******************************************************** DC.Title = LISANDRE et CALISTE, TRAGI-COMÉDIE DC.Author = DU RYER, Pierre DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/08/2022 à 21:39:54. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DURYER_LISANDRECALISTE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LISANDRE et CALISTE TRAGI-COMÉDIE M. DC. XXXII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. par le sieur DU RYER À PARIS, Chez PIRERRE DAVID, au Palais, sur le Petit Perron de la Grand Salle sur le côté des Consultations. Représenté pour la première fois en 1632. LE ROI. LISANDRE. CALISTE. Le VALET, de Lisandre. LÉON. BÉRONTE. CLÉANDRE. PAGE. CLARINDE. CRISANTE. Le BOUCHER. La BOUCHÈRE, sa femme. Le GEÔLIER. LIDIAS. DORILAS. ORANTE. ADRASTE. HIPPOLYTE. LIDIAN. LUCIDAN. VARASQUE. Le JUGE de camp. LE COURRIER. ACTE I SCÈNE I. Lisandre, Crisante. LISANDRE. Indiscrets mouvements d'une amour insenséeNe sortirez-vous point de ma triste pensée ?Le funeste entretien de mes feux criminelsNe me doit-il donner que des maux éternels ?Était-il arrêté qu'une beauté fatale M'échaufferait le sang d'une flamme brutale ?Et qu'enfin mon esprit infidèle à son tourTrahirait l'amitié pour se rendre à l'amour ?Cruelles passions qui mettez dans mon âmeLes froideurs du respect, et l'ardeur de la flamme, Formez de vos pensers froids et chauds en effetUn foudre nécessaire à punir mon forfait.Puis-je aimer d'un ami la moitié légitimeSans mériter un feu qui punisse mon crime ?Amour que mon destin se fait bien détester ! Je ne te puis souffrir, et ne te puis quitter :Termine donc les jours du malheureux Lisandre,Laisse-toi désormais étouffer dans ma cendre,Et souffre que je meure avec ce plaisirD'avoir eu sans effet un si lâche désir. Mais hélas c'est en vain que je conçois l'envieDe finir dans mes feux ma misérable vie,Ils tiennent en ce point de celui de l'enferQu'ils me brûlent toujours sans pouvoir m'étouffer.Caliste est dans mon coeur, Cléandre est avec elle En danger de périr dans ma flamme immortelle,Tantôt l'amour l'emporte, et tantôt l'amitié,Quelquefois leur accord le divise à moitié :Mais enfin l'amitié n'y doit plus rien prétendre,Les charmes de Caliste en ont chassé Cléandre ; Non, non, le seul amour, et ses brasiers ardentsOnt brûlé son portrait que j'avais là-dedans,Et bien que tous les jours l'amitié le refasse,L'amour beaucoup plus fort à toute heure l'efface,Et me donne des lois où je vois tant d'appas Qu'il faut y consentir ou bien ne vivre pas.Pourquoi voudrais-je aussi retirer ma franchiseDe ces belles prisons ou Caliste l'a mise ?Elle sait mon martyre, et ses chastes discoursNe travaillent jamais qu'a me donner secours, C'est toutefois en vain que sa voix me console,Mon mal n'est pas de ceux que guérit la parole.Qu'ai-je fait insensé de songer à guérirOu l'honneur outragé me condamne à mourir ?Ou la raison emploie un remords légitime À me peindre partout la grandeur de mon crime ?Mais bien qu'elle m'accuse au fort de mes ennuisEt condamne l'excès des transports ou je suis,Les attraits de Caliste à qui rien n'est semblableAutorisent mon crime, et le rendent aimable. Que je sois insensé, que je sois criminelEt digne mille fois d'un tourment éternel,Si dedans mes desseins mon amour est un vice,Son feu qui fait mon crime est aussi mon supplice.Ne puis-je pas enfin sans me rendre suspect Unir à mon amour l'honneur et le respect,Et sans m'abandonner à mes longues tristessesAimer tant de beautés comme on fait les déesses ?Mais qu'il est mal aisé près d'un bien si charmantD'avoir un coeur humain sans l'aimer autrement ! Sa divine douceur veut que je persévèreEt sa pudicité ne veut pas que j'espère,Sa beauté me contente et me rend malheureux ;Mais quelqu'un interrompt mes pensers amoureux. CRISANTE. Cloridan outragé de la seule mémoire, Qui met devant ses yeux sa honte et votre gloire,Vous donne ce cartel où sa main a tracéTous les ressentiments d'un esprit offensé. LISANDRE. Cloridan se fait tort de croire la vengeanceQui promet à son mal une fausse allégeance, J'accepte toutefois le défi qu'il me fait,Et me voila tout prêt d'en venir à l'effet,C'est parmi les combats ou la gloire se fonde. CRISANTE. Trouvez donc un ami dont le bras vous seconde.Pour avoir trop d'amis qui soutiennent mes droits La raison me défend d'en faire ici le choix,Je ne puis employer un bras à ma défenseQue l'autre mal content aussitôt ne s'offense. CRISANTE. Ce n'est pas la raison qu'étant avec vousJe ne sois employé qu'à juger de vos coups ; J'aime mieux que mon sang colore un paysageQue la honte s'en serve à rougir mon visage. LISANDRE. Je sais bien sans second terminer un combat ;Mais si vous désirez paraître en cet ébat,Alors que Cloridan aura perdu la vie Je pourrai contenter votre louable envie. CRISANTE. Je suis donc en état d'attendre bien longtemps. LISANDRE. Et vous et votre ami je vous rendrai contents. SCÈNE II. Léon, Clarinde, Page, Béronte. LÉON. Clarinde je sais bien que mon âme asservieDoit à ton amitié le bonheur de ma vie, Je sais bien que tes yeux sans feinte et sans rigueurN'ont jamais approuvé de me voir en langueur ;Mais tu sais bien aussi, beau sujet de mes flammesQue le consentement à marié nos âmes,Et qu'Hymen après lui nous permet de goûter Les plus secrets plaisirs, qu'on puisse souhaiter.Tu me les as promis, et pour moi je confesseQue tout mon bien consiste en ta seule promesse,Mille difficultés te semblent arrêterMais si tu m'aimes bien tu les peux surmonter ; Chasse donc loin de toi tout ce qui te résiste. CLARINDE. Léon, comment cela demeurant chez Caliste ?Le devoir qui m'oblige à la suivre toujoursEst le seul ennemi qui choque nos amours.Mais sans plus nous flatter par de vaines attentes Je puis rendre bientôt nos deux âmes contentes. LÉON. Que dis-tu mon souci, quand viendra ce momentQue réserve l'amour à mon contentement ? CLARINDE. Caliste doit passer la nuit avec Cléandre,Et me laissera seule ou je te veux attendre. LÉON. Où mon coeur ? CLARINDE. En sa chambre, et pour y parvenirÉcoute les chemins qu'il te faudra tenir.Alors que le soleil cachera sa lumièreJ'ouvrirai du jardin la porte de derrière,Et par là cette nuit tu viendras avec moi Reconnaître en effet que Clarinde est à toi.Y pourras-tu venir ? LÉON. J'y viendrais ma chère âmeMe fallut-il passer les ondes et la flamme,Mon amour est extrême, et tu mérites bienQue pour te posséder on n'appréhende rien. CLARINDE. Ainsi je t'attendrai. LÉON. Tu ne m'attendras guère ;Mais j'attendrai beaucoup une faveur si chère. Page. Clarinde. CLARINDE. L'on m'appelle, Adieu. LÉON. N'est-il pas nuit,Puisque je vois déjà mon soleil qui s'enfuit ?Mais que voudrait Béronte ? BÉRONTE. Ami je viens d'apprendre Que quelques malcontents ont appelé Lisandre,Mais allons témoigner que l'honneur glorieuxNe fait pas moins d'amis qu'il fait voir d'envieux. LÉON. Ou se fait le combat ? BÉRONTE. Derrière la montagneQui sépare le bois d'avec la campagne. LÉON. Allons donc sans remise, en pareils mouvementsUn moment différé fait de grands changements. SCÈNE III. Crisante, Lisandre, Léon, Béronte. CRISANTE. Ha Cloridan est mort ! Son corps qui se consommeN'est plus rien maintenant que le reste d'un homme,Mais son sang épanché ne m'accuse-il pas D'être si paresseux à venger son trépas ? LISANDRE. Ô malheur ! Mon épée au besoin démontéeRefuse son secours a ma force arrêtée.Mais de quelque péril qui me puisse assiégerCelle de Cloridan me pourra dégager. Crisante ne crois pas dedans cette entreprisePour venir d'un ami qu'elle te favorise,Mais as-tu bien pour lui tant de ressentimentQue tu veuilles enfin le suivre au monument ? CRISANTE. Lisandre les discours sont des armes de femme, Aux hommes généreux l'usage en est infâme. LISANDRE. J'ai fait voir des effets avec mes discours. CRISANTE. Je te suis Cloridan, la mort finit mes jours. LISANDRE. Va dire à ton ami dans les nuits infernales,Qu'il n'avait pris pour toi que des armes fatales Et que le même bras qui sut en triompherT'a fait son compagnon au voyage d'enfer.Mais après tant de morts ma sûreté consisteÀ prendre un bon conseil de Cléandre et Calliste. BÉRONTE. Ce sang qui fait changer à l'herbe de couleur Me fait appréhender quelque insigne malheur.Cherchons de tous côtés ne laissons point de placeOù nos pieds diligents n'impriment quelque trace. LÉON. Mais n'entendez-vous pas quelques tristes soupirsQui me semblent venir d'ailleurs que des zéphyrs ? CRISANTE. Passants qui visités des lieux si déplorablesEn achevant mes jours soyez-moi favorables. BÉRONTE. C'est Crisante, bons dieux ! Ami quel attentatA réduit votre vie en ce fâcheux état ? CRISANTE. Le bonheur de Lisandre aidé de son courage. BÉRONTE. Dites-nous le sujet d'un si cruel ouvrage,Si toutefois le sang, que nous voyons couler,Vous laisse assez de force afin de nous parler. CRISANTE. Le ciel juste ennemi des desseins de l'envieN'a voulu prolonger les restes de ma vie, Que pour vous assurer par mon sang répanduQue Lisandre attaqué s'est fort bien défendu. LÉON. L'atteinte de ce coup ne peut être mortelle,Mais faites-nous savoir d'où vient votre querelle. CRISANTE. Il vous souvient encor qu'en ces fameux tournois Qui réveillent souvent la vigueur des françois,Ou la troupe des grands et des belles s'assemble,Lisandre et Cloridan s'éprouvèrent ensemble ;Et vous savez aussi que Lisandre plus fortRencontra le laurier au bout de son effort. Cloridan offensé d'une telle victoireSe résolut d'ôter cette tache à sa gloire,Si bien qu'à son appel Lisandre nous fait voirQue jamais le bon droit ne manque de pouvoir. BÉRONTE. Quel chemin a-t-il pris ? CRISANTE. Je ne vous le puis dire. LÉON. Dites-nous pour le moins ou Cloridan expire. CRISANTE. Cloridan ici près hors d'espoir de guérirSe noyant dans son sang achève de mourir. BÉRONTE. Je m'en vais le chercher. CRISANTE. Et moi qui sors du monde,Je m'en vais le trouver dedans la nuit profonde. LÉON. Crisante ; je lui tiens des discours superflus,Les âmes qui s'en vont ne nous entendent plus.Mais n'aperçois-je pas ici près une épéeDu sang de l'un des deux jusqu'aux gardes trempée ?Cette lame est si bonne et si belle à mes yeux Qu'elle peut contenter un guerrier curieux,Il faut que je men serve, et je veux faire en sorteQue l'on ne puisse pas savoir que je l'emporte,Une heure de travail lui peut rendre aisémentCe qu'elle vient de perdre en cet évènement. Béronte revient.Ami je l'ai trouvé moins sensible qu'un arbre,Et mille fois plus froid que ne serait un marbre.Il semble que son sang sur qui nage son corpsLui serve de ruisseau pour passer chez les morts. LÉON. Mais leur corps nous demande après cette aventure La dernière prison où nous rend la nature. SCÈNE IV. Cléandre, Lisandre, Caliste. CLÉANDRE. Puisqu'il faut obéir à la nécessitéQui borne en vous chassant notre félicité,Et puisque sa rigueur trop aveugle au mériteNe vous peut assurer si ce n'est par la fuite, Connaissant le danger qui vous suit maintenantJe serais criminel en vous y retenant.Mais ressouvenez-vous en ce malheur extrêmeQue vous laissez ici la moitié de vous-même,Si bien qu'en obtenant votre grâce du roi Je fais également et pour vous et pour moi. LISANDRE. Cléandre si vos soins travaillent à mon aideJe n'ai point de douleur qui ne trouve un remède,Et les plus grands dangers qui me sont apprêtezSeront bientôt vaincus si vous les combattez. CLÉANDRE. L'amitié qui nous joint par des chaînes communesM'oblige à me raidir contre vos infortunes :Mais je vais de ce pas vous faire préparerTout ce qu'un prompt départ permet de désirer.Cher ami dépendant l'entretien de Caliste Chassera les soucis d'un visage si triste. LISANDRE. Vous me rendrez ingrat en m'obligeant ainsi. CALISTE. Vous voulez de la sorte augmenter son souci. CLÉANDRE. Je reviendrai bientôt. LISANDRE. Faut-il que je vous quitte ?Hélas ! Je fuis le mal, et je m'y précipite, J'abandonne ces lieux afin de m'assurer,Mais vous abandonnant quel bien dois-je espérer ? CALISTE. Vous pouvez de l'absence espérer un remèdeContre tous les accès du mal qui vous possède,Et de votre malheur vous tirerez ce bien Que le temps défaira votre amoureux lien. LISANDRE. Les plus puissants efforts du temps et de l'absenceContre