******************************************************** DC.Title = LA COMÉDIE DE FRANCION, COMÉDIE DC.Author = GILLET DE LA TESSONNERIE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:45. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GILLET_FRANCION.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1115609 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA COMÉDIE DE FRANCION M. DC. XLII. Avec Privilège du Roi. À PARIS, Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais dans la petite salle, sous la montée de la Cour des Aides.Achevé d'imprimer pour la première fois le dernier Mai 1641. MONSIEUR, Je présente un ouvrage d'un bel esprit à celui dont la suffisance est capable de l'estimer, comme il faut et de lui donner le prix qu'il mérite. L'Auteur m'a permis d'en disposer, et j'ai cru que je ne pouvais mieux présenter cette pièce qu'à vous, puisque vous savez connaître parfaitement l'excellence des belles choses. On croira peut-être que c'est le ressentiment des obligations que je vous ai qui me porte à vous rendre cet hommage, mais encor que je sois parfaitement reconnaissant, je vous prie de croire que je ne le rends pas tant à vos bienfaits qu'à vous-même. Cette rare probité qui vous fait paraître incorruptible dans une profession où la corruption est si commune : cette belle affabilité qui vous fait estimer dans les plus belles compagnies, comme votre intelligence aux affaires, vous fait considérer aux Cours souveraines ; enfin cette grande étendue de coeur qui vous fait aimer tout le monde et moi en particulier, sont les motifs qui m'ont excité à déclarer au public, que les plus rares productions peuvent recevoir un nouveau caractère de mérite paraissant sous votre nom, et que la plus glorieuse qualité que je porte c'est celle de MONSIEUR, Votre très humble très obéissant et obligé serviteur, QUINET. PERSONNAGES. VALANTIN, Seigneur du Bourg. FRANCION, Seigneur Français. ANSELME, Parasite et confident de Francion. LAURETTE, Femme de Valantin. CATHERINE, Servante et Garçon déguisé. L'HOTESSE, Du logis où demeurait Francion. LA SERVANTE, De l'hôtellerie. OLIVIER, Gentilhomme pillé par les Voleurs. PETIT JACQUES, Capitaine des Voleurs. MARSAULT, Voleur. LE PRÉVÔT, Du Bourg. LE PROCUREUR, Fiscal. LUBIN, Paysan. LÉONARD, Paysan. BERTRAND, Paysan. La scène est au Bourg la Reine. ACTE I SCÈNE I. VALANTIN. Amour ne puis-je pas me dire misérable Puisque tu m'es contraire en m'étant favorable, Et que je puis ici justement t'accuser De me donner des biens dont je ne puis user, Depuis plus de deux mois je possède une femme Dont l'aimable beauté lance des traits de flamme. Et dont je reconnais que les puissants efforts Peuvent tout sur mon âme et rien dessus mon corps, Sitôt que je la vois ou lorsque je l'embrasse Mon ardeur s'alentit je me trouve de glace, Je ne puis savoir quel étrange malheur Change si promptement ma bouillante chaleur, Je me trouve immobile et plus froid qu'une souche Je baise ses beaux yeux je pâme sur sa bouche, Et lors que je devrais m'enivrer de plaisirs C'est quand je suis réduit à faire des désirs, Car loin de contenter mon amoureuse envie Je meurs du déplaisir de conserver la vie, Et de ne pouvoir pas faire ce que je veux [Note : Occasion : Prendre l'occasion aux cheveux, saisir rapidement le moment favorable de faire quelque chose. [L]]Lorsque l'occasion se présente aux cheveux, Car sans dompter enfin l'ennui qui me surmonte Je blêmis de colère et je rougis de honte, De ne pas contenter mes brûlantes amours Lorsque je suis encore aux plus forts de mes jours, Et que je ne connais aucune défaillance Qui doive autoriser une telle impuissance, Puisque je suis pourvu de tout ce qui me faut Que la nature en moi n'a point fait de défaut, Que je me vois aimé de ma chère Laurette Autant comme je l'aime et que je le souhaite, Et qu'un hymen sacré me rendant son époux Me permet de cueillir ce qu'il a de plus doux, Ha Dieux ! À ce penser mon mal se rend extrême Et je souffre un tourment pire que la mort même, Malheureux Valantin quel crime as-tu commis Pour te rendre l'amour et le Ciel ennemis, Et toi chère beauté mon unique pensée Rendrai-je ton amour si mal récompensée, Et que je ne puis pas te faire bientôt voir Qu'ayant la volonté je manque de pouvoir, Encore ce qui m'attriste et tout ce qui me fâche, C'est la crainte que j'ai que quelqu'un ne le sache, Puisque si je pouvais découvrir mon tourment J'en pourrais espérer un prompt allégement Laurette paraît.Mais j'aperçois Laurette : ah Dieux qu'elle est aimable Que son aspect m'est rude et qu'il m'est agréable. SCÈNE II. Valantin, Laurette, Catherine. LAURETTE, en l'abordant. Quoi, Monsieur, si matin vous trouver en ces lieux. VALANTIN. Ne vous [éton]nez point délices de mes yeux. LAURETTE, à l'écart. Le beau nom. VALANTIN. Si je viens dedans cette prairie Chercher un entretien propre à ma rêverie, Puisque vous savez bien que ce qui m'y conduit N'est que le triste état où le sort m'a réduit. LAURETTE. Quel est donc votre mal. VALANTIN en soupirant. Il n'est que trop visible. LAURETTE. Monsieur je n'en sais point qui soit assez sensible, Pour forcer votre humeur au point où je la vois Hé Dieux ! Vous soupirez est-ce à cause de moi. Embrassez-vous sitôt le souci du ménage Et vous repentez-vous de notre mariage. VALANTIN. Non Madame il n'a rien qui ne me soit fort doux Et tout mon déplaisir n'est qu'à cause de vous, Craignant à tous moments de vous voir malheureuse. LAURETTE. Monsieur défaites-vous de cette humeur peureuse, Et ne me tenez plus de semblables propos Si vous aimez mon bien comme votre repos, Car puisque notre hymen joint nos deux coeurs ensemble Je bénirai toujours le noeud qui les assemble. VALANTIN. Et qui met dans vos bras un malheureux époux. CATHERINE bas. Qui n'a rien après tout qui soit digne de vous. LAURETTE, à l'écart les deux premières. Si tu veux m'obliger sois un peu plus discrète Et laisse-moi flatter cet infâme squelette, Si vous continuez vous me ferez penser Que vous ne me parlez qu'afin de vous gausser. VALANTIN. Me préserve le Ciel d'en avoir la pensée. LAURETTE. Quittez donc ce discours dont je suis offensée, Et me dictez plutôt pour charmer notre ennui Quel divertissement nous prendrons aujourd'hui, Ayant accoutumé de fuir la solitude Je ne vous cèle point qu'elle m'est un peu rude, Et principalement quand je suis dans les champs Où l'on ne doit songer qu'à bien passer le temps. VALANTIN. Madame proposez, je suivrai votre envie. LAURETTE. Parmi tous ces plaisirs où le temps nous convie, Pas un ne me déplaît et je les aime tous. VALANTIN. Vous n'avez qu'à choisir. LAURETTE. Je m'en remets à vous. VALANTIN. Et bien goûterons-nous du plaisir de la chasse. LAURETTE. Oui : mais. VALANTIN. Je connais bien que vous en êtes lasse Et que celle d'hier. LAURETTE. Ah ! Monsieur nullement, J'irai si vous voulez. VALANTIN. Non faisons autrement, Allons nous promener. LAURETTE. Le chaud nous en empêche. VALANTIN. Prenons donc sans sortir le plaisir de la pêche, Et pour avoir le frais allons vers le vivier [Note : Épervier : Sorte de filet à prendre du poisson. [FC]]Et faisons y jeter quelques coups d'épervier. LAURETTE. C'est le meilleur dessein que nous eussions pu prendre Allons. VALANTIN. Ne pressez rien. LAURETTE. Que voulez-vous attendre. VALANTIN. Un moment seulement pour nous faire apprêter Quelques provisions pour y faire porter, Afin que nous goûtions sur l'aimable verdure Tous les contentements que donne la nature, Et que nous y puissions après un tel festin Passer plus doucement le reste du matin. LAURETTE. Puisque comme son corps son esprit est malade Le plaisir qu'il promet vous semblera bien fade. VALANTIN. Que dis-tu ? CATHERINE. Qu'il fait bon dessus des gazons verts Goûter en folâtrant mil plaisirs divers, Et qu'il n'est rien encor qui charme davantage Que d'être à couvert sous un sombre feuillage, Où malgré les rayons du Soleil et du jour Chacun n'est échauffé que des traits de l'amour. VALANTIN. Pour faire concevoir ce plaisir à l'extrême Dire qu'il faut être encor proche de ce qu'on aime, Puisque quoi qu'il en soit nous ne chérissons rien Quand nous ne voyons point notre souverain bien. LAURETTE, bas. Et c'est ce qui me rend ton aspect méprisable Puisque je n'y vois point ce que j'y trouve aimable, Ce Soleil de mes yeux ce Francion charmant Qui cause mon plaisir comme toi mon tourment, Mais nous tardons beaucoup. VALANTIN. Pardonnez-moi Madame, Je crains en vous quittant d'abandonner mon âme. CATHERINE, bas. Ayant atteint quasi la dernière saison Il a peur de mourir c'est avecque raison. VALANTIN. Mais je vais de ce pas revenir tout à l'heure. LAURETTE. [Note : Demeure : retard, délai [L]]Allez ne tardez point faites peu de demeure. SCÈNE III. Laurette, Catherine. LAURETTE. Me voyant endurer jusques au dernier point Catherine à la fin ne me plaindras-tu point, Ne donneras-tu pas des soupirs à mes larmes Ne m'aideras-tu point en de telles alarmes, Et suivant le secours que j'espère de toi, N'auras-tu point de soin ni de pitié de moi. [Note : Tithon : Prince troyen, fils de Laomédon, et frère de Priam, était si beau que l'Aurore l'enleva pour en faire son époux. [B]]Tu sais que ce Trithon m'est bien plus exécrable [Note : Adonis : garçon extrêmement beau. [L]]Que mon jeune Adonis ne me semble adorable, Et qu'en me le donnant mes plus proches parents En pensant m'obliger ont été mes Tyrans. CATHERINE. Oui, Madame, il est vrai vous êtes bien à plaindre, Et j'ignore comment vous vous pouvez contraindre, Jusqu'au point de flatter ce vieux spectre vivant Qui n'est que le portrait d'un fantôme mouvant. LAURETTE. Tu sais que pour cacher le feu que j'ai dans l'âme Il est bon de flatter. CATHERINE. Oui je le sais Madame, Mais je m'étonne encor comme vous l'avez pris Puisque d'un autre objet votre coeur est épris. LAURETTE. Tu sauras que l'affaire était presque conclue Et qu'à ce mariage on m'avait résolue, Lorsqu'un puissant démon que je ne connais pas Me fit voir Francion pourvu de tant d'appas, Qu'à son premier abord je demeurai surprise Mon âme par ses yeux lui donna ma franchise, Et pour le faire court je fus au même jour De libre que j'étais une esclave d'amour. CATHERINE. M'ayant déjà rendu votre amour manifeste Madame vous devez m'en déclarer le reste, Et me conter ici sans crainte de témoins Comme vint cet amour en y pensant le moins. LAURETTE. En deux mots seulement je te vais satisfaire J'étais dedans Paris ma demeure ordinaire, Lorsque tous mes parents pressés pas Valantin Ou plutôt par l'arrêt de mon mauvais destin, M'accordèrent à lui sous le joug d'hyménée Et j'approchais déjà cette triste journée Quand ma mère me dit qu'il fallait allez voir Quelques chaînes de prix que je voulais avoir, Ce que lui promettant sans autre résistance Beaucoup moins par amour que par obéissance, Dès le même moment Valantin nous mena Pour avoir ces joyaux qu'enfin il me donna : Mais tu remarqueras que cette belle chaîne Fut le charmant objet de celle qui me gêne, Qu'elle fut le témoin de ma captivité Et que bientôt après je fus sans liberté : Car à peine avons-nous entré dans la boutique D'un marchand qui logeait vers la place publique, Que nous vîmes entrer aussitôt avec nous Un homme dont les traits me parurent si doux,Qu'à son premier aspect mon âme fut émue Elle brûla soudain d'une flamme imprévue, Et sans pouvoir nommer l'instinct qui la causait Plus j'en voyais l'objet et plus il me plaisait. CATHERINE. Était-ce Francion. LAURETTE. Oui chère Catherine C'est lui qui me parût d'une grâce divine, D'un port majestueux et tel qu'étaient les Dieux Quand amour les forçait d'abandonner les Cieux. CATHERINE. Quel sujet l'amenait. LAURETTE. Ce fut ma seule vue Car m'ayant rencontré dans la prochaine rue, Il me suivit des yeux jusqu'à tant qu'il me vit Entrer chez le marchand où son oeil me ravit. CATHERINE. Mais enfin que fit-il, dites-moi je vous prie. LAURETTE. Il se servit alors d'une grande industrie, Car feignant d'acheter un fort beau diamant Il m'aborda sans peine et fort facilement. CATHERINE. Si bien que vous pourriez dire avec assurance Ignorant d'où vos feux auraient pris leur naissance, Qu'il se servit alors de quelque enchantement Pour gagner votre esprit avec un diamant. LAURETTE. Qu'il m'éblouit les yeux par l'éclat d'une pierre Comme quand le Soleil réfléchit sur du verre, Car ses yeux pleins de feux qu'il me voulait bailler Frappaient le diamant et le faisaient briller : Mais je vois Valantin, à tantôt Catherine. CATHERINE. Courez donc au-devant et faites bien la fine, Si tu reconnaissais mon sexe et mon dessein Tu cacherais l'ardeur qui règne dans