******************************************************** DC.Title = CARACATACA ET CARACATAQUÉ, FARCE. DC.Author = GUEULLETTE, Thomas-Simon DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Farce DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:19. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GUEULLETTE_CARACATACA.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** CARACATACA ET CARACATAQUÉ FARCE en TROIS ACTES. M. DCC. XIV. par M. GUEULLETTE . Représentée pour la première fois en société en 1720. PERSONNAGES LE MAÎTRE, ou M. DE PARLAVENTREBLEU. SANS-QUARTIER, valet de chambre. DIVERTISSANT, grand laquais. GILLES, petit laquais. GILLETTE, femme de Gilles. UN MAGICIEN. MONSIEUR SUC, Juif. MONSIEUR CORNIBUS, bègue. . ACTE I SCÈNE I. Le Maître, Divertissant, Sans-Quartier, Gilles. LE MAÎTRE. Approchez-vous enfants, il n'est pas aussi naturel qu'ayant gagné le gros lot, je vive comme un gredin, et que je mange mon pain dans ma poche, je viens d'acheter la Principauté de Baslevent, à laquelle est joint le Marquisat de Feramongul, or je prétends dorénavant que vous ne m'appeliez plus que mon Prince, ou bien, Monseigneur, entendez-vous ? GILLES. Il ne fallait pas vous mettre en dépense pour ce marquisat, je vous en aurais fait présent, sans qu'il vous en eût rien coûté. LE MAÎTRE. Toi, Gilles, et comment donc cela mon ami ? GILLES. Et parguienne, fleurez à mon cul, Monsieur, et dans mes chausses, fort à votre service. LE MAÎTRE. Oh l'impertinent, je te dis Feramongul... GILLES. Oh, c'est une autre affaire, et Monsieur, avez-vous acheté bien cher cette principauté et ce marquisat ? LE MAÎTRE. Pas mal, mon ami, pas mal, la principauté me coûte trois mille neuf cents livres. GILLES. Et le marquisat put, n'est-il pas vrai notre Maître ? LE MAÎTRE. Oh l'insolent, tu ne diras aujourd'hui que des sottises, le marquisat m'a été donné par-dessus le marché ; mais je suis bien bon de répondre ainsi à de pareilles sottises. Or ça je veux aller voir cette acquisition, et me fouetter des airs de qualité, comme j'ai acheté aussi tous les domestiques qui sont dans ces terres, je n'en veux point mener la queue d'un, ainsi je vous laisse tous ici, et je vous recommande toute ma maison ; toi, Gilles, de mon petit laquais, je te fais mon portier, te voilà haussé d'un degré ; toi, Divertissant, mon grand laquais, tu seras mon valet de chambre ; et toi, Sans-Quartier, de mon valet de chambre, je veux que tu deviennes mon intendant. Adieu donc mes enfants, je vais prendre la poste. DIVERTISSANT. Mon Prince, peut-on vous demander si vous serez longtemps à faire ce voyage ? SANS-QUARTIER. Et puis-je savoir aussi, Monseigneur, ce que vous me laissez d'argent, pour faire votre intendance ? LE MAÎTRE. Voici un pouvoir pour en aller chercher chez mes débiteurs pendant mon absence, qui ne durera que quinze jours au plus ; pendant tout ce temps je ne veux point que Gilles quitte sa porte un seul moment. GILLES. Si cela est ainsi, Monsieur, j'ai une grâce à vous demander, c'est que comme vous savez que je suis tout nouvellement marié, et que l'amour me trotte encore dans le ventre, comme les souris dans votre grenier, je veux vous prier de trouver bon, que Madame Gillette, ma femme, vienne demeurer ici, sans cela ma foi, la porte pourrait bien demeurer ouverte. LE MAÎTRE. Eh bien, mon ami, j'y consens. SANS-QUARTIER, aparté. Bon, tant mieux, voici bien mon affaire. Haut.Mon Prince, vous savez qu'étant votre intendant, je dois être le maître, il est bon que vous le disiez devant Divertissant et Gilles. LE MAÎTRE. Tu as raison, je leur ordonne de t'obéir dans tout ce que tu jugeras à propos ; et te laisse le maître absolu de leur sort. DIVERTISSANT. Et qu'aurai-je à faire moi pendant votre absence ? LE MAÎTRE. Tout ce que t'ordonnera mon nouvel intendant, pour lequel Gilles, sa femme et toi, vous aurez le même respect que vous avez pour moi. GILLES. Oh ! Volontiers, ce n'est pas beaucoup dire ; mais, Monsieur, où allez-vous, vous embarquer, à Montmartre ? LE MAÎTRE. Non, mon ami, le terme d'embarquer est ici mal à propos, Montmartre n'est point un port de mer, si tu savais la Géographie, tu ne parlerais pas ainsi incivilement, il n'y a que les ânes comme toi qui vont dans ce pays. GILLES. Grand merci, notre Maître. LE MAÎTRE. Notre Maître, notre Maître ! ne t'ai-je pas dit, imbécile, qu'il fallait à présent m'appeler mon Prince ? GILLES. Cela est vrai, mais je veux être pendu comme une andouille à la cheminée, si je puis jamais me pouvoir accoutumer à ce drôle de nom-là. LE MAÎTRE. Il le faut pourtant, sinon notre intendant te l'apprendra à grands coups de bâton. SANS-QUARTIER. Ce sera quand il vous plaira, car Gilles a la tête bien dure. GILLES. Oh n'en prenez pas la peine, je tâcherai de m'en souvenir. Adieu donc notre Maî... notre