******************************************************** DC.Title = LA TRÉSORIÈRE, COMÉDIE DC.Author = GRÉVIN, Jacques DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 13/07/2023 à 14:12:48. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GREVIN_TRESORIERE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1084913 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA TRÉSORIÈRE TRAGÉDIE M. D. LXI. AVEC PRIVILÈGE PAR JACQUES GRÉVIN DE CLERMONT EN BEAUVAISIS. À PARIS, Pour Vincent Sertenas, demeurant en la rue Notre-Dame, à l'enseigne Saint-Jean-l'Evangéliste, et en sa boutique au Palais, en la galerie par où on va à la Chancellerie. ET Pour Guillaume Barbé rue Saint-Jean de Beauvais, devant le Béllérophon. Représentée pour la première fois en 6 février 1658 au Collège de Beauvais. AU LECTEUR La liberté des poètes comiques a toujours été telle, que souventes fois ils ont usé de mots assez grossiers, de sentences et manières de parler rejetées de la boutique des mieux disants, ou de ceux qui pensent mieux dire : ce que par aventure l'on pourra trouver lisant mes Comédies. Mais pourtant il ne se faut renfrogner, car il n'est pas ici question de farder la langue d'un mercadant, d'un serviteur ou d'une chambrière, et moins orner le langage du vulgaire, lequel a plutôt dit un mot que pensé. Seulement le Comique se propose de représenter la vérité et naïveté de sa langue, comme les moeurs, les conditions et les états de ceux qu'il met en jeu : sans toutefois faire tort à sa pureté, laquelle est plutôt entre le vulgaire (je dis si l'on change quelques mots qui ressentent leur terroir) qu'entre ces courtisans, qui pensent avoir fait un beau coup, quand ils ont arraché la peau de quelque mot Latin, pour déguiser le Français, qui n'a aucune grâce (disent-ils), s'il ne donne à songer aux femmes, comme s'ils prenaient plaisir de n'être point entendus. Tu ne trouveras donc étrange, Lecteur, si en ces Comédies tu ne trouves un langage recherché curieusement, et enrichi des plumes d'autrui : car je ne suis point de ceux qui font parler un cuisinier des choses célestes et descriptions des temps et des saisons, ou bien une simple chambrière française des amours de Jupiter avec Léda, et des vaillantises d'Alexandre le Grand. Je me contente seulement de donner aux Français la Comédie en telle pureté qu'anciennement l'ont baillée Aristophane aux Grecs, Plaute et Térence aux Romains. Ce que je me suis proposé toujours en écrivant ce poème, ainsi qu'ont pu apercevoir ceux qui ont vu la Maubertine première Comédie que je mis en jeu, et que j'avais bien délibéré te donner, si elle ne m'eût été dérobée. Toutefois celles-ci pourront suffire pour montrez le chemin à ceux qui viendront après nous. Tu peux donc, maintenant, ami Lecteur, averti de ce point, te mettre à lire ce poème ; et si tu trouves quelque chose qui ne soit à ton goût, souvienne toi que ce n'est chose étrange, si ceux qui vont les premiers en un désert et pays inconnu se fourvoient souventes fois de leur chemin. ENTREPARLEURS LOYS, gentilhomme. RICHARD, serviteur. LE TRÉSORIER. MARIE, fille de la Trésorière. LE PROTONOTAIRE. BONIFACE, serviteur. CONSTANTE, trésorière. SULPICE, marchand. THOMAS, serviteur. AVANT-JEU CETTE COMÉDIE FUT FAITE PAR LE COMMANDEMENT DU ROI HENRI II POUR SERVIR AUX NOCES DE MADAME CLAUDE DUCHESSE DE LORRAINE, MAIS POUR QUELQUES EMPÊCHEMENTS DIFFÉRÉE : ET DEPUIS MISE EN JEU À PARIS AU COLLÈGE DE BEAUVAIS, APRÈS LA SATIRE QU'ON APPELLE COMMUNÉMENT LES VEAUX, LE V FÉVRIER, M. D. LVIII. LE PROLOGUE Non, ce n'est pas de nous qu'il faut, Pour accomplir cet échafaud, Attendre les farces prisées Qu'on a toujours moralisées : Car ce n'est notre intention De mêler la religion Dans le sujet des choses feintes. Aussi jamais les lettres Saintes Ne furent données de Dieu, Pour en faire après quelque jeu. Et puis tout' ces farces badines Me semblent être trop indignes Pour être mises au devant Des yeux d'un homme plus savant. Celui donc qui voudra complaire Tant seulement au populaire, Celui choisira les erreurs Des plus ignorants bateleurs : Il introduira la Nature, Le Genre-humain, l'Agriculture, Un Tout, un Rien, et un Chacun, Le Faux-parler, le Bruit-commun, Et telles choses qu'ignorance Jadis mêla parmi la France. Que pourrons-nous donc inventer Afin de chacun contenter ? Quoi ? Le badinage inutile Par qui quelquefois Martin-VilleSe fit écouter de son temps ? Quoi ? Demandez vous ces romans Jouez d'une aussi sotte grâce Que sotte est cette populace De qui tous seuls ils sont prisés, Vous êtes bien mieux avisés, Comme je crois : votre présence Mérite avoir la jouissance D'un discours qui soit mieux limé.Aussi avons-nous estimé Que la gentille poésie Veut une matière choisie, Digne d'être mise aux écrits De ceux qui ont meilleurs esprits Et non pour être ainsi souillée, Ou en mille parts détaillée Par ceux qui encore ne l'ont pas Saluée du premier pas : Et qui pensent malgré Minerve La retenir ainsi que serve, Ou dans l'escale la lier Ainsi qu'un petit écolier. Non, non, ce n'est pas sa nature [Note : Voiser : Se divertir, s'amuser.]Qu'elle s'en voise à l'aventure Vers celui qui la veut avoir. Il faut premièrement savoir Petit-à-petit sa pensée : Car elle ne veut être forcée, Ni traitée, comme souvent Nous l'avons vue auparavant [Note : Marâtre : Mauvaise mère. Ce n'est pas une mère, c'est une marâtre. Ici, sens figuré et adjectivé.]Au joug d'une plume marâtre. N'attendez donc en ce Théâtre [Note : Ne : ancienne forme de ni.]Ne farce, ne moralité : Mais seulement l'antiquité, Qui d'une face plus hardie Se représente en Comédie : Car onc je ne pourrai penser, Qu'aucun se voulût courroucer Encontre nous, si pour mieux faire Nous voulons aux doctes complaire. Or sachez qu'en tout ce discours, Nous représentons les amours Et la finesse coutumière D'une gentille trésorière, Dont le métier est découvert Non loin de la place Maubert. [Note : Proronotaire : Officier de Cour de Rome qui a un degré de prééminence fur les autres Notaires. [F]]Vrai est que le Protonotaire, Principal de toute cette affaire Est de notre université. Mais j'ai un peu trop arrêté, Il vaut mieux avec le silence Vous en donner la jouissance. ACTE I SCÈNE I. Loys, Richard. LOYS. Et bien Richard, quelle nouvelle Apportes-tu de ma cruelle ? Veut-elle doncque être toujours Ainsi peureuse en ses amours ? RICHARD. Monsieur, je crois que la pauvrette Sans aucun repos vous souhaite Entre ses bras ; voulez-vous mieux ? LOYS. Je pense, moi, que tous les Dieux Prennent plaisir en mon martyre : Incessamment mon mal empire, [Note : Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]]Sans toutefois avoir cet heur D'apaiser mon amour vainqueur. RICHARD. Non non, Monsieur, j'ai espérance Que vous en aurez jouissance En peu de temps. Laissez moi faire, C'est mon office, dont j'espère En faire si bien mon devoir. LOYS. Oui, mais toujours le vain espoir Trompe ma trop grande constance Au milieu de mon impuissance. RICHARD. Vraiment une telle beauté A bien un amant mérité : Et d'autant qu'êtes languissant, D'autant quand serez jouissant Le plaisir sera désirable. LOYS. Mais toujours pauvre misérable Le jour je me mourrai cent fois Pour son amour, et toutefois Déjà je prévois