ton sein. SCÈNE IV. Petit Jacques, Marsault, Olivier, et leur suite. PETIT JACQUES. Ne tiens plus les discours dont tu nous importunes Songe au bien qui t'attend plus qu'à nos infortunes, Montre-nous des essais de générosité Et fais une vertu de la nécessité, Sache que comme toi nous sommes Gentilshommes Que nous aimons l'honneur tout voleurs que nous sommes, Que nous n'ôtons jamais ce qu'on nous veut donner Et qu'il n'est rien en nous qu'on puisse condamner, Si nous prenons des biens on nous a pris des nôtres Le mal qu'on nous a fait nous le faisons aux autres, Et pour tout dire enfin dans cette extrémité, Nous rendons aujourd'hui ce qu'on nous a prêté, Sache que j'ai suivi plus de vingt ans les armes Que j'ai paru sans peur au milieu des alarmes, Que j'ai longtemps servi ma patrie et mon Roi Mais que depuis six mois je ne sers plus que moi. [Note : Fait : Il se dit aussi familièrement De la part qui appartient à quelqu'un dans un total. Il faut leur donner à chacun leur fait, pour en disposer comme ils voudront. [Acad. 1762]]Qu'après avoir mangé tout mon fait à l'armée Je ne me repais plus d'une vaine fumée, Et que j'aime bien mieux tenter mille hasards Dessus les grands chemins que dans le champ de Mars. OLIVIER. Oui, Monsieur, ce métier est bien plus profitable Mais avouez pourtant qu'il est moins honorable, Et qu'il est mal aisé quoiqu'on gagne beaucoup Qu'un homme comme moi l'exerce au premier coup. PETIT JACQUES. Au contraire l'ami tout homme de courage Embrasse avec ardeur le meurtre et le carnage Il s'y porte aisément quand il s'y voit contraint Et mépriser l'honneur bien plus qu'il ne la craint, Moi-même j'en ai fait et l'épreuve et l'exemple J'ai dérobé d'abord jusques dedans le temple. J'ai tué des passants j'ai volé des marchands J'ai pillé dans la ville autant que dans les champs, En portant la terreur en plus de cent famillesJ'ai forcé bien souvent des femmes et des filles. OLIVIER, bas. Les belles actions. PETIT JACQUES. Mais laissant ce discours Apprends que nous avons besoin de ton secours. OLIVIER. Pourquoi. MARSAULT. Pour faire un vol dans la maison prochaine. OLIVIER. Comment. MARSAULT, feignant d'être en colère. Que dis-je. PETIT JACQUES. Rien, ne t'en mets pas en peine, Nous avons là-dedans un jeune homme de coeur Qui bravant le péril aussi bien que la peur Pour aider au dessein que nous avons dans l'âme A pris depuis deux mois les habits d'une femme, Il y feint de servir, et se cache si bien Que tous ceux du logis n'en reconnaissent rien. OLIVIER, bas. Feignons donc comme lui puisqu'il est bon de feindre. MARSAULT. Réponds. OLIVIER. Je suis à vous, vous ne devez rien craindre. PETIT JACQUES. Mais notre Agent s'approche. OLIVIER. Ah ! Quelle trahison ? SCÈNE V. Catherine, Petit Jacques, Olivier, Marsault. LAURETTE. Je n'ai jamais pensé sortir de la maison Et si je n'eusse usé d'une grande finesse Je n'eusse pu quitter notre feinte maîtresse. MARSAULT. Et bien quand pourrons-nous voler ce grand trésor ? PETIT JACQUES. Sera-ce sur le soir. CATHERINE. Il faut attendre encor. Car dedans peu de temps ainsi que je l'espère. PETIT JACQUES. Tu remets tous les jours. CATHERINE. Hé bien, qui puis-je faire, Ne vaut-il pas bien mieux attendre un peu de temps, Que de nous voir frustrer honteux et mal contents. PETIT JACQUES. Si nous étions traités, comme toi chez un maître, Rien ne nous presserait. CATHERINE. Tu le seras. PETIT JACQUES. Peut-être. CATHERINE. Tu n'en dois point douter. Mais dis-moi cher ami, Quel est ce compagnon qui paraît endormi L'on dirait à le voir qu'il serait immobile. PETIT JACQUES. Cher frère tel qu'il est, il nous est fort utile. CATHERINE. Mais où l'as-tu donc pris. PETIT JACQUES. Tu le sauras tantôt N'en dis mot seulement, voilà ce qu'il nous faut. CATHERINE. Pourvu qu'il ait des yeux des mains et des oreilles Étant avec nous il fera des merveilles. OLIVIER. Oui Monsieur, j'ai le bien d'avoir des qualités. CATHERINE. J'en conçois quelque espoir. OLIVIER. Que si vous en doutez [Note : Pleiger : Cautionner en Justice, répondre pour quelqu'un, et s'obliger de payer le jugé. [F]]L'effet quand vous voudrez pleigera ma parole. MARSAULT. Hé bien qu'en dites-vous. CATHERINE. Qu'il est assez bon drôle. OLIVIER. Oui ma foi je le suis. CATHERINE. Mais je sors de ce lieu Sers-nous fidèlement. PETIT JACQUES. Jusqu'au revoir. CATHERINE. Adieu. SCÈNE VI. Francion, Anselme. FRANCION. Ne m'en détourne point fais ce que je désire, Je suis venu trop loin pour m'en pouvoir dédire, Et malgré tes discours je suis trop bien sensé Pour quitter un dessein que j'ai bien commencé, Quand il m'en coûterait et l'honneur et la vie Je verrai cet objet dont mon âme est ravie, Et serai trop content si mon déguisement Me fait avoir le bien de la voir un moment. Pas un ne me connaît et dedans ce village Tout rit à mes souhaits et me donne courage Car outre ma finesse et mes habillements Ces fioles ces outils, et ces médicaments Dont l'on m'a tantôt dit l'usage et la pratique [Note : Empirique : Qui ne s'attache qu'à l'expérience dans la Médecine, et qui ne suit pas la méthode ordinaire de l'Art. [Acad 1762]]Me feront estimer un fameux Empirique, Ainsi je pourrai voir avec facilité Celle que mon rival tient en captivité, Je pourrai lui parler sans nulle défiance Allant voir Valantin pour avoir sa puissance, De prendre en son pays le nom d'Opérateur Et d'y faire un métier. ANSELME. Qui perdra son Auteur. FRANCION. Que si tu tiens encore ce dessein pour infâme Sache pour m'exempter de reproche et de blâme, Que Jupiter jadis pour un sujet moins beau Prit tout Dieu qu'il était la forme d'un Taureau. ANSELME. Dites sans vous couvrir de ce prétexte honnête Qu'Amour fait aisément d'un amant une bête Qu'il prive de raison tous ceux qu'il a vaincus. FRANCION. Il dompte tous les Dieux. ANSELME. Exceptez en Bacchus, Révérez avec moi ce grand Dieu des Bouteilles, Qui produit tous les jours de si rares merveilles, Et qui me fait jouir avec fort peu d'efforts D'un plaisir qui pourrait ressusciter des morts, C'est avec ce grand Dieu que l'on a point de crainte Que l'on ne fait jamais de regrets ni de plainte, Que l'on ne connaît point l'usage des soupirs Et qu'on peut tous les jours contenter ses désirs. FRANCION. Laisse tous ces discours Anselme je te prie, Cesse de te railler. ANSELME. Si faut-il que je rie, Ou vous n'aurez jamais de repos avec moi. FRANCION. Oui, parce que tu sais que j'ai besoin de toi. ANSELME. Bien je ne dirai mot. Mais achevez de grâce, Le discours dont hier nous quittâmes la trace. FRANCION. Si je m'en ressouviens, je t'ai déjà conté Comme je vis Laurette avec subtilité, Et comme j'achetai pour m'approcher près d'elle Une Bague de prix qu'elle trouva fort belle. ANSELME. Oui, Monsieur il est vrai, vous m'avez dit cela, Et m'avez raconté comme elle s'en alla. FRANCION. Pour donc avoir encor le bonheur de sa vue, Je demandai son nom sa demeure et sa rue. ANSELME. À qui cela Monsieur. FRANCION. Au Marchand où j'étais. ANSELME. Hé bien vous le dit-il, fut-il assez courtois. FRANCION. Oui, je fus satisfait, et j'appris davantage Qu'elle était accordée avec un homme d'âge, Qui tâchant de se rendre agréable à ses yeux Lui venait d'acheter des joyaux précieux. ANSELME. Enfin que fîtes-vous. FRANCION. Sachant donc sa demeure Désireux de la voir j'y fus dès la même heure. Mais le malheur voulut que l'on me la cela Et je ne la vis pas qu'à quinze jours de là. ANSELME. Mais lui parlâtes-vous. FRANCION. Oui. ANSELME. Mais de quelle sorte. FRANCION. Comme un jour je passais, je la vis sur sa porte, Et lors pour l'accoster avec quelque raison Je lui vins demander si près de sa maison Il ne demeurait point un nommé Périandre. Ce qu'enfin ne pouvant aucunement m'apprendre, Je changeai de discours et comme tout surpris Je la remerciai du soin qu'elle avait pris, Lors elle me répond. Mais avec un langage Qui m'obligea d'abord d'en dire davantage. Car pour le faire court, je lui dis mon dessein Je reconnus l'ardeur qu'elle avait dans le sein. Elle-même m'apprit son funeste Hyménée Me promit de la voir la première journée, Où n'ayant point manqué j'appris que son époux Était d'un naturel et barbare et jaloux, Et que le lendemain cet homme tout sauvage L'emmenait pour longtemps vivre dans son village. ANSELME. Bref. FRANCION. Après cent discours elle me dit adieu Et me pria surtout de venir en ce lieu Mais si bien déguisé qu'on ne me put connaître. ANSELME. Voilà qui va fort bien. Mais que vois-je paraître. FRANCION. C'est l'hôtesse qui vient la serviette à la main. SCÈNE VII. Francion, Anselme, L'Hôtesse. L'HOTESSE. Le déjeuner est prêt. ANSELME. Aurons-nous de bon vin. L'HOTESSE. Oui Monsieur, le meilleur de toute la contrée. ANSELME. Qu'avez-vous, préparés. L'HOTESSE. Vous aurez pour l'entrée Un dindon, deux perdrix, avec un gras chapon. ANSELME. Mais vous ne parlez point de membre de mouton. N'en avez-vous pas mis. L'HOTESSE. Non. ANSELME. Mettez-en de grâce Avec un aloyau des plus gras de sa race. L'HOTESSE. Nous n'avons qu'un mouton que l'on vient d'égorger Il est encor tout chaud. ANSELME. Qu'on m'en donne à manger. L'HOTESSE. Mais il sera bien dur. ANSELME. Je le trouverai tendre Donnez ne feignez point, je ne saurais attendre. L'HOTESSE. Monsieur vous vous moquez. ANSELME. Non Madame j'en veux. L'HOTESSE. Ce que j'ai préparé suffira pour vous deux Et puis un tel manger n'est pas trop délectable. ANSELME. N'importe mettez-en, je mangerais le Diable, Quoi qu'il en soit mes dents ne s'en casseront point Et je n'en ferai point élargir mon pourpoint, J'ai le ventre plus creux qu'une basse de viole J'ai dedans plus de vents que n'en retient Éole Et... FRANCION. Finis ces discours dont tu nous étourdis Ah ! Dieux les beaux tétons qu'ils sont bien rebondis. Quoi qu'il puisse arriver il faut que je les baise. L'HOTESSE. Oui vraiment il le faut, vous parlez à votre aise. [Note : Aga : Interjection admirative.[F]]Arrêtez-vous ? Aga. ANSELME. Que ce plaisir m'est doux Il faut recommencer. L'HOTESSE. Là Monsieur tenez-vous. Vous n'êtes pas boucher pour tant tâter la viande. FRANCION. Non mais je l'aime bien. ANSELME. La petite friande Monsieur sortons d'ici, car tout se refroidit. FRANCION. Allons je le veux bien. ANSELME. Faites ce que j'ai dit. L'HOTESSE. Bien, mais je vais toujours faire mettre sur table. FRANCION. Anselme qu'elle est belle. L'HOTESSE. Ah ! Dieux qu'elle est aimable. ACTE II SCÈNE I. L'Hôtesse, La Servante. L'HOTESSE. Les as-tu vus sortir ont-ils changé d'habits. LA SERVANTE. Oui Madame il est vrai comme je vous le dis. L'HOTESSE. Ils ont quelque dessein que je ne puis connaître Mais d'où les as-tu vus. LA SERVANTE. J'étais à la fenêtre. L'HOTESSE. Quel chemin tiennent-ils. LA SERVANTE. Ils vont vers le château Et marchent doucement le nez dans le manteau, Mais Madame en tout cas vous avez de bons gages Leurs chevaux leurs habits, et tout leurs équipages, Valent bien pour le moins ce qu'ils ont dépensé. L'HOTESSE. Je n'estime rien moins que ce qu'ils ont laissé Et si tu connaissais. Mais cachons notre faute. LA SERVANTE. Madame je vois bien que vous aimez notre hôte. L'HOTESSE. Il est vrai. LA SERVANTE. Mais au moins laissez-moi son valet. L'HOTESSE. Va ne te moque point, le parti n'est pas laid N'est-il pas en bon point ? N'a-t-il pas bonne mine. LA SERVANTE. Et principalement dedans une cuisine. C'est là qu'il sait paraître avec un grand éclat, Et qu'il sait nettoyer adroitement un plat Jamais je n'en ai vu qui lui soit comparable. Il a mangé lui seul tous les mets de la table, Et pout tout dire en fin il a tant bu de vin, Que celui qui servait en a mal à la main. L'HOTESSE. Mais tu l'aimes pourtant, quoi que tu veuilles dire. LA SERVANTE. Ma foi c'est un galant, il a le mot pour rire. Et je fais tant d'état de sa joyeuse humeur Que je l'aime. L'HOTESSE. Ah ! Vraiment tu lui fais trop d'honneur Et sitôt qu'il viendra dans cette hôtellerie Je lui ferai savoir. LA SERVANTE. Madame je vous en prie Vous me ferez plaisir. L'HOTESSE. Au moins nous en rirons, Mais pour moi je ne sais ce que nous résoudrons. LA SERVANTE. Madame commandez, je vous suis toute acquise. L'HOTESSE. Viens je te conterai quelle est mon entreprise. SCÈNE II. Valantin, Francion, Anselme, en habits d'Opérateur. VALANTIN. Oui, demeurez mon maître, en toute liberté. FRANCION. Vous m'obligez beaucoup sans l'avoir mérité. VALANTIN. Je ferais plus pour vous si je le pouvais faire. FRANCION. Comment après cela puis-je vous satisfaire. VALANTIN. Si vous voulez vous mettre au rang de mes amis Faites-moi le récit que vous m'avez promis. FRANCION. Monsieur, je vous dirai, s'il vous plaît de m'entendre