ma passion n'auront point de puissance.Quand je m'éloignerai des beautés que je sers,J'aurai toujours au coeur la cause de mes fers. CALISTE. Ne parlez point d'amour, quelqu'un vous peut entendre,Et vous rendre suspect à l'esprit de Cléandre. LISANDRE. J'ai tant de bons désirs pour Cléandre et pour vous,Qu'il le peut bien savoir sans en être jaloux. CALISTE. J'en doute néanmoins : mais il vaut mieux me croire Que de mettre au hasard votre amour et ma gloire. LISANDRE. Merveilleuse beauté, dont le charme vainqueurNous peut laisser la vie en nous ôtant le coeur,Lisez donc dans mes yeux un discours qui vous toucheQue l'esprit n'ose pas confier à la bouche, Là vous verrez un feu plus juste que suspectQui ne saurait passer les bornes du respect,Vous vous étonnerez, doux soleil de mon âme,De me voir sans mourir si longtemps dans la flamme,Et vous croirez qu'amour m'ôtant la liberté Me donne avec ses feux son immortalité. CALISTE. Tant que l'honneur rendra vos passions discrètesUnissant le respect à vos flammes secrètes,L'aimable souvenir de vos perfectionsPartagera le soin de mes affections, Et puisque mon amour est le prix de Cléandre,Mon amitié sera le loyer de Lisandre. LISANDRE. Si jamais mon esprit entretient un penserQui touche votre honneur, et le puisse offenser,Je demande à l'amour dont j'adore les traces Qu'il ne lasse point de m'offrir des disgrâces :Je veux que sous mes pas mille gouffres ouvertsDonnent l'âme à l'enfer et mes membres aux vers ;Ou que jamais le ciel ne s'arme d'aucun foudreQui ne serve au dessein de me réduire en poudre. CALISTE. Si votre coeur s'accorde avec ces proposAu milieu de vos feux vous serez en repos,Et bien que votre amour n'ait rien de légitimeEt qu'en la permettant ce soit commettre un crime,J'aimerai toujours mieux faillir en l'endurant Que d'être criminelle en vous désespérant. LISANDRE. Si la sainte amitié que vous m'avez juréeReçoit de mon respect son terme et sa durée,Et si vous ne blâmez mon dessein vertueuxQue quand je cesserai d'être respectueux, Je suis déjà certain que mon âme asservieJouira d'un bonheur aussi long que ma vie. CALISTE. Soyez en assuré, mais que je crains pour vousQue votre éloignement soit plus fâcheux que doux. LISANDRE. Puisque vous permettez à mon âme captive D'adorer aujourd'hui la plus belle qui vive,J'emporte assez de force et de contentementPour vaincre les ennuis de mon éloignement. CLÉANDRE revient. Lisandre tout est prêt, et le temps déjà sombreDonne à votre départ la faveur de son ombre. LISANDRE. Hélas ! Si j'ai commis un crime en combattant,J'en souffre dans l'esprit la peine en vous quittant. SCÈNE V. Béronte, Alcidon. BÉRONTE. Ou courrez-vous si tard ? ALCIDON. Je m'en vais chez CléandreM'instruire du combat de notre ami Lisandre,Déjà le bruit commun fatal à son renom Obscurcit lâchement la gloire de son nom,L'on dit que l'artifice et non pas son courageLui donne en ce duel un honteux avantage. BÉRONTE. Je sais ce qu'il a fait, et je puis au besoinContre ses ennemis en être le témoin : Toujours le bruit commun est le fils du mensonge,Et bien souvent il est moins croyable qu'un songe.Mais allons chez Cléandre, et je vous ferai voirCe que la vérité fera partout savoir. SCÈNE VI. Léon, Clarinde, Caliste, Cléandre, Béronte, Alcidon. LÉON. Enfin sans être vu me voici sur la place Ou j'éprouve qu'amour ne manque point d'audace.Clarinde n'est pas loin ; mes voeux, et ses désirsS'accordent à chercher de semblables plaisirs.Lorsqu'il faut démêler une affaire pareilleJe ne saurais penser qu'une fille sommeille, Elle ne peut dormir avec beaucoup d'amourEt la plus sombre nuit lui plaît mieux que le jour. CLARINDE. Léon. LÉON. Ha je te tiens, tu ne t'en peux dédireIci ma volonté finira mon martyre. CLARINDE. La fortune contraire à nos feux mutuels Nous fait servir de but à ses traits plus cruels,Léon retirez-vous, évitez la poursuiteEt sauvez promptement notre amour par la fuite. LÉON. Que dites-vous Clarinde ? CLARINDE. Adieu j'entends du bruit,Caliste vient ici pour y passer la nuit. LÉON. Comment puis-je sortir sans me faire connaître ?Choisirai-je la porte, ou plutôt la fenêtre ? CALISTE. Qui vous a fait entrer ? Au secours. CLÉANDRE. Furieux,Nous saurons le sujet qui t'amène en ces lieux,Ou de ta propre épée : ha le traître me tue, Et son mauvais dessein dessus moi s'effectÉue. CALISTE. Arrêtez ce cruel, hélas ! Je parle en vain,L'on dirait que la nuit approuve son dessein,Et que pour en montrer la poursuite impossibleSon voile ténébreux nous le rende invisible. Cléandre ouvre ces yeux si charmants et si fortsEt vois qu'un même coup a percé nos deux corps ;Mais ce dernier soupir contraire à mon envieEmporte en même temps son amour et sa vie,Dieux avec ses jours disposez de mon sort, Ne dois-je pas mourir puisque mon coeur est mort ? BÉRONTE. Hà mon frère n'est plus ! Cette funeste épéeNe fut pas sans sujet à sa mort occupée ;C'est celle de Lisandre. ALCIDON. Hé dieux que dites vous ? BÉRONTE. Que l'on sème a dessein tant de maux parmi nous. Clarinde vous direz cette tragique histoireOu le vice rencontre une lâche victoire :Ou la gêne obtiendra par une autre façonCe que votre silence apprend à mon soupçon. CALISTE. Joindrez-vous aux douleurs d'une perte incroyable Le sanglant déplaisir de m'en croire coupable ? BÉRONTE. Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous avons apprisQu'une impudique amour enflammait vos esprits,Clarinde qui reçut vos secrètes penséesMe sut bien découvrir vos ardeurs insensées, J'empêchai toutefois qu'on en mit rien au jourCroyant que le remords éteindrait cette amour,Mais je ne jugeais pas que telles rêveriesDans un esprit mal fait se changent en furies.Ne pensez pas enfin que cet étonnement Fournisse a votre crime un bon déguisement.Les crimes découverts pour dernière défenseOnt toujours emprunté le front de l'innocence.Parlez parlez Clarinde, et soulagez mon malEn me montrant l'auteur d'un acte si brutal, Dites, ou la rigueur... CLARINDE. Il est vrai c'est Lisandre.Auprès de ce témoin je ne le puis défendre. BÉRONTE. Ô perfide Lisandre, ô coeur formé de ferQu'une rage anima sur les bords de l'enfer. CALISTE. Que l'innocence est faible, ou préside la rage ! Mais craindrais-je la mort après un tel outrage ? BÉRONTE. Ces pleurs que vous versez avec trop de raisonNe vous peuvent sauver d'une étroite prison,Et n'empêcheront pas qu'une prompte justiceNe travaille pour vous aux rigueurs d'un supplice. ALCIDON. Ou courrez-vous Béronte, écoutez mes discours ;Mais je lui parle en vain, la fureur nous rend sourds,Et nous faisant de feu, sous ombre d'allégeance,Elle nous rend légers a suivre la vengeance.Ne craignez rien, Madame, et croyez que les dieux Prendront votre part contre ce furieux,Lisandre par moi-même averti de vos peinesCoupera le chemin à ses poursuites vaines.Et bien que son duel l'engage en un dangerJe sais que sa vertu vous viendra soulager, Il est avec vous dedans un même gouffre,Et son renom pâtit où votre gloire souffre,Si bien que son retour, qui vous doit contenter,Vous gardera l'honneur que l'on veut vous ôter. CALISTE. Destins qui disposez la malice des astres À verser dessus moi ce qu'ils ont de désastres,Je tirerai ce bien de mes maux apparentsQue je ne saurais pas en craindre de plus grands. ACTE II SCÈNE I. Lisandre, Alcidon. LISANDRE. Depuis le triste jour que tu me vins apprendreQu'on n'avait accusé de la mort de Cléandre, Et que pour ce sujet sans aucune raisonL'on arrêtait Caliste aux fers d'une prison,J'ai tant fait par mes soins et par ma vigilanceQue nous viendrons à bout de cette violence.Autrefois un mortel instruit à triompher Retira son ami d'un fabuleux enfer,Mais mon effort plus juste et moins épouvantableTirera mon amour d'un enfer véritable ;Et malgré les dangers je reconnais encorQue l'on passe partout par le moyen de l'or. J'ai gagné le geôlier, l'argent, et les pistolesPour le persuader ont été mes paroles,Si bien qu'il m'a promis de me rendre ce soirCet aimable sujet ou j'ai mis mon espoir. ALCIDON. En rompant les prisons vous confessez le crime Dont l'on ne peut avoir de preuve légitime ;Paraissez à la cour, allez-y de ce pas. LISANDRE. La colère du roi ne me le permet pas.Quand j'aurai mis Caliste en lieu de sauvegarde,Je pourrai mieux songer à ce qui nous regarde. ALCIDON. Lorsqu'on veut se purger d'un crime supposéRarement par la fuite on en est excusé. LISANDRE. Lorsqu'il s'agit d'un crime où la haine et l'enviePar cent moyens divers poursuivent notre vie ;Soit que l'on soit coupable, ou qu'on soit innocent Il est toujours moins sûr d'être présent qu'absent.Approuve mon dessein, ami, je t'en conjure,M'en vouloir divertir c'est me faire une injure. ALCIDON. Puisque c'est un dessein où je vous vois portéJe ne résiste point à votre volonté. Mais avez-vous parfois Caliste entretenue[Note : Châtelet : On nommait ainsi deux forts, situes, l'un sur la rive droite de la Seine, à l'entrée de la rue Saint-Denis du côté du Pont au Change, l'autre sur la rive gauche, à l'extrémité du Petit-Pont aprèS de l'Hôtel-Dieu. Les deux ont servi de prison; Le premier fut détruit en 1802 pour donné le nom à la Place du Châtelet, et l'autre en 1782. [B]]Depuis qu'au Châtelet on la voit retenue ? LISANDRE. Quand je lui veux parler le chemin m'est ouvert. ALCIDON. Comment le pouvez-vous sans être découvert ? LISANDRE. Auprès de la prison demeure une bouchère Qui me fait posséder une faveur si chère. ALCIDON. Je ne puis concevoir par quelle inventionElle donne secours à votre passion. LISANDRE. Sa fenêtre est si près de celle de CalisteQue je lui puis parler sans que l'on me résiste. ALCIDON. Enfin je vous entends : mais quelle extrémitéVous contraint de vêtir cet habit emprunté ? LISANDRE. Le geôlier m'a donné le conseil de le prendreDe peur d'être connu s'il me fallait attendre.En voyant ces habits inconnus parmi nous Qui s'imaginerait que Lisandre est dessous ? ALCIDON. Vous voila fort bien fait, à vous voir de la sorteVous gagneriez du pain allant de porte en porte. LISANDRE. Si je tire aujourd'hui Caliste de tourmentJe gagnerai ma vie avec ce vêtement. Mais il est déjà tard, l'obscurité m'inviteÀ donner au boucher encore une visite. ALCIDON. Allons donc. LISANDRE. En allant je vous ferai savoirLa place destinée où je vous dois revoir. SCÈNE II. Le boucher, la bouchère, Lisandre. LE BOUCHER. Dis ce que tu voudras, que ton esprit s'en pique, Je ne veux plus souffrir qu'il vienne en ma boutique,Il fait beau voir entrer un gentilhomme ici,Ses visites enfin me donnent du souci.Il dit qu'il vient parler a cette prisonnièreQu'on mit au Châtelet la semaine dernière ; Mais que sais-je aujourd'hui que le monde est sans foi[Note : Muguet : galant, coquet, qui fait l'amour aux dames, qui est paré et bine mis pour leur plaire. [F]]Si ce jeune muguet n'y viendrait point pour toi ? LA BOUCHÈRE. Alors qu'il vous donna de si belles pistoles,Que ne lui teniez vous de semblables paroles. LE BOUCHER. Si j'ai pris son argent, je l'ai fort bien servi, J'ay toujours son vouloir entièrement suivi,Lorsqu'il a désiré de parler à sa dameJ'ai toujours là-dessus satisfait à son âme,Cette seule faveur qu'il estime sans prixMérite bien l'argent que nous en avons pris. LA BOUCHÈRE. S'il pouvait réussir dedans son entrepriseNous pourrions quelque jour avoir sa chalandise. LE BOUCHER. Je ne veux point avoir de chalands comme luiQui me peuvent donner moins de bien que d'ennui. LA BOUCHÈRE. Vous rendant de la sorte à ses désirs contraire Voulez-vous d'un ami vous faire un adversaire ?Quoi que vous me puissiez là-dessus répartirÉvitons les moyens de nous en repentir. LE BOUCHER. Alison, il vaut mieux à ce point se réduireQue de se conserver un ami qui peut nuire. LA BOUCHÈRE. Qui peut nuire, comment ? LE BOUCHER. Si quelqu'un s'aperçoitQue nous favorisions le dessein qu'il conçoit,Je crains d'en recevoir du reproche et du blâme,Et qu'on mette au cachot gros guillaume et sa femme :À ne t'en point mentir et sans en rien celer C'est la le vrai moyen d'aller mourir en l'air,Quelque somme d'argent qui nous soit assuréeBon renom vaut bien mieux que ceinture dorée.Mais faites retirer ce pauvre que voilà. LA BOUCHÈRE. Mon ami Dieu vous aide, et tirez