que l'issue Sera de quelque maigre vue. Cela ne vient point que ma race Ne fut digne d'avoir la grâce D'une dame de plus haut lieu : C'est, c'est bien plutôt quelque dieu Qui me cachait dedans son sein L'impuissance de mon dessein. RICHARD. Monsieur, je me tiendrais heureux De mourir étant amoureux D'une si parfaite beauté. LOYS. Richard, Richard, la cruauté [Note : Archerot : Petit archer, nom donné à Cupidon. [L]]De cet archerot qui me dompte Selon son fier désir, surmonte L'extrême douleur de la mort. RICHARD. Nous sommes en cela d'accord : Mais à cette longue espérance Opposez votre jouissance. LOYS. Encore, Richard, je t'assure Que tout le malheur que j'endure N'est rien, si tu peux faire tant [Note : Parfin : fin.]Qu'en la parfin je sois content. RICHARD. Ce n'est pas moi qu'il faut prier : Il ne tient qu'à ce trésorier. LOYS. Le mari est-il averti ? RICHARD. Non, non, mais il n'est pas parti Ainsi qu'elle pensait. LOYS. Comment ? RICHARD. Pour s'en aller faire un paiement En Languedoc. Lui délogé, Votre malheur sera changé [Note : Perdurable : Qui doit durer jusqu'à la fin. [L]]En un perdurable plaisir : Car alors vous aurez loisir De recouvrer le temps perdu. Si avez longtemps attendu, Reprenez hardiment courage. LOYS. Ha, Richard, pourquoi d'avantage As-tu celé mon doux repos ? RICHARD. Il ne venait pas à propos : Encore votre joie augmente De plus en plus par cette attente. Et si je m'en rapporte à vous, Si vous ne trouvez pas plus doux [Note : Tardement : Action de tarder. [L]]Le plaisir, par le tardement, Que n'eussiez au commencement. LOYS. Vraiment, Richard, pour ton devoir Tu mérites de recevoir D'un plus grand seigneur le loyer. RICHARD. Monsieur, il ne faut qu'employer Richard, quand il est question De conduire une faction ; Ainsi le serviteur doit faire, Pour à son bon maître complaire, Le devoir, comme il appartient, Jusques à la mort, s'il convient L'endurer pour l'amour de lui. LOYS. Mais dis, Richard, est-ce aujourd'hui Que notre trésorier se part ? RICHARD. Penseriez-vous bien que Richard Vous le dit s'il n'était ainsi ? Vie, mettez-moi tout souci Sous le pied. LOYS. Mais ce Trésorier Me doit encore mon quartier : Il faut que tu sois diligent De recouvrer tout cet argent Avant qu'il parte : et qui plus est, Je lui paierai son intérêt, S'il veut faire du rigoureux : Car à ces braves glorieux Il faut quitter une moitié Pour avoir l'autre RICHARD. L'amitié Vaut bien cela, c'est pour l'usage De son ennuyeux cocuage. LOYS. Va-t'en vers lui, voilà quittance : Que s'il veut faire quelque avance, Promets lui le vin hardiment. RICHARD. Je m'y en vais. LOYS. Pareillement, Fais les recommandations De mes journelles passions À ma damoiselle et maîtresse : Que si de ma longue détresse Elle a quelque compassion, Qu'elle me donne assignation Pour par un doux contentement Mettre la fin à mon tourment. RICHARD, seul. Mon maître a bien ce qu'il lui faut, Encore qu'il ait le coeur haut ; Et qu'il ne veuille être dompté, Si est-ce qu'il est surmonté Par une femme aussi commune Que les divers cours de la Lune. Elle peut tant envers mon maître, Que par babil elle l'a fait être Un parangon de pauvreté : Et sous l'ombre d'une beauté Qu'elle vend plus cher qu'au marché, Elle lui a jà arraché Les biens, l'honneur et les amis : C'est une mer, où il a mis Mille trésors qu'elle dévore, Sans les regorger : et encore Qu'il lui donne tant qu'il voudra, De rien plus il n'en adviendra À mon maître qu'elle déçoit, Ni à elle qui le reçoit. Et cependant, mille langueurs, Et dix mille amoureux vainqueurs Tourmentant son coeur attisé, Je pensais qu'il fut plus rusé, Vu qu'il a tant hanté les armes, Les courtisans et les gendarmes : Mais les plus fins y sont trompés, Et les plus légers attrapés, Tant seulement sous l'apparence D'une légère jouissance. Encore si pour sa beauté Elle valait le décrotté, Je dirais : mais quoi ? Seulement La façon de l'habillement Vaut autant que la bague entière. Et bien, c'est une trésorière, Laquelle par son doux parler Sait bien un homme emmieler. Mais par ma foi j'estime autant Ma Marion, et suis content Encore plus de mes amours Que non pas lui de son velours, Sans qu'il me la faille prier. Mais n'est-ce pas mon trésorier Que je vois venir droit à moi ? SCÈNE II. Le Trésorier, Richard. LE TRÉSORIER. Puisque c'est l'affaire du Roi Je ne diffère m'absenter, Afin d'un chacun contenter : Le gain récompense le mal. Qu'on fasse seller mon cheval. RICHARD. Tant mieux il est prêt de partir ;La dame pourra départir La jouissance de son corps, Puisque Monsieur s'en va dehors. LE TRÉSORIER. [Note : Vers, 247. Encore est graphié Encor'.]Encore ai-je quelque douleur De laisser ma femme en sa fleur : Car, las ! Cette tendre jeunesse Ne pourra porter la détresse De mon absence : et puis ces gens Qui sont soigneux et diligents À tromper une créature, Qui sera simple de nature ; Vrai, que je tiens tant de ma femme, Qu'avant me faire un cas infâme Plutôt endurerait la mort. RICHARD. Hélas, jamais ne lui fit tort, Elle est de bonne parenté. LE TRÉSORIER. Pensez qu'un homme est tourmenté, Depuis qu'il lui convient souvent Aller à la pluie et au vent. Délaissant avec le ménage La femme en la fleur de son âge. RICHARD. Le coeur lui faut, la conscience Lui fait connaître son offense. LE TRÉSORIER. Il ne m'est rien plus agréable Qu'avec ma femme désirable Jouir du bien que Dieu me donne. Mais quoi ? La pratique en est bonne : Car je pourrai, si je suis sage, Pratiquer en ce mien voyage Trois mille francs en peu de jours. RICHARD. Cependant comment les amours Se demerront, la damoiselle Ne sera du tout si rebelle Qu'auparavant : car le loisir Lui fera mille fois choisir Le bon moyen, l'heure et le temps Pour rendre ses amis contents, Tant le courtisan que son page. Mais il faut faire mon message, Craignant qu'en quelque coin de rue Je ne le perde de la vue : Puis je pourrais venir trop tard. Dieu gard' monsieur. LE TRÉSORIER, apercevant Richard. Et bien Richard, Comment va du seigneur Loys ? RICHARD. Il a toujours dix mille ennuis Qui le tourmentent, pour autant Qu'il n'a pas son argent content, Et si ne voit qui en apporte. Et qui pis est, jamais sa porte N'est sans un marchand ennuyeux, Qui se présentant à ses yeux Le menace pour son argent De lui envoyer un sergent. LE TRÉSORIER. Richard, par Dieu c'est comme moi, Car maintenant je ne reçois À peine rien de mon office. Encore pour faire service À quelques uns, toujours j'avance, Et si ma foi, la récompense Que j'en reçois, n'est comme rien. RICHARD. Vertubieu : je vous entends bien, Le paiement n'est encore prêt, Nous demandons un intérêt, Voilà comment vous êtes doux. Je suis venu par devers vous Pour entendre tant seulement Si mon maître aura le paiement De son quartier que lui devez. LE TRÉSORIER. Vous êtes fort mal arrivés, Vous venez après la bataille Je ne sache pas une maille. RICHARD. Comment, monsieur ? Et cependant Mon maître sera attendant Votre retour ? LE TRÉSORIER. Il le faut bien. RICHARD. Mais, Monsieur, pensez-vous combien Ce lui est chose insupportable D'être si longtemps redevable À un tas de gens importuns ? LE TRÉSORIER. Vraiment Richard, je sais aucuns Qui m'ont voulu donner le quart De leur paiement. RICHARD. Ma