tourner le temps avec elle à la danse,Ainsi le jour se passe, et l'abord du sommeilSuccède à l'entretien que donnait le soleil, Et sans nous enquérir, si dedans les campagnes ;Mais voici la princesse avec ses compagnes,À quoi donnerez vous le reste de ce jour,Déjà fort éloigné du milieu de son tour. ARGENIS. Nous venons du jardin où la voix de Florice A mis tous les oiseaux dans un même exercice,Le rossignol honteux de céder à sa voixNe se plaint plus du mal qu'on lui fit autrefois,Mais il se plaint de voir qu'une voix le surmonte,Et muet quelquefois il témoigne sa honte, Recommencez Florice, et faites avouerQue je sais sans flatter justement vous louer. SELENISSE. Il faut qu'encore un coup votre voix s'y dispose. FLORICE. À la fin je croirai que je sais quelque chose. CHANSON.Damon, l'honneur de nos bergers, Qui voit les maux et les dangersDevant qu'ils soient sortis des mains des destinées,Rêvant auprès de ses ruisseauxPartout couronnés d'arbrisseaux,Par ces tristes accents menaçait nos années. Ruisseaux, vrais portraits de nos joursVous précipités votre cours,De peur d'attendre à voir l'excès de nos désastres,Mais en dépit d'un cours si promptOn verra rougir votre front Du sang que versera la malice des astres.Bois, où le printemps arrêtéCache sa fraîcheur en été,Vous ne servirez plus qu'au dessein de nous nuire,Puisqu'on verra de toutes parts Que vous aurez fourni de dardsÀ ces Rages d'enfer qui voudront nous détruire.Mais malgré l'orage et les flots,Qui combattent les matelots,On trouve dans la mer des îles fortunées. Et malgré le sort plus mauvaisLe Soleil d'une douce paixDonnera le beau temps à nos tristes journées. SELENISSE. Cet Air est ravissant, mais allons dans le parcExercer votre adresse au maniement de l'arc, Je vous propose un prix qui remplira de gloireCelle à qui ce plaisir destine la victoire. ARGENIS. Allons voir si Florice y ferait des leçons,Comme elle en pourrait faire à dire des chansons. SCÈNE II. Poliarque, Gelanore, arrivés en Sicile. POLIARQUE. À quel Dieu favorable enverrai-je la plainte Qu'arrache à mon esprit une amoureuse atteinte,Hélas ! que ma tristesse a des efforts puissantsDans la diversité des peines que je sens,Mon mal trop violent ne se peut plus contraindreEt je ne trouve plus de plaisir qu'à me plaindre, J'implore le trépas afin de me guérirMais j'en sens les douleurs et je n'en puis mourir,Je ne sais maintenant si je suis en Sicile.Ou sur les flots émus d'une mer indocile,Tant mon coeur agité de soins impérieux Voit naître dans mes sens d'orages furieux.Que profite à l'amour d'avoir prêté ses ailesAu vaisseau qui portait mes flammes immortelles ?Que sert à mes désirs d'avoir passé ces flotsQui ne laissent jamais d'espoir aux matelots, Où des Vents éternels murmurent avec l'ondeDe la perte du ciel, et de celle du monde,Où le bruit fait juger, lorsque nous y flottons,Que Neptune y punit les rebelles Tritons,Que me sert tout cela, si le sort en colère Me refuse l'aspect des beautés que j'espère ?S'il cache mon soleil, et n'offre que des nuitsÀ l'excès importun de mes profonds ennuis.Que me sert que la mer ne m'ait point fait de guerreSi l'orage me perd aujourd'hui sur la terre ? Fortune impitoyable aux voeux de mon amour,Ne verrai-je jamais tes faveurs de retour ?N'assembleras-tu point ton bonheur à la flamme,Qu'un généreux dessein entretient dans mon âme ?Serai-je devant toi le but des déplaisirs, Qui combattent sans fin mes plus justes désirs ?Mais mon amour attaque une aveugle déesseQui ne m'entend pas mieux, qu'elle voit ma tristesse ;Et lorsque je me plains, que pour me mettre en paixLa fortune et l'amour ne se trouvent jamais, La raison attentive à ma seule penséePrend le soin de répondre à mon âme blessée,Que deux aveugles nés en se cherchant toujoursSe trouvent rarement pour joindre leurs secours.Bel objet tout divin, que mon esprit contemple À qui mon coeur captif sert d'autel et de temple,Admirable beauté tu peux donc sans nous voirPousser dedans nos coeurs les traits de ton pouvoir,C'est ainsi que sans voir, les veines de la terre,Le Soleil y produit les trésors qu'elle enserre, Mais il y produit l'or, et toi sans tes regardsTu produits dans mon coeur des fers de toutes parts.À quoi tient maintenant que ma force assouvieN'arrache à Licogène, et l'amour, et la vie,Et qu'un coup généreux n'immole à mes fureurs Cet infâme sujet de toutes mes erreurs ?Et qu'enfin quelque effet n'oblige cet empireÀ me récompenser du bien que je désire ?Mais n'ai-je pas encor résolu ce desseinQue la même raison me met dedans le sein ? Suis-je encore à douter d'en faire une victimeDessus les noirs autels d'une mort légitime ?C'est un point arrêté ce tyran abattu,Tirera de prison la grâce et la vertu.Et dedans peu de temps Argenis dégagée Rendra par son aspect ma peine soulagée. GELANORE. Sire ne croyez pas ces premiers mouvements,Qui ne naissent jamais pour nos contentements,Leur conseil est semblable à ces flammes errantes,Qui se lèvent de nuit sur les ondes courantes, Dont la clarté maligne en nous offrant le portNous mène au précipice, où l'on trouve la mort. POLIARQUE. D'une ou d'autre façon elles seront propicesEn me donnant le port ou bien les précipices. GELANORE. Ainsi qu'après les nuits on voit naître les jours Après ces mouvements la raison vient toujours,Les jours nous font juger de l'horreur des ténèbresEt la raison, combien les fureurs sont funèbres. POLIARQUE. N'oblige-elle pas d'étouffer un lionQui nourrit mon tourment et la rébellion. GELANORE. Elle oblige à cela, mais sa force diffèreLes complots obstinés d'une prompte colère,Non pas pour ruiner un dessein entreprisQuelle inspire elle-même aux généreux esprits,Mais pour leur enseigner les moyens nécessaires À triompher du sort des plus forts adversaires. POLIARQUE. La raison n'a souvent que des retardementsQui trompent nos désirs et nos contentements,Différer ce dessein, c'est prolonger ma peine,Et me le conseiller, c'est s'acquérir ma haine. GELANORE. Le temps peut rendre en fin tous vos désirs contents. POLIARQUE. Je veux avoir de moi ce que j'aurais du temps,Et noyer dans son sang ce monstre que les astresDevraient avoir perdu sous le faît des désastres. GELANORE. Cherchez à votre mal de meilleurs appareils La seule défiance arme tous ses pareils.L'on a vu quelquefois POLIARQUE. Que le courage extrême,A fait trembler la mort sur son rivage même,Mais quel remède as tu, qui me peut soulager ? GELANORE. À la fin la raison le pourra bien ranger. POLIARQUE. Quel effort ouvrirait le château qui recèleCe trésor de beautés à ma flamme éternelle ?Si l'édit, qu'aujourd'hui l'on publiait encorDonne de l'impuissance à la force de l'or ?Hélas ! s'il n'en fallait, qu'une agréable pluie J'arriverais bientôt où mon bonheur s'appuie,Et bientôt Gelanore, on verrait dans l'effetCe que la fable assure au vulgaire imparfait :Jupiter amoureux s'y changerait encorePour jouir de l'aspect des beautés que j'adore. GELANORE. L'espoir est l'entretien d'un légitime amourQui ne paye jamais les services d'un jour,Il faut avoir lavé ses autels de nos larmes,Afin de recevoir les faveurs de ses charmes,Mais l'apparence m'offre un remède assuré Pour guérir aisément tout le mal enduré. POLIARQUE. Quel ! fais-moi voir enfin ce souverain dictameDont la Vertu s'étend jusques aux maux de l'âme. GELANORE. Donnez-vous le loisir d'attendre la saison,Que Selenisse sort d'une telle prison, C'est elle dont les soins gouvernent la PrincesseQue votre élection vous donna pour maîtresse,Et lors par le moyen des dons et du discoursObliger son pouvoir à vous donner secours,Elle sort tous les mois, pour apporter l'offrande Que doivent les mortels au ciel qui la demande.Bien souvent les présents nous ont fait mériterCe que même nos coeurs n'osaient pas souhaiter. POLIARQUE. Pourrait-on la gagner par ce commerce infâme ? GELANORE. C'est assez de savoir que Selenisse est femme. POLIARQUE. Gelanore il est vrai, ton discours me fait voirQu'un peu de patience a beaucoup de pouvoir,L'amour ingénieux présente à ma penséeLe moyen d'adoucir ma douleur insensée,Et cette invention, qui n'a rien de pareil, Me promet une place où reluit mon soleil. SCÈNE III. Licogene, Oloodeme, Eristene. LICOGENE. Endurer cet affront, et montrer un courageInsensible aux efforts, que nous livre l'outrage,Ce n'est pas mériter que le flambeau des cieuxCommunique le jour plus longtemps à nos yeux, Quiconque ne sait pas se venger des injuresDoit être le jouet des traverses plus dures,Il doit être le but des traits plus rigoureuxQue le destin emploie à faire un malheureux,Si même le dessein de se venger console, Que peut faire l'effet, qui suit notre parole,Alors qu'on est réduit dans ces extrémitésLa vengeance est le miel des esprits