Prince, dis-je, puisque vous partez absolument. LE MAÎTRE. Adieu mes enfants, je vais prendre la poste, je vais monter à cheval rue des Poulies. GILLES. Il va monter à cheval sur une poulie ; qu'eu chienne de monture, tenez bien la corde au moins, si vous ne voulez vous casser le col. LE MAÎTRE. Oh l'animal ! DIVERTISSANT. Monseigneur, peut-on demander à Votre Éminence, dans quel pays sont situées vos terres ? LE MAÎTRE. Oh par ma foi, voilà qui est en vérité plaisant, il faut que je passe chez mon notaire pour le savoir ; sans ta demande je partais comme un sot, sans savoir où j'allais, il me semble cependant que c'est en Champagne vers le Chesnepouilleux, je m'imagine l'avoir entendu lire dans le contrat. GILLES. Je crois plutôt que c'est en Brie. LE MAÎTRE. En Brie ? GILLES. Oui, Monseigneur, n'est-ce pas en Brie qu'est Chauxconnin ? LE MAÎTRE. Oui, mon ami. GILLES. [Note : Fleurer : Répandre, exhaler une odeur. Au XVIIème, il n'y avait aucune distinction, pas plus auparavant, entre fleurer et flairer. [L]]Eh bien. Monsieur notre Prince, m'est avis que la principauté de Baslevent et de Fleure-à-mon-cul, est dans le voisinage. LE MAÎTRE. Tu feras toujours le mauvais plaisant, mais l'heure se passe, il faut que je parte au plutôt, adieu, ayez bien soin de ma maison. SCÈNE II. Divertissant, Sans-Quartier, Gilles. DIVERTISSANT. Or ça, Monsieur l'Intendant, pendant l'absence du prince nous ferez vous faire bonne chère ? SANS-QUARTIER. Sans doute, mon ami, je veux que tout aille par écuelle, principalement Madame Gillette, venant pour demeurer avec nous ; mais comme il est juste de la régaler à son arrivée, cours à la Rôtisserie, apporte-nous un cochon de lait, et quatre pintes de bon vin, il faut nous fouetter le sang aujourd'hui, surtout n'oublie pas d'amener avec toi Madame Gillette. DIVERTISSANT. Laissez-moi faire. GILLES. Morguenne, Monsieur l'Intendant, vous êtes un brave homme, les honneurs ne vous changent point les moeurs, mais si vous m'en croyez, n'y faites pas tant de façons, tenez du rognon, du boudin, du cervelat, de l'andouille, cela suffit pour notre maîtresse, parguienne je ne puis la rassasier de cela, et si j'en suis mieux fourni qu'un autre. SANS-QUARTIER. Va, va, mon ami, elle en aura sa suffisance avec moi. GILLES. Nous allons avoir cent fois plus de plaisir qu'un galeux qu'on étrille. SANS-QUARTIER. Vous êtes bien-heureux, mon ami Gilles, d'avoir une femme si gentille et si sage. GILLES. Oh ! Point du tout, il est vrai qu'elle a les joues rebondies comme les fesses d'un Suisse, et les dents affilées comme les rasoirs d'un chaudronnier ; mais Monsieur l'Intendant, belle ou non, je l'aime voyez-vous. SANS-QUARTIER. Je le crois bien, et moi aussi. GILLES. Comment, et vous aussi, cela ne m'accommode point. SANS-QUARTIER. Tu ne me comprends pas, on aime ce qui est aimable, voilà ce que je veux dire. GILLES. Oh pour cela passe, vous m'aviez déjà donné martel en tête. SANS-QUARTIER. Comment nigaud, tu serais assez sot pour être jaloux ? GILLES. [Note : Grouiner : grogner ne parlant du cochon. [Larousse]]Non pas tout-à-fait, mais je ne voudrais pas que l'on grouinât ma femme, cela les accoutume à mal faire voyez-vous, et j'ai ouï-dire à ma grand'mère, qui par révérence, s'appelait Madame Gratte-cul, que les huîtres trop maniées s'ouvraient d'elles-mêmes. SANS-QUARTIER. Madame Gratte-cul avait raison, elle savait la manigance ; mais mon ami l'on a beau garder sa femme, quand elle le veut l'on est bientôt cocu. GILLES. [Note : Lardoire : Petit instrument qui est à larder. C'est une sorte de brochette creusée et fendue en quatre par un des bouts, afin d'y pouvoir mettre le lardon à mesure qu'on larde quelque viande que ce soit. [F]]Cela est vrai, mais ma femme ne le veut pas voyez-vous ; je sens bien qu'il n'y a trou qui ne veuille sa cheville, lardoire son lardon, et gaine qui ne souhaite son couteau ; mais je n'entends pas que ma femme qui a de tout cela, le prête jamais à personne. SANS-QUARTIER. Eh mon ami, pourquoi te fâches-tu, te voilà plus rouge de colère que les fesses d'un postillon ; mais voici qui t'apaisera. GILLES. Morguenne vous avez raison, je suis tout hors de moi quand je vois ma pauvre Gillette. SCÈNE III. Sans-Quartier, Gilles, Gillette. GILLETTE. [Note : Godan : Terme populaire. Conte, tromperie. [L]][Note : Bailler : donner, mettre la main. [F]]Eh bonjour mon gros trouillard, Monsieur Divertissant qui vient de passer par chez nous, m'a dit que j'allais demeurer ici avec toi, comme cela me ferait bien plaisir ; mais je crains que ce ne soit un godan qu'il me baille-là ; dis-moi un peu la vérité. GILLES. Parguenne, Gillette, cela est pourtant bien vrai, notre maître, comme un champignon est devenu en une nuit prince de Baslevent, ainsi que marquis de Fleure-à-mon-cul, dame on ne l'appelle plus à présent