******************************************************** DC.Title = LE MANUSCRIT, COMÉDIE DC.Author = GIFFARD, Pierre DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/05/2021 à 11:32:00. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GIFFARD_MANUSCRIT.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE MANUSCRIT COMÉDIE 1881. PAR M. PIERRE GIFFARD. Représentée pour la première fois, par les Comédiens ordinaires du Roi, sur le second Théâtre-Français, le 15 janvier 1824. PERSONNAGES. ARTHUR DU BOURDEL, jeune auteur. MADEMOISELLE MARIE DUPONT, grand premier rôle du théâtre de l'Art moderne. La scène représente, à Paris, le salon de la grande artiste. Des fleurs, des cadeaux,etc.,etc. LE MANUSCRIT SCÈNE I. ARTHUR, seul. Voilà la dixième fois que je viens. Mais les femmes, quand elles s'appellent Marie Dupont, et qu'elles jouent les premiers rôles au théâtre de l'Art moderne, ont bien le droit de ne pas être chez elles... La bonne est drôlette !... Il paraît qu'on vient de temps en temps apporter autre chose que des manuscrits chez Marie Dupont. Regardant les fleurs.[Note : Gondinet, Edmond (1829-1888) : auteur dramatique ayant écrit plus de 50 pièces entre 1863 et 1887, essentiellement des comédies et des opéras-comique. Il est co-auteur de Jonathan, La Volcan, comédies en trois actes avec l'auteur cette petite comédie.][Note : Le Bourgeois philosophe est une comédie en 5 actes, non imprimée.]Jolis bouquets... Je crois bien... En l'honneur de son immense succès dans le Bourgeois philosophe, la dernière pièce de Gondinet. Pas fameux le succès de Marie Dupont, mais enfin, on fait ce qu'on peut !... Il s'assoit.Elle est drôlette, la bonne. Elle m'a souri, aujourd'hui. « Monsieur est déjà venu plusieurs fois ? - Oui, mademoiselle, Se rengorgeant. [Note : Melliflue: Qui abonde en miel, qui fait le miel. Fig. Qui est trop doucereux et presque fade. [L]]de la part de Monsieur Agénor de Butenblanc, critique théâtral de la Vraie France. Oui, je sais, je vais prévenir madame. Le nom de Butenblanc produit un effet énorme, ici. Ce bon Butenblanc, il foudroie les actrices tous les lundis. Jamais on n'a vu pareil Aristarque. Aussi quelle suprématie ! Ce n'est pas de lui qu'on peut dire qu'il distille de l'ambroisie. Ce n'est pas lui qu'on appellerait le Melliflue de Butenblanc ! Non. Il est la sévérité même. Mais quelle suprématie ! Il se lève.Qu'est-ce que la grande artiste va dire de mon manuscrit ? Jouera-t-elle ta pièce, ne la jouera-t-elle pas ? Butenblanc m'a donné un conseil... canaille. Je vous dirai ça tout à l'heure. Pour le quart d'heure, je suis presque ému. S'il est seulement un jeune auteur dans l'auditoire, je suis certain qu'il comprend ma situation et qu'il entend d'ici les battements de mon coeur. À vrai dire, je suis bien exigeant, je veux être joué ! En voilà une idée ! N'est-ce pas ? Pourquoi moi plutôt qu'un autre ? On ne joue personne aujourd'hui. C'est-à-dire on ne joue que les gens qui ont été joués déjà. Procédé curieux, ingénieux même, mais qui me dépasse, car enfin, il faut bien commencer. J'ai essayé de commencer, tenez, avec le manuscrit que Marie Dupont va peut-être ?