Que le désir de voir aussi bien que d'apprendre, Me fit abandonner dès l'âge de quinze ans Le lieu de ma naissance et mes plus chers parents, D'abord cette Province en merveille féconde L'honneur de l'univers la maîtresse du monde, L'Italie en un mot par des secrets appas Attira puissamment et mon coeur et mes pas, Et je me disposais pour y passer ma vie Lorsqu'un nouveau dessein m'en fit perdre l'envie, Je quittai donc porté d'un désir curieux Ce climat si charmant et si délicieux, Ensuite m'étant mis sur un vaisseau de Gênes, J'arrivai sans péril et sans beaucoup de peines, Sur les côtes d'Espagne où l'Èbre si fameux Rend tribut à la mer de ses flots écumeux, Je ne demeurai guère en cette ingrate terre Pour aller visiter l'agréable Angleterre, La guerrière Hollande, et ces champs que le cours Du Renommé Danube engraisse tous les jours. ANSELME. Qu'il est judicieux, qu'il a bonne mémoire Qu'il ment bien à propos et qu'il en fait accroire, [Note : Mâtin : Espèce de chien de garde. [FC]]Puissé-je devenir un célèbre mâtin S'il a jamais passé Vaugirard ou Pantin. FRANCION. Assez près de sa source. ANSELME. Où les ânes vont boire. FRANCION. S'élève une forêt aussi vieille que noire Et qui servait d'asile aux antiques Germains Quand ils étaient pressés par les soldats Romains, Là dedans loin du bruit et de l'inquiétude Un vieillard allemand s'appliquait à l'étude Et sans être jaloux du bonheur des Césars Occupait son esprit à cultiver les arts, Tout ce qui voit le jour tout ce qui prend naissance Tombait évidemment dessous sa connaissance, Il savait la vertu des moindres végétaux Et discourait des mieux du pouvoir des métaux, Il était bien versé dedans l'Astrologie Et pratiquait souvent cette honnête Magie. Qui peut sans offenser le souverain des Dieux Étonner la Nature et charmer tous les yeux. ANSELME. Monsieur vous oublier le plus considérable Car il jetait les dés d'une adresse admirable, Attaquait un jambon d'un effort plus qu'humain Et vidait tout d'un trait quatre pintes de vin. FRANCION. Surtout il excellait dedans la médecine Cette profession éminente et divine, Qui maintient la santé dans les plus faibles corps Et nous défend si bien contre le Dieu des morts, Il savait mieux qu'aucun quelle herbe est abstersive Quelle ouvre les conduits quelle est dessiccative Quelle par sa chaleur mûrit les crudités Quelle dissout le flegme, et les viscosités Quelle purge le sang, quelle chasse la bile Quelle astreint ou digère, et quelle désopile, Et sans rien observer que l'urine et le pouls Découvrait tous les maux qui s'attachent à nous, [Note : Hectique : Terme de Medecine. C'est une épithete qui se donne à une sorte de fievre qui est presque incurable. [F]]Il guérissait la fièvre intermittente hectique Ainsi que l'éphémère et la symptomatique. Par le moyen d'une eau très agréable au goût Bénigne en ses effets et de fort peu de coût, Il soulageait bientôt la prompte apoplexie [Note : Incube : est aussi une maladie qui est causée d'une oppression d'estomac si grande, qu'on ne peut respirer ni parler. [F]]L'incube dangereux la triste épilepsie, Mais surtout il avait des secrets de haut prix [Note : Cypris : Qui signifie proprement une femme de Cypre, mais qui ne se dit que de Vénus, à qui cette Isle étoit consacrée. [T]]Pour combattre le mal que l'on prend chez Cypris. ANSELME. Monsieur vous en parlez et par expérience Il exerça sur vous ses secrets d'importance, Je crois bien que sans lui vous eussiez eu besoin D'aller jusqu'en Syrie et peut-être plus loin. FRANCION. Il composait d'un baume à fermer les blessures, D'un onguent souverain pour toutes les brûlures, D'un emplâtre gommeux à mettre sur le sein Et d'un savon musqué pour nettoyer la main. ANSELME. Surtout il entendait la physionomie Il se mêlait aussi de souffler l'Alchimie [Note : Douzain : Monnaie de cuivre avec quelque alliage d'argent valant un sou, ou douze deniers tournois. [T]]Et quand on lui donnait un malheureux douzain Il devinait des mieux en regardant la main, Il fixait le mercure en disant trois paroles Et même fabriquait des mauvaises pistoles, Il voulut m'enseigner ce métier merveilleux. Mais je lui remontrai qu'il était périlleux Que quiconque l'exerce est sujet à la corde Et que pour lui les lois sont sans miséricorde. FRANCION. Ne veux-tu pas te taire insolent effronté. ANSELME. On qualifie ainsi qui dit la vérité. VALANTIN. Ô Dieux ! Le rare esprit. FRANCION. Cet homme vénérable Employant à m'instruire un soin incomparable, Je devins si savant en moins de quinze mois Que je l'égalais bien, si je ne le passais, Après qu'il m'eût montré sa doctrine profonde Je sortis de chez lui pour courir tout le monde, Et contenter mes yeux de tant d'objets divers Qu'en supporte la terre, et qu'enfermaient les mers, J'aurais trop de sujet pour emplir cent volumes Si je voulais parler des forces des Coutumes, De l'ordre Politique, et des Religions Que tiennent aujourd'hui toutes les Nations, Il suffit que j'ai vu des montagnes brûlantes Des abîmes sans fonds, et des Îles flottantes, Que je me suis trouvé mais non pas sans travaux Chez des peuples polis et des peuples brutaux, Que j'ai senti l'ardeur qui déserte l'Afrique Enduré les hivers qui sont sous l'Antarctique, Et fait plus de chemin que ce fameux vaisseau Dessus qui Magellan tourna la terre et l'eau. ANSELME. Quoi qu'il raconte ici de son rare mérite Il n'a jamais rien fait qu'écumer la marmite, Que garder les tisons, et battre le pavé. FRANCION. Il n'est point de secrets que je n'aie éprouvés Mais pour tirer du fruit de mes fâcheux voyages, Je conférai longtemps en Perse avec les Mages Dans l'Inde Orientale avec les Braquemanes Et dans la basse Asie avec les Talismanes, Je fis en mille endroits des cures fort célèbres Au Prince de Congo je remis les Vertèbres, Je conservai la vue au Roi de Cananor J'ôtai la sciatique au superbe Mogor, [Note : Ulcère : Dans le XVIIe siècle, l'usage hésitait sur le genre de ce mot. M. Chapelain condamne ceux de la cour qui ont fait ulcère féminin ; il est masculin, VAUGEL. Rem. not. Th. Corn. t. II, p. 615, dans POUGENS. [L]]Je pansai le Négus d'un ulcère incurable, Et guéris le grand Kan, d'un abcès incroyable, Enfin je débitai mes remèdes puissants [Note : Sophi : Nom qu'on donnait autrefois dans l'Occident au schah de Perse. [L]]En la splendide Cour du Sophi des Persans. ANSELME, bas. Il me souvient encore que depuis dans Mycènes Il guérit un pourceau d'une grande migraine, [Note : Farcin : Maladie des chevaux, ou des boeufs. Le farcin se gagne aisément, et est une vraie peste pour les chevaux. [F]]Qu'il pansa pour le moins dix chevaux du farcin Et qu'il remit aussi la cuisse d'un poussin. FRANCION. Lors que le Grand Seigneur assiégeait en personne Sur l'Euphrate campé, la forte Babylone, Il advint par malheur qu'un boulet de canon [Note : Sternon : Terme de Medecine. Le devant de la poitrine ou du thorax, où aboutissent les côtes. [F] On écrit maintenant Sternum.]Frappa son Grand Vizir au-dessous du sternon. Chacun le croyait mort, on voyait ses entrailles Et on lui préparait de belles funérailles. Lorsque je le frottai de mon baume excellent Tout à l'heure son mal devint moins violent, Le quatrième jour il visita l'armée Qui fut par ce spectacle au dernier point charmée, Et confessa tout haut que mon médicament Opérait sur les corps miraculeusement. VALANTIN. Vous méritez encor de plus grandes louanges Je crois que votre esprit tient de celui des Anges, Et que les justes Dieux vous ont conduit ici Pour alléger ma peine et finir mon souci. Mais Laurette s'approche ô venue importune Pouvait-il m'arriver une pire infortune. FRANCION. C'est elle je la vois cet objet nonpareil Qui m'éblouit les yeux comme un autre soleil, Que de divins appas, que d'adorables choses Que d'extrêmes beautés que de lys et de roses Toi qui mis autrefois son portrait dans mon sein Amour fais prospérer mon généreux dessein. SCÈNE III. Valantin, Francion, Anselme, Laurette. VALANTIN. Madame venez voir un homme incomparable. FRANCION. Ah Monsieur je n'ai rien qui soit considérable Si ce n'est le désir que j'ai de vous servir Et cela m'est un bien qu'on ne me peut ravir. LAURETTE. Puisque vous l'estimez il est digne de gloire Je crois qu'il vaut beaucoup. VALANTIN. Vous le pouvez bien croire. FRANCION. Si cet homme me loue au lieu de me haïr Est-il rien désormais qui me puisse trahir. VALANTIN. Je lui viens maintenant d'octroyer la puissance De débiter ici ses secrets d'importance, Et d'y faire deux mois un honnête trafic Qui ne saurait tourner qu'au profit de public. FRANCION. Si mes secrets dans peu ne trouvent point de bornes Nous verrons sur ton front une forêt de cornes. LAURETTE. Mais encore qu'a-t-il donc. VALANTIN. Des secrets sans égaux Pour guérir promptement toutes sortes de maux, Il est des plus savants qui soient dedans la France. Il sait parler de tout avec expérience, Et vient si bien à bout de ce qu'il entreprend Qu'il se fait admirer du plus indifférent, Il a vu les pays les plus déserts du monde Et bref son éloquence est tellement féconde Que lorsqu'il m'a conté le chemin qu'il a fait. J'ai demeuré ravi surpris et satisfait. LAURETTE. Il est donc Médecin. ANSELME. N'en soyez plus en peine Madame il est Docteur de la Samaritaine. LAURETTE. Et par conséquent donc grand arracheur de dents. FRANCION. Oui Madame, et j'en ai plus de cent là-dedans, Qui sont d'une grosseur toute prodigieuse. LAURETTE. De grâce montrez-les. FRANCION. La chose est curieuse Et bien digne de voir tant pour sa rareté Comme pour faire foi de ma dextérité, J'ai tout seul le secret de les tirer sans peine Tous les autres n'en font qu'une promesse vaine. Et l'on sait qu'à Paris Carméline et du Pont Ne tiennent que de moi la science qu'ils ont. Mais voyez s'il vous plaît. LAURETTE. Ah ! Dieux quelle abondance. FRANCION. Jugez après cela de mon expérience. LAURETTE. Mais qu'est cela dedans. FRANCION. D'un jus fort précieux Pour conserver la vue et nettoyer les yeux. LAURETTE. Et là-dedans encor. FRANCION. Non c'est d'une pommade Qui peut rendre charmant le teint du plus malade. LAURETTE. Ici dedans Monsieur. FRANCION. Ce sont quelques senteurs. LAURETTE. Là. FRANCION. D'une eau pour ôter les tâches de rousseurs. LAURETTE. Et dedans ce papier. FRANCION. Ce sont quelques tablettes. LAURETTE. Et ceci dites-moi. FRANCION. Ce sont des savonnettes Qui sont pour nettoyer et pour blanchir la main. LAURETTE. Et là. FRANCION. C'est d'une poudre à mettre dans le vin. LAURETTE. Ici. FRANCION. D'un onguent vert qu'on met sur les brûlures. LAURETTE. En ce coin. FRANCION. C'est d'un baume à fermer les blessures. LAURETTE. Et là. FRANCION. C'est de la poudre à faire éternuer. LAURETTE. Là. FRANCION. C'est du vif argent. ANSELME. Propre à faire suer. LAURETTE. Et dedans ce milieu. FRANCION. Des essences de Rome. LAURETTE. Et là-dessous Monsieur. FRANCION. Des chapelets de baume. LAURETTE. Et ces petits carrés dites-moi ce que c'est. FRANCION. Ce sont des muscadins prenez-en s'il vous plaît Ils donnent une odeur agréable à la bouche. LAURETTE. Combien les vendez-vous. FRANCION. Qu'aucun soin ne vous touche. VALANTIN. Mais je vais commander qu'on dresse le repas. Mon maître demeurez je reviens de ce pas, Je veux que nous dînions aujourd'hui tous ensemble. FRANCION. Bien Monsieur je ferai tout ce que bon vous semble. SCÈNE IV. Laurette, Francion, Anselme. FRANCION. Maintenant que je suis sans nul empêchement Madame dites-moi pour parler librement S'il ne vous souvient point d'avoir vu mon visage. LAURETTE. Mais vous à quel propos me tenir ce langage. FRANCION. Madame c'est afin de vous faire savoir Que je ne viens ici qu'afin de vous y voir, Que si vous me blâmer d'avoir eu trop d'audace C'est de vous seulement que j'implore ma grâce, Songez qu'en ce péché que vous avez causé Je ne suis criminel que pour avoir osé, Et que vous ne sauriez accuser ma présence Sans accuser aussi votre peu de constance. LAURETTE. Je ne vous connais point. FRANCION. Voyez, voyez mes yeux.Et peut être à la fin vous me connaîtrez mieux Observez mes regards et leur secrète flamme Vous pourra témoigner celle que j'ai dans l'âme Et vous fera savoir qu'en cet heureux moment, Que mon amour paraît sous mon déguisement. LAURETTE. Oui je vous reconnais, plus je le considère. FRANCION. Je suis. LAURETTE. Qui. FRANCION. Francion. LAURETTE. Ah ! Dieux se peut-il faire Oui, c'est toi que je vois paraître dans ces lieux Cher auteur de mes feux. FRANCION. Beau chef-d'oeuvre des Cieux Ah ! Je meurs de plaisir. LAURETTE. Ah ! Je pâme de joie Rendons grâce à l'amour du bien qu'il nous envoie. FRANCION. Mais après tout