que Monseigneur. GILLETTE. Bon, qu'eu chien de conte d'Arobert, mon oncle ! SANS-QUARTIER. Ce n'est point un comte ni un baron, belle Gillette, c'est une histoire qui est véritablement remarquable. GILLETTE. Vous vous gaussez de nous, Monsieur Sans-Quartier. GILLES. [Note : Parguienne : ou parguenne par corruption de Pardienne. Serment burlesque. [T]]Non parguienne, ce ne sont point des moqueries, Gillette, Monsieur Sans-Quartier, n'est-il pas devenu intendant de notre maître, et Divertissant n'est-il pas à présent valet de chambre, et moi ne suis-je pas son portier ? GILLETTE. Son portier, qu'est-ce à dire, quoi tu resterais toujours à la porte, tu n'entrerais jamais dedans, oh cela ne ne m'accommoderait pas du tout, entends-tu ? GILLES. Et nenni dea, Gillette, je ne suis pas si sot de me laisser ainsi morfondre à l'air, je ne voudrais pas être portier du Roi, à celle condition d'être toujours dehors, c'est en dedans que je serai avec toi. GILLETTE. Oh, passe pour cela. SANS-QUARTIER. Oui, oui, Gillette, vous serez très contente en ce point ; et comme intendant j'aurai soin de votre loge, elle sera bien couverte, Mademoiselle Gillette. GILLETTE. Ça me fera bien plaisir, Monsieur l'Intendant. GILLES. Et pour ce qui est en cas de ça, c'est mon affaire, Monsieur Sans-Quartier. SANS-QUARTIER. Je l'entends bien aussi ; mais comme il y a de petites douceurs que tu n'es pas en état de donner à ta femme, je me charge d'y pourvoir. GILLES. Oh non pas, s'il vous plaît, par la tetiguenne quel pourvoyeux, il n'y a qu'à ma foi lui donner des draps blancs, il chiera bientôt dedans. GILLETTE. [Note : Fi : Particule qui sert à faire une exclamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose. [F]]Ah, fi donc mon cher Gilles, il y a trop de grossièreté dans toutes vos expressions. Monsieur l'Intendant n'est point de ces vilaines gens qui tondraient sur un oeuf, et mordraient sur un étron. Puisqu'il veut être si libéral, laissez-le faire, tu sais qu'il manque toujours quelque chose à une femme, et on ne doit pas être fâché quand un galant homme vous le présente. GILLES. Oh morguenne, je n'entends pas que tu l'y prennes rien du tout, entends-tu, Gillette. GILLETTE. Mais s'il me le met dans la main, ce ne sera pas moi qui le prendrai. GILLES. Je ne veux pas qu'il te le mette, ouais qu'est-ce donc que cela veut dire ? SANS-QUARTIER. Mais, mon ami Gilles, vous vous fâchez sans raison, par exemple supposons que Madame Gillette laisse tomber son manchon, je le lui ramasse et le lui mets dans la main poliment. GILLES. Oh pour le manchon il n'y a point de mal. SANS-QUARTIER. Son éventail lui échappe, je lui retiens, et je lui présente. GILLES. Si ce n'est que cela, c'est une autre paire de manches. SANS-QUARTIER. Pour moi je n'y entends point d'autre finesse, Bas.Voilà un benêt qu'il faut que j'éloigne d'ici. Or ça, mon ami Gilles, va un peu voir à la cuisine si Divertissant est de retour, et ensuite tu descendras à la cave chercher de l'huile pour la salade. GILLES. Oh très volontiers, j'obéis aisément quand il s'agit de la gueule, et Gillette ne viendra-t-elle pas avec moi ? SANS-QUARTIER. Elle va te suivre, j'ai seulement deux mots à lui dire pour la propreté de la maison. GILLES. Eh bien je m'en vais toujours devant. Aparté.Queu niais, ce drôle d'Intendant a bien la mine d'un filou, qui voudrait crocheter la serrure de notre ménagère, je vais avoir l'oeil, et je me cacherai ici près, pour examiner à quoi cela aboutira. SCÈNE IV. Sans-Quartier, Gillette. SANS-QUARTIER. Les moments sont chers, or ça ma chère Gillette, savez-vous que je ressemble comme deux gouttes d'eau, à la personne qui vous aime le mieux. GILLETTE. Oh que nenni, vous ne ressemblez en rien à Gilles. SANS-QUARTIER. J'en serais bien fâché, c'est une bête qui ne sait point ce que vous valez. GILLETTE. Eh, Monsieur, cela peut fort bien être. SANS-QUARTIER. Je gage que ce nigaud-là ne vous a jamais dit que vous étiez charmante. GILLETTE. Eh mon Dieu non, Monsieur Sans-Quartier, il aurait eu bien tort de m'appeler ainsi, il n'y a que les magiciennes qui faisions des charmes, il m'a seulement dit quand nous faisions l'amour qu'il me trouvait assez drôlette. SANS-QUARTIER. [Note : Drôlette : dimninutif de drôle ; Se dit d'un homme ou d'un enfant qui, ayant quelque chose de décidé, de déluré, ne laisse pas d'exciter quelque inquiétude, et sur lequel d'ailleurs on s'attribue quelque supériorité. [L] ]Assez drôlette, assez drôlette, c'était un insolent de vous parler ainsi, si je m'étais alors trouvé auprès de vous, je lui aurais donné des coups de bâton. GILLETTE. Oh, Monsieur, assurément vous avez trop de bonté. SANS-QUARTIER. [Note : Faquin : se dit aussi en quelque sorte figuré, pour un homme sans mérite, sans honneur, sans coeur, digne de toute sorte de mépris. [F]]Assez