******************************************************** DC.Title = ACAJOU, OPÉRA COMIQUE DC.Author = FAVART, Charles-Simon DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opéra comique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/07/2022 à 09:31:19. DC.Coverage = Pays féérique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/FAVART_ACAJOU.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k855650s/f7.image DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ACAJOU OPÉRA COMIQUE Représenté pour le première fois sur le Théâtre du Faubourg Saint-Germain, le 18 Mars 1744. M. DCC. XLIV. Avec Approbation et Privilège du Roi. par Monsieur FAVART. À PARIS, Chez PRAULT, Fils, Libraire, Quai de Conti, vis-à-vis la descente du Pont-Neuf, à la Charité. Représenté pour la première fois sur le Théâtre du Faubourg Saint Germain, le 18 Mars 1744. ACTEURS HARPAGINE, Fée. NINETTE, Fée. ZIRPHILE, Princesse. PODAGRAMBO, Génie. ACAJOU, Prince. MONSIEUR MORTIFER, Médecin. MONSIEUR MÉTROMANE, Géométre. MONSIEUR STENTOR, Avocat. MONSIEUR GLAPISSANT, Huissier-Audiencier. MONSIEUR FAUSSET, Procureur. Troupe de Nains de la Cour de Ninette. Le théâtre représente le Palais d'Harpagine. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Podagrambo, Harpagine. PODAGRAMBO. Air. N'aurais-je jamais un amant ?Charmante sorcière aux doux yeux,Je brûle d'être votre époux ;Quand pourrons-nousMalgré les jaloux,Terminer l'alliance. Ce lien désirable ; Car je viens de me faire aimer D'un jeune homme adorable. HARPAGINE. J'attends ce moment comme vous, Avec impatience. PODAGRAMBO. Vous m'aimez donc, Madame Harpagine ? HARPAGINE. Point du tout, Monsieur Podagrambro, les Grands ne se marient que pour unir leur puissance. PODAGRAMBO. Vous avez raison je ne vous aime pas non plus moi, cela n'y fait rien, je vous épouserai. HARPAGINE. AIR. Vous voulez me faire chanter.Pour moi je suis prête à formerCe lien désirable ; Car je viens de me faire aimer D'un jeune homme adorable. PODAGRAMBO. Fort bien, c'est par nécessité Qu'Harpagine m'épouse ; C'est trop d'honneur en vérité. HARPAGINE. Oh, point d'humeur jalouse. Avez-vous oublié que les Fées nos ennemies ont prononcé, que nous ne pourrions nous unir à moins que nous ne nous fissions aimer de quelqu'un ? AIR. Il faut suivre la mode. À votre mérite, à vos attraits ; Si mon coeur est inaccessible, Si, malgré mes puissants attraits ; Je n'ai pu vous rendre sensible, Dois-je donc rester sans emploi ? Non, le célibat m'incommode, Un autre m'aime, épousez-moi ; Il faut suivre la mode. PODAGRAMBO. AIR. Et mon petit coeur de quinze ans. J'entre dans vos desseins prudents. Et vous m'aurez dans peu de temps ; Car enfin j'ai tout lieu de croire, Que j'aurai bientôt la victoire Sur un petit coeur de quinze ans. HARPAGINE. Tout de bon ? PODAGRAMBO. Aparemment, j'ai honoré Zirphile de mon choix. HARPAGINE. À merveille, je suis persuadée qu'elle aura du goût pour vous, elle est d'une bêtise si grande ! PODAGRAMBO. Passons les compliments. HARPAGINE. Mais vous aurez peine à tromper la vigilance de la Fée Ninette, sa protectrice. PODAGRAMBO. Prr... ne petite folle de trois pieds et demi, qui ne raisonne que quand elle met des lunettes, prétend-elle contrecarrer un Génie de ma sorte ? Car je suis un grand Génie moi, je vais me montrer à sa cour : dès que Zirphile me verra sous les habits d'un petit-maître, crac, son coeur est à moi : Je vous souhaite un pareil succès. HARPAGINE. Le mien est sûr : depuis que j'ai enlevé Acajou au berceau, dix-sept ans se sont écoulés sans qu'il ait vu d'autres femmes que moi. AIR. Le masque tombe.L'amour éclos avec l'adolescence, Cher Acajou, tes plaisirs vont germer ; Mes soins, mon sexe, et le besoin d'aimer, Ont sur ton coeur étendu ma puissance. PODAGRAMBO. Mais ne craignez-vous pas que votre Acajou ne se forme l'idée de quelque objet femelle dont la comparaison... HARPAGINE. Quand même il en verrait à présent de plus aimable que moi, je serais toujours préférée, l'éducation ridicule que je lui donne, ne peut que lui inspirer un faux goût qui me rassure. PODAGRAMBO. Comment vous y prenez-vous ? HARPAGINE. Un avocat lui montre à chanter, un médecin à faire des armes, un abbé à jouer de la vielle, à minauder et à découper, un géomètre à faire des vers. PODAGRAMBO. À faire des vers ? HARPAGINE. Oui, c'est un ridicule de plus. Enfin il est au point de préférer l'enluminure et le vernis de Martin, au coloris de Rubens ; et le Comédies modernes, à celles de Molière. PODAGRAMBO. Diable ! Mais, mais, vous n'y pensez pas, il y a là de quoi faire un jeune homme accompli. HARPAGINE. Aussi l'est-il. Le voilà, jugez-en. SCÈNE II. Acajou, Harpagine, Podagrambo. HARPAGINE. AIR. Confiteor. Quel objet offre plus d'attraits ! À bien choisir je suis habile. PODAGRAMBO. Il a la grâce, il a les attraits De la jeune et tendre Zirphile ; Mais Zirphile est, dans sa façon, Plus parfaite que ce garçon. ACAJOU. Qu'est-ce que c'est que Zirphile ? HARPAGINE. Rien, rien. Bas au Génie.