******************************************************** DC.Title = LE CHAPEAU BLEU, COMÉDIE. DC.Author = DUVAUCUEL DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 13/03/2021 à 19:07:29. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DUVAUCUEL_CHAPEAUBLEU.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207936d DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE CHAPEAU BLEU COMÉDIE 1881. Tous droits réservés PAR M.LÉON DUVAUCUEL PERSONNAGES HENRI. 26 ans. LUCIE. 24 ans. Paru dans "Saynètes et monologues", Quatrième série, Paris, Tresse Editeur, 1881. pp. 121-141 LE CHAPEAU BLEU À Paris. Intérieur d'artiste : chambre simplement meublée ; au fond, une porte donnant sur un couloir ; des livres épars sur des rayons ; quelques gravures et dessins encadres ; à gauche, une fenêtre d'où l'on aperçoit la cime des arbres d'un jardin public ; près de cette fenêtre, une table ; premier plan, à droite, une cheminée avec glace, pendule, et vases garnis de giroflées et de violettes. SCÈNE I. LUCIE, assise à gauche devant la table, est occupée à garnir de rubans bleus, un chapeau qu'elle tient à la main de temps en temps elle s'interrompt pour regarder son ouvrage. Encor deux points araire et voilà le chapeauTerminé. Du printemps j'arbore le drapeau !Le travail fait les frais de ma coquetterie !Hier, après avoir rendu ma lingerie,Ma bourse résonnant d'un doux bruit argentin, J'ai fait de la dépense. Et puis de grand matin,À cinq heures, avant l'aube, vite à l'ouvrageJe me suis mise, active et pleine de courage.Et tout cela pour lui ! - Vraiment, c'est un plaisirDe vouloir me parer au gré de son désir ! Les riches, à coup sûr, ignorent les délicesQu'on goûte à contenter soi-même ses caprices.Chapeau couleur du ciel, chef-d'oeuvre de mes doigts,Dis-lui bien la beauté, l'attrait que tu me dois...Cet hiver, subissant les longues quarantaines, Nous projetions déjà mille courses lointaines ;Aussi, quand la première hirondelle à nos yeuxApparut sur le toit, il s'écria, joyeux :« Les lilas vont fleurir ! - Voici la messagèreD'avril ! Vive l'amour ! Fais-toi belle, ma chère. » Elle va essayer le chapeau devant la glace ; puis revient vers la table.Mais enfin, quel projet avait-il pour partirQuand mon amour osait à peine y consentir ?Quelque bonnes raisons que je me sois données,Je fus triste, en effet, durant ces deux journées.Si j'étais soupçonneuse... Oh ! Je ne le suis pas !... - Son ami Paul, c'est un marquis de Carabas :L'heureux musicien ! Il est propriétaireD'une villa, d'un parc, du côté de Nanterre...Henri pouvait fort bien, cependant, déclinerL'honneur de prendre part à ce fameux dîner De Bougival... Mais non, je suis une égoïste :Je dois songer d'abord à ses travaux d'artiste;Il fallait qu'il revît son collaborateurUn livret d'opéra veut un compositeur. Elle prend, dans le tiroir de la table, une lettre sur laquelle elle jette les yeux et qu'elle remet, pensive, à coté d'elle, parmi ses chiffons.Et dire que l'on veut pourtant que je le quitte ! Moi, quitter mon poète ! Oh ! Je ne suis pas quitte :Je lui dois mon bonheur. Ai-je le coeur si basPour craindre... Pauvre mère ! Elle ne comprend pas. Elle se lève, et parcourt la chambre de long en large.Non, non, je resterai, car je m'y suis contrainte ;Dût l'avenir, rêvé plein de volupté sainte, D'un sort immérité m'accabler à jamais,Moi qui me suis donnée à l'homme que j'aimais...Mais veut-il aujourd'hui me laisser prisonnière ?Et ferait-il sans moi l'école buissonnière ? Allant vers la pendule.Neuf heures ! Bruit au dehors.Le voici. Son pas est plus léger, Ce n'est pas lui. On frappe.Qui donc ? Sans doute un étrangerQui se trompe. Elle va vers ta porte, l'ouvre