vous de là, Il a bien la façon de quelque tire-laine. LISANDRE. L'on parle à mon habit, soyez moins inhumaine,Connaissez vos amis. LA BOUCHÈRE. Nous les connaissons bien,Retirez-vous d'ici vous n'y gagnerez rien. LISANDRE. Cette chaine de prix. LA BOUCHÈRE. Nous en avons vu d'autres Qui nous ont bien appris ce que valent les vôtres.Allez vendre aujourd'hui vos coquilles ailleurs. LISANDRE. Ayez à mon sujet des sentiments meilleurs. LE BOUCHER. Soignez à votre bourse, et prenez y bien garde,Ce mignon d'hôpital fixement la regarde. LISANDRE. Reconnaissez Lisandre. LE BOUCHER. Hé monsieur excusezOn ne connaît pas bien ceux qui sont déguisés,Nous souffririons pour vous toute sorte de gêne. LISANDRE. Pour votre châtiment recevez cette chaîne.Je vais voir si Caliste est toujours en souci. LE BOUCHER. Disposez du logis et de son maître aussi.Cet homme a dans l'humeur je ne sais quoi d'aimableQui me charme l'esprit et me rend plus traitable. LA BOUCHÈRE. Mais dites qu'il avait dans ses mains enferméPlutôt qu'en son humeur ce qui vous a charmé. SCÈNE III. Lisandre, Caliste, le Geôlier, Le boucher. LISANDRE à la fenêtre du boucher. Caliste. CALISTE en prison. Êtes-vous là ? LISANDRE. Prêt à vous faire entendreLe dessein du bonheur, que vous devez attendre. CALISTE. Le geôlier me l'a dit, mais hélas ! Son effetNous chargera du mal que nous n'avons pas fait. LISANDRE. Mais un trop long discours enfin nous pourrait nuire. CALISTE. Quand je serai dehors, où m'irez vous conduire ?Où pourrons-nous aller ? Le monde a-il des lieuxOù mon mauvais destin ne jette point les yeux ? LISANDRE. Vous trouverez toujours après tant de misèreUn favorable asile auprès de votre père. CALISTE. Dieux ! Que puis-je espérer d'un père rigoureuxQui nous croit aujourd'hui justement malheureux ? LISANDRE. Si vous n'espérez rien de la rigueur d'un pèreVous pouvez espérer des douceurs d'une mère. CALISTE. Mais que deviendrez-vous ? LISANDRE. J'irai chez mes parents Nourrir avec mon feu mille soins différents.Là, mille traits d'amour me peindront ma Caliste. CALISTE. Hélas ! Qu'ils la peindront sous un visage triste. LE GEOLIER. Madame, descendons, il est temps de partir. LISANDRE. Trouves-tu le temps propre à la faire sortir. LE GEOLIER. Tout le monde est couché ; la nuit nous est propiceEt je suis disposé de vous rendre service.Mais dites-moi, Monsieur, les vôtres sont-ils prêts. LISANDRE. Alcidon et les miens m'attendent ici prés. LE GEOLIER. Monsieur descendez donc, attendez à la porte Que j'ouvre le guichet, et que Madame sorte. LISANDRE. Que je suis glorieux de t'obéir ainsi. LE BOUCHER. Le voici qui descend, il faut l'attendre ici.Que l'amour ce me semble est une chose amère !Et que c'est un métier ou l'on ne gagne guère ! LISANDRE. Fermez votre boutique, adieu. LE BOUCHER. Tout est à vousSoit de jour soit de nuit soyez libre chez nous. LISANDRE. Ô favorable nuit redouble un peu tes voilesDérobe à l'univers la clarté des étoiles.Mais il faut retourner dessous le Châtelet. CALISTE en sortant de prison donne au geôlier un bracelet. Ami reçois de moi ce petit bracelet. LISANDRE. Ha madame ! LE GEOLIER. Monsieur faisons ce qu'il faut faire,Cherchons la sûreté qui nous est nécessaire.Nous sommes tous perdus si quelqu'un nous entend. LISANDRE. Allons donc, le carrosse ici près nous attend. SCÈNE IV. LIDIAS accompagné d'un ami. Quelques difficultés, que tout le monde fasseJ'obligerai Lisandre en obtenant sa grâce,Et malgré Lucidan qui poursuit contre luiMon travail assidu finira son ennui.Ce n'est pas toutefois pour la mort de Cléandre Que je veux obtenir la grâce de Lisandre,Je poursuis seulement la grâce du duelOù Lisandre parût plus juste que cruel.J'espère après cela qu'en dépit de l'envieNous serons assurez du repos de sa vie, Et que dans peu de temps il viendra s'excuserDe l'autre assassinat qu'on lui veut imposer.En mille occasions ayant vu ta prudenceJe te dis mon dessein en toute confidence ;Mais afin d'en parler avec plus de loisir Allons chercher un lieu selon notre desir. SCÈNE V. Dorilas, Orante, Page, Lisandre. DORILAS. Ô déplorable fille ! Et moi plus déplorableD'avoir produit le mal qui me rend misérable !Hélas ! Que n'es-tu morte au moment que tes yeuxPour la première fois regardèrent les cieux. Grands dieux, que je vois bien au travers de mes gênesQu'en donnant des enfants vous nous donnez des peines,Et que le plus souvent pour épargner vos mainsVous punissez ainsi les fautes des humains :Vos secrets jugements qui surpassent les nôtres En font le prix des uns et la peine des autres.J'attendais de Caliste un visible supportEt c'est elle aujourd'hui qui me donne la mort. ORANTE. Quoi que la passion vous suggère contre elle,Je n'ai jamais pensé qu'elle fut criminelle. DORILAS. Encore si le ciel contraire à mon bonheurM'avait permis de voir ce traître suborneur,J'irais avec son sang réparer cet outrage. ORANTE. Vous changeriez bientôt d'humeur et de courage.Au charme présenté de ses perfections Votre coeur s'ouvrirait à d'autres passions. Page. Monsieur un messager qui semble être assez tristeDésire vous donner des lettres de Caliste. DORILAS. Qu'on le fasse monter, verrai-je sans fureurLes marques d'un esprit, qui cause tant d'horreur ? Non, non, mais que le sang a de puissantes armes !Ce qu'il ne peut par force il le fait par ses charmes,Et la sainte amitié qu'il fait naître en nos coeursS'y conserve toujours des mouvements vainqueurs. LISANDRE déguisé en messager. Caliste infortunée autant qu'elle est aimable, Qui n'a que le seul bien de n'être pas coupable,Provoque la pitié d'un père sans égalÀ voir dans ce papier l'image de son mal :Et vous aussi, Madame, à qui le nom de mèreNe permet pas d'avoir des transports de colère, Recevez cette lettre, et voyez si le cielPeut traiter un esprit avec plus de fiel. DORILAS. Qu'elle n'espère rien de ma douceur extrêmeTant qu'elle excusera l'homicide qu'elle aime. LISANDRE en messager. Lisandre épouvanté d'un soupçon si puissant Fera voir quelque jour son courage innocent. DORILAS. S'il n'est pas criminel, quel dessein légitimeL'empêche de venir se purger de son crime ? LISANDRE. Son duel, et la mort de ces deux cavaliersQue le roi mit au rang de ses plus familiers. Mais j'ai su le sujet, dont l'injuste apparenceFait naître tant de bruits contre son assurance,J'ai su d'où ce soupçon prit ses commencementsEt comment il trompa les meilleurs jugements. ORANTE. Votre discours m'étonne, et mon âme confuse Par les yeux du penser découvre quelque ruse. DORILAS. Mon ami, poursuivez, achevez ce proposD'où nos coeurs affligez espèrent du repos.Et puisque les discours en sont assez capablesFaites deux innocents de deux esprits coupables. LISANDRE. Vous savez que Lisandre assez connu de tousFit tomber Cloridan sous l'effort de ses coups ;Mais vous ne savez pas qu'il laissa son épéeDessus le même pré qui la vit occupée,Et que quelqu'un depuis d'une rage enflammé En a commis le mal dont Lisandre est blâmé. DORILAS. Je n'en puis que juger ; ô déités suprêmesDonnez quelque relâche a mes ennuis extrêmes.Mais de peur qu'en lisant ce pitoyable écritMes yeux ne fassent voir ce que j'ai dans l'esprit, Il me faut retirer ; je reviens tout a l'heure,Dieux que l'instinct est fort en voulant que je pleure ! ORANTE après avoir lu la lettre. Que cet évènement a troublé ma raison !Quoi Lisandre a tiré Caliste de prison !Elle est donc de ces pas la compagne fidèle ? LISANDRE. S'il n'est pas dans son coeur, il n'est plus avec elle.Mais quand elle suivrait ses pas et ses desseins,Pourrait-elle montrer des sentiments plus sains ?Puisqu'il sera toujours en dépit de l'envieL'appui de son honneur et celui de sa vie. ORANTE. Il ne l'appuiera pas, comme il l'a ruiné. LISANDRE. À cela toutefois les cieux l'ont destiné,S'il détruit son honneur ce n'est qu'en apparence,Mais il est en effet sa meilleure assurance ;Et son bras et le temps témoigneront un jour Que l'on peut accorder l'honneur avec l'amour.Mais si vous vous plaignez de ce qu'elle veut suivreCelui qui la défend, et qui la fera vivre,Montrez, en lui donnant un asile chez vous,Que vous êtes sa mère, et son espoir plus doux : Ce sont là ses désirs, et l'effort de LisandreLa tira d'un enfer afin de vous la rendre,Voudriez-vous laisser perdre un bien si précieuxQu'il peut rendre des rois jaloux et glorieux,Et que la piété laissât à votre exemple Outrager les vertus et détruire leur temple ?Non, non, si la nature a fait voir en son corpsLa parfaite union de ses plus beaux trésors,Le ciel qui ne veut pas, que l'injure l'offense,A fait naître ici-bas Lisandre à sa défense. ORANTE. Je crois que c'est Lisandre. LISANDRE. Oui, madame, c'est lui,C'est de votre bonheur le véritable appui. ORANTE. Que vous me remplissez de soin et de merveille !Qu'en cela votre amour se montre sans pareille ! LISANDRE. Ne vous étonnez pas de voir un changement Qui ne peut réussir qu'a votre allègement,Caliste et ses vertus divinement éclosesFont bien dedans les coeurs d'autres métamorphoses,Et comme ses beautés sont sans comparaisonIl faut l'aimer de même ou perdre la raison. ORANTE. Hélas ! Que cette amour en misère féconde. LISANDRE. L'innocence plus forte a toujours des clartésQui découvrent partout ses divines beautés. ORANTE. Les discours outrageux de l'humaine malicePour perdre la vertu l'habillent comme un vice, Quelque vive clarté qui la puisse assurerElle trouve des nuits qui la font égarer. LISANDRE. Un astre enveloppé des voiles d'un nuageNe perd rien des clartés qui sont en son visage ;Le soleil, qui se cache, est toujours sans pareil, En dépit de l'orage il est toujours soleil,Et la vertu cachée ou règne l'injusticeEst encore vertu dessous l'habit du vice ; ORANTE. On vomit tant de maux contre sa puretéQue l'on peut aisément altérer sa beauté. LISANDRE. En vain pour obscurcir les étoiles plus clairesLa terre pousse en l'air ses vapeurs ordinaires,Son dessein sans pouvoir ne lui sert seulementQu'a détruire l'honneur de son propre élémentPuisque de ses vapeurs le ciel forme un tonnerre Qui retombe sur elle, et lui porte la guerre. ORANTE. La langue en produisant mille discours trompeursA bien plus de pouvoir, que n'ont pas des vapeurs,Elle tue, elle brûle, et son feu trop à craindreNe rencontre point d'eaux qui le puissent éteindre, Le moindre vent l'allume, et le fait voir si fortQue des torrents entiers cèdent à son effort. LISANDRE. La langue variable aussi bien que notre âmeAprès beaucoup de maux éteint ce qu'elle enflamme,Et lorsqu'elle a détruit le temple des vertus Elle peut rétablir ses honneurs abattus,Faisant voir aux esprits qu'elle aurait pu séduireQue le même pouvoir sait bâtir et détruire. ORANTE. Elle détruit l'honneur, ou du moins l'affaiblitBien plus facilement qu'elle ne l'établit. LISANDRE. Selon qu'elle est propice ou qu'elle est ennemieElle engendre ici-bas l'honneur ou l'infamie,Si bien que nos amis nous peuvent conserverCe que nos ennemis tacheraient d'enlever.Mais sans perdre le temps à parler d'avantage Songez que votre fille est proche du naufrage,Et que votre faveur, qui la doit secourir,La peut facilement empêcher de périr :Souvenez-vous enfin que vous êtes sa mère. ORANTE. Hà que ce mot me donne une atteinte sévère ! Votre demande est juste, et pour moi je consensÀ terminer ici des malheurs si puissants.Gardez que Dorilas découvre votre ruseQue son ressentiment trouverait sans excuse ;Le voici qui revient, gouvernez vous si bien Que par votre discours il n'en connaisse rien. DORILAS. Caliste est donc sortie, et cette misérableA rompu les prisons pour être plus coupable.Que le ciel ennemi de mes contentementsÀ la fin de mes jours réservait de tourments ! Qu'avez-vous résolu ? ORANTE. Qu'après tant de contraintesElle arrête chez nous et ses pas et ses plaintes. DORILAS. Mais le moyen de suivre un dessein si fatalSans se rendre aujourd'hui complices de son mal. LISANDRE. Le devoir paternel vous servira d'excuse Si quelque médisant vous blâme et vous accuse. DORILAS. Le devoir paternel qui doit suivre les loisNe nous excuse pas du mépris de leurs droits. LISANDRE. Mais les plus saintes lois n'apprennent pas au mondeQu'un père doit laisser sa fille vagabonde. DORILAS. Faites que de ce