******************************************************** DC.Title = ZÉLONIDE, PRINCESSE DE SPARTE, TRAGÉDIE DC.Author = GENEST, Abbé DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/08/2021 à 11:51:30. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GENEST_ZELONIDE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9807756q DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ZÉLONIDE PRINCESSE DE SPARTE TRAGÉDIE. M. DC. LXXXII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Chez CLAUDE BARBIN, sur le second perron de la Sainte-Chapelle du Palais.Achevé d'imprimer pour la première fois le quatrième Juillet 1681. PREFACE. J'ai toujours eu une singulière admiration pour les Lacédémoniens, et parmi les beaux endroits de leur Histoire, celui-ci m'a fort touché. Comme la Valeur des Hommes et le Courage des Femmes y paraissent également, je l'ai trouvé très propre à représenter le Génie de Sparte : Mais en récompense il a de grandes difficultés pour le Théâtre, et je ne présume pas de les avoir toutes surmontées. Sans vouloir éluder les Objections, je crois devoir rendre raison de ma conduite. On n'a pas condamné les sentiments de cette tragédie, mais quelqu'un a dit qu'elle consiste toute en ces sentiments,et qu'elle n'a point de d'action ; en quoi on veut qu'elle pèche contre la principale Règle. Il m'a semblé cependant que l'Amour d'Acorate et de Zélonide, secondé des voeux de tous les Lacédémoniens qui s'intéressent à leur bonheur, est ce qu'on appelle une action. Que la jalousie et le ressentiment de Cléonime, appuyé par Pyrrhus qui assiège Sparte, en sont le noeud. Et qu'enfin la Mort de Cléonime et le secours du Roi, Aréus en sont le dénouement. Ne trouve-t-on pas là une action avec toutes ses parties, telle que les lois de cet art la demandent ? Et de plus une action importante, générale, où il va de la Couronne et de la vie pour le Prince et pour la Princesse de Sparte, et qui entraîne en même temps la perte ou le salut de tout l'État. Ou si l'on ne veut regarder qu'une partie de l'action, et dire que le noeud n'est pas assez fondé et assez nécessaire, puisque Zélonide et Acorate peuvent se marier malgré les menaces de Cléonime et de Pyrrhus ; je demande si ce mariage précipité aurait empêché la Guerre ? Et de quoi aurait servi à ces amants un bonheur si hors de saison et de si peu de durée ? Les Spectateurs en approuveraient-ils la proposition ? Et ne croiraient-ils pas à Acorate ; Mala ducis domum, Quam multo repetet grécia militè, Conjurata tuas rumpere Nuptias. De quel oeil les Lacédémoniens lui auraient-ils vu célébrer cette fête à la veille d'une si cruelle Guerre ? Ne lui auraient-ils pas dit : Nequicquam thalamo graves Hastas, et calamispicula Gnossii Vitabus. Il n'y avAit donc point d'autre parti à prendre pour un Prince si brave et si amoureux, que de songer à mettre Zélonide en sûreté, tandis qu'il se préparait à combattre. On voudra peut-être encore soutenir que l'action est en quelque sorte affaiblie, parce que Cléonime attaquant Sparte au dehors, ne paraît point sur le théâtre. Cela est vrai : et c'est de là que me vint l'idée de lui donner une soeur qui supplée à ce défaut. Elle a presque les mêmes intérêts et les mêmes passions, elle dit une partie de ce qu'il aurait dit, avec plus de jeu remplit peut-être mieux la scène qu'il n'aurait fait lui-même. Au reste je ne saurais penser que des sentiments de gloire que j'ai répandus presque partout, aient affaibli l'action et j'ai cru ? Qu'ils la rendraient plus vive, et qu'intéressant davantage le spectateur en faveur de mes héros, le péril pressant ou ils se trouvent causerait plus de crainte et de compassion. Le plus grand mal vient donc des récits, qui a ce qu'on prétend sont en trop grand nombre ; c'est sur cette objection, que l'on insiste le plus. J'avoue qu'il y en a beaucoup, et je n'ai pu les éviter dans un sujet où il s'agit de combats et d'assauts continuels. Je supplie seulement qu'on ne s'arrête pas au simple mot de récits, ils tiennent quelquefois lieu d'actions par l'attente ou l'on est et par les mouvements qu'ils excitent. Je les ai animés et variés autant que j'ai pu. Après tout chacun en doit juger par soi-même ; s'ils ne font pas ici leur effet, j'ai tort, et je confesse que tous mes raisonnements ne serviront de rien. D'autres ont prétendu disputer à Zélonide le titre de parfaite héroïne. Outre que la perfection absolue n'est pas toujours nécessaire aux héros de la tragédie, j'ai à répondre encore qu'on ne sait pas bien toutes les circonstances de la rupture de Zélonide avec Cléonime, et de son engagement avec Acorate ; mais que toutes les louanges qu'on lui donne à Sparte, et les acclamations que font pour elle tant de Sages vieillards y montrent assez qu'ils la regardaient comme une Princesse héroïque : Et je crois qu'avec le soin que j'ai pris de la représenter dans un état tout à fait conforme à la régularité de nos moeurs, elle sera aussi regardée en France comme une héroïne accomplie. On me reprocha d'abord que mes personnages n'étaient pas assez connus. Je m'étais promis que les noms de la plus célèbre ville, et d'un des plus fameux Capitaines de l'Antiquité, seraient capables d'attirer quelque attention pour tout le reste, et je puis dire que je ne me suis pas tout à fait trompé. Il se trouva aussi des censeurs qui m'accusèrent d'avoir altéré les noms. Le plus savant et le plus ancien commentateur de Virgile nous apprend qu'on a le droit d'en retrancher quelque syllabe ou même de les changer absolument, quand ils ne s'accommodent pas bien aux vers, ou qu'ils sont d'une prononciation rude et désagréable. On peut se ressouvenir de ces paroles de Servius : Quoties Poeta afpera invenit Nomina et in metro non stantia, aut mutat ea, aut de his alequid mutilat. Vida enseigne la même chose en sa Poétique. Nomina dura nimis dictu, atque asperrima cultu, Illa aliqui, nunc addentes, nune inde putantes Pauca minutatim, levant, ac molia reddunt. C'est ainsi que j'en ai usé à l'égard d'Acrotajus et de Chelidonide. Ce qui m'était d'autant plus : permis que ces noms, comme on me le reproche, ne sont pas extrêmement connus. Pour ce qui est du mot de Spartian et de Spartaine dont je me suis servi, on doit convenir que c'était une nécessité. Les Dames de Sparte ont la plus grande part en ma tragédie, il fallait parler d'elles à tous moments. Spartiates est équivoque : entre les hommes et les femmes. Lacédémoniennes est trop long et ne peut entrer dans les vers. J'ai donc été forcé de dire Spartain et Spartaine. En quoi toutefois je suis autorisé par l'exemple du célébré Amyot, qui parle ainsi en racontant cette même Histoire. Et la nouvelle traduction qui a mieux aimé dire dans la Prose les Lacédémoniennes, a dit en rapportant des vers cités par Plutarque, Nation Spartaine et Vertu Spartaine. Et c'est en effet l'usage le plus commun, et qui est le plus selon le génie de notre langue. De Romanus, nous faisons Romain ; de Thébanus, Thebain : Pourquoi ne pas faire de Spartanus, Spartain, aussi-bien que Spartiate du Grec Spartiates S Le premier est plus court et pour le moins aussi doux, et ce que j'ay fait par nécessité, pourrait être suivi pour la commodité même. Mais enfin qu'on reprenne tout ce qu'on voudra, pourvu qu'au moins on approuve ma bonne intention. Ce dessein de mettre sur la scène ce qu'il y a eu de plus noble et de plus extraordinaire pour la Morale et pour la Politique parmi les Anciens, n'a point déplu à quantité d'honnêtes Gens. Et bien que ceci soit un Ouvrage de ma jeunesse, j'oserais dire que l'entreprise mériterait quelque louange, si l'exécution y avait mieux répondu. ACTEURS. ZÉLONIDE, Princesse de Sparte Amante d'Acorate. ACORATE, fils d'Areus Roi de Sparte Amant de Zélonide. DIANASSE, soeur de Cléomine Prince prétendant à la Couronne de Sparte, et autrefois accordé avec Zélonide. LISIMACUS, envoyé de Pyrrhus Roy d'Épire. ARCHIDAMIE, Spartaine Amie de Zélonide. PHÉBIDE, Spartaine Amie de Dianasse. OFFICIER, Spartain. SPARTAINS. ÉPIROTES. La Scène est dans une Salle du Palais-Royal de Sparte. ACTE I SCÈNE I. Dianasse, Argesime, Phébide. DIANASSE. Ô frère trop cruel ! Ô funeste entreprise !