******************************************************** DC.Title = SÉMIRAMIS, TRAGÉDIE. DC.Author = GILBERT, Gabriel DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:13:35. DC.Coverage = Irak DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GILBERT_SEMIRAMIS.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71583j/f1.image DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SÉMIRAMIS TRAGÉDIE Représentée par la Troupe Royale. M. DC. XLVII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. De Gilbert. À Paris, Chez AUGUSTIN COURBÉ, dans la petite Salle du Palais, à la Palme. Représenté pour le première fois en 1645. MADAME, Si l'ouvrage que je prends la liberté de vous dédier, à un heureux succès à la Cour, c'est à vous que j'en suis redevable. On savait que j'avais l'honneur d'être à votre service ; Et on a cru favorablement pour moi, qu'une Personne, qui avait l'avantage de vous entendre dire tous les jours d'excellentes choses, n'en pouvait dire de mauvaises. Mais si cette seule pensée m'a causé tant de bonheur, j'espère, MADAME, que l'en aurai encore un plus grand, quand on saura que cette pièce est honorée de votre estime, et quand on la verra paraître sous votre protection. Votre approbation particulière me fera obtenir celle du Public ; Et je ne dois pas craindre de rencontrer des Censeurs équitables, ni que la raison me soit contraire, puisque vous vous êtes déclarée pour moi. C'est avec beaucoup de justice que l'on a cette déférence pour un jugement si net et si solide que le vôtre. Vous ne vous êtes pas contentée que le Ciel vous ait fait naître avec un esprit admirable, vous l'avez cultivé avec soin, et avez voulu joindre les connaissances acquises aux lumières naturelles. Vous vous êtes perfectionnée dans le pays des beaux-arts et de la politesse ; Et vous avez connu par la lecture et par les voyages, l'ancienne et la nouvelle Italie. Il n'y a point de Royaume dans le monde, dont vous n'ayez connaissance. Toutes les Cours étrangères n'ont rien de remarquable, que vous ne sachiez aussi bien que ce qui se passe à la Cour de France ; Et vous n'avez vu dans les histoires toutes les Dames Illustres des autres siècles que pour les surpasser, et pour en faire voir une en nos jours plus merveilleuse et plus accomplie. Il n'y a personne, MADAME, qui ait une science si parfaite que vous, des affaires du grand Monde, qui ait tant de charmes dans la conversation, ni qui sache si distinctement toutes les lois de la bienséance. Votre Génie est adroit et judicieux, et possède toute la délicatesse de votre sexe, et toute la force du nôtre. Si l'on ne donnait des louanges qu'à votre esprit, MADAME, l'on vous ferait quelque sorte d'injure ; puisque l'on oublierait vos principales perfections : Vous n'êtes pas seulement la plus spirituelle Princesse du monde, mais la plus civile et la plus généreuse. Toutes ces rares qualités vous ont rendue la digne fille et la digne femme des deux plus fameux Héros de cet Empire, du plus sage Politique, et du plus grand Capitaine. Si l'un savait gagner les bonnes grâces des Rois, l'autre en faisait ses Admirateurs ; Et ces deux grands Personnages, qui possédaient en un souverain degré la Prudence et la Valeur, en traitant alliance l'un avec l'autre, ont voulu allier les vertus civiles avec les miliaires : Mais ils avaient besoin d'une Personne accomplie, comme vous êtes, pour être le lien d'une si noble union ; Et qui eut, comme vous avez la générosité et la douceur, pour accorder ensemble, et la guerre et la paix. Ce vaillant Prince, à qui un Père prudent avait attaché votre destinée, trouva en vous, MADAME, une Compagne magnanime, qui ne prit pas moins de part à ses peines et à ses ennuis, qu'à sa réputation et à sa gloire ; Votre grand coeur a toujours secondé les nobles mouvements du sien ; Et vous avez courageusement méprisé les craintes et les dangers, qui eussent été redoutables à toutes les personnes de votre sexe, toutes les fois que vos soins et votre adresse ont pu lui faire éviter quelque mal, ou lui procurer quelque bien. Ces sentiments qui ne se rencontrent jamais que dans les âmes héroïques, et dont la vôtre a toujours été remplie, ont obligé Sémiramis à vous rendre hommage, et à vous faire voir un crayon de votre vie dans ses éclatantes actions. Les hommes qui écrivent d'ordinaire les histoires à leur avantage, n'ont pu s'empêcher d'avouer qu'aucun Prince n'a égalé cette Auguste Reine, ni en prudence, ni en valeur. Elle n'a pas suivi les Héros, elle les a devancés, et par le temps, et par ses exploits : Elle a montré aux Conquérants qui ne sont tous venus qu'après elle, comme il fallait s'immortaliser. Par sa beauté et par son courage, elle conquit tous les Empires. Ce serait une trop faible louange de la louer de ce qu'elle bâtit les murs de Babylone, quoi qu'ils aient passé pour une des sept merveilles du monde : Il faut plutôt dire, qu'elle-même a été une des plus grandes merveilles que l'on ait jamais vues sur la terre. Enfin rien n'aurait manqué à sa félicité, non plus qu'à sa gloire, si la mort du vertueux Ménon son Epoux, et sa fécondité malheureuse n'eussent causé ses disgrâces. Mais la fortune, qui est jalouse et superbe, et qui ne peut souffrir que les personnes extraordinaires soient heureuses ici-bas, a voulu s'opposer à son bonheur, et vaincre celle qui avait toujours été invincible. Elle lui fit des ennemis de ceux qui lui étaient les plus obligés ; Elle les choisit de son sang même, et lui donna le déplaisir de voir ses plus signalés bienfaits payés d'une extrême ingratitude. Ce sont les tristes accidents qui suivirent le veuvage de cette Héroïne, selon les Historiens qui nous ont fait le portrait de sa vie. Il est aisé de voir, MADAME, qu'il vous ressemble en beaucoup de choses ; Et l'on serait en peine de savoir, s'il aurait plutôt été fait pour elle, que pour vous, si vous eussiez été tous deux d'un même siècle ; et si elle vous eut aussi bien ressemblé par la douceur et par la bonté que vous lui ressemblez par ses vertus et par ses infortunes. Comme vous avez les bonnes qualités, MADAME, sans avoir les mauvaises, vous devez espérer que la suite de vos jours sera plus heureuse que ne fut celle des siens ; Et que la Justice du Ciel ne vous abandonnera pas aux outrages de la fortune. La Providence a déjà fait des miracles pour vous, en conservant ce que vous avez de plus cher au monde ; Elle ne laissera pas son ouvrage imparfait ; Elle fera fleurir désormais avec vos espérances, celui dans lequel vous les renfermez : Ce sont vos uniques souhaites, et les voeux les plus ardents. MADAME, De votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, G. Gilbert LES ACTEURS NINUS, Roi d'Assyrie. SOSARME, sa fille. MÉNON, favori de Ninus. SÉMIRAMIS, femme de Ménon. BARSINE, Confidente de Sémiramis. CTESIPHONTE, ami de Ménon. CAMBISE, satrape. PHORBAS, satrape. ORONDATE, satrape. La scène est à Ninive, dans le Palais du Roi. ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE. Sosarme. Orphise. SOSARME. Ah que j'ai de soucis, que j'ai d'inquiétude, Orphise, chère Orphise, ah que le Ciel m'est rude,Mon esprit accablé d'un nuage d'ennuisDe mes jours les plus beaux se fait de tristes nuits. ORPHISE. Vous avez des soucis, vous dont la gloire brille, Vous qui du grand Ninus êtes l'illustre fille,Du successeur de Bel adoré dans ces lieux,Vous qui sortez du Sang, et des Rois, et des Dieux,Vous pour qui la fortune en miracles seconde Doit vous faire hériter de l'Empire du monde. SOSARME. Les mauvais par les grandeurs ne sont pas adoucis,Plus l'on est élevé, plus on a de soucisLa fondre rarement tombe aux rases campagnes, Elle gronde au sommet des plus hautes montagnes,Et la calamité qui donne à tous des Lois Prend plaisir à marcher sur la tête des Rois. ORPHISE. Ce qui peut arriver, n'est pas toujours à craindre, Mais quel sujet encore avez-vous de vous plaindre ? SOSARME. Le Roi mon père absent me fait craindre un malheur. ORPHISE. Il reviendra bientôt tout éclatant d'honneur, Craignez-vous Zoroastre, et qu'un Roi de Bactrie,Ose attendre au combat le grand Roi d'Assyrie. SOSARME. Zoroastre est rempli de prudence et de coeur,Des Princes ses voisins, il s'est rendu vainqueur,Le Ciel qui le chérit dans l'avenir l'éclaire. ORPHISE. Il connaît les destins, mais Ninus les sait faire,Rien ne peut résister à ses nobles travauxDes Rois les plus puissants, il en fait ses vassaux,Aux plus lointains climats il va porter la guerre,Pour se faire un Empire aussi grand que la terre, Sa valeur veut remplir, et de crainte, et d'amourToutes les nations qui respirent le jour. SOSARME. Des courriers me devraient avertir de sa gloire. ORPHISE. Il n'en fait point partir qu'après une victoire, Et son illustre main ne remplit ses écrits Que de noms des États que son courage a pris. SOSARME. De là naissent aussi mes peurs continuelles : Car s'il était vainqueur, j'en saurais des nouvelles. De tristes visions me troublent le repos. ORPHISE. Ah votre crainte offense un si fameux héros, Sa valeur loin de lui détourne les tempêtes ;Et tandis que pour vous il étend ses conquêtes, Qu'il soumet à ses lois les vaillants Bactriens,Régnez, régnez en paix sur les Assyriens,Adoucissez l'ennui de sa cruelle absence, Par l'éclat glorieux qui suit votre régence :Mais Ctésiphonte vient dissiper votre effroi,Il vient vous apporter des nouvelles du Roi. SCÈNE II. Sosarme. Ctesiphonte. Orphise. SOSARME. Ah qu'il vient à propos ! Approche Ctésiphonte,Dissipe promptement l'ennui qui me surmonte, Dis, si le Roi mon père est vivant et vainqueur,Dis-moi pour adoucir les tourments de mon coeurTout ce qui s'est passé dans cette illustre guerre. CTESIPHONTE. Mon Prince ayant armé la moitié de la terre,Les habitants du Nil, les Éthiopiens, Les Mèdes, les Persans, et les Assyriens,L'amas prodigieux de ces troupes guerrières,Tarissait en passant les lacs et les rivières,La terre qu'il rendait déserte d'animaux Gémissait sous le poids des chars et des chevaux : Ninus qui conduisait cette superbe armée,Ayant fait devant lui voler la renommée, Vient fondre en la Bactrie, ainsi qu'un fier torrent, Il remplit tout de crainte et marque en Conquérant. Zoroastre l'attend dans la plaine de Bactre, Pour vaincre ou pour mourir, il s'apprête à combattre,Il couvre tous ses champs de bataillons épais,Il attend de son bras la Victoire et la Paix.Pour réduire bientôt ses projets en fumée,Le Roi fait en bon ordre avancer son armée, Au corps de la bataille il met Sémiramis,Il s'oppose lui-même au Chef des Ennemis,Afin de le combattre, il choisit l'aile droite,Et veut rendre en sa mort la Victoire parfaite. À l'aile gauche il met le généreux Ménon, (Ce Héros, qui partout fait éclater son nom :)Le signal de bataille en même temps se donne, De trompettes, de cris, l'air agité résonne,On se choque, on commence un combat furieux,Des nuages de dards obscurcissent les Cieux, À tuer son semblable ici chacun s'applique,Soldat contre soldat, et qui contre pique,Le char contre le char, ils font tous leurs efforts,En foule les vivants descendent chez les morts,Tous les Assyriens aux yeux de leur Monarque, Veulent de leur vertu donner plus d'une marque,Les Ennemis de même en présence