pas ses voeux soient satisfaits,Et que tous ses désirs se changent en effets. LISANDRE. Que je suis glorieux d'obtenir la licenceDe ramener chez vous la grâce et l'innocence !Un père fait mieux voir les soins de son amour À conserver l'enfant qu'à lui donner le jour. DORILAS. Que cette malheureuse a reçu de traverses !Qu'elle remplit mon coeur de passions diverses !Elle devait mourir, et se percer le seinPlutôt que de songer à ce lâche dessein. ORANTE. Les fers d'une prison et la crainte des flammesÀ d'étranges effets font résoudre nos âmes,Le désir de la vie est si doux et si fortQu'il résiste toujours à celui de la mort,Et quelque vanité qui nous en fasse à croire Il est plus naturel que l'honneur et la gloire. DORILAS. Non pas aux vertueux, mais aux lâches espritsQui pour un jour de vie ont l'honneur à mépris,Apprenez que sans lui c'est peu que notre vie,Sans lui c'est une mort de mille autres suivie, Quelque possession que l'on ait du bonheurC'est être plus que mort que vivre sans honneur. ORANTE. Qui ne sort pas des maux, voyant la porte ouverte,A toujours mérité son malheur et sa perte. DORILAS. Il vaut mieux expirer au milieu du tourment Que de suivre un moyen d'en sortir lâchement. ORANTE. Quand l'on voit le plaisir que le beau temps apprêtePourrait-on se résoudre à suivre la tempête ?Et lorsqu'on voit la vie avec tous ses attraits.Et le trépas armé de ses plus rudes traits, Quelque dessein d'honneur, que l'âme veuille faire,Il est bien malaisé que la mort puisse plaire :Ceux qui l'ont préférée aux célestes clartésNe pouvaient plus sortir de leurs adversités. DORILAS. N'était ce pas assez qu'un espoir véritable Lui parlat de la fin d'un sort si lamentable ?Et que ma diligence en l'assurant du portEût déjà désarmé la justice et la mort ? ORANTE. Elle vit des faveurs présentes et certainesQue l'espoir incertain n'offrait pas à ses peines. DORILAS. Mais d'un crime douteux, son esprit égaréEn forme à son malheur un forfait assuré,Quand l'on verrait parler l'innocence pour elleCette fuite l'accuse et la rend criminelle.La voici, suivez moi ; qu'elle vienne avec vous, Que l'amour des enfants a de pouvoir sur nous ! ACTE III SCÈNE I. Adraste, Lisandre. ADRASTE. Mon fils, unique appui du bonheur de ma vie,Que votre longue absence a mille fois ravie,Après tant de tourments et d'outrages souffertsQui vous ont en vivant découvert les enfers, Il est temps de finir mes peines sans pareilles,Pour avoir du repos j'ai fait assez de veilles ;Vous avez trop brûlé dans des feux dissolus,Ils ont été sur vous trop longtemps absolus,Il faut enfin souffrir que la raison vous range Aux termes désirés d'un favorable change,Et que ce doux soleil qui luit sur les espritsVous découvre les fers ou l'amour vous a pris :Alors que ce tirant conçoit notre ruineIl nous montre la rose, et nous cache l'épine, Et sa flamme est semblable a l'éclair, qui ne luit,Que pour nous annoncer la foudre qui le suit.Ne pensez pas pourtant que ma froide vieillesseM'oblige à condamner ce dieu de la jeunesse,Ou que mon impuissance autorise un discours À qui ceux de votre âge ont toujours fait les sourds,Non, non, il faut aimer d'un amour nécessaireQui reçoive des lois et n'en puisse pas faire,Il faut que la raison lui serve de flambeau,Qu'elle le fasse naître, et le mette au tombeau ; Alors que nous croyons sa défaite impossible,C'est notre lâcheté qui le rend invincible.Quittez donc ces transports, et ce honteux desseinQue les yeux de Caliste ont mis dans votre sein,Et puisque nous devons de l'amour au mérite, Rendez vous sans contrainte aux vertus d'Hyppolite,Son coeur que la nature avait fait d'un rocherÀ votre seul aspect est devenu de chair,De tant de cavaliers qui l'avaient entrepriseVous avez sans travail dérobé sa franchise ; Et vous mépriseriez de captiver vos joursSous les plus beaux liens que fassent les amours ! LISANDRE. Si ses attraits vainqueurs de tant de belles âmesNe pouvaient rien sur moi par leurs divines flammes,Vos seules volontés qui me peuvent charmer Auraient assez d'appas pour me la faire aimer. ADRASTE. Pourquoi donc au mépris d'une beauté parfaiteVous montrez vous si froid au bien qu'on vous souhaite ? LISANDRE. Mon honneur offensé des discours qui se fontVous fait voir malgré moi ces froideurs sur mon front, Et mon renom blessé défend à mon courageDe sentir d'autre mal que celui qui l'outrage ;Souffrez donc que je vois une autre fois la courEt que je montre ainsi mon innocence au jour. ADRASTE. Brisez là ce discours ; voulez-vous que je souffre Que vous alliez encor vous jeter dans un gouffre ?Nous avons des amis, dont les soins assidusVous rendront les plaisirs que vous avez perdus. LISANDRE. Quelquefois l'on s'y trompe, et les amis extrêmesOnt affaire souvent d'eux-mêmes pour eux mêmes. Nous vivons en un temps ou l'amitié s'endortQuand la moindre disgrâce a changé notre sort,Et ne s'éveille point des liens qui la tiennentQu'au bruit délicieux des faveurs qui reviennent. ADRASTE. La terre, qui porta des amis si parfaits, En peut produire encor les merveilleux effets. LISANDRE. Pour les revoir encor dans le siècle ou nous sommes,Il faudrait que son dos portât les mêmes hommes. ADRASTE. Ne me contestez plus, et suivez mes conseilsQui sont de votre mal les meilleurs appareils, Tous les amis que j'ai, le temps les a fait naîtreEt l'un et l'autre sort me les a fait connaître. LISANDRE. Pour craindre toutefois qu'ils changent a leur tourC'est assez de savoir qu'ils sont nés a la cour. ADRASTE. Gardez que ce discours n'ajoute à votre peine Le honteux déplaisir de tomber dans ma haine. LISANDRE. Le respect, que je dois au nom que vous portez,M'exemptera des maux dont vous m'épouvantez ;Et pour vous assurer que mon obéissanceNe fléchira jamais sous une autre puissance, J'irai voir Hyppolite avec des discoursDont l'ardeur fera voir celle de mes amours. ADRASTE. Tenez vous donc ainsi dans le soin de me plaire,Et mon affection en sera le salaire. LISANDRE, seul. Ô pere sans pitié, tu n'as jamais appris Ce que peut un bel oeil sur les jeunes esprits,Quelques vives raisons, qui nous donnent des armes,On ne peut éviter sa force ni ses charmes :Si tu voyais Caliste, ou ses moindres attraits,Tes beaux enseignements céderaient à ses traits ; L'amour te ferait dire en te venant contraindreQu'il n'est pas dans ses yeux comme tu le veux peindre,Et sans prendre le soin de connaître mon malTu serais malgré toi mon père et mon rival.Mais porte contre moi l'horreur et la menace, Emprunte des fureurs l'impérieuse audace,Et que le ciel propice à tes voeux inhumainsTe prête son tonnerre, et le mette en tes mains,Pour abattre aisément tout ce qui me résisteJe ne veux qu'opposer les attraits de Caliste, Ou si tu veux enfin en paraître vainqueur,Pour m'arracher l'amour, arrache-moi le coeur.En vain pour affaiblir le feu que j'ai dans l'âmeTu me viens commander d'aimer une autre dame,Tous les commandements que l'on nous fait d'aimer En éteignent l'envie au lieu de l'enflammer.Ha frivoles desseins des cruautés d'un père,Qui s'aveugle lui-même, et qui me désespère !Il veut que son pouvoir, que le ciel a borné,Passe jusqu'à l'esprit qu'il ne m'a pas donné, Et que ce vain respect, dont j'abhorre l'usage,Se loge dans mon coeur comme sur mon visage ;Non, non, je veux céder a mes ressentiments,Ce respect n'est pas fait pour les parfaits amants,Quiconque sait amer, sait mépriser les craintes, Et d'un fâcheux devoir les sévères contraintes.Qu'ai-je enfin résolu ? La nature à son tourMe parle de respect, et Caliste d'amour :Dieux ! Quelle sûreté finira mes alarmes ?Un père a des conseils, et Caliste a des charmes. Le ciel assure ici le repos de mes jours,Et le cruel y met en danger mes amours,Mais pour montrer l'excès de mon ardeur extrêmeJ'aime mieux assurer mes amours, que moi-même.J'irai chez Hyppolite afin de témoigner Que je n'en approchai que pour m'en éloigner. SCÈNE II. Hyppolite, Lisandre. HYPPOLITE seule. Ne dis plus que ton coeur a triomphé des charmesQui font vivre l'amour, et lui donnent des armes,Ne dis plus que les traits, dont il blesse les dieux,Ont vainement touché ton esprit glorieux : Je cède à ses efforts, et j'aime le servageOu depuis peu de jours sa puissance m'engage ;Ce dieu s'étant instruit que sa forme d'enfantN'obtiendrait pas sur moi le nom de triomphant,Après avoir usé ses liens pour me prendre Prit pour me surmonter la forme de Lisandre.Hélas ! Ce fut un jour, que le ciel plus riantOuvrit a la clarté les portes d'orient,Et que les champs couverts d'une nouvelle grâceNous avaient invité au plaisir de la chasse, Comme si le soleil en donnant un beau jourEut voulu s'accorder au dessein de l'amour.Lisandre s'y fit voir plus parfaite que les grâces,Je suivais en tous lieux ses amoureuses traces,L'étonnement de tous fut alors sans pareil De voir Mars sur son front plus beau que le soleil,Ses yeux toujours charmants, et toujours redoutablesMe tendirent partout des rets inévitables,Je chassai quelque temps avec ce vainqueurMais je connus bientôt, qu'on ne prit que mon coeur : Je voulus mille fois éviter cette priseMa raison s'efforçait de garder ma franchise,Et même tous les jours un reste de ses droitsS'oppose dans mon âme aux amoureuses lois,Elle me dit encor alors que je l'irrite Que je porte le nom du premier Hyppolite ;Mais à tant de discours je réponds à mon tour,Que je n'ai pas son coeur pour surmonter l'amour,Et que pour demeurer dans des prisons si bellesLa même liberté se couperait les ailes. Mais voici mon Lisandre. Hé dieux que de plaisirEn le voyant ici succède à mon désir !D'où vient que la tristesse a peint votre visageDes plus pâles couleurs qu'elle met en usage. LISANDRE. J'en touche le sujet, et je l'ai dans le sein. HYPPOLITE. Que vous êtes savant à cacher un dessein.Vous me voulez montrer que si je me sais plaindreVous savez en amour encore mieux vous feindre. LISANDRE. C'est assez que vos yeux me blessent tous les joursSans me blesser encor avec vos discours. HYPPOLITE. Mon discours sans dessein est témoin de la crainteQui n'abandonne point l'amitié la plus sainte. LISANDRE. Un amant souffre en l'âme un tourment sans égalAlors qu'on ne croit pas ce qu'il dit de sont mal.Croyez que dans l'excès de l'ennui qui me dompte, Je ne vous saurais voir sans amour et sans honte. HYPPOLITE. Et sans honte ! Il est vrai, vous pouviez faire un choixOu vous eussiez vécu sous de plus belles lois,Mais. LISANDRE. Vous m'expliquez mal, ma honte ne procèdeQue d'un injuste outrage à qui ma gloire cède. L'on m'accuse à la cour de tant de lâchetésQue les moins généreux en seraient irrités :Les envieux discours d'une rage ennemiePour tacher mon renom, me chargent d'infamie,Vous en savez la cause ; étant donc odieux Pourrais-je bien sans honte approcher de vos yeux ?Hélas ! Ce déplaisir m'aurait l'âme ravie,Si vos attraits plus forts ne conservaient ma vie. HYPPOLITE. Ce bruit injurieux ne peut-il s'étouffer ? LISANDRE. Ma présence suffit afin d'en triompher. Mon père, qui le sait, est sourd à mon envie,Il veut que la paresse assure ici ma vie,Et que j'attende enfin du soin de ses amisLa gloire et le repos que je m'étais promis.Vous pouvez mon souci me donner un remède, Vous pouvez me tirer du mal qui me possède,Et bien que mon amour soit certain de vos feux,Vous pouvez en donner cette preuve à mes voeux. HYPPOLITE. Il n'est rien que pour vous je ne voulusse faire. LISANDRE. Feignez donc d'avoir à la cour quelque affaire, Et mandez à celui qui me donna le jourQue votre occasion y presse mon retour. HYPPOLITE. L'apparence, qu'il souffre après tant de tristesseQue je mette au hasard sa plus grande richesse. LISANDRE. Vos seules volontés, qui lui servent de loi, Lui rendront mon départ moins sensible qu'a moi. HYPPOLITE. Quand il le souffrirait, j'aurais toujours le blâmeDe ravir de son sein la moitié de son âme. LISANDRE. J'endure assez pour vous, pour en avoir ce bien. HYPPOLITE. Enfin votre désir l'emporte sur le mien. Mais quoi ! Pourrai-je vivre ou mon âme me quitte ? LISANDRE. Je vous laisse la mienne, adorable Hyppolite,Et pour la retrouver dedans un si beau lieuJe veux que mon retour soit plus prompt que l'adieu. HYPPOLITE. Que le mal qui surprend à de puissantes