À de barbares Lois Sparte sera soumise ! ARGESIME. Ne demandiez-vous pas qu'il la vint assiéger ?Après m'avoir paru si prompte à le venger,Votre coeur tout-à-coup se trouble et s'intimide ! Au superbe Acorate arrachons Zélonide,Disiez-vous, Perdons tout par un noble attentat,Appelons des vengeurs et renvuersons l'État. DIANASSE. De mon frère irrité je suivais la surieEt n'envisageais pas les maux de ma Patrie. Il nous faut donc détruire, ou mettre dans les fersCette Lacédémone, honneur de l'Univers,Aux armes de Pyrrhus sans défense livrée,Sa honte est infaillible, ou sa perte assurée, ARGESIME. Sur les malheurs publics pourquoi s'inquiéter, Quand nôtre intérêt propre a lieu de nous flatter ?Le Prince Cléonime armant le Roi d'Épire,Obtient par son secours Zélonide et l'Empire.Il punit les Spartains, dont les injustes voeuxDonnent cette Princesse à son Rival heureux. Appuyez-donc, Madame, un frère qui vous aime,Poursuivez, partagez l'autorité suprême.Vous m'avez engagé dans vos desseins secrets,Mon intérêt me lie à tous vos intérêts ;Je hais Mandricidas, dont la faveur m'offense, Seul du Prince Acorate il a la confiance,Je sentais tous les jours mon pouvoir s'affaiblir ; Mais en changeant de Roi je vais me rétablir.J'attache ma fortune au Prince Cléonime,J'ai sécondé pour lui l'ardeur qui vous anime, J'ai dans votre parti fait entrer mes amis,Ils vous sont dévoués, ils vous ont tout promis,Pyrrhus, montre au dehors ses armes redoutables ; Madame, employons bien ces moments favorables.En un si grand dessein vous avez dû penser Qu'il faut achever tout, ou ne rien commencer. DIANASSE. Mon Frère a seulement publié dans la Grèce.Qu'il vient à son Rival arracher la Princesse,Que le choix des Spartains n'en a plÎ disposerQu'elle lui fut promise, et qu'il doit l'épouser. L'Envoyé de Pyrrhus dans ce Palais arrive ; Faites que l'on l'écoute, et que la Paix le suive,Qu'on rende Zélonide à son premier amant,Qu'un accord... ARGESIME. Cet espoir a peu de fondement.Vous ne l'ignorez pas, la fière Zélonide Dans le sein d'une femme affecte un coeur d'Alcide.Ses hautaines vertus, ses superbes beautésEnchantent les Spartains, règlent leurs volontés.Elle s'est déclarée en faveur d'Acorate.On adore ce Prince, en ce choix tout la flatte On croit qu'il doit un jour, surpassant tous nos Rois,De son aïeul Hercule égaler les exploits.Cléonime accusé d'un orgueil tyranniqueEst chargé dès longtemps de la haine publique ; De l'Hymen qu'il prétend Sparte a rompu les noeuds ; Et par la seule force il peut se rendre heureux. DIANASSE. Employons la douceur avant la violence ; De la Justice au moins conservons l'apparence. ARGESIME. Sur les mêmes projets entre nous concertés, Le Roi d'Epire approche, à l'ombre des traités. Amusant nos Spartains par des promesses feintes,Il tâchait d'endormir leurs soupçons et leurs craintes,Et par son envoyé qu'on reçoit en ces lieux,Il prend d'arbitre encor le titre spécieux.Mais, Madame, que Sparte ou résiste, ou fléchisse, Acorate partout rencontre un précipice ;Cléonime veut perdre un rival trop aimé. DIANASSE. Hé quoi, le craindrait-il s'il était désarmé ?Non, non, sans se montrer ni cruel, ni perfide,Mon frère est trop vengé s'il obtient Zélonide. Faisons pour cette Paix agir notre parti,Que d'un péril si grand l'État soit garanti. ARGESIME. Contre Acorate seul nos efforts se préparent,Nos Amis hautement pour la Paix se déclarent ; Moi-même malgré lui je veux la proposer. Au gré de vos souhaits je vais tout disposer.N'appréhendez plus rien. SCÈNE II. DIANASSE, PHEBiDE. PHEBIDE. Où nait ce trouble extrême ?Il étonne Argesime, et me surprend de même.Vous avez refusé les douceurs du sommeil,A peine attendez-vous le lever du soleil Pour courir ce palais, inquiète, tremblante. DIANASSE. Oui, je cherche Acorate, et son sort m'épouvante.Le verrai-je périr ce Prince si parfait.Par mes propres conseils ! Phebide qu'ai-je fait ? PHEBIDE. Par l'intérêt d'un frère à le perdre engagée, Quel soudain changement... DIANASSE. Je ne suis point changée. PHEBIDE. Vôtre haine l'épargne, et se laisse éblouir... DIANASSE. On ne haït pas toujours ce qu'on semble haïr. PHEBIDE. Vous, de qui la fierté m'a toujours fait entendreQue l'amour sur vos voeux n'avait rien à prétendre, Croirai-je qu'à la fin vous ressentiez lès traits ?Et pouviez-vous pour moi réserver des secrets ? DIANASSE. Il est trop vrai. L'orgueil dont je semblais arméeN'était qu'un vain dépit d'aimer sans être aimée.Phébide, que ne puis je encore te tromper. Un secret si honteux devait-il m'échapper ! PHEBIDE. Lorsqu'avec tant d'ardeur il aime ZélonideVous aimez Acorate ! DIANASSE. Écoute-moi, Phébide.Unie à ces amants par le sang glorieux,Qui nous donne des Rois, et qui descend des Dieux En ce même palais, ou nous prîmes naissance,Élevée avec eux dés ma première enfance,Dans une douce erreur j'eus insensiblementPour le Prince Acorate un tendre attachement.Depuis lorsqu'à mon frère on promit Zélonide, Seule après elle ici de la race d'Alcide,Je crus que si le Prince un jour faisait un choixJe devais espérer de le voir sous mes lois.Son jeune coeur alors n'aimait rien que la gloire ;Il nous abandonna pour chercher la victoire ; De mon esprit hélas ! Pouvais-je le bannir ?Le bruit de ses exploits m'en faisait souvenir.On fit à son retour une pompeuse fête.Et là de Zélonide il devint la conquête,Tandis que mes regards charmés par ce vainqueur Le rendaient sans combat le maître de mon coeur.Je ne connus d'abord crainte, ni jalousie,D'un doux ravissement mon âme était saisie ;Mais, Ciel ! De jour en jour mon esprit agitéPerdit l'heureux espoir qui l'avait trop flatté. Sous le nom d'amitié mon amour déguisée,Et du sang qui nous lie encore autoriséePar mille tendres soins cherchant à s'exprimer,Invitait chaque jour ce héros à m'aimer Mais lui sans pénétrer le secret de mon âme, D'une froide amitié répondait à ma flamme,Et son coeur tout rempli des plus ardents désirsÀ ma fière rivale adressait ses soupirs.Enfin ouvertement il s'expliqua pour elle.Phébide, il te souvient de ma douleur mortelle Quand je vis les Spartains applaudir à ce choix,Presser cette union d'une commune voixDéclarer Cléonime indigne d'y prétendre,Rompre l'heureux hymen qu'il avait droit d'attendre,Couronner son rival. Hélas ! dans ces malheurs Un frère n'était pas le sujet de mes pleurs.On a donc résolu ce fatal hyménée,Et nous en aurions, vu la funeste journéeSi de ces deux amants le bonheur désiré ,Par l'absence du Roi n'eut été différé. Le Prince impatient attend le Roi son père Qu'occupe loin de Sparte une guerre étrangère,Et qui depuis longtemps a vu de jour en jourDes obstacles divers retarder son retour.Mon frère transporté de douleur et de rage. Se sert d'un temps si propre à venger son outrage :Il va chercher Pyrrhus, en implorer l'appuiJ'y consens, je le porte à traiter avec lui,Il réussit. Pyrrhus amène son armée.Toute la Grèce en tremble, et j'en suis alarmée. D'un funeste projet trop déplorable fruit !Phébide, je verrai notre Empire détruit ; Et mon frère cruel pour achever son crime,Se baigner dans le sang d'un rival magnanime !Ah ! Si pour l'arrêter mes pleurs ne peuvent rien, Que le Barbare encor se baigne dans le mien. PHEBIDE. Les Éphores peut-être apaiseront l'orage,Madame, ce Conseil si puissant et si sage,Nous sauvant par la paix de ce péril affreux,Vaincra l'emportement d'Acorate amoureux. Si le Prince est forcé de quitter Zélonide,Il ne reste que vous de la race d'Alcide.Vous allez devenir le gage de la Paix,Et par un double hymen... DIANASSE. Inutiles souhaits !Ce héros doit haïr la soeur de Cléonime. PHEBIDE. Il fait toujours pour vous paraître son estime,Il vous parle, il vous voit d'un air toujours égal,Et ne hait point en vous la soeur de son rival.Sparte, qui pour ce frère a conçu tant de haine,Vous aime, vous respecte. DIANASSE. Et c'est ce qui me gêne. Je reproche sans cesse à mon coeur abattuQue l'on n'estime en moi qu'une fausse vertu.Quoi, d'exemples fameux partout environnée,Puis-je ternir ainsi l'éclat où je fuis née.Nos Spartaines toujours dans leur noble fierté Ont brûlé pour la gloire et pour la liberté ;C'est le premier amour dont leur âme est remplie,Auprès de ces objets tout s'efface et s'oublie.J'en vois l'une immoler par des coups rigoureuxSon fils réchappé seul d'un combat malheureux L'autre expirer de joie, apprenant la nouvelleQue son fils était mort en Guerrier digne d'elle.Sitôt que la Patrie a dû les émouvoirRien, ne peut balancer ce généreux devoir.Ses fidèles ardeurs sans cesse les inspirent. Ce n'est que pour l'État enfin qu'elles respirent.Moi malheureuse, hélas ! Quelle indigne langueur,Et quel funeste amour s'empare de mon coeur !Pour perdre mon pays sa lâche violence... Mais la Paix me pourrait rendre mon innocence : Tout dépend d'Acorate; il doit venir ici.J'attends pour lui parler, et je veux... Le voici. SCÈNE III. Acorate, Dianasse, Phebide. DIANASSE. J'atteste tous les Dieux, et le Ciel qui m'éclaire,Que mon coeur prend parti pour vous contre mon frère.Cette amitié parfaite, et telle qu'autrefois À vous parler sans feinte autorise ma voix. rVous venez en ce lieu donner une audience,Dont votre esprit, Seigneur, doit peser l'importance.Mon Frère transporte d'un amour furieux,Emprunte de Pyrrhus le secours odieux, Du plus grand des forfaits il s'est rendu coupable ;Mais enfin comme lui vous serez condamnable,Si par la même erreur un aveugle courrouxVous fait exposer Sparte à ses funestes coups.Que dis-je on connaît trop votre coeur invincible, Des faiblesses d'amour il n'est point susceptible.Sans vous abandonner à ce transport fatal,Vous saurez noblement désarmer un rival.Rendez lui Zélonide, et montrez à la GrèceQue la gloire est toujours votre seule maîtresse. ACORATE. Je sais de votre coeur la sincère bonté,Madame ; mais ici s'est-il bien consulté ? Me conseillerez-vous si Pyrrhus nous menace,Que j'accepte ses lois et lui demande grâce ?Quand Zélonide et moi pourrions nous démentir, Penseriez-vous que Sparte y voulût consentir ? DIANASSE. Attiré vers Argos, le fameux Roi d'ÉpireVeut la Paix avec nous, Seigneur, il la désire.C'est pour la proposer que vient Lisimacus.Il tient le premier rang à la Cour de Pyrrhus. Songez en lui parlant au pouvoir de son maître,Songez qu'un camp nombreux dans nos champs paraîtreQue Sparte aux ennemis s'ouvre de toutes parts,Vide des habitants qui sont ses seuls remparts.Nos guerriers occupés au rivage de Crète, Des Tyrans de cette île achèvent la défaite.En vain le Roi vainqueur voudrait vous secourir,Sans le pouvoir attendre il vous faudra périr.Privé de tout espoir ; si Sparte vous est chèreVous ne tenterez point un effort téméraire, Et vous préférerez, Seigneur, en ce grand jour,Les lois de la Prudence aux