foi, Richard, N'a point telle commission : Pour donner une portion De l'argent, il le fera bien. LE TRÉSORIER. C'est bien parlé : viens ça, combien Veut-il donner pour l'intérêt, S'il trouve son argent tout prêt ? Quant est de moi, je ne l'ai pas : Mais il n'y a que quatre pas Jusqu'au logis d'un mien ami. RICHARD, à part. Le Trésorier n'est endormi, Se voyant en main la fortune; [Note : Pécune : Terme vieilli et familier. Argent comptant. [L]]De pouvoir gagner la pécune. LE TRÉSORIER. Que dis-tu Richard ? RICHARD, haut. Je songeais, En comptant ci-dessus mes doigts, Combien il voudrait bien donner. LE TRÉSORIER. Je ne pourrai plus séjourner. RICHARD. De trois cents livres vingt écus. LE TRÉSORIER. Ha vraiment il mérite plus. Voudrait-il bien en donner trente ? RICHARD. Pour vingt et cinq, qu'il se contente : Je vous ferai récompenser, Si voulez encor avancer. LE TRÉSORIER. Je le veux à même profit : Aussi je voudrai qu'il me fit Quittance des paiements entiers Qu'il recevra des deux quartiers. RICHARD. Vous les aurez. LE TRÉSORIER. Mais il ne faut Aussi m'en faire aucun défaut. Car je veux partir dans une heure : Pourquoi soyez en mon demeure Incontinent. RICHARD, seul. C'est bien assez. Jamais ils ne seront lassés De prendre argent de toutes parts : [Note : Soudard : Terme familier. Homme qui a longtemps servi à la guerre et qui en a les habitudes ; il se prend en mauvaise part, soit par moquerie, soit pour exprimer la grossièreté ou la barbarie. [L]]Il n'est pas des pauvres soudards Desquels ces braves trésoriers N'attirent tous jours les deniers : Mais au besoin il se faut taire. Il sort. SCÈNE III. Marie, Richard. MARIE. Dieu, Monsieur le Protonotaire Est négligent en ses amours. J'ai vu le temps que tous les jours ; Il passait devant la maison Cinquante fois, mais la saison Comme je crois lui est venue, Qu'il ne va plus parmi la rue : Pensez qu'il est devenu sage. RICHARD, à part. Si je joue mon personnage, Je saurai d'elle tout' l'affaire De ce jeune Protonotaire. MARIE. Nous fuyons toujours notre bien, Jamais, jamais à un bon chien Ne tombera quelque bon os : Après qu'ils ont tourné le dos, Ils font les meilleures risées De celles qu'ils ont abusées. RICHARD. Les plus rusés y sont donc pris. MARIE. Quant ils ont l'amour entrepris De quelque dame, à Dieu comment S'ils en ont eu contentement. RICHARD. Autant ailleurs c'est ma devise. MARIE. Voilà mademoiselle éprise De l'amour d'un jeune écolier, Qui n'a le sou pour employer, Et veut être aimé à crédit. RICHARD, à part. Ne l'avais-je donc pas bien dit ? MARIE. Le seigneur Loys cependant Est à son amour prétendant, Sans toutefois avoir cet heur D'apaiser sa trop grande ardeur, Si n'est de quelque vaine course; Lui qui a plus d'écus en bourse Que l'autre n'a pas de deniers. Mais voilà comment les derniers Seront toujours favorisés, Et les plus fermes déprisés. RICHARD. J'entends le noeud de la matière, Il se faut garder du derrière; MARIE, apercevant Richard. Voici Richard le serviteur Du seigneur Loys ; j'ai grand peur Qu'il n'ait entendu ce qu'ai dit; Au pis, j'en ferai contredit. Mon Dieu, Richard, venez avant. RICHARD. Que faites-vous ici devant ? MARIE. Rien, sinon que ma damoiselle Veut parler à vous. RICHARD. Que veut-elle ? MARIE. Quant à moi, je ne le sais pas, Elle est jà descendue en bas. ACTE II SCÈNE I. Le Protonotaire, Boxiface. LE PROTONOTAIRE. Hé, Boniface, mon ami, Je suis déjà mort à demi, Tant ce petit Dieu me tourmente. Ha, ma trop cruelle Constante ! La grand' constance de ton sort, Seule me causera la mort. BONIFACE. Comment cela, Monsieur ? Vous ai-je Si longtemps servi au collège Pour maintenant vous défier De votre serviteur, premier Qui en a mis les fers au feu ? LE PROTONOTAIRE. Hélas, Boniface ! pour Dieu Si jamais la fidélité De ton devoir m'a incité À récompenser ton service, Comme je dois, de mon office, C'est ores qu'il te faut prévoir Au mal instant du désespoir, Et montrer ton invention. BONIFACE. Je sais bien qu'il n'est question Que d'argent, dont avez défaut : Car le temps est venu qu'il faut Toujours avoir argent en banque, Qui veut que la dame ne manque. LE PROTONOTAIRE. Il est vrai : car tout mon tourment Vient de cela, tant seulement, Tu sais que nous n'avons la croix Encore qu'il y ait trois mois Avant que recevoir argent. BONIFACE. Vous êtes par trop diligent A faire la magnificence, Depuis qu'avez la jouissance De quarante ou cinquante écus. LE PROTONOTAIRE. Boniface, je ne suis plus Enfant comme je soulais être. BONIFACE. Il faut que vous soyez le maître Dorénavant des passions [Note : Journelle : de journée, quotidienne.]De vos journelles actions. LE PROTONOTAIRE. Je le serai. Mais penses-tu Combien est grande sa vertu, Et combien sa perfection Peut dompter mon affection ? BONIFACE. Nous voyons cela tous les jours : Ce sont vos premières amours. LE PROTONOTAIRE. Ce n'est point cela, Boniface : Tant seulement sa bonne grâce, Son doux parler et son maintien, Sans rien flatter méritent bien L'amour d'un bien plus grand seigneur. BONIFACE. Voilà, vous y avez le coeur : Non pas vraiment que je déprise, Disant cela, votre entreprise : Mais il ne faut être si chaud En ses affaires. LE PROTONOTAIRE. Son coeur haut Mérite un plus parfait service. BONIFACE. Mais si l'argent du bénéfice Ne suffit à telle dépense ? LE PROTONOTAIRE. Il faut aimer en espérance ; Il nous viendra quelque hasard. BONIFACE. Oui bien, mais possible trop tard ; Il faut prévoir à son affaire. LE PROTONOTAIRE. Encore le bien de mon père Ne manquera point. BONIFACE. Il ne pense Que nous fassions si grand dépense. LE PROTONOTAIRE. Ha, je veux être entretenu Honnêtement du revenu Qui m'appartient. BONIFACE. C'est la raison : Car vous êtes d'une maison Qui le mérite : mais aussi Il faut avoir des siens souci. LE PROTONOTAIRE. Or, Boniface, il n'est pas heure De faire plus longue demeure, Nous avons métier d'autre chose. BONIFACE. Je l'entends. LE PROTONOTAIRE. Dont je me repose Du tout sur toi. BONIFACE. Je ferai tant Que nous aurons argent comptant. LE PROTONOTAIRE. J'aime mieux payer l'intérêt, Pourvu que le paiement soit prêt. BONIFACE. Je vous prie laissez faire à moi. LE PROTONOTAIRE. Aussi je m'en attends à toi. BONIFACE. Vous le pouvez, allez m'attendre Dans le palais, j'irai vous prendre [Note : Repasser : Après être allé d'un lieu à un autre, revenir de celui-ci au premier. [L]]Au repasser. LE PROTONOTAIRE. Le Secrétaire M'y doit trouver pour quelque affaire. SCÈNE II. Constante, Richard, Boniface. CONSTANTE. Richard mon ami, dites lui Que j'en endure autant d'ennuiQu'il m'est possible, et que j'espère, Mais qu'il soit parti, si bien faire Qu'il sera content du devoir Que j'en ferai. BONIFACE, à part. Il faut savoir Que veut ce doux contentement. RICHARD. Vous n'en voulez foi ne serment, Mais il vous aime de tel coeur. Que déjà son amour vainqueur L'a presque mis au désespoir. CONSTANTE. Las, Richard, il a tout pouvoir Sur moi qui suis sienne, et j'espère, S'il me survient en mon affaire, Le reconnaître tant que l'âme Me batte au corps. BONIFACE, à part. La pauvre femme Ne se donne qu'à ses amis : J'entends bien tout, elle a commis Quelque petite portion De l'amoureuse affection Sur la bourse d'un amoureux. RICHARD. Mademoiselle, il