drôlette, voilà, je vous l'avoue, un plaisant faquin, oui Gillette, vous êtes à mes yeux toute adorable, et vantez-vous-en je n'oublierai jamais la mémoire de vos perfections. GILLETTE. Dame, Monsieur, je vous jure que je n'entends rien à tout ce beau parler-là. SANS-QUARTIER. Comment faut-il donc que je m'explique avec vous. Eh bien Gillette, cela veut dire, que vous pouvez disposer de moi comme des choux de votre jardin. GILLETTE. Ah ! je commence à vous entendre ; mais, Monsieur l'Intendant, tenez il n'y a rien à faire, Gilles m'a dit qu'il fallait bien avoir attention à conserver son honneur. SANS-QUARTIER. Il a raison, c'est aussi ce que je veux faire à votre endroit ; mais, par exemple, comment conserve-t-on de l'eau de la Reine d'Hongrie, n'est-ce pas en bouchant exactement la bouteille. GILLETTE. Oui, vraiment, et je ne m'étonne plus qu'à tout moment il me reproche que je suis éventée, parguienne c'est sa faute, que ne bouche-t-il bien la bouteille de Congrie. SANS-QUARTIER. Puisqu'il n'y entend rien, j'y veux remédier. GILLETTE. Que je vous serai obligée. SANS-QUARTIER. Venez donc avec moi dedans ma chambre. GILLETTE. Oh, Monsieur, doucement s'il vous plaît, je ne veux point m'enfermer ainsi dans l'extérieur de votre appartement. SANS-QUARTIER, la tiraillant. Allons donc vous faites l'enfant. GILLETTE. Oh non, non, je vois bien à présent où vous en voulez venir. SANS-QUARTIER. Je vois bien qu'il faut vous faire un peu de violence. Il veut la faire entrer de force.Dame à la fin je vous enlèverai. GILLETTE. Oui-da, oh que nenni, je m'en vais crier tout comme un dragon. Gilles, Gilles... SCÈNE V. Sans-Quartier, Gillette, Gilles. GILLES. Qu'est-ce donc qui gnia, ah Monsieur Lestafier de la Samaritaine, vous voulez donc escalader l'honneur de ma femme ; ah parguenne je vous apprendrai à vous jouer ainsi à moi... Il le rosse. SANS-QUARTIER. Au secours, au secours, ah le coquin, traiter ainsi un intendant, je te ferai pendre sur-le-champ, misérable. GILLES. Oui, oui, je t'en répond, ah, ah parguenne, ce n'est point pour toi que le four chauffe. GILLETTE. M'est avis pourtant que la pâte était bien levée. GILLES. Oh ! Tétiguenne, je m'en gausse ; mais Gillette, allons manger le cochon de lait avec Divertissant, je pense que mon Jérôme a fait perdre tout l'appétit à notre intendant. ACTE II SCÈNE I. Le Magicien, Gilles. LE MAGICIEN. Je suis le grand Robillardus Carbazus, hic aut hac Grossus, ce fameux Magicien, protecteur de l'innocence opprimée ; je quitte exprès le Congo où j'ai voulu assister au coucher de la Princesse Mansmoubansa, pour secourir Gilles, qu'un coquin d'Intendant veut faire pendre pour quelques coups de bâton qu'il a reçus, et qu'il méritait bien ; voici le pauvre diable bien effrayé... Lazzi de frayeur. GILLES. Ah, Monsieur le Bourreau, puisqu'il en faut passer par-là, ne me faites point languir, graissez la corde avec du savon. LE MAGICIEN. Que veux-tu dire mon ami ? GILLES. [Note : Brancher : Pendre un soldat, ou un vagabond à la branche du premier arbre. Cela n'a d'usage qu'à la guerre, et chez les prévôts. [F]]Que l'on voit bien à votre physionomie qui vous êtes, et que vous portez le deuil de tous ceux que vous avez branchés. LE MAGICIEN. Tu t'égares, mon enfant, tu me prends pour un autre ; loin d'être celui que tu penses, je suis un Magicien qui vient pour te tirer des pattes de ce fripon de Sans-Quartier, et pour te venger de lui ; il a voulu te faire pendre, n'est-il pas vrai ? GILLES. Hélas oui ! Et j'en suis encore tout pâle. LE MAGICIEN. Eh bien, ce sera lui qui prendra ta place aujourd'hui. GILLES. Allons doucement, s'il vous plaît, si c'est celle qu'il me destinait à la potence, à la bonne heure. LE MAGICIEN. Je l'entends ainsi. GILLES. Ah ! Je craignais que ce fut ma place auprès de Gillette. LE MAGICIEN. Nullement, mon ami. GILLES. Dame, voyez-vous Monsieur le marsouin. LE MAGICIEN. Dis donc le Magicien ! GILLES. Eh bien, Monsieur le Magicien, vous ne sauriez vous imaginer combien Gillette m'aime, si vous aviez vu comme elle pleurait quand elle a vu qu'on m'allait pendre, cela vous aurait fendu le coeur, elle m'a embrassé plus de dix fois ; ah , mon cher Gilles ! Me disait-elle, quoi faut-il donc que tu me quittes pour toujours ? Quel congé ! Quel triste congé ! Quel grand congé ! LE MAGICIEN. Ah ! Je le crois bien sans en jurer ; eh bien mon enfant, avec deux mots et cette bague, tu vas jouir d'un plaisir parfait, en étrillant l'intendant comme il le mérite, tu connaîtras toute la vertu de ta femme. GILLES. Cela serait bien drôle, oui, voyons un peu ces deux mots. LE MAGICIEN. Les voici ; Caracataca. GILLES. Miséricorde, je ne pourrai jamais dire Caracataca. LE MAGICIEN. Fort bien, regarde-toi à présent dans ce miroir. GILLES. Parguenne je n'y verrai pas la figure d'un sot. LE