conseils de l'Amour. ACORATE. Laissons, laissons l'amour, Madame, j'en veux croireLe fidèle devoir, la véritable gloire.Que l'envoyé s'explique, et je saurai régler... DIANASSE. On vient, je me retire. ACORATE. Écoutons-le parler. SCÈNE IV. Lisimacus, Acorate, Mandricidas, Spartains, Épirotes. LISIMACUS. Pyrrhus connaît, Seigneur, cette Lacédémone,Où les grandes vertus ont élevé leur trône ; Cet État tout formé de guerriers, de héros,Qui sans celle ennemis d'un indigne repos Pour leur unique bien reconnaissent la gloire,Et pour leurs seuls plaisirs la guerre et la victoire.Si la conformité des désirs généreuxAttache les grands coeurs par de sincères noeuds ;Le premier des guerriers, Pyrrhus, à qui tout cède, Doit estimer en vous les vertus qu'il possède,Et du degré sublime où ses exploits l'ont misVous appeler, Seigneur, au rang de ses amis.Aussi ne pensez pas, quoiqu'il ait pris les armes ;Qu'il veuille tout plonger dans le sang et les larmes. Son secours favorable a dû se déclarerPour un Prince opprimé, qui le vient implorer.Mais vous verrez Pyrrhus, arbitre magnanime,Vous écouter, Seigneur, ainsi que Cléonime.Votre Rival au trône a des droits comme vous De Zélonide même il fut nommé l'époux.Pyrrhus n'offense pas cette grande Princesse,Qui fait par ses vertus l'ornement de la Grèce.S'il tache d'arrêter les funestes combatsQu'entre deux grands Rivaux excitent ses appas ; Et Sparte devra tout à l'entremise utileQu'il vous offre aujourd'hui pour la rendre tranquille.Je ne vous dirai point que vous seriez forcéD'obéir à l'arrêt qui sera prononcé.Mon Maître s'est promis que vetre déférence Ne lui permettra pas d'user de sa puissance,Et se flatte, Seigneur, qu'en vous donnant la paixVos États et vos coeurs s'uniront à jamais. ACORATE. Seigneur, je veux ici taire ce qui me touche ;C'est Sparte seulement qui répond par ma bouche ; Pour montrer si je suis digne d'y commander,C'est son interest seul que je veux regarder.Les traités commencés sont d'assez claires marquesQu'estimant votre maître entre tous les MonarquesNous n'avons jamais eu dessein de refuser Cette heureuse union qu'il a fait proposer.Mais Sparte est peu soumise, et ne sait à quel titreCe Prince officieux veut être notre arbitreS'avance à main armée, et vient dans nos ÉtatsPrononcer un arrêt qu'on ne demande pas. Il faudrait pour la Paix des démarches moins fières ;Que Pyrrhus, s'il la veut, repasse nos frontières,Et nos Ambassadeurs iront avec les siensDans une ville libre en former les liens. LISIMACUS. Quelque soit le motif de cette vaine audace, Apprenez que mon Roi vous a déjà fait grâce.Sparte cette nuit même avec tout son orgueilDe tous ses habitants eût été le cercueil,Si trompant du soldat la fureur enflamméeIl n'eût pour vous sauver arrêté son armée ; Mais il marche, et ce jour va l'offrir à vos yeuxComme arbitre équitable, ou vainqueur glorieux. ACORATE. Quel droit dans nos États peut lui donner entrée ?Fait-il la guerre ainsi sans l'avoir déclarée ? LISIMACUS. Est-ce que le secret ne vous est pas permis, Quand vous voulez marcher contre vos ennemis ?Par avance allez-vous dire à toute la TerreEn quels votre bras prétend porter la guerre ? ACORATE. De nos armes, Seigneur, a-t-on vu menacéDes Peuples qui jamais ne nous ont offensés ? LISIMACUS. Pyrrhus, je vous l'ai dit, protège CléonimeIl ramène en ces lieux un Prince qu'on opprime ;Son honneur le demande enfin, et c'est à vousÀ chercher les moyens d'éviter son courroux.Mais une occasion de si grande importance Doit de votre conseil exercer la prudence.Aux Éphores Pyrrhus m'ordonne de parler ;Pour prendre leurs avis on peut les assembler.Souffrez que devant vous leur sagesse prononce.Vous n'avez plus qu'une heure à me rendre réponse. Je vous donne ce temps pour en délibérer,Et voudrais que les Dieux pussent vous inspirer.Pensez-y bien, Seigneur. SCÈNE V. Acorate, Mandricidas. ACORATE. Quoi dois-je m'attendre ?Parlez, Mandricidas, pouvons-nous nous défendre ? MANDRICIDAS. Le peu que nous avons, Seigneur, de vrais Spartains, Soutiendront avec vous nos glorieux destins ; Mais un grand nombre aussi s'épouvante, chancelle,Et semble souhaiter cette paix criminelle.Les offres de Pyrrhus pourront les éblouir. ACORATE. La vertu des Spartains jusques-là se trahir ! Que Sparte se démente, et qu'elle m'abandonne ;Moi seul j'entreprendrai ce que l'honneur m'ordonne :On me verra toujours d'une constante ardeur,Malgré le sort jaloux soutenir sa grandeur. MANDRICIDAS. Zélonide avec vous doit être couronnée ; Nous avons demandé cet heureux hyménée ;C'est aux Spartains, Seigneur, à maintenir leur choix,Et conserver leur gloire en conservant vos droits.En sera-t-il quelqu'un si lâche, ou si perfide, Dont le coeur ne se change en voyant Zélonide. Cette grande Princesse en ce même momentLeur montre qu'il faut vaincre ou périr noblement.Elle leur parle à tous d'un air fier et tranquille,Son exemple, ta voix... ACORATE. Qu'elle cherche un asile.Il lui faut de la guerre épargner les horreurs, Il la faut dérober à de lâches fureurs ;Sparte dans son péril est trop intéressée !Et puisque vôtre avis s'accorde à ma penséeAchevons ce dessein. Ordonnez tout. Allez.Voyez qui sont les coeurs timides et troublés. Relevez leur espoir. Je vais par ma présenceDe nos braves guerriers soutenir l'assurance.Cependant pour répondre au superbe Pyrrhus,Appelions au Conseil Argesime et Phillus.Faisons leur embrasser le parti qu'il faut prendre. Hâtons nous. Et gardons de nous laisser surprendre.J'espère en ce grand jour répondre hautementAux devoirs d'un guerrier, d'un Prince, et d'un amant. ACTE II SCÈNE I. Acorate, Mandricidas, Argesime, Mandricidas. ACORATE, après s'être assis et les avoir fait asseoir. Vous de qui la vertu justement renommée,Dans les plus grands Emplois s'est toujours confirmée ; Magnanimes Spartains, dont le Ciel a fait choixPour soutenir le trône, et conseiller les Rois.Vous le voyez ; Pyrrhus cesse de se contraindre ;Vous savez ce qu'il est, et ce qu'on en doit craindre.En d'immenses projets laissant flotter son coeur Il ne s'arrête point, ni vaincu, ni vainqueur ;Avide, entreprenant, sans règle, sans justice,Il compte le repos pour son plus grand supplice.Dans ses heureux succès, sans jamais en jouir,À de nouveaux desseins il se laisse éblouir, Et jamais rebuté par les succès contraires,La honte enflamme encor ses désirs téméraires.Toujours son vaste espoir dévore l'Univers.Après avoir en vain traversé tant de mers,Vaincu parles Romains, repoussé dans l'Épire, D'Antigonus surpris il envahit l'Empire ; Et dans la Macédoine encor mal affermiIl la quitte, et vers nous marche comme ennemi.D'un prétexte frivole armant son insolence,Pour asservir les Grecs c'est par nous qu'il commence. Il croit que notre hommage et nos soumissionsVont disposer au joug les autres nations.Que deviendrait donc Sparte en tous lieux célébrée ?Où serait sa vertu des peuples adorée ?Ah ! Si le fier Pyrrhus ose nous outrager, Ne délibérons point, et courons nous venger ;Sans prévoir le succès, et sans compter les hommes,Il s'agît seulement de montrer qui nous sommes,Il s'agit de donner, en rejetant des fers,L'exemple que nos coeurs doivent à l'Univers. ARGESIME. Grand Prince, ce discours est un témoin fidèleQue Sparte élève en vous un héros digne d'elle.Mais cette jeune ardeur qui vous porte aux combats,Seigneur, aurait besoin d'armes et de soldats.Malgré ces hauts désirs notre ville déserte Sans pouvoir se défendre à Pyrrhus est ouverte.Il n'est ici, ni fort, ni murailles, ni tours.Et la Paix qu'on nous offre est nôtre seul recours.Quel exemple donner ? Qu'oserez-vous prétendre ?Pyrrhus peut nous détruire, il peut tout entreprendre ; Et quand son bras, Seigneur, nous aura terrassé,Ôterons nous le joug aux peuples oppressés ?Ce roi qui d'escadrons vient inonder nos plainesA vaincu par deux fois les légions Romaines.Il eut du Capitole arraché les lauriers, Si Rome eût pu jamais s'épuiser de guerriers,Si ce Peuple nombreux qu'enferment ses MuraillesN'eût réparé soudain la perte des batailles.Que Ferez-vous tout seul contre un Roi si puissant ?D'ailleurs voit on ici quelque intérêt pressant ? Nous veut-il imposer l'affreuse servitude ?L'alliance qu'il offre, a-t-elle rien de rude ?Si comme juste arbitre il vient se présenter,Ménageons son esprit au lieu de l'irriter.Peut-être croyez vous (c'est ce qui vous anime) Qu'il rendra Zélonide au Prince Cléonime ?Avez-vous les moyens de vous en garantir ;Et ne devez-vous pas, Seigneur, y consentir ?De Sparte tant de fois vous avez vu le zèle ;Elle a tout fait pour vous, ferez vous moins pour elle ? Nous rompions cet hymen pour flatter vos souhaits,Laillez-le renouer pour nous rendre la paix.Peut-on vous excuser si cette ardeur fataleAttire, en vous perdant, la perte générale ?Non, non, de la prudence écoutez mieux la voix ; Le salut de l'État est la régie des RoisAux destins opposés céder sans violence,D'un esprit héroïque est la grande science ;Il fléchit sous leurs coups sans en être abattu,Prince ; et le désespoir ne fut jamais vertu. Voilà ce qu'en mon coeur dicte un devoir sincère ;Seigneur, faisons la Paix, puisqu'elle est nécessaire,N'attirons point sur nous un vainqueur furieux,Et laissons l'avenir dans le secret des Dieux. MANDRICIDAS. Argesime, est-ce assez ? Votre noble éloquence Veut-elle plus longtemps nous contraindre au silenceEst-ce un Spartain qui parle, et puis-je l'écouterQuel que soit l'ennemi, nous devons-résisterPrince ; et