est heureux De ce qu'il vous plaît demander La chose qu'il peut accorder. CONSTANTE. Et bien, Richard, vous lui direz Que je suis sienne, et le prierez De ce dont je vous ai parlé. BONIFACE, à part. [Note : Emmaler : Mis dans une malle, enfermé.]Voilà le paquet emmalé, Mon maître peut bien dire à Dieu. RICHARD. Je ne puis plus être en ce lieu, Je vais quérir l'autre quittance. BONIFACE, à part. Si est-ce que j'ai espérance [Note : Emoucher : Chasser les mouches. Par extension, battre, comme si les coups étaient donnés pour chasser les mouches. [L]]D'émoucher quelque argent de vous. CONSTANTE. Haut, Boniface, un peu plus doux, Quelqu'un vous fait-il déplaisir ? BONIFACE, à part. Il la faut avoir à loisir. À Constante.Ha, mademoiselle Constante. CONSTANTE. Quel est l'ennui qui vous tourmente ? N'y saurait-on bientôt prévoir ? Il est grand seigneur, qui peut voir Monseigneur le Protonotaire. BONIFACE. Il est empêché d'un affaire Qui est de bien grande importance, En quoi il a bonne espérance De parvenir à grand honneur. CONSTANTE. Et bien, bien, ce sera Monsieur, Il ne voudra plus regarder Ses amis. BONIFACE, à part. Tant elle sait farder Et emmieller son langage ! CONSTANTE. Bon Dieu, que vous êtes sauvage Depuis un peu ! BONIFACE. C'est que je pense À une bonne récompense Qu'on donne pour son bénéfice, Si quelqu'un veut faire un service De lui prêter deux cents écus. CONSTANTE. Ne lui en faudrait-il non plus ? BONIFACE. Non. CONSTANTE. N'a-t-il point quelque amitié Dedans Paris, pour la moitié ? BONIFACE. Non du tout, oui bien pour cinquante. CONSTANTE. Ha, vraiment je suis très contente De lui prêter le demeurant, Du bon du coeur, en m'assurant. BONIFACE. Mademoiselle, le plaisir Sera selon votre désir Honnêtement récompensé. CONSTANTE. À son vouloir. BONIFACE. J'ai avancé Ma langue, sans son mandement. CONSTANTE. Vous le pouvez honnêtement : Car je suis si bien son amie, Que s'il me demandait la vie Je lui départirais mon âme, BONIFACE. Tant le bon vouloir d'une dame Peut aider l'ami au besoin. CONSTANTE. Boniface, j'ai plus de soinDe l'avancement de son bien Et honneur, que non pas du mien, Encore que j'en soi reprise ;Mais je suis tellement éprise De son amour, que j'ai grand peur Que ce soit mon dernier malheur. Au pis aller, je suis heureuse Que cette étincelle amoureuse A touché sa perfection. BONIFACE. Ce n'est qu'a bonne intention Mademoiselle, et le tourment Se finira heureusement. CONSTANTE. Je prie Dieu qu'il vous veuille ouïr. BONIFACE. Et allez vous pourrez jouir, Vous savez quoi. CONSTANTE. Ha ! Boniface. BONIFACE. Mademoiselle, votre grâce, Et votre parfaite beauté Seule vainquit sa liberté : Car plus il vit en ce martyre, Tant plus constamment il aspire À faire chose qui contente Le seul désir de sa Constante. CONSTANTE. Écoutez, je vous veux prier, À cause que le Trésorier S'apprête pour tantôt partir, D'en vouloir Monsieur avertir, Qu'il soit un peu plus diligent : Et cependant, voilà l'argent, Il m'en fera reconnaissance Quand il viendra. BONIFACE. J'ai espérance Qu'avant qu'il soit une bonne heure Il sera dans votre demeure. À part.Vive, vive l'invention Pour bien faire ma faction : Il en faut bien faire la croix En notre âtre : ils sont tous de poids,Je les ai eus tous pour le prix Que cette dame les a pris. Je reconnais bien celui-ci,Et ce double ducat aussi, Un noble, un angelot encor : C'était pour des bracelets d'or Que Monsieur lui donna un jour. Ce demeurant vient de l'amour Des bonnes gens de son quartier. A tous les diables le métier, Oui ne nourrit et entretient Le compagnon qui le maintient, Et ne fut qu'un peigne de buis. CONSTANTE, à part. Au moins si le seigneur Loys Me fait ce bien, dont je le prie, Ma bourse sera bien remplie De l'argent que j'ai déboursé. SCÈNE III. Le Trésorier, Sulpice, Constante. LE TRÉSORIER. Croyez qu'un argent avancé Vaut bien cela. SULPICE. Si fait vraiment Et je m'ébahi fort comment Vous faites si honnête tour. LE TRÉSORIER. Sire Sulpice, c'est l'amour Que je lui porte. SULPICE. Il le vaut bien. Et puis de ces gens l'entretien Sert de beaucoup aucune fois. Il me souvient qu'un jour j'étais En la court pour un mien affaire, Seulement un protonotaire Auquel j'avais fait du service Fit tout mon cas. LE TRÉSORIER. Sire Sulpice, Comme vous dites, le maintien De gens de Cour, est notre bien. Je crains que nos fautes commises À la parfin ne soient reprises, Comme nous voyons la fortune Être plus souvent importune À gens qui sont en tel degré, Qui n'ont toujours le vent à gré : Il ne faudrait au mal extrême Que ce bon gentilhomme même Pour bien conduire mon affaire, S'il m'advenait quelque misère. SULPICE. Vous dites bien, il faut prévoir Au mal qui nous peut décevoir. C'est ainsi qu'il faut disposer, C'est ainsi qu'il faut aviser À un malheur qui se présente Pour brouiller toujours notre attente, Tant nature nous est cruelle. Mais n'est-ce pas Mademoiselle Que je vois venir droit à nous ? CONSTANTE. Mon Dieu, Monsieur, dépêchez-vous, Vous savez qu'il est déjà tard. LE TRÉSORIER. Je n'attends plus qu'après Richard. CONSTANTE. Hélas mon Dieu ! La seule peur Qu'il ne vous advienne un malheur Me le fait dire, tous les champs Sont remplis de mauvaises gens : Surtout gardez vous bien du soir. SULPICE. Encore y fait il bon prévoir, Cela ne vient que de bon coeur. LE TRÉSORIER. Si vous voyez le serviteur Du seigneur Loys, que Marie L'amène après nous. CONSTANTE. Je vous prie De tôt dépêcher votre affaire. SCÈNE IV. MARIE, seule. L'homme de ce Protonotaire N'est pas des plus niais du monde : Quand il est céans, il me sonde, Et semble bien à l'ouïr dire Qu'il ait intention de rire Tout ainsi comme fait son maître : Et crois que s'il se sentait être Si peu que rien favorisé, Il serait bien assez rusé D'essayer s'il pourrait bien faire Ce que fait le Protonotaire. Je n'userai plus de rudesse En son endroit, car ma maîtresse Dit qu'il ne faut point refuser Ce qui ne se peut onc user. Aussi est-ce une grand' folie Que d'engendrer mélancolie. Nous n'aurons pas toujours le temps Pour rendre nos désirs contents. Il faut donc prendre le loisir, Puisque nous voyons le plaisir S'offrir d'une gaieté de coeur. Et pourquoi non ? Le serviteur N'aura-t-il aussi grand' puissanceDe me donner la jouissance,Et rendre l'appétit content De ce point que l'on prise tant, Comme Monsieur à sa Constante ?Je crois que le mal qui tourmente L'esprit et mon repos de nuit Se guérit par même déduit : Autant peut le lait que le prêtre, Et le serviteur que le maître, Le pauvre, comme un de grand' race. Mais je ne vois point Boniface Venir ainsi qu'il a promis. ACTE III SCÈNE I. LOYS, seul. Aujourd'hui l'on n'a plus d'amis Si n'est la bourse et les écus ; Aujourd'hui l'on ne trouve plus Qui veuille tenir la querelle De quelque honnête damoiselle : Le gain fait tout, le gain emporte Les remparts d'une ville forte ; Le gain fait cocus les maris ; Le gain est le dieu de Paris ; C'est le dieu des inventions Et la fin des intentions. Le gain fait courir les marchands Aux périls et dangers des champs, Aux périls des vents et tempêtes Qui plus souvent dessus leurs têtes. Tombants d'épouvantable effort, Leur mettent dans les dents la mort, Voire au plus beau de leur jeunesse. Encore