irrités,Et la raison n'est rien qu'une excuse importuneDe qui la lâcheté déguise sa fortune, Voyez chers compagnons, qu'enfanta la valeurSi je suis combattu d'une juste douleur ?Si mon esprit touché d'un refus si visibleDoit demeurer oisif et se rendre insensible ?Et s'il doit repousser, en épargnant ma main Cet injuste mépris par un autre dédain ?Avoir fait enfermer une beauté si rareTraiter avec moi, comme avec un barbare,Ne reconnaître point mon service et mes veux !Douter de mes transports être froid à mes feux ! Et craindre mon amour ainsi qu'une furie ?Ha mon âme se donne à la forcenerie ;Je dépite j'enrage, et l'amour offenséDemande à se venger de ce père insensé,Si dedans peu de temps quelque effet ne l'accorde, Sa torche allumera celle de la discorde,Et le seul désespoir, dont je suis prévenu,Armera cet amour qui paraissait tout nu.Mais pourquoi différer je veux sans plus attendreDécouvrir ce brasier devant qu'il soit en cendre, Un dessein hasardeux trop longtemps digéréPerd bien de sa vigueur lorsqu'il est différé,Et les premiers transports, qui se servent d'amorce,Sont toujours assurés d'une plus vive force.Il est temps désormais de punir ce mépris Dont le ressentiment allume mes esprits,Et qu'un effet sanglant puisse partout apprendreCe que mes passions voulurent entreprendre.Ne me détournez point du plaisir où je cours,Maintenant ma raison est sourde à vos discours, Et la vertu m'apprend que jamais le courageN'endura que l'honneur soit sujet à l'outrage. OLOODEME. Votre dessein est juste, et notre jugementS'accorde sans contrainte à votre sentiment,Mais afin d'éviter le mal d'une surprise Il faut que quelque force assure une entreprise,Un dessein sans apprêts se tourne bien souventÀ la perte de ceux qui l'ont mis en avant,Et les premiers transports dont vous vantez l'usageDétruisent la raison et trompent le courage, Leur effort est semblable à celui des fiévreuxDont la fausse vigueur n'a qu'un moment pour eux.La gloire de mes mains et l'honneur de mes armes,L'amour beaucoup plus fort que toutes vos raisonsLes met avec moi dans ses dures prisons, Je l'entends maintenant qui blâme ma faiblesseD'avoir ici permis ce discours qui le blesse. ERISTENE. Au lieu de détourner ce dessein glorieuxQui pousse votre nom jusqu'aux voûtes des cieux,Au lieu de condamner une louable envie Dont le prix est toujours préférable à la vie,Je me tiendrais heureux de consacrer mes joursAu service adoré de vos saintes amours ;Mais... LICOGENE. Je vous entends bien, endurez que je viveQue je fasse éclater ma passion captive, Et que si je ne vois l'effet de mon amourMon courage du moins mette le sien au jour,On apprendra partout dedans cette provinceQu'il ne faut pas choquer la colère d'un prince,Sa fureur provoquée est un feu véhément Qui ne peut s'amoindrir, ni manquer d'aliment. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Poliarque en fille , Gelanore, Selenisse. POLIARQUE. Adorons ce beau jour qui tire SelenisseDes soins d'une prison à ceux du sacrifice,Et qui me fera voir un soleil animéQui me brûlant toujours ne m'a pas consommé. Toi qui suis dès longtemps mon destin tout de flammeUnique avec l'amour confident de mon âme,Ne sois pas étonné de voir ce changement,Que la fidélité nous permet aisément.Depuis le premier jour que les attraits des belles Donnèrent à l'amour, du pouvoir et des ailes,Depuis que cet aveugle, auteur de nos tourments,Se baigne dans les pleurs que versent les amants,Et depuis que ses traits domptèrent toutes chosesSa force a bien fait voir d'autres métamorphoses. Les Dieux assujettis montrèrent autrefoisQu'ils n'ont point de pouvoir qui ne cède à ses lois,À l'ombre de ses traits leur grandeur s'humilie,Leur gloire s'affaiblit, et leur raison se lie,Et l'amour qui les rend sensibles à ses maux, En a formé de l'or, et fait des animaux :S'il change donc les Dieux au feu qui les consomme,Vois sans étonnement le changement d'un homme,Et confesse hardiment, que ce maître des dieux,De lourd qu'était l'esprit le rend ingénieux, C'est lui qui me fournit un habit de la sorteQui fait ressusciter mon espérance morte,Qui donne de la force à mes voeux languissants,Et promet une trêve aux maux que je ressens.Je sais que maintenant tu te dis à toi-même Que mon aveuglement passe jusqu'à l'extrême,Alors qu'il fait choisir à mon affectionUn habit si contraire à ma condition,Et tu crois que l'enfance, où l'Amour se veut rendre,L'empêche de juger quel habit il doit prendre : Mais comment voudrais-tu qu'il fut sans jugement,Puis qu'il sait l'arracher à tous également ?Les amours sont tout nus non seulement pour direQu'ils veulent que les coeurs soient nus en leur empire,Mais afin de montrer aux esprits curieux Qu'ils attendent l'habit qui les parera mieux.Si j'ai voulu loger dans mon coeur une fille,N'est-ce pas la raison que ma peine l'habille ?Ou bien que je témoigne à ses chastes beautés,À qui j'ai consacré toutes mes libertés, Que l'amitié nous rend par ses divines flammesSemblables aux objets qu'elle met en nos âmes,Ne t'imagine pas que l'amour m'ait séduitUn Dieu ne peut tromper celui-là qu'il conduit,Ne me remontre plus qu'une faiblesse infâme Se cache bien souvent dessous l'habit de femme,Mais apprends aujourd'hui de l'amoureuse loi,Qu'on habille la force en fille comme moi,Non, non, ne pense pas que le destin dérobeLa force, et la vertu, lorsqu'on prend cette robe, Hercule en cet habit fit voir à la rigueur,Qu'il n'avait pas perdu sa première vigueur. GELANORE. À vous voir aujourd'hui de ceste sorte en terre,Je pense voir la soeur du grand dieu de la guerre,Mais dedans ce dessein qui vous donne la loi, Comment nommerez-vous la fille que je vois ? POLIARQUE. Théocrine est le nom que l'amour autorise,Pour arriver au but d'une telle entreprise.Théocrine entrera sans peine, et sans danger,Où Poliarque seul n'oserait pas songer, Cet habit servira d'effort, de clef, et d'armesPour m'ouvrir le séjour des beautés et des charmes. GELANORE. Gardez que Théocrine oubliant son devoirNe trompe Poliarque, et ne le fasse voir,Mais quel est cette dame avec tant d'artifice. POLIARQUE. À son port sérieux je l'accrois Selenisse. SELENISSE. Quelle est cette étrangère, où la bonne façonPour attirer les coeurs peut servir d'hameçon !Que cherchez-vous ma fille, à quelles destinéesLe ciel oblige-il le cours de vos années ? POLIARQUE. À ces destins cruels, dont les fatales mainsNe travaillent jamais, qu'au malheur des humains. SELENISSE. Quel pays vous reçut, quand la céleste envieVous mit au rang de ceux, qui respirent la vie. POLIARQUE. La France infortunée est le lieu d'où je sors, Qui vit naître mes maux aussitôt que mon corps. SELENISSE. Dans les rudes assauts d'un sort si difficile,Que venez-vous en fin rechercher en Sicile ? POLIARQUE. Nous cherchons Selenisse, en qui les cieux ont faitDe toutes les vertus un ouvrage parfait. SELENISSE. Auriez-vous bien connu dans vos terres étrangesCelle à qui vos discours donnent tant de louanges ? POLIARQUE. Nullement, mais sachez, que la voix du renom,Apporta jusqu'à nous ses vertus et son nom. SELENISSE. Vous la voyez. POLIARQUE. Hé Dieux ! J'abandonne ma crainte, GELANORE. Que l'amour inventif poursuit bien une feinte. POLIARQUE. Si l'humaine pitié réserve quelques pleurs,Qu'elle donne sans fard au cours de nos malheurs ;Vous en qui seulement tout mon bonheur se fonde,Soulagez dans son mal la plus triste du monde, Par ces genoux sacrés que j'embrasse aujourd'huiComme le seul asile, où se perd mon ennui,Madame, recevez les voeux d'une princesseQue les dieux irrités repoussèrent sans cesse. SELENISSE. Ce discours m'épouvante, et me donne un désir, De savoir le suject de votre déplaisir. POLIARQUE. Mais puis-je le compter sans troubler la nature,Au funeste récit d'une telle aventure,Les sceptres n'ont jamais qu'une fausse splendeur,Et les plus grands dangers sont joints à leur grandeur : Que je l'éprouve bien malheureuse, chétive,Que les maux assemblés tiennent comme captive,Vous voyez à vos pieds la fille d'un grand roi,Qui n'a pour tout son train que l'horreur et l'effroi.Et vous voyez la soeur de l'héritier de France, Qui perd avec lui son unique espérance. SELENISSE. Je demeure confuse, et cet événementNe me saurait donner, que de l'étonnement,Achevez ce récit, dont les pointes sévèresObligeraient l'envie à plaindre vos misères. POLIARQUE. Aussitôt que le roi qui me donna le jour,Eut aux lois de la mort satisfait à son tour,Son frère, ou bien plutôt la rage déguisée,Troubla de cent discords la France divisée,Et le mien attaqué des rigueurs d'un poison, Rencontra le trépas dedans sa trahison. SELENISSE. Ô cruauté brutale, hé Dieux, votre puissanceNe s'occupe donc plus à venger l'innocence,Et votre foudre oisif