(peut-être!) - daigner prendre sous sa tutelle. - Ça s'appelle le Pont des Saints-Pères. On trouve mon titre bizarre. C'est ce qui le distingue des autres, précisément ! Ça vous a l'air d'un vaudeville. - Pas du tout, c'est un drame. Eh bien, je l'ai porté au Gymnase. Le Gymnase, ah ! Parlez-moi de ce théâtre-là. On y lit toutes les pièces. Monsieur Darval, qui depuis longues années administre consciencieusement ce théâtre, m'a dit : « Jeune homme, laissez-moi le Pont des Saints-Pères, nous avons à la campagne, un monsieur qui dévore tous les manuscrits. Dans huit jours, le vôtre sera lu, et dans dix jours vous aurez la réponse de la Direction. » - Vous pensez que ce soir-là je fus ivre de joie. Dans dix jours j'aurai la réponse de la Direction ! Je l'ai reçue, la réponse de la Direction du Gymnase. Elle est drôlette, tenez, la voici : Il ouvre son portefeuille.« 1878 Manuscrit n°1274 le Pont des Saints-Pères. Un vieil Invalide. » C'est l'analyse de la pièce, je la saute, afin de ne pas retarder votre gaieté, etc., etc. « Cette pièce, bien construite, très correctement conçue, écrite avec élégance, a du corps, de la sensibilité, de la rondeur. Elle est presque parfaite... Mais elle n'a pas d'intérêt et ne convient pas au Gymnase : ? Pan ! Et 1273 avant moi, puisque j'avais le n° 1274, ont reçu le même bordereau, car, ô désillusion des poètes ! C'était un bordereau ! Détaché d'un livre à souche! Si jamais j'ai un fils et qu'il se mette dans la partie, je lui dirai : Mon garçon, ne va pas là. On y lit toutes les pièces. Un monsieur de la campagne y dévore les manuscrits, mais il les digère, et il les restitue avec une inconcevable agilité...Très naïf, moi je me disais : Duquesnel a bien joué Jean-Marie et le Passant, deux chefs-d'oeuvre, et de plus, pas mal de petites pièces qui étaient déposées chez son concierge. Le père Barbarin, directeur de l'Art moderne, lira au moins mon manuscrit. Je porte mon manuscrit chez le concierge de Barbarin. - Ah ! Je t'en moque ! Deux mois se sont passés, Barbarin ne savait pas même ce que je voulais dire quand je suis venu, l'oeil en feu, lui crier « Qu'avez-vous fait du Pont des Saint-Pères ? » Il a fini par le retrouver. - « Ce n'est pas bon, m'a-t-il dit en chevrotant, mais il faut travailler. Ça viendra. - Vieil imbécile, ai-je répondu, mais puisque tu ne l'as pas lu ! » J'ajouterai que Barbarin est sourd ou feint de l'être. S'il ne fait que feindre, tant pis pour lui. Il a empoché « vieil imbécile », c'est toujours ça. Il s'asseoit de nouveau.Hum... Ça sent bon ici... Ce parfum matinal, Il regarde sa montre.Il est une heure.... me paraît signaler l'arrivée de la déesse... Non... J'espère que ça ne va pas tarder. Reprenant.Oui ! Voilà comment les choses se sont passées. C'est alors que je suis allé trouver Butenblanc. Après s'être tordu de rire au récit de mes infortunes, Butenblanc m'a dit « Mais imbécile, (à mon tour) est-ce que c'est comme ça qu'on s'y prend ? Est-ce que c'est ainsi que les choses se passent ? Tu es donc né d'hier ! Tiens, voilà un mot pour Marie Dupont, la grande artiste. - (Il a dit ça en riant de travers la grande artiste.) Laisse-lui ton manuscrit, - et le temps de le lire, bien entendu. Le rôle de la Vivandière est bien dans ses cordes si ça lui plaît, elle le jouera. Maintenant approche. Il mime la scène.Voilà. Approche encore... Chut !... À voix basse. Je te préviens... Elle est bête comme une oie. Je m'en doutais. La voilà, ma veine ! - Si elle te donne une fin de non-recevoir... Eh bien? ? Chut! » Je ne vous dirai pas le reste. C'est un grand moyen à employer - oh ! N'allez pas croire des choses !... Non, mais c'est drôle. Cependant ma vanité d'auteur me permet de croire que je n'aurai pas à m'en servir. Mais sapristi ! Il frappe son chapeau sur un meuble. Si elle fait comme le monsieur de la campagne, je fais le coup de Butenblanc ! Ma gloire intérieure ira se promener, mais du moins je serai joué ! Cette fois, la voici. Il ajuste son col.Je suis de plus en plus ému. SCÈNE II. Mademoiselle Marie Dupont, tenant le manuscrit à la main, Arthur. MADEMOISELLE DUPONT, aimable, avec force salutations. Bonjour, monsieur. ARTHUR. Madame, je suis vraiment bien importun. MADEMOISELLE DUPONT. Mais pas du tout... Je suis trop heureuse de vous voir. C'est charmant votre petite pièce. ARTHUR. Oh !... MADEMOISELLE DUPONT. Si, si, c'est très gentil, très gentil. Et fort bien fait. ARTHUR. Oh !... MADEMOISELLE DUPONT. Je vous en fais tous mes compliments. ARTHUR. Oh !... MADEMOISELLE DUPONT. J'ai rarement vu un acte aussi lestement troussé. ARTHUR, à part. Trop de compliments. MADEMOISELLE DUPONT, avec un moue pudibonde. Mais franchement, vous savez... ARTHUR. Quoi ? MADEMOISELLE DUPONT. Oh ! Je ne pourrai jamais jouer ça... ARTHUR. [Note : Vivandièr(e) : Celui, celle qui suit un corps de troupes, et qui vend des vivres. [L]]Comment ! Le rôle de la vivandière ? MADEMOISELLE DUPONT. Ah ! C'est beaucoup trop... leste. Me voyez-vous chantant les... Ah ! Non... ARTHUR. Trop leste ! Bah ! Mais c'est bénin, bénin. Vous avez joué l'année dernière ce rôle de Meilhac qui était si joli. C'était... Hum... Assez... Corsé, pourtant ! MADEMOISELLE DUPONT. Peuh ! Pas tant que ça. Vous savez, à choisir, s'il ne s'agissait que de moi, je choisirais le vôtre, ainsi ! Il est plus coquet, plus troussé. C'est ça, il n'y a pas à dire. Mais, jouer ça devant le public, vous pensez !... ARTHUR. C'est juste. À part.Employons le moyen de Butenblanc. MADEMOISELLE DUPONT, à part. Expédié. Soyons aimable. À Arthur.Mais asseyez-vous donc, Monsieur ! Ce canapé vous tend les bras, comme on dit aux Français. Elle s'assoit. ARTHUR, s'asseyant. [Note : Les Fourchambault est une comédie d'Emile Augier, jouée pour la première fois 8 avril 1878.][Note : Croizette, Sophie (1847-1901) fut une sociétaire de la Comédie Française.]Tiens, j'y étais hier, aux Français ! On jouait les Fourchambault. Cette Croizette est bien étrange. Quelle physionomie originale ! Elle a du talent, n'est-ce pas ? MADEMOISELLE DUPONT, s'éventant. Oui. ARTHUR. Elle est jolie ! MADEMOISELLE DUPONT. Plutôt originale que jolie ! Mais enfin, jolie tout de même. ARTHUR. Oui, plutôt originale. Je n'aime pas beaucoup sa façon de rire. MADEMOISELLE DUPONT. [Note : Reichemberg, Suzanne (1853-1924) : sociétaire de la Comédie Française, reçue en 1868.]C'est saccadé... sans être mordant. Il n'y a pas de nerf, voyez-vous. Aimez-vous Reichemberg ? ARTHUR. Oui. MADEMOISELLE DUPONT, vivement. Moi, pas. Elle est jolie aussi... ARTHUR. Moins que vous. À part.Boum ! MADEMOISELLE DUPONT. Oh ! Vous n'y pensez pas. Partons donc théâtre, cela m'intéresse tant ! ARTHUR. Je crois bien ! Une reine doit toujours s'inquiéter de ses vassales, et vous êtes la reine du théâtre contemporain. MADEMOISELLE DUPONT. Moi ! Voulez-vous rire ! ARTHUR. Eh ! Comme il vous plaira. Je dis ce qui est. Au public.J'ai toujours mon encensoir sur moi. MADEMOISELLE DUPONT. Mais, je ne suis ni aux Français, ni à l'Odéon, ni au Vaudeville, ni au Gymnase, je suis à l'Art moderne, un théâtre tout neuf, dont le directeur est plein de nobles aspirations. ARTHUR, malicieusement. De goût. MADEMOISELLE DUPONT. Faites des allusions, maintenant ? De goût, oui de goût, mais cela ne suffit pas à établir une réputation dramatique comme je l'ai rêvée, depuis le temps que je travaille mon art. ARTHUR. Je voudrais être aussi sûr que vous, d'arriver un jour ! Ah !... MADEMOISELLE DUPONT. Vraiment ! À part.Il est charmant, ce jeune homme! ARTHUR. [Note : Dejazet, Virginie (1798-1875) : Actrice qui donna son nome au théâtre Déjazet. Sépcialiste des rôles de soubrettes.][Note : Félix, Elisabeth Rachel (1821-1858) : Tragédienne française spécialiste des rôles de Corneille, Racine, Voltaire.]Vous êtes Déjazet et Rachel à la fois, je ne comprends rien à une organisation d'élite comme la vôtre. C'est diabolique ! MADEMOISELLE DUPONT. Pas possible ! ARTHUR. C'est l'exacte vérité. Songez donc qu'il y a trois ans que je vous suis des yeux ! MADEMOISELLE DUPONT, se reculant. Bah ! Vous me faites peur ! ARTHUR. Oh ! Pas comme amoureux. Vous savez ce qu'est votre beauté stupéfiante. MADEMOISELLE DUPONT. Séducteur, continuez. ARTHUR. Mais comme admirateur. MADEMOISELLE DUPONT. Ah ! C'est encore plus flatteur, pour une femme comme moi, du moins, qui sens quelque chose là. ARTHUR, à part. Voyez-vous ça ! À mademoiselle Dupont. [Note : Sardou, Victorien (1831-1908) : Célèbre dramaturge de la seconde moitié du XIXème siècle.]Vous avez joué les comédies de Sardou dans la perfection. Quelle hardiesse, quelle vérité dans le dialogue. Dites-moi, nommez-moi quelqu'une de vos camarades qui vous ait jamais égalée ! MADEMOISELLE DUPONT, s'animant. C'est juste, il n'y en a pas. N'est-ce pas que j'étais bien dans les Pattes de mouche ? ARTHUR. Comment ! Et dans Maison-Neuve, donc. MADEMOISELLE DUPONT. Et dans Nos bons villageois. M'avez-vous vue dans nos bons villageois ? ARTHUR. Oh je crois bien. Quel triomphe ! MADEMOISELLE DUPONT. Et dans l'Auberge des Adrets, car je veux essayer de toutes les cordes. ARTHUR. C'est vrai ça, cet Art moderne joue tous les genres. Et vous excellez dans tous, belle Marie Dupont ! MADEMOISELLE DUPONT. J'ai beaucoup travaillé, vous savez, mais j'ai un tempérament d'artiste. ARTHUR. Ça se voit. Sapristi, comment n'êtes-vous pas au Vaudeville ou au Gymnase ? J'en reviens toujours là. MADEMOISELLE DUPONT. Vous savez ce que sont ces directeurs de petits théâtres ; il faut venir leur baiser les pieds. Je préfère attendre mon heure, j'attendrai. ARTHUR. Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter. Les rivales ne sont pas à craindre. MADEMOISELLE DUPONT. C'est vrai. ARTHUR. [Note : Théâtre de l'Odéon : Situé en face du Sénat, il est un des lieux qui fut occupé par la Comédie Française.]Une idée! Prenez la première place à l'Odéon. MADEMOISELLE DUPONT. Peuh ! Vous connaissez Duquesne! ARTHUR. Si jolie et si grande artiste, vous devriez être la première aux Français. MADEMOISELLE DUPONT. Si jolie, oui. Grande artiste, peut-être ! Deux raisons pour être suspecte. Et pourtant. ARTHUR. Bah ! Comme si on ne ne vous l'avait pas dit mille et mille fois ? - Les journaux. MADEMOISELLE DUPONT. Les journaux disent bien des choses. ARTHUR. Eh ! Ils disent aussi que vous avez du talent plus que tout le monde, ce n'est pas là leur tort. Au public. Tout à l'heure je vous recommanderai mon marchand d'encens. J'en use, allez. Mais c'est là le truc de Butenblanc. MADEMOISELLE DUPONT. Vous qui avez l'air d'un travailleur, me trouvez-vous la tête tragique, au besoin ? ARTHUR. Oh ! Je suis bien à l'aise pour en parler. Je vous ai vue encore