du lieu,Tâchent par leurs exploits à montrer leur valeur :Ninus enfin honteux de cette résistance,Et de voir si longtemps la victoire en balance, Marche plein de fureur avec la fleur des siens,Et rompt les Escadrons de vaillants Bactriens,Par le nombre des morts tous leurs rangs s'éclaircissent,Des ruisseaux de leur sang, les Campagnes rougissent, Dans la nécessité Zoroastre réduit, Lui cède la victoire et vers Bactre s'enfuit ;Ninus qui dans ce jour veut terminer la guerre,La poursuit dans son char qui vole sur la terre,Suivant trop ardemment ce Roi des Bactriens,Sans voir qu'il n'est suivi que de fort peu des siens, Dont la plupart déjà s'amusait au pillage ;Zoroastre qui voit jusqu'où Ninus s'engage, Rassemble des fuyards grand nombre en un moment,Le Bactrien rompu se rallie aisément,Dans un gros Escadron ce Roi plein de furie, Voulant venger sa honte et celle de Bactrie,Vient fondre sur Ninus, et sans perdre de temps, Il attaque et défait ses meilleurs combattants,Tue Arsame et Cyrus, les deux chefs de la Perse,Et de son char, le char de Ninus il renverse. SOSARME. Ah mon auguste père, en cette extrémité,Aura perdu le jour ou bien la liberté,Sans doute, il ne voit plus la lumière céleste ;Mais poursuis Ctésiphonte, un récit si funeste. CTESIPHONTE. Alors, mais le Roi vient. SCÈNE III. Sosarme, Ninus, Cambise, Ctesiphonte, Orphise. SOSARME. Ah Dieux ! Il n'est pas mort, Son triste front fait voir son déplorable sort,Mais allons l'aborder, Seigneur, c'est me surprendre,Ah je ne devais pas en ces lieux vous attendre. NINUS. Je connais ton respect, n'en sois pas en souci,Et c'était mon dessein de te surprendre ainsi, Je n'ai point souhaité l'honneur dont je me prive,Et j'ai voulu sans pompe entrer dedans Ninive,L'éclat s'accorde mal avec les déplaisirs,Et les chants de triomphe avecque les soupirs. SOSARME. Seigneur, consolez-vous, c'est le sort de la guerre, Après avoir conquis presque toute la terre,Rangé dessous vos lois tant de fameux États,Forcé tant de Cités, donné tant de combats,Vous ne perdez par tout pour perdre une victoire ;Un jour n'obscurcit pas tant de jours pleins de gloire, Vous pouvez vaincre encor ce vainqueur glorieux. NINUS. Je ne suis pas vaincu, je suis victorieux,Je ne survivrais pas un moment à ma honte !Qui t'a fait ce discours, SOSARME. Seigneur, c'est Ctésiphonte,Il m'a fait le récit de ce qui s'est passé, Et comme votre Char par malheur renversé, Vous aviez éprouvé la fortune funeste. NINUS. Ctésiphonte, pourquoi n'as-tu pas dit le reste ? CTESIPHONTE. Votre retour, Seigneur, ne me l'a pas permis. NINUS. J'ai malgré le malheur vaincu mes ennemis, Je triomphe ma fille. SOSARME. Ah Dieux ! Le puis-je croire ? NINUS. Mais apprends d'où procède et ma crainte et ma gloire.Mon char étant tombé, comme tu l'as appris, Sans laisser à la peur accabler mes esprits :Je vais à Zoroastre ; ardent, plein de colère, Son fils fait de son corps un bouclier à son Père, Et ce jeune Héros rempli de piété,Perd le jour pour celui dont il tient la clarté,Zoroastre voulant venger un fils unique,Montre en son désespoir un courage héroïque, Et le nombre des siens secondant sa valeur,J'allais dans son combat succomber au malheur, Lorsque Sémiramis d'une course soudaine, Paraît dessus son char qui traverse la plaine,Cette illustre beauté voulant sauver son Roi, Dans des torrents de sang passe jusques à moi :Comme moi, Zoroastre oubliant sa vaillance,Tous deux également surpris de sa présence,Tous deux pleins de merveille et pleins d'étonnement,Dessus elle arrêtons nos regards fixement, Tandis que j'admirais cette illustre guerrière,Dont l'oeil brillait parmi le sang et la poussière,Un trait mortel lancé de sa vaillante main,Va droit à Zoroastre, et lui perce le sein, Ainsi sur mon vainqueur remportant la victoire, Elle sauve ma vie, et rétablit ma gloire. SOSARME. Êtes-vous affligé qu'une Sémiramis,Triomphe au lieu de vous du Chef des Ennemis,Qu'elle ait de ce héros hâté les funérailles,Quoiqu'un sujet soit brave, et gagne des batailles, Son nom dans l'Univers ne fait que peu de bruit,Son Prince en a toujours, et l'honneur, et le fruit. NINUS. Pour une autre raison mon triste esprit soupire. SOSARME. N'auriez-vous point perdu l'honneur de votre Empire, La fleur de vos guerriers, votre cher favori, Ménon dans le combat serait-il péri. NINUS. Non, suivant les fuyards d'une ardeur sans égale, Il a pris Bactre encor leur ville capitale,Ainsi par sa prudence, et ses vaillants exploits, Il soumit en un jour un Royaume à ses lois, Et son courage achève, achevant cette guerre,De conquérir pour moi l'Empire de la terre. SOSARME. Vous triomphez en guerre, et vous régnez en paix,Et le Ciel vous élève au-dessus des souhaits,Pourquoi donc aux douleurs vous livrez-vous en proie, Je ne vois rien ici que matière de joie,Les Destins vous ont fait Maître de l'Univers,Après tant de bonheur craignez-vous un revers ? NINUS. Oui, je crains un revers à ma race funeste,D'une oreille attentive écoute donc le reste, Je ne puis rien cacher à ton esprit discret,De Cambise j'ai su cet important secret. Lorsque Sémiramis éclatante de gloire,Eut dessus Zoroastre emporté la victoire,Et que ce grand Monarque en son dard vainqueur, Reçut le coup mortel qui lui perça le coeur,Elle le fit porter aussitôt dans sa tente,Où Ménon se trouva : là d'une voix mourante,Avant que de finir la trame de ses jours,Zoroastre leur tint cet important discours. J'ai prévu dès longtemps ma triste destinée,J'ai su que deux amants joints du noeud d'Hyménée,Me raviraient un jour le sceptre et la clarté,J'obéis sans murmure à la nécessité, Écoutez bien tous deux ce que je vais vous dire. Mes vainqueurs règneront dedans mon vaste Empire,Mais l'un de vous aura plus d'un sceptre en ses mains,Et dois dessus ses lois ranger tous les humains,Achevant d'annoncer leur gloire et mon désastre,La mort ferma la bouche au divin Zoroastre. ORPHISE. Quelle prédiction. NINUS. Elle s'adresse à moi,Je serais sans raison, si j'étais sans effroi. SOSARME. Peut-on sur Zoroastre établir sa créance, Et sur son art douteux fonder de l'assurance ? NINUS. Il avait un esprit sublime et glorieux, Qui savait pénétrer dans les secrets des Dieux,S'il prévit qu'il perdrait la vie et la victoire,S'il a prévu sa honte, il peut prévoir leur gloire,Et perçant l'avenir, voir avec le même oeil, Mes sujets sur mon trône, et lui dans le cercueil. Voilà, ma fille, enfin ce qui me met en peine,Voilà, voilà, d'où naît mon amour et ma haine, Par ces vaillants Epoux l'ornement de ma Cour,Je règne où se commence et s'achève le jour,Ils m'ont fait triompher, et d'Afrique, et d'Asie, Je dois à leur courage, et la gloire, et la vie,Mais je leur dois des biens qu'ils me doivent ravie, Ils menacent celui qu'ils viennent de servir : Le destin rigoureux leur promet mon Empire ;Et leur bonheur trop grand contre leur Roi conspire. J'ai de l'amour pour eux comme libérateurs,J'ai de la haine aussi pour des usurpateurs, J'ai pour eux de l'estime, et pitié de moi-même,Je ne puis être ingrat, ni perdre un Diadème,Et mon esprit douteux ne fait que balancer, Si je les dois punir ou les récompenser :Mais il faut qu'à loisir mon âme se libère.Toi que le sang attache aux intérêts d'un père,Toi que mon trône attend, songe de ton côtéÀ détourner les traits de la fatalité. SCÈNE IV. Sosarme. Orphise. SOSARME. Orphise maintenant condamnes-tu ma crainte,Ai-je troublé le Ciel par une injuste plainte,Si je me suis trompée en répandant des pleurs,C'est que ma peur était moindre que mes malheurs. ORPHISE. Non non, le Roi prudent, plus fort que les présages, Saura loin de sa tête écarter les orages,Il se conservera son sceptre et son renom. SOSARME. Hélas ! Je plains mon père, et plains aussi Ménon. Je souffre doublement, l'un et l'autre me touchent,Tous deux ils font sortir des soupirs de ma bouche : J'ai pour le Roi mon père une sainte amitié, Et Ménon dans mon coeur excite la pitié. ORPHISE. N'est-ce que la pitié qui vous émeut, Madame,N'auriez-vous point pour lui quelque autre soin dans l'âme,Quand Ninus a parlé de le faire mourir, Je vous ai vue pâlir, et jeter un soupir. SOSARME. Ah je crains que mon père obscurcisse sa gloire, En perdant pour régner l'auteur de sa victoire. ORPHISE. D'autres soucis encor vos esprits sont touchés, Et votre coeur m'a dit ce que vous me cachez, Vous chérissez Ménon. SOSARME. Depuis ma tendre enfance,Je n'entends publier que sa haute vaillance, Son bras victorieux dès ses plus jeunes ansA conservé Ninive, et tous ses habitants, Des fiers Égyptiens rendant leur Cité libre ; Il a forcé le Nil à rendre hommage au Tigre. Portant plus outre encor ses glorieux exploits,De l'Asie, et de l'Inde il a vaincu les Rois ; Par lui Ninus triomphe, il fait que l'on l'adoreDes champs Assyriens jusqu'aux champs de l'Aurore. Ce Héros, comme Esclave enchaîne le Bonheur,Ses autres qualités égalent sa valeur,Son esprit est divin, et sa prudence brille, Contre tant de vertus, qu'eut pu faire une fille ? Celui qui de cent Rois s'est rendu le vainqueur, Qui prit tant de Cités, pouvait bien prendre un coeur,Sans régner sur mes sens il régnait en mon âme,Je n'osais souhaiter de devenir sa femme ; Et croyant un sujet trop indigne de moi,Je me plaignais au Ciel qu'il n'était pas né Roi. ORPHISE. Vous l'aimez toutefois ; SOSARME. Mais avec bienséance,Je séparais de lui, sa gloire, et sa vaillance,Ses vertus devenaient l'objet de mes désirs, Pour elles seulement je poussais des soupirs, Il m'embrasait l'esprit sans le rendre coupable, Et j'aimais, sans l'aimer, ce qu'il avait d'aimable :Mais Orphise aujourd'hui, que tout brillant d'honneur,Avec des traits plus forts il attaque mon coeur ;Que pour lui les Destins ont ôté les obstacles ;Qu'en sa faveur le Ciel fait parler les Oracles ; Que la gloire des Rois le doit environner,Et que les mains des Dieux le doivent couronner :Je crois que ce Héros est digne de ma flamme,Je voudrais désormais pouvoir être sa femme ;Et l'honneur dans mon sein allume cet amour, Pour savoir à mon Père, et l'Empire, et le jour,En épousant Ménon par un saint Hyménée,J'accorderais l'Amour avec la Destinée, D'un père mon époux le successeur.Ah que cette pensée a pour moi de douceur : Oui cet illustre Hymen, cette heureuse allianceDétournerait du Ciel la fatale influence,Et changerait l'aspect des astres ennemis :Mais l'Hymen joint Ménon avec Sémiramis. ORPHISE. Ménon pourra bien faire un divorce avec elle. SOSARME. Mais il l'aime ardemment, elle est vaillante et belle. ORPHISE. Pour monter sur le Trône où vous devez monter, Quelques appas qu'elle ait il pourra l'acquitter,Avant que l'épouser il adorait vos charmes : Mais le respect cachait ses soupirs et ses larmes, Votre fière rivale a séduit ses esprits,Vous lui pouvez ravir ce qu'elle vous a prisPour le bien de l'État, c'est un coup nécessaire. SOSARME. Ah que je voudrais bien pouvoir sauver mon père. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. SÉMIRAMIS. Mon coeur est combattu de crainte et d'espérance, Diverses passions le tiennent en balance,Les Cieux me sont amis, et me sont ennemis, Et les biens, et les maux sont pour Sémiramis,Ensemble j'ai d'heureux et malheureux présages,Je vois des jours sereins, et des jours pleins d'orages, Mes songes le matin tout brillants de clartés,Ne m'annoncent que gloire et que félicité ?Mais hélas ! Ceux du soir aux autres tout contraires,Ne me prédisent rien que d'affreuses misères,Venant du Temple encor de rendre grâce aux Dieux, Je les viens d'éprouver, et doux, et furieux,Comme si j'exerçais les vertus et les crimes : Faisant sur leurs Autels immoler deux victimes,L'une était pour Ménon, et l'autre était pour moi, Pour la prise de Bactre, et le salut du Roi, D'un regard curieux observant les entrailles, L'une des deux sans coeur parlait de funérailles,L'une sainte au-dedans promettait du bonheur,L'une perdit la joie, et l'autre la douleur,Les Devins étonnés de me savaient que dire, Le Ciel même aujourd'hui semble se contredire,Les Dieux sont divisés pour ma gloire et ma mort,Et les Destins entre eux ne sont pas bien d'accord. BARSINE. Les songes les plus clairs, les devins, les augures,Nous trompent tous les jours dans les choses futures, Ces secrets seulement sont écrits dans les Cieux,Votre salut importe à la gloire des Dieux,Vos vertus vous ont mise à l'abri du tonnerre,Et vous ne craignez rien du côté de la terre,Vous faites un Amant de votre illustre époux. Il n'est point de Héros qui ne brûle pour vous,L'Asie est toute en feu : dirai-je plus encore ? Vous embrasez Ninus, et le Roi vous adore :Il veut que ses sujets tremblent à votre aspect,Et lui-même souvent vous rend tant de respect, Que tous ses Courtisans dans sa Cour sont en peineS'il est Roi d'Assyrie, ou Sémiramis Reine :Il semble que déjà le Destin accomplit Tout ce que Zoroastre en mourant a prédit. SÉMIRAMIS. Cette prédiction rend le Roi triste et sombre, À peine avecque lui peut-il souffrir son ombre,Au milieu de la gloire, au milieu des plaisirs,Les yeux vers moi tournés il pousse des soupirs,Et de la passion ne me vient plus rien dire. BARSINE. Madame, il aime encor, puisque son coeur soupire. SÉMIRAMIS. Non, son amour vaincu cède à l'ambition !Régner est désormais sa seule passion. BARSINE. Vous vous êtes montrée envers lui trop sévère,Vous craignez son amour, mais craignez sa colère,Il fallait endurer qu'un Roi vous fît la cour. SÉMIRAMIS. Il fallait endurer qu'il me parlât d'amour,Mon honneur éclatant eut souffert cette tache,À quelque autre qu'à moi donne un conseil si lâche,Ma vertu qui bâtit sur d'autres fondements Cherche des ennemis, et non pas des Amants, La mort, et non l'amour, doit établir ma gloire,Je veux sur tous les Rois remporter la victoire,Je veux ouvrir leur tombe, et leur fermer mon coeur,Et que mon seul époux en demeure vainqueur,Hymen a sous les lois nos âmes asservies, Et fait d'un seul Destin dépendre nos deux vies,Le Ciel nous fait époux, et la Raison Amants :Nous partageons la peine et les contentements,Quand parmi les périls la guerre nous attire,Lorsque l'un est blessé, c'est l'autre qui soupire : Mais d'un fer ennemi si l'un est outragé,Dans le même moment par l'autre il est vengé. D'un bout du monde à l'autre au milieu des batailles,Nous cherchons même gloire, ou même funérailles,Et le pouvoir d'un Roi ne séparera pas, Ceux qui veulent s'unir jusqu'après le trépas :Mais j'aperçois Ninus, évitons sa présence. BARSINE. Recevez son hommage, et craignez sa puissance. SÉMIRAMIS. Et bien je l'attendrai sans flatter son espoir,Quoi qu'il puisse arriver, je ferai mon devoir. SCÈNE II. Ninus, Semiramis. NINUS. Belle Sémiramis, adorable Héroïne, Dont la grâce est céleste, et la force divine, On me pourrait compter au nombre des ingrats,Si je ne vous offrais mon Trône, et mes États,Si je ne partageais avec vous ma couronne, Et ne vous consacrais ma vie, et ma personne. SÉMIRAMIS. C'est offre me surprend, Seigneur, c'est trop pour moi,Je suis votre sujette, et dois tout à mon Roi. NINUS. Vous avez dessus lui remporté la victoire, Il sera votre prix aussi bien que la gloire : Oui, vous avez vaincu le Monarque des Rois,Ma voix, et mes soupirs vous l'ont dit mille fois : Mais, Madame. SÉMIRAMIS. Seigneur, finissez ce langage,Mon honneur me défend d'en ouïr davantage. NINUS. Ninus vous veut aimer en qualité d'époux. SÉMIRAMIS. Si je suis à Ménon, je ne puis être à vous. NINUS. De ce fatal Hymen je puis rompre la chaîne,Et par de nouveaux noeuds vous faire épouse et Reine, Chez les Assyriens le divorce est permis,Et Ninus peut sans crime aimer Sémiramis. SÉMIRAMIS. Dieux ! NINUS. Si vous consentez à ce noble Hyménée,En me rendant heureux vous serez fortunée,Si c'est trop peu pour vous que des honneurs mortels,Je veux faire fumer l'encens sur vos Autels. SÉMIRAMIS. L'encens n'appartient pas aux personnes mortelles. NINUS. La couronne sied bien dessus le front des belles,Bannissez tout scrupule en recevant ma foi,Et quittez un sujet pour épouser un Roi. SÉMIRAMIS. Quitterais-je celui qui dès que je suis néeA pris soin de ma vie et de ma destinée, L'étang près d'Ascalon, dont on fit mon berceau,Sans sa main secourable eut été mon tombeau,Et les oiseaux du Ciel dans ma triste aventure, Sans lui m'auraient en vain donné la nourriture ;Quitterais-je celui qui m'ôte au monument, Qui de libérateur devint parfait amant,Qui de parfait amant s'est fait époux fidèle, Dont le temps n'éteint point, ni l'amour, ni le zèle, Que vous-mêmes nommez votre cher favori,Si j'ose dire plus, qui des Dieux est chéri, Qui descend comme vous de la race Divine,Et qui ne dément point sa céleste origine,En qui mille vertus éclatent à la fois,Qui s'est fait renommer par ses rares exploits,Dont Sémiramis tient dans son sort déplorable La fatale valeur qui vous la rend aimable,Il m'en faisait leçon dans ces fameux combats,Où pour vous ce grand coeur conquérait des États,Sa gloire a précédé, la mienne l'a suivie :Mais cent fois aux dangers il m'a sauvé la vie, Quitterais-je Ménon après tant de bienfaits ? À qui de sacrés noeuds m'attachent pour jamais,À qui le Ciel me lie, à qui l'honneur m'engage, Un Héros qui n'est rien qu'amour et que courage : Trahirais-je pour plaire à qui règne en ces lieux, Ma foi, mon bienfaiteur, mon époux, et les Dieux ? Non, non, avant que voir Sémiramis ingrate,Les Indes dans leurs champs verront couler l'Euphrate,Le Gange arrosera Ninive de ses eaux,Et les morts sortiront vivants de leurs tombeaux. NINUS. À mon ardent désir vous ôtez l'espérance,Et traitez un Monarque avec indifférence,Je ne puis endurer ce cruel traitement,Je vois que je suis Roi quand je me sens Amant,Que l'Univers me sert quand je me nomme Esclave, Un Monarque vainqueur s'offense qu'on le brave,Après tant de combats dont la Terre est le prix,Je ne saurais souffrir la honte d'un mépris. SÉMIRAMIS. Je ne méprise point votre grandeur suprême,Mais j'aime seulement où le Ciel veut que j'aime ; Et si Sémiramis disposait de son coeur,Comme de l'Univers vous en seriez vainqueur :Je prise la splendeur d'une riche couronne,Et je prise encor plus votre auguste personne,J'admire les vertus qu'on voit briller en vous, Mais j'honore mon Roi sans trahir mon époux.Mes biens, mon bras, mon sang, et l'air que je respire,Seigneur, hormis mon coeur, tout est de votre Empire. NINUS. C'est ce coeur seulement que je désire avoir,Et qu'il faut que l'amour range sous mon pouvoir. SÉMIRAMIS. Qui voudrait le tenter, tenterait l'impossible. NINUS. Ah ! c'est de mon pouvoir un mépris trop visible,Vaincrez-vous votre Roi ? SÉMIRAMIS. Vaincrez-vous la vertu ? NINUS. Ninus sans triompher n'a jamais combattu, Je ne saurais souffrir qu'on me donne le blâme, Que le Vainqueur du Monde est vaincu d'une femme : Mon coeur dans ce combat d'amour, et de mépris,Comme aux autres combats veut remporter le prix ;Il veut de votre orgueil dissiper les tempêtes ;Il veut que l'on vous mette au rang de ses conquêtes ; Et joindre pour vous vaincre avant la fin du jour,La puissance Royale à celle de l'amour. SÉMIRAMIS. Parce que vous régnez sur la terre et sur l'onde,Que l'ordre des Destins vous fait Maître du Monde.Comment ! prétendez-vous que tout vous soit permis ? Et connaissez-vous bien quelle est Sémiramis : Ce que n'ont jamais pu de nombreuses armées, Tant de fois contre moi de fureurs animées,Ni le fer des Héros dont j'ai borné les jours,Croyez-vous le pouvoir avecque vos discours. Ah Seigneur, puisqu'enfin il faut que je m'explique,Ce coeur que vous voulez est un coeur héroïque,Que rien ne peut fléchir, qu'on ne dompte jamais,Et s'il vainquit en guerre, il peut bien vaincre en paix,Je le garde à Ménon, c'est pour lui qu'il soupire, Richesse, gloire, honneur, dignité, sceptre, Empire, Ce que l'ambition peut mettre à plus haut prix,Tout ce que mon sexe ébranle les esprits, Ni larmes, ni fureurs, menace, ni prière, Tant que de mon époux l'oeil verra la lumière, Ce coeur, ce même coeur, qui vous parle aujourd'hui, Quoi qu'il puisse arriver, sera toujours à lui. SCÈNE III. Sosarme. Ninus. SOSARME. Ah Seigneur, qu'avez-vous, quelque nouveau présageVous trouble-t-il encore ? NINUS. Lis-le sur mon visage,Tout m'annonce ma perte, et les fatales Lois Veulent m'ôter du rang des vivants et des Rois,Pour la dernière fois j'ai consulté l'orale,Il m'a prédit ma mort, et tout m'est en obstacle,Les Astres ennemis précipitant leur coursEntraînent avec eux mon Empire et mes jours. SOSARME. Vous pouvez détourner de si cruels désastres,Et le sage, Seigneur, domine sur les Astres. NINUS. Ma fille je n'ai plus d'espérance qu'en toi,Tu peux seule sauver, et ton Père, et ton Roi,Dans la nuit de mon deuil une vive lumière Vient d'éclairer mes yeux. SOSARME. Seigneur, que faut-il faire,Afin de détourner le céleste courroux. NINUS. Que je choisisse un gendre, et te donne un époux,Pour vaincre les destins. SOSARME. Que peut un Hyménée,Contre les traits du Ciel, et de la destinée, Ce funeste remède hâterait vos malheurs,Et déjà de mes yeux il arrache les pleurs,Quel gendre en l'univers pourrait choisir mon Père,Qui pourrait épouser son illustre héritière,Pour moi les plus grands Rois sont d'indignes objets, Ils sont tous vos vassaux ; et seront mes sujets, Vous voulez allier un sujet à la Reine,Le rendre souverain dessus la souveraine,Que des Princes vaincus triomphent de son coeur. NINUS. Non, je veux pour époux te donner leur vainqueur, Te donner à Ménon, ce Héros doit te plaire,Tu rougis ! rougis-tu de honte et de colère ;Pour toi ce Conquérant a-t-il trop peu d'appâts ? Dis-moi tes sentiments, ne les déguise pas,Dis-moi pourquoi le sang au visage te monte. SOSARME. Oui, Seigneur, je rougis de colère et de honte,Je ne puis vous cacher ma générosité ;Mais je ne puis aussi manquer de piété,Je veux que du dépit elle soit triomphante,Pour être digne fille, être une indigne amante ; Et quoi que je m'abaisse en aimant un Héros,Je veux bien m'abaisser pour votre seul repos,Épouser un sujet pour conserver un père,Respecter désormais celui que je révère,Pour trouver dans la honte un immortel renom, Je vous obéirai, j'épouserai Ménon. NINUS. Ah gloire de ton sexe, ah généreuse fille,Qui conserve aujourd'hui ma royale famille,De nobles passions tes sens sont combattus,Et ta piété brille entre mille vertus, Si tu domptes ton coeur pour empêcher ma perte,Je veux qu'à ton esprit mon âme soit ouverte, J'aime Sémiramis. SOSARME. Ah Dieux ! NINUS. Son dard