******************************************************** DC.Title = LE COLIS, MONOLOGUE. DC.Author = FEYDEAU, Georges DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:57:06. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/FEYDEAU_COLIS.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76158f DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE COLIS MONOLOGUE Prix : Un franc 1885. Tous droits réservés. GEORGES FEYDEAU Imprimerie Générale de Chatillon-sur-Seine. - A. Pichat. PERSONNAGES UN HOMME. LE COLIS UN HOMME. À Alfred Feydeau. Eh ! Oui je me plaindrai ! Je me plaindrai bien haut ! Et pour avoir raison, j'aurai recours, s'il faut, Aux tribunaux ! Oui-dà ! Mais j'aurai gain de cause. Jobard : Terme familier. Homme niais, crédule, qui se laisse facilement tromper. [L] L'on verra si je suis si jobard qu'on suppose Enfin me voilà, moi. Quel triste dénouement ! Sans la moindre chemise et sans un vêtement. Eh ! Oui ; de convoler, un jour j'eus la sottise ; Ma femme est un bijou : là n'est point la bêtise, Mais devenant époux, je devins gendre aussi, Et qui dit « gendre », dit « belle-mère » ! Ah ! merci... « Merci », sans calembour... parbleu ça se devine ! Oh ! Mais on peut l'écrire, en rime féminine ! Et moi qui pour lutter contre le préjugé Voulais, avant - c'est vrai - que d'en avoir jugé, Fonder un comité quel but humanitaire Pour réhabiliter à tous la BELLE-MÈRE. Pauvre fou que j'étais ! Et tenez, jugez-en : C'était tout récemment ; moi, toujours complaisant, Stalle : Dans un théâtre, sièges séparés et numérotés. [L] J'offre à mon cauchemar une excellente stalle Concert Colonne : concerts parisiens organisés par Edouard Colonne, fondateur, chef d'orchestre et créateur de l'orchestre depuis 1873. L'orchestre est encore en activité en 2020. Pour le concert Colonne et v'lan ! Je l'y trimbale. - Oui, c'est beau, je le sais, c'est superbe ! C'est fort ! Mais j'avais mes raisons : l'absent a toujours tort Or, le surlendemain, je partais en voyage, L'autre en eût profité pour troubler mon ménage. Bref, tandis que l'orchestre entame du Wagner, J'entends auprès de moi ronfler sur le même air, Qui ? Ma belle-maman qui, là, dans tout Colonne, Semble vouloir lutter même avec le trombone Et qui, la tête en l'air et glissant sur son fond, Regarde, les yeux clos, le lustre du plafond. Donato pour sujet l'aurait trouvée exquise. Dame ! On endort les gens, quand on les... Wagnérise. Soudain autour de moi, tous les gens agacés De hurler: « À la porte ! Au vestiaire ! Assez !...» Ah ! N'éveillez jamais belle-mère qui ronfle ! Voyez comme son sein paisiblement se gonfle, Et moi je trouve un charme à ses ronronnements Qui sont comme un répit à tous ses grondements ; Je la contemple ainsi dormir avec délice ; C'est comme en pleine guerre, un trop court armistice, Comme au mourant de soif la moindre goutte d'eau, La résurrection après le froid tombeau. C'est moi, quoi ! Libre, enfin, libre après la galère, Me pouvant un moment, croire sans belle-mère. Quand le concert finit, vers cinq heures au plus, Belle-maman dormait, mais ne ronronnait plus. Au risque d'essuyer sa nouvelle colère, Je voulus l'éveiller pour partir... Téméraire ! J'eus beau faire et crier, comme au plus sourd des sourds, Elle n'entendait rien, elle dormait toujours ! Ah ! Je n'aurais point cru, vraiment, que la musique Eût pu rendre à ce point quelqu'un cataleptique. Que faire ? J'envoyai me quérir aussitôt Le docteur. Il vint ; puis, sans me mâcher le mot, Me dit brutalement « Monsieur, madame est morte ! » Ce fut un coup pour moi : « Quoi ? Mourir de la sorte ! C'est bien embarrassant ! » fis-je tout attristé. Ma pauvre femme en eut le coeur tout affecté ; Elle pleura, pleura, c'était à fendre l'âme. Moi, je pleurais aussi je l'aimais tant... ma femme ! C'est alors qu'on put voir les amis s'amener, Plaindre, se lamenter... demeurer à dîner, De ma belle-maman entamer la louange : Toutes les qualités ! Enfin c'était un ange ! - On apprend tous les jours ! - Bref, vous savez, vraiment, Nous la pleurâmes, là, très convenablement. Eh ! Bien, se moque-t-on du monde de la sorte ? Pas du tout, non, messieurs, elle n'était pas morte ! Et me voilà