ceux d'entre nous à qui l'honneur sait plaireVont trouver sur vos pas de quoi le satisfaire. Avec le fier Pyrrhus rien n'est à ménager ;Sparte connaît la gloire, et non pas le danger.De ses braves guerriers les coeurs inébranlablesFurent toujours ses murs et ses forts imprenables :Et si par leur absence elle perd leur appui, Il faut que son nom seul la défende aujourd'hui.Mais ce projet n'est pas tout-à-fait téméraire,Nous attendons l'armée et le Roi votre père.Par une belle audace on peut se soutenir,Et lui donner enfin le temps de revenir. PHILLUS. Oui, dût fondre sur nous toute la Terre armée,C'est à nous de répondre à notre renommée.Conservons, Argesime, un généreux espoir,Et sans plus balancer faisons notre devoir. ARGESIME. Y songez-vous Phillus ? La résistance est vaine. Dès le premier assaut notre perte est certaine. MANDRICIDAS. Qu'entends je ! Sans combattre on veut que les SpartainsAux chaînes de Pyrrhus aillent tendre les mains.En vain par tant de soins nos âmes cultivées.Aux plus hautes vertus dès l'enfance élevées, Ont appris à braver les menaces du sort,Le travail, les périls, la douleur, et la mort.Ciel ! Ces divines lois dans nos esprits tracéesPar un honteux oubli sont-elles effacées ?L'Univers pourra-t-il croire ce que je vois Que le coeur d'un Spartain soit capable d'effroi ! ARGESIME. Ces lois, Mandricidas, ont eu leur originePour le bonheur de Sparte, et non pour sa ruine.C'est une fausse gloire enfin qui fait courir.Aux dangers où l'on voit qu'on est sûr de périr. MANDRICIDAS. Donc ces trois cents guerriers, dont les regards tranquillesAffrontèrent la mort au pas des Thermopyles,Qui nobles compagnons du Roi LéonidasSoutinrent les assauts d'un million de bras,Et qui comblés d'honneur par leurs faits magnanimes Furent de tous les Grecs volontaires victimes,Ces Spartains, dont l'exemple à nos yeux vient s'offrir,Si l'on croit Argesime, eurent tort de mourir. ARGESIME. Ce grand Roi, ces Guerriers, dont la valeur si rareSoutint l'horrible choc de tout le Camp barbare, À bon droit sont loués de ce noble transport.Ils servaient tous les Grecs en courant à la mort,Aux troupes des Persans ils fermaient le passage.Et sauvaient leur pays d'un funeste rivage ;Mais ici la fureur qui vient vous agiter, Attire nos malheurs, loin de les arrêter.Vous aiguisez le fer, vous allumez les flammes,Qui vont faire périr nos enfants et nos femmes.Vous traînez à la mort ces illustres vieillards,Dont jadis la vertu brava tant de hasards. Vous... ACORATE. Non, ne craignez rien. Conservez vos familles.Éloignez de ces bords vos femmes et vos filles.Choisissez un asile à ces jeunes enfants,À ces vieillards courbés sous le fardeau des ans.Qu'il ne reste en ces lieux que ceux dont la présence Pourra contribuer à notre résistance.Et ne voyant plus rien qui nous puisse attendrirSans trouble et sans regret mourons, s'il faut mourir.Heureux qui peut trouver de belles Destinées,Qui d'un coup glorieux voit trancher ses années ! Et malheureux celui qui traînant de longs jours,Attend qu'un sort vulgaire en termine le cours !D'une éclatante mort faisant notre espéranceAvant que de mourir prenons notre vengeance,Entraînons l'ennemi sous nos sanglants débris, Et qu'il ne cherche plus de victoire à ce prix. ARGESIME. Je ne saurais. Seigneur, m'empêcher de redireQu'en un trop grand péril vous jetez cet Empire.Si le Roi votre père a mis en votre mainJusques à son retour le pouvoir souverain, À cet emportement il n'a pas dû s'attendre.Eh ! Quel retour pour lui de voir son trône en cendre,Tout détruit... ACORATE. Quand Pyrrhus nous ferait succomber.Tout l'État avec nous n'est pas prêt à tomber.Mon père et nos guerriers qu'à suivis la victoire, Reviendront venger Sparte, et rétablir sa gloire,Ou se feront enfin un trône et des remparts,Partout où s'étendra la pointe de leurs dards. PHILLUS. Que nos enfants si chers, nos illustres Spartaines Évitent promptement et la mort et les chaînes. MANDRICIDAS. Déjà pour ce départ j'ai fait tout préparer. SCÈNE II. Officier Spartain, Acorate, Mandricidas, Phillus, Argesime. OFFICIER. Seigneur, l'Ambassadeur... ACORATE. Hé bien. Il peut entrer. MANDRICIDAS. Prince, l'amour de Sparte et sa chère espérance,C'est de vous seulement qu'elle attend sa défense.Décidez. Répondez à ses fiers Ennemis ; Son destin tout entier en vos mains est remis. SCENE III. Lisimacus, Acorate, Mandricidas, Argesime, Phillus, Spartains, Épirotes. LISIMACUS. Auprès du Roi mon maître il est temps de me rendre ;Sur ses intentions qu'il vous a fait entendre,Vous délivrerez trop. Et qui pouvait penser,Seigneur, qu'à s'y soumettre on dut tant balancer ? ACORATE. Dites à votre Roy que son attente est vaine ;Que Sparte toujours libre, et toujours souveraine,Pour son arbitre ici ne veut point l'accepter,Et pour son ennemi ne peut le redouter. LISIMACUS. Vous quitterez bientôt cet orgueil téméraire, Quand vous verrez sur vous éclater la colèreD'un Roi que sa clémence a voulu retenir,Et tel qu'un Dieu vengeur forcé de vous punir. ACORATE. Si Pyrrhus est un Dieu, sa puissance équitableN'a point de châtiment pour qui n'est point coupable ; Et si ce n'est qu'un homme, il va voir aujourd'huiQu'il en est parmi nous qui valent mieux que lui. LISIMACUS. Si ses exploits chez vous trouvent peu de créance,Vous en serez instruits par votre expérience. ACORATE. C'est trop de vains di{cours, allez nous l'attendrons Et peut être, Seigneur, que nous le préviendrons. SCÈNE IV. Acorate, Mandricidas, Argesime, Phillus. ACORATE. Le sort en est jeté. Combattons. Argesime,Rien ne saurait pour vous affaiblir mon estime ;Mais embrassés enfin un dessein glorieux.Allons. Tous les moments deviennent précieux. Que la Princesse parte, et cherche un sûr asile. MANDRICIDAS. Vers la Crète, Seigneur, le passage est facile,Avant que l'ennemi qui s'avance à grands pasAit couvert d'escadrons les bords de l'Eurotas.Le fleuve est libre encor, Seigneur, venez vous-même Ordonner ce départ. ACORATE. Éloigner ce que j'aime !Si j'ose m'exposer à revoir tant d'attraits,Pourrai-je me résoudre à ne les voir jamais ?Quels regrets ! Quel adieu ! Quels combats je vais rendre !Allons. Dieux, la voici ! SCÈNE V. Zélonide, Archidamis, Acorate, Mandricidas, Argesime, Phillus. ZELONIDE. Que m'a-t-on fait entendre ? Quelle indigne pitié, quels soins injurieuxPrétendent malgré nous nous bannir de ces lieux ?On dit, et je n'ai pu retenir ma colèreQue de notre départ le Conseil délibère.Ah ! Si ce bruit est vrai, je viens vous avertir Qu'à ce honteux exil je ne puis consentir,Nos Spartaines, Seigneur, qu'on en a menacées,Sont toutes comme moi, vivement offensées. ACORATE. Sparte de ce péril a voulu vous sauverComme l'unique bien qu'elle ait à conserver Le Conseil a jugé qu'ici votre présencePeut ralentir l'ardeur de notre résistance.Votre sexe charmant avec ces doux appasN'est point né pour le trouble et l'horreur des combats.Chacun de nos Guerriers craignant pour ce qu'il aime Oublierait son devoir en ce désordre extrême ;Mais nos coeurs affermis par votre éloignementN'auront.... ZELONIDE. Jugez de nous plus favorablement.Si les Femmes ailleurs et faibles et craintives,Dans le sein du repos languissamment oisives, Ont borné leur esprit à des amusements,Ont mis toute leur gloire en de vains ornements ;Seigneur, d'un autre esprit nous sommes animées,À de plus beaux desseins Sparte nous a formées.Loin de vous retenir par des charmes trompeurs, Sans cesse aux grands exploits nous enflammons vos coeurs.Nous voulons que l'amour les embrase et les guidePour prendre vers la gloire un essor plus rapide.Quelle outrageuse erreur vous fait donc présumerQu'ici nous vous nuirons, loin de vous animer ? Aider à soutenir un trône qui chancelle ;Sauver notre Patrie, ou nous perdre avec elle ;Étonner l'Univers par notre fermeté ;Voilà notre devoir et notre volonté.De l'État avec vous embrassant la défense, Compagnes et témoins de votre résistance,Nous vous disputerons par un commun effort,Ou l'honneur du triomphe, ou l'honneur de la mort,Rien ne peut s'opposer à cette noble envie.Si Sparte doit périr nous haïssons la vie ; Dans notre éloignement le bruit de son malheurNous ferait mille fois expirer de douleur. ACORATE, aux Ephores. Laissez-moi, je veux seul parler à la Princesse.Qu'on s'arme cependant. Allez, le temps nous presse.Et toi qui vois l'excès de mon trouble amoureux, Ciel, laisse-moi fléchir ce coeur trop généreux. SCÈNE VI. Zelonide, Acorate, Archidamie. ZELONIDE. Plus le péril est grand, j'en juge par moi-même,Plus un coeur généreux s'attache à ce qu'il aime ;J'aurais crû que l'effort qui l'en veut séparerLoin de rompre ces noeuds n'eut fait que les ferrer. Cependant vous cédez, et votre âme alarmée.... ACORATE. Jamais plus ardemment vous ne fûtes aimée,Et jamais un départ avec tant de rigueurD'un véritable Amant n'a déchiré le coeur ;Mais vous voyant l'objet des fureurs d'un barbare, Incertain du succès que le sort nous prépare ;Dans un funeste choix je trouve encor plus douxDe vous voir éloigner que de craindre pour vous.Ma Princesse, partez. ZELONIDE. Moi, Spartaine et Princesse,Moi, j'irai mendier la pitié de la Grèce, Déplorer mon pays sur des bords étrangers,Attendre sa ruine a l'abri des dangers ! Ah ! Seigneur, croyez-vous que ma gloire y consente ?Croyez-vous que du sort la fureur menaçanteÀ cette indignité me fasse recourir ? Et doutez-vous enfin que je sache mourir ? ACORATE. Ah ! Je vous connais trop. Oui Princesse inhumaine,Ce