vainqueur,En perçant Zoroastre a passé dans mon coeur :Mais l'ingrate qu'elle est a méprisé ma flamme, Et du plus grand des Rois dédaigne d'être femme,Son refus insolent m'a rempli de courroux,Je veux pour m'en venger lui ravir son époux,Il sera glorieux de t'avoir pour épouse,Cette beauté superbe en deviendra jalouse, Et pour punir celui qui manque de foi,Sans doute l'orgueilleuse aura recours à moi ; Épouse donc Ménon, pour me sauver la vie. SOSARME. Seigneur, ma volonté s'accorde à votre envie,Et Sosarme vous jure, après l'avoir promis, Qu'elle aime autant Ménon que vous Sémiramis. NINUS. Quand il te viendra voir, qu'un peu de complaisance,Dispose son esprit à ta haute alliance ;Afin que cet Amant soit plus digne de toi,Des Bactriens vaincus, je le vais faire Roi. SCÈNE IV. SOSARME, seule. Dieux, que le Ciel m'est doux, qu'il me donne un bon Père,Il veut ce que je veux loin de m'être contraire,Cet ordre qu'il me donne est écrit dans mon coeur,Je n'ai plus contre moi que ma seule pudeur :Ah mon sexe souffrez qu'après un long silence, J'accorde enfin l'amour avec la bienséance,Ne me condamnez pas de m'ouïr soupirer,Si c'est pour empêcher mon Père d'expirer :Mais mon illustre Amant vient de me rendre visite,Témoignons-lui combien nous prisons son mérite. SCÈNE V. Sosarme. Menon. SOSARME. Ménon de retour vainqueur et glorieux,Favori de son Prince, et favori des Dieux,Je sais ce que te doit mon Père, et la Patrie,Et ce que ta valeur a fait dans la Bactrie,Ninus doit à ton bras la victoire et la paix, Avec deux bouts de la terre il règne désormais,Son vaste État n'a plus que la mer pour frontière,Je prends part à ses biens, comme son héritière,Je veux les reconnaître et de tout mon pouvoir. MENON. Ménon étant sujet n'a fait que son devoir. SOSARME. Il est peu de sujets, qui vainqueurs à la guerre,Conquièrent pour leur Roi l'Empire de la Terre,Qui savent s'acquérir un immortel renom,L'univers n'en a qu'un, puis qu'il n'a qu'un Ménon. MENON. Madame, je rougis d'entendre ce langage. SOSARME. Tu me fais bien rougir encore davantage. MENON. Parlons de vos vertus. SOSARME. Parlons de tes combats. MENON. De grâce épargnez-moi. SOSARME. Tu ne m'épargnes pas. MENON. Vous me rendez confus. SOSARME. Et tu me rends ingrate,Que Ménon a de gloire ! MENON. Ah que la vôtre éclate ! SOSARME. Écoute et cède-moi, tu feras mieux ta cour,Tu vainquis tant de fois, je veux vaincre à mon tour,Laisse, laisse-moi donc exalter ta vaillance. MENON. Madame, le respect m'impose le silence,Je suis votre sujet. SOSARME. Ce nom te convient mal. Avant la fin du jour tu seras mon égal,Je te viens annoncer une heureuse nouvelle,Qui rendra ta vertu plus brillante et plus belle, Mon Père généreux, pour ne pas être ingrat, Veut avec son sujet partager son État, Il faut garder pour lui l'Empire d'Assyrie,Et donner à Ménon le sceptre de Bactrie. MENON. Ah, Madame, c'est trop. SOSARME. Non, ce n'est pas assez, Tes services par-là sont mal récompensés, Il te prépare encor un plus noble salaire, Une chose qu'il tient au monde la plus chère,Attends tout de Sosarme, attends tout de Ninus,Je rougirais encor, si je t'en disais plus. SCÈNE VI. MENON, seul. Après tant de travaux, enfin ma gloire éclate,Ninus envers Ménon n'a pas une âme ingrate, Non content de me voir assis entre les Rois,Il veut qu'à l'Univers je donne un jour des Lois,Que ton Trône éclatant devienne mon salaire,C'est la chose qu'il tient au monde la plus chère,Sans doute qu'il me nommer son successeur, Que cette récompense a pour moi de douceur,De voir tous les humains me rendre leurs hommages,Ce grand espoir s'accorde avecque les présages,Je rendrai tous les Rois de ma gloire jaloux,D'une Sémiramis je suis l'heureux époux, Mon Roi doit m'élever à l'Empire du monde,Je ne fais point de voeux que le Ciel ne féconde,Pour n'être pas ingrat d'un sort si glorieux,Allons remercier, et Ninus, et les Dieux. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Ninus. Sosarme. NINUS. Ma fille, mon espoir, quel succès dois-je attendre, As-tu gagné Ménon, et sera-t-il mon gendre,Qu'as-tu dit, qu'as-tu fait, et que t'a-t-il promis, Pour Sosarme veut-il quitter Sémiramis,A-t-il pas accepté mon Empire et ma fille ? SOSARME. J'ai vanté ses exploits, dit que sa vertu brille, Que l'État lui devait sa gloire et son repos,Qu'il avait surpassé les plus fameux Héros,Que vous étiez charmé de sa haute vaillance, Que vous lui prépariez enfin sa récompense, Que je voulais aussi lui préparer un prix, À ce dernier discours Ménon n'a rien compris,La pudeur m'empêcherait d'en dire davantage, Et d'un voile de feu me couvrait le visage,J'ai quitté l'orgueilleux sans rien tirer de luiQui flatte mon espoir, ni charme votre ennui. NINUS. J'admire ton esprit, ta grâce, ton adresse,Mais j'admire encor plus ta pudeur, ta sagesse,Ton sexe te défend de parler librement, Mais laisse-moi le soin de fléchir ton amant,Je lui veux déclarer pour sauver mon Empire, Tout ce que la pudeur te défend de lui dire. SOSARME. Il en a vu beaucoup, mais n'a rien voulu voir. NINUS. Il sait bien que ton coeur n'est pas en ton pouvoir,Mais il le recevra de la main de ton père,Et mon trône avec toi deviendra son salaire, Je ferai réussir ce glorieux projet. SOSARME. Ne vous exposez point au mépris d'un sujet,Si l'amour de sa femme, ou son indifférence, Lui faisait refuser votre haute alliance,Après ce grand affront, ce sensible malheur, Sosarme expirerait de honte et de douleur,Sans sauver votre État, vous perdriez votre fille. NINUS. Je saurai conserver mon trône et ma famille. De mon sort et du tien laisse-moi le souci,Mais j'aperçois Ménon, retire-toi d'ici. SCÈNE II. Ninus, Menon. NINUS. Approche, cher Ménon, l'honneur de mon Empire,Ta renommée est grande, et ton Prince t'admire, Ton coeur a toujours eu la gloire pour objet, La Vertu t'a fait Roi, la Fortune sujet, Un Monarque pourtant te porte encore envie, Je te dois un Royaume, à ta femme la vie,Je vous combler d'honneur, et l'épouse, et l'époux,Et vous rendre aujourd'hui l'un de l'autre jaloux, Mais Ménon le premier recevra son salaire,Je veux qu'il ait un prix qui n'est pas d'ordinaire. MENON. Ah, Seigneur, vos bontés sont trop grandes pour moi,De sujet que j'étais mon Prince me fait Roi, Mais pour rendre la gloire à celui qui m'honore,Je veux étant Monarque être sujet encore,Et chez les Bactriens me faisant couronner, Prendre de vous les lois que je leur dois donner. NINUS. Une couronne est peu pour ta rare vaillance, Et Ninus te prépare une autre récompenseQui comblera tes jours de gloire et de douceur,Je te veux, chez Ménon, faire mon successeur. MENON. Vous voulez éprouver que je suis téméraire ; Pour oser aspirer à ce noble salaire, Ménon n'ayant rien fait qui le put mériter,N'a pas assez d'audace aussi pour l'accepter, En mettant sur mon front un simple diadème, Vous m'élevez, Seigneur, au-dessus de moi-même. NINUS. Non, je veux que tu sois le Monarque des Rois ? Et que la terre un jour obéisse à tes lois,Ne refuse dont point ce que chacun désire,Et sois mon successeur dans tout mon vaste Empire. MENON. Tant de Princes fameux issus de votre sang,Pourraient avec raison me disputer ce rang. NINUS. Au bien de mes sujets ta prudence est utile,Mais afin d'empêcher une guerre civile, Pour te mieux assurer mon Sceptre après ma mort, Je veux avecque toi traiter un saint accord,Et je te veux donner ma fille et ma couronne. MENON. Ah dieux ! NINUS. Je veux qu'en paix ma gloire t'environne,Et te faisant ainsi mon gendre et son époux,Je rendrai tous les Rois de ton bonheur jaloux, Sosarme de Ninus est l'unique héritière. C'est la chose qu'il tient au monde la plus chère. MENON. Ce sceptre a trop de gloire, et Sosarme d'appâts,Je les dois refuser, ne les méritant pas,Puis vous savez, Seigneur, que le noeud d'Hyménée, Avec Sémiramis adjoint ma destinée. NINUS. La coutume permet de rompre ce lien,Épouse donc Sosarme, et n'appréhende rien,Obtiens donc par l'Hymen des honneurs légitimes,Pour qui les vertueux feraient les plus grands crimes, Toi tu ne peux faillir d'obéir à ton Roi. MENON. J'offenserais les Dieux en violant ma foi. NINUS. Au trône lâchement préférer une femme,Un Héros loge-t-il ce scrupule dans l'âme, Et son coeur généreux en est-il combattu ? MENON. Mais l'on n'est plus Héros en quittant la Vertu. NINUS. Qui méprise l'honneur fait une faute insigne. MENON. Je refuse celui dont je me sens indigne,C'est un trop grand bonheur qui me fut arrivé, Dont justement les Dieux et l'Hymen m'ont privé, Vous voulez m'éclairer d'une gloire immortelle, Mais à Sémiramis je dois être fidèle. NINUS. Tu crains d'être infidèle, et je crains d'être ingrat,Et je veux malgré toi te donner mon État,Je veux récompenser ta vertu qui me charme, Et je ne puis offrir que mon Sceptre et Sosarme,Je te la donne enfin d'un pouvoir absolu,Tu la dois épouser, car je l'ai résolu. MENON. Ah ne me donnez pas la peine pour salaire,Sosarme est ma Princesse, et mon coeur la révère ; Bien qu'elle me fît Roi de cent peuples divers ; Bien qu'elle doive en dot m'apporter l'Univers,Qu'elle ait mille vertus, et mille diadèmes,Bien qu'elle ait des beautés à charmer les Dieux même,Quelque divin éclat qu'elle ait pour m'embraser, Une autre ayant ma foi je ne puis l'épouser,Sémiramis remplit mon coeur et ma mémoire,Elle seule est ma joie, et elle seule est ma gloire, Je ne puis rien aimer que ses charmants appâts,Et ne vois que la mort où sa beauté n'est pas : Elle n'aime que moi, comme je n'aime qu'elle,Un Dieu nous a liés d'une chaîne éternelle,Et vous seriez Seigneur injuste au dernier point,De vouloir séparer ce que l'Hymen a joint, Ah ne m'offrez donc plus l'Empire d'Assyrie, Et reprenez encor le sceptre de Bactrie,Retirez vos faveurs, gardez vos dignités, Vos trônes, vos grandeurs, et vos félicités,Si vous voulez donner un prix à ma vaillance,Que mon épouse seule en soit la récompense, Elle seule est ma gloire et mon souverain bien,Avec elle j'ai tout, sans elle je n'ai rien. NINUS. Juste Ciel, un sujet ose avoir l'arrogance De refuser ainsi mon illustre alliance,De faire injure au sang, et des Dieux, et des Rois, Et d'outrager le père et la fille à la fois, Ce superbe veut voir par ses mépris injustes,Sous le bandeau Royal rougir nos fronts augustes,Par un excès d'orgueil il veut rendre confus, Les souverains du monde, et Sosarme, et Ninus, Je sens dedans mon coeur une noble colère,Je veux sauver l'honneur de la fille et du père,À Sosarme ce soir tu donneras la main,Ne me résiste plus, car ce serait en vain. MENON. Ah rigoureux arrêt, barbares tyrannies. Quoi de ces sacrés lieux les vertus sont bannies, Est-ce ainsi qu'on ravit la femme à son mari, Et qu'un Roi généreux traite son favori, Par un si grand affront paie-t-on mes services,Je vois pourquoi Ménon souffre ces injustices, D'une Sémiramis je suis l'heureux époux,Et mon bonheur trop grand a fait mon Roi jaloux,Cette épouse vaut mieux que l'Empire du Monde,Cette illustre héroïne en victoires féconde,Qui remplit l'Univers du bruit de ses hauts faits, Force un Dieu de la Terre à faire des souhaits,Son coeur est embrasé d'une secrète flamme, Il me donne sa fille afin d'avoir ma femme :Oui c'est unique objet où tendent vos désirs,Pour elle