À quoi bon parler de Zirphile ? PODAGRAMBO. Comment rien, rien, diable ! Mon choix vaut bien le votre : Zirphile est la plus jolie Princesse de l'univers. HARPAGINE, bas au Génie. Quelle imprudence ! PODAGRAMBO. Il est aisé de vous en éclaircir, ses jardins sont voisins des vôtres. HARPAGINE. [Note : Butor : Familièrement, un homme stupide, grossier, maladroit. [L]]Le butor. ACAJOU. AIR. Silvie, j'ai vu vos beaux yeux. Zirphile, Zirphile, Je voudrais la voir Dans cet asile, Comblez mon espoir ; Je passe des moments fâcheux, L'ennui s'efface lorsque l'on est deux. PODAGRAMBO. Oui-dà ! HARPAGINE. Et ne suis-je pas avec vous ? Cette Zirphile dont il parle, est laide en comparaison de moi. ACAJOU. Oh ! Tant mieux, vous êtes si belle, si belle, que je suis sur que la laideur de Zirphile me plaira. PODAGRAMBO. Ah ! Ah, ah, elle est adorée ; ah, ah, ah! HARPAGINE. Ah, ah, ah, riez, vous êtes le plus sot Génie. PODAGRAMBO. Là, là, tout doux, point d'invectives, ma future moitié, il semble que nous ayons déjà six mois de mariage. HARPAGINE. Si vous continuez vos balourdises, nous avons tout l'air de rester comme nous sommes. PODAGRAMBO. Parbleu, ce sera plus votre faute que la mienne, et je crois que Zirphile... HARPAGINE. Encore ! Suivez-moi, Seigneur Podagrambo : À Acajou.Mon fils, j'aperçois Monsieur Mortifer votre maître d'armes ; cultivez vos talents, c'est le moyen de plaire. ACAJOU. Obéissons donc à la Fée pour plaire à Zirphile, si je puis la voir. SCÈNE III. Acajou, Mortifer, en robe de Docteur en Médecine. MORTIFER. Monsieur, recipe un fleuret, soyez attentif, vous pouvez vous vanter d'avoir pour maître d'armes le célèbre Mortifer, Docteur en Médecine, Medicus fum et Doctor ; je veux morbleu qu'avant six mois vous soyez en état de disséquer un homme à la pointe de l'épée. ACAJOU. Mais, Monsieur le Docteur, il me semble que la profession de Maître en fait d'armes ne sympathise guère avec la médecine. MORTIFER. C'est ce qui vous trompe, Monsieur. J'écoutais de là son caquet. AIR. du Cocq de Village. Maître d'armes et Médecin, Ont entre-eux peu de différence, Tous deux possèdent la science De détruire le genre humain. L'un tue son homme tout aussi bien que l'autre, avec la tierce et la quarte ; comptez là-dessus. ACAJOU. Je m'étais figuré que là Médecine était l'art de guérir. MORTIFER. Vous avez raison. ACAJOU. Air. À sa voisine. Un tel principe vous dément. MORTIFER. Nous savons radicalement Guérir la maladie, Et le malade simplement, En perd la vie. ACAJOU. Rien n'est tel que de tuer le malade pour le guérir de tous ses maux. MORTIFER. Sans doute, sublata causa tollitur effectus ; mais il est temps de prendre votre leçon, apprenez que toute la science des armes consiste dans le systole et diastole du poignet, voilà le préservatif de la tierce, voilà le préservatif de la quarte ; c'est, par la circulation du fer que l'on repousse toutes les attaques. Allons, mettez-vous en garde. Bon, le salut. Faites-moi une pulsation à l'épée de tierce, de terge, et tirez-moi de quarte. Aye, aye, aye, comme vous y allez, arrêtez donc, s'il vous plaît. ACAJOU. AIR. Ô reguingué, ô lon lan la. Ne pouvez-vous donc me parer ? MORTIFER. Non, je ne sais que démontrer ; Ce n'est pas à moi d'opérer, Ma main en serait avilie ; C'est le fait de la chirurgie. Quand il s'agit.... Ah ! De tirer du sang j'ai un Frater excellent anatomiste, qui me sert de second et de prévôt. ACAJOU, jetant les gants et le fleuret. Allez, Monsieur Mortifer, ne vous mêlez que de tuer vos malades. MORTIFER. Corbleu, ne tombez jamais sous mon ordonnance, je vous ferais voir ce que c'est qu'un maître d'armes enté sur un médecin. SCÈNE IV. Métromane, Acajou. MÉTROMANE. Un, deux, trois, quatre, cinq, six. ACAJOU. Ah ! Voilà Monsieur Métromane le Géomètre, autre original. MÉTROMANE. Qu'avez-vous donc Seigneur, quelle sombre tristesse... ACAJOU. Monsieur, vous me donnerez leçon une autre fois, je n'ai pas l'esprit libre ; et de plus, je ne vois pas qu'il soit nécessaire qu'un jeune homme de ma sorte sache faire des vers. MÉTROMANE. Un Seigneur tel que vous doit n'ignorer de rien. ACAJOU. Ah ! Quel homme ennuyeux. MÉTROMANE. Prince, écoute-moi bien, Je vous l'ai déjà dit : l'auguste Poésie Est asservie aux lois de la Géométrie ; Tout Versificateur doit savoir à propos, Toiser une pensée et combiner des mots. Que toujours le bon sens, esclave de la rime ; En forme le problème, expose une maxime, Les vers de Tragédie, au milieu partagés, Portant six pieds de long, de niveau sont rangés, Et tout Poète exact sur les mêmes modèles, Resserre son génie entre deux parallèles ; Je vous ai démontré l'art de construire un vers, Apprenez maintenant ses usages divers. Seigneur. ACAJOU. AIR. Ah! vraiment je m'y connais bien. Seigneur, votre art m'est inutile. MÉTROMANE. Commençons par la plus facile, Une leçon vous apprendra À fabriquer un Opéra. Pour devenir Auteur lyrique, Il faut sur un plan symétrique, Par un calcul géométrique, Échafauder soixante mots, Vides de sens, forts de musique, Tels sont les Opéras nouveaux. ACAJOU. Eh ! Monsieur, je n'ai point envie de faire d'Opéra. MÉTROMANE. Du moins de déclamer, apprenez la méthode ; C'est un talent, Seigneur, qui devient à la mode, Dans cet art mécanique on aime à s'exercer; Écoutez mes leçons, je vais vous y dresser. ACAJOU. Le plus court est de le laisser dire, continuez donc, puisqu'il faut en passer par-là. MÉTROMANE. Pour faire des Héros une illustre peinture, N'allez