avant-hier dans la Comtesse de Lausanne, vous m'avez fait frémir. Quand vous arrivez là, au troisième acte. MADEMOISELLE DUPONT, s'animant. Avec le commandant blessé... ARTHUR. Oui, la main sur la balustrade de la fenêtre, et tenant votre robe blanche par le coin... MADEMOISELLE DUPONT. J'ai les cheveux défaits comme ceci. Elle secoue violemment ses cheveux qui tombent sur ses épaules. ARTHUR, à part. Mazette ! Poursuivant.Oui.. et quand vous dites : « L'assassin n'est pas loin d'ici, je vous le montrerai tout à l'heure. » Oh ! À ce moment, vous savez, je ne sais si vous voyez ça de la scène... MADEMOISELLE DUPONT, se rapprochant. Oh ! Oui. ARTHUR. Mais il y a dans la salle un trépignement d'émotion. À part. Menteur, va ! MADEMOISELLE DUPONT. Voilà un rôle, Monsieur, comme vous devriez m'en faire. ARTHUR. Jamais on ne joue comme ça de nos jours. C'est fini. Dumas n'écrit-il pas quelque chose pour vous ? MADEMOISELLE DUPONT. [Note : Desclée, Aimée Olympe (1836-1874) : comédienne tragique réputée et interprète d'Alexandre Dumas. ]Oui. Avec nos deux natures, nous ferons quelque chose. Comment trouviez-vous Desclée ? ARTHUR. Superbe. Et vous ? MADEMOISELLE DUPONT. Moi aussi. Vous ne trouvez pas que dans la Princesse Georges, que l'Art moderne a empruntée au Gymnase, je... ARTHUR. Oh ! C'est frappant. La scène de la fin, vous la jouez comme elle, mais tout à fait comme... MADEMOISELLE DUPONT, l'interrompant. Non pas, avec une tout autre intonation. Dumas en est ravi ! ARTHUR. C'est ce que je veux dire ! À part.Aïe ! Rachetons l'impair ! À mademoiselle Dupont.Mais avec plus de génie dramatique, si je peux m'exprimer ainsi. À part.Voilà qui est fait. MADEMOISELLE DUPONT. Oui. À part.Il me plaît, à moi, ce jeune-homme là. ARTHUR. Pour moi, je le répéter vous devriez être aux Français depuis longtemps. Je le disais l'autre jour à Butenblanc. MADEMOISELLE DUPONT. Laissez donc Butenblanc, est-ce qu'il sait ce qu'il écrit, seulement ? C'est un farceur. Est-ce que les journalistes connaissent quelque chose à notre talent ? ARTHUR, poursuivant ton idée. Avant peu, allez, vous y serez, et sociétaire encore... Sociétaire... MADEMOISELLE DUPONT. Ah ! Si l'on avançait selon ses mérites. ARTHUR, avec hauteur. Quand je vois la critique accorder tous ses lauriers à Sarah Bernhardt, à Pasca. MADEMOISELLE DUPONT, de même. À Pierson... ARTHUR, de même. À Marie Laurent. MADEMOISELLE DUPONT, riant. À mademoiselle Bartet ! Et à madame Judie ! Moi ça me fait rire. ARTHUR, riant, laisse tomber son manuscrit. C'est simplement comique !... Oh ! Mon manuscrit. MADEMOISELLE DUPONT, le ramassant en riant. Tiens ! Il est à mes pieds. ARTHUR, voulant le reprendre, sans effort cependant. Cruelle ! Comme on disait au grand siècle, vous l'avez si bien évincé ! Vous auriez pourtant donné du caractère à ce rôle-là. Tenez. MADEMOISELLE DUPONT. Elle l'ouvre.Oui, je sais, il y a ce passage de la lettre. C'est bien écrit, tout cela. Vous avez du talent. ARTHUR, montrant du doigt. [Note : Dolman : Veste à manches faisant partie de l'uniforme des hussards. [L]]Ici. Comme vous seriez belle, là, en dégrafant le dolman de l'Invalide, pour montrer au général la cicatrice de Balaklava. Et remarquez que la note rieuse, que vous possédez à un si haut degré, y est aussi. La scène quatrième serait un chef-d'oeuvre de gaieté, dite par vous. MADEMOISELLE DUPONT. Vous avez une nature dans le genre de la mienne, vous. Je trouve que le rôle de