MAGICIEN. Regardes, regardes. GILLES. Ah, notre maître ! Mais où diable s'est-il donc fourré ? LE MAGICIEN. Qui ? GILLES. Monsieur le Prince de Bas-le-vent, Marquis de Fleur-à-mon-cul. LE MAGICIEN. Que veux-tu dire ? GILLES. Je viens de le voir tout à l'heure. LE MAGICIEN. Où ? GILLES. Là, là, à travers ce miroir. LE MAGICIEN. Quel conte ! GILLES. Parguienne je n'ai pas la vue trouble, regardez vous-même. LE MAGICIEN. Jouis de ton étonnement, sans y penser tu as prononcé Caracataca et dans le moment tu as pris la figure de ton maître, voilà assurément tout le secret. GILLES. Effectivement, en effet parguienne je lui ressemble comme deux gouttes d'eau. LE MAGICIEN. Il n'y a personne qui n'y soit trompé ; mais ce n'est pas tout, au lieu de Caracataca, en disant Caracataqué tu reviendras ce que tu es ordinairement, c'est-à-dire que tu reprendras la figure de Gilles. GILLES. Houlas ! Sera-t-il possible que je le pourrai ? Comment avez-vous donc dit ? LE MAGICIEN. Caracataqué. GILLES. Carabata... LE MAGICIEN. Non, Caracataqué. GILLES. Caracabaqué. LE MAGICIEN. Eh non, Caracataqué. GILLES. Ah, j'y suis, Barbaca... LE MAGICIEN. Non, non, non, de par tous les diables non, prononcez en même temps que moi, Caracataqué, Cara... GILLES. Cara. LE MAGICIEN. Cara. GILLES. Cataraca. LE MAGICIEN. Tout au contraire, Caracata. GILLES. Ah oui, oui, Caracata. LE MAGICIEN. Caracataqué. GILLES. Caracataqué. LE MAGICIEN. Fort bien, Caracataqué. Regardes-toi à présent dans le miroir. GILLES. Ma foi cela est merveilleux, effectivement je me reconnais à présent. LE MAGICIEN. Ah ça, au lieu de Caracataqué dis, et prononces avec moi Caracataca. GILLES. Oh ! Celui-là sera bien plus difficile. LE MAGICIEN. Eh non, c'est la même chose, au lieu de que il faut dire ca, Caracataca, Caracataca. GILLES, se regardant au miroir. Caracataca... oui, je suis à présent notre maître tout craché. LE MAGICIEN. Fort bien. GILLES. De grâce, Monsieur, mettez-moi bien ces deux mots dans la tête, et laissez-moi, je vous prie, ce miroir, afin que je voie si je ne me trompe pas. LE MAGICIEN. Volontiers : Caracataca, Caracataqué. GILLES, après quelques lazzis. Caracataca, Caracataqué ; oh parguienne, ce n'est pas sans peine que j'en suis venu à bout ; Caracataca. Il se regarde.Fort bien ; Caracataqué, à merveille : eh, dites-moi s'il vous plaît, cela durera-t-il autant que je le voudrai ? LE MAGICIEN. Non, mon ami, tu ne jouiras du pouvoir de la métamorphose qu'aujourd'hui seulement. GILLES. Qu'est-ce que la morchose ? Oh je veux tout savoir. LE MAGICIEN. Je t'ai dit métamorphose, c'est-à-dire le pouvoir de changer de figure, tu pourras le faire pendant tout le jour, et le soir tu me remettras ma bague et le miroir, duquel tu ne connais point encore toute la vertu. GILLES. Et quelle vertu a-t-il donc ? LE MAGICIEN. Premièrement, il fait connaître, à n'en point douter, la sagesse d'une fille si elle n'a point fait faux-bons à son honneur, elle s'y voit la bouche si petite, si petite. GILLES. Attendez un peu, Monsieur le Magicien, qu'est-ce que cela veut dire, faire faux, faux-bons à son honneur ? LE MAGICIEN. Cela signifie, si elle n'a pas laissé aller le chat au fromage. GILLES. Laisser aller le chat au fromage, je n'entends pas cela. LE MAGICIEN. Comment veux-tu donc que je m'explique autrement ? GILLES. Comme il vous plaira ; mais je ne croirai jamais qu'une fille en soit moins sage, pour avoir laissé manger son fromage par un chat. LE MAGICIEN. Ne vois-tu pas, mon ami, que c'est une allégorie, c'est-à-dire une façon de parler allégorique, qui fait entendre qu'une fille s'est laissée approcher de trop près par un garçon, et qu'il s'est passé entr'eux certaines choses, certaines privautés... Tu commences à m'entendre je gage. GILLES. [Note : Amphigouri : Écrit burlesque et qu'on rempli de galimatis. Etym. Origine inconnue [L]][Note : Pressure : Action d'enpointer les aiguilles ou les épingles. Pressure se disait dans l'ancienne langue pour gêne, oppression. [L]]Oui, je comprends l'amphigouri ; ah parguienne, il y a bien des filles qui se crèveraient de ce fromage là, si elles ne craignaient trop la pressure. LE MAGICIEN. T'y voilà justement, pour revenir donc à mon miroir, je t'ai dit sa vertu pour les filles véritablement sages. GILLES. Oui je m'en souviens, elles l'ont si petit, si petit. LE MAGICIEN. Je t'ai dit, mon ami, qu'elles s'y voyent la bouche entièrement petite, mais au contraire si elles se sont dérangés de leur devoir. GILLES. Oh je comprends cela, alors elles sont fendues jusqu'aux oreilles ? LE MAGICIEN. Justement. GILLES. Monsieur, pourrai-je faire regarder Gillette dans le miroir ? LE MAGICIEN. Cela ne t'avancerait de rien, car Gillette est ta femme, et ce miroir n'est que pour les filles, cela aurait été bon avant ton mariage. GILLES. Oh ! vous avez raison, que je