pas sottement imiter la nature ; À voir avec quel art on nous rend leurs transports ; Sans doute ces héros n'étaient que des ressorts. Sachez qu'un Prince Grec, ou qu'un Bourgeois de Rome, Parlait au temps jadis autrement qu'un autre homme. Ces Pyrrhus, ces Brutus en perruque, en chapeau, En corsets de baleine, et couverts d'oripeau, Maigre le sens commun guidés par la mesure, D'un son harmonieux, cadençaient la censure. Le moindre confident, sur pareil ton monté, Avait, comme son maître, un langage noté ; Tous parlaient en chantant, et leur voix compassée Ne s'ajustait qu'au geste, et non à la pensée ; Chaque Acteur, pour les peindre et s'exprimer comme eux, [Note : Ampoulé : qui se dit d'un style vicieux, et rempli mal à propos de plusieurs grands mots, et magnifiques. [F]]Dit des vers ampoulés qui tombent deux à deux. Examinez mon jeu, c'est ainsi que j'avance ; Je prends une attitude, et, fort bien je commence. Ma voix en même-temps s'élève par éclats, Je balance le corps, et j'agite les bras, Tantôt avec ardeur, je dis à ma maîtresse : Pourquoi me fuyez-vous, adorable Princesse ! Aux tourments que j'endure ayez quelques égards ; Cruelle, je mourrai privé de vos regards. Hélas ! de cet hélas, distingués l'intervalle, Tantôt de mes deux bras décrivant un ovale, Du ton sacré des Rois, j'en impose aux humains, Alors embarrasse de mes pieds, de mes mains, Des yeux et de la voix, à peine ai-je l'usage ; Je frémis, je palis sans changer de visage, Sur mon flanc agité je porte un bras tremblant Et je m'évanouis sur mon cher confident. Actrices, qui briguez les honneurs de la Scène Que dès le premier vers la fureur vous entraîne, Étendez votre bras pour mieux le faire voir : Grimacez avec art, étalez le mouchoir, Criez à tout propos, criez à perdre haleine : Que l'on croie en un mot voir hurler Melpomène ; Par ce goût général que chacun soit conduit, On ne doit déclamer que pour faire du bruit, Taratantalera ; mais quel démon m'inspire ? Quels gouffres sont ouverts ? Taratantalerire. Ah ! Princesse ! Ah ! Seigneur ! Je deviens furieux ; C'est ainsi qu'en partant je vous fais mes adieux. SCÈNE V. Harpagine, L'Avocat, Le Procureur, L'Huissier, Acajou. ACAJOU. À La fin m'en voilà débarrassé, cherchons maintenant. HARPAGINE. Arrêtez mon poulet ; voilà Monsieur Stentor l'Avocat, qui vient vous donner votre leçon de Musique. ACAJOU. Oh ! Madame, j'ai un si grand mal de tête. STENTOR. Nous ne ferons que mettre à exécution devant vous, un morceau de Musique que j'ai dressé en faveur de Madame, et je produis à cet effet Monsieur Glapisant, Huissier-Audiencier, et Maître Fausset, Procureur, qui ont l'honneur de comparoir devant vous. Allons, Messieurs. TRIO. Chantons, chantons, que notre voix éclate, Chantons l'amante d'Acajou. L'HUISSIER. L'Amour, ce petit fou, Dans ses yeux fait joujou, Comme un furet dans son trou. TRIO. Chantons, chantons, que notre voix éclate, Chantons l'amante d'Acajou. LE PROCUREUR. Elle est plus tendre qu'une chatte, Qui soupire après son matou. Miaou. TRIO. Chantons, chantons, que notre voix éclate, Chantons l'amante d'Acajou. HARPAGINE. Fort bien, Messieurs. L'AVOCAT à Acajou. Quel jugement rendez-vous sur cette pièce ? ACAJOU, bas à l'Avocat. Monsieur, connaissez-vous une jolie Princesse appelée Zirphile ? L'AVOCAT. Non, Monsieur. ACAJOU. Hé bien, vous m'ennuyez, laissez-moi. HARPAGINE, aux Musiciens. Retirez-vous. SCÈNE VI. Harpagine, Acajou. HARPAGINE. AIR. Je suis un bon soldat ti ta ta.Mon petit Acajou, Mon bijou, D'où provient ta tristesse ? Ne puis-je pas remplir Ton loisir Par ma vive tendresse ? AIR. Quand le péril. Est-il chose si difficile Dont mon pouvoir ne vienne à bout. ACAJOU. Hélas ! puisque vous pouvez tout Faites-moi voir Zirphile. HARPAGINE. Toujours Zirphile ? Hois ! Vous la verrez si vous m'aimez bien la Fée Ninette la garde à vue, et le destin ne vous permet pas de sortir de l'enceinte de ce Palais, que vous n'ayez ressenti de l'amour. AIR. Oh ! Ricandaine.Pour être libre, mon mignon, Oh ! ricandaine ricandon, Dépêchez-vous donc de m'aimer, C'est moi qui dois vous enflammer, Ricandaine. Vous ne vous repentirez pas De soupirer pour mes appas ; Car je vous amuserai, Oh ricandaine ; Et je vous suffirai,Oh ricandé. Sans adieu, mon ami, je vais faire un petit tour du monde, pour voir ce qui s'y passe ; je ne serai qu'un instant. SCÈNE VII. ACAJOU. AIR. Je ne sais ce qu'il me veut dire ! Sur moi le doux nom de Zirphile, A produit des effets puissants ; Rêvons dans un lieu plus tranquille Au trouble imprévu que je sens ; Je ne sais ce qu'il me veut dire, Et malgré moi mon coeur soupire. ACTE II Le théâtre change, et représente les Jardins de Ninette. SCÈNE PREMIÈRE. Ninette, Zirphile. NlNETTE. AIR. Songez à vous défendre. Songez, songez à vous ma fille, Tout amant n'est qu'un enjôleur. ; Dès qu'une fois on perd son coeur, Tout s'enfuit de fil en aiguille. Songez, songez à vous ma fille, Tout amant n'est qu'un enjôleur., Tout amant n'est qu'un enjôleur. ZIRPHILE. Des amants, un coeur, je ne sais pas ce que vous voulez dire, ma bonne Ninette. NINETTE. Quelle innocente ! Est-il possible que vous soyez toujours si stupide au milieu d'une cour comme la mienne, qui est le centre de la