entre Henri. SCÈNE II. Henri, Lucie. LUCIE, enjouée. Henri passe devant elle sans dire un mot, comme préoccupé, se dirigeant vers la gauche.C'est toi ! - L'idée originaleDe t'annoncer !... Crois-tu l'heure si matinale ?D'habitude, chez nous vous entrez sans frapper,Monsieur... Probablement c'était pour m'attraper. HENRI. Justement. Il va poser sur la table des rouleaux de papier. - Elle, le devinant, court jeter dans le tiroir, avec des débris de rubans, la lettre qu'elle avait laissée en vue. LUCIE, surprise. Ah ! HENRI. Quoi donc ? À part, pendant ce mouvement.Tiens ! Un billet. Je flaireLà-dessous quelque sotte intrigue épistotaire ;Paul a raison, peut-être, et nous verrons... LUCIE, indifférence stimulée. Oh ! Rien !... HENRI, à part. Quel air embarrassé, quel singulier maintien ! LUCIE. Alors, tu ne dis pas bonjour. - Et l'embrassade ?... Vous l'oubliez ?... Il va froidement la baiser sur le front.Ami, ton baiser est maussade.Qu'as-tu donc ce matin ? HENRI. Moi ? Rien. Que puis-je avoir,A ton avis ? - Je suis heureux de te revoir,Fraîche comme une rose, après deux jours d'absence. LUCIE, caressante. Presque trois, compte bien, chéri. Quelle licence Tu t'es permise !! HENRI. Oui, j'ai dû rester plus longtempsQue je ne supposais. Des motifs importants... À part.Ah ! Si je peux saisir sans qu'elle le soupçonneCe billet qui m'intrigue... Haut.Il n'est venu personneMe demander, hier ? LUCIE. Pas même le portier. En montant me conter tes cancans du quartierIl m'aurait divertie. À propos, cher poète,Songe qu'il est fort tard, et qu'aujourd'hui c'est fête ;Ouvre tes yeux bien grands et fais provisionDe style noble et de points d'exclamation Elle se coiffe.Admire mon chef-d'oeuvre inédit, et devineTout ce que m'a coûté cette chose divine.- Que tu vas être fier de m'avoir au côté ! Elle se tourne vers lui, de face.Rendez-moi les honneurs qu'on doit à la beauté. Voyant qu'il reste indifférent.Quoi ! Tu n'es pas séduit, inondé de lyrisme. C'est l'éblouissement qui cause ton mutismeTu songes, je parie, à m'écrire un sonnet ! HENRI. Je t'aime presqu'autant en modeste bonnet. LUCIE. On ne peut décemment sortir un jour de PâquesEn pauvresse, chantant « Fanchon » ou « Pauvre Jacques »; Aussi fait-on des frais pour plaire. HENRI. Moi, je suisFacile à contenter la mode que tu suisMe plaît toujours. LUCIE. Vraiment ! Cependant ta coutumeÉtant de t'occuper un peu de mon costume,De me donner ton goût. HENRI. Oui, j'aime assez te voir Ce tout petit chapeau garni d'un voile noir,Qui te donne un peu l'air espagnol... LUCIE. Quel scandale !Une espagnole blonde, et la couleur locale ! HENRI. Voyons, tu ris de tout. LUCIE. Toi, tu ne ris de rien.Enfin, c'est entendu, mon chapeau n'est pas bien. Du moins, il te dép)ait il manque son entréeEt ne recueille pas la gloire désirée.Je ne le garde pas. LUCIE. Je ne dis pas cela.Mais à quoi bon encor ces counchets-Là.Maintenant c'est chez toi comme une frénésie De vouloir contenter, sans but, ta fantaisie,Ton caprice bizarre et frivole à l'excèsOn dirait... LUCIE, l'interrompant. Que tu vas me faire mon procès.Quel ton de loup-garou ! - N'est-ce qu'un badinage,Ou mon chapeau va-t-il brouiller notre ménage ? Maudit soit-il ! - Tu sais, j'avais cru seulement,Je m'imaginais... Mais un brusque changementS'est fait dans ton esprit ; - j'en ignore la cause.J'étais folle ! - Peut-être aimes-tu mieux le rose,Mais le bleu te plaisait beaucoup le mois dernier. HENRI. Je ne t'ai jamais dit... LUCIE. Menteur ! Oser nierLa chose sans rougir ! HENRI. Ta jupe, ton corsage,Certes, sont ravissants ; ton cher petit visageEst divin, encadré d'azur ! - Un fait acquisC'est que tu sais te mettre avec un