mon amour, vous m'avez méconnu. LAURETTE. Pour trop penser à vous cela m'est advenu Car mon âme employée à garder votre image N'assistait point mes yeux pour voir votre visage. FRANCION. Ah ! Ne me flattez point. LAURETTE. Je dis la vérité. ANSELME. Monsieur retenez-vous dans cette extrémité Ne vous échauffez pas craignez la pleurésie, Et modérez l'ardeur dans votre âme est saisie. Ou si vous désirez aller au monument Léguez-moi tous vos biens, faites un testament. FRANCION. Mais Dieux quelqu'un s'approche. ANSELME. Ah ! LAURETTE. C'est ma Catherine. FRANCION. Qu'as-tu ? ANSELME. Je suis blessé par l'enfant de Cyprine. Ou plutôt par cet oeil vrai soleil éclatant. SCÈNE V. Laurette, Francion, Anselme, Catherine. LAURETTE. Que viens-tu dire ici. CATHERINE. Que Monsieur vous attend, [Note : Il semble qu'ici il manque un demi vers, car il y a une virgule à la fin du vers précédent et le demi vers suivant qui contient la rime est décalé. Nous proposons : ][Le dîner est servi.] LAURETTE. Allons sans plus attendre. ANSELME, à Catherine. Ah ! Mon coeur je suis cuit, je n'ai pu m'en défendre, Il me faut avouer captif de ta beauté, Adieu grands Cabarets, adieu ma liberté Je ne veux plus chérir que ces illustres charmes Et je quitte le vin pour l'usage des larmes. CATHERINE. Si vous voulez parler expliquez-vous donc mieux. ANSELME. Je dis que je suis pris à la glu de tes yeux. CATHERINE. Par ce galimatias que me voulez-vous dire. ANSELME. Que vous m'avez charmé. CATHERINE. Voire. ANSELME. Il n'en faut point rire. CATHERINE. Vous m'obligez par trop de me vouloir du bien : Mais ce bonheur est tel que je n'en croirai rien. ANSELME. Ma chère dulcinée ah tu le peux bien croire Si je ne te chéris que je meure sans boire, Et que mon estomac se remplisse de vent Au lieu des bons morceaux qu'il reçoit si souvent. CATHERINE. Après un tel serment je vous tiens véritable. ANSELME. Mais allons donc dîner. CATHERINE, bas. Entretien délectable Ce fou me prend pour fille et se méprend au point De n'estimer en moi que ce que je n'ai point. ANSELME, bas. Elle croit que j'en tiens mais elle est bien trompée. En pensant m'attraper elle s'est attrapée, Puisque je ne me sers de cette invention Qu'afin de m'informer de son intention. Que pour la détourner de découvrir mon maître, Et pour lui mieux cacher tout ce qu'il en peut être, Amour je ne suis point au rang de tes vaincus. Et je ne tiens de loi que de celle de Bacchus. ACTE III SCÈNE I. Valantin, Francion, Anselme. FRANCION. Découvrez-moi Monsieur avec toute assurance En quoi vous désirez d'employer ma science, Et je vous ferai voir avec des prompts effets Que je sais m'acquitter des biens que l'on m'a faits. VALANTIN. Dois-je ou ne dois-je pas lui dire ma faiblesse. FRANCION. De grâce apprenez-moi quelle douleur vous presse Je ne puis autrement vous donner de secours. VALANTIN. Bientôt sa violence abrégera mes jours. FRANCION. Montrez-vous plus constant ne perdez point courage Votre pouls va fort bien vous avez bon visage, Vous n'êtes pas si mal que vous imaginez Et c'est hors de propos que vous vous étonnez. VALANTIN. Quand je pense parler de l'ennui qui me touche. La honte me retient et me ferme la bouche, Je demeure confus et je souhaiterais De n'avoir jamais eu l'usage de la voix. FRANCION. Si vous voulez guérir bannissez cette honte Il n'est point d'accident qu'un grand coeur ne surmonte, Un homme généreux n'est jamais abattu Et ce sont ses malheurs qui font voir sa vertu. VALANTIN. Faisons donc un effort puisqu'il faut que je die Pour avoir guérison quelle est ma maladie. ANSELME. Qu'il se fait bien prier, qu'il fait bien le discret Le vieux dogue est atteint de quelque mal secret, Pour avoir visiter les lieux où l'on exerce D'amour et de Vénus l'agréable commerce, Pour moi je fais la nique à tous les jeux d'amour Et ce n'est qu'au bon vin à qui je fais la cour. FRANCION. Monsieur encor un coup dissipez cette crainte. Qui vous donne la gêne et vous tient en contrainte Si votre mal est tel qu'on le doive celer J'ai le don de me taire et de dissimuler. VALANTIN. Mon Maître, vous saurez que les yeux de Laurette, Firent naître en mon sein une flamme secrète, Et qu'insensiblement cette jeune beauté S'acquit un grand pouvoir dessus ma volonté Conduit par mon amour je l'allai voir chez elle Mais jusqu'au dernier point je la trouvai rebelle. En vain je l'entretins de mon affection Car je ne peux gagner son inclination, Hors d'espoir de fléchir son courage sévère J'employai mes efforts pour m'acquérir sa mère, Elle dont l'avarice était l'âme et le dieu [Note : Bon lieu : Bon lieu, la bonne société, la société opulente. [L]]Qui connaissait fort bien que j'étais de bon lieu, Qui savait mes moyens et l'âge de sa fille Me prit pour le support de toute sa famille Bref étant accordé notre hymen s'accomplit Et pour le consommer on nous met dans le lit, Là cette belle attend avec impatience De faire une agréable et douce expérience, Des innocents transports et des chastes plaisirs Dont les nouveaux époux contentent leurs désirs, Mais je suis auprès d'elle aussi froid qu'une souche En vain sa belle main me caresse et me touche, En vain par ses baisers elle croit m'émouvoir En cette occasion ils manquent de pouvoir. ANSELME. Monsieur permettez-moi d'occuper votre place, Lors puissé-je mourir si je ne la terrasse Et si je ne lui montre en ce même moment Qu'en la guerre d'amour j'attaque vaillamment. FRANCION. Taisez-vous. VALANTIN. Un dépit me saisit le courage Je peste contre moi, je déteste j'enrage, J'accuse le destin la nature et les Dieux Et je prends à partie et la terre et les Cieux. Aux premières clartés de l'aurore naissante Laurette sort du lit toute triste et pleurante, Une extrême colère éclate sur son front Et me fait justement redouter un affront. ANSELME. Si l'on peut du discours et des traits du visage Tirer de l'avenir un assuré présage Ce vieillard portera dessous ses cheveux blancs Plus de corne qu'un boeuf, ou qu'un Cerf de sept ans. VALANTIN. Ensuite j'ai tenté toute chose possible Pour ranimer mon corps et le rendre sensible, Je n'ai presque mangé que des culs d'artichauts [Note : Myrabolan : est aussi une espece de prunes semblables en figure à des dattes d'Egypte, qui fortifient et resserrent. [F]]Que des myrabolans qui sont bien aussi chauds, [Note : Cantharide : Espèce de mouche venimeuse. [Acad 1762] Réduit en poudre la cantharide était utilisé autrefois comme aphrodisiaque.]J'ai pris la cantharide et la verte pistache Sans que mon mal pourtant en ait de relâche. J'ai bien souvent usé de graisse de sanglier, De présure de lièvre et d'huile de laurier. J'ai pris huit jours durant en formes de pilules D'un renard amoureux les tendres testicules, Et j'ai bu mille fois de la décoction [Note : Satyrion : Plante qui est une espèce d'orchis, dont les feuilles sont larges, grasses, presque semblables à celles du lis. [T]]Desguine de nepite, et de satyrion, Mais mon mal est si grand que le meilleur remède N'a pu m'en délivrer ni me donner de l'aide Et si votre savoir ne me peut secourir Je suis hors de dessein et d'espoir de guérir. FRANCION. Monsieur en vérité vous êtes fort à plaindre Car pour ne point mentir et pour ne vous rien feindre, Les remèdes humains ne peuvent soulager Le mal de qui les Dieux vous veuillent affliger. VALANTIN. Ô Malheur sans pareil, ô sentence mortelle. ANSELME. Agréable entretien. VALANTIN. Si ma disgrâce est telle Je vais pour avancer l'heure de mon trépas ; Du sommet de ce roc m'élancer jusqu'en bas Je vais dès cet instant la tête la première Me jeter dans ce gouffre ou dans cette rivière. Mais vous qui pratiquez tant de secrets divers Vous à qui la nature et les Cieux sont ouverts, [Note : Écarlate : Les Cardinaux, les Présidens, les Conseillers sont vêtus d'écarlate. [L]]Je vous prie à genoux par l'illustre écarlate Du fameux Galien, et du grand Hippocrate, Et par cent écus d'or qui seront votre prix D'apaiser le tourment qui trouble mes esprits. ANSELME. Monsieur donnez-les-moi, n'en soyez plus en peine Je guéris votre mal en moins d'une semaine. Mon maître ne sait pas ce secret comme moi Ce n'est qu'un ignorant. VALANTIN. Qu'il est plaisant. FRANCION. Tais-toi, Finissez votre plainte et tarissez vos larmes, Je vous assisterai par le pouvoir des charmes Oui, vous en guérirez si vous avez le coeur D'affronter les Démons et de vaincre la peur. Mais sans vous amusez de des discours frivoles Les effets dedans peu prouveront mes paroles, Puisque tout est possible aux savants comme moi. VALANTIN. Ne m'en assurez plus mon maître je vous crois. FRANCION. Quand je l'ai commandé l'on brûle sous l'Arctique [Note : Écliptique : Terme d'astronomie ancienne. Orbite que le soleil paraît décrire annuellement autour de la terre. [L]]Et l'on tremble de froid sous la ligne écliptique, Le clair astre du jour se lève en Occident Perd toute sa lumière et cesse d'être ardent, Sans crainte et sans danger l'on marche dessus l'onde, La terre se va mettre hors du centre du monde, Le feu n'est plus subtil, l'air produit des poissons Et le sein de Neptune est couvert de moissons, Je fais d'une vallée une haute montagne Et d'un mont orgueilleux une rase campagne, J'arrache d'un seul mot les étoiles des Cieux Et je suis obéi des Démons et des Dieux, Mais pour vous témoigner que je suis véritable Je vais vous raconter une histoire notable, Qui vous fera savoir qu'il n'est rien ici-bas Qui puisse résister quand je ne le veux pas. Comme nous traversions l'Empire du Mexique [Note : Impourvu : Terme vieilli. Non prévu. [L]][Note : Cacique : C'est le nom général que les Espagnols ont donné à tous les Princes, Seigneurs, et petits Rois de toutes les terres de l'Amérique. [F]]Je vis à l'impourvu la femme du Cacique Et je conçus pour elle un feu si violent Que celui du Vésuve est beaucoup moins brûlant, De toutes les beautés c'était le prototype [Note : Euripe : Détroit de mer entre la Béotie et l'Ile d'Euboée, ou Nègrepont, où les courans sont si violents, qu'on dit que la mer y flue et reflue sept fois par jour. [T]]Et la mer est plus calme à l'endroit de l'Euripe, Que n'était mon esprit lorsque son oeil divin Porta le trait d'amour jusqu'au fond de mon sein. Je vous dirais plutôt le nombre des areines Qui flottent sur les bords des marinières pleines, Et le nombre des pleurs que versent les amants Que de vous raconter celui de mes tourments, Je devins tout pensif et tout mélancolique Je parus aussi sec qu'un mort ou qu'un étique, Sans m'anatomiser on eût compté mes Os Et de nuit et de jour je vivais sans repos, Mais lassé de pousser des soupirs et des larmes. Enfin je fus contraint de courir à mes charmes, Et ce divin objet d'amour et de beauté Perdit en moins d'un jour toute sa cruauté, Par leur secret pouvoir elle finit ma peine Elle fut mon esclave au lieu d'être ma Reine, Et quand j'en eus tiré ce que je désirais Je croyais la quitter comme je l'espérais, Mais elle abandonna le Sceptre et la Couronne Pour jouir de ma vue et servir ma personne, Elle me voulut suivre et quittant ses habits Courut avecque moi les plus lointains pays, Suivi de cette belle et charmante compagne J'exerçai ma science en la nouvelle Espagne, Province en mille endroits pleine de mines d'or, Et dont chaque habitant possède un grand trésor, Ensuite je passai dans la Californie Delà dans la Floride, et dans la Virginie, Et voulant retourner en ces aimables lieux, Où je vis en naissant la lumière des Cieux, Je me mis sur la mer mais quittant le rivage Le Ciel nous menaça d'un violent orage, Un soudain tourbillon s'élève dessus l'eau Et jusqu'en Danemark emporta mon vaisseau, J'allai de ce pays dedans la Moscovie Après je visitai la Cour de Cracovie, Celle de l'Archiduc et de ce grand Seigneur Qui remplit quand il veut l'Europe de frayeur, Partout où je passais cette amante idolâtre Sans songer à son rang montait sur mon Théâtre, Et sans aucun dessein ses beautés enchantaient Et le coeur et les yeux de ceux qui m'écoutaient, Plus que je ne voulais j'avais de la pratique Chacun de tous côtés courait à ma boutique, Et je débitais seul plus de médicaments Que cent Opérateurs, et que cent Charlatans, Une fois le Sultan la vit dedans Byzance Aussitôt il l'aima, mais avec véhémence, Pour apaiser sa flamme il la voulut avoir Et pour la conserver je manquai de pouvoir, Le cruel me l'ôta de puissance absolue Et causa son trépas en l'ôtant de ma vue. ANSELME. Mon Maître dites tout, et confessez ici Que ses filles d'honneur la suivirent aussi, Et que les doux attraits qu'on voit en mon visage Firent naître en leurs coeurs et l'amour et la rage, Qu'après m'avoir cent fois