épargne les mortels,Dont le vice établi démolit vos autels. POLIARQUE. Ma mère en fin voyant qu'une même aventureM'allait précipiter dedans la sépulture,Aima mieux pour un temps m'éloigner de ses yeuxQue de plaindre à jamais mon sort injurieux,Elle m'adresse à vous avec cette missive Toute pleine des traits d'une peine excessive,Ou sa plainte provoque un fidèle entretienDe conserver en moi les restes de son bien,Ou son ressentiment que l'injustice offenseInvite vos vertus à prendre ma défense, Jugez des déplaisirs que la mère conçoit,Par les maux infinis que la fille reçoit. SELENISSE. Si le désir suffit à vous donner de l'aideVous pouvez de son choix espérer du remède :Mais quelque volonté, que forme mon devoir, L'honneur qu'elle me fait surpasse mon pouvoir. POLIARQUE. Vos seules volontés me sont beaucoup plus chèresQue le pouvoir d'un autre en mes longues misères. SELENISSE, après avoir lu la lettre. Je vous puis bien offrir un lieu de sûretéJe vous puis assurer de votre liberté, Non pas selon ses voeux vous donner un asileDans le château qui tient l'Infante de Sicile,Le roi que les soupçons n'abandonnent jamaisQui craint à tous moments la perte de la paix,En défendit l'entrée, et destina des peines À quiconque ferait ces entreprises vaines. POLIARQUE. Madame, vous pouvez triompher aisémentDe la difficulté d'un tel empêchement,Je ne veux point douter que le roi ne vous donneUn absolu pouvoir auprès de sa couronne, Puisqu'en vous remettant Argenis en ces lieuxIl a mis sous vos soins ce qu'il aime le mieux :Madame par les pleurs d'une reine affligée,Qu'un astre rigoureux vous veut rendre obligée,Si l'on peut assembler les biens avec les maux, Accordez ce bonheur à mes tristes travaux,Où je ne puis trouver de sûretés en terre,À qui la trahison ne déclare la guerre,Ou bien je ne faits rien, en venant sur vos bordsQue différer l'effet de ses cruels efforts, Puisque son artifice a des secrets sinistres,Qui font partout glisser ses outrageux ministres,Pour le moins conservés ce qu'un peu de loisirEntre tous mes trésors me peut faire choisir. SELENISSE. La pitié de vos maux oblige mes poursuites, À loger avec nous l'honneur de vos mérites,Je ferai que le roi touché de vos malheursVous sera complaisant, et tarira vos pleurs. SCÈNE II. Licogene, Oloodeme, et ses amis . LICOGENE. Amis votre conseil favorable à mon âmeDiffère les effets des fureurs de ma flamme, Et mes justes transports reposent dans mes sensPour se rendre à la fin plus forts et plus puissants,Semblables aux torrents, de qui l'onde forcéeSe laisse captiver d'une fière chaussée,À dessein seulement que leurs flots courroucés Détruisent cet orgueil qui les avait pressés.Tous ces retardements, que je fais par contrainte,Ne passent point chez moi pour témoins d'une crainte,Celui qui suit l'honneur et le prend pour objet,Ne sort point par la peur d'un généreux projet : Et ses complots hardis, animés par la gloireTrouvent partout l'entrée au temple de mémoire.Ce feu sans cesse ardent, de qui je suis atteint,Lorsqu'il semble assoupi, n'est pas pourtant éteint,Il ressemble au soleil toujours plein de lumières, Bien que la nuit le cache à nos faibles paupières,Un brasier amoureux se nourrit dans mon sein,Des désirs d'accomplir un tragique dessein :Mais devant que d'ouvrir les portes de la guerre,Et d'éclater ici comme un autre tonnerre, Je désire hasarder quelque secret effortSur le château qui tient mes amours et mon sort,Je veux qu'un bel effet suive mon espérance,Et ravir Argenis du sein de l'assurance :Déjà ma prévoyance en ce dessein nouveau A séduit des soldats qui gardent le château,Et déjà leur secours utile à mon courageAssure ma poursuite, et me donne un passage,Mais sachant que le roi visite ce séjourJ'en attendrai du temps le désirable jour, Afin qu'un même coup favorable me donne,La Princesse Argenis, le sceptre, et la couronne,Voilà ce que l'amour et ma conditionOrdonnent maintenant à mon ambition,Voilà de mes pensers le tableau nécessaire, Qui ne saurait souffrir l'aspect de son contraire,Et vouloir de mon coeur arracher ces complots,C'est vouloir empêcher que la mer ait des flots. OLOODEME. Notre fidélité pour vous seul occupéeNe peut plus justement employer notre épée, Et dedans ce désir, nous nous plaignons souventDe n'avoir qu'une vie à perdre en vous servant. SCÈNE III. Meleandre, Poliarque, Selenisse, Eurimede. Théocrine et Selenisse se retirent. MELEANDRE. Qui pourrait refuser à l'excès de vos plaintesDe se rendre sensible à leurs vives atteintes,Bien qu'un nombre infini de gouffres et de flots Tienne tout ce pays horriblement enclos,Que des monts nourriciers d'une flamme immortelleN'offrent aux passagers qu'une horreur éternelle,Ces soupiraux d'enfer, où règne le courroux,Ne peuvent étouffer la pitié parmi nous, La rage de la mer qui nous joint, et nous touche,N'apporte rien ici de son humeur farouche,Et les afflictions des plus tristes nochers,Trouvent chez nous des coeurs et non pas des rochersPrincesse apprenez donc hors des dangers extrêmes, Que ceste île en ces bords n'a plus de Polyphemes,Mais quand par des efforts, et des effets diversLa pitié serait morte en tout cet univers,Quand son éclat éteint ne pourrait plus paraître,Vos malheurs sont si grands qu'ils la feraient renaître. J'accorde à vos attraits, que les pleurs ont ternis,Une place au château qui conserve Argenis,Je veux que le repos, qui la rend assurée,Partage avec vous sa faveur désirée,Et qu'elle ait pour compagne en cette sûreté Une grande Princesse et la même beauté. POLIARQUE. Grand roi l'honneur des rois, je serai trop contente,Si le titre d'esclave y borne mon attente,Et dedans cet état, que je crois bienheureux,Le destin cessera de m'être rigoureux, Ma fortune y perdra cette funeste envie,Qui fait aimer la tombe et mépriser la vie,Et ses traits ennuyeux qui me suivent toujours,Se changeront en fleurs en ce lieu plein d'amours. MELEANDRE. Tant qu'un cruel destin vous tirera des larmes, Tant qu'il n'aura pour vous que de rudes alarmes,Je veux absolument, que vous soyez iciCompagne d'Argenis sans l'être du souci,En dépit des rigueurs des plus grandes misères,L'espérance adoucit leurs pointes plus sévères, Le ciel bien qu'irrité ne fait rien qu'à dessein,Même alors qu'il nous met la mort dedans le sein. POLIARQUE. Hélas ! Sire, il est vrai, le ciel sourd à ma peinePermit que le malheur me mit en cette gêne,À dessein de montrer aux malheureux mortels Que votre piété mérite des autels,Que vous êtes enfin le plus doux des monarques,Où la vertu grava ses plus fidèles marques. MELEANDRE. Je ne fais rien à quoi notre humaine amitiéN'oblige mon pouvoir ainsi que ma pitié, Puis qu'un arrêt du ciel nous rend les infortunesÀ tous également fatales et communes,Sa force doit aussi faire voir entre nousUne sainte pitié, qui soit commune à tous.Selenisse menés cette dame affligée, Où sa condition se verra soulagée,Et qu'elle soit traitée avec autant d'honneur,Qu'un misérable sort lui ravit de bonheur. SELENISSE. Votre commandement, et votre seule envie,Sont les plus belles lois qui captivent ma vie. MELEANDRE. Ce n'est pas seulement chez les Siciliens,Où le désir du sceptre a porté ses liens,L'exemple infortuné de cette pauvre dameEnseigne que ce feu découvre ailleurs sa flamme,Et que la cruauté, l'horreur, la trahison, Abolissent partout les droits de la raison,Le vice est le plus vieux des objets de ce monde,Sa force croît toujours, sa vieillesse est féconde ;Et la vertu mourante, a perdu les appas,Qui tiraient les humains de l'oubli du trépas. EURIMEDE. Si nous songions au mal, qui nous poursuit sans cesse,La seule prévoyance en serait la maîtresse,Ou si nos faibles soins ne pouvaient détourner,Ce qu'un mauvais destin nous voulut ordonner,Du moins les maux prévus ne pourront nous surprendre, Comme toujours munis, et prêts à nous défendreLes plus cruels malheurs ont des traits languissantsLorsque la prévoyance y prépare nos sens,Elle arrache aisément à la misère appriseLa première vigueur qu'elle a dans sa surprise, Et peut heureusement affranchir un étatDes désordres sanglants d'un funeste attentat. MELEANDRE. Le moyen d'empêcher que ces âmes blesséesContre notre repos ne portent leurs pensées. EURIMEDE. Si l'on ne peut dompter leurs pensers imparfaits On peut en empêcher les tragiques effets,Le secours toujours prêt d'une légère arméeSerait un puissant frein à leur rage animée,À son fatal aspect les esprits mutinésPerdraient dedans l'effroi leurs desseins obstinés, Comparables à ceux, qui portent leurs blasphèmes,Et leurs impiétés jusqu'au sein des dieux mêmes,Mais qui changent d'humeur aussitôt que leurs mains,D'un foudre menaçants étonnent les humains. MELEANDRE. Lorsque l'aveuglement passe jusqu'à nos âmes, Que la raison n'a plus de clartés ni de flammes,Nous ne croyons plus rien que les sottes erreurs,Dont le dérèglement entretient nos fureurs. EURIMEDE. La plus grande vigueur, les meilleurs artifices,Que la rébellion promette à ses complices, Et ses plus grands secours ne peuvent consister,Qu'en ce qu'elle surprend ceux qu'elle veut dompterAyant toujours connu que telles entreprises,Portent l'étonnement dans les âmes surprises,Et que l'effroi ravit aux plus braves humains Le jugement de l'âme, et les armes des mains :Si bien que l'entretien des troupes toujours prêtesDissiperait l'horreur de toutes ces tempêtes,En ôtant la surprise à la rébellion.On ôterait aussi la force à ce lion, Et cette prévoyance, à qui les infortunesSe rendent par respect rarement importunes,Ferait un corps sans bras de la sédition,Toujours plein de désirs et jamais d'action. MELEANDRE. Si ce conseil propice au cours de nos affaires, Faisait voir chez les rois ses effets nécessaires,On ne verrait pas tant de trésors épuisés,De palais démolis, ni de sceptres brisés,Mais ayant découvert vu ce céleste remède,Je désire assurer mon sceptre de son aide, Et sur vos bons avis établir désormais,Les plus sûrs fondements d'une éternelle paix. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. LICOGENE, et ses confidents. Enfin selon mes voeux la fortune prospèreA mis en même endroit Argenis et son père,Dont le mauvais destin le loge en ce château, Pour lui faire trouver son lit et son tombeau,Déjà les miens poussés d'un courage fidèleEscaladent les murs qui captivent ma belle,Et l'ombre complaisante à mes soins amoureuxCouvre fidèlement mon dessein généreux, Toute chose consent à ma longue poursuite,Pour m'ôter des tourments où mon âme est réduite,L'univers engagé dans le sein de la nuitRespecte le silence et condamne le bruit,La lumière s'est fait un passage dans l'onde Pour aller visiter l'autre face du monde ;Les soldats endormis ont obligé leur sortAu paisible pouvoir du frère de la mort ;Et tous les immortels et les hommes sommeillent,Si ce ne sont les miens, que mes flammes réveillent, La Lune, dont l'aspect me serait ennemi,Caresse plus longtemps son amant endormi,Et prend quelque faveur de ce dormeur qu'elle aime,Cependant que ma peine en recherche de même,Toi dont les yeux brillants font couler dessus nous Et les biens, et les maux, et l'amer et le doux,Déesse ténébreuse, et mère du silence,Redouble ton ombrage à notre violence,Et cache tous les feux de ton noir vêtement,Celui de mon amour me suffit seulement, Pour trouver un soleil au travers de tes voiles,Nous n'avons pas besoin de petites étoiles,Puisque les moindres feux d'eux-mêmes se font voirUn soleil plus ardent aura bien ce pouvoir,Mais allons de ce pas sur la place assignée Attendre ce bonheur de notre destinée,J'espère que bientôt nos desseins réussisM'arracheront du coeur les soins et les soucis. SCÈNE II. Poliarque, Argenis, et ses filles, Selenisse, première troupe des soldats de Licogène. Il arrache une épée au premier qui se présente. POLIARQUE, seul déguisé en fille dans le château. Agréable prison, qui tiens dans ton espaceLe plus parfait objet, où respire la grâce, Où les perfections animent les trésorsQue prodigua le ciel à former un beau corps,Que tes liens sont doux, que tes chaînes sont bellesEt propres à dompter les âmes plus rebelles,Quant je vois tant d'attraits et de feux glorieux Sur un même visage et dans les mêmes yeux,Et sentant les effets de leur flamme divineDans ce ravissement mon esprit s'imagine,Qu'une éternelle nuit doit couvrir l'horizon,Puisque ce lieu retient le Soleil en prison, La Nature a rendu cette place si forte,Pour garder le plus beau des trésors qu'elle porteC'est ici que l'Amour déchu de tous ses droitsSe trouve enfin captif dessous ses propres lois,Je le vois dans les yeux de celle qui m'enflamme Qui tâche à se loger et vivre dans son âme,Et toujours je l'entends qui me dit en ce lieuQue je suis trop hardi d'être rival d'un dieu,Et qu'étant né mortel le transport qui me presseMe rend coupable et fou d'aimer une déesse ; Mais s'il croit en cela, que je sois insensé,Que peuvent ses raisons sur un esprit blessé ?N'est-il pas comme moi dans la mélancolieD'être si raisonnable avec ma folie.Non non, c'est sans sujet, qu'un soupçon envieux Me fait ainsi parler du plus puissant des dieux,Hé ? quoi pensers ingrats, n'avez vous peu connaîtreQu'il est le seul auteur du bien que je vois naître ?Et qu'il est seulement dans les yeux d'ArgenisPour disposer son âme à mes feux infinis, Déjà de beaux effets m'assurent qu'il s'emploieÀ mettre ici d'accord ma fortune, et la joie,L'amitié d'Argenis flatte déjà mes sensDe l'espoir de guérir des maux que je ressens,Tous les plus grands plaisirs, que le ciel lui destine, Lui semblent imparfaits sans avoir Theocrine,Elle me dit souvent sans malice et sans fard,Qu'elle craint plus la mort, que mon triste départQue je suis de ses maux le souverain remèdeQue je suis tout son coeur, qu'enfin je le possède, Et que puisque le sort me fait présent du sien,Pour vivre heureusement il lui faudrait le mien,Vivez donc sans ennui, beau sujet de ma flamme,Puisque vous possédez et mon coeur et mon âme,Ainsi l'amour tarit les ruisseaux de mes pleurs, Et présente à mes voeux son carquois plein de fleurs,Mais que me servira ma poursuite amoureuse,Si l'on ne m'aime ici, qu'en fille malheureuse. ARGENIS. Vous plairez vous toujours d'entretenir ainsiL'importune vigueur d'un rigoureux souci, Il faut enfin quitter vos plaintes et vos larmes,Et que votre entretien nous redonne ces charmes, POLIARQUE. Me voilà toute prête à vos commandements,Je ne respire rien que vos contentements. ARGENIS. Reprenons maintenant l'agréable aventure, De qui votre discours nous a fait l'ouverture. SELENISSE. C'est assez discourir, il est temps que le bruitNous laisse disposer du repos de la nuit,Déjà l'heure nous presse, et le somme convieÀ prendre les faveurs qu'il donne à notre vie, La nuit est arrivée au milieu de son tour,Je crois que vous voulez en faire un autre jour. ARGENIS. Ma mère excusez-nous, cette histoire finiePortera dans le lit toute la compagnie. SELENISSE. Réservons ce récit à faire une autre fois. ARGENIS. Je ne pourrais dormir si je ne le savais. POLIARQUE. Mais à peine je puis remettre en ma mémoireLe point où nous étions demeurés de l'histoire. ARGENIS. Vous en étiez au point, qu'un dessein sans raison :Après beaucoup d'ennuis mit la fille en prison. POLIARQUE. L'amant désespéré d'un affront si sensibleÀ la fidélité d'un amour invincible,S'abandonne à la plainte, et ses cris furieuxÉpouvantent la terre, et menaient les cieux :Le désespoir l'emporte à sa dernière rage, Toutefois il veut vivre, et venger cet outrage.Il dit qu'il n'aime plus, et ses feux trop ardentsQui paraissaient dehors se cachent au dedans,Il feint un grand voyage, et qu'en changeant de terreIl chassera l'amour, qui lui faisait la guerre, Mais au lieu de pays, il changea seulementSa parole son nom, et son habillement,Si bien qu'il fit en sorte après beaucoup de peinesQui rendirent cent fois ses espérances vaines,Qu'il fut pris pour servir celle à qui les amours Avaient déjà voué son service, et ses jours.Que diriez vous Madame après cette entreprise ? ARGENIS. Que le seul désespoir bien souvent favorise. POLIARQUE. N'eussiez vous pas puni cette témérité ? ARGENIS. J'eusse excusé l'amour et sa fidélité. POLIARQUE. Je n'aurais pas souffert cette injuste licence. ARGENIS. Pourquoi ? Si son amour était dans l'innocence ? POLIARQUE. C'est là mon sentiment, qui n'a jamais appris,Ce que peut l'amitié sur les faibles esprits. SELENISSE. Vous parlez sainement en parlant de la sorte. Mais d'où vient ce grand bruit, on enfonce la porte !Que veulent ces soldats ! ARGENIS. Ils s'adressent à moi. PREMIÈRE TROUPE DES SOLDATS DE LICOGÈNE. Madame vous viendrez. POLIARQUE. Ministres de l'effroi,Traîtres vous mentirez, et de vos propres armes,Je mêlerai bientôt votre sang à ses larmes. SELENISSE. Au secours, au secours, que ses coups sont certains !Quelqu'un des Dieux gouverne et sa force et ses mains. POLIARQUE. Assassins vantez vous dans les nuits éternelles,Qu'une fille y poussa vos âmes criminelles,Rassurez vous Madame, et voyez de leur flanc Sortir pour les noyer des rivieres de sang,Mais quelque bruit encor vient toucher mon oreille. ARGENIS. N'attenterait-on point sur le roi qui sommeille ? POLIARQUE. Si quelque audacieux est encore debout,Mon courage, et ce bras en viendront bien à bout ; Renfermez vous Madame, et chassez votre crainte. SELENISSE. Immortels qui voyez une si rude atteinte,S'il est vrai que les rois soient des dieux ici basSecourez vos pareils qui vous tendent les bras. SCÈNE III. Meleandre, seconde