goût exquis. Quel est ton conseiller ? LUCIE. C'est notre amour lui-même.L'amour est un sorcier, son pouvoir est suprême. HENRI, ironie froide. Prodigieux, ma foi ! LUCIE. Cesse de raisonnerSur ce ton ; car vraiment j'ai lieu de m'étonner.Tu n'es pas très galant pour moi. Dois-je en conclure Qu'un événement triste a changé ton allure ?Parti tout glorieux, tu reviens sans ardeur...Que s'est-il donc passé ? Qui t'a rendu boudeur ? HENRI. Une scène imprévue, étrange, épouvantable :J'arrive à Bougival à l'heure où l'on s'attable ; Au lieu de joie, un deuil. Paul était tout en pleurs.Il se jette à mon cou, me conte ses malheursSa maitresse, tu sais, la célèbre chanteuseDe talent très réel, mais de beauté douteuse,De laquelle il est fou, qui, dans notre opéra, Devait tenir le grand rôle de Foedora,Eh bien, elle le trompe, et partout le diffameAuprès de ses amis... LUCIE. Oh ! La méchante femme !- Car lui, l'excellent coeur, jamais ne l'affligea. -Mais quel est son rival ?... Le connaît-il déjà ? HENRI, la regardant fixement. Parbleu ! C'est un banquier très laid, qu'en son absenceLa dame recevait en vieille connaissance. À part.J'avais cru la surprendre. Elle ne tremble point,Cependant. Peut-elle être effrontée à ce point? Haut.Et croirais-tu qu'il veut se battre avec cet-homme? LUCIE. Il a raison. HENRI. Vraiment ? - Belle raison, en somme.En sera-t-il après moins malheureux qu'avant ?Puis, va-t-on disputer la femme qui se vendÀ celui qui l'achète ? LUCIE. Et ce fameux ouvrage,Vous l'avez terminé ? HENRI. Paul faillit, dans sa rage, Jeter au feu, - j'en ai rêvé toute la nuit ! -Partition, livret, et tout ce qui s'ensuit.Nous sommes restés seuls et j'ai dû tout entendre.Ce n'est pas gai. - Pourtant il aurait dû s'attendreÀ cela. N'est-ce pas pour la femme un bonheur Que de s'abandonner au démon suborneur ;Ce qui brille le plus nous ravit sa tendresseEt son amour fait fi de notre humble détresse. LUCIE. Quoi ! Tu peuples le monde, ingrat malencontreux,De maîtresses sans coeur et d'amants malheureux ! Et, pour justifier ta vaine théorie,Tu nous ranges tous deux dans la catégorie.Selon les lieux communs sur l'amour débitésToujours l'homme subit nos infidélités.Mais c'est tuer l'amour... mais c'est se montrer lâche, Malgré tout votre orgueil... HENRI, ironiquement. Tiens ! Voilà qu'on se fâche. LUCIE. Je ne me fâche pas ; je m'exalte à bon droit.Comment aurais-je pu t'entendre de sang-froidÉmettre un doute, alors qu'une affection douceDans la simplicité nous berce sans secousse... Pour te tromper, Henri, quel talent il faudrait !Si j'essayais un jour... HENRI, brusquement. Qui t'en empêcherait ?Nul serment ne te tient ; Quand on est libre et belle,Les hasards non cherchés viennent en ribambelle.Sais-je ce que tu fais après que j'ai quitté La maison ? Je n'ai pas le don d'ubiquité.Je ne suis pas non plus un amant magnifiquePossédant du sorcier la baguette magique ;Et dans le tourbillon des plaisirs dévorantsJe fais triste figure... LUCIE, l'interrompant vivement. Arrête, je comprends ! À la bonne heure, au moins, tu n'épargnes personne.Je te laissais parler... Mais puisqu'on me soupçonne,Je m'indigne, à la fin. Je veux savoir pourquoiTu me traites ainsi. Dis vite, réponds-moi.Mais non. J'ai deviné jusqu'au bout ta pensée, Je sais ce que cachait ta phrase commencée.A la foi du serment n'osant pas le fier,Pourquoi ne pas descendre à me faire épier ?Tu le pouvais, c'était ton droit. N'es-tu pas maîtreDe me chasser d'ici, de ne me plus connaître, Et d'aller proclamer demain dans tout ParisQu'en un piège odieux, imprévu, je t'ai pris ?Pour t'épargner l'ennui de me jeter l'injure,Je ne la sens pas moins cruelle, je te jure !Fallait-il ces détours pour me porter ce coup ? Sur un geste que fait Henri pour parler. Il est assis, elle, debout, devant lui.Non, tais-toi, mon ami, tu m'en as dit beaucoup.Pour la première fois, par toi-même choquée,Je vois la jalousie infamante évoquéeSur ce vague motif d'un lambeau de velours.Pourtant tu sais qu'il faut que nous plaisions toujours ! Quoi ! Me comparer presque à la femme galanteDont chacun peut payer la faveur insolente !...Dis, n'est-ce pas horrible ? - Ah ! oui, malheur à nousQui faisons pour l'aimé nos rêves les plus doux...Par quel nouvel objet est-elle accaparée Cette part de ton coeur que tu m'as retirée ? HENRI, il se lève. Tu prends mal à propos de grands airs triomphant.Est-ce un jeu de ta part?. ou si tu te défends?Certes, c'est bien ainsi qu'une femme s'arrange,Accusant à son tour pour nous donner le change, Et ne laissant jamais un affront à moitié. LUCIE, indignation croissante. Ah ! c'en est trop, Henri; vrai ! Tu me fais pitié.J'oubliai tout pour toi : position, famille ;Je fus la soeur coupable et la mauvaise fille !Je n'ai rien écouté. Du jour où je te vis, La route que tes voeux prenaient, je la suivis.Que m'importait qu'après un monde à la voix hauteÀ ma félicité donnât le nom de fauteJ'en avais estimé la morale à son prix,J'avais des souvenirs pour braver son mépris. - Aussi je n'ai pas cru que je lui dusse compteDe rien qui regardât mon honneur ou ma honte.Quand nous avons senti le cruel dénuementSur nos bras enlacés s'appuyer lourdement,J'ai travaillé. - Tu sais quelle ardeur inquiète Me faisait épargner jusqu'à la moindre mietteDu pain quotidien, non sans peine gagné ;J'ai souri, j'ai chanté quand il nous fut donné.- Je peux bien me vanter enfin à ma manière. -Quand je pus être un peu coquette j'étais fière, Car, avant de songer à ces colifichets,À ces frivolités, souvent je te trichais ;Dérobant au repos les heures méritées,J'ai veillé plus de nuits que tu n'en as comptées.Pour toi j'ai froidement appris à calculer ! Mes doigts, grâce au prestige habile à consoler,Faisant double travail touchaient double salaire.Alors à mes souhaits un ange tutélaireRépondait... Je n'ai plus cette abnégation,Cette force... Aujourd'hui s'en va l'illusion... Je reprendrai ma place au rang des étrangères,Dans le monde inconnu pour toi. Elle va vers le fond. HENRI. Tu t'exagèresMes discours ; je n'ai dû pourtant rien avancerQui, si j'ai jugé mal, ait lieu de te froisser. LUCIE. Non, certes, j'aurais tort de trouver singulières Tes déclamations, tes façons cavalières.Tu veux rompre... Au surplus, après ton jugement,À quoi bon irais-tu t'exprimer plus crûment ? HENRI. Avoue enfin qu'au train dont partout vont les choses,On peut avoir raison en de semblables causes ; Les exemples nombreux... LUCIE. Oui, Henri, la raisonNous dit de couper court à notre liaison.Ce lien-là n'est pas, du reste, indissoluble ;D'aucun titre fâcheux la loi ne nous affuble.Puisque tu n'as pas craint de prendre les devants, Mieux vaut se séparer que rester survivants,Pour le tourment commun, au sentiment qui cesse.Nous avons trop longtemps écoute la jeunesse ;Nous nous sommes trompés tous les deux, voilà tout !Adieu, Henri ! Elle s'éloigne vivement vers la porte ; lui, fait quelques pas pour la retenir. HENRI. Comment ? Où vas-tu ? LUCIE. N'importe où ! Elle ouvre la porte ; sur le seuil :Pour tout l'amour passé mon coeur te remercie. HENRI, il veut la retenir elle se dégage. Viens! LUCIE. Non, tu m'as blessée au coeur... Adieu ! HENRI, la voyant fuir. Lucie !!! SCÈNE III. HENRI, seul. Il se promène, agité, puis va regarder à la fenêtre.Je ne prévoyais pas ce dénouement nouveau.Le projet mûrit vite en son jeune