coeur si fier, si grand cause toute ma peine.Sera-t-il insensible à mes vives douleurs ? Voulez-vous m'arrêter à répandre des pleurs ? Quand l'ennemi s'approche, et que l'on prend les armesDois-je encor de l'amour éprouver les alarmes ;Ces moments que je perds... ZELONIDE. Dans l'ardeur des combatsVous serez satisfait en ne me voyant pas.Mais moi si je vous laisse, errante, fugitive, Sans gloire, sans vous voir pensez-vous que je vive ?Et ce cruel destin irrité contre nousMe sera-t-il jamais aussi cruel que vous ! ACORATE. Épargnez mes frayeurs. Mon coeur vous en conjurePar son ardente amour si parfaite et si pure, Par tous ces Dieux auteurs du sang dont vous sortez.Choisissez un asile, éloignez-vous, partez. ZELONIDE. Lorsqu'à vous accabler l'injuste sort s'apprêteVous voulez que je fuie, et c'est ce qui m'arrête.Me résoudrais-je encore, en perdant tout espoir, De perdre un seul moment qui me reste à vous voir ?Au nom de tous ces Dieux, au nom de notre flammeÀ ce funeste exil ne forcés point mon âme.Je ne fuirai jamais, l'honneur le veut ainsi ;Et s'il faut l'avouer, l'amour le veut aussi. ACORATE. Hélas ! Vous me trompez. Vous vous trompez vous-même.Princesse, votre coeur ne sait point comme on aime ;Et sans être touché de mes tristes soupirsD'une gloire barbare il fait tous les d"sirs ! ZELONIDE. Il ne faut point ici disputer davantage. C'est trop. Reviens à toi. Rappelle ton courage.Acorate, je t'aime, et j'ai crû que mon cceurÉtait l'unique prix digne de ta valeur.Redoublons aujourd'hui nos ardeurs immortelles.Et comme vrais Spartains, et comme amants fidèles. Sans laisser ces devoirs l'un par l'autre affaiblis,Et sans les distinguer, qu'ils soient tous deux remplis.Que l'Amour nous unifie, et que l'Honneur nous guide ;Faisons voir à l'envi quel est le sang d'Alcide.Meurs, je te le permets, pour la Gloire et pour moi, Et laisse-moi mourir, et pour elle et pour toi. ACORATE. Vous, ma Princesse, vous mourir en ma présence ? ZELONIDE. Sur les Dieux et sur nous fondons notre espérance.Que ta valeur.... ACORATE. Mon coeur se serait tout promisSi vous n'attendiez pas nos cruels ennemis. Mais tremblant des périls où je vois ma Princesse... ZELONIDE. Change en Un beau courroux la douleur qui te presse.De quels affreux dangers crois-tu me retirer ? Est-il un plus grand mal que de nous séparer ? Mais je vais retrouver ces généreuses femmes Dont un conseil indigne a pu troubler les âmes : Je vais les affermir. Puis je suivrai tes pas. Je veux t'accompagner au plus fort des combats,Te montrer qu'à tes jours ma vie est enchaînée,Que les Cieux n'ont pour nous fait qu'une destinée, Couronner de ma main ton front victorieux,Ou mourir avec toi d'un trépas glorieux. SCÈNE VII. ACORATE, seul. Ah ! Princesse... Elle fuit. Quelle fierté ! Quels charmes !Que je sens à la fois de plaisirs et d'alarmes !On m'aime, je le vois, je n'en saurais douter ; Par quels fameux exploits faut-il le mériter. ACTE III SCÈNE I. Zelonide, Archidamie. ZELONIDE. Oui, notre sexe ici remporte une victoireD'où Sparte va tirer sa plus brillante gloire.On n'en a pu résoudre aucune à s'éloigner ;Au seul nom de retraite on les voit s'indigner ; On les voit rejeter d'une noble colèreLes plaintes d'un époux, d'un amant, ou d'un père. Ô qu'à jamais pour nous ce jour sera fameux !Toutes m'environnant dans un ordre pompeuxComme au jour solennel d'une agréable fête De couronnes de fleurs avaient paré leur tête.Vois quel heureux espoir éclate en leurs regardsQui fait à nos guerriers ignorer les hasardsEt comme leur beauté brillant parmi les armesPour animer les coeurs a redoublé ses charmes. ARCHIDAMIE. Si Sparte des destins peut braver le courrouxSa gloire et son salut ne seront dus qu'à vous. ZELONIDE. À ce noble dessein comme moi résolueNe te dérobe point la part qui t'en est dûe,Quoi que le ciel enfin de nous veuille ordonner Sparte d'un double honneur se verra couronner,Et l'on admirera, même sous ses ruines,Parmi ses grands Héros ses fières héroïnes.Satisfaite aujourd'hui de ce sort éclatant,Si mon coeur n'aimait pas il ferait trop content. Mais hélas ! Je ne puis surmonter ma tendresse,Je crains tout pour le Prince, il m'alarme sans cesse.Tu l'as vu depuis moi, tu viens de lui parler.Pourquoi dans ce palais me fait-il rappeler ?Je veux le voir. Vient-il ? Dis-moi, dois-je l'attendre ? ARCHIDAMIE. En ce lieu sur mes pas le Prince va se rendreIl l'a promis. ZELONIDE. Peut-être il ne s'en souvient plus,Et court avec audace au devant de Pyrrhus. ARCHIDAMIE. Non, il a pour vous voir la même impatience.Mais il faut qu'en cent lieux il porte sa présence. Il peut malaisément accorder en ce jourTous les soins de la guerre avec ceux de l'amour.Que d'embarras ! Il sait qu'outre la force ouverteDes traîtres déguisés conspirent notre perte.Tous les coeurs à ses lois ne sont pas bien soumis ; Son mérite trop grand même a des ennemis.Dianasse peut-elle oublier Cléonime ?Bien qu'elle ait témoigné de l'horreur pour son crime,Peut-être qu'en secret elle aura consentiD'entrer dans ses complots, d'appuyer son parti, Elle craint de paraître, et ne s'est point mêléeAu généreux dessein qu'a pris notre assemblée.Quoi-qu'il en soit le Prince ici vous fait venir.Je crois qu'en ce Palais il veut vous retenir,Pour votre sûreté... ZELONIDE. Le seul bien qui me flatte C'est d'aller partager les périls d'Acorate.Je ne veux point attendre, et vais faire éclaterCette ardeur.... Dianasse ici vient m'arrêter.Sans croire qu'elle trempe au crime de son frèreSa vue en ce moment ne peut que me déplaire. SCÈNE II. Dianasse, Zelonide, Phebide, Archidamie. DIANASSE. Je ne puis différer les applaudissementsQu'ont mérité de nous vos nobles sentiments.Madame, on vous doit tout. Votre seule présenceLaisse encore à l'État une heureuse espérance.Par votre éloignement Sparte allait se priver De l'unique secours qui puisse la sauver.Dieux ! En vous bannissant qu'elle était sa pensée ?Elle augmentait les maux dont elle est menacée.Car enfin son espoir n'est plus qu'en vos beautés,Qui peuvent déformer ses vainqueurs irrités ; D'un mot vous l'arrachez à sa perte visible. ZELONIDE. Elle est libre. Et mon coeur comme elle est invincible. DIANASSE. Tant de Guerriers tout prêts à s'immoler pour vousOffrent à ce grand coeur un hommage bien doux ;Par là de vos attraits on connaît la puissance. Mais enfin cette épreuve a trop de violence.Songez-vous qu'allumant ces combats furieuxDe tout le sang versé vous rendrez compte aux Dieux ! ZELONIDE. Si Cléonime suit les transports de sa rage,Moi, j'en dois rendre compte à ces Dieux qu'il outrage ? DIANASSE. Ces fureurs malgré lui le viennent embraser ; Et c'est vous, ou l'amour qu'il en faut accuser. ZELONIDE. Du véritable amour l'impression divineSi nos coeurs sont bienfaits tient de son origine,Et ces doux sentiments qui nous viennent des cieux Ne produisent en nous rien que de glorieux.Mais une âme mal née en corrompt la nature, Change en ardeur funeste une flamme si pure,Et voulant excuser ses transports criminelsOse imputer aux Dieux la faute des mortels. Quand il porte le fer au sein de sa patriePeut-il nommer amour cette noire furie ?Eh ! Plut aux justes Dieux qu'il m'aimât ardemment,Puisque bientôt ma mort serait son châtiment. DIANASSE. SoufFrira t-il en paix que vous soyez changée ? Un autre obtient la foi qui lui fut engagée.Et qu'a fait après tout ce Prince malheureuxQui lui doive attirer vos mépris rigoureux ?Nommé pour votre époux, sorti du sang d'Alcide... ZELONIDE. Mais lâche, mais induite, inhumain, et perfide. Peut-il d'un si beau sang se vanter d'être issu,En imitant si mal ceux dont il l'a reçu ?Cet invincible Hercule auteur de notre raceSur l'Olympe autrefois eut-il trouvé sa placeParce qu'on le disait fils du maître des Dieux, S'il ne l'avait prouvé par ses faits glorieux ?Que Célonime songe à ceux qui l'ont fait naîtrePour voir ce qu'ils étaient et ce qu'il devrait être.Sa naissance, son rang, ses titres si vantésVont rendre ses forfaits encor plus détestés ; Plus il porte un grand nom plus il se déshonore.Oui j'ai dû le haïr comme Sparte l'abhorre,Et c'est l'État enfin qui choisissant pour moiAu fameux Acorate a destiné ma foi. DIANASSE. On croit avoir raison, Madame, quand on aime. Acorate est charmant, je l'avouerai moi-même,Il a mille vertus, puisqu'il a tant d'appas ;Mon frère est criminel, puisqu'il ne vous plait pas.Mais enfin pour agir en Princesse, en SpartaineNe consultez ici ni l'amour ni la haine ; Et vous laissant toucher d'une juste terreurDu puissant Roi d'Épire arreêtez la fureur.Déjà d'un bruit affreux nos vallons retentissent,Sous les pas des Guerriers nos campagnes gémissent,On voit ces bataillons de cent peuples mêlés Se répandre à grands flots dans nos champs désolés ;Les éléphants armés dont la plaine est couverteD'un long mugissement annoncent notre perteLe fer étincelant fait pâlir le soleil,Et de l'assaut prochain l'effroyable appareil... ZELONIDE. Tout cela n'est pour nous qu'un appareil de gloire.Point de fers, point de paix. La mort, ou la victoire.Adieu. SCÈNE III. Dianasse, Phebide. DIANASSE, regardant sortir Zélonide. Superbe objet de mes transports jaloux,Va, tu dois redouter ma haine et mon courroux.Tu m'as donné, Phebide, une fausse nouvelle ; Le Prince, disais-tu, devait être avec elle.Mon coeur d'un vain regret cherche à se consumerEn suivant un ingrat qui ne saurait m'aimer.Hélas j'ai beau montrer une ardeur empressée,Il ne sait pas encor si mon âme