politesse, des belles façons, du goût, de l'esprit et des plaisirs ? Nous ne ferons donc rien de vous, tous les soins que je prends pour vous instruire sont donc inutiles ? ZIRPHILE. Dame, apparemment que vous ne vous y prenez pas bien ; tous les Messieurs de votre Cour disent qu'ils m'instruiront mieux que vous, et vous ne voulez pas aussi ; vous me suivez partout, et vous avez peur que je ne m'écarte un moment de ces lieux. NINETTE. AIR. Ah ! le charmant Berger que j'aime. Il faut que je vous accompagne Sur tous vos pas, je veux voir clair ; L'honneur, comme un vin de Champagne, Zest, s'échappe dès qu'il prend l'air. ZIRPHILE. L'honneur, qu'est-ce que c'est ? Vous me parlez toujours de ce que je n'entends pas. NINETTE. L'honneur est ce qu'on a de plus cher : par exemple, qu'est-ce que vous aimez mieux dans le monde ? ZIRPHILE. Eh.... Mais, c'est le petit serin que vous m'avez donné, quoiqu'il soit un peu farouche. NINETTE. Eh bien, imaginez-vous que tous les Messieurs ne vous font politesse que pour voler votre petit serin. ZIRPHILE. Oui-dà ! Oh, ils n'ont qu'à s'y jouer, je suis bien aise de savoir cela. NINETTE. AIR. Depuis longtemps charmante brune. L'honneur est un oiseau sauvage, Qui se déplaît dans son séjour, Dès qu'il trouve un jour à sa cage, Hélas on le perd sans retour ; Car, dans les griffes de l'amour, Il tombe en sortant d'esclavage : Ce fripon au guet nuit et jour, L'étrangle, et s'enfuit à son tour. ZIRPHILE. Quoi ! L'on étranglerait mon serin ; oh ! Je vous assure que j'y prendrai bien garde. NINETTE. C'est à vous-même qu'il faut prendre garde, ma fille. ZIRPHILE. Pourquoi donc ? NINETTE. C'est que l'on ne cherche que l'occasion de vous faire quelque malice, à cause de votre simplicité ; défiez-vous de tout le monde. AIR. Non, je ne serai pas. Craignez des Officiers le séduisant langage, Craignez les gens de robe encor bien davantage, Ce sont en tapinois, malgré leur air bénin, Vrais renards affamés de l'honneur féminin. Fuyez surtout les jolis Abbés de cour. AIR. On voit dès le deuxième. Avec beaucoup d'adresse, Le galant à rabat, Cache sous sa tendresse, Sa volonté traîtresse, Auprès de sa maîtresse, Figurez-vous un chat. Un chat avec finesse, Tout doucement caresse, Mais sitôt qu'on le flatte, Il saisit cet instant, Et sa griffe aussitôt s'étend, Paf, c'est le coup de patte. Vous ne m'écoutez pas ? ZIRPHILE. Pardonnez-moi ma bonne. NINETTE. Qu'ai-je dit ? ZIRPHILE. Mon serin, des fripons, un Abbé qui fait le chat, et puis ... Oh ! Dame, je ne sais plus. NINETTE. Je vois bien que je perds mon temps, ma chère Zirphile, pour vous garantir de tout accident ; il vous suffira de garder soigneusement l'anneau constellé que vous avez au doigt. AIR. La jeune Abbesse de ce lieu. Par l'effet de ce talisman, Dont la puissance est infinie, Une fille peut aisément Commander au plus grand génie, Cet anneau la rend égale aux Rois, Tout l'Univers est sous ses Lois. AIR. Baise-moi donc, me disait Blaise. Pour conserver votre avantage, Gardez toujours un si précieux gage, Me le promettez-vous ? ZIRPHILE. Oh ! Oui ! Mais si quelque fripon me l'ôte, Dame il faudra s'en prendre à lui ; Car ce ne sera pas ma faute. NINETTE. On ne pourra point vous l'ôter sans votre consentement ; mais vous êtes menacée de le donner vous-même à quelqu'un que vous aimerez : si cela arrivait, la méchante Fée Harpagine s'emparerait de vous et nous ne pourrions peut-être plus vous unir au joli Prince que nous vous destinons. ZIRPHILE. Oh ! N'ayez aucune crainte. NINETTE. J'aperçois Podagrambo ; c'est un sot génie qui a le privilège d'être ennuyeux, nous ne pouvons l'éviter. SCÈNE II. Podagrambo, en habit de petit-maître, Zirphile, Ninette. PODAGRAMBO, à Ninette. Bonjour, la petite Fée. À Zirphile.Serviteur, ma belle Reine. AIR. N'avez-vous pas vu l'horloge. Commençons par son éloge, J'ai mon Compliment tout prêt : Belle en vos yeux l'amour loge. Et sa flèche est en arrêt. N'avez-vous pas vu l'horloge, Savez-vous quelle heure l'heure il est ? Je ne m'en suis pas mal tiré. À Ninette.Croiriez-vous bien, Madame, que je me suis pris de goût pour elle, c'est en honneur. NINETTE. C'est un hommage bien flatteur pour Zirphile ! Le fat ! PODAGRAMBO, à Zirphile. Oui, mon adorable. NINETTE. Ne lui répondez rien. PODAGRAMBO. Vous ne dites mot ? Doutez-vous du propos que je tiens ? AIR. Réveillez-vous belle endormie. De mon esprit le feu rapide Ne prend point sur le sentiment. Votre silence m'est perfide, Car je vous aime étonnement. Permettez... ZIRPHILE. Laissez-moi là. NINETTE. Doucement, Seigneur, plus de retenue, vous la fâcheriez. PODAGRAMBO. À d'autres ! AIR. Mon bonheur allait faire naufrage. En amour quand mon bonheur m'appelle, À l'instant je cours le grand galop ; On obtient mieux son pardon d'une belle, Quand on n'est pas assez sage avec elle, Que quand on l'est trop. NINETTE. Songez que c'est une fille que j'ai élevée. PODAGRAMBO. Eh ! Mais vous l'avez élevée très mal, très mal, elle est plus farouche qu'une bourgeoise ; cela est pitoyable ! Je veux en faire quelque chose, moi ; venez maman. ZIRPHILE. Voulez-vous bien finir ? NINETTE. Donnez-vous patience, Seigneur. AIR de la Chercheuse d'Esprit : À présent je ne dois plus feindre.Lorsqu'une trop vive