armes, Et que vos volontés sont fertiles en charmes !Adieu donc, cher objet de mes contentements. LISANDRE. Hà que ce triste mot à pour moi de tourments !La crainte d'augmenter la douleur qui me toucheM'empêche de tirer un adieu de ma bouche. SCÈNE III. Lidian, Adraste, Page. LIDIAN. Enfin malgré les soins de tous les envieuxVotre fils satisfait paraîtra glorieux. ADRASTE. Cher ami Lidian, que venez vous m'apprendre ? LIDIAN. Nous avons obtenu la grâce de Lisandre. ADRASTE. Hà que cette nouvelle est selon mes désirs, Et que votre discours fait naître de plaisirs ! LIDIAN. À la charge pourtant qu'après sa longue absenceIl viendra dans un mois prouver son innocence. ADRASTE. Comment ? LIDIAN. Par un combat, qu'un nommé LucidanVint demander au roi pour venger Cloridan. ADRASTE. L'accuse-on encor de la mort de Cléandre ? LIDIAN. Personne la-dessus ne le saurait défendre,Mais après ce combat il s'en pourra purger,Et délivrer ma soeur de peine et de danger.Pour moi j'ai toujours dit qu'il était incapable De cette lâcheté dont on le croit coupable,Ses belles actions, que tout le monde sait,Ont été les témoins qui m'en ont satisfait. LIDIAN. Ne le verrai-je point ? ADRASTE. Il est chez Hyppolite. LIDIAN. Déjà passionné d'avoir vu son mérite. ADRASTE. Ce n'est pas tant l'amour, que la civilité,Qui le fait visiter cette jeune beauté,Vous savez mieux que moi le sujet qui l'engage.Mais sans doute Hyppolite envoie ici ce page. Page. Je vous viens apporter la lettre que voici De la part d'Hyppolite, et de Lisandre aussi. ADRASTE. Que fait Lisandre ? Page. Il vient de partir tout à l'heure. ADRASTE. Pour aller ? Page. Je ne sais. ADRASTE. Veut-il donc que je meure ?Permettez-moi de voir cet écrit seulement. LIDIAN. Lidian est à vous, usez en librement. ADRASTE, ayant lu la lettre. Cette lettre m'apprend qu'une petite affaireA rendu de mon fils le départ nécessaire,Il s'en retourne en cour, on me le mande ainsi. LIDIAN. Cela vous doit ôter de peine et de souci. ADRASTE. Je ne plaindrais jamais sa mauvaise fortune Si je ne connaissais qu'elle vous importune. LIDIAN. J'irais pour un ami jusque dans les enfersAu mépris de la mort le retirer des fers.Mais puisqu'il est parti je ne puis davantageDifférer le dessein d'un assez beau voyage : Si vous ne m'arrêtez pour vous servir de moiJ'irai voir l'Angleterre où se fait un tournoi,Où de tous les côtés on verra la noblesseExercer à l'envi sa force et son adresse. ADRASTE. Si vous n'aviez pas pris ce généreux dessein Moi-même je voudrais le mettre en votre sein,Allez et que le ciel seconde votre envie. LIDIAN. Et qu'il prenne toujours le soin de votre vie. ADRASTE. Page va retrouver ta maîtresse et lui disQu'elle a pû disposer et du père, et du fils. Si je dois m'assurer aux lettres d'Hyppolite,C'est pour aller en cour que Lisandre me quitte ;Que sais-je toutefois si son premier amourNe l'empêchera point de retourner en cour ?Et si l'aveugle erreur, ou son âme persiste, Ne l'arrêtera point dans les bras de Caliste ?Car enfin j'ai connu sur son visage feintQue ce premier amour n'est pas encor éteint.Que ferai-je, immortels, pour finir mes alarmes ?J'irai voir à la cour ce que peuvent ses armes, Et si contre mes voeux, l'excès de son malheurRetenait autre part sa guerrière valeur,La mienne fera voir au combat qu'on proposeQue le père et le fils sont une même chose. SCÈNE IV. Caliste, le valet de Lisandre. CALISTE seule. Hélas ! Qu'ai-je entendu qui porte dans mon sein Les premiers mouvements d'un tragique dessein ?L'on nous vient d'assurer que Lisandre infidèleSuit les nouveaux liens d'une amante nouvelle,L'on nous assure encor que dedans peu de joursUn malheureux hymen unira leurs amours ; Tant de temps écoulé sans flatter mon martyreDu moindre des discours que l'amour nous inspire,Et la triste longueur de ses retardementsMe découvrent assez ses parjures serments.Perfide, qui n'as rien de l'amour que ses ailes, Que ne différais-tu tes desseins infidèles,Jusqu'à ce que le ciel justement irritéM'eût rendu le renom que tu m'avais ôté ?Cette infidélité, qui te rend si coupable,Étant plus paresseuse, eût été moins blâmable, Et pour me consoler, mon honneur de retourEût tenu dans mon coeur le lieu de ton amour.Viens voir, traître, viens voir sans m'offrir d'assistance,Que ta seule malice égale ma constance ;Viens voir encor un coup si mes longues douleurs Ont épargné pour toi des soupirs et des pleurs,Toutefois ne viens pas, tu dirais que ma boucheNe donne que du vent à l'amour, qui me touche,Tu dirais que mes yeux en te donnant de l'eauTe font voir l'inconstance ou du moins son tableau, Ou bien qu'ayant donné ma raison à tes charmesC'est te donner trop peu que de donner des larmes ;Mais si des pleurs sont peu je verserai du sang,Je t'ouvrirai mon sein, je t'ouvrirai mon flanc,Je ne dis pas mon coeur, car hélas ! Ton image L'a dès longtemps ouvert au malheur qui m'outrage.Que me servent ces pleurs, dont j'arrose mes pas ?En pleurant aujourd'hui, je ne m'allège pas,Et les maux ont pour moi de trop vives atteintesPour guérir par des pleurs ou finir par des plaintes. Je quitterai pour toi le logis paternel,Je veux suivre tes pas et ton feu criminel,L'espoir de te trouver me rendra vagabondePartout où le soleil prête le jour au monde,Et lors, devant tes yeux, la rigueur de mon sort Signera de mon sang ma sentence de mort ;Ces mains si lâchement par les tiennes presséesDéchireront ce coeur qui reçut tes pensées,Ce corps qui fut jadis l'idole de tes voeuxÉteindra dans son sang les restes de ses feux : Et ma mort fera voir par ce sanglant spectacleQue tes nouveaux desseins ne trouvent plus d'obstacle.Non, non, je veux changer au mépris des hasardsLes fureurs de l'amour en celles là de Mars :Je sortirai des bras et du sein d'une mère Non pas pour suivre encor ton amour trop légère,Mais pour perdre la vie à la face du roiDans l'injuste combat, qui se fera pour toi.Qu'on appelle imprudent le dessein que je tente,Il ne m'importe pas, pourvu qu'il me contente ; Si mon honneur est mort dans mes feux indiscretsJ'aurai ce dernier bien de le suivre de près,Et je témoignerai que ma force abattueDéfendit constamment le traître qui me tue,Non pas pour l'obliger à me rendre son coeur Mais pour y mettre ver, qui s'en rendra vainqueur,Pour y mettre un remords, dont les forcèneriesAugmenteront chez lui le nombre des furies,Et qui convertiront en faveur de mes mauxLes feux de son amour en des feux infernaux. Mais n'aperçois-je pas le valet de Lisandre ?Il faut savoir de lui ce que j'en dois attendre.Que viens-tu faire ici ? Le Valet. Mon maître ma chargéDe vous donner ce mot. CALISTE. Ce traître a donc changé ?Et par ce mot décrit le perfide m'invite D'assister à sa noce et de voir Hyppolite. Le Valet à l'écart. Que je lis de transports sur son front irrité ! CALISTE en lisant la lettre. Que tu déguises bien ton infidélité ! Le VALET à l'écart. Ce murmure est témoin de quelque jalousie,Qui règne injustement dedans sa fantaisie. CALISTE en lisant la lettre. Lâche et perfide auteur de tous mes déplaisirsQue tu t'es bien instruit à cacher tes désirs ! Le Valet. À qu'elle extrémité vous portez-vous, Madame ?Quel injuste soupçon refroidit votre flamme ? CALISTE. Cependant qu'il m'écrit et se rit de mes voeux N'est il pas assuré qu'il brûle en d'autres feux ? Le Valet. Il est vrai. CALISTE. Pourquoi donc. Le Valet. Non pas ce que vous dites,L'amour qu'il a pour vous est un feu sans limites ;Il est vrai que partout ses parents rigoureuxLe pressaient de changer ses desseins amoureux, Et que sa prompte fuite a trompé leurs attentesAu point qu'ils pensaient voir leurs volontés contentes.Jugez de son amour par de si grands effets. CALISTE. Que ne vient-il guérir tant de maux qu'il a faits ?N'avez-vous pas appris devant votre venue Comment tous ses amis ont sa grâce obtenue ? Le Valet. Nous ne l'avons point su. CALISTE. C'est ainsi que les dieuxFerment âmes travaux et l'oreille et les yeux,Qu'ils ne m'épargnent pas me voilà toute prêteÀ servir de visée aux coups de la tempête ; Mais je demande en vain qu'ils me privent du jourJe dépends moins des dieux que des traits de l'amour.Qu'est devenu Lisandre ? Le Valet. Il a changé de terre,Le grand bruit d'un tournoi l'appelle en Angleterre,Et je veux m'exposer a mille cruautés Si ma bouche est ouverte a quelques faussetés. CALISTE. Tes raisons, paraîtraient plus fortes que ma flammeDevant que d'arracher le soupçon de mon âme.S'il avait plus d'amour pour mes feux véhémentsIl en aurait bien moins pour ses contentements ; Et sans chercher ailleurs la gloire qui l'attire,Il défendrait ici la sienne qu'on déchire.Je répondrai pourtant à son perfide esprit,Non pas aux faussetés du discours qu'il m'écrit.Tu seras le porteur de ma triste pensée Et des ressentiments de ma gloire offensée :Mais je veux que ton oeil connaisse auparavantQue ma foi ne prend rien des qualités du vent,Et qu'un peu de raison me force de défendreLa gloire de mes jours, et l'amour de Lisandre. Le Valet. Madame, quel dessein prenez vous ? CALISTE. Il est pris,Mes transports poursuivront ce qu'ils ont entrepris,Et le seul désespoir de mon âme confuseMe donnera la paix que l'amour me refuse.Ce bras sans habitude au travail des guerriers Obtiendra des cyprès s'il n'obtient des lauriers. Le Valet. Le ciel n'a pas formé tant de beautés en terrePour les faire servir aux fureurs de la guerre. CALISTE. Approuve mon dessein, j'en viendrai bien à bout,Et sache que l'amour nous rend propres à tout. ACTE IV SCÈNE I. Le Roi, Lucidan, Adraste, Hippolite, Caliste, Béronte, Lidian, le juge de camp, Dorilas, le valet de Lisandre. LE ROI. Enfin voici le jour ou le ciel équitableNous fera voir Lisandre innocent ou coupable,Les combats sont douteux sous l'enseigne de Mars,Mais souvent la justice en chasse les hasards ;Et quelque vaine peur qui nous en fasse à croire Les dangers sont toujours les chemins de la gloire.Une âme généreuse établit son bonheurDans la possession d'un véritable honneur,Pour garder ce trésor plus cher qu'un diadèmeElle doit se porter au mépris d'elle même, Et comme un autre Alcide aux travaux indomptéMonter par les périls dans l'immortalité.La mort n'est pas un mal qui ne trouve point d'aide,L'honneur qui fait revivre en est le vrai remède :C'est lui qui vous appelle aux combats solennels Où l'équité départ des lauriers éternels. LUCIDAN armé. Grand roi victorieux sur la terre et sur l'onde,Dont la gloire remplit et l'un et l'autre monde,La justice, et l'honneur vrais soleils des humainsOnt armé tout ensemble et mon coeur et mes mains : Me voilà disposé de tirer l'allégeanceQue l'on peut espérer d'une juste vengeance,Où je suis résolu de suivre au monumentCrisante et Cloridan outragés lâchement ? LE ROI. Mais je suis étonné de savoir que Lisandre Paresseux à son bien ne vient pas se défendre.L'on dirait aujourd'hui qu'il craigne le malheurEt qu'un juste remords endorme sa valeur ADRASTE, armé et couvert d'un casque. Sire son innocence a des charmes visiblesQui conduisent ici nos armes invincibles ; Puisque pour satisfaire à la rigueur des loisSans nous être connus nous paraissons tous trois,Qu'il nous soit accordé de venger tant d'outragesEt que trois opposés exercent nos courages. LUCIDAN. Crisante et Cloridan qui vivent dans mon coeur M'aideront aisément a me rendre vainqueur,Ou si de ces seconds les offres généreusesNe peuvent contenter vos âmes valeureuses,Sans chercher autre part de plus braves guerriersCe bras est mon second, et ce fer est mon tiers. LE ROI. C'est ainsi que souvent au martial orageL'on perd le jugement pour garder son courage.Le sort toujours aveugle en ses électionsDoit contenter ici toutes vos passions,Que chacun de ses trois que l'honneur nous amène Apporte dans ce casque une marque certaine. ADRASTE. Bien qu'un même dessein anime nos désirs,Sire, nos volontés cèdent à vos plaisirs. LE ROI. Et celui dont la marque en sera retiréeRendra de sa valeur la preuve désirée. Si Lucidan lui cède, et s'il fléchit dessous,Lisandre glorieux doit demeurer absous ;Ou bien si le destin ordonne le contraire,Nous aurons de son crime une preuve assez claire.Qu'on amène un enfant, qui borne ce débat, Et tire sans soupçon