est blessée, Il ne regarde pas si mes yeux languissants... Mais voudrais je qu'il sut les peines que je sens,Et que de ma tendresse, et que de mon suppliceÀ ma fière rivale il fit un sacrifice ?Plutôt mourir cent fois. Mais ce Prince charmant Touche déjà peut-être à son dernier moment.Veux-je donc réserver mes plaintes à sa cendre ?Attendrai-je à parler qu'il ne puisse m'entendre ?Moi, parler ! À ses pieds verserai-je des pleurs ?Ajouterai-je encor la honte à mes douleurs ? Gloire de notre sexe, orgueil de ma naissance,Fierté, raison, vertu, venez à ma défense,Chassez l'indigne amour dont je me sens brûlerOu servez moi du moins toujours à le celer.Quand le plus tendre amant à nos genoux soupire On craint qu'un mot trop doux ne flatte son martyre ;Et moi de cet ingrat armant les cruautésJe vais offrir des voeux qui seront rebutez !Oui oui, c'est trop garder un rigoureux silence,C'est trop de mes tourments cacher la violence. Et qu'elle honte enfin ai-je à me déclarerQuand celui qui la cause est tout prêt d'expirer ?Parlons. PHEBIDE. Que je vous plains ! DIANASSE. Ne me plains point, Phebide.Laisse-moi me livrer au transport qui me guide,Permets que mon amour s'exprime avec éclat ; Je n'ai que ce moyen de haïr un ingrat.Souffrir, toujours pour lui des peines qu'il ignore,C'est nourrir en secret le feu qui me dévore ; Mais quand j'aurai parlé, quand l'affreux désespoirSuivra les durs mépris que je vais recevoir, La honte, le courroux, la haine, la vengeanceMe feront pour jamais détester sa présence ;Je le perdrai sans peine, et sa mort.... je le vois.Je sens mon coeur pour lui s'élever contre moi.Que resoudrai je enfin ? Quelle est votre injustice. Grands Dieux ? Faites qu'il m'aime, ou que je le haïsse. SCÈNE IV. Acorate, Dianasse, Phebide. DIANASSE. Prince, vous détournez et vos pas et vos yeux.Vous aviez crû trouver Zelonide en ces lieux ? ACORATE. De grâce pardonnez à l'ardeur qui me presse.Oui, Madame, il est vrai ic cherche la Princesse ; Je viens la conjurer, par un dernier effort,D'attendre en ce palais l'arrêt de notre sort. DIANASSE. Quoi lorsque dans nos champs les ennemis paraissent ?Vous profitez si mal d'un moment qu'ils vous laissent ?Pyrrhus prêt à l'assaut, semble le différer Pour voir votre esprit pourra se modérer ;Et bien loin d'employer ces instants salutairesÀ prendre des conseils prudents et nécessaires,Dans la funeste erreur où vous vous obstinezÀ de frivoles soins vous vous abandonnez ! ACORATE. Madame... DIANASSE. Non, Seigneur, s'il faut que je m'explique,Je ne vois plus en vous ce courage héroïque,Instruit par les vertus, fidèle à son devoir,En qui Sparte avait mis ses voeux et son espoir.Ce n'est plus sa grandeur qui règne sur votre âme ; Un vil motif d'amour, l'intérêt d'une femme,Vous vont faire périr, nous faire périr tous, Et perdre tant d'exploits qu'on attendait de vous.Quel changement honteux ! Quelle fureur extrême !Qu'êtes-vous devenu ? ACORATE. Je suis toujours le même. Mais plutôt votre coeur pour moi s'est démenti ;De Cléonime enfin il a pris le parti ;Vous ne me voyez plus que d'un oeil de colère,Et vous êtes pour moi telle qu'est votre frère. DIANASSE. Lui, Seigneur, qui vous hait, qui jure votre mort ? Ah ! Son coeur et le mien n'ont guère de rapport.Et le trouble cruel qui fait ici ma peine.Part d'une cause, hélas ! bien contraire à la haine !Je suis... je crains... je sens... que veux-je dire ? Ah Dieux.Tour lire dans mon coeur n'avez-vous pas des yeux ? ACORATE. C'est trop. Je vois toujours, généreuse Princesse,Que la même bonté pour moi vous intéressr. DIANASSE. Croyez-moi donc. Voyez qu'à ces mortels assautsVous courez en amant, et non pas en héros.Qu'on va vous accuser.... ACORATE. Hé bien laissez tout croire, Je veux de mon amour tirer toute ma gloire. DIANASSE. Cruel ! Ne pouviez-vous aimer innocemment ?Votre Princesse avait un autre engagement. Pourquoi l'aller choisir, et l'oser à mon frère ?Peut-elle seule ici mériter de vous plaire ? Sait-elle seule aimer ? Ah ! Je répondrais bienQu'il est pour vous des coeurs plus tendres que le sien.Seigneur, un autre choix à Sparte favorableTarirait de nos maux la source déplorable,Et ce qu'un juste amour eut jamais de plus doux Sans trouble et sans péril viendrait s'offrir à vous. ACORATE. Ces conseils sont donnés par un coeur plein de zèle.Mais pourrais-je brûler d'une flamme nouvelle ?Quand j'en serais capable est-ce un temps pour changer ?À repousser Pyrrhus, Madame, il faut songer Il faut que le combat de notre sort décide.Avant que d'y courir je cherchais Zelonide.Je vous quitte. Excusez les transports d'un amantQui pour la voir à peine aura ce seul moment. SCÈNE V. Dianasse, Phebide. DIANASSE. Il s'en va l'inhumain. Il s'en va l'insensible Sans reconnaître même un trouble si visible ?N'ai-je donc pas allez expliqué mon tourment ?Et mes yeux n'ont-ils pas parlé plus clairement ?Ma rougeur, mes regards, ma parole timideMarquaient trop... mais l'ingrat ne voit que Zelonide. Et lorsqu'il me parlait, charmé de ses appas, Il volait aprés elle, et ne me voyait pas.Phebide, c'en est fait. Je n'aç plus d'espéranceQue l'affreuse douceur d'une pleine vengeance.Allons. Où veux-je aller ? De quel oeil puis-je voir Ces Armes dont l'horreur cause mon desespoir ?Pour qui me déclarer ? Et quels voeux puis-je faire ?L'un et l'autre parti ne m'est-il pas contraire ?Je vois des deux côtés les malheurs que je crains.Toi, Phebide, va voir ces assauts inhumains, Et reviens m'informer du destin d'Acorate.Tout m'accable et me nuit, nul espoir me ne flatte.Aprés tant de tourments, je vois que c'est mon sortDe pleurer un ingrat, et mourir de sa mort. ACTE IV SCÈNE I. DIANASSE ARGESIME. DIANASSE. Quoi l'on voit la fortune à Pyrrhus opposée Lorsqu'il pensait jouir d'une conquête aisée ?Un jeune audacieux a pu le repousser ! Pyrrhus rentre en son camp. L'assaut vient de cesser !J'avais des ennemis ouï les cris de joie ;On me disait que Sparte était déjà leur proie. ARGESIME. Zelonide, Acorate ont changé les destins ;Leur courage a rendu la victoire aux Spartains ;Ils triomphent ensemble heureux et pleins de gloire. DIANASSE. Acorate est flatté d'une vaine victoire ; -Il doit périr. Son bras a beau se signaler Ses malheurs seulement peuvent se reculer.Oui pour lui désormais ma haine impitoyable...Mais, Dieux ! Racontez-moi ce succès incroyable ,. Parlez, n'oubliez rien ; ses exploits les plus beaux.À mes yeux irrités sont des crimes nouveaux. ARGESIME. Malgré nos intérêts malgré toute ma haineJe ne puis qu'admirer, sa valeur plus qu'humaine.Par les sacrés devoirs le Prince a commencé.Ses guerriers l'attendaient, l'autel était dressé ; Aux Muses avec pompe il fait les sacrifices Là chacun à l'envi ; pour les avoir propices,Pour être célébré par leurs chants immortelsA redoublé l'éclat de ces voeux solennels,Et leur a demandé qu'une histoire fidèleRendit d'un si beau jour la mémoire éternelle. Alors rempli d'espoir, et quitte envers les DieuxLe Prince fait marcher, et ravit tous les yeux.Il nous paraît plus fier plus grand que de coutume,D'une plus vive ardeur son visage s'allume,Sa voix plus éclatante enflamme les esprits, De l'héroïque feu dont son coeur est épris ; Dans le péril pressant qui partout l'environne,Ainsi que dans nos jeux il agit, il ordonne.Les femmes à grands cris animent les guerriersEt sèment devant eux des fleurs et des lauriers. D'autre côté Pyrrhus en foudre de la guerre,Avec ce fier orgueil qui croit dompter la Terre,Et cet art qui l'élève entre les conquerantsVient, et fait attaquer deux endroits différent.Acorate se lance où le péril se montre, Sort du retranchement, bat tout ce qu'il rencontre ;Poursuit avec ardeur les ennemis chassés.Mais ailleurs par Pyrrhus nos guerriers sont forcés ; Il entre avec les siens. Et ce vainqueur rapidePrés du Temple d'airain rencontre Zelonide. La Princesse accourant où l'appelait le bruitSoutient ce qui résiste, arrête ce qui fuit,Rallume le combat, où, tout sexe, tout âgeSait trouver de la force, et montrer du courage.Là j'entends redoubler les cris tumultueux. Acorate revient d'un vol impétueux ;D'une invincible ardeur ce guerrier intrépideSemble se signaler pour plaire à Zelonide ;Lui seul est en tous lieux, combat de toutes partsDe la main, de la voix, du geste, des regards. Trois fois Pyrrhus suivi d'un nombre épouvantable ;En s'ouvrant un chemin par son bras redoutable,Renverse les Spartains, les pousse, se fait jour ;Acorate trois fois le repousse à son tour.Et s'attachant à lui d'une force nouvelle, Le casque de Pyrrhus sous son fer étincelle.Pyrrhus enfin blessé paraît prêt à tomber ;Mais les siens au vainqueur savent le dérober ;Ils l'emportent au camp, leurs troupes se retirent,Et les Spartains lassez pour quelque temps respirent. DIANASSE. Magnanime Acorate ! Ah ! Quel est mon malheur,De gémir de ta gloire, et haïr ta valeur ! ARGESIME. Sparte oubliant ses maux est pleine d'allégresse.Ce guerrier en triomphe amenant sa Princesse,Ils emportaient les coeurs. Les Spartains tout autour Célébraient leur vertu, bénissaient leur Amour.