qu'il soit tel, si est-ce Que jamais il n'eut la puissance De faire fléchir la constance De ma Cruelle. De son coeur Amour en fut le seul vainqueur : Tant seulement d'une beauté Son coeur se sentit incité ; Il repose aussi en un lieu Digne du triomphe d'un dieu. Qu'un dieu tout seul aussi se vante D'avoir fait broncher ma Constante, Elle seule, dessous le Ciel, Qui mérite avoir l'honneur tel. L'amour qui le commun enflamme N'est que neige auprès de ma flamme, D'autant que sa divinité Surpasse toute humanité Au brasier qu'il m'a fait sentir. SCÈNE II. Richard, Loys. RICHARD. Monsieur, il est prêt à partir, Et ne reste plus que quittance Pour votre dette et pour l'avance : Car l'argent est déjà tout prêt. LOYS. Combien prend-il pour l'intérêt ? RICHARD. Vingt-cinq écus sur le paiement, Et autant sur l'avancement. LOYS. C'est trop vraiment de la moitié. RICHARD. Encore si n'était l'amitié D'un sien voisin, il ne pourrait Vous en bailler. LOYS. Et ce serait Un tour duquel la repentance Suivrait de bien près la vengeance. Retiendrait-il ainsi mon bien ? RICHARD. Monsieur, encore n'y prend il rien, C'est un marchand, comme j'ai dit. LOYS. Pardieu il a pauvre crédit À ce prêteur. RICHARD. Voilà que c'est : Les amis sont à intérêt, Encore se faut-il hâter. LOYS. Or puisqu'il en faut échapper Voilà l'autre quittance encor'. RICHARD. C'est mon, mais de la chaîne d'or Que demande la damoiselle ? LOYS. Je n'en sache point d'assez belle : Délivre lui cinquante écus Pour en acheter une, ou plus, S'il est métier, la récompense Que je prétends vaut la dépence : Au demeurant hâte le pas. Il sort. RICHARD. Les escadrons et les combats N'eurent oncque si grand' puissance Que Monsieur n'y fit résistance : Et maintenant une beauté Triomphe de sa liberté. Encore vraiment la Damoiselle, Quand tout est dit, n'est pas si belle : Toutefois je ne la déprise : Car on dit que la marchandise Qui plaît est à demi vendue. Je crains que ma voix entendue Ne soit entrée en la cervelle De cette rapporte-nouvelle, Qui m'attend là devant la porte : Car vraiment elle est assez sotte Pour le rapporte à Constante. SCÈNE III. Marie, Richard. MARIE. Voici Richard qui se tourmente De quelque malheur advenu. Son esprit est bien détenu À voir sa manière de faire. RICHARD. Il faut penser à mon affaire. Puisque j'approche la maison. MARIE. Venez, Richard, c'est la raison Que si longtemps on vous attende. RICHARD. Et bien, quoi, petite friande ? Vous serez donc toujours fâcheuse ?Vous ferez donc la rigoureuse Au pauvre Richard langoureux ? Mon Dieu, que je serais heureux, Si je pouvais à mon loisir Avoir de ce sein le plaisir : [Note : Ivoirine : Qui est d'ivoire ou qui est semblable à l'ivoire [L]]Ces deux ivoirines boulettes, Ces deux cerises rondelettes. Ce sera bien quand vous voudrez. MARIE. Lâchez vos chiens, vous les prendrez, [Note : Nonpareil : Qui est sans pareil. [L]]Car vous êtes le nonpareil. RICHARD. Si vous êtes de mon conseil [Note : Besognette : On lit besongnette. Probablement diminutif de besongne, petit travail, tâche.]Nous ferons bien nos besognettes. MARIE. Et mon, Dieu, Richard, que vous êtes Ores éveillé pour votre âge ! RICHARD. Ce n'est sinon que le courage Qui s'augmente de jour en jour. MARIE. Vous voulez donc faire l'amour ? RICHARD. Ma foi, Richard se délibère Avoir toujours pour l'ordinaire Quelque chose qui soit de mise. MARIE. Voilà une belle entreprise. RICHARD. Il m'y faut or' avant prévoir. MARIE. Comment ? Il semblerait à voir Que vous ne sussiez troubler l'eau. RICHARD. L'intention est au cerveau, Marie, et puis il ne faut pas Estimer le moine à son pas Quand il marche dans le couvent. MARIE. Ananda vous êtes savant, Vous entendez bien cette affaire. RICHARD. Je suis niais, laissez moi faire, Aussi bien n'engendrai-je point. MARIE. Richard, Richard, j'entends le point. Vous voulez rire, c'est cela. RICHARD. Ma foi, me voici, me voilà, Je ne tiens jamais mon courroux, Je suis humain, courtois et doux, Prêt à vous faire tout service, À celle fin que je jouisse. Vous entendez le demeurant. MARIE. Sus, sus, Richard : marchez avant : Monsieur le Trésorier attend Pour vous donner argent comptant. Il est chez le sire Sulpice. RICHARD. Prendre argent est un bon office, Et mauvais d'être fournisseur. MARIE. [Note : Gaudisseur : Celui, celle qui aime à se gaudir. Terme familier et qui commence à vieillir. Se réjouir. [L]]Vous êtes un beau gaudisseur, Ananda je m'y recommande. RICHARD. Adieu la petite friande. MARIE. Il veut ressembler Boniface. SCÈNE IV. Constante, Marie. CONSTANTE. Viens çà, méchante, quand sera-ce Que feras ce qu'il appartient ? Dis. MARIE. Ce n'est pas à moi qu'il tient. CONSTANTE. Que jases-tu en cette place ? MARIE. Que voulez-vous si Boniface Ne se veut d'aventure hâter ? CONSTANTE. Qu'as-tu à faire d'arrêter Le valet du seigneur Loys, [Note : Babiller : Parler beaucoup, facilement, et surtout pour le seul plaisir de parler. [L]][Note : Huis : Terme vieilli qui signifie porte. [L]]À babiller devant cet huis Avec lui ? Vous sentez le coeur : Encore avec un serviteur. Saint Jean, le bon ami de Dieu, Vous irez en un autre lieu Faire votre belle menée. [Note : Affeté : Qui a de l'afféterie ; qui marque de l'afféterie. Recherche mignarde dans les manières ou dans le langage. [L]]Comment, madame l'affétée Est-ce l'état que je vous montre ?Croyez que si je vous rencontre, Vous maudirez à jamais l'heure D'avoir entré en mon demeure. Marchez, marchez, entrez dedans. Seule.Voilà, c'est l'amour de ce temps ; Aujourd'hui l'on ne voit plus homme Garder la fidélité, comme Les amoureux du temps passé. [Note : Déchassé : parti.]Le ferme amour est déchassé. [Note : Feintise : Habitude de la feinte. Synonyme de feinte, avec cette seule nuance que feintise vieillit et qu'il a un air archaïque. [L]]Et en son lieu une feintise, Le seul masque, à sa place prise. Nous cependant, mal avisées, Sommes plus souvent abusées Par ceux qui ne font que chercher Le moyen de nous débaucher. Et voilà comment aujourd'hui La fin d'amour n'est rien qu'ennui : Car des hommes l'outrecuidance Est cause de cette inconstance Eux qui tireraient d'une femme Les biens, l'honneur, le corps et l'âme : Et puis quand ils ont fait, à Dieu, Tout autant en un autre lieu, Ainsi que fortune leur donne : Mais en vain je me passionne. SCÈNE V. Le Protonotaire, Boniface, Constante. LE PROTONOTAIRE. Ma Constante se plaint de moi, Et m'accuse, comme je crois, De ce que je demeure tant À venir. CONSTANTE. Ah ! Trop inconstant ! Et moi trop facile à le croire ! Je pensais le Protonotaire Être digne d'un plus grand heur : Mais je crois que son serviteur A pris sur lui plus de puissance Qu'il ne fit onc d'obéissance. LE PROTONOTAIRE. Ha Boniface ! Maintenant J'aperçois que tout ce tourment Ne lui vient sinon que de moi. CONSTANTE. L'amour donc n'aura plus de loi ? On n'en fera donc plus de compte ? LE PROTONOTAIRE. L'impatience me surmonte, Je n'en saurais plus endurer. CONSTANTE. Encore qui me fait espérer, C'est la mort après longue attente. LE PROTONOTAIRE. Las ! Que pensez-vous, ma Constante, En vous menaçant du trépas ? BONIFACE, à part. Le voilà pris, il a son cas, La dame le tient à son aise. CONSTANTE. Hélas ! Monsieur ne vous déplaise, Je