lumière, Frappé à l'imprévu la paupière, On ne distingue aucun objet ; Devant vous Zirphile interdite, Vient d'éprouver le même effet. Par l'éclat de votre mérite. Laissez-lui le temps de revenir à elle-même, et donnez-moi le bras jusqu'à mon appartement. PODAGRAMBO. Soit. Sans adieu, petite cruelle. SCÈNE III. Zirphhile, Acajou. ZIRPHILE. Ma bonne a bien fait de l'emmener ; il augmentait mon ennui. ACAJOU, que l'on ne voit point. AIR. Pour voir un peu comment ça fra. Hélas ! ZIRPHILE. Mon coeur est tout ému, J'entends une voix qui soupire. ACAJOU, sans être vu. Hélas ! ZIRPHILE. Par un charme inconnu, Elle me trouble, elle m'attire ; Répondons-lui sur ce ton-là, Pour voir un peu comment ça fra. AIR. Oh ! oh ! ah, ah. Hélas !... Ciel je découvre À travers ce taillis.... La palissade s'ouvre, Tous mes sens sont surpris. ACAJOU, paraissant. Oh, oh. ZIRPHILE. Ah, ah. ENSEMBLE. ACAJOU. Ah l'aimable objet que voilà. ZIRPHILE. Le beau jeune homme que voilà. ACAJOU. AIR. Je sens un certain je ne sais quoi. Abordons-là. ZIRPHILE. Monsieur. ACAJOU. Je ! ZIRPHILE. Oui. ACAJOU. Je ne puis lui rien dire ! ZIRPHILE. Le coeur me bat. ACAJOU. Ciel ! Parlons lui ; Qu'elle a sur moi d'empire. ZIRPHILE. En le voyant mon ennui cesse, Quel changement se fait en moi ; Je sens un certain je ne sais qu'est-ce. ACAJOU. Je sens un certain je ne sais quoi. ZIRPHILE. Qui êtes-vous, beau garçon ? ACAJOU. Je m'appelle Acajou, et vous ? ZIRPHILE. Zirphile. ACAJOU. Zirphile ! Quoi vous êtes cette Zirphile ?... Que je sens de plaisir à vous voir ! ZIRPHILE. Eh moi.... Oh je suis si aise que.... que je ne saurais lui répondre. ACAJOU. Quelle est charmante ! AIR. Comme voilà qu'est fait. Ces fleurs qui parent la nature, Pâlissent près de cet objet : Le Ciel dont la lumière est pure, M'offre un spectacle moins parfait ; Mon âme vole et l'environne, Par l'effet d'un pouvoir secret. Quel teint ! Quelle bouche mignonne ! Quels yeux ! Mais quel nouvel attrait ! Comme vlà qu'est fait. Bis. ZIRPHILE. Vous me trouvez donc belle ? ACAJOU. Ah ! Rien n'est si beau dans l'Univers, j'en crois plus mon coeur, que les discours d'Harpagine. ZIRPHILE. Seriez-vous le joli Prince que l'on dit qu'elle tient renfermé, vous ne retournerez plus chez elle, n'est-ce pas ? ACAJOU. Je veux toujours rester avec vous, si vous me le permettez. ZIRPHILE. Oh, oui ! Qu'il est beau ! Écoutez : de crainte que cette vilaine Fée ne vous renferme encore, je vous cacherai quelque part, et je vous nourrirai, sans qu'on le sache, de bonbons et de confitures. ACAJOU. C'est bien dit. ZIRPHILE. La Fée Ninette m'a dit, de me défier de tous les Messieurs, parce qu'ils veulent me faire des malices, mais sûrement vous êtes excepté ; car je sens bien que vous ne pouvez me faire que du plaisir. ACAJOU. Du plaisir ! ZIRPHILE. Elle m'a dit encore, que l'on ne me fait des politesses, que pour voler mon serin ; mais je ne m'en soucie plus ; si vous le voulez, je vous le donnerai. ACAJOU. Plus je l'entends, et plus mon coeur... ZIRPHILE. Comment vous êtes-vous échappé du Palais de la méchante Harpagine ? ACAJOU. Je n'en pouvais sortir que je n'eusse senti de l'amour, je vous ai vu à travers ces feuillages, un trait de flamme m'a pénétré ; la palissade s'est ouverte d'elle-même ; c'est à vous que je dois ma liberté ; le trouble qui m'agite est sans doute de l'amour. ZIRPHILE. Je sens donc aussi de l'amour, moi ? ACAJOU. Quoi, vous m'aimez ! ZIRPHILE. Si le désordre de nos sens s'appelle de l'amour, oui, Acajou, je vous aime, je vous aime, et puis encore. ACAJOU. Je trouve enfin cette félicité que mon coeur m'annonçait sans le connaître. AIR. Ah ! mon mal ne vient que d'aimer. Incessamment je soupirais, Après un bien que j'ignorais; ZIRPHILE. J'avais de même du souci, Sans en savoir la cause, Hélas ! Il me manquait aussi Comme à vous quelque chose. AIR. Dans votre joli corbillon qui met-on. Il faudra toujours être ensemble, Pour nous amuser tous les deux, Nous jouerons à de petits jeux, Oui, c'est bien dit, que vous en semble ? ACAJOU. Je veux ma chère, Ce qui peut vous plaire. ZIRPHILE. Sur ce vert gazon, [Note : Corbillon : Sorte de petite corbeille. [L]]Il faut jouer au corbillon, Qui met-on. Donnez-moi la main. ACAJOU. AIR. Voyez-vous. Je voudrais sur ces jolis doigts, Prendre un baiser, ma mie. ZIRPHILE. Prenez-en deux, prenez-en trois, Contentez votre envie. Voyez-vous. ACAJOU. Rien n'est si doux, Je crois, dans la vie. Que mon âme est ravie. ZIRPHILE. Quelle nouvelle émotion développe mes sentiments, une foule d'idées se présente à mon esprit, je ne suis plus la même. ACAJOU. Ma chère Zirphile. ZIRPHILE. AIR. Est-il de plus douces odeurs. Mon coeur s'anime à tes accents, Un Dieu s'en rend le Maître ; Quel chaos offusquait mes sens Avant de te connaître : Le jour, n'avait point luit pour moi, C'est toi qui me fais naître. ACAJOU. Je sens aussi.... je sens en moi, Ah ! Je prends un nouvel être. AIR. À l'ombre de ce verd boccage.Quelle volupté fait éclore Dans mon coeur un ardent désir ! Un autre lui succède encore, Et m'annonce un nouveau plaisir ; Qu'un doux baiser, ah ! je t'adore, J'ai senti nos âmes s'unir ; Viens, redouble, que l'on ignore, Qui de nous deux pousse un soupir. SCÈNE