suis fâché de ne l'avoir pas eu dans ce temps-là. LE MAGICIEN. Est-il vrai que tu n'aurais point été content ? GILLES. Pardonnez-moi, mais... LE MAGICIEN. Mon ami, il y a des choses sur lesquelles il ne convient pas de pousser trop loin la couriosité, tiens-toi à tes premières idées. GILLES. Ma foi, vous avez raison ; mais, Monsieur, ne m'avez-vous pas dit que ce miroir avait encore une autre vertu ? LE MAGICIEN. Cela est vrai. Voilà de quoi il s'agit, en mettant le miroir du haut en bas, si un homme qui s'y regarde est un cocu, il s'aperçoit au front une grande mouche en forme de croissant. GILLES. Sérieusement ? LE MAGICIEN. Très sérieusement. GILLES. Je veux parbleu en juger par moi-même ; mais non, si j'apercevais la mouche, je ferais tapage à la maison, je battrais Gillette, ma foi j'aime beaucoup mieux rester dans l'ignorance. LE MAGICIEN. C'est fort bien penser, divertis-toi seulement aux dépens des autres. GILLES. Je n'y manquerai pas ; mais à propos, Monsieur, dites-moi un peu votre nom ? LE MAGICIEN. Mon ami, l'on m'appelle ordinairement Robillardus, Carbassus, hic aut hac Grossus. GILLES. C'est bien pis que Caracataca. Je ne pourrai jamais, Monsieur, retenir votre nom. LE MAGICIEN. Tu n'en as pas besoin, dans deux heures je reviendrai prendre mon miroir et ma bague. GILLES. Ne pourriez-vous pas me laisser tout cela jusqu'à demain matin seulement ? LE MAGICIEN. Non. Avant que huit heures sonnent, il faut que je monte sur le cheval de Pacolet, pour me trouver en Turquie au coucher du Grand Seigneur qui m'attend. GILLES. Pourquoi faire ? LE MAGICIEN. Pour éplucher les puces des Sultannes, c'est-là ma charge. GILLES. Pardi voilà un drôle d'emploi d'éplucher les Sultannes ; eh ne pourrai-je point vous aider ? LE MAGICIEN. Je te dis chercher les puces des Sultannes. GILLES. C'est à peu près la même chose, et parguenne prenez-moi pour votre second. LE MAGICIEN. Je le veux bien, je te ferai même recevoir en survivance de garçon éplucheur, mais il faudra prendre le bénéfice avec les charges. GILLES. Et quelles sont les charges ? LE MAGICIEN. [Note : Croquignole : espèce de chiquenaude ou de nasarde. C'est un coup qui se donne sur le visage, en lâchant avec violence un doigt qu'on a posé sur un autre. [F]]S'il laisse échapper une puce, on lui donne aussitôt trois cents coups de pieds dans le ventre, cinq cents croquignoLles, et soixante coups de bâton sur la plante des pieds ; tu vois qu'il ne faut pas avoir les mains gourdes, ni la vue courte. GILLES. Malpeste. LE MAGICIEN. Il est vrai qu'on te donnera d'abord à éplucher des vieilles décrépites, dont la moins âgée aura bien quatre-vingts ans, celles-là sont moins frétillantes sous la main d'un beau garçon comme toi, mais après trente ou quarante ans de travail, on te mettra en exercice auprès des jeunes. GILLES. Monsieur, je renonce dès à présent à la survivance. LE MAGICIEN. Tu fais fort bien mon garçon ; or ça ressouviens-toi bien de Caracataca et de Caracataqué. GILLES. Allez, laissez-moi faire. LE MAGICIEN. Lorsque ta vengeance sera complète, si je ne reviens point assez tôt, tu n'auras qu'à me rapporter mon miroir et ma bague, rue du Loup-Garou, à l'enseigne du Pet, et si tu ne te ressouviens point de mon nom, tu n'auras qu'à demander le Signor Mago. GILLES. [Note : Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]]Qui est ce Magot ? LE MAGICIEN. Moi, mon ami. GILLES. Fi donc, après les obligations que je vous aurai, j'irai moi vous appeler Magot. LE MAGICIEN. Tu me fais rire, apprends que, il Signor Mago en italien, veut dire en français, Monsieur le Magicien. GILLES. Oh si cela est, vous êtes un vrai Magot, c'est-à-dire un très grand Magicien. LE MAGICIEN. Adieu, Caracataca, Caracataqué. GILLES. Oui, oui, je m'en ressouviens fort bien, à merveille, Caracataca, Caracataqué. Parbleu ! cela est plaisant, oui : mais je veux rentrer dans la maison et me cacher, jusqu'à ce que je puisse trouver, comme je le souhaite, l'occasion de me venger. SCÈNE II. GILLETTE, seule. Je suis bien malheureuse, ce fripon de Divertissant dit que mon pauvre Gilles s'est sauvé des mains de ceux qui feignaient de l'emmener pendre ; je n'en crois rien, cependant je vais de côté et d'autre pour apprendre de ses nouvelles, et je ne trouve personne qui m'en puisse donner ; bon voilà une personne qui vient à propos et qui m'en donnera peut-être. SCÈNE III. Gillette, Monsieur Suc, Juif. GILLETTE. Mon cher Monsieur, ne savez-vous point ce qu'est devenu mon mari ? MONSIEUR SUC. Non. GILLETTE. On voulait le pendre. MONSIEUR SUC. Oui. GILLETTE. Parce qu'il a rossé d'importance un drôle qui voulait me caresser à sa barbe. MONSIEUR SUC. Oh, oh ! GILLETTE. Mais on m'assure qu'il est sauvé. MONSIEUR SUC. Soit. GILLETTE. Il faut que cet homme-là ne soit pas fils d'une femme pour parler si bref : Monsieur