troupes des soldats de Licogène, Poliarque. MELEANDRE, dans son lit. Cruels exécuteurs d'une infernale envie, Le moment de ma mort vous coûtera la vie,Ha ! la force me manque et mon corps languissantNe me saurait fournir qu'un effort impuissant.Grands Dieux ! SECONDE TROUPE DES SOLDATS DE LICOGÈNE. Ils ne sauraient empêcher que la ParqueNe vous porte du lit en la mortelle barque. POLIARQUE. Que faîtes vous cruels vos desseins odieuxRencontreront ici la justice des dieux. SECONDE TROUPE DES SOLDATS DE LICOGÈNE. Une fille ne peut nous vaincre par ses charmes. POLIARQUE. Mais elle pourra bien vous vaincre par vos armes. MELEANDRE. Quel miracle est-ce là ? Quel secours à mes maux ? Une fille étouffer ces monstres infernaux ! POLIARQUE. Ces traîtres surmontées, ces parricides pestesReçoivent le loyer de leurs rages funestes,Mais songez maintenant à vous fortifier,Il faut craindre le sort et ne s'y pas fier, Cependant mes travaux aidez de mon courage,Vont partout dissiper le reste de l'orage. MELEANDRE. Puissant maître des dieux, d'où relèvent les roisDe qui nous empruntons nos sceptres et nos droitsQuel encens, quels autels, quelles justes offrandes Rendront à ses faveurs des grâces assez grandes ?Si j'offre mon pouvoir à vos sacrés genouxJe ne vous offre rien qui ne vienne de vous,Mais puisque ma grandeur n'a que de l'impuissance,Vous n'aurez que des voeux de mon obéissance. Il parle à ses gardes qui entrent.Infidèles soldats, vous voila préparésÀ chasser les dangers lorsqu'ils sont retirés,Quel assoupissement, ou bien plutôt quels charmesRetenaient le devoir qui m'oblige vos armes ?Mais suivez Theocrine, et qu'on n'épargne rien À me faire trouver un si précieux bien,Vous aurez assez fait si votre utile peineAprès tant de périls me la ramène saine. SCÈNE IV. Poliarque, Argenis, Selenisse, Meleandre. POLIARQUE. Princesse il n'est plus temps de contraindre l'Amour,Dessous ce vêtement qui le cachait au jour, Enfin il ne faut plus se feindre de la sorte,Ou le sexe dément cet habit que je porte,Non, je ne suis pas fille, et des faits si puissantsOnt peut-être déjà désabusé vos sens,Au moins il ne se peut qu'une telle victoire Ne fasse voir au roi ce que vous devez croire,Et que ses yeux témoins des maux que je domptais,Me prennent plus longtemps pour celle que j'étais ?Craignant donc que l'effroi d'une telle tempête,Ait réservé son foudre à tomber sur ma tête, Madame je vous quitte, et vous laisse la foiEt le coeur amoureux d'un esclave, et d'un roi,Esclave des beautés que vos vertus méritent,Et roi de ce pays où les français habitent,Mais devant que le ciel m'éloigne de vos yeux, Pardonnez à l'amour qui me mit en ces lieux,Mon crime est un effet de sa haute puissance,Que les dieux ont commis sous son obéissance ;C'est plutôt un effet de vos attraits vainqueurs,De qui l'amour se sert à surprendre les coeurs, Pouvez-vous donc blâmer l'apparence d'un crime,Dont vous avez été la cause légitime.Mon nom est Poliarque, et mes plus grands plaisirs,Consistent maintenant à suivre vos désirs,Tous vos commandements, après qui je soupire, Me seront bien plus chers que les droits d'un empire :Voulez-vous que je meure, et que ce bras contentQui vous vient de sauver me perde au même instant ?Voulez-vous que ce fer, Amour, et mon courageVous montrent sur mon coeur votre céleste image ? Suis-je enfin criminel, et ma téméritéAurait-elle offensé votre divinité ?Parlez, parlez, Déesse, ou si j'en suis indigne,Permettez à vos yeux de m'en donner un signe,Et lors j'aurai la gloire en me donnant la mort, D'avoir puni celui qui vous a fait du tort. ARGENIS. Dans cet étonnement ma parole refuseD'exprimer les pensers de mon âme confuse ;Dormez vous, Theocrine, en tenant un discoursContraire de tout point à l'honneur de mes jours ? Où malgré vos raisons ma honte se remarque ? POLIARQUE. Theocrine n'est plus où paraît Poliarque,Conservez à mes feux découverts à leur tourLe bien que Theocrine avait dans votre amour. ARGENIS. Que j'aime un criminel dont l'homicide envie Pour perdre mon honneur me vint sauver la vie. POLIARQUE. Il lui présente une épée.Si je suis criminel, tenez voilà de quoiMe punir d'un forfait commis sous votre loi. ARGENIS. Ce fer ne suffit pas, il faut qu'un juste foudreEn prenne la vengeance et vous réduise en poudre, POLIARQUE. Le foudre sans pouvoir à l'égal de vos yeuxEn laisse la vengeance à leurs traits glorieux. ARGENIS. Ai-je évité la mort pour trouver une peineDont l'atteinte fatale est bien plus inhumaine ? SELENISSE. Pour qui dois-je parler ? Le voulant pour tous deux, Je ne saurais parler ni contre, ni pour eux. ARGENIS. Que ferai-je réduite à cette inquiétude ?Dois-je payer un bien par une ingratitude ?Deux extrêmes puissants agitent mes espritsDe leurs émotions également surpris, La crainte et le devoir me viennent entreprendre,Et ma raison ne sait de quel parti se rendre,Elle flotte inconstante avec son pouvoir,Et n'oserait blâmer la crainte ou le devoir ;Le devoir nous apprend aux maux qui nous martyrent, Que nous devons l'amour à ceux qui nous en tirent,Et la crainte qui suit remontre à mon bonheur,Qu'une Amour de la sorte offense mon honneur :Tristes ressentiments d'une fille avisée,À qui rejoindrez-vous ma raison divisée ? À qui vous la joindrez, hélas n'en doutez plusL'aspect de ce plaisir rend vos soins superflus,Je ne vous puis haïr sans être plus cruelleQue l'attentat mortel d'une troupe infidèle,Le ciel dont la faveur voulut vous employer Ne veut pas qu'un mépris vous serve de loyerIl vous a fait verser ce sang en cette placeÀ dessein seulement d'en signer votre grâce. POLIARQUE. Permettez vous enfin à mes profonds soupirsDe céder devant vous à l'espoir des plaisirs ? Que vos discours sont forts de me rendre la vieQue leur sévérité m'avait déjà ravie,Ils réparent le mal qu'avaient fait vos rigueursEn me faisant mourir avec tant de langueurs. ARGENIS. Vos mérites vivront toujours dans ma mémoire. POLIARQUE. Ô Salaire, cent fois plus grand que ma victoireÔ favorable amour, qui se sert de la nuitPour faire mieux reluire un feu qu'il a produit. ARGENIS. Mais de peur que le roi découvre votre audace,Sortez de ce séjour où le sort vous menace. Certain avec moi que cet exploit guerrierCouronne vos vertus de myrte et de laurier,Et lorsque le grand bruit aura fermé sa boucheÀ ce que nous fit voir un dessein si farouche,Présentez-vous au roi comme jeune étranger Que pousse dans l'honneur le mépris du danger,Et sans rien emprunter du fait de TheocrineSignalez en tout lieux votre force divine. POLIARQUE. Je vois dedans vos yeux, et dedans vos discoursDes liens et des lois, que je suivrai toujours, Je vous quitte, Madame, et mon esprit me laisseDe peur de partager avec moi ma tristesse :Si déjà mille maux m'attaquent devant vousPourrai-je loin d'ici résister à leurs coups ?Hé Dieux peut-on trouver de si cruels supplices, Où règne la douceur avec les délices ?Maintenant dans mon coeur les amours sont en pleursIls empruntent ma voix pour dire leurs douleurs,Et contraints par eux-même aujourd'hui de me suivreSe plaignent de quitter celle qui les fait vivre, Et s'ils n'espéraient rien du sceptre que je tiensVous les verriez mourir dans leurs propres liens. Poliarque s'en va. SELENISSE. Que faites-vous madame en ce dessein contraire ? ARGENIS. Ce qu'un juste devoir me commande de faire ;Ce que tous les démons dégagés de leurs fers Voudraient même exercer dans l'horreur des enfers. SELENISSE. Étouffez cet amour qui séduit l'innocence,Il paraît toujours faible au point de sa naissance,Le plus léger effort, qu'on lui fasse en naissantDésarme son pouvoir et le rend impuissant. ARGENIS. Il est tel en naissant dans nos âmes blesséesLorsqu'un faible sujet le monstre à nos pensées,Mais le mien a des traits si justes et si fortsQue même la raison approuve ses efforts. SELENISSE. Alors que ce tyran du bonheur de nos âmes Fait offre à nos désirs de ses premières flammes,C'est un soleil d'été qui caresse les fleursAu point que son réveil modère ses chaleurs,Mais qui montre à midi, que ses rayons superbesGâtent l'honneur des fleurs, et font pâlir les herbes, L'amour n'est que douceur dans son commencement.Mais on éprouve en fin que ce n'est qu'un tourment,Quand il a pris un coeur, quelque effort que l'on fasseIl fait voir qu'il sait bien en défendre la place. ARGENIS. Aussi ne veux-je pas qu'il en sorte jamais Quelque fâcheux ennui qu'il m'offre désormais. SELENISSE. Aimer un inconnu ! Vous pouviez bien MadameLui faire un autre don que celui de votre âme.Et croire un étranger qui flatte son ardeurDu titre imaginé d'une feinte grandeur, Madame, songez y. ARGENIS. Mon amour se limiteAu défaut de ce titre (à son rare mérite)Si je doutais du rang dont il veut s'honorer,Son