IV. Podagrambo, Zirphile, Acajou. PODAGRAMBO. Que vois-je ! Acajou et Zirphile ; courons avertir Harpagine. SCÈNE V. Acajou, Zirphile. ZIRPHILE. Mon cher Acajou, croyez-vous que nous puissions nous aimer encore davantage ? ACAJOU. Cela pourrait bien être ; chaque moment augmente mon amour et mes désirs. ZIRPHILE. Pourquoi avons-nous tant de plaisir d'être ensemble ? ACAJOU. AIR. Sortez de vos retraites. Le Dieu qui nous enflamme, Ne me donna, je crois, Que la moitié d'une âme, Et l'autre était pour toi ; Toujours chaque partie Cherchait ses premiers noeuds ; Cette âme réunie, Nous rend égaux aux Dieux. ZIRPHILE. Je le crois comme vous. Apercevant Harpagine.Ah ! ACAJOU. Oh Ciel ! SCÈNE VI. Harpagine, Acajou. HARPAGINE. Arrêtez : comment avez-vous pu sortir ? ACAJOU. Ah, Madame ! J'ai vu Zirphile, mais ce n'est pas ma faute : Pourquoi n'avez-vous pas fermé vos jardins d'un mur au lieu d'une palissade ? HARPAGINE. Il a raison, je reconnais ma sottise. Suivez-moi. ACAJOU. Non, s'il vous plaît, je resterai avec Zirphile. HARPAGINE. Je perds, par mon imprudence, le pouvoir que j'avais sur lui : Que ferez-vous avec une petite sotte comme Zirphile ? ACAJOU. Elle a tout l'esprit du monde ; elle m'aime. AIR. Quelle flamme brûle mon âme ? Lorsqu'on aime, Dès l'instant même, L'esprit naît du sentiment, Dans notre âme, Un trait de flamme Fait briller un jour plus charmant. HARPAGINE. Vous l'aimez donc aussi ? ACAJOU. Ce n'est pas encore ma faute, elle est si belle ! HARPAGINE. Vous la préférez à moi, qui vous aurais élevé au-dessus de la nature ; tous les mortels auraient fléchi devant vous. ACAJOU. AIR. L'occasion fait le larron. Ces vains honneurs n'offrent rien qu'imposture : Zirphile est tout ; je voudrais en l'aimant, Être ignoré de toute la nature, Et connu d'elle seulement. HARPAGINE. Je suffoque de rage. ACAJOU. Cela vous fâche ? HARPAGINE. Ne craignez rien, mon ami, je fais un généreux effort, vous m'êtes cher, malgré votre ingratitude ; je vais immoler votre repos au vôtre, en vous unissant moi-même à Zirphile, pour faire votre bonheur. ACAJOU. Tout de bon. HARPAGINE. Oui, je vous le jure ; mais il faut me prouver que vous êtes aimé de Zirphile, sans cela Ninette n'y consentirait pas. ACAJOU. Zirphile m'aime, vous dis-je, elle me l'a dit : et de plus... AIR. Bacchus disait.Quand mes regards exprimaient ma tendresse,Les siens plus doux qu'expliquaient encore mieux ;En ma faveur Zirphile s'intéresse, J'ai vu son coeur tout entier dans ses yeux. AIR. Tant de valeur et tant de charmes.La bouche la plus éloquenteEst moins fertile en sentiments ;Mon âme, dans ses yeux charmants,Puise une ivresse qui m'enchante. HARPAGINE. Cela ne suffit pas ; je croirai qu'elle vous aime si vous m'apportez son anneau : je ne puis vous servir qu'à cette condition. Je vais me tenir à l'écart, allez la rejoindre ; dès que vous aurez l'anneau, appelez-moi. SCÈNE VII. Zirphile, Acajou. ACAJOU. Zirphile, Zirphile. ZIRPHILE. Est-elle partie ? ACAJOU. Ne craignez plus rien, Harpagine ne s'oppose point à nos désirs. ZIRPHILE. Est-il possible ! ACAJOU. Elle veut faire elle-même notre bonheur, si vous y consentez. ZIRPHILE. Si j'y consens ! En doutez-vous ? ACAJOU. AIR. Le vieux Docteur Blaise. De votre tendresse, Donnez-moi, ma chère Maîtresse, Un gage nouveau. ZIRPHILE. Quel gage nouveau ? ACAJOU. Hélas ! c'est votre anneau. ZIRPHILE. Que je vous le donne ? Ô Ciel ! Que me dirait ma bonne ? Il fait mon bonheur, Je perdrais l'honneur, Mes attraits ; votre coeur. ACAJOU. Quand on s'aime bien, On ne refuse rien ; Que craignez-vous tant ? Je le veux un instant, Aussitôt je vous le rends ; L'Amour en est garant. ZIRPHILE. Dieux, quel embarras ! ACAJOU. Vous ne m'aimez, pas. ZIRPHILE. Mon trouble Redouble ; Que faire, hélas ! Non, non. ACAJOU. Point d'excuse : Quoi, Zirphile me le refuse ! Je m'en vais mourir. ZIRPHILE. Tu me fais frémir ! Attends ; mais.... Quel désir. ACAJOU. Quelle crainte extrême Vous alarme quand je vous aime ? ZIRPHILE. Il m'arrivera Tout ce qu'il pourra : Tu le veux, le voilà. ACAJOU. AIR. À ta mère à présent. Ô Dieux, quelle douceur ! ZIRPHILE. Qu'en allez-vous faire ? ACAJOU. Il va combler mon bonheur. Au gré de nos désirs, Nous serons, ma chère, Toujours au sein des plaisirs. ZIRPHILE. J'oublie, en vous voyant, tous les dangers dont on m'a menacée, si je donnais mon anneau : je ne crains plus que pour vous. ACAJOU. AIR. Le Savetier matineux. Sur le sort le plus affreux, Mon âme reste tranquille ; Qu'ai-je à craindre de fâcheux, Je suis aimé de Zirphile ? Bis. SCÈNE VIII. Harpagine, Acajou, Zirphile. ACAJOU. Approchez, Madame ; voilà la preuve et le gage de son amour pour moi. HARPAGINE. Voyons. Je suis satisfaite. Tremblez malheureux, vous êtes deux victimes dévouées à toute ma colère. AIR. De mon pot je vous en réponds. Puisqu'une autre obtient ton coeur, Ingrat, frémis d'horreur ; Crains tout de ma fureur extrême : Je vais remettre à l'instant même, Au pouvoir de Podagrambo, Zirphile et son anneau. SCÈNE IX. ACAJOU. AIR. Le bonheur de ma vie.