la marque du combat,Ainsi pour l'innocence on verra l'innocenceDisposer du combat plutôt que ma puissance. CALISTE armée, et couverte d'un casque à l'écart. Le ciel est si sujet a rejeter mes voeuxQu'il n'accordera point le trépas que je veux. La crainte d'un effet contraire à mon envieEst le mal plus cruel qui traverse ma vie. LE JUGE DE CAMP, parle à l'enfant. Tirez. CALISTE, voyant que l'on n'a pas tiré sa marque. Ha je vois bien que l'injure du sortPour allonger mes maux a différé ma mort. HYPPOLITE, armée et couverte d'un casque. La fortune sans yeux quelquefois secourable En a pris aujourd'hui pour m'être favorable,Et le ciel qui sait bien ce que j'ai méritéAccorde le hasard avec l'équité. LE ROI parlant à Hyppolite. Suivez donc le destin dont la force immortelleVoulut que votre bras finit cette querelle. LUCIDAN. Chères ombres jadis l'ornement des mortelsSi l'on ne vous fait pas des voeux et des autels,Vous aurez pour le moins une juste victimeQue ce guerrier apporte à mon deuil légitime. HYPPOLITE. Puisque tu chéris tant des ombres sans pouvoir Pour faire un trait d'ami tu les dois aller voir. LE ROI. Quelle fureur les porte, et quelle violenceAccompagne les coups que chacun d'eux élance.Le tonnerre fondant d'un nuage écartéChoque avec moins d'effort le monde épouvanté. LUCIDAN. Ton sang est mon espoir, et le prix de ma peine. Le Juge de camp. Le travail les contraint de reprendre l'haleine. HYPPOLITE. Ne te repose point ; la force de ce brasTe fera reposer plus que tu ne voudras. LE ROI. Mais qui sont ces guerriers pleins d'ardeur et d'audace, Qui d'un pas orgueilleux mesurent cette place. Le Juge de camp. Cavaliers, quel dessein vous arme maintenant,Et quel des deux partis allez vous soutenant ? BÉRONTE. À dessein de finir une longue querelleNous paraissons ensemble où l'honneur nous appelle, Et je me vois contraint d'opposer mon effortAux injustes rigueurs de la haine et du sort :La passion aveugle alors qu'elle est extrêmeDonne à ces cavaliers des mouvements de même.Seul de tous vos sujets de cette affaire instruit Je rétablis l'honneur qu'un soupçon a détruit,Et malgré les assauts que l'innocence souffreJe puis seul retirer la vérité d'un gouffre. LUCIDAN. On ne l'en peut tirer si ce n'est par le fer. BÉRONTE. Elle peut aisément sans armes triompher. Alors que Cloridan eut appelé Lisandre,Mille murmures sourds me le vinrent apprendre :Aussitôt l'amitié me pressa de courirOù pour les séparer ou pour les secourir,Mais j'arrivai trop tard, Cloridan sur la place N'était plus dans son sang qu'un homme tout de glace,Et Crisante pressé d'un semblable malheurLouait même en mourant Lisandre et sa valeur.Que si quelqu'un voulait avancer le contraireVoici de quoi prouver ce que je ne puis taire. Le Juge de camp parlant à Lucidan. Quel indice avez-vous que Lisandre ait commisUn si lâche attentat envers vos deux amis ? LUCIDAN. Quel ? Je n'en sache point, mais l'honneur me convieDe venger mes amis, ou de perdre la vie. Le Juge de camp. Ce discours nous fait voir l'injuste passion Qui vous porte aujourd'hui dedans cette action.On ne peut conserver le titre d'équitableEt croire en même temps que Lisandre est coupable. LE ROI. Aussi comme son roi propice à son bonheurJe lui donne sa grâce, et lui rend son honneur. Après avoir ici découvert vos couragesGénéreux cavaliers découvrez vos visages.Et vous cher Lucidan embrassez ce guerrierQui vient de disputer avec vous le laurier. ADRASTE. Hé dieux c'est Hyppolite ! CALISTE. Hà je suis sans remède Et j'ai plus de fureurs que l'enfer n'en possède.Il me faut retirer. LE ROI. Un tel évènementNe met en mon esprit que de l'étonnement LUCIDAN. Est ce Mars ou Vénus ? La force de ses armesMe découvre le dieu qui préside aux alarmes, Et tant d'attraits divins m'apprennent à leur tourQu'on voit en cet habit la mère de l'amour,Ou je croirai plutôt que la nature assembleDedans un même corps Mars et l'amour ensemble. LE ROI. Invincible Amazone, adorable en tous lieux, Et dont la main sait vaincre aussi bien que les yeux,Qui vous a pû contraindre à montrer que la gloireVous reservait ici des palmes de victoire ?Généreuse beauté quel glorieux desseinVous a mis aujourd'hui les armes en la main ? HYPPOLITE. Les vertus de Lisandre accusé sans offenseM'obligent maintenant à sa juste défense.Les cieux, de qui les yeux ne sont jamais fermés,Font voir à sa faveur les deux sexes armés,Et sa seule innocence est si forte et si belle Qu'ils n'ont mis qu'une fille à combattre pour elle. LE ROI. Ainsi sans y songer le monde glorieuxPossède une Minerve aussi bien que les cieux,Ô merveille sans pair, dont l'effet incroyableN'ayant pas été vu semblerait une fable ; Qui ne s'étonnerait après tant de hasardsDe voir un corps de fille avec un coeur de Mars ! LUCIDAN. Jadis les cavaliers prodigues de leurs âmesDéfendaient les beautés, et la gloire des dames,Mais malgré les périls aux armes familiers Les dames aujourd'hui vengent les cavaliers. LE ROI. Mais qui peut empêcher qu'on ne voie Lisandre ? LIDIAN. Lorsque vous eûtes dit qu'il se viendrait défendre,Le dessein de le voir me fit aller aux lieuxOu je croyais jouir de l'aspect de ses yeux ; Mais j'appris que le soin de combattre l'outrageRamenait à la cour ce généreux courage,Certain de son retour je perdis le souciDe le suivre plus loin, et de venir ici,Et ce fameux tournoi que vantait l'Angleterre Appela mon courage à cette douce guerre,Là je trouvai Béronte, et je fus bien surprisDe voir aussi Lisandre y disputer un prix,Aussitôt je l'aborde, et lui dis pour nouvelleQue votre majesté le rappelait près d'elle. Dés le même moment nous nous mîmes sur merQu'un vent impétueux fit soudain écumer,Et toucha nos esprits d'un si triste présageQue le pilote même en changea de visage ;La peur lui fit quitter le soin de son vaisseau Et pousser son esquif à la merci de l'eau,Il se jette dedans, Lisandre fait de mêmeNon pas pour nous laisser en ce danger extrême,Mais afin de forcer ce pilote insenséDe reprendre le soin du vaisseau tout cassé. Cependant la tempête augmente ses atteintes,Sa violence croît et fait croître nos craintes,Et les flots complaisants aux vents impérieuxÉloignèrent Lisandre et l'esquif de nos yeux :Ce fut là que le ciel fit tomber sur nos têtes Le plus sensible coup de toutes ses tempêtes,Et comme si la mer dedans son lit mouvantN'eût pas eu pour nous perdre assez d'eaux et de vent,Réduits à la merci de si vives alarmesNous lui donnions encor nos soupirs et nos larmes. LE ROI. Où fûtes vous portez ? BÉRONTE. L'aveuglement du sortNous pensant abîmer nous jeta dans le port. ADRASTE. Hélas ! Mon fils n'est plus ! LE ROI. Le ciel notre vrai pèreConserve ses enfants lorsqu'on en désespère.Mais un des combattants s'est retiré de nous, C'est celui qui parût en même temps que vous.Que l'on suive ses pas. LUCIDAN. C'est Lisandre peut-être,Que la mort de Cléandre empêche de paraître. LIDIAN. Je ne saurais penser qu'il soit si près d'iciSans nous venir ôter de peine et de souci. LE ROI. En est-il donc coupable ? A-t-on quelques indicesQu'il ait pu mettre au jour de si noires malices ? BÉRONTE. Autrefois un soupçon injustement conçuImprima ce penser dans mon esprit déçu,Mais enfin je confesse en ce lieu vénérable Que je suis criminel de l'avoir crû coupable.J'ai su qu'au même instant qu'un rigoureux effortFit trouver a mon frère une subite mort,Lisandre avec Tirsis était hors de la villeEt contre vos fureurs il cherchait un asile, LE ROI. Nous saurons à loisir tant d'accidents diversQue le temps a cachés, et qu'il a découverts,Mais puisqu'on voit Lisandre en un état si tristeJe veux être son juge et celui de Caliste,Et suivant les conseils que donne la raison Leur faire de ma cour une belle prison.Amis retirons nous après tant de merveillesQue le ciel fit exprès pour être sans pareilles. Dorilas, Lidian, et le valet de Lisandre demeurent. DORILAS. Pauvre père attaqué des plus sensibles coupsQue la rigueur du ciel décharge dessus nous, Mal voulu désormais des puissances divinesLe bien ne me vient voir qu'avec des épines ;Le retour de Caliste apaisa mes soupirsMais sa fuite a produit de nouveaux déplaisirs :Au point qu'on veut l'aider, hélas ! Elle se tue. Dieux que réservez-vous à mon âme abattue ? Le Valet de Lisandre. Sa douleur me contraint de l'aider au besoin. LIDIAN. Ami que dites-vous ? Le Valet. Caliste n'est pas loin. DORILAS. Ne me viens point flatter, puisque la flatterieNe peut rien sur un mal, qui se change en furie. Le Valet. Vous la venez de voir en armes parmi nous,C'est elle que l'on cherche, et qui s'enfuit de vous. DORILAS. Ô merveilleux effet d'une désespérée !Dis-nous en quel endroit elle s'est retirée. Le Valet. Dans le bois de Boulogne un petit logement Lui fournit de retraite en son déguisement, DORILAS. Mon fils sans différer cherchez cette insenséeQu'un furieux amour a vivement blessée. Le Valet. Pour moi sans retarder selon sa volontéJe chercherai Lisandre où les eaux l'ont jeté. SCÈNE II. Caliste, Lidian. CALISTE, seule vêtue en homme. Enfin tous mes soupçons changés en assuranceM'ôtent si peu de bien que donne l'espérance,Et mon oeil vrai témoin assure mon espritDe la déloyauté que l'oreille m'apprit :J'ai vu cette rivale, et mes mains trop humaines N'ont pas mis au tombeau ce sujet de mes peines !Je n'ai pas arraché de son sein entrouvertEt l'amour et le coeur du traître qui me perd !Mais comme si ses yeux en me venant surprendreAvaient vaincu Caliste aussi bien que Lisandre, À son premier aspect mon courage s'abatEt je quitte ma force et le lieu du combat :La honte qui me suit, et qui me sollicite,Me montre malgré moi les vertus d'Hyppolite,Et me dit qu'un départ si peu prémédité Est l'effet de sa gloire, et de ma lâcheté ;Cette seule action aussi lâche qu'infâmeMontre qu'en cet habit je suis encore femme,Dont les desseins conçus avec beaucoup d'ardeurAu moindre empêchement ne sont rien que froideur, Ce sont des flots naissants sur les ondes amèresDont le moindre rocher affaiblit les colères.Que j'ai sur ce sujet des sentiments peu sains !Ha si le moindre obstacle arrêtait nos desseins,L'honneur et la raison opposés a ma flamme Eussent vaincu l'amour qui règne dans mon âme,Je tirerais ce bien du malheur où je suisQu'une infidélité finirait mes ennuis ;Mais Lisandre me quitte, et pourtant je fais gloireDe conserver encor sa funeste mémoire ! Il n'y faut plus penser, il est temps de périr,Mon honneur négligé me condamne à mourir,Aussi la seule mort est le bien ou j'aspire,Elle tient dans ses mains la fin de mon martyre ;Creve toi donc les yeux, achève ainsi ton sort Par où l'amour injuste a commencé ta mort,Arrache toi le coeur, qui reçut une peste,Et qui ne connut pas sa blessure funeste ;Mais pourquoi destinai-je, ô favorable mort,Ou mes yeux, ou mon coeur à ton premier effort ? Frappe frappe à ton gré ce corps abominable,Ne choisis point d'endroits, il est partout coupable. LIDIAN. C'est sans doute en ce lieu, qu'elle vient se cacher,Voila le logement, ou je la dois chercher. CALISTE. Qu'ai-je vu ! C'est mon frère. LIDIAN. Arrêtez votre fuite, Récompensez ainsi les soins de ma poursuite. CALISTE. Laissez moi disposer du reste de mes jours,Puisque la seule mort a pour moi du secours. LIDIAN. Qui vous fait sans sujet discourir de la sorte ? CALISTE. Les malheurs éternels où le destin me porte. LIDIAN. Relevez votre espoir, ma soeur, assurez-vousQue le ciel pitoyable a perdu son courroux,Et que malgré les traits du mal qui vous offenseIl vous suffit qu'un roi soit à votre défense. CALISTE. Hélas ! Qu'avez vous dit ? LIDIAN. Suivez moi seulement, Et j'en dirai bien plus pour votre allègement. CALISTE. Mais pourrai-je paraître, ou la raison m'accuse ? LIDIAN. L'amour est votre mal, l'amour est votre excuse. CALISTE. L'amour est le bourreau, qui me fera mourir. LIDIAN. Si vous avez du mal, laissez-vous secourir. SCÈNE III. Lisandre, Léon. LISANDRE, accompagné d'un pilote. Hélas ! Au même instant qu'une belle espéranceMe présentait le bien qui m'attendait en France,Au point même qu'un roi finissait mes travauxLes fureurs de la mer recommencent mes maux,Et Neptune envieux de ma bonne fortune La contraint de changer et de m'être importune,Ainsi