seulement vous poussez des soupirs, Mais avant qu'accomplir votre cruelle envie ; Avant m'ôter l'honneur, il faut m'ôter la vie,Déployer sur ce corps la dernière rigueur,Pour m'ôter mon épouse, il faut m'ôter le coeur,Où l'amour l'a gravée avec des traits de flamme, Pour ne m'en rien laisser, il faut m'arracher l'âme ;Et répandre en ôtant le jour à son époux,Le sang que tant de fois il a versé pour vous. NINUS. Pour ton sang répandu, je t'offre mon sang même,Je te donne ma fille avec mon Diadème, Et toi trop orgueilleux de tes illustres faits,Dédaignes fièrement l'honneur que je te fais :Mais je vois clair enfin, injustement je soupçonne, Ce qui fait mépriser ma fille et ma Couronne,Ton épouse avec toi par un lâche attentat Faites des voeux secrets contre nous et l'État ;Depuis le jour fatal que le Roi de Bactrie,Promit à mes sujets le Sceptre d'Assyrie,Mon trône te déplaît de la main de ton Roi, Et tu veux le devoir au crime et non à moi, Tu veux me succéder sans devenir mon gendre,Tu souhaites ma mort, mais tu ne peux l'attendre, Et tu veux posséder avec Sémiramis,Ce beau Sceptre qu'en vain les astres t'ont promis, Ingrat, crois que Ninus n'a que trop de prudence, Pour détourner du Ciel la fatale influence,Ne te flatte donc point d'une prédictionQui te remplit le coeur de trop d'ambition,Je connais ton épouse, elle seule t'inspire,Elle seule travaille à m'ôter mon Empire, Pour mon sang elle seule a causé tes froideurs,Et promet t'élever au sommet des grandeurs,Elle seule se croit chère à la destinée,Et t'empêche de faire un Royal Hyménée :Mais je veux la punir, et la priver du jour ; Pour te mieux assurer que je n'ai point d'amour,Va la trouver, Cambise, et m'apporte sa tête. MENON. Que dites-vous, Seigneur, Cambise, arrête, arrête. NINUS. Rien ne peut empêcher l'effet de mon courroux. MENON. Sauvez Sémiramis, et perdez son époux. NINUS. Non, tu verras finir sa triste destinée, Où tu répareras par un saint Hyménée, Cet affront qu'ont reçu ta Princesse et ton Roi,En épousant Sosarme. MENON. Ah rigoureuse loi,Je n'y puis consentir. NINUS. Il faut donc qu'elle meure. Allez, Cambise, allez. MENON. Non, Cambise demeure. NINUS. Épouse donc ma fille, accomplis mon dessein. MENON. Oui, Seigneur, je suis prêt à lui donner la main, Pourvu qu'à mon épouse on conserve la vie,J'irai dedans le Temple accomplir votre envie, J'épouserai Sosarme. SCÈNE III. Sémiramis, Menon, Ninus. SÉMIRAMIS. Ah lâche, que dis-tu ? Ose-tu de la sorte outrager ma vertu ? MENON. Madame, écoutez-moi. SÉMIRAMIS. Suis-je pas ton épouse,Que pourrais-tu répondre à ma fureur jalouse. MENON. Je vais vous assurer de ma fidélité. Écoutez simplement. SÉMIRAMIS. Je t'ai trop écouté,Tu m'en prierais en vain, en vain ton coeur soupire,C'est assez, sans qu'encor je t'entende redire,J'épouserai Sosarme, il suffit d'une fois,Tu ne peux démentir mon oreille et ta voix, Tu ne peux exécuter tes feux illégitimes,Celle que tu trahis est témoin de tes crimes,De cette ingratitude à nul autre qu'à soiTon épouse jamais n'aurait ajouté foi,Ingrat pour qui je quitte un royal Diadème, Ingrat que j'aimais plus mille fois que moi-même,Que j'aimais comme époux, que j'aimais comme amant, Pour qui je voulais vivre et mourir seulement, Que ta femme a suivi jusqu'aux bouts de la terre,Ta Compagne en la paix, ton second à la guerre, Pour toi je m'endurcis dans les travaux de Mars,Je m'exposerai pour toi dans les plus grands hasards ;Et j'ai malgré mon sexe en montrant mon courage,Défiguré pour toi les traits de mon visage,Lançant aux ennemis des regards furieux, Pour te plaire j'ai mis de l'horreur dans mes yeux ;Et mon sang amoureux faisant rougir les plaines,Pour épargner le tien est sorti de mes veines,Au travers de mon sein percé de mille coups,N'as-tu pas vu mon coeur, trop insensible époux, Et n'ai-je pas cent fois pour te montrer ma flamme, Entre la mort et toi mis le corps de ta femme,J'ai pour mieux témoigner l'excès de mon amour,Méprisé les grandeurs aussi bien que le jour,Aussi fidèle en paix que vaillante à la guerre, J'ai dédaigné pour toi l'Empire de la Terre,L'amour de ton Rival, et ce trône éclatant,Pour qui tu m'as trahie, et deviens inconstant. MENON. Non, Ménon n'est point traître, et respecte vos charmes,Pour voir s'il est constant, voyez couler ses larmes. SÉMIRAMIS. Les larmes que répand ton courage abattu,Montrent ta lâcheté plutôt que ta vertu,C'est elle, et non des pleurs que ta femme contemple,Et tu l'aurais suivie en suivant mon exemple,Craignant que mon Tyran, et celui de l'État, Ne fit à mon honneur un second attentat,Et qu'il ne se vantait d'avoir touché mon âme,Afin de se venger du mépris de sa flamme,Comme font les Amants qui sont mal satisfaits,J'ai voulu retourner promptement au Palais, Malgré l'ordre du Roi, malgré toute défense,Ingrat, je viens ici, te montrer ma constance,J'y pensais rencontrer un époux généreux,Digne de mon courage, et digne de mes feux. Mais je n'y trouve rien qu'un volage, un perfide, (Qui veut en m'outrageant être mon parricide)Qu'un homme sans honneur, et qu'un époux ingrat,Qui contre son épouse a fait un attentat, Quoi ! ma fidélité, mon amour, ma vaillance, N'ont-ils que des mépris pour toute récompense, Est-ce, ce que l'ont dit tes amoureux propos,Et ce qu'une Héroïne attendait d'un Héros,Est-ce là cet époux qui gagnait des batailles,Qui de cent demi-Dieux causa les funérailles,Qui sortait des combats triomphant et vainqueur, Afin de mériter une place en mon coeur,Qui mettait à mes pieds ses glorieux trophées,Tu n'as plus de vertus, tu les as étouffées,Tu viens de les trahir avec Sémiramis,Mais tu n'obtiendras pas ce que tu t'es promis. Ne crois pas en régnant avec une adultère,Que jamais de l'honneur le grand flambeau t'éclaire,Tu fais en me quittant et violant ta foi,Divorce avec la gloire aussi bien qu'avec moi.Et toi qui dois rougir dessous ton diadème, Cruel qui m'ôte tout en m'ôtant ce que j'aime,Lâche et barbare Amant de qui le coeur jaloux,Sans respecter les Dieux, m'enlève mon époux,Un époux que j'aimais, sans qui je ne puis vivre,Que jusques au tombeau, j'étais prête de suivre, Mais que ton lâche esprit contraint à me trahir : Et malgré mon amour me force de haïr,Pour m'offenser ainsi, suis-je hors de ta mémoire,As-tu mis en oubli que tu me dois ta gloire, Ingrat, me dois-tu pas, si tu me dois le jour, Tout autant que Ménon, excepté mon amour.Me ravir mon époux, est-ce là le salaire,De t'avoir fait régner par tout cet hémisphère, De tant de beaux combats pour ta gloire entrepris, Un outrage si grand est-il le digne prix, Viens me voir sur les bords et du Nil et du Gange,Avecque ton Empire étendre ta louange,Viens voir dans la Bactrie avecque quelle ardeur,J'empêche ta défaite, et soutiens ta grandeur,Viens voir comme moi seule animant ton armée, Sur des piles de morts bâtis ta renommée,Viens me voir dans un char courir de rang en rang,Passer jusques à toi dans des fleuves de sang,Et comme ma valeur empêchant ton désastre,Te conserve la vie et l'ôte à Zoroastre, Songe, lâche Tyran, car tu n'es plus mon Roi,Autant m'ôter mon bien, ce que j'ai fait pour toi. NINUS. Madame, modérez cette grande colère,Et croyez que Ninus vous prépare un salaire,Digne de vos vertus et de vos grands exploits, Qui me font aujourd'hui Maître de tous les Rois. MENON. Madame, à vos beautés je n'ai point fait d'outrage. SÉMIRAMIS. N'espérez pas tous deux de fléchir mon courage,Je n'ai plus de respect, je n'ai que du courroux,Contre mon Roi barbare, et mon perfide époux, Lâches dont l'âme est ingrate, et de crimes noircie,De Zoroastre enfin craignez la prophétie :Tandis que j'en attends les glorieux effets,Méchants, tremblez tous deux, tremblez pour vos forfaits,Le Ciel rougit d'éclairs, déjà la Destinée Prépare un foudre ardent contre cet hyménée,Elle me vengera de l'époux et du Roi,Et j'aurai la justice et les destins pour moi. MENON. Ah Madame, arrêtez, et soyez moins cruelle,Je suis injurieux pour vous montrer mon zèle, Au lieu de vos fureurs écoutez votre époux,Et l'amour qui demande un pardon à genoux :Il est vrai que j'ai fait une injuste promesse,J'ai promis devant vous d'épouser la PrincesseMais j'en ferai rien, puisque SÉMIRAMIS. N'en dis pas plus ; Et ce discours suffit pour te rendre confus. MENON. Ah donnez-moi de grâce un moment d'audience,Pour faire avant ma mort luire mon innocence,Après sans nul regret je quitterai le jour,Et je mourrai sans honte en expirant d'amour. SÉMIRAMIS. Il fallait expirer avant m'avoir trahie,Et dedans le tombeau ta femme t'eut suivie,Encor que ton regret soit vif, soit grand, soit prompt, Il ne peut dans mon âme effacer un affront,Je ne puis rien aimer d'imparfait et de lâche, Il fallait une vie éclatante et sans tache,Comme la mienne enfin que rien ne peut ternir,Pour ne sortir jamais hors de mon souvenir,Il fallait s'acquérir une gloire immortelle,Et pour Sémiramis surtout être fidèle, Je ne puis pardonner à qui manque de foi,Et le coeur repentant est indigne de moi. SCÈNE IV. Menon, Ninus. MENON. Madame, encor un mot ; mais ma prière est vaine,Hélas, elle me fuit, adorable inhumaine,Quoi vous me laissez seul avec mon désespoir, Et vous ne voulez plus m'écouter, ni me voir,Vous appelez outrage, un excès de mon zèle, Mais je vous veux montrer que je vous suis fidèle,Je veux que mon amour vous poursuive en tous lieux,Et me justifier expirant à vos yeux. NINUS. Où penses-tu courir, et qu'elle est ton envie,Songe qu'en la suivant c'est abréger sa vie,En te justifiant loin d'adoucir son sort,Tu le vas rendre pire, et causeras sa mort,Tu perdras ton épouse, et toute ta famille, Tu ne la peux sauver qu'en épousant ma fille,Ce qu'on promet aux Rois doit être exécuté. MENON. À quoi suis-je réduit, ah dure extrémité ! Hélas vit-on jamais un sort si déplorable,Il faut, ou qu'elle meure, ou m'estime coupable, Je ne puis l'assurer de ma fidélité,Sans dans le même instant lui ravir la clarté. La mort et les Tyrans se sont ligués ensemble,Afin de séparer ce que l'amour assemble,Ah ma vertu succombe à de si rudes coups, Mais conservons l'épouse aux dépends de l'époux,Aux siècles à venir, je veux servir d'exemple ;Allons, puisque le faut, allons, allons au Temple,Que l'on sauve la vie à ma Sémiramis,Et j'exécuterai tout ce que j'ai promis. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Ninus, Semiramis. NINUS. À Présent que le temps calme votre colère,Je demande audience, et viens vous satisfaire. SÉMIRAMIS. Et bien parlez Seigneur, mais que me direz-vous. NINUS. Ce qui me justifie et confond votre époux,Arrivant dans ma Cour, orgueilleux de la gloire, De posséder un sceptre après une victoire, Il m'est venu trouver, cet esprit vicieux, Que ma grande faveur rend trop ambitieux :Seigneur, ce m'a-t-il dit, mon bonheur est extrême,Par vos rares bontés, je porte un diadème, Cet honneur est bien grand, mais il est imparfait,Si votre Majesté n'accomplit mon souhait. Explique-toi, lui dis-je, et dans mon riche Empire, Prends sans rien excepter ce que ton coeur désire,Ninus te promet tout en présence des Dieux, Ne crains pas un refus, mais explique-toi mieux,Tu peux tout espérer, et ta vertu me charme, À peine eus-je achevé, qui demanda Sosarme,J'eus pour vous du respect, et pour lui du courroux,Mais ma foi m'engageait à votre ingrat époux. SÉMIRAMIS. Ah perfide Ménon, trahisons sans pareilles. NINUS. Vous ne m'en croiriez pas, si vos propres oreilles Ne vous en assuraient encore mieux que moi,Mais vous avez ouï qu'il violait sa foi. SÉMIRAMIS. Hélas, je le sais trop, oui je viens de l'entendre, Mais me considérant, j'ai peine à le comprendre,Bien qu'il ait par l'hymen votre trône attendu,Ce trône est au-dessous de ce qu'il a perdu,Quoi que de vous Sosarme ait pris son origine,L'héritière d'un Roi vaut moins qu'une Héroïne. NINUS. Plus vos hautes vertus vous approchent des Dieux,Plus ses lâches mépris vous sont injurieux. SÉMIRAMIS. Pour être méprisé, on n'est pas méprisable,La vertu sans honneur n'est pas moins admirable,Quand on veut m'élever, je me sais abaisser, Quand on m'abaisse aussi, je me sais rehausser :Lorsque pour moi Ménon eut un respect insigne, De la parfaite amour je me croyais indigne,À présent qu'il me quitte, et viole sa foi,Je pense que lui-même est indigne de moi, Faisant réflexion dessus ma renommée, Je crois plus que jamais mériter d'être aimée, Je songe aux grands exploits qu'a faits mon bras vainqueur,Je crois que ce perfide, à tort reprend son coeur,J'appose mes vertus à son mépris injuste, Je rassemble ma gloire, et me crois plus auguste,Et c'est ainsi qu'agit un esprit généreux,Mais que Ménon est lâche. NINUS. Ah qu'il était heureux,S'il eut su conserver celle qu'il abandonne,Qu'il devait préférer à ma riche couronne, L'honneur d'être enchaîné par de si belles mains,Vaut mieux que de régir l'Empire des humains,Pour moi si cette gloire eut éclairé ma vie,Un bien si précieux eut borné mon envie,Et loin de m'en priver par l'infidélité, De l'Univers entier je l'aurais acheté,J'eusse toujours brûlé d'une ardeur conjugale,Une Sémiramis n'eut point craint de rivale. SÉMIRAMIS. Ce lâche croit qu'un sceptre a bien plus de douceur,Et vous l'avez choisi pour votre successeur, Vous qui le blâmez, vous le faites votre gendre. NINUS. Mon serment m'y contraint, je ne m'en puis défendre ;Et son bras tant de fois a sauvé mon État,Que j'ai fait ce serment pour n'être pas ingrat. SÉMIRAMIS. Si vous avez d'un prix honoré sa vaillance, La mienne avec raison attend sa récompense,Je dois ainsi que lui l'obtenir à mon tour,S'il sauva vos États, vous me devez le jour :Et comme sa valeur doit céder à la mienne, Ma récompense aussi doit surpasser la sienne, Enfin je ne veux rien demander à mon Roi,Ni d'indigne de lui, ni d'indigne de moi :Mais il faut qu'un serment précède ma demande. NINUS. Vous m'obligerez plus, plus elle sera grande,Oui j'en jure les Dieux, et m'en veut souvenir Que ne peut espérer, que ne peut obtenir,Une illustre beauté, qui fait ma destinée,Qui tient ma liberté sous ses lois enchaînée,Vous pouvez demander, vous pouvez commander, Qui possède le coeur, peut bien tout posséder, Madame, parlez donc, j'aurai soin de vous plaire,Si mon second serment au premier n'est contraire. SÉMIRAMIS. Non, non j'ai trop de coeur, j'aime trop mon renom,Pour reprendre un perfide, et penser à Ménon ; Qu'il jouisse en repos de sa nouvelle épouse, D'un infidèle époux je ne suis point jalouse,De nul trait de douleur mon coeur n'est combattu,Je quitte sans regret qui quitte la vertu :Mais puisque pour régner cet ingrat me rejette,Et veut de son épouse en faire sa sujette, Pour détourner l'effet de son lâche sujet,Je veux être la Reine, et qu'il soit mon sujet,Je désire autant lui porter le Diadème,Et lui faire adorer ma puissance suprême :Mais sans perdre le temps en de plus longs discours, Accordez-moi, Seigneur, le règne de cinq jours. NINUS. Madame, j'y consens, contentez votre envie,Amour me le commande, et je vous dois la vie,Je vous cède mon Sceptre, et ne suis point jaloux,Qu'un Dieu prenne mon rang, et qu'il règne avec vous, Qu'avec Sémiramis il occupe ma place ;Pourvu que sur mon trône il obtienne ma grâce,Et qu'au bout de cinq jours par le noeud conjugal,D'un Roi votre sujet il fasse votre égal. Ninus vous accordant votre juste demande, Pourra-t-il espérer une faveur si grande ? SÉMIRAMIS. En me satisfaisant, il sera satisfait,Si la mort seulement n'en empêche l'effet. NINUS. Si vous injuste époux règne dans la Bactrie,Vous allez aujourd'hui régner dans l'Assyrie, Pour vous faire briller d'un éclat sans pareil,Je vais de l'Univers assembler le Conseil, Ce conseil composé de tant d'illustres Princes,Qui sont venus ici de toutes mes Provinces ;Pour témoigner leur joie, et louer mes exploits, Qui forcent la Bactrie à recevoir mes lois,Ils viennent à propos honorer ma victoire ;Pour être dans ma Cour témoins de votre gloire. Pour mieux faire à leurs yeux cette gloire éclater,Je descendrai du trône où vous devez monter, À genoux à vos pieds pour marque de servage,Comme un simple sujet, je vous veux rendre hommage,Et le premier de tous, faire à votre beauté, Serment d'obéissance et de fidélité,Mes Satrapes après feront la même chose, Et j'en vais donner l'ordre afin qu'on s'y dispose,Quand cet honteux Hymen qui m'emplit de courroux,Aura lié ma fille à votre ingrat époux :On n'attend pus que moi pour la cérémonie,Qui sans pompe en secret sera bientôt finie. SCÈNE II. Semiramis, Orante. SÉMIRAMIS. Et bien Barsine, et bien, as-tu tout écouté,De mon volage époux, vois-tu la lâcheté :Mais que ferais-je, ô Ciel ! dans ma triste aventure. ORANTE. Vous avez le pouvoir de venger votre injure,Montez pour le punir et le rendre confus, Par un nouvel hymen au trône de Ninus,Soyez Reine du monde, en devenant sa femme. SÉMIRAMIS. Comment, j'imiterais l'action que je blâme,On verrait mon esprit lâchement abattu,Et du vice d'autrui je ferais ma vertu, J'aime trop la justice, et trop ma renommée,Pour tomber dans le crime, et me voir diffamée. ORANTE. N'avez-vous pas donné votre parole au Roi ? SÉMIRAMIS. Sous des conditions il a reçu ma foi,La mort peut empêcher cet injuste hyménée, Et je puis dès ce soir faire ma destinée,Je serai couronnée au milieu de la Cour,Et le temps de régner doit venir à mon tour. ORANTE. De votre ingrat époux que voulez-vous en faire. SÉMIRAMIS. Ce que veut la raison plutôt que la colère. ORANTE. Vous ne voulez donc point lui donner le trépas. SÉMIRAMIS. Je veux le pouvoir perdre, et ne le perdre pas,Le voir du haut du trône, et lui donnant la vie, Le faire repentir de ce qu'il m'a trahie,D'un sensible remords voir son coeur combattu, D'avoir trahi la femme, et quitté la Vertu ;Mais Ctésiphonte vient, bannissons la tristesse,Faisons-lui voir un front où règne l'allégresse,Aux yeux d'un Ennemi cachons notre douleur,Et montrons un courage au-dessous du malheur. SCÈNE III. Sémiramis, Ctesiphonte. SÉMIRAMIS. Et bien fidèle ami d'un époux infidèle,Viens-tu de son bonheur m'apprendre la nouvelle,Pour son illustre Hymen tout est-il préparé ? CTESIPHONTE. Ah, Madame ! SÉMIRAMIS. Déjà l'on m'a tout déclaré,Dis-moi s'il est auprès de sa nouvelle épouse, Ne crois pas m'affliger, je n'en suis point jalouse,Qu'il aime la Princesse, et lui fasse la cour. CTESIPHONTE. Il n'est pas en état de penser à l'amour. SÉMIRAMIS. Aurait-il retardé son royal hyménée ? CTESIPHONTE. Au lieu de l'accuser plaignez sa destinée, Par d'injustes soupçons ne troublez point la paix,Du plus parfait époux que l'on verra jamais. SÉMIRAMIS. Il n'aime point Sosarme. CTESIPHONTE. Ah, cet époux fidèle,Eut tant d'amour pour vous, qu'il n'en eut point pour elle,Pour vous le témoigner, il a fini son sort, Ménon n'est plus vivant. SÉMIRAMIS. Juste Ciel, il est mort ! Hélas ! que m'as-tu dit. CTESIPHONTE. Une mort héroïque,Qui joint votre douleur à la douleur publique,Le Roi même surpris d'une telle fureur,De son crime exécrable a conçu de l'horreur. SÉMIRAMIS. Quoi, mon fidèle époux, loin de trahir ma flamme,Par un excès d'amour s'immole pour sa femme,Quand j'ose l'accuser de me manquer de foi,J'apprends qu'au même instant il expire pour moi,Que je dois l'estimer lorsque je le déteste : Mais fais-moi le récit d'une mort si funeste. CTESIPHONTE. Après que la fureur de votre esprit jaloux,Eut comblé de douleur votre fidèle époux,Il fit en même temps le dessein de vous suivre,Pour se justifier, ou pour cesses de vivre. Ninus pour l'empêcher d'aller dessus vos pas,Menace ce Héros de votre prompt trépas,Dit qu'il prendra sa femme, et toute sa famille,S'il ne vous abandonne, et n'épouse sa fille. SÉMIRAMIS. Dieux ! CTESIPHONTE. Ménon, qui vous veut conserver la clarté, Vous témoigne sa foi par l'infidélité,Et forcé d'accomplir ce que veut ce barbare,Sous un vice apparent montre une vertu rare. SÉMIRAMIS. Quoi, perfide tyran, tu veux m'ôter le jour,Et me donner la mort pour montrer ton amour, La lumière sans moi t'aurait été ravie,Donnes-tu le trépas à qui tu dois la vie,Ah lâche ! mais poursuis. CTESIPHONTE. Ninus, l'esprit content,Emmène votre époux où sa fille l'attend,Les ayant mis ensemble, aussitôt il les quitte, Et vient dedans ce lieu pour vous rendre visite,Tandis que pour l'Hymen qui se fait au Palais, Cambise et Ctésias font les secrets apprêts,À ce lien honteux Sosarme préparée,Se pare pour aller à la pompe sacrée, Elle flatte Ménon par ses doux entretiens,Elle se fait nommer Reine des Bactriens ;Et pour mieux outrager votre Auguste personne,Sur sa superbe tête elle a votre Couronne,Elle fait que la joie éclate dans ses yeux, De vous avoir ravi ce Héros glorieux,Cette fière beauté qui rit de vos désastres,Pense par cet Hymen fouler aux pieds les astres ;Changer l'ordre du Ciel, et braver le Destin,Et conduire sa gloire à sa dernière fin : Plus fière que Ninus quand il triomphe en guerre,Avec quelque dédain elle touche la terre,Croyant qu'en votre époux elle a vaincu cent Rois ;Elle met grand grime au rang des grands exploits,À côté de Ménon cette orgueilleuse amante, Marchant vers les autels pompeuse et triomphante,Sans jeter l'oeil sur lui n'avance pas un pas,Ménon les yeux baissés ne la regarde pas,Ne pensant qu'à vous seule, il roule dans son âme Une mort glorieuse et digne de sa femme, Et veut pour vous montrer qu'il vous aima toujours,Rendre son dernier jour le plus beau de ses jours : Enfin ce grand Héros qui fait sa destinée,Entre où l'attend la mort, et non pas l'hyménée,Dedans ce sacré lieu par l'ordre exprès du Roi, N'entre que Ctésias, et Cambise avec moi :Ninus vous ravissant votre époux légitime,Appréhende d'avoir des témoins de son crime,Et les Dieux détestant son dessein malheureux,Témoignent leur courroux par des signes affreux, Les objets les plus beaux en deviennent funèbres ;Le Ciel partout serein se couvre de ténèbres,Et le flambeau d'hymen favorable aux mortelsD'une lumière obscure éclaire des Autels ;Sosarme en est émue, et le grand Prêtre même Montre à Ninus sa peur sur son visage blême ;Lui qui croit qu'on est faible alors qu'on est pieux,Commande qu'on achève, et méprise les Dieux,La victoire immolée après le sacrifice,Ménon qui fuit l'hymen s'avance à son supplice ; Et pour mettre en effet son généreux dessein,Loin d'épouser Sosarme, il lui quitte la main, Son esprit agité paraît sur son visage,Qui ressemble une mer qui trouble un grand orage,On le voit quelque temps muet, triste, fondus, Puis d'un oeil de travers il regarde Ninus ; Les sanglots trop fréquents qui sortent de sa bouche,L'empêchent d'exprimer la douleur qui le touche : Enfin contre Ninus il élève sa voix. Le premier des Tyrans, et le dernier des Rois, Homme sans foi, dit-il, dont la flamme jalouseÀ ton libérateur veut ravir son épouse,Et qui me veux contraindre à quitter lâchement,Celle de qui je suis, et l'époux, et l'amant :Pour ma Sémiramis de qui la gloire brille, Je méprise avec toi, ton Empire, et ta fille,Pour elle seulement mon coeur brûle d'amour,Et puisque je la perds, je veux perdre le jour,Je ne saurais souffrir qu'un autre la possède :Mais puisque ta fureur rend mon mal sans remède, Avant que mon Rival la tienne entre ses bras,Je veux, cruel Tyran, me donner le trépas : Pour sauver son honneur, et l'exempter de crime,Pour te rendre après moi son époux légitime.Lors prenant le couteau qu'il voyait sur l'autel, Ménon dedans son sein porte le coup mortel. SÉMIRAMIS. Dieux ! CTESIPHONTE. Son sang souille, et Ninus, et Sosarme,Ninus surpris s'écrie, et trop tard le désarme, Ménon qui voit qu'il tâche à prolonger son sort, Lui dit : N'empêche point ma glorieuse mort, Sans honte de ces lieux laisse partir mon âme ;Ne m'ôte point l'honneur m'ayant ravi ma femme,Laisse couler mon sang après m'avoir perdu,Ingrat, je l'ai pour toi trop souvent répandu,Dans l'Inde, l'Assyrie, et l'Egypte, et la Perse, C'est pour Sémiramis qu'aujourd'hui je le verse :Elle a causé ma joie, et cause mes malheurs,J'avais vécu pour elle, et pour elle je meurs.Disant ces derniers mots, Ménon perd la parole,Son corps tombe, et l'esprit vers les astres s'envole. SÉMIRAMIS. Hélas ! je n'en puis plus, l'amour et la piétéViennent de déchirer mon coeur par la moitié,À ce coup du destin mon triste esprit succombe,Je sens que mon époux m'entraîne dans la tombe. CTESIPHONTE. Ah Madame ! SÉMIRAMIS. Non, non, laisse agir ma douleur, Elle n'est que trop juste en un si grand malheur ;Laisse, laisse régner la tristesse en mon âme,Pour un mari qui vient d'expirer pour sa femme :Qui meurt pour me sauver et la vie et l'honneur,Avec lui j'ai perdu ma joie et mon bonheur. CTESIPHONTE. Quoi ! vous mouillez de pleurs votre auguste visage. SÉMIRAMIS. Pour montrer son amour manque-t-on de courage,Après avoir perdu le généreux Ménon,Je puis verser des pleurs sans ternir mon renom ;J'ai vu cent mille morts tomber dessous les armes, Et des torrents de sang sans répandre des larmes,J'ai vu dans le tombeau, soeur, frère, mère, amis,Sans qu'on ait jamais vu pleurer Sémiramis,J'ai vu cent fois la mort errer sur mon teint blême,Sans avoir répandu des larmes pour moi-même, J'avais pourtant un coeur et sensible et pieux :Mais ma vertu toujours les séchait dans mes yeux,Désormais à Ménon avec trop de Justice,De mes premières pleurs je dois un sacrificePour cet illustre époux qui vient de s'immoler, Sans honte de mes yeux elles peuvent couler :Mais vous qui ternissiez la splendeur de sa gloire, Injurieux soupçons sortez de ma mémoire.Pardonne grand Héros à ma crédulité,Je connais tes vertus et ta fidélité, Aux tendresses du coeur c'est assez satisfaire,Il est temps que je fasse éclater ma colèreContre un perfide amant, contre un tyran jaloux,Qui me vient de ravir ce glorieux époux ;Ce lâche, ce cruel, ce traître, ce barbare, Dont l'injuste fureur à jamais nous sépare,En vain croit m'engager dans le sacré lien,Le sang de mon époux me demande le sien ;Et c'est avec horreur que mon oeil le contemple,Je veux à l'Univers donner un grand exemple, Faire périr ce monstre enflé de passions,Qui voulait dévorer toutes les nations.Qu'i lait de sang humain rougi la terre et l'onde,Que d'un trône orgueilleux il gouverne le monde,Que son père soit Dieu, brillant sur un autel : Je lui ferai sentir qu'il est homme et mortel,Je veux le faire aller jusqu'en la sépulture,Demander à Ménon pardon de son injure. CTESIPHONTE. Madame, modérez ce violent courroux,Pour avoir le moyen de venger votre époux, Ninus vous aime et brûle après votre alliance :Sur peine de la vie, il nous a fait défenseQu'on vous dit de Ménon le déplorable sort,Les Satrapes, le peuple, ignorent qu'il soit mort,Ils n'ont pas même su son secret hyménée, Du crime qu'il a fait son âme est étonnée :Il craint avec raison de se rendre odieux. SÉMIRAMIS. Il dissimule en vain, je le sais et es Dieux,Il a des ennemis, au Ciel et sur la Terre,Et ne peut éviter ma main ou le Tonnerre : Mais je crois que les Dieux pour calmer ma douleurDe la mort du Tyran me laisseront l'honneur,Dans les pièges qu'il tend, il tombera lui-même :Pour punir mon époux, il m'offre un Diadème,Et le Ciel me remit son Sceptre dans la main, Afin de m'en servir contre son assassin.Tu peux me seconder sans que tu te hasardes,Je dispose d'Orcan Capitaine des Gardes,Les Satrapes aussi m'ont toujours fait la cour,Ma vertu les remplit de respect et d'amour, Encor que leur tourment n'espère aucun remède :Ils ne peuvent souffrir que Ninus me possède ;Et je puis employer pour adoucir mes maux, Contre ce grand rival, tous ces autres Rivaux ;Je veux, je veux punir son âme criminelle, Je veux qu'elle descendre en la nuit éternelle,Et faire de son corps un spectacle d'horreur,Je veux jusqu'à sa race étendre ma fureur,Et qu'à sa fille aussi la tombe soir ouverte. CTESIPHONTE. De votre illustre époux, elle pleure la perte, Si Ninus promptement n'ait arrêté sa main : Du fer dont il est mort, elle eut ouvert son sein. SÉMIRAMIS. Ah son amour encor irrite ma colère,Sosarme est ma Rivale elle suivra son Père,Tous deux de mon époux ont avancé le sort, Et tous deux passeront par les mains de la mort : Allons donc, Ctésiphonte, exercer la vengeance,Dans la mort des Tyrans cherchons de l'allégeance,Témoignons notre joie, et cachons notre deuil,Allons monter au trône, et les mettre au cercueil. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Ninus, Cambise. NINUS. L'Amour me va ravir les glorieuses marques,Qui font dessus le trône éclater les Monarques,Et ce Dieu triomphant qui me donne des Lois,Fait un homme privé du plus puissant des Rois,Il semble que le Ciel m'ait témoigné sa haine, Me ravissant Ménon, ce fameux Capitaine ? Mais quoi qu'à ma grandeur son trépas soit fatal,Je gagne toutefois en perdant un Rival,La fortune à mes voeux se montre favorable,Je puis me rendre heureux sans me rendre coupable, Je n'ai plus qu'une amante, et n'ai plus d'ennemis, Ninus ne craint plus rien. CAMBISE. Craignez Sémiramis. NINUS. L'amour me le défend. CAMBISE. Appréhendez sa haine. NINUS. Songe que je suis Roi. CAMBISE. Mais elle sera Reine. Vous deviez demeurer dans votre autorité, Pour ranger sous vos lois cette fière beauté,Elle a de votre flamme une preuve trop ample,Et votre abaissement n'a jamais eu d'exemple,L'amour pour accomplir ses orgueilleux projets,Des Rois jusqu'à présent n'a point fait des sujets. NINUS. Aussi Sémiramis n'eut jamais de semblable,Et le Ciel n'a rien fait qui lui soit comparable,On ne peut la connaître, et ne l'adorer pas. CAMBISE. Il fallait pour l'avoir conserver vos États,Et ne se pas soumettre au pouvoir d'une femme, Qui peut-être nourrit la vengeance dans l'âme,Et qui n'a demandé ce qu'elle obtient de vous,Qu'à dessein de vous perdre et venger son époux. NINUS. Elle croit que Ménon est maintenant mon gendre,Elle ignore sa mort : CAMBISE. Mais elle peut l'apprendre, NINUS. Personne n'oserait lui faire ce discours,Et puis son règne doit expirer dans cinq jours. CAMBISE. Il fallait conserver, et Sceptre, et Diadème,Afin que votre sort dépendît de vous-même. NINUS. Il fallait lui céder mon absolu pouvoir, Il fallait tout donner afin de tout avoir :Ne crois pas toutefois qu'une si noble flamme,En échauffant mon coeur ait aveuglé mon âme,La raison, mon serment, et la fatalité,M'ont fait mettre en mon rang cette illustre beauté, Elle m'a conservé le jour par sa vaillance,La raison m'obligeait à la reconnaissance,Elle voulut régner pour prix de ses exploits,Mon serment me forçait d'obéir à ses lois ;Et la fatalité par son pouvoir suprême, Lui donnait malgré moi mon royal Diadème :Des Astres ennemis j'ai détourné le cours,Je l'ai fait Reine un temps, pour être Roi toujours,Ainsi s'accomplira mon heureux Hyménée,Ninus triomphera malgré la destinée, Et sera dans cinq jours en dépit de ses Lois,Le plus heureux époux, et le plus grand des Rois. CAMBISE. Seigneur, NINUS. N'en parle plus, la chose est résolue,Et je vais lui céder ma puissance absolue,Je quitte avec raison le pouvoir souverain, Des Satrapes toi seul condamne mon dessin, Je les ai tous mandés pour la déclarer Reine,Et l'amour dès longtemps la fait ma Souveraine ;Mais j'aperçois déjà ces Chefs de mon Conseil,Elle-même s'avance en superbe appareil, Si tu vois à regret que ma splendeur l'éclaire,Tu peux te retirer. CAMBISE. C'est ce que je vais faire. SCÈNE II. Ninus, Semiramis, Ctesiphonte, et les autres Satrapes. NINUS. Venez, venez, régnez belle Sémiramis,Je me veux acquitter de ce que j'ai promis,Que sur un si beau front la couronne a de grâce : Mais montez sur le trône, et remplissez ma place.Ninus avec son sceptre a remis en vos mains,L'Empire glorieux qu'il a sur les humains,Lui-même reconnaît votre auguste puissance,Et veut durant cinq jours vous rendre obéissance, Il en jure les Dieux pour vous en assurer, Il parle aux Satrapes.Faites tous le semblable, et venez l'adorer,Jurez tous d'obéir à sa grandeur suprême,Rendez-lui les respects qu'on rendait à moi-même. CTESIPHONTE. Nous faisons tous serment d'obéir à ses lois. NINUS. Vous êtes désormais la maîtresse des Rois,Et dans ces sacrés lieux vos beautés couronnées,Peuvent du monde entier faire les destinées. SÉMIRAMIS. Puisque le Ciel m'élève au trône où je me vois,Je veux que les vertus y montent avec moi : Sémiramis afin qu'on l'aime, et qu'on la craigne,Par un acte éclatant veut commencer son règneEt veut armant les lois de son autorité,Qu'aux yeux de l'Univers brille son équité,Satrapes glorieux, l'honneur de mon Empire, Soyez tous attentifs à ce que je vais dire.Deux Princes ennemis, et tous deux mes sujets,L'un orné de vertus, l'autre noir de forfaits,Ont eu des différends pour une jalousie :Qui de ces deux Rivaux troubla la fantaisie, L'un d'eux était époux, et l'autre était amant ;Tous deux aimaient beaucoup, mais un seul justement,L'un aimait la maîtresse, et l'autre aimait sa femme,À l'égal de ses yeux, à l'égal de son âme, L'épouse aussi n'aimait que son ardent époux, Du bonheur du mari l'amant devint jaloux,Quoi qu'il fût son ami, quoi que sa renommée,Par ce vaillant époux en tous lieux fut semée,Qu'il eût versé son sang pour épargner le sien,Sans respect d'amitié, ni du sacré lien, Cet ingrat transporté d'une fureur jalouse,Voulut par des présents corrompre son épouse :Elle fut si fidèle, et le traita si mal,Qu'il eut pour tout espoir recours à son Rival. Pour lui ravir sa femme, il lui promit sa fille, Puis il le menaça de perdre sa famille ;Enfin il le força par son brutal amour,D'abandonner ensemble, et sa femme, et le jour,De se percer le sein, d'être son homicide,Et d'un fameux héros il fit un parricide ; Ainsi leur jalousie et leur cruel discord Que l'amour seul causait, fut fini par la mort,L'un des deux n'étant plus m'oblige à sa défense,Et sa