de quel nation êtes-vous s'il vous plaît ? MONSIEUR SUC. Juif. GILLETTE. On vous a donc coupé ?... MONSIEUR SUC. Chut. GILLETTE. Pardi voilà un drôle de corps, mais apparemment vous en avez encore. MONSIEUR SUC, en se donnant un coup de la main gauche sur le bras droit, entre la main et le coude, lève en même temps la main. Tant ! GILLETTE. Comment vous appelle-t-on ? MONSIEUR SUC. Suc. GILLETTE. Vous êtes apparemment marier ? MONSIEUR SUC. Point. GILLETTE. Cherchez-vous quelqu'un ici ? MONSIEUR SUC. Vous. GILLETTE. C'est un espèce de fou, il faut que je m'en réjouisse quelques moments. Vous êtes donc amoureux de moi ? MONSIEUR SUC, portant la main sur le sein de Gillette. Fort. GILLETTE. Que cherchez-vous là ? MONSIEUR SUC. Sein. GILLETTE. Malpeste quel égrillard, et comment le trouvez-vous ? MONSIEUR SUC. Mol. GILLETTE. Vous êtes un insolent, on ne dit pas une pareille sottise en face, je vous soutiens moi qu'il est... MONSIEUR SUC. Dur ? GILLETTE. Oui assurément il est dur, et je m'en vante. MONSIEUR SUC. Zeste. GILLETTE. Oh finissez, si vous me chiffonnez davantage, je vous appliquerai un soufflet. MONSIEUR SUC. Bon. GILLETTE. Je le ferai comme je le dis. MONSIEUR SUC. Crac. GILLETTE, en lui donnant un soufflet. Comment le trouvez-vous ? MONSIEUR SUC. Su... Il veut encore la caresser. GILLETTE. Je crierai. MONSIEUR SUC. Paix. GILLETTE. Oh c'en est trop, à moi quelqu'un. MONSIEUR SUC. Foin. GILLETTE. Sauvons-nous des mains de ce drôle-ci... Elle se sauve et elle est poursuivie par Monsieur Suc. SCÈNE IV. GILLES, seul. Ce fripon de Sans-Quartier n'est point à la maison, non plus que Divertissant, je ne sais ce qu'est devenue Gillette, ça me chiffonne l'esprit, j'ai été tenté cinq ou six fois de me regarder dans ce miroir de la façon que le magicien me l'a dit ; mais je n'ai jamais osé le faire de peur de la mouche. Ah, ah, j'aperçois mon voisin, il est bien en colère, à qui diable en a-t-il donc ? SCÈNE IV. Gilles, Monsieur Cornibus. MONSIEUR CORNIBUS. Co... Co... Co... Comment, des vi... vi... vi... vilains fri... fri...fri... fripons, qui... qui... qui... voulaient four... four... fourber ma... ma... ma femme. GILLES. Diantre j'ai cru qu'il s'agissait d'autre chose, Monsieur Cornibus avec son bégaiement, est sujet à dire bien des impertinences. MONSIEUR CORNIBUS. Je pu... pu... pu... pu... GILLES. On le sait bien. MONSIEUR CORNIBUS. Non... non... non, je... je... je dis que je pu... pu... punirai ces fi... fi... fi... filou-là. GILLES. Et comment les punirez-vous ? MONSIEUR CORNIBUS. Ah, ah, j'ai... j'ai... j'ai... fait caca... caca... ca... ca... GILLES. Oh ! Le vilain. MONSIEUR CORNIBUS. J'ai fait caca... caca... caca... GILLES. J'entends, vous avez fait caca à la porte de ces drôles-là. MONSIEUR CORNIBUS. Non... non... non, j'ai... j'ai... j'ai ca... ca... caché des gens pou... pou... pou... pour les su... su... surprendre. GILLES. Mais connaissez-vous. Monsieur, ces personnes-là. MONSIEUR CORNIBUS. J'en... j'en... j'en connais une fille qui... qui... qui... qui était du nombre de ces fri... fri... fri... fripons-là ? GILLES. C'est quelque chose. MONSIEUR CORNIBUS. Si je la... la... la... l'attrape, je la fou... fou... fou... fourerai en pri... pri... pri... prison ? GILLES. Ce sera fort bien fait à vous, et je vous le conseille très fort. MONSIEUR CORNIBUS. La co... co... co... coquine, me... me... me disait, voyez... voyez mon... mon com... com... compère, j'ai du com... com... com... comptant. GILLES. Il n'y avait rien à dire à cela. MONSIEUR CORNIBUS. Moi... moi... moi qui suis tout vi... vi... vi... vigilant, j'ai vu... vu... vu... vu... vu de ces drôles-là, qui... qui... qui mettait la main au con... con... con... comptoir de ma... ma... ma fem... fem... femme. GILLES. Mais à la fin ils ne lui ont rien pris. MONSIEUR CORNIBUS. Le cu... cu... cu... coureur de puits de chez nous, est ve... ve... ve... venu ma... ma... mal à propos, en ce... ce... cette occasion, sans ce cu... cu... coureur de puits, qui... qui... qui est voisin de Con... Con... Conflans, où j'ai... j'ai... j'ai ma maison, j'au... j'au... j'aurais au moins chi... chi... chi... chiffonné la drô... drô... drôlesse qui... qui... qui... qui était avec ces vi... vi... vi... vilains gueux-là. GILLES. Mais pourquoi vous tant échauffer la bile, puisqu'ils n'ont rien pris à votre femme, et qu'avez-vous donc tant à vous plaindre ? MONSIEUR CORNIBUS. Il est vrai, mais... mais. GILLES, aparte. Il faut que je fasse un peu l'épreuve du miroir. Haut.Tenez regardez-vous dans cette glace, vous verrez que vous êtes tout en feu. Aparte.Je connaîtrai bientôt s'il est de la grande Confrérie. MONSIEUR CORNIBUS. Oui... oui... oui, je suis rou... rou... rouge co... co... co... comme un cor... cor... cornillard. Il se frotte le front.Mais... mais... mais à quoi