courage royal m'en pourrait assurer. SELENISSE. Un désir téméraire indigne de louanges Nous porte bien souvent à des effets étranges. ARGENIS. Téméraire ou prudent, qu'importes si la mainNous tire du danger d'un trépas inhumain ? SELENISSE. Puisque ma voix se perd, et que le vent l'emporte,Considérez la fin d'une amour de la sorte, On connaîtra bientôt vos desseins indiscrets,L'amour n'est pas de ceux qui se tiennent secrets. ARGENIS. Ma mère pouvons-nous sans paraître barbaresNier si peu de chose à des biens faits si rares ? SELENISSE. Comment si peu de chose ? Hà ! vous ne savez pas Combien le don du coeur nous cause de trépas,Ce n'est pas un présent de légère importance,Puisque nous en faisons si longtemps pénitenceMadame croyez-moi, ces frivoles amoursVous rendront misérable et terniront vos jours. ARGENIS. Que votre voix m'accuse, ou bien qu'elle me flatteJ'aime mieux demeurer misérable, qu'ingrate :Le poison de la mort distillé dans mon seinPeut bien m'ôter la vie, et non pas mon dessein,Montrez-vous seulement et fidèle, et discrète Aux premières ardeurs de ma flamme secrète. SELENISSE. Puisque vous le voulez mais le roi vient à nousTout étonné du bruit, qui s'est fait parmi nous ! MELEANDRE. Avez-vous ressenti l'insolence brutaleQu'animait à ma perte une rage fatale ? ARGENIS. La main de Theocrite ardente à nous vengerA délivré nos jours de ce commun danger,Et si nous respirons en dépit de l'envieNous lui devons le bien d'une seconde vie. MELEANDRE. Ô fille généreuse ! et sortie autrefois De la race des Dieux, non de celle des Rois,Tu peux bien disputer au démon de la guerreLes autels et l'encens qu'on lui donne sur terre :Son bras, son même bras a délivré mon sortDu plus triste appareil d'une tragique mort, Ne pourrai-je point voir cette belle guerrièreQui nous a conservé la céleste lumière ? ARGENIS. Après cette défaite, où son bras empêchéA cueilli des lauriers dans ce sang épanché,Nous la vîmes sortir sans aucune parole Bien plus légèrement que l'oiseau qui s'envole. MELEANDRE. Mais voici mes soldats ; les ennemis battusNe m'ont-ils point ravi ce miroir de vertus ?Vous ne l'amenez point ? SOLDATS. Sire, on ne la point vue.Il semble que la nuit la couvre d'une nue, Nous n'avons rien laissé partout dedans ces lieuxOù la loi du devoir n'ait occupé nos yeux. MELEANDRE. Une divinité sous ces habits couverteDélivre la Sicile, et détourne sa perte,Et Pallas elle-même employa sa valeur À briser devant nous les traits de ce malheur,Dieux sans vous offenser, on ne saurait pas croireQue quelque force humaine en ait eu la victoire,Non il fallait un Dieu pour chasser tant d'horreur,Qu'accompagnait ici la force et la fureur, Mais afin de montrer, que l'on sait reconnaîtreLes faveurs que le ciel a voulu faire naître,N'ayant rien de plus cher à rendre aux immortelsMa fille je vous offre au pied de leurs autels,Je veux que désormais votre jeunesse serve À l'office divin du Temple de Minerve,Ne me refusez pas un tel contentementJusqu'à ce que le ciel en dispose autrement,Les autels embrassez vous seront un asileOù vous éprouverez votre destin facile, Et nous ne craindrons plus ses complots furieuxAlors que vous serez en la garde des dieux. ARGENIS. Sire le plus grand bien, qui suivra ma jeunesse,Est l'honneur de servir une telle déesse. MELEANDRE. Mais il faut cependant que des soins plus pressés, Ferment la porte aux maux qui nous ont menacés. SCÈNE V. LICOGENE accompagné des siens. Infâmes, ce château ne reçut de vos armesQu'une légère atteinte et de faibles alarmesLa même lâcheté compagne de vos pasÉtonna vos esprits de la peur du trépas : Suffisait-il d'avoir dans votre âme parjureLe désir de venger mon amour d'une injure ?Ha ! vous deviez porter d'un courage inhumainLa vengeance dans l'âme et ses effets en main :Mais vous ne voulez pas cruelles destinées Qu'un bonheur si soudain se mêle à mes années,Qu'après tant de soucis les plaisirs que j'attendsSuccèdent au malheur qui me suit de tout temps.Et qu'à la fin mon coeur que votre rage éprouveRencontre dans la nuit le repos qu'on y trouve, Vous pouvez bien tromper mes amoureux désirsVous pouvez en naissant étouffer mes plaisirs,Mais malgré vos rigueurs et leurs vives atteintesQui me donnent toujours quelques nouvelles plaintes,Ce bien me restera sous le fait de vos coups Que j'aurai vu sans peur votre injuste courrouxPuisqu'un secret assaut inutile à ma peineA rendu de tout point mon espérance vaine,Ma force et mon dessein paraîtront à leur tourNon pas dedans la nuit, mais en face du jour Les armes et les soins de notre diligence,Soûleront mes désirs du fruit de la vengeanceJe graverai partout l'image de l'horreurOn verra tout brûler des feux de ma fureur,Et leur moindre étincelle en ces guerres civiles Consommera bientôt des peuples et des villesLes champs où les épis remplissaient les sillons,Ne seront plus foulés que de mes bataillons,Les bois seront honteux d'avoir moins de feuillageQue j'aurai d'assassins animés au carnage. La licence partout agréable aux soldats.En fera des lions dessous mes étendards.Nous pousserons en l'air des traits en si grand nombre,Que malgré le soleil, nous combattrons à l'ombre ;Et les dieux, que nos dards sembleront provoquer Croiront une autre fois qu'on les veuille attaquer,Je veux que sous le faît de tant d'hommes de guerreL'on entende gémir la masse de la terre,Je veux qu'au lieu de fleurs ces prés saient tapissésDes éclats tous sanglants d'ossements fracassés, Que le sang ennemi lave toutes ces pleines,Qu'il les fasse rougir jusque dedans leurs veines,Et qu'en fin ma victoire en me tirant des fersContente mon désir, la mort, et les enfers. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Poliarque, Gelanore. POLIARQUE. Considère combien l'audace est nécessaire Aux desseins hasardeux d'une amour volontaire,Et reconnais qu'elle est le meilleur instrumentQui fasse réussir les désirs d'un amant,Elle met mon espoir au sommet de la gloire,Elle me met en main une riche victoire, Et promet à mes feux justement infinisLe trésor de beautés que possède Argenis,Si l'Amour n'est conduit par l'audace animéeLes effets de son feu ne sont rien que fumée,Et ses plus grands projets sont des traits sans archer Qui ne peuvent jamais d'eux-mêmes se lâcher,Ou bien disons plutôt qu'ils ressemblent sans elleAux oiseaux enfermés à qui l'on coupe l'aile,Regarde maintenant ce que peut sa vertuRegarde sous mes pieds le danger abattu, Et qu'après les ennuis d'une attente importuneLa bonne occasion a flatté ma fortune,J'éprouve plus content que le bien qui me suitPour se montrer au jour est sorti de la nuit,Ainsi que le soleil dont la clarté naissante Promet de réjouir la terre languissante,Depuis l'heureux moment que mon bras satisfaitRendit à ma princesse un service parfait,Tu sais bien que le roi sans m'avoir peu connaîtreM'a reçu dans sa cour où l'on m'a vu paraître, Où le temps favorable à mon intentionM'a donné le bonheur de son affection.Ses faveurs me font dire, au rang qu'il me destineQu'il me donne le prix qu'il doit à Theocrine,Et déjà mon destin m'a fait naître en ces lieux Bien peu de vrais amis, et beaucoup d'envieux,Mais les grandes faveurs, qui suivent notre vie,Ne peuvent refuser la naissance à l'envie ;C'est là que la fureur d'un désir impuissantEntretient les soucis de son teint palissant, Honteuse de savoir que sa triste naissanceDépend de la vertu non pas de sa puissance,Elle ronge son coeur et le veut déchirerPour ce que c'est lui seul, qui la fait respirer,Si bien qu'en m'assurant contre son artifice, Qui peuple l'Univers d'outrage et de malice,Je n'ai plus désormais qu'à conserver les biensQue la bonne fortune attache à mes liens. GELANORE. Vous parlez d'Argenis, comme si votre flammeVous avait découvert les secrets de son âme, Comme si jusqu'ici vos désirs, et vos voeuxAvaient tiré du temps la preuve de ses feux,Peut-être que voulant flatter votre présenceSon humeur se couvrit de quelque complaisance,Mais sans douter de rien, je crois que cet Amour Qui naquit dans la nuit, ne vint pas jusqu'au jour. POLIARQUE. Que tu sais mal juger d'une âme généreuse,Et des puissants effets d'une flamme amoureuse,Insensé penses-tu que l'infidélitéSe loge dans le coeur d'une divinité ? Crois plutôt que le feu se nourrira dans l'onde,Et que même la mort repeuplera le monde. GELANORE. Si les bienfaits reçus se gardaient dans le coeurAussi fidèlement qu'un outrage vainqueur,Vos désirs assurés dessus quelque apparence Se pourraient bien nourrir d'une ferme espérance,Mais hélas l'on dirait que le plaisir n'est rien,Et que le souvenir n'est pas fait pour le bien. POLIARQUE. Le plaisir est toujours plus puissant que l'outrage,Dans le ressouvenir d'un vertueux courage. GELANORE. Notre