supplié vainement À la fin la rigueur les mit au monument, Jamais vous le savez je ne leur voulus plaire Car elles n'avaient rien qui me pût satisfaire, Moi qui suis délicat et qui ne puis aimer Que les grandes beautés qui peuvent me charmer. FRANCION. Après avoir charmé cette puissante Reine Et fait naître l'amour au milieu de la haine, Quelque sort votre mal vous pouvez bien songer Que puisque je le veux je le puis soulager. VALANTIN. Mon maître dites-moi ce qu'il faut que je fasse J'aurai plus qu'il ne faut d'assurance et d'audace. FRANCION. Trouvez-vous seulement dans ce bois écarté Des habitants d'ici rarement fréquenté, Mais que nul ne vous suive et ne vous accompagne. VALANTIN. Je veux faire semblant d'aller à la campagne. Car ma femme croirait qu'elle vient à propos Tâchons de l'abuser ma Laurette deux mots. SCÈNE II. Valantin, Francion, Laurette, Anselme. LAURETTE. Monsieur que vous plaît-il. VALANTIN. Mon unique pensée Je t'apprends qu'une affaire importante et pressée M'oblige de partir tout promptement d'ici. LAURETTE. Dieux que me dites-vous. VALANTIN. N'en soit point en souci Je n'emploierai qu'un jour en ce petit voyage Veille bien cependant dessus notre ménage. LAURETTE. Si l'amour et le Ciel exaucent mes souhaits Tu partiras bientôt, et ne viendras jamais. FRANCION. Monsieur attendez-moi dans mon hôtellerie Je veux parler à vous. VALANTIN. Je m'y rends. FRANCION. Je vous prie. LAURETTE. Au moins auparavant vous recevrez de moi Cet amoureux baiser pour témoin de ma foi. VALANTIN. Avant qu'il soit deux jours ainsi que je l'espère Je t'en ferai goûter qui te pourront mieux plaire, Et qui par leurs douceurs te paieront doublement Le temps que près de toi j'ai vécu lâchement. LAURETTE. Si près du monument les baisers sont de glace Mais les miens ne le sont qu'alors que je l'embrasse. Car mon ardeur s'éteint aussitôt qu'il paraît Et quand il est absent c'est lors qu'elle s'accroît SCÈNE III. Laurette, Francion, Anselme. FRANCION. Connaissez maintenant comme tout nous seconde, Puisqu'il laisse en mes mains le plus grand bien du monde. ANSELME. Monsieur considérez que vous ne tenez rien. Si vous le possédez et n'en usez pas bien, Malgré tous vos souhaits l'occasion est chauve Quand on la croit tenir c'est lors qu'elle se sauve, C'est pour quoi ménagez ce bonheur et le temps Et quand vous le pouvez rendez vos voeux contents. FRANCION. Bien bien, je recevrai l'avis que tu me donnes Mais de grâce apprends-moi depuis quand tu raisonnes. ANSELME. Ne voit-on pas souvent prophétiser les fous. FRANCION. Mais mon ange prenant un entretien plus doux Permets pour me combler d'une extrême allégresse. Que je touche ton sein et le baise sans cesse Que je pâme en tes bras de plaisirs et d'amour, Et que tes yeux après me redonnent le jour Que ma main soit toujours compagne de la tienne Que ta bouche me presse et se joigne à la mienne, Et bref que ces beaux yeux auteurs de tant de voeux Aient pour moi des regards comme ils ont eu des feux Bons Dieux cette blancheur ferait honte à la neige Mais la puis-je toucher sans faire un sacrilège, Et ce rare trésor qui n'est que pour les Dieux Pourra-t-il contenter et mes mains et mes yeux Ah ! Ce sein que je vois n'est qu'un rocher d'albâtre Et c'est le profaner que d'en être idolâtre, Mais pour ne point commettre une témérité Je ne veux seulement qu'admirer sa beauté. LAURETTE. Mon coeur je suis à toi, mais toutefois n'espère Que ce que mon honneur me permettra de faire, J'aime ton entretien, ton aspect est bien doux Mais non pas jusqu'au point d'offenser mon époux, Son défaut ne pourrait autoriser mon crime Et tout brutal qu'il est, il faut que je l'estime. ANSELME. La finette qu'elle est sait de quelle façon Il faut donner sujet de mordre à l'hameçon. FRANCION. Tiens pour tout assuré que mon âme n'aspire Qu'à la seule vertu que son esprit désire, Mes feux sont violents mais leur extrémité Ne recevra des lois que de sa volonté, Seulement permets-moi que pendant son absence J'aurai pour quelque temps l'honneur de ta présence. LAURETTE. C'est ce que je voudrais, mais qu'à mon grand regret Nous ne saurions avoir au lieu le plus secret Car on lève le Pont au plus tard dans une heure Et je suis prisonnière dans ma propre demeure. FRANCION. Commandez à vos gens de ne le point lever. LAURETTE. Ce moyen nous perdrait au lieu de nous sauver Car ils pourraient juger quelle est notre entreprise, Puis je craindrais toujours de peur d'être surprise. FRANCION. Mais puisque maintenant les fossés sont sans eau Nous pouvons bien nous voir, et le moyen est beau. LAURETTE. Comment. FRANCION. En me tendant une échelle de corde Que je vous enverrai. LAURETTE. Bien mon coeur je l'accorde Mais à condition que tu seras toujours Vertueux et discret jusque dans tes discours. FRANCION. N'en doutez nullement, mais à propos mon âme, Sache que ton époux m'a découvert sa flamme, Qu'il croit que mon savoir peut ranimer son corps Qu'il m'a tout raconté ses impuissants efforts Et que j'ai si bien feint de le tirer de peine Qu'il se mit dans mes mains toute la nuit prochaine Pour faire des secrets qu'il estime puissants Afin de réchauffer ses esprits languissants. LAURETTE. Comment donc n'est-il pas sorti de ce village. FRANCION. Non mon Ange, il m'attend. LAURETTE. La ruse. FRANCION. Davantage Il m'a voulu donner quelque cent écus d'or [Note : Erre : (arrhes) C'est un gage qu'on donne pour sûreté de l'entretenement de quelque petit marché qu'on a fait verbalement, et qui est ordinairement une avance d'une partie du prix convenu. [F]]Pour les erres d'un cent qu'il me promet encor, Si bien que cette nuit pour gagner ce salaire Il faut que mon valet sache ce qu'il sait faire Et puis quand il sera près de ce vieux jaloux Je veux prendre mon temps pour m'approcher de vous. LAURETTE. Après un tel discours je n'ai plus rien à craindre Si ce n'est qu'après tout tu saches trop bien feindre. FRANCION. Quand il s'agit de vous j'ose et j'entreprends tout Et je ne connais rien dont je ne vienne à bout. ANSELME. Pour moi je ferais tout quand Bacchus me gouverne. Mais j'entends pour dompter cent piliers de taverne Et pour leur faire voir en un combat de vin Que je suis invincible ayant le verre en main C'est là mon élément, c'est là que je soupire Que je vois tous les jours le bonheur où j'aspire. Et que sans être assis à la table des Dieux Je goûte du nectar qu'ils boivent dans les Cieux. SCÈNE IV. Francion, Anselme. FRANCION. Anselme c'est ici qu'il faut faire paraître Si tu pourras servir adroitement ton maître Il s'agit aujourd'hui d'abuser un jaloux De vaincre ce dragon qui se présente à nous, Et de charmer ses yeux avec tant d'artifice Qu'il nous rende des voeux pour un mauvais office. ANSELME. Quoi Monsieur doutez-vous de ma sincérité. Ne vous souvient-il plus de ma dextérité, Et l'amour qui vous tient sous son pouvoir extrême Vous fait-il oublier que je suis votre Anselme. FRANCION. Non. ANSELME. Ne parlez donc pas n'ayez souci de rien Si j'ai si bien commencé je finirai fort bien, Et quand j'aurai goûté du jus de la bouteille Tenez pour assuré que je ferai merveilles, Que je vous servirai comme vous désirez Et bref que tout ira comme vous l'espérez Retournons seulement en notre hôtellerie Apaiser mes boyaux et mon ventre qui crie. Ah que la faim me cause un tourment sans pareil. FRANCION. Mais encor. ANSELME. Le souper nous donnera conseil Lorsque je serai saoul je vaincrai mille obstacles, J'aurai l'esprit plus vif je ferai des miracles. Et les vapeurs du vin me montant au cerveau Rendront mon jugement et plus clair et plus beau. FRANCION. Au contraire je crains que le vin t'assoupisse. ANSELME. Non non, ne craignez point que je ne réussisse Il n'est rien qui m'endorme après un bon repas J'en suis toujours plus gai. FRANCION. Je ne t'en réponds pas. ANSELME. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'en semblable occurrence Vous connaissez ma force et mon expérience, Si quelqu'un en buvant reste sans jugement Il montre qu'il n'est pas de mon tempérament, Allons sans différez et perdez toute crainte. FRANCION. Viens. ANSELME. Éteindre la soif dont ma bouche est atteinte. SCÈNE V. Petit Jacques, Marsault, Olivier, Catherine. CATHERINE. Oui, vous me trouverez à la basse fenêtre, Je jetterai l'échelle en vous voyant paraître, Mais surtout ne venez qu'au milieu de la nuit Et rendez-vous ici sans parole et sans bruit. PETIT JACQUES. Par un coup de sifflet tu sauras qui nous sommes. CATHERINE. Nous serons aujourd'hui le plus heureux des hommes Tout rit à nos souhaits, tout seconde nos voeux, Et nous tenons enfin la fortune aux cheveux. Car comme je t'ai dit rien ne nous saurait nuire. Si nous avons le coeur de nous y bien conduire Le maître en est dehors et ses gens loin de lui Pour prendre du bon temps dormiront aujourd'hui, De plus comme sa femme est amoureuse et belle Nous n'avons pas sujet d'appréhender pour elle, Son humeur dessus tout estime le repos Et nous ne pouvons prendre un temps plus à propos Surtout que ce gaillard soit discret et fidèle. PETIT JACQUES. Nous le ferons monter le premier à l'échelle Afin que pour le moins il nous apporte en bas, Tout ce que tu prendras. OLIVIER. Je n'y résiste pas Je vous obéirai de toute ma puissance. MARSAULT. Va tu n'en auras pas mauvaise récompense Tu prendras comme nous une part au butin. OLIVIER. Ah ! Dieux à quel malheur me réduit le destin Pourquoi loin de flatter ces monstres exécrables, Ne les puis-je punir et traiter en coupable Mais quoi mon mauvais sort me contraint d'obéir. PETIT JACQUES. Que dis-tu là tout bas, nous voudrais-tu trahir. OLIVIER. Non Messieurs je songeais à cette heure opportune Où nous partagerons une égale fortune, Ah ! Que le temps me dure et que j'ai de désir De bien récompenser un si lâche loisir, Et de vous témoigner en mon apprentissage Que je ne manque point de zèle et de courage. MARSAULT. Enfin il s'y résout. CATHERINE. Il est joli garçon. OLIVIER. Oui, j'y suis résolu d'une telle façon Que loin de répugner à suivre votre envie, Je me meurs du désir de prodiguer ma vie Et d'agir devant vous par des coups si hardis Qu'on sache que j'en fais bien plus que je n'en dis. PETIT JACQUES. Le voilà comme il faut. CATHERINE. L'espoir du gain l'emporte. OLIVIER. Dieux que le temps est long que mon ardeur est forte. PETIT JACQUES. Doncques en attendant ce moment précieux Allons-nous-en souper et boire à qui mieux mieux. MARSAULT. Le butin de ce soir paiera notre dépense. CATHERINE. Allez je vous attends avec impatience. ACTE IV SCÈNE I. Francion, Anselme. FRANCION. Enfin la nuit est sombre, et son obscurité, Plaît bien plus à mes yeux que ne fait sa clarté, C'est dessous ces brouillards que je verrai ma belle Que je pourrai sans peur discourir avec elle, Et guidé de l'amour qui se rend mon vainqueur J'oserai librement lui découvrir mon coeur. ANSELME. Hé bien encor un coup suis-je bien de la sorte FRANCION. Oui mais prends garde à toi car il temps qu'il sorte Il faudra peu de temps pour achever son vin ANSELME. Monsieur je veillerais plutôt jusqu'à demain Si tu ne réussis ainsi que je l'espère, Je veux passer pour sot et par devant Notaire. FRANCION. Parle moins et fais plus. ANSELME. N'ayez aucun souci Si tôt qu'il reviendra je sortirai d'ici. Et s'il n'est tourmenté plus qu'un matou qu'on berne Ne permettez jamais que j'aille à la Taverne FRANCION. Et bien je le ferai. ANSELME. Il n'est point de lutin Qui puisse mieux que moi sangler ce vieux mâtin J'ai trop d'inventions, et je crois que les Diables, Pour punir les damnés n'en ont pas de semblables Ayez soin seulement. FRANCION. Je te rendrai content Mais je m'en vais trouver mon soleil qui m'attend, Je ne puis sans mourir différer davantage Adieu. ANSELME. Mais ce soleil est couvert d'un nuage Car j'ai beau regarder et je ne le vois point Ah ! Qu'un homme amoureux est sot au dernier point. SCÈNE II. ANSELME, en montrant les étoiles au doigt. Mais tandis qu'il viendra le Ciel en ce beau voile S'offre de m'exhiber jusqu'à la moindre étoile Je vois vers le milieu le vaillant Orion La pertuisane au poing attaquer le Lion, Là le bouvier monté dessus le dos de l'Ourse Alentour de l'essieu fait sa tardive course, Ici paraît le Signe avec le Violon Dont se servait jadis mon cousin Apollon, En ce lieu Cassiopée et la triste Andromède [Note : Danaé : Fille d'Acrisius, Roi d'Argos, fut enfermée fort jeune dans une tour d'airain. Jupiter devenu amoureux de cette Princesse, se changea en pluie d'or, et la rendit mère de Persée. [T]]Du fils de Danaé semble implorer l'aide, Tout contre est la Couronne un peu plus haut l'Archer Veut contre les poissons ses