vous pensais être plus loin. LE PROTONOTAIRE. Comment, mon coeur ? Comment, mon soin ? Penseriez-vous bien qu'en amour Je voulusse faire un tel tour ? Vous n'avez expérimenté Quel vouloir à ma fermeté, Encore vous n'avez assurance Quelle est en amour ma constance. BONIFACE, à part. Il en a tout au long du bras. CONSTANTE. [Note : Soulas : Terme vieilli. Soulagement, consolation, joie, plaisir. [L]]Pardonnez moi, mon seul soulas, L'amour est toujours soupçonneux. BONIFACE, à part. C'est l'ordinaire entre amoureux, Qui fait que la foi se renforce : [Note : Amorce : Fig. Tout ce qui fait mordre à, tout ce qui attire. [L]]Car c'est d'amour subtile amorce Que les débats de deux amants. LE PROTONOTAIRE. La mort puisse mes jeunes ans Plutôt retrancher en ma fleur, Que je sois jamais serviteur D'une autre dame que de vous. Jamais l'amour ne me soit doux, Si par mon infidélité Je sers à une autre beauté. Plutôt me laisse tout ami, Et plutôt me soit ennemi L'aspect de mon astre fatal. BONIFACE, à part. Il est au plus fort de son mal. Il n'y a rien dessous les cieux Ou pire, ou plus audacieux. CONSTANTE. Aussi vous savez, Monseigneur, Que mon corps et tout mon honneur Vous fut abandonné par moiSur l'assurance de la foi, Comme seul digne d'être aimé. LE PROTONOTAIRE. Aussi toujours ai-je estimé Mon heur favorisé des dieux, Comme celui seul sous les cieux, Qui est heureux en ses amours. BONIFACE, à part. C'est la coutume, on voit toujours Ces jeunes gens à marier [Note : Fol : fou.]Devenir fols. LE PROTONOTAIRE. Le Trésorier.A-t-il déjà gagné le haut ? CONSTANTE. Non pas encore, mais il faut Entrer céans, et vous cacher : Encor faut-il se dépêcher, Car il n'est pas loin. LE PROTONOTAIRE. Mais comment ? S'il demeurait plus longuement ? CONSTANTE. Il est sur le point de partir. SCÈNE VI. Richard, Constante. RICHARD. Par le corps, j'en veux avertir Mon maître, il le saura : comment ! Est-ce là donc le beau serment De loyauté ? Je m'en doutais, J'en suis certain à cette fois : Car de mes deux yeux je l'ai vu. CONSTANTE. Et bien, Richard, avez-vous eu Votre paiement ? RICHARD. Une moitié. CONSTANTE. Mon don n'est il point oublié ? RICHARD. Voici l'argent pour en avoir, Si vous voulez le recevoir. CONSTANTE. Pourquoi non ? RICHARD. Ouvrez votre main. CONSTANTE. Ha, Richard, ce serait en vain, Je vous prie, ne me trompez plus. RICHARD. Non, non, voilà cinquante écus Pour avoir une chaîne d'or, Me pensez-vous moqueur ? CONSTANTE. Encore Vous avez de moi souvenance ; Voilà pour votre récompense. RICHARD. Il m'a commandé de savoir Quand il pourrait vous venir voir. CONSTANTE. Non pas pour aujourd'hui, demain. RICHARD. Touchez en donc dedans ma main. Elle sort. CONSTANTE. Je le veux, je me recommande. RICHARD. [Note : Par_le_corps_bieu : juron.]Par le corps bieu, elle ne demande Que les écus : car quant au reste, Elle a son cas ; mais je proteste D'en avoir bientôt la vengeance, Et du paiement et de l'avance ; Et des cinquante écus encore, Des anneaux et des chaînes d'or Dont Monsieur lui a fait présent ; Elle n'a rien trop chaud ne pesant. Et voilà, la coutume est telle : Car envers une damoiselle Il faut toujours l'argent en main : Et puis on sait bien que son gain Est semblable à l'oisellerie : L'oiseleur en quelque prairie Vient épandre ses grains semés, Où les oiseaux accoutumés Ainsi se laissent amorcer : (Car il faut un peu avancer Pour en avoir du grain après) [Note : Rets : Filet pour prendre du poisson, du gibier. [L]]Et lorsqu'ils sont pris dans les rets Ils paient au long la dépense. Dont l'oiseleur a fait l'avance. [Note : Bordeau : Vieux pour bordel ; lieu de prostitution.]Ainsi le bordeau, c'est le pré, Là ou l'amoureux est entré [Note : Maquerelle : Terme qui ne se dit pas en bonne compagnie. Celui, celle qui fait métier de débaucher et de prostituer des femmes ou des filles. [L]]Comme un oiseau : la maquerelle Est l'oiseleur, qui renouvelle Souvent l'appas, et met en main Au lieu d'amorce, une putain : Les caresses, les mignardises, Les bonjours et les gaillardises, [Note : Deviser : Échanger avec quelqu'un de menus propos. [L] Ici substantivé.]Le doux accueil, le deviser, Sont les moyens d'apprivoiser. Et en cette façon, mon maître Est aux rets : mais si je puis être Écouté, il aura vengeance De toute cette grand' dépense. Encore ce beau Trésorier, Et ce cocu, se fait prier, Où il est le plus diligent : Et fait accroire que l'argent Qu'il m'a baillé n'est pas à lui. Je lui ferai dire aujourd'hui Celui qui a mangé le lard, Si je le puis tenir à part. ACTE IV SCÈNE I. Loys, Richard. LOYS. Amour premier de notre vie [Note : Boulrellerie : Le métier, le commerce du bourrelier : ouvrier qui fait et vend des harnais. [L]]Inventa la bourellerie, Et cruauté, comme je crois : Car assez en moi j'aperçois Combien sa rage est redoutable, Moi qui suis le plus misérable Qui soit en ce monde vivant. Je suis ébranlé comme au vent, [Note : Époindre : Terme vieilli. Faire sentir un aiguillon, un désir. [L]]Je suis époind et tourmenté, Demi-mort, rompu, transporté, Tourné dans la roue d'amour : En mon esprit ne fait séjour Aucun repos, je suis jà las, Là je suis où je ne suis pas, Mon esprit n'est là où je suis, Je veux cela que je ne puis ; Vivant et mourant je demeure ; Ce qui me plaît en la même heure Me tourne en mécontentement, Tant déjà l'amoureux tourment S'est acquis sur moi de puissance : Il me met en route, il m'élance, Il désire, il ravit, il tient, Ce qu'il me donne, il le retient : Il me fait à l'instant défaire Ce que lui même m'a fait faire, Et l'oeuvre faite à sa poursuite Est tout incontinent détruite Et encore avec ces malheurs, Ce seul point ci fait que je meurs. Richard. RICHARD. Monsieur. LOYS. Ce peut-il faire Que ce gentil Protonotaire Soit jouissant de mon mérite ? RICHARD. Je vous ai l'affaire décrite, Hors mis le saut tant seulement. N'est-ce donc pas assez ? LOYS. Comment ? RICHARD. Demandez vous comment j'ai su Ce beau chef-d'oeuvre ? Je l'ai vu De mes deux yeux : et d'avantage, J'ai entendu tout leur langage, Et la conduite de l'affaire. LOYS. Mais qui est ce Protonotaire ? Le pourras-tu bien reconnaître ? RICHARD. Ha, je vois bien que c'est mon maître Ne croira Dieu que sur bon gage. LOYS. Je perds le sens et le courage Tant ce dur rapport me tourmente. Qui eut pensé que ma Constante M'eut voulu faillir en amour, Et me faire un si lâche tour ? Encore ne le puis-je croire. As-tu vu ce Protonotaire Entrer dedans ? RICHARD. Oui, je l'ai vu. LOYS. As-tu vu qu'elle la reçu ? RICHARD. J'ai vu même qu'elle le baisait, Et, le flattant, le courtisait. LOYS. Tout cela n'est que courtoisie ; Je ne prends point de fantaisie Pour un baiser : car maintenant Cela se fait honnêtement. RICHARD. Mais quand avecque ce baiser On ajoute le deviser, Qui montre assez l'affection De l'amoureuse passion, Je crois qu'il ne faut plus de doute. LOYS. Est-ce ainsi donc qu'elle me redoute ? Serai-je donc si peu prisé ? RICHARD. Elle vous a dévalisé. LOYS. Encore ne le crois-je point. Raconte moi de point en point Comment le tout c'est démené. RICHARD. J'étais en un lieu détourné, Ou j'ai entendu tout l'affaire. LOYS. Je suis donc contraint de le croire : Tu ne voudrais être menteur. RICHARD. Je n'en suis que