soudain, quel guignon ! Patatras ! Une re-belle-mère à nouveau sur les bras ; Sans compter tous les frais que je venais de faire, Et la bière restant pour compte ! Eh ! oui, la bière ! Que peut-on faire enfin d'un pareil bibelot ? À moins tout bonnement d'aller le mettre en lot, Ou de courir l'offrir à quelque originale Qui s'en fera son lit ?... Non ce sera ma malle. Et voilà !... Je vous vois plongés dans la stupeur ! Denis Papin (1647-1713) est réputé pour être l'inventeur du moteur à vapeur. Et l'on vient me citer Papin et sa vapeur ! Mais qu'a-t-il donc tant fait ? Simplicité que j'aime ! S'il trouva la vapeur, c'est dans la vapeur même. Pour moi c'est du néant que j'ai tout fait sortir : Papin sut profiter, moi j'ai su convertir. Et, fier de moi, presto, j'entreprends mon voyage, Ma foi fort enchanté de lancer mon bagage. Ah non, mais quel succès, quel ahurissement ! Chaque fois que d'un train s'opère un changement. Là l'homme se découvre, et la femme se signe ; Et près de moi, partout, on crie : « Ah c'est indigne ! » Car plus d'un se révolte en voyant sans façon Bousculer mon objet et le mettre au fourgon Comme un simple bagage. Et même pris au piège, Un gros monsieur cagot, hurle : « Quel sacrilège ! » » Nous allons dérailler ! » Je pouffais pour ma part. Ainsi nous arrivons jusqu'à Montélimar. La grande foule ! Et pas la foule habituelle Hommes en habit noir, tenue officielle, Qu'est-ce ? Dans tout le train, grande agitation. C'était quoi ? Rien ! Des gens en députation Pour recevoir le corps d'un défunt anarchiste, Président de leur club anti-légitimiste. Moi, badaud, je me paie, en bon parisien, Les obsèques gratis de ce grand citoyen. Soudain l'on se découvre ; un cortège se forme, Et le cercueil descend... Ciel ! J'en connais la forme : « Ma malle ! C'est ma malle ! Eh ! Là-bas un moment ! » Je saute à bas du train et précipitamment Sur ces gens stupéfaits et gardant le silence. Furieux, sans chapeau, comme un fou je m'élance : « Arrêtez ! C'est à moi ! » - Je saisis le cercueil. - « Rendez-le moi! ». Des gens ont des larmes à l'oeil Et tous de s'écarter avec respect. J'enrage : « Rendez-le moi ! Vous dis-je. » Un vieux me fait « Courage ! » En me serrant les mains. « Mais voyons, c'est mon bien !» Et le monsieur ajoute : « Ah vous l'aimiez donc bien ? Hélas c'est une perte immense, irréparable, Et sa vie, ah monsieur, quelle vie honorable ! Pour le bonheur de tous le destin le créa. Nouméa est la capitale de la Nouvelle Calédonie, qui était au XIXème siècle sous administration française. Nouméa fut célèbre aussi pour son bagne où furent envoyés des condamnés politiques. I1 se fit adorer jusque dans Nouméa ! » - Allez au diable ! Là, tous autant que vous êtes ! « J'ai bien le temps vraiment d'écouter vos sornettes « Croyez-vous que le train va m'attendre là-bas ?... » Hélas ! J'avais raison, le train n'attendit pas ! Tandis que j'écumais, furieux, plein de rage, Il partit, m'emportant mon reste de bagage. Alors je ne mis plus de borne à mon courroux : « Misérables ! hurlai-je, assassins ! Gueux ! Filous ! Gredins ! Vous me volez ! » ? « La douleur qui l'égare » ! Conclut le vieux monsieur. Et l'on quitta la gare. Je dus, malgré mes cris et mes emportements, Assister au convoi de tous mes vêtements. Ce furent des discours, des bouquets, des louanges ! Ah mon pauvre colis en entendit d'étranges !... Par un dernier effort, je voulus, me calmant, Essayer de les prendre avec du sentiment, « Voyons ! fis-je, messieurs, là, parlons sans colère ; « Tout ça n'est que défroque ! Ah ! Qu'en voulez-vous faire ? Ce que j'ai là dedans n'a jamais valu rien. Ah ! Suivez-moi ! Allons à ce qui vous convient !... » Alors quelqu'un cria « Vil réactionnaire ! Tu prends pour piédestal, profane, cette bière Et tu veux parmi nous faire ton coup d'État ? À bas ! » Je dus filer pour clore le débat. Il était temps avant que l'orage ne tombe ! Me voilà hors danger, caché par une tombe... Mais là si ce n'est pas le comble du tourment ? - J'entends au loin, soudain prononcés clairement Ces mots: « Repose en paix, dépouille juste et probe ! » Et je vois enterrer ma pauvre garde-robe. ==================================================