flèches décocher, Ah ! Voici le Serpent que combattit Hercule Le Lièvre qui s'enfuit devant la Canicule, Le vaisseau qui vogua le premier sur les eaux Et la Vierge qui joue avecque les Jumeaux, Mais trêve à ces beaux mots car si quelqu'un m'écoute Trompé par ce beau style, il pensera sans doute, Que je suis mieux versé dans l'art des Orémus Que défunt Jean Petit ou que Nostradamus. Que d'Eustache Noël ses secrets je possède Que le jeune Troyen en doctrine me cède, Et que j'ai mille fois pratiqué les leçons Du Célèbre Belot Curé de Millemonts, [Note : Pédant : Terme de mépris. Celui qui enseigne les enfants. [L]]J'ai servi quelques mois un pédant d'importance C'est lui qui m'a montré cette haute science, Ce ne fut pas gratis je le payai fort bien Car pour tout mon service il ne me donna rien Mais j'entends quelque bruit dans ce feuillage sombre, Et j'aperçois quelqu'un s'avancer parmi l'ombre, Je ne suis point trompé c'est notre Valantin Qui vient pour terminer son malheureux destin. SCÈNE III. Valantin, Anselme. VALANTIN. [Note : Latonier : de Latone, Nom propre d'une Déesse de l'Antiquité. Elle était fille du Titan Cocus, et de Phoebé sa soeur. [T]]Le fils Latonien las d'éclairer le monde Se repose à présent dedans le sein de l'onde, Pour prendre un peu d'haleine après tant de travaux Et modérer l'ardeur de ses brûlants chevaux, Déjà l'humidité de sa casaque obscure Couvre le vaste corps de l'antique nature, Et verse sur les yeux de tous les animaux Du jus pesant et froid de ses tristes pavots, Les vents ne soufflent plus avecque violence. Les crapauds de ces lieux observent le silence. Les chiens n'aboient plus et les discrets échos Ne sauraient répéter les derniers de mes mots. ANSELME. C'est lui n'en doutons plus, ô l'étrange posture L'agréable démarche et la belle figure, Que mon maître m'oblige à jeûner aujourd'hui S'il est monstre en enfer plus difforme que lui, Et s'il ne peut passer pour quelque mascarade, [Note : Momon : Mascarade. [L]]Qui va porter momon ou donner sérénade, Il tient une baguette et prononce tout bas Des mots qu'il tient de moi mais que je n'entends pas En Grèce on le croirait héritier de Médée On l'estimerait Mage au pays de Chaldée, Renault de Montauban le prendrait pour Maugis Et pour Archélaüs le Gaulois Amadis. VALANTIN. Commençons donc ici le cerne qui me reste Démons qui gouvernez la famine et la peste, Noires divinités de ce sombre séjour Où jamais le soleil ne va porter le jour [Note : Achéron : C'est le nom de plusieurs fleuves. [T]][Note : Styx : C'était anciennement une fontaine de l'Arcadie, qui avait sa source au pied du mont Nonacris, près du lac Pénée. [T]]Hôtes de l'Achéron du Styx et de l'Averne Qui logez les fureurs dedans votre caverne, Et qui tenez captifs en des fers éternels Les malheureux esprits des hommes criminels, [Note : Larve : Nom propre d'une Déesse des anciens Romains. C'était la Déesse des larrons, qui étaient sous sa protection. [T]][Note : Lemures : Voyez LARVES. Ces deux mots avaient la même signification chez les Anciens. [T]]Et vous errants Démons Lutins larves lémures Qui nous épouvantez par d'horribles murmures, Vous qui nous faites voir dans le vaste des airs Des bataillons armés des feux et des éclairs. Vous aussi qui gardez au profond de la terre Avec beaucoup de soin les trésors qu'elle enserre, Vous qui durant la nuit courez par les Forêts Ou qu'on trouve cachés en des antres secrets, Silènes Agypans Satyres Orcades Bassarides Silvains Faunes Hamadriades, Vous qu'on tient enfermés sous des pierres d'anneaux Vous qui calmez l'orage et qui troublez les eaux, Amphitrite Thétis Protune Néréides Lemniades Tritons Naïades Exphrocides. Vous qui nous incitez à faire tant de mal Et qui nous paraissez au travers d'un cristal Enfin vous qui hantez dedans les cimetières, Et qui cherchez les morts jusques dedans leurs bières, Auteurs de la Magie esprits pernicieux Qu'un orgueil effroyable a fait tomber des Cieux Si je me sui lavé d'une eau sale et bourbeuse Si j'ai versé le sang d'une brebis galeuse, Si je me suis tourné trois fois vers le matin Et trois fois vers l'endroit où les jours prennent fin, Si j'ai frappé la terre avec un pied superbe Si je trace à propos ces cernes dessus l'herbe Et si de tous mes voeux je me suis acquitté Guérissez-moi bientôt de mon infirmité Et m'accordez bientôt la libre jouissance De ce bien sans pareil que j'ai sous ma puissance. ANSELME. Je vais pour effrayer cet insigne poltron Exécuter mon ordre et feindre le démon, Certes si je l'étais l'aimable Proserpine À son Mari Pluton ferait mauvaise mine, Et tout ce que là-bas on trouve de beautés Fléchiraient aisément dessous mes volontés. Mais commençons d'agir. VALANTIN. Ô prodige ô merveille Un bruit épouvantable étonne mon oreille, Je crois que cent Démons déliés de leurs fers Sortent en ce moment du milieu des Enfers, Que de monstres hideux que d'horribles fantômes Leur nombre est bien plus grand que celui des atomesDes espics de l'Été du sable des déserts Et des flots que le vent élève sur les Mers, Une puante odeur de bitume et de souffre Est sorti avec eux de leur infâme gouffre, Tous les lieux d'alentour en sont empoisonnés Et ces spectres affreux en sont environnés. ANSELME. La peur qui le saisit lui trouble ainsi la vue Et fait qu'il pense voir des Démons dans la nue, Mais je gagerais bien qu'en cet étonnement[Note : Ponant : Ce mot est un Terme de Géographie qui signifie Occident, mais il ne se dit pas présentement par ceux qui écrivent bien, on dit Occident.]Son ponant fait décharge en son appartement. VALANTIN. L'un a l'aspect d'un Homme et l'autre d'une bête, L'un a les bras coupés l'autre n'a point de tête, L'un est semblable aux Nains, l'autre aux plus hautes Tours L'un s'arrête sur moi l'autre vole toujours, L'un est armé d'un croc et l'autre d'une lance L'un me veut offenser l'autre prend ma défense. Cependant je ne sais ce qui doit m'arriver Et je suis hors d'espoir de me pouvoir sauver, En ce douteux état je ne souffre qu'à peine Une subite horreur me court de veine en veine, Mon coeur plus que devant s'agite en ce débat Sous l'effort de la peur ma constance s'abat, Je suis hors de moi je demeure immobile Je pâme. ANSELME. De lui-même il n'est pas fort habile, Et si pour se sauver il lui fallait courir Il serait à présent en danger de mourir. VALANTIN. Mais ainsi que le bruit ma crainte se redouble L'air tantôt si serein s'obscurcit et se trouble, Les Cieux deviennent noirs et sont sans mouvement La terre toute entière endure un tremblement, Les Astres et la Lune ont perdu leur lumière Ce tout va retourner en sa forme première, La nature succombe et les quatre Éléments Vont être anéantis par ces enchantements. ANSELME. La plaisante manie ? VALANTIN. Ah quel éclat de foudre [Note : Tout à bon : ancien synonyme de tout de bon. [L]]Je pensais tout à bon être réduit en poudre, Mais si je garde encor un peu de jugement Ce coup ne m'a blessé que fort légèrement, Allons donc embrasser cet arbre salutaire Où se doit accomplir notre secret mystère, Dussé-je ainsi serrer cet adorable objet Pour qui seul j'ai tenté ce dangereux projet, Mais bons Dieux un Démon dont la forme est humaine, Me vient lier les bras d'une pesante chaîne Hélas qu'ai-je commis pour être ainsi traité. ANSELME. Ce châtiment se doit à son impiété. VALANTIN. Écoutez mes soupirs considérez mes larmes. ANSELME. Pour avoir eu frayeur et mal usé des charmes Nous t'avons condamné de périr en ces lieux, N'attends point de secours des hommes ni des Dieux. VALANTIN. Il le faut avouer j'ai bien de l'infortune Tout me choque, me nuit, m'afflige et m'importune Et je puis assurer qu'entre les amoureux Je suis le moins coupable et le plus malheureux, J'espérais que bientôt je pourrais satisfaire La céleste merveille à qui je voulais plaire, Mais par un changement que je n'attendais pas Me voilà sur le point d'endurer le trépas. Médecin de douleur secours des misérables Viens adoucie l'aigreur de mes maux déplorables, Aussi bien le Soleil ne m'est plus qu'odieux Haï comme je suis de la terre et des Cieux, Que je serais content dans l'ennui qui me tue Si je voyais Laurette, et mourrais à sa vue. Et si cette beauté que je chéris si fort Témoignait par ses pleurs de regretter ma mort, Mais puisque le destin trop contraire à ma vie En mon dernier moment cette faveur m'envie D'un visage serein regardons le tombeau Et mourons constamment pour un sujet si beau. SCÈNE IV. Petit Jacques, Marsault, Olivier. PETIT JACQUES. Cher ami tenons-nous dedans cette avenue Ne faisons point de bruit l'heure est tantôt venue, Ce n'est pas loin d'ici que nous le trouverons Et je connais l'endroit par où nous entrerons, Il m'a tantôt marqué cette basse fenêtre Et je crois que bientôt nous lui verrons paraître Il n'y manquera pas n'en doutez nullement. OLIVIER. Ah ! Que ne sommes-nous à cet heureux moment L'ardeur à chaque instant s'accroît dedans mon âme. MARSAULT. C'est une noble ardeur que celle qui t'enflamme Tu nous montres par là ta générosité Et fais voir des effets dont nous avons douté. OLIVIER. Ah ! Combien je prévois de portes enfoncées De cabinets rompus de serrures forcées, Et de coffres enlevés. PETIT JACQUES. Mais rentrons en ce coin. Sitôt qu'il paraîtra nous le verrons de loin. SCÈNE V. LAURETTE, Laurette paraît dans une galerie. Enfin tu ne saurais excuser ta paresse Le temps est expiré tu manques de promesse, Et malgré les serments que j'ai reçus de toi Je sais que tu n'as plus ni d'amour ni de foi, Trop ingrat Francion dont je suis méprisée À qui ma flamme sert de fable et de risée. N'attends plus de ma part que des traits de rigueur. La haine après l'amour a pris place en mon coeur, Et quoique tu m'as fait une légère offense Mon esprit ne veut rien entendre en ta défense, Innocent ou coupable il ne te veut plus voir Et si tu me veux plaire enfin perds ton espoir, Mais que dis-je bons Dieux et quelle indifférence Me vient entretenir contre toute apparence. Quelle peur me saisit et quel dérèglement Apporte à mon esprit un tel aveuglement, Ah ! Mon cher Francion je sais que je m'abuse, Que je suis criminelle alors que je t'accuse Que ce discours me rend très indigne du jour Mais pardonne un péché qui vient de trop d'amour. SCÈNE VI. Laurette, Olivier, Marsault, Petit Jacques. PETIT JACQUES. Camarade entends-tu c'est lui qui nous appelle, Hep. LAURETTE. Hep. PETIT JACQUES. Approchons-nous, il nous a mis l'échelle Va monter Olivier nous t'attendons ici. OLIVIER. Mais. MARSAULT. Ne perds point de temps. LAURETTE. Est-ce toi mon souci, Viens vite dans mes bras approche ma chère âme, Et modère l'ardeur dont ton amour m'enflamme, Viens par mille baisers contenter tes désirs Et goûte avecque moi mille innocents plaisirs, Quoi ? Tu ne me dis mot alors que je t'embrasse Quand je suis toute en feu tu parais tout de glace, Et tu me rends enfin malheureuse à ce point De croire assurément que tu ne m'aimes point. OLIVIER. Ah ! Dieux qu'elle a d'appas et qu'elle est ravissante Prenons sans différer un bien qui se présente, Et pour le posséder sans nul empêchement Allons couper l'échelle ou l'ôtons promptement. LAURETTE. Où fuis-tu. OLIVIER. Je reviens ô Dieux cette aventure Me rend le plus heureux de toute la nature. SCÈNE VII. Petit Jacques, Marsault, Olivier. PETIT JACQUES. Sans mentir il met trop, je ne puis plus durer Quoi qu'il puisse advenir il faut m'en assurer, Je veux voir ce qu'il fait ou ce qui le retarde D'apporter le butin que l'on lui donne en garde. MARSAULT. Il nous trahit peut-être et nous ne savons pas S'il ne minute point de nous perdre ici-bas. PETIT JACQUES. Courons donc au-devant sans tarder davantage L'échelle tient encor montons. OLIVIER. Prenons courage Donnons frappons sur eux. PETIT JACQUES. Dieux nous sommes vendus On retire l'échelle. OLIVIER. Hé nous sommes perdus J'ai les reins tout brisés. PETIT JACQUES. J'ai la jambe démise. MARSAULT. Fuyons si nous pouvons évitons notre prise Si l'on nous peut tenir nous serons bien punis Et dedans peu de temps nos jours seront finis. OLIVIER. Après cette action qui me comble de joie Je vais prendre le bien que le bonheur m'envoie. SCÈNE VIII. Catherine, Francion. CATHERINE. Qui que tu sois ami sauve-toi vitement Je ne te connais point. FRANCION. Écoute seulement. CATHERINE. Je ne veux point savoir le sujet qui t'amène Si je prends un bâton. FRANCION. Quoi. CATHERINE. Tu paieras ma peine. FRANCION. Je ne suis point un homme à traiter de bâton. CATHERINE. Non veux-tu l'éprouver. FRANCION. Si tu savais mon nom Tu ne parlerais pas avec tant d'insolence. CATHERINE. Apprends-moi donc ici quelle est ton excellence. FRANCION. Mon