le serviteur, Et pour le devoir de service Je fais au moins mal mon office Qu'il m'est possible. Au demeurant Toujours véritable, espérant Faire toujours de mieux en mieux. LOYS. L'eau, la terre, l'air et les cieux, Et mille autres fureurs éprises Contrarient mes entreprises. Mais je veux montrer combien peut Mon vie depuis qu'elle s'émeut. RICHARD. Celui qui voudra s'empêcher, Qu'il entreprenne être nocher. Pour dessus la grand' mer conduire Par son conseil une navire Et une femme : car au monde, Il n'y a rien qui plus abonde En toutes affaires nouvelles Que les nefs et les damoiselles. Et pourtant si mon maître est sage, Qu'il ne s'en fâche davantage. Puis j'ai entendu bien souvent, Que d'une femme le devant,Ressemble à cette lampe ardente, Qui est dans l'Église pendante, À fin d'allumer les chandelles De toutes les offrandes nouvelles : Elle en allume infinité Sans rien perdre de sa clarté : Aussi la femme a beau changer Un familier à l'étranger, L'étranger au premier venu, Toujours son cas est maintenu En son entier, si d'aventure Elle n'y mêle quelque ordure. Et si dit-on communément, Qu'après le doux ébattement Du jeu d'amour, il n'y perd plus Le tablier rabaissé dessus. SCÈNE II. Le Trésorier, Sulpice. LE TRÉSORIER. Sire Sulpice, j'ai vouloir De vous le faire apercevoir. SULPICE. Vous me faites par trop d'honneur. LE TRÉSORIER. Vous trouverez un serviteur Et un ami en mon endroit. SULPICE. Non, non, Monsieur, quand il faudrait Montrer la bonne affection, Vous sauriez quelle intention J'ai de vous faire du service. LE TRÉSORIER. Je le sais bien, sire Sulpice, Ce n'est d'aujourd'hui seulement : Et je vous promets le serment, Que tant que Dieu me donne vie J'aurai toujours pareille envie : Je vous connais digne d'aimer. SULPICE. Autant devez vous estimer De ma part. SCÈNE III. Loys, Richard, Thomas, Le Trésorier, Sulpice. LOYS. Çà, çà, tous en armes. RICHARD. Ils ont affaire à des gendarmes, Ils le connaîtront par effet. THOMAS. Monsieur, ce ne serait mal fait De prendre en main quelque rondelle. LOYS. Non, non, je n'ai que faire d'elle, Elle pense donc que je prise Davantage sa marchandise Que mon honneur : je ne suis plus De ceux qui donnent des écusPour m' entretenir en sa grâce : Je suis d'une trop noble race. THOMAS. Je veux faire provision [Note : Morion : Ancienne armure de tête plus légère que le casque. [L]]Maintenant d'un bon morion Pour couvrir le haut de ma tête. LOYS. Me penserait elle tant bête Que voulusse endurer tel sort ? LE TRÉSORIER. Sire Sulpice, quel effort ! Que veut dire cette entreprise ? SULPICE. [Note : Noise : Discorde accompagnée de bruit. [L]]Possible quelque noise éprise [Note : Soudard : Terme familier. Homme qui a longtemps servi à la guerre et qui en a les habitudes ; il se prend en mauvaise part, soit par moquerie, soit pour exprimer la grossièreté ou la barbarie. [L]]Entre eux : car toujours ces soudardsOnt querelles en toutes parts. LE TRÉSORIER. Entrons dedans. SULPICE. Fermez votre huis. LE TRÉSORIER. Je connais le seigneur Loys, Je crois qu'il ne me cherche pas. RICHARD. Monsieur, monsieur, hâtons le pas, Le Trésorier est à la porte. LOYS. Çà, çà, faites moi bonne escorte ; Qu'on me lui fende les naseaux. RICHARD. [Note : Bésasseau : Petit de la bécasse ; oiseau. Fig. et populairement. C'est une bécasse, se dit d'une femme sans esprit. [L]]Je veux comme des bécasseaux Enfiler cette Trésorière, Le Trésorier, la chambrière, Pour marque qu'une telle injure N'est impunie. THOMAS. Et moi je jure Que le premier par moi trouvé Demeurera sur le pavé, Protonotaire et Boniface. LE TRÉSORIER. Sire Sulpice, il nous menace. Hélas, mon Dieu ! Je suis perdu. THOMAS. Le Trésorier m'a entendu, Il heurte pour entrer dedans. SULPICE. Ils sont armes jusques aux dents, Et si chacun son bâton porte. LE TRÉSORIER. Ne veut-on point ouvrir la porte ? Me laisserez vous massacrer ? THOMAS. Il est en grand peine d'entrer, [Note : Armet : Armure de tête. [L]]Poussons dedans, armet en tête. LOYS. Sus, que chacun de vous s'apprête De faire maintenant devoir. RICHARD. Je lui ferai bien à savoir A ce gentil Protonotaire, Qu'il n'a pas maintenant affaire [Note : Pédant : Terme de mépris. Celui qui enseigne aux enfants. Pédant, pédante, celui, celle qui, avec de médiocres lumières et peu de savoir-vivre, prend un air de suffisance, et fait un usage mal entendu de sa doctrine. [L] Le féminin n'est pas requis ci-contre, il permet de faire 8 pieds au vers.]À un pédante de collège. THOMAS. Il est pris, il s'est mis au piège. LOYS. Sus, sus, dedans, enfoncez l'huis. RICHARD. Il me semble à voir que je suis A l'assaut de quelque rempart. Enfonçons l'huis de part en part, Nous sommes sur nos ennemis. SCÈNE IV. MARIE, seule. Miséricorde mes amis, Sommes-nous en une province Où l'on ne craigne point le Prince ? Hélas, mon Dieu ! Quelle frayeur ! Encore qui plus est, Monsieur A trouvé ce Protonotaire, Qui n'a su autre chose faire, Sinon que se pensant, sauver, Et voyant subit arriver Le courtisan et ses soudards Qui le cherchaient de toutes parts, Il s'est rendu à leur merci. Ô quel ennui ! ô quel souci ! Quelle lamentable journée Maintenant nous est ordonnée ! Voilà, jamais nous n'aurons bien Dans le logis : car aussi bien Toujours le Trésorier jaloux [Note : Acravanter : Assomer, accabler. [Ancien français]]Nous acravantera de coups : Jamais il n'aura merci d'elle, Encore si ma Damoiselle N'eût été prise en ce délit Avec monsieur dessus le lit, L'on eut pu couvrir cette affaire : Mais comment ? le Protonotaire La tenait déjà embrassée, Quant le mari la devancée Comme elle se pensait cacher, Et si ne la pouvait lâcher : Ce qui a tant seulement fait Qu'il les a pris dessus le fait. Je m'ébahis bien fort comment Il n'est venu premièrement, À Boniface : toutefois J'en suis échappée. SCÈNE V. Boniface, Marie. BONIFACE. J'étais Pour mon profit particulier, Quant j'ai ouï ce beau Trésorier Heurter, crier d'une voix forte Que l'on lui vint ouvrir la porte. Si est-ce que j'ai si bien fait, Qu'il ne m'a pris dessus le fait, Car, quand j'ai oui ce beau ménage, Ainsi qu'un homme de courage J'ai gagné le grenier au foin : Les jambes servent au besoin, Encore n'est-il que toujours être. Mais, par Dieu, cependant mon maître Est pour les gages demeuré, Et moi un peu plus assuré Que je n'étais. MARIE. Hé ! Boniface ! Vraiment vous avez bonne grâce, Encore vous vous moquez des gens. BONIFACE. Comment cela ? Ce sont sergents, Qui veulent mener prisonnier Votre maître le Trésorier.Quant à moi, j'aime mieux m'en taire. MARIE. Mais Monsieur le Protonotaire Est tout seul entre ces soudards. BONIFACE. Je ne me mets en tels hasards, Je pourrais bien faisant ma monstre [Note : Malencontre : Mauvaise rencontre. [L]]Recevoir quelque malencontre : Je ferai ci la sentinelle. MARIE. [Note : Le E de mademoiselle est remplacé par une apostrophe.]Lors que dira Mademoiselle ! Il m'est avoir qu'elle me suit. Hé ! Vierge Marie, quel bruit ! Je crois que le seigneur Loys Veut vous tuer. BONIFACE. Il n'est que l'huis Pour bien échapper du danger : C'est assez pour m'en étranger,Par Dieu, je n'y retourne pas. MARIE. Hé ! Boniface, parlez bas : [Note : Sallette : Petite salle. Désuet.]Je m'en vais jusque à la sallette. BONIFACE. Quant