mémoire ingrate a ce mauvais effet,Qu'elle s'ouvre à l'injure et se ferme au bienfait, POLIARQUE. Mais, après tout, dis-moi, quelle injure obstinéePourrait m'ôter la foi qu'Argenis m'a donnée ? GELANORE. Son esprit offensé d'un tel déguisement En peut bien retenir quelque ressentiment, POLIARQUE. Ne crois pas ce soupçon, moins assuré qu'un songe,La vertu ne saurait embrasser le mensonge, GELANORE. Depuis votre depart vous a-elle fait voirQuelque signe assuré d'un amoureux devoir ? POLIARQUE. Une fois seulement mon aurore aperçueSans beaucoup de discours m'entretient de la vue.Mais toutefois le temps lui donna le loisir,De me dire sa peine et son chaste désir,Elle m'offrit sa foi, je lui donnai la mienne, Je vis dedans ses yeux mon âme avec la sienne,Son serment assura mes pensers inconstantsQue sa bouche et son coeur parlaient en même temps,Et puis que le destin trop contraire à nos âmesRefusait le discours à nos secrètes flammes, Qu'alors qu'elle ferait le service des dieux,Où le roi la consacre au bonheur de ses lieux,Elle m'adresserait tous ses voeux manifestesAu lieu de les offrir aux puissances célestes,Que le nom de Pallas couvrirait aisément Ce dessein nécessaire à mon contentement :Après une amitié si vivement dépeintePourrais-je m'arrêter aux avis de ta crainte. GELANORE. Ce témoignage seul n'empêche le discours,Et me fait à la fin approuver vos amours. POLIARQUE. Et croire que mon âme heureusement captivePeut donner de l'envie au plus content qui vive,Mais allons chez le roi dont le commandementOblige mon devoir à le voir promptement. SCÈNE II. Melandre, Eurimede, Poliarque. MELEANDRE. Orgueilleuse grandeur, dont la triste coutume, Découvre peu de miel et beaucoup d'amertume,Que ta face trompeuse a des charmes puissants,Pour aveugler une âme, et séduire les sens,Et que l'ambition contagieuse aux hommesTrouve d'adorateurs dans le siècle où nous sommes ! Ce monstre en veut toujours au bonheur d'un état,Les sceptres sont le but de son triste attentat,Et ses traîtres complots attachés aux personnesFont qu'il tonne sans cesse à l'entour des couronnes,Si le sort qui nous loge au sommet de l'honneur Assemblait ici bas la constance au bonheur,Si l'aveugle rigueur des fières destinéesNe se repaissait point de grandeurs ravinées ;La recherche des biens qui seraient éternelsExcuserait toujours les desseins criminels, Mais le sceptre en sortant des mains de la fortuneReçoit les qualités de sa face importune,Il se change comme elle, et ne fait que passerDans la main de celui, qui pense l'embrasser.Toutefois ses appas nous ont fait reconnaître, Que les premiers géants commencent à renaître,Licogène en fait voir les effets périlleuxEt ma félicité le rend plus orgueilleuxMais je lui montrerai que les dieux ont un foudreQui cache les rochers sous l'herbe, et dans la poudre. EURIMEDE. Les Dieux, dont le vouloir établit nos destins,Permettent quelquefois la fureur des mutins,À dessein que leur fin proche de leur naissanceRemette leurs pareils dedans l'obéissance,La honte, le mépris, et la punition Suivent tous les complots que fait l'ambition ;Elle apprête une guerre où préside l'envie,Et pense que le trouble assurera sa vie,Mais malgré l'injustice où paraît son effort,L'appareil de sa vie est celui de sa mort. MELEANDRE. Déjà ce furieux, que la force accompagne,Ainsi que le respect foule aux pieds la campagneEt mon malheur est tel, qu'un rigoureux aspectM'a rendu depuis peu tout le monde suspect,Les plus grands de ma cour sont froids à mon service, Et leur fidélité n'est plus rien qu'artifice,Si bien que mon conseil voyant tant de froideur,Où la même vertu faisait voir son ardeur,Pour chef de mon armée établit à ma placePoliarque animé d'une guerrière audace, Sa valeur, son mérite, et sa fidélitéL'appellent justement à cette qualité,Je sais bien que ce choix d'où dépend la victoire,Rendra quelques esprits jaloux de cette gloire,Mais j'aime mieux m'aider d'un fidèle étranger, Que d'un traître sujet qui fuirait le danger. EURIMEDE. Un chef si généreux sera notre assurance :La valeur se nourrit dans le sein de la France,Elle a toujours fait voir que ses moindres guerriersArracheraient à Mars ses plus riches lauriers. MELEANDRE. Le voici qui survient ; voyez sur son visageL'union des vertus avec le courage. POLIARQUE. Votre commandement m'amène à vos genouxDisposé de m'offrir en victime pour vous. MELEANDRE. Vos jours me sont plus chers que l'air que je respire, Et j'aimerais mieux voir la fin de cet empireÉtant bien assuré que vos rares vertusRelèveraient bientôt des sceptres abattus.Mais allons demander aux puissances divinesQue désormais nos jours s'écoulent sans épines, Et que par leurs secours ces esprits mutinésSuccombent sous les maux qu'ils nous ont destinés.Déjà selon mes veux Argenis avertieDoit avoir immolé notre première hostie ;Et durant le chemin je vous ferai savoir Quelle part vous avez aux droits de mon pouvoir. SCÈNE III. Sacrificateur, Argenis, Meleandre, Poliarque, Timonide. SACRIFICATEUR dans le Temple. Fondateurs immortels du ciel et de la terre,Qui vous faites partout des armes du tonnerre,Et de qui la justice a des traits éternelsContre les factions des esprits criminels, Célestes vengez-nous d'une injuste licence,Dont l'orgueil effronté choque votre puissance :Ou bientôt vous serez dans l'oubli des mortels,Et leur impiété détruira vos autels,Si la rébellion attaque les monarques, Qui sont vos vrais enfants et qui portent vos marques,Sans doute dedans peu ses desseins factieuxAttaqueront aussi la demeure des cieux,La terre ne verra que les maux et les vicesRecevoir des humains de nouveaux sacrifices, Et vous voyant enfin de vos temples absentsElle ne produira qu'à regret de l'encens,Mais le roi vient ici, préparez-vous, Madame,À porter à Pallas des voeux qui soient de flamme. ARGENIS. Quel plaisir plus parfait peut être souhaité, Que celui de parler à la divinité ? MELEANDRE. Avez-vous observé dans la victime ouverte,Ou nos biens, ou nos maux, la victoire, ou sa perte. SACRIFICATEUR. Les Dieux prennent toujours la querelle des rois,Comme en cet univers successeurs de leurs droits Rien ne vous est contraire, et la même victoireJoindra votre couronne à celle de la gloire.Il reste maintenant à notre saint devoir,D'implorer de Pallas l'adorable pouvoir.Nos voeux percent le ciel, même dans sa colère, Pour en faire sortir les faveurs qu'on espère. ARGENIS se tournant vers Poliarque. STANCES.Toi dont le bras victorieuxDétourna les traits de l'envie,De qui le dessein furieux,Nous fit douter de notre vie ; Déesse, à qui les immortelsÉtonnés de cette victoireDoivent céder tous les autels,Que l'on a vouez à leur gloire,Regarde en cet endroit mes plaisirs limités À captiver mes soins dessous tes volontés.Depuis que le sort dépitéNous a dérobé ta présence,Je crois que le ciel irritéN'a plus pour moi de complaisance, Mes yeux ne voient que des nuits,Ma bouche est ouverte à la plainte,La triste image des ennuisÀ toute heure augmente ma crainte,Qui ne craindrait aussi la fortune et ses coups, Puisque les immortels ne sont plus avec nous ?Je ne puis vivre sans te voir,(Déesse à qui je rends hommage)Aussi les lois de mon devoir,Me montrent toujours ton image, Ton agréable souvenir,Et tes adorables merveilles,Viennent sans cesse entretenirL'aimable souci de mes veilles,Tu demeures enfin, chère race des Dieux, Plus souvent dans mon coeur que non pas dans les Cieux.Je te donne de vrais encens,Et mes paroles sans contrainteIgnorent ces douteux accents,Qui sortent toujours de la feinte, Mes voeux, mes soupirs, et mes yeuxTe portent mon coeur invincible,Et bien que le plaisir des dieuxAit rendu notre âme invisible,Bel astre qui conduit le bonheur de mes jours, La mienne se fait voir dans ce juste discours.Jette l'oeil sur nos déplaisirs,Romps l'appareil de nos supplices,Et donne enfin à nos désirsLa jouissance des délices : Si j'ai tant mérité de toi,Montre à ce peuple qui soupire,Qu'après avoir sauvé son roi,Tu peux délivrer son empire,Et que l'humaine envie avec tout son fiel, Est partout impuissante où travaille le ciel. SACRIFICATEUR. Que l'on amène ici la dernière victime,Pour en donner aux dieux l'offrande légitime. MELEANDRE. Mais que veut Timonide étonné comme il est. TIMONIDE. Sire tout est en trouble, et l'ennemi paraît, Maintenant devant lui la poussière élevéeNous annonce de loin sa funeste arrivée,Un effroyable bruit de tambours et de voixFait partout retentir les antres et les bois. MELEANDRE. Vous savez Poliarque, à quoi je vous destine. Contre la trahison d'une rage mutine.Allez accompagné des dieux et du bonheur,Cueillir mille lauriers dans le champ de l'honneurTous les miens avertis du rang que je vous donne,Fléchiront dessous vous