nom est Francion. Mais laisse-moi monter Tu n'as point de sujet qui me puisse arrêter, Ta maîtresse m'attend avecque impatience Et tu la fâcheras par cette défiance. CATHERINE. Ma Maîtresse t'attend. FRANCION. Oui. CATHERINE. Va-t'en la chercher, Aussi bien ton aspect la pourrait empêcher, Qu'il contente là-bas son ardeur insensée. FRANCION. Ah Dieux je suis en bas j'ai la tête cassée. CATHERINE. Mais pour avoir le bien que ce rustre attendait Allons-nous-en trouver celle qu'il demandait, Cette aimable Laurette et procédons en sorte Que j'apaise en ses bras l'ardeur qui me transporte. Surtout ménageons bien le dessein et le temps Afin que tôt après je retrouve mes gens. SCÈNE IX. Laurette, Olivier. OLIVIER. Oui Madame, ils m'ont pris malgré ma résistance M'ont volé des joyaux de grande conséquence, Et m'ont enfin contraint après beaucoup d'efforts De leur abandonner et mes biens et mon corps, Et je n'ai toujours feint de plaire à leur envie, Qu'afin de préserver et mes biens et ma vie, Car ils m'avaient promis de me les rendre tous Sitôt qu'ils auraient eu ceux qu'ils voulaient de vous Et comme j'espérais une heure favorable Pour vous donner avis de ce dessein damnable, Ils se sont résolus de ne plus différer Et j'ai pris peine en vain de vous en assurer. LAURETTE. C'est assez je vous crois, mais ce qui m'épouvante, C'est ce que vous contez d'eux et de ma servante. OLIVIER. Ce que je vous ai dit n'est que la vérité Mais Madame songez à votre sûreté. LAURETTE. Empêchons leurs desseins rompons leur entreprise. OLIVIER. Disposez de ma force elle vous est acquise Quoi qu'il puise arriver il ne m'importe point. LAURETTE. Non vous m'obligez trop. OLIVIER. Accordez-moi ce point. LAURETTE. Je crois que le meilleur pour tromper leur attente Est d'avoir finement cette feinte servante, De la lier. Mais Dieux, qui vient heurter ici. SCÈNE X. Laurette, Catherine, Olivier. CATHERINE. Ouvrez Madame ouvrez. LAURETTE. Juste Ciel la voici Sans doute ils sont beaucoup. OLIVIER. Il n'y peut avoir qu'elle Les autres sont tombés du haut de votre échelle, Ils se sont retirés blessés extrêmement. N'ayez aucune peur ouvrez assurément. LAURETTE. Cachez-vous donc ici. Dieux, quel sujet t'amène. CATHERINE. La crainte que j'avais dans la chambre prochaine Où je m'imaginais d'entendre des esprits. LAURETTE. Qui pourrait soupçonner la ruse qu'elle a pris Hé bien que veux-tu donc. CATHERINE. Demeurer en la vôtre. LAURETTE. Tu peux si tu le veux coucher dedans une autre Mais je ne puis souffrir personne auprès de moi. CATHERINE. Votre époux s'y tient bien. LAURETTE. Mon époux n'est pas toi. CATHERINE. Madame il est bien vrai, car il est tout de glace. Et moi je brûlerais si j'étais en sa place, Je ne quitterais pas un bien si précieux Et n'étant pas si vieil j'en goûterais bien mieux. LAURETTE. Le sexe t'en empêche. CATHERINE. Ah si j'osais Madame. LAURETTE. Parle. CATHERINE. Je vous dirais dans l'ardeur qui m'enflamme. LAURETTE. Quoi donc. CATHERINE, en lui montrant son sein. Que je n'ai pas le sexe égal à vous. LAURETTE. Va tu mériterais qu'on t'assommât de coups Mais pour quelque raison pourtant je te pardonne. Sois discret seulement. CATHERINE. Quel bonheur m'environne Mais Madame prenons quelque amoureux ébats. LAURETTE. Attends je veux fermer la fenêtre d'en bas Viens-t-en avecque moi. CATHERINE. N'en soyez point en peine Je la fermerai bien. LAURETTE. Allons prends cette chaîne Afin de t'attacher et de nous garantir Après nous songerons à te faire sortir. ACTE V SCÈNE I. Lubin, Léonard, Bertrand. BERTRAND, en riant. Qui pourrait se contraindre et empêcher de rire, Le spectacle plaisant. LÉONARD. Bertrand que veux-tu dire Et quel sujet as-tu de tant te réjouir. BERTRAND. En l'état où je suis je ne te peux ouïr Qu'il m'a semblé honteux et d'une triste mine. LÉONARD. Apprends-moi ce que c'est je te paierai chopine. BERTRAND. Du Meilleur. LÉONARD. Du Meilleur. BERTRAND. Jures-en. LÉONARD. Par ma foi. BERTRAND. Lubin raconte-lui tu le sais mieux que moi. LUBIN. Nous allions moi Janot, Guillot et mon compère, Afin de labourer aux vignes de mon frère Quand nous sommes passés mais de fort grand matin Par devant le Château du seigneur Valantin. Et combien que le jour ne commençât qu'à naître Nous avons vu pourtant à la base fenêtre Quelque chose de blanc qu'on a discerné mieux Alors que le Soleil s'est levé sur ces lieux. LÉONARD. Hé qu'était-ce. LUBIN. Un garçon sous l'habit d'une fille, Attaché par sa cotte aux barreaux d'une grille, Troussé jusque bien haut au-dessus des genoux Et montrant tout à plain ce que nous montrons tous. Tout le village y court. LÉONARD. Il faut que je le voie Et que je participe à la commune joie, Adieu jusqu'à tantôt. BERTRAND. Où te trouvera-t-on. LÉONARD. Dans une heure au plus tard je me rends au mouton. BERTRAND. Et là tu nous paieras la chopine promise. LÉONARD. Oui je vous la paierai sans aucune remise. SCÈNE II. L'Hôtesse, Francion. L'HOTESSE. Vous êtes fort blessé regagnons la maison, Afin de donner ordre à votre guérison. FRANCION. Chère Hôtesse ce mal ne m'est guères sensible J'en souffre un bien plus grand qui n'est pas visible, Et qui me tient au coeur et me presse si fort Que sans un prompt secours je n'attends que la mort. L'HOTESSE. Monsieur expliquez-moi cet embrouillé mystère Quand vous me l'aurai dit je saurai bien le taire. FRANCION. Je trahirais l'objet de mon affection. L'HOTESSE. Monsieur assurez-vous de ma discrétion Il n'est point en ces lieux de femme plus secrète. FRANCION. Tu sauras donc qu'hier j'allais trouver Laurette Mais je ne songe pas que l'on peut m'écouter, Quand je serai chez toi je te veux tout conter, Mais jusqu'à ce moment permets que je te cèle Ce secret qui m'importe aussi bien qu'à ma belle. L'HOTESSE. Mon Dieu que je vous plains d'avoir ainsi passé Cette nuit au serein et dedans un fossé. FRANCION. Sitôt que je fus chu je perdis la parole. L'HOTESSE. Si la terre eût été plus humide ou moins molle Vous ne me diriez pas cet insigne malheur, Qui vous a pensé perdre et qui me fait horreur. FRANCION. L'amour ce juste Dieu dont je ressens la flamme Dans ce corps languissant a retenu mon âme Pour terminer ma peine et mettre en liberté Cet objet de mes voeux ce miracle en beauté Puisque j'ai sa faveur je présume et l'espère Que mes desseins auront une suite prospère. L'HOTESSE. Vous devez venir prendre une heure de sommeil Et mettre à votre plaie un premier appareil. FRANCION. Pourvu que ma Laurette ait souci de me plaire Ce premier appareil ne m'est pas nécessaire, Et quand je serais même en danger de mourir Un seul de ses regards me pourrait secourir. L'HOTESSE. Certes vous parlez trop allons je vous en prie Panser votre blessure en notre Hôtellerie. SCÈNE III. VALANTIN, attaché à l'arbre. Enfin le nouveau jour tout brillant de clarté. De l'effroyable nuit perce l'obscurité, Et chasse devant lui des forêts les plus sombres L'horreur et le silence aussi bien que les ombres, Depuis qu'un noir Démon malgré tous mes efforts Au tronc de cet ormeau m'a lié par le corps, Agréable Soleil, Planète toujours claire, Que je t'ai souhaité dessus notre hémisphère, De qui me dois-je plaindre en mon affliction. Si ce n'est du sorcier et damné Francion, Horreur de ma mémoire, homme plein d'artifice Qui sous un front serein déguisais ta malice, Et qui faisais semblant de vouloir m'assister Pour accroître mon mal et me mieux tourmenter, Si je sors quelque jour de ta cruelle chaîne [Note : v. 15520, l'original porte Géhenne, remplacé par gêne pour obtenir 12 pieds.]Il n'est point dans l'Enfer de tourment ni de gêne, Qui ne soit employé à ta punition Par ma seule puissance et mon invention, Mais que dis-je bons Dieux et quelle frénésie A mes sens occupés et mon âme saisie, Imprudent que je suis je menace celui Qui peur m'ôter la vie et me perdre aujourd'hui. Lui qui fait remonter des ruisseaux à leurs sources Qui retient des torrents l'impétueuse course, Qui donne de la crainte au souverain des Dieux Qui tire le Soleil et la Lune des Cieux, Et change quand il veut avec une figure Cet ordre merveilleux qu'on voit en la nature, J'implore Francion, j'implore ta bonté Donc loin de me punir comme j'ai mérité, Et comment sont traités ceux qui t'osent déplaire Éteins dedans mes pleurs ta haine et ta colère. SCÈNE IV. Valantin, Lubin, Bertrand. VALANTIN. Hélas sans châtiment on ne peut t'irriter Car je vois deux démons qui viennent m'emporter, D'un maître tout puissant ministres effroyables Ayez quelque pitié de mes maux déplorables Et ne me jetez pas en ces abîmes creux Où pour les criminels vous allumez des feux. LUBIN. Bertrand c'est Valantin BERTRAND. Ô rencontre imprévue Ridicule accident, mais as-tu bonne vue, Ne te trompes-tu point. LUBIN. Assurément c'est lui Qui crie et qui se plaint d'un violent ennui. VALANTIN. Puisque je ne saurais fléchir votre courage Sur ce débile corps exercez votre rage, Je ne me défends pas en l'état où je suis. Et pleurer mes malheurs est tout ce que je puis. BERTRAND. Qui vous a lié là d'une corde si forte. VALANTIN. Hélas c'est un Démon presque de votre sorte. LUBIN. Je crois que ce vieillard n'a pas l'esprit bien fait. BERTRAND. Lubin sa jalousie a produit cet effet. LUBIN. Remettez-vous Monsieur, dedans votre mémoire Et chassez loin de vous cette humeur triste et noire, Nous sommes vos voisins, et non pas des Démons, Et si vous le voulez je vous dirai nos noms, Je m'appelle Lubin qui laboure vos terres Qui vous suivis partout dans ces dernières guerres, Qui hante tous les jours dedans votre maison, Lui se nomme Bertrand petit fils d'Alison Qui travaillait pour vous la semaine passée. VALANTIN. Amis de tant de soins j'ai l'âme embarrassée Que je vous estimais ce que vous n'étiez pas, Mais coupez mes liens et venez de ce pas M'aider à me venger d'une excessive injure Vous saurez en chemin toute mon aventure, Lors que de ce fardeau je me sens alléger Le mal que j'ai souffert me semble fort léger, Mais allons immoler ce traître à ma colère Tâchons de lui donner le trépas pour salaire, Et ressouvenons-nous du tourment qu'il m'a fait Pour avoir plus de haine à punir son forfait, Allons mes bons amis je paierai votre peine. LUBIN. Monsieur n'y songez point. BERTRAND. Il est tout hors d'haleine Il écume de rage et rumine tout bas, Mais quoi qu'il en puisse être allons suivons ces pas. SCÈNE V. Laurette, Le Prévôt, et quelques Paysans. LAURETTE. Ne me demandez point un sujet que j'ignore Et dont la nouveauté fait que j'en doute encore, Car tout ceci s'est fait cependant mon sommeil. LE PRÉVÔT. Ce spectacle est étrange et n'a pas de pareil Mais sans nous amuser à ce discours frivole, Madame permettez qu'on détache ce drôle, Il faut l'interroger maintenant devant vous [Note : On dit aussi, mais fort bassement d'un homme qu'on a mis prisonnier, qu'on l'a mis dans la boîte aux cailloux. [T]]Et le traîner après dans la boîte aux cailloux, En son déguisement son offense s'exprime Il est assurément complice de ce crime. Et quand nous aurons su la vérité de lui Il faut sans différer le punir aujourd'hui. LAURETTE. Vous savez mieux que moi les lois de la Justice C'est pourquoi commandez que l'on vous obéisse, Emmenez ce voleur hors de cette maison Et ne l'interrogez que dedans la prison Je n'aurais pas le coeur de voir ce misérable Et je plaindrais son mal quoiqu'il fût raisonnable. LE PRÉVÔT. Madame je ferai ce que vous ordonnez Détachez ce voleur et puis l'emprisonnez Vite dépêchez, allez-y tous ensemble Je m'y rends aussitôt. LAURETTE. Mais Monsieur il me semble Qu'il serait à propos d'attendre Valantin. LE PRÉVÔT. Et quand reviendra-t-il. LAURETTE. Ce sera ce matin. LE PRÉVÔT. Et bien nous attendrons, mais en tous cas Madame Je puis le condamner sans encourir de blâme, Car la charge que j'ai me fait représenter Monsieur votre mari quand il veut s'absenter. Mais ne le vois-je pas du bout de la prairie Avec le Procureur de cette Seigneurie. LAURETTE. Ah ! Grands Dieux d'où vient-il ; vous arrivez à point Pour voir un accident que vous n'attendiez point. SCÈNE VI. Laurette, Valantin, Le Prévôt, Le Procureur. VALANTIN. J'ai tout su mon cher coeur et je ne suis en peine Que pour l'amour de toi. LAURETTE. Cette frayeur est vaine Grâce au Ciel ces voleurs n'ont pas bien réussi, En ce qu'ils prétendaient de tout piller ici La justice des Dieux a pris notre défense Et nous a garantis contre leur insolence. VALANTIN. Encore que dites-vous de cette trahison De ce monstre caché dedans notre maison. LAURETTE. Que sans doute le Ciel montre bien qu'il nous aime De nous avoir sauvés de ce péril extrême, Car je m'étonne fort de ce que