à moi, ma tâche est jà faite, Je n'y retourne du jourd'hui, Puisque l'affaire j'ai conduis, Jusqu'ici, j'en suis échappé. Et Monsieur demeure trompé ; Qu'il se contente à sa fortune. MARIE. Elle nous est à tous commune : Encore en fault-il voir la fin. BONIFACE. J'en suis bien content : mais à fin Que ne m'y pensiez embrouiller, Si l'on me faisait dépouiller ; J'en aurais mon recours sur vous. ACTE V SCÈNE I. Sulpice, Loys, Richard, Le Trésorier. SULPICE. Monsieur, soyez un peu plus doux, Quel profit pourriez vous avoir Quand vous le feriez à savoir À la justice ? LOYS. C'est tout un Le profit est à tous commun. RICHARD. Çà, çà, monsieur le Trésorier, Vous en porterez le collier, Et ce pour juste récompense D'avoir pillé l'argent de France. SULPICE. Il se soumet à tout accord. RICHARD. Par Dieu, je serai le plus fort, Vous viendrez aussi quand et quand, Car vous en faisiez le paiement En son nom, m'aidant à tromper Vous ne me pouvez échapper Que ne vous fasse mille ennuis. LE TRÉSORIER. Écoutez moi, Seigneur Loys, Vous savez que j'ai fait avance : Sera-ce donc la récompense Que pour moi vous voulez choisir, Après vous avoir fait plaisir ? Auriez-vous bien donc le courage De m'empêcher en ce voyage, Considéré que mon affaire, Me contraint comme nécessaire Pour le profit de notre Prince ? RICHARD. Vous êtes sujet à la pince, C'est cela qui gâte le tout. LOYS. Encore en aurons-nous le bout, Richard, fais ce que je commande. LE TRÉSORIER. Seigneur Loys, je ne demande Sinon avoir appointement Avecque vous. RICHARD. Premièrement Il faut venir en la prison. LE TRÉSORIER. Je vous ferai toute raison, Si vous faites un tour honnête. RICHARD. Cela n'est que laver la tête [Note : Bons-hommes : religieux établis l'an 1259, en Angleterre, par le prince Edmond ; ils professaient la règle de Saint Augustin et portaient un habit bleu. [L]]De l'âne qui est aux Bons-hommes. LOYS. Voici grand cas, tant que nous sommes N'aurons pouvoir de le mener Au palais pour l'emprisonner, RICHARD. Chargez le moi comme une balle Sus le dos, ou comme une malle, [Note : Courtaud : Personne de taille courte et ramassée. [L]]Puis nous aurons votre courtaud Qui le mènera aussitôt Que commandé. SULPICE. Soumettez vous, Et puis Monsieur sera plus doux. LE TRÉSORIER. À celle fin d'en voir le bout, Je suis content de perdre tout. J'ai payé le quartier passé, Encore vous ai-je avancé Celui qui vient, pour avoir paix Avecque vous, Monsieur, je fais Comme si n'eussiez rien reçu. SULPICE. Vraiment vous ne serez déçu Par ce moyen, et de ma part J'en donnerai le vin à Richard : Et si désire faire plus. LOYS. Vous dites bien : mais les écus Que la Constante tient encore Pour avoir une chêne d'or ? LE TRÉSORIER. Ces écus vous seront rendus, Et d'autant d'autres dépendus, Pour nous réjouir tous ensemble. SULPICE. C'est un bon parti ce me semble. RICHARD. Le vin que vous avez promis À Richard, n'est-il pas donc mis Parmi le marché ? SULPICE. Si est bien, Je vous le veux donner du mien. RICHARD. Mais j'aime bien mieux dans ma main Le voir que d'attendre à demain : Car je sais bien que les promesses De leur naturel sont traîtresses : Parquoi si voulez paix à moi Foncez argent. SULPICE. Ha, par ma foi, Vous l'aurez, car c'est la raison. LOYS. Entrons doncques en la maison Affin de ravoir ma quittance : Car je veux du tout assurance. SCÈNE II. Boniface, Le Protonotaire. BONIFACE. Non, non, Monsieur, si j'eusse été Dedans notre Université, Je leur eusse fait à connaître Que là dedans je suis le maître. Encore j'ai bonne espérance D'en avoir un jour la vengeance. LE PROTONOTAIRE. Mais que diable es-tu devenu Cependant ? BONIFACE. J'étais détenu Combattant contre deux soudards : Par dieu, c'étaient deux grands pendards, Qui m'eussent arraché la vie Du corps, si n'eut été l'envie Qu'avais de vaillamment défendre, Si bien que je leur ai fait rendre Tout le courage avec les armes, Encore que ce fussent gendarmes. LE PROTONOTAIRE. Par dieu, je n'ai su si bien faire, Qu'au plus fort de tout mon affaire Je n'aie été surpris. Mais quoi ? Il ne se souvient plus de moi : Car l'ardeur du Seigneur Loys, Qui enfonçait en bas son huis Pour entrer dedans la maison, Lui a fait perdre la raison. BONIFACE. Non, Monsieur, je m'en veux venger. LE PROTONOTAIRE. Mais, Boniface, en quel danger Penses-tu que j'étais alors ? Je t'assure que tout mon corps, Étant aussi froid que le marbre, Tremblait comme une feuille d'arbre. BONIFACE. Ne pourriez-vous revancher ? LE PROTONOTAIRE. Encore ne savais-je attacher Mes chausses chutes aux genoux. BONIFACE. Ha, si j'eusse été avec vous ! LE PROTONOTAIRE. Encore me pensant sauver, Un autre m'est venu trouver Caché dans la chambre privée : Puis Constante y est arrivée, Ce qui a fait que, me sauvant, Je me suis trouvé au devant Du Seigneur Loys, qui suivait Le Trésorier, qui s'enfuyait. BONIFACE. Quelle mine vous a-t-il fait ? LE PROTONOTAIRE. Il m'a dit que c'était bienfait À l'homme qui cherche toujours Son aventure en ses amours, Et que lui, étant pourchassant De ce dont j'étais jouissant, Il se pensait être aimé d'elle. BONIFACE. Comment ! De cette damoiselle ? Sait-on pas bien qui est Constante ? LE PROTONOTAIRE. Oui, et qu'en cette folle attente Il avait dépendu beaucoup : Mais qu'il voulait tout en un coup Son argent, que le Trésorier Retenait dessus son quartier, Puisqu'elle était ainsi commune. BONIFACE. Or la damoiselle en a d'une, L'argent qu'elle vous a prêté Entre nos mains est arrêté Jusque à la plus grande récompense, Des présents et de la dépense Que vous avez fait, poursuivant Son amour, et dorénavant [Note : Rechoir : Fig. Retomber dans une même maladie ou dans une même faute. [L]]Il se faut garder d'y rechoir. LE PROTONOTAIRE. Boniface allons nous en voir Tous les écus de la Constante. SCÈNE III. MARIE, seule. Loué soit Dieu, tout se contente : Et qui plus est, le Trésorier Ne sera point mis prisonnier; J'en remercie bien nos amis. Encore plus il a promis Pardonner, dont je me contente, À Mademoiselle Constante, Et à moi aussi, promettant D'en faire encore demain autant, Cela s'entend : mais par ma foi, Je regarderai mieux à moi, Et à mon cas dorénavant, Que je n'ai fait par ci-devant. Ne vaudra-il pas mieux choisir, Afin de prendre mon plaisir, Quelque jeune homme, que toujours Languir aux misères d'amours ? Si fait, pendant que la jeunesse Émut dans mon coeur l'allégresse Du doux amour, qui or' m'enlasse, Et duquel déjà Boniface M'a fait sentir l'ébattement, Mais ce sera secrètement : Car voilà, l'on n'est jamais sage Qu'après les plaies : c'est, c'est l'usage Du temps qui court, et pour vrai dire, Ma maîtresse veut toujours rire Au premier venu, c'est tout un, Autant aux nobles qu'au commun : Et en cela gît tant l'affaire De par dieu. Le Protonotaire Dont elle tirait tant d'écus, Maintenant n'y reviendra plus, Et voilà autant de pratique. Étrangée de sa boutique. Mais il faut aller apprêter Le banquet. De vous inviter Messeigneurs, j'aurai bonne envie : [Note : Au vers 1486, il est écrit anenda, nous préférons ananda pour homogénéiser la graphie dans tout le texte.]Mais, ananda, la compagnie Qui est céans mangerait bien Le Trésorier et tout son bien. ==================================================