comme sous ma couronne. Ayant partout appris, que pour vaincre aisément,L'obéissance était le meilleur instrument.Et cependant nos voeux sans feinte et sans exempleChargeront à l'envi les autels de ce temple. POLIARQUE. Votre commandement gravé dessus mon coeur Augmentera ma force et me rendra vainqueur.Belle divinité justement adorableConservez à ma vie un aspect favorable. ARGENIS. Généreux cavalier, que la victoire attend,Soyez tout assuré que Pallas vous entend. MELEANDRE. Grands Dieux, qui foudroyez l'insolence et le vice,Faites luire sur nous, le soleil de justice,Et renvoyez les traits injustement lancésContre le flanc de ceux, qui nous les ont poussés. SCÈNE IV. Licogene avec son armée, Poliarque avec son armée . LICOGENE, parlant aux siens. Fidèles compagnons, à qui cette victoire Réserve les trésors, et les fruits de la gloire,Ici braves soldats vos courages guerriers,Se doivent consacrer des forêts de lauriers.Ici votre valeur d'elle-même conduiteDoit enfin m'assurer de ma longue poursuite. Ici le désespoir le carnage, et l'horreurDoivent servir d'effet à ma longue fureur.Et dedans ce projet, qu'elle rendra facile,Ne faire qu'un tombeau de toute la Sicile.Témoignez aux destins à me nuire constants, Que vous viendriez à bout du dessein des titans,Et que si mes amours ne m'étaient point plus chèresQue le trône du ciel seul exempt de misères,Votre invincible effort attaquerait les Dieux,Et me mettrait en main leur sceptre glorieux. Laissez-vous gouverner au gré de vos furies,Que l'on n'épargne rien de leurs forceneries,Et que les champs couverts d'ossements et de corpsFassent croire au Soleil, qu'il reluit chez les morts,Mais l'ennemi paraît, tenons nos forces prêtes, À lui faire sentir les coups de nos tempêtes. POLIARQUE, parlant aux siens. À quel heureux effet de gloire et de bonheurVous invite aujourd'hui le dessein de l'honneur,Voyez si maintenant la Sicile affligéeAprès un tel exploit vous doit être obligée. Fondons sur l'ennemi, dont les faibles soldatsTremblent déjà de peur comme leurs étendards,Que sur lui vos fureurs vivement occupées,Rencontrent un salaire au bout de vos épées,Et que chacun de vous hors du dérèglement Limite son courage à mon commandement.Une division dedans un camp seméeNous annonce toujours la perte d'une armée,Et le discord ne sert qu'à nous faire périrAlors que notre esprit travaille à le nourrir. LICOGENE. Faisons voir en ce lieu, qu'en ce que je proposeLe tonnerre et nos coups sont une même chose.Otons aux ennemis la gloire d'attaquer. POLIARQUE. Courage compagnons, nous ne pouvons manquer,La justice divine a pris pour nous les armes. Ceux de Licogène se retirent. LICOGENE. N'avez-vous que des pieds dans l'effroi des alarmes ? POLIARQUE. Les traitres sont à nous, ils sont notre butin. LICOGENE, fuit. Faut-il ainsi céder aux rigueurs du destin. POLIARQUE. Enfin malgré l'effort vos mains victorieuses Ombragent votre front de palmes glorieuses.Ces corps froids et sans âme en mille endroits percésPalissent de l'horreur de leurs crimes passez,Et leur sang criminel, qui finit cette guerre,Tout honteux d'être vu se cache dans la terre : Et ceux à qui la fuite a conservé le jour,Que le ciel outragé doit éteindre à son tour,Combattus de l'effroi de notre renommée,Diront que le bon droit est un bon chef d'armée.Malheureux Licogène après tant de fureurs, Je doute si je dois condamner tes erreurs,Ou si je dois louer ton orgueil que je dompte,Puisque tout mon bonheur ne vient que de ta honte.Mais allons dire au roi, que ses vues entenduesNous ont fait obtenir les lauriers attendus. SCÈNE V. Licogene, Menocrite, Anaximandre. LICOGENE. Injurieux sujets de mes peines diverses,Astres sanglants auteurs de toutes mes traverses,Qu'ai-je encore à souffrir devant que votre effort,M'arrache du pouvoir d'un misérable sort ?Cruels sans plus tarder de lâcher sur ma tête Les éclats plus mortels d'une rouge tempête.Mais je suis insensé d'appeler le trépas,D'où l'immortalité fait goûter ses appas.C'est dedans les enfers, que la Parque assouvieAiguise le ciseau qui nous coupe la vie. C'est là parmi l'horreur de l'éternel oubliQu'elle veut faire voir son séjour établi.Sortez donc de là-bas, homicide déesse,Qu'accompagnent toujours le deuil et la tristesseEt poussez dans mon coeur ces traits armés de fer, Qui dépeuplent le monde et remplissent l'enfer.Ne vous souvient-il plus que mes longues misèresObligèrent ma vie à vos traits plus sévères ?Quoi voulez-vous montrer en retardant vos coups,Que l'oubli de l'enfer a passé jusqu'à vous ? Avez-vous donc perdu l'agréable coutumeD'adoucir les douleurs dont je sens l'amertume ?Me ferez-vous enfin désormais soupçonnerQue le tombeau n'a plus de repos à donner.Fortune n'as-tu point quelque flèche de reste, Qui porte dans mon sein une mortelle peste ?Achève de me perdre, et pousse tant de traits,Que l'Esprit, et le corps succombent sous leur faits ;Ha je te parle en vain ; tu crains que les misèresPerdent en me perdant le but de tes colères. Il se tourne vers les siens.Hélas rien que vos bras, ne m'offre du secours,La fortune, l'enfer, et les astres sont sourds,Vous qui malgré l'horreur d'un si sanglant orageM'avez jusques-ici voué votre courage,Si l'excès du malheur à qui je suis soumis, Vous a laissé le nom de fidèles amis,Montrez en aujourd'hui la preuve plus certaineEn finissant mes jours pour abréger ma peine,Quoi vous me refusez bien, bien, ces propres bras,Meilleurs amis que vous, ne me refusent pas, Ô Cieux, enfers, rigueurs, et tout ce que l'enviePeut employer au monde à travailler ma vie,Vous pouvez m'empêcher de vivre bienheureux,Mais non pas de mourir en homme généreux, MENOCRITE. Monsieur que faites-vous ? Quel excès de manie Exerce dessus vous sa dure tyrannie ? LICOGENE. Après tant de desseins, qui trompent mes désirs,Romprez-vous ce dernier, qui m'offre des plaisirs MENOCRITE. Les esprits courageux méprisent la disgrâce,Et jamais la vertu ne doit changer de face. LICOGENE. Ces leçons de vertu sont bonnes aux esprits,Qui nous parlent des maux sans en être surpris. MENOCRITE. C'est être généreux d'opposer son courageAux plus sensibles traits, du mal qui nous outrage. LICOGENE. Mais c'est être insensé, jusques au dernier point, Que de voir son remède, et ne le prendre point. MENOCRITE. Hélas comment la mort viendrait-elle à votre aide,Puisqu'elle est elle-même un grand mal sans remède. LICOGENE. Du moins j'aurai ce bien, en avançant ma mortD'avoir ainsi forcé la volonté du sort. MENOCRITE. Les Dieux ne veulent pas, que contre la nature,Le désespoir nous porte à notre sépulture. LICOGENE. Si les Dieux ont donné le libre arbitre à tous,Ils nous laissent le droit de disposer de nous. MENOCRITE. Non pas en ce qu'on prend une injuste licence De mépriser ainsi leur divine puissance. LICOGENE. Amis dissimulés qui me peut secourirSi vous m'ôtez ainsi les moyens de mourir ? MENOCRITE. La fortune en tournant comme elle fait sans cesseNous peut en fin montrer un front qui nous caresse. LICOGENE. Ses tours sont si soudains, qu'elle ne laisse pasLe loisir de juger s'il a quelques appas. ANAXIMANDRE. Nous ne pouvons trouver sur terre qu'une vie,Qui ne se file plus, alors qu'elle est ravie,Cependant qu'elle dure on espère toujours, Mais notre espoir finit où finissent nos jours.Bien qu'un temps si fâcheux soit tout rempli d'oragesUn rayon de clarté dissipe ses ombrages. LICOGENE. D'où viendrait la clarté reluire dans l'enfer ?Et quel heureux effort en pourrait triompher ? ANAXIMANDRE. La clémence du roi doucement imploréePrésente à nos malheurs une fin désirée. LICOGENE. En demandant la paix. ANAXIMANDRE. Non, pas ouvertement. LICOGENE. Je ne me puis résoudre à ce consentement. MENOCRITE. Nous la pouvons trouver dans un peu d'artifice. LICOGENE. Endurerai-je ainsi, que mon honneur pâtisse. ANAXIMANDRE. Ce n'est pas renoncer à l'honneur languissant,Que de prendre en ses maux la loi d'un plus puissant. LICOGENE. Puisque le ciel me livre une si rude atteinteIl faudra donc fléchir dessous cette contrainte, Espérant toutefois que les astres plus douxUniront quelque jour le bonheur avec nous,Que ce même destin, qui préside aux alarmes,Après m'avoir battu prendra pour moi les armes,Et que dans peu de temps, ses effets journaliers Me rendront inconnus tant de maux familiers. MENOCRITE. La fortune sans yeux, et toujours vagabondePréside au changement des affaires du monde ;Et comme l'homme seul, est l'objet sans pareilQu'éclairent ici bas les rayons du soleil, C'est lui qu'elle entreprend pour avoir plus de gloireAlors que ses fureurs en auront la victoire,Mais bien qu'elle s'obstine à vaincre les plus forts,La vertu ne craint point ses funestes efforts. ==================================================