quand j'ai trouvé la grâce des humainsLa disgrâce des dieux me l'arrache des mains :Alors que j'espérais le repos de la terreLes autres éléments m'ont déclaré la guerre, Et se sont rencontrés dans le même desseinDe combattre le dieu que j'ai dedans le sein ;La mer enfla ses eaux, l'air se couvrit d'oragesEt le foudre et le feu naquirent des nuages,Et parmi les assauts, dont nous fûmes pressés Tant d'eau douce tomba sur les flots courroucés,Que Neptune insensible à ma longue misèrePerdit son amertume et non pas sa colère,Tous les vents déchainés n'observaient plus de loiL'horreur sort avec eux des prisons de leur roi, Et les rochers émus au bruit de ces tempêtesEn baissèrent de peur leurs orgueilleuses têtes ;Les flots nous élevaient où nous portions nos voeux,Et les dieux s'étonnaient de nous voir si près d'eux ;Transportez dedans l'air par les vents et les ondes Nous ne trouvions partout que flammes vagabondes,Si bien qu'il nous semblait que la fureur de l'eauDans la sphère du feu portât notre vaisseau,Ou que pour ajouter de la crainte à nos âmesLe sort nous fit voguer sur l'élément des flammes. Ce fut là malgré nous le chemin malheureuxQui nous fit arriver en ce désert affreux. LÉON. Avec tant de soupirs et de pleurs inutilesDont j'arrose sans fin ces terres infertiles ?Je ne perds pas le mal dont je me sens atteint. LISANDRE. N'entends-je pas la voix de quelqu'un qui se plaint ? LÉON. Misérable Léon crois-tu que ton courageRésiste plus longtemps aux efforts d'une rage ?Et qu'il puisse éviter ces renaissantes mortsQue te donne sans cesse un trop juste remords ? Hélas ! Depuis le jour que ma main criminellePrécipita Cléandre en la nuit éternelle. LISANDRE. Bons dieux qu'ai-je entendu ! LÉON. Mille et mille vautoursMe dévorent le coeur qui renaît tous les jours,Et parmi les douleurs où mon âme est portée Je suis sur ces rochers un autre Promethée ;En vain j'ai fait le choix d'un si triste séjourAfin de me cacher des hommes et du jour,En vain je fuis le monde en ma misère extrêmePuisque je ne puis pas me cacher à moi-même : Tout l'enfer me poursuit avec ses flambeauxEt mes propres pensers me servent de bourreaux.Partout un criminel trouve qui le travaille,Et porte son enfer en quelque lieu qu'il aille. LISANDRE. Puis-je croire aisément au milieu de mes fers Qu'on trouve tant de bien en des lieux si déserts ?Conduits par la faveur des bonnes destinéesN'avons-nous point pris terre aux îles fortunées ?Vents, Neptune, tempête, effroyables tourmentsCombien dois-je de voeux à tous vos mouvements ? Pénétrons plus avant en cette solitude.Léon tu finiras ma longue inquiétude,Résous-toi maintenant ou de suivre mes pasOu d'éprouver ici les rigueurs du trépas. LÉON. Hélas ! J'avais jugé que ces lieux effroyables Étaient faits seulement pour les esprits coupables. LISANDRE. Réponds-moi. LÉON. Si le ciel ne m'avait destinéÀ finir le tourment que je vous ai donné,Ha Lisandre mon bras armé contre ma vieEût déjà mille fois prévenu votre envie, J'irai j'irai partout, où vos pas tournerontEt si vous le voulez les enfers me verront. LISANDRE. Paris te reverra, ta voix et ta présenceBriseront tous les fers, qui chargent l'innocence.Rentrons dedans l'esquif, les ondes et les cieux N'ont plus qu'un front riant, qui rassure nos yeux. SCÈNE IV. Lucidan, Hyppolite. LUCIDAN. Jamais tant de beautés ne forcèrent mon âmeÀ fléchir sous les lois d'une amoureuse flamme,Hyppolite sait vaincre avec tant d'attraitsQue le vaincu se plaît à mourir de ses traits ; Mon esprit attiré par ses douces amorcesA plutôt ressenti que reconnu ses forces,Mais je vois cette belle, et je sens que mon coeurVeut aller au devant d'un si noble vainqueur.Hyppolite armée et vêtue en homme. Enfin j'ai vu Caliste, et j'ai fait avec elleUne ferme alliance au lieu d'une querelle,Et pour vous témoigner comment elle me voitElle m'a fait présent des armes qu'elle avait. LUCIDAN. Elle peut bien vous craindre, et vous céder les armes, Puisque les plus parfaits les cèdent à vos charmes. HYPPOLITE. Partout où nous voyons des hommes comme vousLa même flatterie a du poison bien doux. LUCIDAN. La louange est bien juste alors que l'on là porte,Où la force est si belle, et la beauté si forte ; Mais après tant d'effets, qui rendent en ces lieuxLa terre glorieuse, et le ciel envieux,L'amour est étonné de vous voir sous ces armesSachant que pour tout vaincre il ne faut que vos charmes,Et que votre oeil divin sans le secours de Mars Attire autant de coeurs qu'il jette de regards. HYPPOLITE. Si l'amour eut jugé ma puissance assez forte,Il ne m'eut pas donné les armes que je porte. LUCIDAN. Ce ne fut qu'a dessein d'apprendre à nos espritsQue de toutes façons vous remportez un prix, Et que le fer en main, et les yeux pleins de flammesVous captivez les corps dont vous avez les âmes.Vos armes n'ayant pu triompher de mes joursVous voulez faire ici triompher vos discours. LUCIDAN. Que j'aurais triomphé si mes premières plaintes Portaient jusques à vous de légères atteintes,Et si vos yeux vainqueurs pouvaient voir dans les miensQue mon âme captive adore vos liens :Mais que sais-je indiscret en vous donnant des larmesSi votre coeur n'est pas aussi dur que vos armes. HYPPOLITE. Que vous empruntez bien le visage d'amant !Que vous vous plaignez bien sans avoir de tourment ! LUCIDAN. Le temps vous fera voir, et vous fera comprendreCe que votre beauté vous pourrait mieux apprendre,Cependant je vous laisse, et j'espère qu'un jour On vous verra sensible au feu de mon amour. HYPPOLITE, seule. Puis-je être sans transports où ma triste penséeEntretient les douleurs de mon âme insensée ?Puis-je être sans fureur, ou l'amour me fait voirL'astre de mon malheur et de mon désespoir ? J'ai vu j'ai vu Caliste, et mon sort redoutableMa montré dans ses yeux ma perte inévitable.Pourquoi veux-je accuser ses attraits glorieux ?Lisandre a fait le mal dont j'accuse ses yeux,Le traître languissant pour une feinte plaie Dans mon coeur amoureux en a fait une vraie,Et ce perfide auteur de mon premier ennuiMe vint offrir un coeur qui n'était plus à lui,Ce n'était qu'un miroir où je ne pus connaîtreQue l'amour n'y parut qu'afin de disparaître, Ou c'était une terre avec ce défautQue le dedans est froid quand le dessus est chaud :Mais je blême Lisandre, et je ne puis moi-mêmeMe défendre des traits de la beauté qu'il aime,Mon oeil en la voyant demeurait enchanté, Et si j'eusse eu mon coeur elle me l'eût ôté.Mon âme mille fois de sa grâce ravieLui consacrait déjà le reste de ma vie,Et croyant cet habit que mon sexe démentJ'allais sans y songer devenir son amant. Je cherche les attraits que j'ai pardessus ellePour rendre à ma faveur Lisandre plus fidèle,Et je ne trouve rien dans mes soins superflusSinon que je suis fille, et qu'elle ne l'est plus :Mais dans cette recherche, ou l'amitié me porte, Ce qui me désespère, et qui la rend plus forte,C'est que malgré mes voeux ses superbes appasOnt l'amour de Lisandre, et que je ne l'ai pas.Que fais-je donc ici toute pleine d'alarmes ?Je veux quitter ensemble et la cour et mes armes, Et prendre celles-là que Caliste vêtitAlors qu'elle parût, et que l'on combattit ;Qu'on blâme mon dessein, que chacun s'en offense,Je n'ai que mon caprice aujourd'hui pour défense.Ainsi je chercherai par un chemin de pleurs L'infidèle sujet de mes longues douleurs,Conduite par l'espoir de le revoir encoreJ'irais ou le soleil fait renaître l'aurore,J'irais ou la vigueur de ses quatre chevauxPrécipite le jour au bout de ses travaux, Et l'effet sans pareil d'une amour sans pareilleS'il ne l'emplit de feu, l'emplira de merveille. ACTE V SCÈNE I. Lisandre, son valet, Hippolite, un courrier. LISANDRE. Après tant de soucis, et des maux si puissantsQue ta rencontre plaît à mes yeux languissants,Jamais le jour naissant n'obligea davantage Les désirs de celui, que la douleur outrage,Et jamais un pilote après de longs soupirsNe rencontra le port avec plus de plaisirs :Toutefois le discours que tu me viens de faireM'étonne tout autant qu'il m'a pû satisfaire, Hyppolite et Caliste au mépris de la mortOnt fait pour mon amour ce généreux effort !Ha si les beaux effets de ces douces merveillesEussent touché mes yeux plutôt que mes oreilles,J'eusse crû que mes yeux eussent été charmés Me voyant défendu par deux anges armés,Ou plutôt que Pallas, et Vénus sans envieEussent fait leur accord pour défendre ma vie.Mais il faut par ce mot que Caliste m'écritAdoucir les langueurs qui me chargent l'esprit, L'amour vrai médecin du mal qui me possèdeEn met dans ce papier le souverain remède.Après avoir lu la lettre, il dit ce qui suit.Qu'ai-je vu ! Qu'ai-je lu ! Que ce triste discoursEst contre mon espoir, et loin de mon secours ! Ou je pensais trouver des plaisirs tous célestesJ'y trouve les enfers, et des maux plus funestes ;Où mon espoir trompeur me promettait des fleursUn véritable mal y fait naître des pleurs ;Au lieu de rencontrer cette douce justice Qui fait la récompense, et la joint au service,J'y trouve celle-là qui n'a point d'autre effetQue d'inventer la peine et la joindre au forfait :Aussi suis-je coupable, et mon crime consisteEn ce que j'ai causé les soupçons de Caliste, J'ai fait autant de maux en vivant sous sa loi,Qu'Hyppolite reçut de paroles de moi. LE VALET. Monsieur, voici Caliste avec les mêmes armesQui couvrirent pour vous ses beautés et ses charmes. LISANDRE. Ô l'heureuse rencontre ! Amour fait voir ici Que la fidélité fut toujours mon souci. HYPPOLITE sous les armes de Caliste. Je vois mon déloyal, il s'avance le traître,C'est sans doute en ce lieu que je le dois connaître,Ses esprits égarés dans le ravissementSe laissent abuser par mon déguisement, Et ses yeux où la feinte est sans cesse occupéeLe tromperont lui-même après m'avoir trompée. LISANDRE. Belle que la valeur, les grâces, et le jourFirent la soeur de Mars, et la mère d'Amour,Puisque le ciel plus doux vous fait revoir Lisandre, Ne le condamnez pas avant que de l'entendre ;Les soupçons plus puissants n'ont jamais le pouvoirDe faire un criminel, mais de nous décevoir,Et la fidélité que garde mon couragePeut céder à la mort, et non pas à l'outrage, Les cieux m'en sont témoins, et les dieux sont jalouxD'avoir eu dans mon coeur moins de place que vous :Je sais que le rapport des amours d'HyppoliteA rempli votre esprit du soupçon qui l'irrite,Et ma voix aujourd'hui ne saurait pas nier D'avoir feint que mon coeur était son prisonnier. HYPPOLITE. Ha traître. LISANDRE. Mais jugez pour ma flamme éternelleQue ce fut un effet de la voix paternelle,Et sans rendre mon coeur ou volage ou suspectVoyez ce que l'on doit à la loi du respect : Hyppolite a des traits dont la grâce aperçueLimite son pouvoir à contenter la vue,Mais Caliste plus forte a des attraits vainqueursQui contentent les yeux, et captivent les coeurs. HYPPOLITE, à l'écart. Après avoir souffert de si sanglants outrages À quoi me résoudront mes fureurs et mes rages ?De qui dois-je espérer la fin de mes tourments ? LISANDRE. Vous la devez trouver dans mes embrassements. HYPPOLITE. Que l'on croit aisément tout ce que l'on désire !Cruel ne pense plus que Caliste respire, Tu vois son homicide. LISANDRE. Hélas ! HYPPOLITE. Et LucidanPrêt à sacrifier ton sang à Cloridan.Si ce bras a vaincu celle qui te surmonte,Juge combien ce fer te prépare de honte. LISANDRE. Qu'une divinité soit morte à mon secours ! HYPPOLITE. Ses armes que je porte assurent mon discours. LISANDRE. Tu trouves son amant et son vengeur ensemble,Et pour ton châtiment le destin les assemble. HYPPOLITE. Le malheur me renverse, et non pas ta valeur. LISANDRE. Ce dernier coup t'immole à ma juste douleur. HYPPOLITE, se découvre. Traître vois l'ennemi, que le sort t'abandonne,Suis tous les mouvements que la rage te donne,Et si tu veux plutôt accomplir ton desseinJe quitterai ce fer qui me couvre le sein,Déloyal ne feins plus, achève ton envie, M'ayant ôté le coeur tu peux m'ôter la vie,Et j'aime autant mourir par ton bras irrité,Que par les traits sanglants de ta déloyauté.Tu t'étonnes perfide et tu quittes les armes,Lorsque tu dois m'aider et finir mes alarmes ; Tiens, tiens, reprends ce fer, et le cache en mon flanc,Mes feux le rougiront bien plutôt que mon sang ;L'atteinte de ce fer me sera moins nuisibleQue l'infidélité, que tu rends si visible.Insensible rocher aux tourments que tu vois Tu demeures encor sans effet et sans voix,Et les cris superflus de mes peines connuesNe vont pas jusqu'à toi bien qu'ils percent les nues.Ha traître c'est en vain que ton bras rigoureuxMe refuse la fin de mes jours malheureux, Après avoir acquis le titre de perfideTu ne peux éviter celui-là d'homicide,Je m'aiderai moi-même, et j'obtiendrai de moiLa douceur du repos que j'attendais de toi. LISANDRE. Qu'avez vous résolu ? Que faites-vous Madame ? HYPPOLITE. Perfide je te rends les preuves de ma flamme,Et puisque ta rigueur a refusé mes voeux,Je les donne à la mort aussi bien que mes feux. LISANDRE. Convertissez sur moi ce dessein effroyable,Si vous voulez du sang, que ce soit d'un coupable, Ou si je suis indigne au milieu de mon deuilQu'une si belle main me conduise au cercueil,Voyez moi recevoir sans malice et sans feinteLe libre châtiment d'une offense contrainte. HYPPOLITE. Ha ! Lisandre vivez tant que voudra le sort, J'aime bien mieux vous voir infidèle que mort,Sans rendre contre vous votre main criminelleContentez vous enfin du crime d'infidèle.Si mon amour se plaint, croyez que ce n'est pasDe vous voir engagé dessous d'autres appas ; Caliste est trop aimable, et son visage d'angeSemble avoir été fait pour excuser un change,Et sans autre pouvoir sa divine beautéFerait changer de nom à l'infidélité ;Mais l'effet outrageux de votre seule feinte M'ouvre l'âme aux douleurs et la bouche à la plainte.Qui croirait que l'amour étant Dieu si puissantVoulut prêter son nom à tromper l'innocent ?Lisandre, la nature égale en ses merveillesDonne toujours deux mains, deux yeux, et deux oreilles, Mais sachant votre feinte, et voyant mes langueursQui ne voudra juger qu'elle donne deux coeurs. LISANDRE. L'on me doit reprocher que mon ingratitudeEst un triste loyer de votre inquiétude,Mais lorsque la raison vous forcera de voir Que ceux qui sont liés ont bien peu de pouvoir,Tous vos ressentiments excuseront mon crime,Qu'une amour violente a rendu légitime. HYPPOLITE. J'accuserai toujours vos discours criminelsDont la feinte me plonge en des maux éternels, Et qui ne peuvent rendre à mon âme asservieLa douce liberté que vous m'avez ravie. LISANDRE. Accusez les desseins d'un père rigoureux,De qui la volonté nous a fait malheureux ;Accusez le respect et ses lois inhumaines, Puisqu'il a seul causé vos tourments et mes peines. HYPPOLITE. Votre infidélité ne se peut excuser,Vous pouviez bien me voir et non pas m'abuser ;Sans être obéissant à mon désavantageVous pouviez d'un regard refroidir mon courage, Et les lois du respect ne vous obligeaient pasÀ feindre que l'amour accompagnait vos pas. LISANDRE. Il est vrai que j'ai tort, et mon âme confuseFerait un autre crime en cherchant une excuse,Mais croyez que vos pleurs diviseraient mes feux, Si le coeur sans mourir se divisait en deux :Mon amour tient si fort de l'âme raisonnableQu'il ne peut diviser sa flamme incomparable. HYPPOLITE. Et le mien tient si fort de la divinitéQu'il ne se peut changer par l'infidélité ; La rigueur, le mépris, la fortune, et le blâmeN'ont point d'empêchements qui retiennent ma flamme ;Mon amour est un feu qui brûle dans les eaux,Mes soupirs éternels allument ses flambeaux,Et j'apprends aujourd'hui de ma persévérance Qu'il peut vivre aisément où se perd l'espérance. LISANDRE. He dieux peut-on aimer la cause de son mal ! HYPPOLITE. C'est en quoi mon malheur ne trouve point d'égal,C'est en quoi je connais, esclave malheureuse,Qu'il n'est point d'autre enfer que la peine amoureuse. Ne pensez pas pourtant que mon ressentimentInvite votre esprit à quelque changement,J'aime trop la constance, et ma franchise avoueQue votre élection mérite qu'on la loue,Ce point seul me console et finit mes soupirs Qu'une déesse en terre engage vos désirs ;Mais voyez mes tourments d'un oeil plus équitableQu'autrefois votre amour ne parût véritable,Les grands maux ont ce bien qu'ils font naître en tous lieuxLa pitié dans les coeurs, et les larmes aux yeux. LISANDRE. Si Caliste adorable autant qu'elle est fidèleNe peut rien dans mon coeur endurer avec elle,Elle s'accordera de vous entretenirEt de vivre avec vous dedans mon souvenir,Et je promets enfin au secours de votre âme Tout autant d'amitié que vous avez de flamme.Mais un homme inconnu s'avance devers nous,Il s'en faut informer, ami d'où venez-vous ? Le Courrier. Je reviens de la cour. LISANDRE. Hé bien quelles nouvelles ?Qui tient le premier rang au nombre des plus belles ? Le Courrier. Chacun selon l'amour qui le tient arrêtéProdigue librement le prix de la beauté,L'un le donne à Caliste, un autre s'en irrite,Et le donne par force aux attraits d'Hyppolite. LISANDRE. Que dit-on de Caliste ? Le Courrier. On dit communément Que Lucidan la voit en qualité d'amant. LISANDRE. En qualité d'amant ! HYPPOLITE, à l'écart. Puis au siècle où nous sommesLa vérité se trouve aux paroles des hommes. Le Courrier. Et je crois que l'Hymen unirait leurs amoursSi Varasque n'eut pas interrompu leurs cours. LISANDRE. Comment cela ? Le Courrier. Varasque ennemi de LisandreVenge par un combat le trépas de Cléandre :La volonté du roi permet à son effortDe montrer que Lisandre est l'auteur de sa mort,Si bien que Lucidan et sa nouvelle amante Modèrent par la peur le feu qui les tourmente.Voila ce que l'on dit. LISANDRE. Adieu. Que les malheursM'ont enfin réservé de cruelles douleurs !Que je vois désormais dans le cours de mes peinesUn remède incertain et des pointes certaines ! Caliste changerait ! Elle sur qui le cielAvait en vain versé tout ce qu'il a de fiel ;Elle dont les serments fondèrent mon attente,Et qu'Amour et le mal trouvèrent si constante.Si je n'avais un coeur instruit à résister, Pourrais-je sans mourir tant d'ennuis supporter ? HYPPOLITE, à l'écart. Son déplaisir me touche, et sa douleur extrêmeMe force maintenant à me trahir moi-même. LISANDRE. Ce captif ayant mis mon innocence au jour. HYPPOLITE. Je veux prendre le soin d'y montrer votre amour, Et je témoignerai par ce dernier officeQue pour vous secourir je m'expose au supplice. LISANDRE. Vous montrez votre force, et vos perfectionsÀ surmonter ce dieu qui fait nos passions. HYPPOLITE. Je témoigne combien mon ardeur est extrême, Et qu'amour ne peut plus en produire de même.Allons, Lisandre, allons, et souffrez de ce pasQue ma voix vous défende, aussi bien que mon bras. SCÈNE DERNIÈRE. Le Roi, Varasque, Adraste, Hyppolite, Léon, Caliste, Lisandre, Dorilas, Lucidan. LE ROI. Aussitôt que le ciel eut fait naître les princesQui tiennent dans leurs mains le destin des provinces, Il fit naître ici bas la justice et les loisÀ dessein de garder les peuples et les rois.Le peuple est sans justice une rage mutine,Le sceptre est sans les lois un arbre sans racine,Et s'il n'est soutenu des mains de l'équité Il tombe en un instant de sa prospérité :Sa chute nous fait voir des misères certaines,Et le prince et le peuple en partagent les peines.Jadis nos premiers rois toujours victorieuxNe portaient sur leur front qu'un bandeau glorieux, Et c'était pour montrer que leurs braves couragesÉtaient de l'équité les vivantes images ;Aussi pour témoigner que les lois ont toujoursLimité ma puissance et gouverné mes jours,Mon jugement permet ce combat légitime Qui doit montrer au jour l'innocence ou le crime.Quiconque sait régner sait observer les loisEt soutenir partout la force de leurs droits. VARASQUE. Adraste, la raison te défend d'entreprendreCe que ton amitié te permet pour Lisandre. ADRASTE. Varasque, mon effort fera voir à son tourQue je sais conserver ce que j'ai mis au jour.Et la justice même au combat occupéePour venger l'innocent me prête son épée ;Le titre d'innocent, non pas celui de fils M'oblige à soutenir tes orgueilleux défis. HYPPOLITE, accompagnée de Lisandre et de Léon. Cessez de prodiguer vos jours et vos couragesAu point que le repos triomphe des orages. LE ROI. L'on dirait que Pallas en ces habits connusVient disputer encor la pomme de Vénus. HYPPOLITE. Léon approchez-vous, et finissez la peineDont vous avez été l'origine certaine. LÉON. Grand roi, dont le renom vole en autant de lieuxQue le soleil en voit sous l'espace des cieux,Ce bras seul a produit les effets déplorables Qui de deux vertueux ont fait deux misérables ;Jusqu'ici le soupçon s'est rendu trop puissant,Caliste est innocente, et Lisandre innocent.Cette main criminelle au dessus de LisandreA rempli le tombeau des cendres de Cléandre, Et si quelque coupable à le feu méritéL'on doit ce châtiment à ma méchanceté. CALISTE. Que cet évènement me trouble et me console ! DORILAS. Que je tire de bien d'une seule parole ! LE ROI. Saisissez vous de lui, cette confession Mérite que l'on songe à sa punition.Mais n'apprendrons nous rien du destin de Lisandre.Hyppolite en découvrant Lisandre.Sire ce cavalier vous le peut bien apprendre. CALISTE, en voyant Lisandre. Dois-je croire aujourd'hui le rapport de mes sens, Qui trompa si souvent mes esprits languissants ? LISANDRE. Prince, de qui la gloire est l'objet des monarquesOu les dieux ont laissé leurs plus visibles marques,J'éprouve après les maux, qui m'ont fait une loi,Que le souverain bien consiste à voir son roi : Mais puisque le malheur n'a plus rien qui m'outrageEt que mon innocence a surmonté l'orage,Souffrez que je m'oppose à ces lâches espritsQui foulent mon renom d'un orgueilleux mépris,Et dont la violence à mon aspect captive Allait mettre au tombeau Caliste toute vive.Permettez une fois à mon coeur allégéDe venger notre honneur mille fois outragé. LE ROI. Le honteux repentir d'une telle injusticeVous venge en même temps qu'il leur sert de supplice. Mais pour finir des maux si cuisants et si fortsQue les embrassements étouffent vos discords. VARASQUE. Adraste, Dorilas, mon imprudence extrêmeCherchant un criminel le fait voir en moi-même ;Caliste, et vous Lisandre ordonnez en effet La réparation du crime que j'ai fait. ADRASTE. Ne parlons plus de crime ou paraît l'innocence. DORILAS. Et qu'un parfait accord prenne ici sa naissance. ADRASTE. Mon fils que je t'embrasse après tant de soupirsQue ton heureux retour convertit en plaisirs. LISANDRE. Ma fuite m'a rendu digne de mille gênesAlors qu'elle a causé vos soupirs et vos peines. LE ROI. Lisandre vois Caliste assuré de ton roi,Et vous et Dorilas approchez vous de moi. LISANDRE. Adorable prison des libertés des âmes, Vous pour qui tant de coeurs se sont changés en flammes,Et de qui les vertus et les divins appasTriomphent bien souvent que vous n'y pensez pas,Arrêtez d'un regard mon bonheur, ou ma perte,Faites moi voir le port, ou bien la tombe ouverte, Je ne descendrai pas dans l'horreur des enfersSans savoir endurer des flammes et des fers. CALISTE. Lisandre assurez-vous, qu'une jalouse flammeLaisse aujourd'hui l'amour paisible dans mon âme. LE ROI. Donc après tant de maux Hymen doit à son tour Allumer son flambeau de celui de l'amour,Et je veux que ses lois donnent sans plus attendreEt Lisandre à Caliste, et Caliste à Lisandre. ADRASTE. De votre volonté dépendent nos désirs, DORILAS. Et de votre vouloir nous tirons des plaisirs. LISANDRE. Grand roi juste partout, que sans peine et sans guerreLe ciel charge vos mains du sceptre de la terre. LE ROI. Et pour rendre ce jour plus luisant et plus beauIl faut qu'un autre hymen y montre son flambeau,Lucidan dont la race est égale au mérite Doit joindre ses vertus à celles d'Hyppolite,Si toutefois leurs voeux d'accord avec les miensAspirent librement à de si doux liens. LUCIDAN. Que ces liens plairont à mon âme asservieSi la belle Hyppolite y veut joindre sa vie. HYPPOLITE. Le respect que je dois à votre majestéM'a fait toujours fléchir sous votre volonté.Et le bien qui finit les ennuis de CalisteRend mon coeur plus content, qu'il n'avait été triste. CALISTE. Si nous avons du bien, Madame, nous devons À vos rares vertus celui que nous avons. LE ROI. Rendez aux immortels les premières louangesDu bienheureux succès de tant d'effets étranges,Après avoir fait voir qu'au mépris des douleursL'innocence et l'amour triomphent des malheurs. ==================================================