l'inhumain N'a point fait dessus nous quelque coup de sa main, Qu'il n'a point pris son temps pour nous ôter la vie Et mieux exécuter son exécrable envie. VALANTIN. Je m'en étonne aussi mais pour trouver l'auteur Je crois qu'il faut s'en prendre à notre Opérateur. LAURETTE. Quoi croyez-vous qu'il soit complice de ce crime. VALANTIN. Oui. LAURETTE. Mais vous en faisiez une si grande estime. VALANTIN. C'était quand j'ignorais quel était le dessein Qui couvait si longtemps dans son coupable sein. LAURETTE. Mais comment jugez-vous qu'il soit de ce mystère. VALANTIN. Par tout ce qu'il a fait. LAURETTE. Mais Monsieur au contraire Il n'est venu céans. VALANTIN. Que pour nous épier Qu'il soit coupable ou non je veux l'estropier, Il m'a trop fait de mal par sa noire science Il m'a trop fait souffrir dans cette expérience, Je veux absolument m'en venger aujourd'hui Mais il faut donner ordre à m'assurer de lui. LAURETTE. Cependant qu'il rumine et qu'il peste et qu'il crie Allons voir Francion dans son Hôtellerie. Autant pour l'avertir qu'il ait à se sauver Comme pour lui conter ce qui vient d'arriver. SCÈNE VII. Valantin, Le Prévôt, Le Procureur. LE PRÉVÔT. Vous pouvez commander avec toute puissance Et tirer des effets de notre obéissance. LE PROCUREUR. Puisqu'il est criminel et qu'il vous a trahi Vous n'avez qu'à parler vous serez obéi. VALANTIN. [Note : Rencontre est parfois parfois masculin.]Je connais votre zèle et dedans ce rencontre Il faut mes bons amis qu'il éclate et se montre, Pour punir ce méchant jusqu'à l'extrémité Qui m'a rendu le but de sa méchanceté. LE PRÉVÔT. N'a-t-il point fait le vol. VALANTIN. En fut-il incapable D'autres crimes plus grands le rendent punissable, Il est Magicien et cette qualité Veut qu'on le traite ici comme il a mérité, Qu'on le mette au milieu d'un bûcher tout de flamme Pour mettre en cendre un corps dont l'Enfer aura l'âme. LE PRÉVÔT. Ah ! Dieux que dites-vous Monsieur il est sorcier. VALANTIN. De plus je ne crois pas qu'il puisse le nier Il m'en a fait souffrir une trop grande épreuve Mais laissons ces discours car enfin qu'on le trouve Il faut absolument ne perdre point de temps Dépêchez d'appeler vingt ou trente habitants, Afin de l'investir et le presser de sorte Qu'il tombe dans nos mains par quelque endroit qu'il sorte. LE PRÉVÔT. Nous vous obéirons. LE PROCUREUR. Vous serez satisfait. VALANTIN. Je te punirai bien du mal que tu m'as fait Et malgré tes Démons et tout ton artifice Tu n'échapperas pas des mains de la Justice. SCÈNE VIII. Laurette, Francion, Anselme. FRANCION, en mettant la main à sa tête. Ne plaignez point mon mal je le trouve fort doux Et j'en voudrais encor bien plus souffrir pour vous, Car lorsqu'en vous servant j'exposerais ma vie Je la tiendrais pour vous heureusement ravie, Et je reconnaîtrais qu'en souffrant le trépas Tout chacun m'envierait et ne me plaindrait pas. LAURETTE. Ne tiens point ces discours. FRANCION. Permettez-moi Madame De vous donner encor ces témoins de ma flamme. LAURETTE. Si ce sont des témoins ils sont un peu flatteurs. FRANCION. Non Madame croyez qu'ils ne sont point menteurs Que si vous en voulez tirer une assurance, Considérez un peu quelle est votre puissance Et vous reconnaîtrez que je ne vous dis rien Qui ne soit véritable et qu'on ne sache bien. LAURETTE. Que je plains ton malheur. FRANCION. Ah ce discours me tue Et rend encor un coup ma constance abattue Madame au nom des Dieux. LAURETTE. Bien mon coeur je te crois Mais sors vite d'ici, sauve-toi, sauve-moi.Car tu peux bien penser que quoi qu'il advienne En attaquant ta vie on s'attaque à la mienne, Et que tu ne saurais tomber en ce malheur Sans procurer ta honte et me perdre d'honneur, Car encor que tu sois innocent de ce crime [Note : Radoteux : (radoteur) Vieille personne qui n'a plus la force de bien raisonner. [F]]Dont ce vieux radoteux t'accuse par maxime, Tu ne laisseras pas de tomber en ses mains Et de faire arriver les malheurs que je crains, Tu seras découvert, et je serai perdue. FRANCION. Je le veux mais quel bruit s'épand dedans la rue. LAURETTE, en regardant. Sans doute ce sont eux qui te viennent quérir Juste ciel il est vrai, que ne puis-je mourir. FRANCION. Non ne te cache point montre-toi ma chère âme C'est aujourd'hui qu'il faut faire éclater ta flamme Car enfin pour quitter ce vieillard languissant Il te faut déclarer comme il est impuissant, Tu t'en sépareras avec fort peu de peine Et dedans notre amour nous rirons de sa haine, Car comme je t'ai dit et comme je l'entends L'hymen un mois après rendra nos voeux contents. LAURETTE. Je n'ose. FRANCION. Ah ! Ne crains point car outre la Justice Mes amis s'emploieront dedans ce bon office Et leurs soins confondus à mon autorité Feront tout succéder à notre volonté. LAURETTE. Mais on entre. FRANCION. Tiens-toi ne crains rien. LAURETTE. Je frissonne Le coeur me bat au sein. SCÈNE IX. Francion, Laurette, Anselme, Valantin, LePrévôt, Le Procureur, L'Hôtesse, La Servante, et quelques habitants. VALANTIN. Saisissez sa personne. FRANCION. Je ne suis pas celui que vous imaginez Regardez à deux fois. VALANTIN. Prenez amis prenez Les magiques secrets qu'il a dans la cervelle Lui donnent quand il veut une forme nouvelle, C'est lui n'en doutez point il vous séduit les yeux. FRANCION. Qu'on ne m'approche pas. VALANTIN. Mais que vois-je bons Dieux Laurette auprès de lui. FRANCION. Retirez-vous de grâce Ou ce bras dedans peu punira votre audace De quoi m'accusez-vous, que voulez-vous de moi. VALANTIN. Ma femme. FRANCION. Parle mieux elle n'est pas à toi Il te la faudra rendre après l'avoir ravie Et tu ne l'auras plus qu'en me privant de vie. LE PRÉVÔT. Monsieur écoutez-nous parlez plus doucement. FRANCION. Je ne puis me tenir dans ce ressentiment. VALANTIN. Prenez donc ce voleur. ANSELME. Ah ! Dieux quelle impudence Amis c'est un Seigneur des premiers de la France, Vous vous repentirez de le traiter ainsi. VALANTIN. Tais-toi, ne parle point tu le paieras aussi. FRANCION. Me traiter de voleur moi qui par ma naissance Puis prendre impunément une entière licence, Moi qu'on connaît partout et qui fait de la Cour Depuis quinze ou vingt ans mon unique séjour. LE PRÉVÔT. Ne vous aigrissez point et dites je vous prie Quel sujet vous retient dans cette hôtellerie, Votre non, votre rang, et votre qualité. FRANCION. Je ne vins en ces lieux que par nécessité, Et puisqu'en ce rencontre il faut que je m'explique Sachez que je n'ai pris le métier d'Empirique Qu'afin de reconnaître en toute liberté Un point dont je voulais savoir la vérité Et pour vous éclaircir. VALANTIN. Je ne veux rien entendre. LE PRÉVÔT. Si faut-il l'écouter avant que de le prendre. FRANCION. Quand je vous aurai dit que je suis Francion Vous me reconnaîtrez par réputation. LE PRÉVÔT. Oui je connais ce nom. VALANTIN. Sa fourbe est manifeste. Qu'est-ce qui vous retiens. FRANCION. Écoutez ce qui reste Quand donc vous aurez su mon rang et ma maison Vous verrez qu'il m'accuse avec peu de raison, Et puis pour éclaircir ce que j'ai dedans l'âme Vous saurez qu'à Paris j'ai chéri cette femme, Et qu'elle m'engagea sa parole et sa foi De ne prendre jamais d'autre mari que moi. VALANTIN. Ah ! Bons dieux que dit-il. LAURETTE. Amour prends ma défense J'implore à cet endroit ta divine assistance. FRANCION. Mais comme ce vieillard l'aimait extrêmement Il suborna sa mère, et fit si dextrement Qu'en moins de quinze jours l'affaire fut conclue Quoique Laurette enfin n'y fût pas résolue, Bref possédant un bien que je devais avoir J'ai voulu le ravir quand j'ai pu le savoir, Et de peur que quelqu'un ne me pût reconnaître Je me suis déguisé. VALANTIN. Cela ne saurait être. LE PRÉVÔT. Mais puisque vous aviez sa parole et sa foi Que ne l'empêchiez-vous. FRANCION. J'étais auprès du Roi. Et je n'en ai reçu le funeste message Que plus de quinze jours après son mariage, Au reste le métier dont je me suis servi M'a fait voir un secret dont je suis tout ravi Car Valantin m'a dit qu'une entière impuissance L'empêchait d'en avoir aucune jouissance Il me l'a découvert il ne le peut nier Et je prétends qu'il songe à se démarier, De plus il m'a conté qu'il possédait ma belle Plus par la volonté de sa mère que d'elle, Si bien qu'après cela vous devez bien penser Qu'il ne lui reste rien que de le confesser. VALANTIN. Que je suis malheureux. Parlez parlez Madame. LAURETTE. Feignons de la tristesse. Ah malheureuse femme Il est vrai qu'à Paris je lui donnai ma foi Et je meurs de regret de n'être plus à moi. FRANCION. Madame vous devez encore davantage Vous pouvez voir la fin de votre mariage. Et déclarer bientôt votre époux impuissant Vous séparer de lui. LE PRÉVÔT. N'est-il pas innocent. VALANTIN. Hélas mes bons amis que lui puis-je répondre Si tout ce que j'ai dit ne sert qu'à me confondre, Je vois bien maintenant que le Ciel me veut mal Puisque rien ne m'oblige et que tout m'est fatal, Que quand je me prépare à venger un outrage C'est lors que je suis prêt d'en souffrir davantage, Et que je suis contraint le dépit sur le front D'endurer sans me plaindre un si sanglant affront Il a su de ma part quelle est mon impuissance, Et j'ai peur que le monde en ait la connaissance, C'est pourquoi donc de peur de rougir doublement J'aime mieux lui céder Laurette doucement. LE PRÉVÔT. Monsieur qu'en dites-vous. VALANTIN. Que je suis seul coupable, Qu'il soit, qu'il soit heureux, come moi misérable Plutôt que d'en venir jusques au dernier point Si Laurette le veut je n'y résiste point, Car puisque je sais bien que j'en suis incapable Je lui cède et lui rends. ANSELME, bas. Dieux qu'il est charitable Après un tel présent il n'épargnera rien, S'il a donné sa femme il donnera son bien, Allons lui demander : mais je perdrais ma peine Car s'il a des trésors sa bourse n'est pas pleine. LAURETTE. Ne me demandez point si je veux ce bonheur Lui seul me peut combler de plaisir et d'honneur, Et dans cette faveur que le Ciel nous envoie Je me mets en ses mains. FRANCION. Et j'en pâme de joie Monsieur vous me forcez avec cette bonté D'être votre obligé jusqu'à l'extrémité. VALANTIN, à l'écart. Est-il rien de pareil au mal qui m'environne Je quitte ce que j'aime et de plus je le donne, Mais quoi puisqu'il me faut toujours l'abandonner Pour épargner ma honte il vaut mieux le donner, Que le Ciel vous soit doux comme il me fut contraire Et termine mes jours pour finir ma misère. LE PRÉVÔT. Monsieur pardonnez-nous. FRANCION. Va je n'y songe plus Mais sans nous amuser en discours superflus, Retournons à Paris afin que la Justice Juge de votre hymen qu'il faut qu'elle abolisse, Afin que je possède en toute liberté Ce miracle d'amour et de fidélité. LA SERVANTE. Ah ! Dieux qui l'eût pensé. L'HOTESSE. Je m'en étais doutée. LA SERVANTE. Voilà comme il faut dire, ô qu'elle est effrontée Maintenant qu'elle voit qu'elle n'aura plus rien Elle vient m'assurer qu'elle s'en doutait bien. FRANCION. Allons cher Valantin chasse cette tristesse Je te veux dedans peu donner une maîtresse Dont l'âge ou peu s'en faut égalera le tien Et qui n'est pas trop laide. VALANTIN. A-t-elle de bon bien. FRANCION. Elle a dedans Paris trois mille écus de rente. VALANTIN. Ce serait bien mon fait. FRANCION. Elle en sera contente. VALANTIN. Surtout ne dites rien. FRANCION. Allez je suis pour vous. LE PRÉVÔT. Mais pour ce prisonnier, Monsieur qu'en ferons-nous. VALANTIN. Puisque tout est rempli d'allégresse et de joie Il faut qu'on l'élargisse et que l'on le renvoie. Il ne nous a rien pris et nous ne pouvons pas Qu'avec trop de rigueur avancer son trépas. LE PRÉVÔT. Vous serez obéi j'y vais dès la même heure. FRANCION. Allons ne tardons plus quittons cette demeure Et si dedans Paris nous restons tous contents Nous y viendrons bientôt y mieux passer le temps. L'HOTESSE. Dieux comme en un moment toute chose se change Admire un peu ma fille. LA SERVANTE. Ô l'aventure étrange, Je me flattais déjà d'un amour décevant. Mais enfin vous et moi ne tenons que du vent. L'HOTESSE. Que veux-tu, mais il faut en perdant leur présence Quitter entièrement l'amour et l'espérance. ANSELME. Adieu cher pot pourri de mon affection Que l'amour te console en cette affliction, Et que ce petit Dieu dont tu ressens la flamme Conserve pour jamais mon portrait dans ton âme Mon souvenir pourra soulager tes douleurs Adieu mon petit coeur ne verse point de pleurs, Et garde bien surtout qu'une damnable envie Loin de moi ne t'incite à te priver de vie, Mais sans perdre le temps en tant de vains propos N'ayons plus de souci de l'amour de mon Maître Et mourons quoi qu'il en puisse être Entre les verres et les pots. ==================================================