veuve pour lui me demande vengeance ;Voilà ce différend qui vous doit étonner, Et sur quoi maintenant vous devez opiner,J'ai déclaré le fait sans nommer la personne : Elle s'adresse à Ninus.Ainsi que sagement la coutume l'ordonne,Vous parlez le premier. NINUS. Ce fameux différend,Agité dans ces lieux me trouble et me surprend, Regardant l'oppresseur, et celui qu'on opprime ;Le rang du criminel, et la grandeur du crime, L'outrage que l'amour a fait à l'amitié,Je sens dedans mon âme émouvoir la pitié,J'en ai pour l'innocent, j'en ai pour le coupable ; Et trouve l'un et l'autre en étant déplorable ;Ces deux Princes rivaux, sont mal traités du sort ;L'un d'eux n'est plus vivant, l'autre est digne de mort,Son sang devrait rougir le fer de la Justice ;Il n'est point de tourment, il n'est point de supplice, Que pour les grands forfaits la terre ait inventé,Qu'il ne dût ressentir, et qu'il n'eût mérité, Pour les crimes affreux dont ici l'on l'accuse,Si l'amour n'en était, et l'auteur, et l'excuse, Pour je sais aimer, et je plains les amants, Leurs flammes sont pour eux d'assez grands châtiments,Et l'Amant qui se voit privé de ce qu'il aime,Endure tous les maux, à l'enfer dans lui-même :Celui que l'on accuse éprouve ce tourment, Et quoi qu'il ait commis dans son aveuglement : Quoi que selon les lois il ne doive plus vivre,Son amante pourtant a tort de le poursuivre,Et ne peut le compter entre ses ennemis :Pour posséder son coeur il a cru tout permis,Il s'offense plus qu'elle, il ternit sa mémoire, Avecque son époux il immola sa gloire,Ce Prince se couvrant d'un reproche éternel,S'il avait moins aimé, serait moins criminel,De son amour son crime est la plus grande preuve,Et doit toucher le coeur de cette triste veuve, Je veux pour cet Amant, lui demander pardon,Et ne crois pas Ninus indigne de ce don. SÉMIRAMIS. Puisque dans vos discours il trouve son refuge,Etant son Protecteur, vous n'êtes plus son Juge,Vous avez trop d'amour pour juger un amant, Laissez donc opiner les autres librement,Je vous tiens pour suspect, sortez de l'assemblée, Car par votre présence elle serait troublée, Allez retirez-vous. NINUS. Quoi, moi, Madame, moi. SÉMIRAMIS. Vous êtes mon sujet, et n'êtes plus mon Roi ; Vous devez m'obéir. NINUS. Je fais ce qu'on m'ordonne,Mais Madame, usez bien des droits de la Couronne,Et ne commencez pas un règne par le sang,Songez que le coupable est d'un illustre rang,Que ce Prince a le coeur, et grand, et magnanime, Pensez encor un coup, qu'amour a fait son crime.Vous Satrapes aussi devant que le juger,Songez que c'est Ninus qui le veut protéger,Et qui si votre Reine en veut faire vengeance,Votre Roi d'autre part vous porte à la clémence, Cet accusé m'est cher, et je le vengerai,Songez ce que j'étais, et ce que je serai,Songez que dans cinq jours je reprendrai ma place ;Si vous êtes prudents opinez à sa grâce. SÉMIRAMIS. Comment prétendez-vous de borner mon pouvoir : Je dois donner des lois, et vous les recevoir,Vous devez dans cinq jours porter le Diadème,Mais cependant je règne, et règne sur vous-même,Le sort est en mes mains de ce grand criminel,Qu'il attende en tremblant son arrêt solennel, Et vous suivez mon ordre. NINUS. Et bien je me retire,Ah Ciel, on veut m'ôter le jour avec l'Empire,Ah Cambise, ah Cambise. SÉMIRAMIS. Orcan suivez Ninus.Vous autres maintenant opinez là-dessus,Toi, dis ton sentiment Sastrape d'Assyrie. CTESIPHONTE. Je crois suivre l'honneur et servir ma patrie, En condamnent le crime, et parlant librement, Enfin je plains l'époux, et déteste l'amant ;Encore que Ninus soit d'un avis contraire,Je croirais être injuste en lui voulant complaire : Je dois plus respecter la justice et les Dieux,Je suis pour l'innocent, lui pour le vicieux ;Si les crimes d'amour ne passaient pas pour des crimes,Les forfaits les plus grands deviendraient légitimes ;L'adultère, l'inceste, et les assassinats, Avec impunité troubleraient les États,Le plus grand scélérat pour s'exempter de peine, Sous le voile d'amour voudrait cacher sa haine :On ne verrait que morts, qu'horreurs, qu'embrasements,Et tous les ennemis se nommeraient Amants ; Sous quelque nom qu'il passe, il faut punir le vice :Sans respect de personne exercer la Justice ;Quand on est sur le Trône, et quand on sait régner,Le bras du Souverain ne doit rien épargner,Le plus grand criminel doit avoir son salaire, La mort du plus Illustre, est la plus exemplaire ; Les Dieux vous ôteraient le Sceptre de la mainSi vous étiez humaine envers un inhumain,Quant à moi je conclus que l'homicide meure. ORONDATE. Ce cruel, cet ingrat doit voir sa dernière heure, Rien ne le peut sauver après ce qu'il a fait ; Il est digne de mort pour un si grand forfait. PHORBAS. Il faut qu'à le punir la Justice s'apprête,De quelque rang qu'il soit, il doit perdre la tête ; Puisque son lâche amour l'a de crime noirci, Je suis de cet avis. SÉMIRAMIS. Et moi j'en suis aussi :J'ai voulu librement laisser agir les Juges,Mais puisque dans vos bras il n'a point de refuges,Et que votre équité condamne un criminel,Qu'on fasse exécuter cet arrêt solennel, Sans tarder Ctésiphonte allez-y donc vous-même,Et faites redouter ma puissance suprême,Dépêchez, maintenant que l'arrêt est donné, Et que le criminel à mort est condamné,Que son sang répandu va réparer son crime ; Qu'on ne peut révoquer cet arrêt légitime,Prononcé justement, et par l'avis de tous,Je veux vous déclarer, et la veuve, et l'époux,Afin qu'à la pitié votre grand coeur s'émeuve ;Ménon est cet époux, et moi je suis la veuve. ORONDATE. Ménon n'est plus vivant, que dites-vous ? ô Dieux ! PHORBAS. Hélas ! SÉMIRAMIS. On l'a privé de la clarté des Cieux,Ménon, Ménon est mort, ce Héros plein de charmes, Ah pour n'en plus douter voyez couler mes larmes,Pour d'autres que pour lui je n'en versai jamais. PHORBAS. Quoi nous avons perdu l'auteur de nos bienfaits,Cet ami généreux est dans la sépulture,Qui de chacun de nous a fait sa créature,Qui de cette Cité fut le libérateur ;L'État perd son appui, nous notre Protecteur, Madame, nommez-nous le meurtrier exécrable ;Qui peut avoir commis ce crime détestable,Nous forgerons pour lui des supplices nouveaux,Ses Juges furieux deviendront ses bourreaux, Nous avons prononcé cet arrêt qui vous touche, Et notre main fera ce qu'a dit notre bouche. ORONDATE. Ne tardez plus, Madame, à nous dire son nom,Et nous irons venger les mannes de Ménon ; Nous tremperons nos mains au sang de l'homicide. SÉMIRAMIS. C'est un lâche assassin, c'est un esprit perfide, Un homme sans honneur, un impie, un ingrat,Un tigre, un furieux, un traître, un scélérat,Le monstre le plus grand qui soit dans cet Empire ;C'est, mais voici Sosarme, elle vient vous le dire. SCÈNE III. Sosarme, Semiramis, Les Satrapes, Orphise. SOSARME. Ah cruelle, ah barbare : enfin tes noirs desseins, Ont abrégé les jours du plus grand des humains,Ninus n'est plus vivant, et ta rage inhumaine,A fait périr celui qui t'a fait être Reine ;Ta double impiété dedans ces sacrés lieux,A fait couler le sang, et des Rois, et des Dieux ? Ta bouche avec l'arrêt prononçant un blasphèmeVient d'armer des sujets contre leur Prince même,Pour le faire périr au milieu de sa Cour :Mais de sa propre main il s'est privé du jour.Ah trop ingrate amante, est-ce là le salaire, De ce sceptre éclatant que l'a donné mon Père,Et n'as-tu demandé qu'il te cédât son rang,Que pour faire rougir son trône de son sang,Ne voulais-tu régner que pour faire ce crime, De ton adorateur en fais-tu ta victime ? Et récompenses-tu par un barbare effort,Le bienfait par l'outrage, et l'amour par la mort ? SÉMIRAMIS. Sémiramis n'a fait que ce qu'elle a dû faire,J'ai voulu perdre un monstre, exterminant ton Père ;Un ennemi des Dieux, et des plus Saintes Lois, Le Démon de la terre, et le Tyran des Rois,Qui de tous leurs États dépouilla tous les Princes,Qui de fleuves de sang arrosa leurs Provinces,Et qui n'épargna pas dans ses sanglants projets,Ses fidèles amis, ni ses meilleurs sujets, Qui nourrit dans son coeur de criminelles flammes,Qui tua les maris pour violer les femmes,Et mit dans le tombeau par un brutal amour,Ceux qui lui conservaient, et l'Empire, et le jour,Ses vices aux vertus déclarèrent la guerre, Mais le Ciel s'est lassé de voir souffrir la terre,Les Dieux qui prennent soin du salut des humains, M'ont mis pour le punir son sceptre entre les mains,Et d'un bandeau funeste aveuglé ce Monarque,Pour le faire tomber dans les bras de la Parque, Quoi qu'il m'eût outragée en m'ôtant mon époux,Quoi qu'il eût par sa mort excité mon courroux,On ne peut m'accuser d'aucune violence,Et j'ai sans passion exercé la vengeance,Mon conseil équitable a jugé de son sort, Et je l'ai fait lui-même opiner à sa mort. SOSARME. Opinant à sa mort sa grande amour éclate,Et toi le condamnant en parais plus ingrate,Un Roi ne peut avoir pour juges les ses vassaux,Les siens étaient ensemble, et juges, et Rivaux, Tes regards séducteurs, et tes beautés perfides, De ces fameux sujets ont fait des parricides,Ils ont versé le sang du fils des immortels,De Bel à qui l'Asie élève des autels ;Et pour faire périr le grand Roi d'Assyrie, Tu les as excités, ainsi qu'une furie,Toi-même devant eux tu portais le flambeau ;Tu lui devais un Temple, et l'as mis au tombeau,Après ce grand forfait, crains-tu point que la foudre, Te renverse du trône, et te réduise en poudre. SÉMIRAMIS. Toi, qui comme Ninus, m'excite de l'horreur,Loin de me menacer redoute ma fureur,Je mêlerai ton sang à celui de ton Père,Et veux qu'un même crime ait le même salaire. SOSARME. Je ferai mon destin, et je ne te crains pas, Sosarme aime son père, elle suivra ses pas,J'espère que des Dieux l'équitable puissance,De son sang répandu tirera la vengeance, Que pour punition d'avoir tué ton Roi,Tes enfants quelque jour s'armeront contre toi, Que ces Tigres cruels perdront une Tigresse,C'est ce qu'avant sa mort te prédit ta Princesse. Et vous qui de mon sort devriez être confus,Vous qui m'abandonnez aussi bien que Ninus,Voyez en me quittant pour suivre une inhumaine, Après votre Roi mort, expirer votre Reine. ORPHISE. Ah, Madame. SÉMIRAMIS. Otez-moi cet objet odieux,Que son sang criminel ne souille point mes yeux. On emporte Sosarme.Le Ciel a fait périr ceux qui m'ont outragée,Mes ennemis sont morts, enfin je suis vengée, Ma Rivale a moins craint la mort que mon courroux,Et mon cruel Tyran a suivi mon époux,Je lui viens d'immoler cette illustre victime,Ninus est son semblable en tout hormis le crime,Si la Parque au cercueil égale ces Rivaux, Le vice et la vertu les rendent inégaux,Mais je dois regretter cet époux plein de charmes.A son sang amoureux, allons mêler mes larmes. SCÈNE DERNIÈRE. Ctesiphonte, Semiramis. CTESIPHONTE. Madame, tout le peuple en la place arrêté,Pour vous montrer son zèle et sa fidélité, Sachant la mort du Roi, vous veut proclamer Reine,Il est impatient de voir sa Souveraine. SÉMIRAMIS. Ménon mort m'est encor plus cher que cet honneur,Mais montrons un courage au-dessus du malheur,Montrons à mes sujets la grandeur de mon âme, Qu'un trône est dignement rempli par une femme, Qu'en la mort de Ninus l'Univers a gagné,Et qui Sémiramis mieux qu'un homme a régné. ==================================================