cerveau.Bah ! Sans doute elle avait sa décision prise, Ayant, de longue main, préparé l'entreprise.Du reste, ce départ n'a pas dû lui coûter :Elle n'a pas daigné seulement m'écouter.Mieux vaut rompre, en effet. - Pourvu qu'elle s'en mêle,Quelle femme ne sait s'en tirer tout comme elle. J'en ai connu plus d'une aux sourires moqueurs,Aux mensonges fardés, fruits gâtés jusqu'aux coeurs,Qu'un génie infernal, insultant notre envie,Fait croître chaque jour à l'arbre de la vieSur la branche où nos mains, sans crainte, vont glaner. Leur rôle sur la terre est de tout profaner,D'opposer leurs dégoûts, leurs profondes sciences,À la naïveté de nos chères croyances...Il lui sied bien, vraiment, de sembler s'indignerEt de fuir ! - Ce moyen lui sert à s'épargner Une explication timide, une querelleInévitable, avec la honte encor pour elle.Elle avait rendez-vous chez un nouvel amant,Et l'heure la pressait... Celui, probablement,Que Paul a rencontré, demandant au concierge S'il me savait absent. Il semble chercher dans ses souvenirsEh mon ami Thiberge,Ne serait-ce pas vous, par hasard ? - Paul prétendQue l'homme en question, qui se dépêchait tantDe grimper l'escalier, avait la barbe blonde,Comme vous, avec l'air le plus vainqueur du monde. Il va vers la table.Du reste, le billet va me mettre au courant. Il trouve le chapeau sur la table et le jette sur une chaise.Tiens ! Voilà le sujet de notre différend.Quel mauvais goût ! Quel luxe ! À propos, c'est un gage ;Elle le viendra prendre avec tout son bagageQuand cela lui plaira, c'est mon moindre souci. Il cherche la lettre.Elle l'a mis dans le tiroir... Ah ! M'y voici. Il la prend, la retourne en tous sens, et se dispose à la lire.Diable ! Il aime un peu trop les parfums, ce jeune homme.Mais, du moins, il est bref. Voyons donc s'il se nomme. Après avoir vu la signature.Comment ? - Oui, j'ai bien lu « Ta mère, Anna Bertin. »Mais... je suis un grand sot... Et j'y perds mon latin. « Ma chère enfant,La lettre que j'ai reçue de toi, après la visite que t'a faite ton frère, m'annonce que tu persistes dans tes erreurs. C'est ton coeur qui te perd, Lucie. Charles te l'a dit : un honnête homme de nos amis t'offre son nom et sa petite fortune. Il t'a toujours aimée comme sa propre fille et veut oublier tes torts si tu manifestes un repentir sincère.Demain, jour de Pâques, viens à la maison, dans la matinée, tu l'y trouveras, et nous pourrons causer. Tu me sais aussi toute prête à pardonner. »C'était son frère ! Ainsi la lettre est de sa mère)1Son infidélité n'était qu'une chimère.Où donc Paul avait-il la tête, l'autre jour,Pour me faire ce conte absurde? Était-ce un tourDe sa façon ? J'arrive, et je lui tends un piège, Pour la prendre en défaut !... Sa bonté l'en protège ! II replace la lettre dans le tiroir.Remettons tout ici. Qu'elle ignore ùn momentQue je sais le secret de son beau dévouement. Il va pour s'asseoir sur la chaise où il a jeté le chapeau il saisit et le rame sur la table.Ah ! Le mignon chapeau... qu'elle eût été jolie !...Mais maintenant tout est perdu par ma folie. Il s'assied.Pourtant je n'ai jamais été jaloux... Jamais !Pour combattre un fantôme, insensé, je m'armais.Quel talisman vainqueur du mal, quelle voix brèveA commandé de fuir au spectre affreux du rêve ?Je m'interroge en vain. Jamais je n'ai senti Les symptômes du mal ; j'ai menti ! J'ai menti !Oui, mon coeur est brûlant, mais non pas de ces fièvresQui font briller les yeux, se contracter les lèvresC'est d'une émotion toute jeune, en sa fleur.L'écho d'une douleur parlait dans ma douleur. Si les femmes m'ont fait douter de l'amour même,À ma foi de croyant arrachant un blasphème,Elle avait rappelé sous ses yeux réjouisL'essaim nombreux de mes plaisirs évanouis.