l'officier est trop développé. ARTHUR, à part. L'encensoir est cassé sur le nez de l'artiste. À Mademoiselle Dupont. Le rôle de l'officier ? Je le coupe ! MADEMOISELLE DUPONT. Voilà déjà une concession. Je vais me laisser fléchir, mais mon rôle, à moi, commence trop tard. ARTHUR, même jeu. Je le coupe ! Se reprenant. Sapristi ! Je le rallonge. Je vous mets une tirade à la première scène. Comment, vous qui avez la carrière de Rachel devant vous (ça prend, Butenblanc,) vous refuseriez un rôle écrit spécialement pour vous ! À part.Menteur MADEMOISELLE DUPONT. Pour moi ! Vous l'avez écrit spécialement pour moi ? ARTHUR. Mais certainement. Est-ce une autre que la Princesse Georges ; que la dramatique comtesse de Lausanne et l'amusante héroïne du Bourgeois philosophe que j'aurais visée dans le Pont des Saints-Pères. MADEMOISELLE DUPONT, fièrement. On va me faire des rôles maintenant ! ARTHUR. Mais oui. Ah ! Il faudrait un Molière ou un Corneille pour bien appliquer à votre nature un caractère profondément étudié, quelque chose de grand, de nerveux, comme votre admirable tempérament, quelque chose... MADEMOISELLE DUPONT. [Note : Fargueil, Anaïs (1819-1896) : Fille d'un comédien toulousain, comédienne de l'Opéra comique puis du Vaudeville.]De large, de sonore. Je serais bien dans Patrie, tenez, et je vous jouerais ça autrement que Fargueil. ARTHUR. Et dire qu'avec un mot tombé de vos lèvres, le père Barbarin qui est beaucoup votre... ami... MADEMOISELLE DUPONT. Chut. ARTHUR, câlin. ... Recevrait le petit manuscrit en un acte de ce pauvre petit du Hourdel. Avec emphase.Je grandis ! J'arrive ! Je suis arrivé ! Et qui me protège ? La grande artiste, Marie Dupont ! C'est pourtant ainsi qu'une femme éprise de son art, incomparable, comme vous, fait avancer la littérature de son siècle ! À part. C'est fini, elle n'y tient pas. Ô modestie humaine ! MADEMOISELLE DUPONT. Vous devenez flatteur. ARTHUR. Mais non. Je continue à rester dans la vérité. MADEMOISELLE DUPONT, à part. C'est vrai. ARTHUR. Oui, c'est vrai ! Voyez, je ne vous dis pas vous êtes belle, et pourtant. MADEMOISELLE DUPONT, à part. Il est très gentil. Voilà un garçon qui comprend mon genre de talent, au moins ! ARTHUR. Mais je bavarde. Je vais prendre congé de vous. MADEMOISELLE DUPONT, retenant le manuscrit. Partez, soit, mais laissez-moi ceci. Je vais le donner à Barbarin ce soir-même. Revenez me voir, nous causerons souvent ainsi. Vous le voyez, j'aime tant à parler du talent des autres. ARTHUR, à part. Je crois bien. Haut.Il le recevra ? MADEMOISELLE DUPONT. Barbarin ! Mais il est reçu !... Venez demain à trois heures, je vous en confirmerai la nouvelle, jeune poète, et nous fixerons le jour de la première. ARTHUR. Oh ! Que vous êtes bonne ! Mais votre bonté n'égale pas votre talent. MADEMOISELLE DUPONT, lui donnant sa main à baiser. Demain, à trois heures. Et vous viendrez à mes petites soirées. On fait de la musique, vous verrez. Au revoir ! ARTHUR. Au revoir ! Seul?Butenblanc, tu es un génie ! Au public.S'il est dans l'auditoire un jeune auteur qui veuille se faire jouer, ce n'est pas plus malin que ça. Je lui livre le truc, avec la manière de s'en servir. Pour moi je n'en veux pas d'autres désormais... Le manuscrit chez le concierge, merci C'est trop bête !... Il va pour sortir, puis se ravise.Ah ! J'oubliais mon marchand d'encens est un homme charmant. Il demeure, 15, rue des Lombards. ==================================================