Ô trop funeste sort ! Ma tendresse est trahie ! Viens me donner la mort, Ô barbare ennemie ! Zirphile m'est ravie, Je retombe au néant ; Mon bonheur et ma vie, N'ont duré qu'un instant. SCÈNE X. Ninette, Acajou. NINETTE. Oh moment favorable ! C'est l'Amour, Qui le conduit à ma Cour : Eh bonjour, Prince aimable, Que depuis longtemps J'attends : Ici pour vous s'apprête, Un hymen qui va remplir Votre désir : J'ai commandé la fête, Livrez-vous au plaisir. J'ai découvert par mon art que vous vous affranchiriez aujourd'hui du pouvoir d'Harpagine, que vous verriez Zirphile, que vous l'aimeriez, qu'elle vous aimerait ; en un mot, que vous vous conviendriez tous deux. AIR. J'étais perdue. Mais quoi ! Vous ne répondez pas ; L'accueil est sauvage : Je ne vois point Zirphile. ACAJOU. Hélas ! NINETTE. Quel affreux présage ! Je la cherche en vain des yeux ; Qu'est-elle devenue ? Elle n'est point en ces lieux. ACAJOU. Elle est, elle est perdue. AIR. Du pain, de l'eau, elle vit. La fureur de moi s'empare. NINETTE. Que lui vient-il d'arriver ? ACAJOU. Harpagine, la barbare ! NINETTE. Hé bien ! ACAJOU. Vient de l'enlever. Je me trouble, je m'égare. NINETTE. Arrêtez, cher Acajou ; Le bon sens est déjà rare, N'allez pas devenir fou. Je vois la cause de vos malheurs; Zirphile a eu l'imprudence de vous donner l'anneau qui la garantissait de tous les revers ; mais le mal est fait, il s'agit d'y trouver un prompt remède. Attendez, je vais mettre mes lunettes : Ô Dieux ! Podagrambo et Zirphile. ACAJOU. AIR. Ah ! Quel malheur, tout est perdu ! Je meurs ; dépêchez-vous, Madame ; Je crains que l'objet de ma flamme Trop tard me soit rendu. NINETTE. Remettez-vous : par le pouvoir des Fées, sans que votre Maîtresse ait perdu la vie, sa tête est montée dans la Lune. ACAJOU. Dans la Lune ! NINETTE. Oui, et son corps se promène dans les jardins de Podagrambo. ACAJOU. Mais, Madame, vous vous moquez ; mon rival n'est point à plaindre : s'il allait épouser ce qui lui reste. NINETTE. Ne vous alarmez point, il ne peut en approcher qu'il ne soit possesseur de la tête ; il va la chercher dans la Lune : il faut que vous le préveniez. ACAJOU. Eh ! Comment voulez-vous que je parvienne à la Lune, moi ? NINETTE. Je vous élèverai d'un coup de baguette au-dessus de la moyenne région ; et comme les têtes d'amoureux ont un rapport intime avec la Lune, cet astre vous attirera aussi par une attraction naturelle. ACAJOU. Et pour revenir ? NINETTE. Vous descendrez avec les influences ; que cela ne vous inquiète pas, ne songez qu'à réussir. ACAJOU. Quel en est le moyen ? NINETTE. Prenez cette baguette, celui qui la porte ne fait point de fausses démarches; ces lunettes vous éclairciront le jugement, et vous empêcheront d'être reconnu de Podagrambo. Attendez, ne les mettez pas encore; vous seriez trop raisonnable pour arriver à la Lune : suivez-moi. ACTE III Le Théâtre change et représente un bosquet de la Lune. SCÈNE PREMIÈRE. LA TÊTE DE ZIRPHILE sur un buisson de roses. AIR. Je crois Lison. Cher souvenir, Non, je ne puis te bannir, L'Amour allait m'unir Au beau Prince que j'aime ; Tout le bonheur Dont il enivrait mon coeur Passe de même Qu'un songe vain et flatteur. AIR. Que je regrette mon amant. Que je regrette mon amant, Quoiqu'il cause mon infortune ; Pour avoir aimé tendrement. Voilà ma tête dans la Lune. Si chaque fille est dans ce cas, Les têtes sont rares là-bas. AIR. Sans le savoir. Un charme affreux ici m'arrête, Il ne me reste que la tête, Quel arrangement puis-je avoir ; Podagrambo du reste est maître, Et je déteste son pouvoir, Je réponds à ses feux peut-être, Sans le savoir. SCÈNE II. Acajou en vieillard, La Tête de Zirphile. ACAJOU, sans être vu. AIR. Oh Pierre, oh Pierre. À peine est inutile, Et je cours comme un fou, Zirphile, ma Zirphile. LA TÊTE DE ZIRPHILE. C'est la voix d'Acajou. ACAJOU, sans être vu. Zirphile, Zirphile. LA TÊTE. Oui, j'entends Acajou. ACAJOU, paraissant. Serai-je toujours assailli de têtes folles, sans trouver celle que je cherche ? Je parcours en vain tous les bosquets de la Lune. Podagrambo m'aura prévenu. Malheureux Acajou ! LA TÊTE. AIR. Trois Enfants gueux. Jetez, les yeux sur ce buisson de fleurs. ACAJOU. Que vois-je, hélas ! c'est Zirphile elle-même. LA TÊTE. C'est Acajou qui vient sécher mes pleurs, Je vois encor le cher amant que j'aime. Par quel hasard êtes-vous aussi dans la Lune ? ACAJOU. La Fée Ninette vient de m'y transporter pour vous procurer la liberté. LA TÊTE. Eh ! Dites-moi de grâce, pourriez-vous m'apprendre des nouvelles de moi. ACAJOU. Comment, des nouvelles de vous ? LA TÊTE. Oui. AIR. C'est une excuse. Mon corps est resté seul là-bas, Et j'ai tout lieu de craindre hélas Quelque maligne ruse ; S'il fait par malheur des faux-pas, Ma tête ne le conduit pas, C'est une excuse. ACAJOU. Tranquillisez-vous, il est sous la garde des Fées. Je viens chercher cette tête charmante pour l'y réunir. Mais hâtons-nous de prévenir Podagrambo ; car il a le même dessein. LA TÊTE. Arrêtez. Ce Génie ..... ACAJOU. Ne l'appréhendez point ; il ne pourra me reconnaître sous ce déguisement, dès que je mettrai ces lunettes que la bonne Fée m'a données. AIR. Nous sommes Précepteurs d'amour. Venez, volez entre mes bras. LA TÊTE. Je ne puis, un charme m'arrête, Sans mon anneau l'on ne peut pas Se rendre maître de ma tête. ACAJOU. Comment, je n'y pourrai réussir si je n'ai votre anneau ? LA TÊTE. Non, et le vilain Génie le possède. ACAJOU. Je suis au