« Ô vaillant Acotate ! Ô belle Zelonide !Vivez, s'écriait-on, digne Race d'Alcide,Vivez, et qu'à jamais votre hymen glorieuxDonne des Rois à Sparte, au Ciel de nouveaux Dieux. » DIANASSE. Ah c'est trop endurer ! ARGESIME. Votre coeur en soupire ?Prêt à perdre Acorate encor que je l'admire,Je vous le dis, Madame, il le faut accabler,Ou peut-être lui-même il nous fera trembler.Sa valeur, il est vrai, de secours dépourvu Par ses propres efforts devrait être abattue ;Le sang que cet assaut vient déjà de coûterMontre assez qu'au second il ne peut résister.Mais comme il ne saurait consentir à se rendre,Après la ville prise il prétend se défendre, Dans ce même Palais il veut se retirer,D'un prompt retranchement il le fait entourer.Et si les vents hâtaient le retour de son pèrePyrrhus étant blessé si l'assaut se diffère,Si les Grecs assemblés enfin osent venir ; Acorate pourrait nous perdre et nous punir. DIANASSE. Songeons à désarmer sa funeste arroganceOccupons ce palais sa dernière espérance,Faites que nos amis viennent s'en emparer,Et pour perdre Acorate allez tout préparer. Renversez ses projets ; mais contre sa personneGardez-vous d'attenter avant que je l'ordonne. ARGESIME. Je vais vous obéir. SCÈNE II. Dianasse, Phebide. DIANASSE. As tu vu ces amants.Phebide, es-tu témoin de leurs contentements ? PHEBIDE. Leur gloire et leurs plaisirs auront peu de durée. Une attaque nouvelle est déjà préparée.Pyrrhus revient. Ces coups dont on l'a cru blesséSont tombés sur son casque, et ne l'ont point percéEn reprenant ses sens il reprend sa colère,Par le fer et la flamme il veut le satisfaire ; Il vient plus menaçant, plus ardent que jamais.Zelonide étonnée erre dans ce palais.Que pour elle Acorate a laissé voir d'alarmes ?Par combien de soupirs, de prières, de larmesSecondé des Spartains a-t-il su l'obliger À ne s'exposer plus au milieu du danger !Enfin elle les croit ; son grand coeur se réprime.Par la peur de tomber aux mains de Cléonime.Elle attend Acorate. Et ce Prince a promis,S'il ne peut repousser l'effort des ennemis, De revenir ici lui témoigner son zèle,Combattre, la défendre, et mourir auprès d'elle.Dans ce dernier asile il laisse à la garder... DIANASSE. C'en est trop, à ma rage il faut enfin céder.Hâtons-nous de les perdre. Allons, j'y cours Phebide. Immolons Acorate, immolons Zelonide.Argelime est tout prêt. Rien ne peut retenir...Mais leur donner la mort est-ce assez les punir ?Fière Rivale, crains Dianasse outragée,Si tu mourais trop tôt je serais peu vengée. Tu m'as ravi l'amant qui seul plaît à mes yeux,Je te veux mettre aux fers d'un amant odieux.Oui oui dans ce Palais je la tiendrai captive,C'est pour mon frère enfin que je veux qu'elle vive,Et je veux qu'Acorate à mes pieds enchaîné Ait le temps d'expier son mépris obstiné.Elle vient. Montrons lui que le devoir, la gloire,L'amour, et la pitié... pourra-t-elle me croire ?Ah ! Quand ce ne serait que pour la tourmenterPeignons-lui tous les maux qu'elle doit redouter. SCÈNE III. Zelonide, Dianasse, Phebide. DIANASSE. Sparte, Sparte périt. Sa vaine résistanceN'a fait que du vainqueur, irriter la vengeance :Pyrrhus a redoublé l'ardeur de son courroux.Vous n'avez qu'un moment, hélas ! Songez à vous.Votre fière constance enfin serait un crime. Sauvez votre pays, cédez à Cléomine ; Ou si votre Acorate est aimé tendrementImmolez cet amour au salut de l'amant.Que pour vous-même encor votre coeur s'en sépare,Et prévienne les maux que sa mort vous prépare. Quand vous verrez aux pieds d'un vainqueur insolentCet aimable héros blessé, pâle, et sanglant ; Ô douleur ! Quand ses yeux dont la vive lumièreSut trouver le chemin de votre âme si fière,Au lieu de leurs regards si brillants et si doux, Obscurcis et mourants se tourneront vers vousDans quels ennuis mortels serez-vous abîmée ?Moi, Zelonide, moi qui n'en suis point aimée,3e les retiens pour vous, je me laisse attendrir.3e voudrais le sauver ; vous le faites périr ZELONIDE. Que faire, hélas ! Je l'aime, et, d'une âme ravieJe recevrais la mort pour prolonger sa vie ;Mais s'il me faut trahir ma gloire et mon amour Je ne puis à ce prix lui conserver le jour. DIANASSE. Hé n'entendez vous point la gloire (lui TOUS crie ; « Fais ton devoir, Princesse, et sauve ta Patrie,Témoigne une vertu qui réponde à ton rang ; Arrête tant de maux, épargne tant de sang.Vois du soldat vainqueur l'insolence et la rageS'acharner, s'assouvir dans l'horreur du carnage ; Vois les temples tombants, les autels embrasés ;Sous les brûlants débris les prêtres écrasés.Vois ces nobles enfants, ces généreuses femmesExpirant par le fer, dans les flots, dans les flammes.La mort règne par toi, tu détruis pour jamais D'un État si fameux l'espoir et les souhaits.C'est toy »... Que faisons-nous ? Allons parmi les armesVenez. Allons montrer nos douleurs et nos larmes,Arrêtons par nos cris un combat plein d'horreur ; De ces fiers combattants désarmons la fureur. Venez. ZELONIDE. Pour empêcher que Sparte ne périsseQue ne puis-je m'offrir moi-même en sacrifice,Endurer mille morts, mille tourments affreux,Et moi seule éprouver tout son sort rigoureux.Mais que j'aille me rendre au traître Cleonime ! Que je sois son esclave et le prix de son crime !Sparte me le défend, et crie à haute voixQuelle aime mieux périr que de subir ses lois.Quel fruit espère-t-il de sa lâche entreprise ?Pyrrhus qui dans don coeur le hait et le méprise À pour nous asservir feint de le protéger Et nous gémirions tous sous un joug étranger.Non non vous pouvez seuls attendre l'esclavage. DIANASSE. Tant de maux ne sauraient fléchir votre courage ! ZELONIDE. Votre feinte pitié, qui veut me décevoir, M'immole à votre frère, et non à mon devoir. DIANASSE. Hé bien donc. Signalez votre gloire insensée.Peut-être en ce moment Sparte est déjà forcée.Je vais de sa disgrâce adoucir les rigueurs,Si mes cris sont ouïs des superbes vainqueurs. SCÈNE IV. ZELONIDE, seule. Non rigoureux destin, non fortune cruelleVous ne sauriez éteindre une flamme si belle,Redoublez, s'il se peut, vos assauts contre moi,D'un triomphe nouveau c'est honorer ma foi.Heureuse en ces malheurs où ma constance éclate Pour ma chère patrie, et pour mon Acorate ;Mais Prince que fais-tu parmi tant d'ennemis ?Ils n'en veulent qu'à toi. Tous leurs coups... je fr"mis ?Et tu veux que j'attende ! Ô soin trop inutile ?Au milieu des périls je serais plus tranquille, De tant de coups mortels qui ne cherchent que toi,Si quelqu'un me cherchait j'en aurais moins d'effroi ;Et ne serais-je pas, hélas ! Trop fortunéeRecevant une mort qu'on t'aurait destinée.Pourquoi n'as-tu pas crû mes justes sentiments ? Dans ce triste palais je meurs à tous moments.Mais on vient. Tout périt. Enfin Sparte est perdue.Dieux ! SCÈNE V. Archidamie, Zelonide. ARCHIDAMIE. Notre destinée est encor suspendue.Par de là notre espoir nous avons résisté.De votre illustre amant l'heureuse activité, L'invincible valeur, l'ardeur infatigableSoutiennent jusqu'ici cette armée innombrable.Même en notre faveur il court un bruit confus ;Nos alliés, dit-on viennent contre Pyrrhus.On croit voir dans nos champs la poussière élevée D'un grand secours pour nous annoncer l'arrivée.Mais s'il manque, où s'il tarde en vain on se défend ;Nos plus braves guerriers meurent en triomphant. ZELONIDE. Ah ne rejetons pas une heureuse espérance.Les Dieux nos protecteurs feront voir leur puissance. ARCHIDAMIE. Un autre bruit encor dit que les ennemisDans la forêt prochaine ont arrêté DamisQui cherchait pour entrer quelque route secrète,Et qui nous apportait des nouvelles de Crète.Pyrrhus de tous côtés redouble ses efforts. Déjà de ses soldats il détache un grand corpsQui va rendre des Grecs l'approche difficile ;Et cependant lui-même il attaque la ville,En presse les assauts, et prétend la forcerAvant que le secours ait le temps d'avancer. ZELONIDE. Va-t-en voir ce qu'on fait ma chère Archidamie.Sparte surmonterait la Fortune ennemieS'il entrait en ces lieux quelque faible secours,Et si l'on résistait seulement quelques jours.Nous verrions revenir Areus et l'armée. Va donc, de notre sort que je sois informée.Mes voeux vont cependant exciter dans les CieuxNotre divin Hercule et le maître des Dieux.N'est-il pas juste enfin que leur faveur éclate ;Qu'ils conservent leur gloire en sauvant Acorate ? J'espère. Et je m'en vais au pied de leurs autelsAttendre le secours de leurs bras immortels. ACTE V SCÈNE I. ZELONIDE, seule. Zelonide, les Dieux ne t'ont pas écoutée.Dans les derniers malheurs Sparte est précipitée.Le secours est défait, tout cède aux ennemis, Et le plus faible espoir ne nous est pas permis.Que ne vais-je éclaircir ma triste incertitude ;C'est languir trop longtemps dans un tourment si rude ;Tandis que je me plains, que j'erre vainementPeut-être un fer barbare immole mon amant. Acorate, est-il temps que ma main me délivre ;Faut-il vivre, ou mourir, ou t'attendre, ou te suivre ?Qu'Archidamie est lente ! Elle revient. Ah Dieux ?Tout ce que j'appréhende est écrit dans ses yeux. SCÈNE II. Zelonide, Archidamie. ZELONIDE. Que devient Acorate ? ARCHIDAMIE. Il fait pour nous défendre Plus que d'Alcide même on ne pourrait attendre.Mais tous ces grands efforts enfin sont superflus ;Accablé d'ennemis... ZELONIDE. Ne le verrai-je plus ?Hélas ! ARCHIDAMIE. Pour vous revoir méditant sa retraitePar mille exploits nouveaux il venge sa défaite ; Demeuré presque seul, forcé de toutes parts,Vers ce palais, vers vous il tourne ses regards.Toujours inébranlable en cet état funesteDe ses braves guerriers il rassemble le reste.Ce héros avec eux vole à votre secours ; Il vient en ce palais pour défendre vos jours,Y braver les vainqueurs, arrêter leur furie,Et soutenir encor sa mourante patrie.Nous avons vu Pyrrhus charmé de sa valeurN'oser de ce grand Prince achever le malheur ; Honorant son courage, et respectant sa gloire,Il semble en sa faveur