- Si d'autres ont déçu ma confiance douce Dans l'intrigue vulgaire ou le hasard nous pousse,La joie était venue, avec mon idéal,M'exiler pour toujours de ce monde banal. Il se lève.L'hallucination a cessé tout s'explique.Oui, je veux croire au bien ; je ne suis pas sceptique. Mais comment lui prouver, et lui dire assez haut ?... - Il faut que je la trouve à tout prix. Il le faut !!! Il va prendre son chapeau, dans le fond, et se dirige vers la porte. SCÈNE IV. Henri, Lucie. En ouvrant la porte, il aperçoit sa maîtresse appuyée au mur de la petite pièce d'entrée. lui dit quelques mots précipitamment,puis l'amène sur le devant de la scène. HENRI. Quoi ! Te voilà... Comment ? Tu n'étais pas sortie ?Que faisais-tu ? Bien loin je te croyais partie...Je voulais te trouver, te parler à l'instant, Et je courais... Tu vas savoir tout, j'en ai tant !Ces perles de douleur que tes yeux ont versées,Je les rachèterai par de bonnes pensées.Vois-tu, je n'étais pas maître de moi, c'étaitUn autre qui parlait quand ma voix t'insultait ! Tu lui pardonneras, - par tout ce qu'il endurePour sa punition. - C'est moi qui t'en conjure,Moi, pour qui ton amour est le suprême bien,Cher ange de bonté ! LUCIE. Va, je m'en doutais bien !Cependant, à mon sort forcément résignée, Quand précipitamment je me fus éloignée,C'est vrai, j'ai bien pleuré : cela me soulageait ;Avoue au moins, méchant, que j'en avais sujetEt que j'aurais dû mieux me tenir ma promesse...Les gens endimanchés qui sortaient de la messe Me faisaient peur, avec leurs regards curieux,Car tout me trahissait, ma démarche et mes yeux.N'ayant pas essayé d'apaiser cet orage,Je voulus le tenter j'eus assez de courage,Assez d'amour, pour croire au prochain repentir. HENRI. Il est profond, celui que j'ai dû ressentir. LUCIE. Puis, que fût devenu, sous ta main courroucée,Mon joli chapeau neuf ? - J'ai suivi ma pensée ;Je ne me trompais pas je t'attendais, tu vois ! HENRI, montrant la chapeau. Ce témoin convaincant vient d'élever la voix : Oui, tu me fus toujours trop bonne, trop fidèle. LUCIE. C'est se plaindre que la mariée est trop belle.M'aimeras-tu toujours ? Tu sais, c'est très longtemps.Toujours ! HENRI. Et toi ? LUCIE. Toujours ! HENRI. Ô cieux bleus éclatants !Vous recevrez nos voeux. Il va vers la fenêtre, l'ouvre et montre de la main les arbres.Vois-tu les belles choses Dans le jardin, là-bas, et les apothéosesQu'on prépare au doux mai ? Dans les grands marronniersEntends-tu la chanson joyeuse des ramiers ?Les vieux murs sont parés de guimpes de verdure ;Tout est splendeurs, parfums tièdes ; le ciel s'azure. Les oiseaux, les amants s'en vont à travers bois.Partons. LUCIE. Est-ce à Meudon, Saint-Germain, ou Sannois ? HENRI. Où tu voudras. LUCIE. Elle va pour se coiffer, et montre son chapeau à Henri, qui le lui met sur la tête.Eh bien ! Qu'en dis-tu, tout de même ?N'ai-je pas du talent ? HENRI. Mais c'est : tout un poème !Je décerne le prix à l'instant au vainqueur. Il l'embrasse. LUCIE. Voulez-vous bien finir, avec votre air moqueur ! HENRI. Voyons ! Sommes-nous prêts ? LUCIE. J'y suis. Ah ! Ma voilette ! Elle va vers la table, ayant cherché ce prétexte, tandis que lui, au fond, s'impatiente. - Elle prend, dans le tiroir, la lettre qu'elle met, froissée, dans sa poche. - Elle est vue seulement du public. - Puis, revenant auprès de la cheminée.Tiens ! voilà ton dernier bouquet de violette ;Il sent très bon encore... Elle le met à son corsage.En route pour Meudon !Nous prendrons le bateau ? HENRI, frappant légèrement du pied et lui saisissant ta taille. Mais dépêche-toi donc ! ==================================================