désespoir. LA TÊTE. Le voilà pour comble de malheurs. ACAJOU. Cachez-vous un moment dans ce buisson ; l'Amour m'inspire une idée. SCÈNE III. Podagrambo, Acajou. PODAGRAMBO, avec un trébuchet. Petite, petite, petite, voilà une tête femelle qui me fait voir bien du pays. Petite, petite, rien ne paraît. Apercevant Acajou.Enseignez-moi ce que je cherche. ACAJOU. Que cherchez-vous ? Vous ne pouvez mieux vous adresser qu'à moi, je suis habitant de ce lieu : c'est ici le magasin des choses perdues, et j'en ai l'intendance. PODAGRAMBO. Tant mieux, vous pourriez m'être utile. ACAJOU. Les animaux, les végétaux, tous les êtres que vous voyez dans la Lune sont des choses évaporées de votre monde, qui prennent ici des formes caractérisées. PODAGRAMBO. Ah ! Ah ! ACAJOU. Par exemple : L'esprit étourdi des Petits-Maîtres voltige dans la Lune sous la figure des hannetons et des papillons. AIR. Dans le fonds d'une écurie. Ici l'esprit des coquettes, Par l'intérêt animé, En abeille transformé, Vit du tribut des fleurettes, Et du lys au jasmin, Vole et suce son butin. PODAGRAMBO. Eh ! Qu'est-ce que c'est que cette foule d'oiseaux dont ces bosquets sont remplis ? ACAJOU. Vaudeville de la Parodie de Roland. La vertu légère des belles, Ici paraît avec des ailes. PODAGRAMBO. Quel cas nouveau ! ACAJOU. Toujours par quelque moyen drôle, Dans la Lune l'honneur s'envole Comme un oiseau. Nous en avons ici de toutes les espèces. AIR. L'Amour n'est pas un oiseau. On en voit dans ce bocage De petits, faibles encor, Beaucoup même ont pris l'essor Avant d'avoir leur plumage. PODAGRAMBO. Ce n'est pas tout cela que je cherche : c'est la tête, de ma maîtresse. ACAJOU. Les têtes d'amoureux aiment la solitude, vous la trouverez peut-être dans ce bocage. PODAGRAMBO. Grand merci, je vais y tendre mon trébuchet. ACAJOU. Ah ! Ah, ah, vous voulez prendre les filles au trébuchet ; ce sont elles qui nous y prennent. Laissez-moi faire, je l'attraperai moi. Il y a cinquante ans que je fais la chasse à ces oiseaux. PODAGRAMBO. Eh ! Comment pourrez-vous attraper la tête légère d'une jeune fille de quinze ans ? Vous êtes si vieux. ACAJOU. C'est à cause de cela que j'y réussirai. AIR. L'innocence est craintive, Et les jeunes tendron, Sont sur la défensive, À l'aspect des garçons Galants, Trop pétulants, Vous manquez leur défaite, Par trop d'ardeur On leur Fait peur ; Mais un vieillard Gaillard A l'art D'attraper une fillette. Et cela sans courir. PODAGRAMBO. De quelle manière ? ACAJOU. On se sert d'appeaux, on attire la tête d'une jeune fille par la curiosité, la louange, la médisance et les contes frivoles ; vous allez voir : Comment se nomme votre Maîtresse ? PODAGRAMBO. Zirphile. ACAJOU. AIR. Ah! vraiment je m'y connais bien. Venez, adorable Zirphile, Venez embellir cet asile, Par l'éclat de vos yeux vainqueurs, Vous allez enflammer nos coeurs. PODAGRAMBO. Oh ! Oh, la voilà, vous avez raison ; je vais la prendre pendant que vous l'amuserez. ACAJOU. Non, je la prendrai mieux que vous, parce que j'ai plus d'expérience ; et vous l'amuserez mieux que moi, parce que je m'aperçois que vous avez plus d'esprit. PODAGRAMBO. Cela n'est pas étonnant, je suis un Génie. ACAJOU. Je vais donc..... PODAGRAMBO. Attendez, attendez ; ah, ah, ah, avec toute votre expérience, vous ne savez pas que l'on ne peut avoir la tête de ma Maîtresse sans cet anneau ; tenez le voilà, prenez-la subtilement pendant que je vais faire un conte. Je vais m'asseoir pour réciter plus à mon aise. AIR. Voyelles anciennes. Il était une fois un Roi, Et puis il était une Reine ; La Reine un jour disait au Roi, Et le Roi disait à la Reine ; La Reine un jour disait au Roi, Et le Roi disait à la Reine. Il s'endort. SCÈNE IV. Harpagine, Podagrambo. HARPAGINE. Je crains que le Génie ne fasse quelque nouvelle étourderie : Suivons-le dans son entreprise. PODAGRAMBO continue. La Reine un jour disait au Roi,Et le Roi disait à la Reine. HARPAGINE. Comment il dort : que faites-vous donc là, Seigneur ? PODAGRAMBO. Paix, chut, je fais un conte pour endormir la tête de Zirphile. HARPAGINE. Qu'est-ce que cela veut dire ? PODAGRAMBO. Point de bruit, on va la prendre tout doucement pendue je l'amuse ; je viens de donner l'anneau à un habitant de la Lune qui fait son métier d'attraper des têtes. Ah ! Ah, ah. HARPAGINE. Qu'avez-vous fait ? Tout est perdu. SCÈNE V et DERNIÈRE. Ninette, Acajou, Zirphile, Podagrambo, Hargagine. NINETTE. Venez tendres amants, venez triompher de leurs complots ; et vous perfides disparaissez, que leur union fasse votre supplice : Le sot Génie a donné lui-même à son rival l'anneau qui assure pour jamais leur bonheur, et détruit votre puissance ; vous êtes tous deux les victimes de votre propre malice : Les sots et les méchants n'ont point de plus grands ennemis qu'eux-mêmes. Ils s'abîment. ACAJOU. AIR. Ainsi qu'une Hirondelle. D'un sort digne d'envie, Les Dieux me font jouir. ZIRPHILE. Aux Dieux je dois la vie ; À toi tout mon plaisir. Oui, je dois moins encore Aux Dieux qu'à mon amant ; C'est lui qui fait éclore En moi le sentiment. NINETTE. Les Nains, mes sujets, ont préparé une mascarade : Je vais les transporter ici d'un coup de baguette avec tout mon Palais. ==================================================