retarder la victoire,Il détourne ses pas d'un combat inégal :Mais le Prince est pressé par son lâche rival.Des barbares vainqueurs les troupes répandues Déjà de ce Palais ferment les avenues.Cleonime en fureur pousse ces inhumains,Il échauffe leurs coeurs, il anime leurs mains,Il veut leur inspirer ses transports et sa rage.Acorate en cent lieux combat, se fait passage ; Mais je crains qu'à la fin il ne puisse échapperAux nombreux ennemis qui vont l'envelopper. ZELONIDE. Hélas contre un rival si fier si redoutableDes plus noires fureurs Cleonime est capable !Sa lâche cruauté n'aura point de repos Qu'il n'ait repu ses yeux du sang de ce héros.Mais parmi tant d'horreurs ce héros invincibleAux soins de notre amour est encore sensible ;De moi par cent combats il tâche à s'approcher ;Répondons à ses voeux, et courons le chercher. Il faut malgré le sort nous rendre inséparables,Qu'en ces derniers moments, encore favorables,Nos deux coeurs embrasés de semblables désirsMêlent en expirant leur sang et leurs soupirs.Ah ! Le voici. Les Dieux exaucent ma tendresse. SCÈNE III. ACORATE, ZELONIDE RACHIDAMIE. ACORATE. Grâce au Ciel, je retrouve encore ma Princesse ! ZELONIDE. Cher Prince, vous vivez ! Acorate, c'est vous ! ACORATE. Nos ennemis enfin ont fait jour à mes coups,Ils n'ont pu mettre obstacle à mon ardente envie,Je vous revois. Je viens assurer votre vie. À mes justes désirs laissez-vous émouvoir,Retirez-vous, Madame ; il n'est plus d'autre espoir.Sauvez-vous, fléchissez ce courage invincible ;Un seul ; moment rendra ce dessein impossible.Hâtons-nous. Vous allez trouver Mandricidas Au pied de ce Palais que baigne l'Eurotas ;Et j'ai laissé Phillus ; pour en garder l'entrée.Le chemin est ouvert, la retraite assuréeVenez, embarquez-vous, et bientôt loin d'ici... ZELONIDE. C'est assez. Avec moi voudras-tu fuir aussi ? ACORATE. Je veux suivre vos pas. Oui. Mais sur ce rivageJe dois en combattant aider votre passage.Et dégageant après de ces lieux pleins d'effroiCes fidèles guerriers qui s'immolent pour moi ;Faisant gémir Pyrrhus de l'excès de ma gloire, Lui laisser pour tout fruit d'une triste victoireLes débris du Palais que je vais embraser. ZELONIDE. Sparte de ces malheurs me pourrait accuser ; J'aurais par mes conseils animé les SpartainesÀ braver du Destin les rigueurs inhumaines ; J'aurais dit tant de fois qu'il faut vaincre ou mourir,Et je me sauverais quand je vois tout périr ! ACORATE. Ah ! C'est vous seule aussi que cherche Cleonime.À ses lâches fureurs dérobés leur victime.Vous avez pour la gloire assez fait en ce jour ; Accordez quelque chose à mon ardent amour.Arrachez à la mort ces charmes que j'adore ;C'est le prix que j'attends, la grâce que j'implore.Ma Princesse, vivez. ZELONIDE. Que je vive sans toi !Que tu t'exposes seul ! Que tu meures sans moi ! Non non, si pour ta gloire il faut que tu t'immolesMon coeur.... Mais ce n'est point en de vaines paroles,Que des moments si chers doivent se consumer ;C'est par mes actions que je veux m'exprimer.Allons, avec ton nom que le mien se signale ; Que je sois ton amante ensemble et ta rivale ;Que ce palais détruit par un dessein si beauNous serve de bûcher, nous serve de tombeau.Loin que ta noble ardeur pour moi soit retardéePermets que de mes soins elle soit secondée ; Que la Grèce attentive à nous considérerAdmire notre mort, au lieu de la pleurer ;Et que notre aventure en tous lieux publiéeDu plus long avenir ne puisse être oubliée. ACORATE. Ô confiance ! Ô vertu quoi donc vous demeurez ! Que résoudre ? Ou courir ? Hélas ! Vous périrez !Que faire ? Il faut aller, c'est m'a seule espérance,Pour prolonger vos jours prolonger ma défense, Ah ! Les vainqueurs encor trembleront sous mes coups.Vous verrez si mon coeur était digne de vous. Ciel, secondé l'effort ou mon zèle s'apprête. ZELONIDE. Ne nous séparons plus. Je veux te suivre. SCÈNE IV. DIANASSE, ZELONIDE, ACORATE. ARCHIDAMIE. DIANASSE. Arrête. Veux-tu te perdre ainsi ? Vois-tu ce que tu fais ?Mon frère sans effort va s'ouvrir ce palais.J'ai retenu ses pas pour empêcher ta perte. Pour un moment encor ta grâce t'est offerte ;Demeure, écoute, vois que de mon seul secoursDépendent désormais ta fortune et tes jours,Que ma seule présence est ici ton asile. ACORATE. Ah ne m'accablez point de ce soin inutile. Le temps est cher, Madame, et c'est trop m'arrêter. SCÈNE V. DIANASSE ZELONIDE ÀRCHIDAI^E, DIANASSE. Il fuit. Hé bien c'est toi qui me dois écouter.Je l'aime cet ingrat. Que de secrètes plaintes !De chagrins dévorants ! De cruelles contraintes !Que de maux m'a coûté cet amour malheureux, Dont l'aveu que je fais est le plus rigoureux !J'ai parlé, c'en est fait ; un seul moment nous reste ;Je veux sortir enfin de cet état funeste.Songe à toi, Zelonide ; un amant furieuxEst tout prêt d'égorger Acorate à nos yeux. Quel horrible spectacle en ce lieu se prépare !Moi-même je prétends étonner ce barbareS'il poursuit Acorate, et s'il veut l'immoler,Le bras levé sur toi, je le ferai trembler.Je te laisse un instant, consulte, délibère ; Désarme mes fureurs et celles de mon frère :Comme j'ai partagé son crime et ses tourmentsJ'aurai ses cruautés et ses ressentiments.Oui, ma jalouse rage à la sienne est égale ;Il perdra son rival, je perdrai ma rivale. Je vais ici sur toi venger par mille mortsMes maux, mon désespoir, ma honte, mes remords,Et je veux en punir dans ma fureur extrêmeSparte, toi, ton amant, et mon frère, et moi-même. SCÈNE VI. Selonide, Archidamie. ARCHIDAMIE. Quel transport ! ZELONIDE. Je méprise un impuissant courroux. Un héros indompté combat encor pour nous.Mais toujours loin de lui serai-je retenue ? Ô Ciel ! Phillus mourant se présente à ma vue. SCÈNE VII. Phillus Zelonide, Archidamie. PHILLUS. Je cherche en vain le Prince à travers tant d'horreurs.Il va de son rival éprouver les fureurs. Les traîtres m'ont surpris. Phebidas, ArgesimeS'emparent du Palais au nom de Cleonime.Ce Barbare est entré. L'on entend les clameurs.Des guerriers sur mes pas de tous côtés... Je meurs. SCÈNE VIII. ZELONIDE. Ô noire trahison ! Ô sort inexorable ! Voici de nos malheurs le comble épouvantable.Surpris d'un coup fatal qu'il ne peut éviterAcorate périt ; il n'en faut plus douter.Sort injure, rends-moi ce héros que j'adore ;Meurtri, pâle, expirant que je le voie encore. Quels bruits de tous côtés entends-je s'éleverDans ce tumulte affreux où puis-je le trouver ?Quel Dieu sera propice à l'ardeur qui m'anime Elle fait quelques pas, puis elle revient.Irai-je me livrer au traître Cleonime ? Ô Ciel ! Je reverrai cet objet odieux ! Ses crimes, les fureurs s'offriront à mes yeux !Je l'entends, je le vois, ce monstre parricide !Teint du sang d'Acorate, il cherche Zelonide !Ah ! Mourons : pour combler mon affreux désespoirIl ne laisserait plus ma mort en mon pouvoir ! Ô toi, fidèle amant, soit qu'au rivage sombre,Ton Esprit magnanime ait devancé mon ombre,Ou soit que ta belle âme y descende après moi, Elle tire un poignard.Accepte ici mon sang pour gage de ma foi.J'emporte chez les morts ma flamme et ma tendresse. Ton perfide rival... SCÈNE IX. Mandricidas, Zélonide. MANDRICIDAS. Que faites vous, Princesse ? ZELONIDE. Où courez-vous ? Vient-il cet amant furieux ?Ah ! Je veux que mon sang rejaillisse à ses yeux. MANDRICIDAS. Non. Cleonime éprouve une juste vengeance.Sparte va relever sa gloire et sa puissance. ZELONIDE. Ô Dieux ! À ce discours peut-on ajouter foi !Qui peut nous secourir ? MANDRICIDAS. Notre armée et le Roi. ZELONIDE. Le Roi ! MANDRICIDAS. Tout nous le rend. Et les vents favorables,Et ses soins diligents et les Dieux secourables.Nos alliés défaits nous ôtaient tout espoir ; Lorsque par un bonheur que nous n'osions prévoir,Aréus s'avançant, les soutient, les dégage ;Pousse les ennemis trouvés sur son passage.Pyrrhus au premier bruit a fait de toutes partsRassembler dans nos champs ses escadrons épars. Surpris par ce retour il s'empresse, il travailleÀ mettre promptement son armée en bataille,Tandis que contre nous il laisse dans ces lieuxCleonime suivi de traîtres furieux.De leur noir attentat le plus lâche complice, Craignant de recevoir un trop juste supplice,Argesime, du Prince aurait tranché les jours,Si le Roi prévoyant n'eut hâté le secours.Lui qui de l'art des Rois a le parfait usage,Des lieux qu'il connaissait a pris tout l'avantage, Et voulant conserver, et son fils, et l'ÉtatS'avance sûrement sans livrer de combat.Il approche, il détache une troupe fidèle ; Elle accourt au Palais sous un chef plein de zèle.Le Prince secouru dans ce moment fatal Fait changer la fortune, et poursuit son rival.On voit tomber soudain le traître Cleonime.Nos bras en même-temps punissent Argesime.Dianasse vers nous s'avance avec transport,Entend nos cris de joie, et vois son frère mort ; Elle nomme Acorate ; et d'un fer qu'elle tireElle perce son sein, elle tombe, elle expire. SCÈNE X. ACORATE, ZELONIDE MANDRICIDAS. ACORATE. Princesse, hâtons-nous de rendre grâce aux Dieux.Le Roi, toute l'Armée arrivent dans ces lieux.Pyrrhus assez instruit par notre résistance De nous vaincre à présent a perdu l'espérance ;On le voit vers Argos déjà se retirer. À Mantricidus.Nous l'y suivrons. MANDRICIDAS. Seigneur, Sparte doit respirer.Allons, tout est sauvé. Que notre joie éclate. ACORATE. Allons trouver le Roi. Zelonide ! ZELONIDE. Acorate ! ACORATE. Ô ! Quel bonheur les Dieux vont combler en ce jour.Vos divines vertus et mon ardent amour. ==================================================