s'a... s'a... s'a... s'amuse ma... ma... ma pe... pe... pe... petite femme de me... me... me... me planter... des mou... mouches sur le vi... vi... vi... vi... visage. GILLES. Oh ! Ma foi le pauvre diable en tient, (Aparté.) il porte sa main au front Haut.Que diantre faites-vous ? MONSIEUR CORNIBUS. Je... je... je veux m'ô... m'ô... m'ôter ce... ce... ce... ce... que ma... ma... ma femme m'a... m'a... m'a mis sur... su... su... su... sur le front. GILLES. [Note : Apprentif : Celui qui est novice dans les arts et les sciences. [F]]Cela ne sera point aisé, je crains bien plutôt que ce ne soit votre apprentif qui vous ait ainsi enjolivé le front. MONSIEUR CORNIBUS. Qu'est... qu'est... qu'est-ce à dire, je n'en... n'en... n'entends pas raillerie, au moins j'en... j'en... j'en... j'en souffre de... de... de vous un peu trop, vous... vous... vous êtes un plat bou... bou... bou... bouffon, Monsieur, entendez-vous. GILLES, le contrefaisant. Et vous... vous... vous êtes un co... co... co... co... cocu fieffé. MONSIEUR CORNIBUS. Tu... tu... tu te... te... te mo... mo... moque donc de... de... de moi vi... vi... vi... vilain fa... fa... fa... Farinier, je te... te... te fou... fou... fou... foulerai aux pieds. GILLES. Toi : oh parguenne viens y voir. MONSIEUR CORNIBUS. Je... je... je... le... le... veux... veux... bien. GILLES. Et moi aussi. Ils se battent en finissant le deuxième acte. ACTE III SCÈNE I. GILLES, seul. Par-là mordombille, il faut avouer que le magicien est un bien habile homme, son miroir m'a bien réjoui avec Monsieur Cornibus mon voisin, je me doutais bien que sa femme lui faisait avaler le goujon ; et j'en ai été convaincu. Mais j'aperçois, si je ne me trompe, Gillette, vite prenons la figure de mon maître, Caracataca. SCÈNE II. Gilles, Gillette. GILLETTE. Il faut avouer que je joue bien de malheur, de ne trouver personne qui puisse me donner des nouvelles de mon pauvre Gilles ; mais que vois-je, notre Maître déjà de retour. GILLES, faisant l'important. Bonjour, Gillette, qu'as-tu, vous êtes triste, ma mie. GILLETTE. Oh ! mon bon Monsieur, j'en ai bien le sujet, mon pauvre Gilles n'est plus de ce monde, ce scélérat de Sans-Quartier l'a fait pendre, sauf son recours contre qui il avisera bon être. GILLES. Ça n'est pas possible, à propos de quoi cela serait-il arrivé ? GILLETTE. Ça n'est que trop vrai, il a voulu, sauf votre respect, me faire l'amour, dame il engainait son compliment, de manière que si Gilles n'était venu, voyez-vous, Monsieur... révérence parler j'étais une femme perdue d'honneur... mon mari s'est fâché, Sans-Quartier s'est mis en colère, Gilles l'a rossé avec un Jérôme de bonne mesure, il ne l'a pas trouvé bon, il l'a fait arrêter, l'a fait pendre, et je suis à présent sans mari, hi, hi, hi. Elle pleure. GILLES, affectant un air grave. Je vous plains, Gillette, mais je vous ferai bonne justice de mon coquin d'intendant, je le ferai pendre à son tour. GILLETTE. Grand merci, Monsieur, mais cela ne me rendra point mon pauvre Gilles, et je vous avouerai bien naturellement, que depuis que j'ai goûté du mariage, je ne puis plus me passer de mari. GILLES. Oh, oh, et bien je veux vous en servir. GILLETTE. Oh ! Monsieur, vous vous gaussez des pauvres gens, à moi n'appartient pas tant d'honneur, et puis on n'oublie pas ainsi un pauvre cher homme comme une chemise sale, hi, hi, hi. Gilles, en ce moment passe de l'autre côté, prononce caracataqué, embrasse Gillette, repasse promptement à sa place, en disant caracataca.Ah, ah, je me meurs. Monsieur notre Maître, ah, ah, Gilles, Gilles, qui vient de m'embrasser. GILLES. Quel conte, mais il n'est donc point mort. GILLES. Ah ! Pardonnez-moi. Monsieur, il faut qu'il le soit. GILLES. Pourquoi cela ? GILLETTE. Il ne m'a dit mot, et de plus c'est qu'il puait comme un bouc. GILLES, aparte. C'est que j'ai fait une grosse vesse. Haut.Allez, mignonne, rassurez-vous, vous avez la berlue, regardez-moi bien, quelle comparaison de Gilles avec moi ; votre mari à tout prendre n'était qu'un butor. GILLETTE. Il est vrai qu'il n'avait pas grand esprit, mais il allait bien droit en besogne. GILLES. C'était un ivrogne fieffé. GILLETTE. D'accord, il aimait un peu le vin et l'eau-de-vie ; mais quoiqu'il but comme un pourceau, il s'enivrait sobrement. GILLES. Il vous battait aussi quelquefois. GILLETTE. [Note : Mêlit : mauvaise conjugaison du verbe Mêler au passé simple. Idem pour engagît et fâchit.]Il faut convenir que cela lui est arrivé cinq ou six jours après notre mariage ; mais il n'avait pas tout à fait tort, c'est le diable qui se mêlit de ça. GILLES, effrayé. Le diable. GILLETTE. Oui, Monsieur notre Maître, je rêvais que j'étais sur le grand chemin de Saint Denis, et que le diable, sauf votre respect, me montrait un trésor, je ne savais comment reconnaître cet endroit, et parguenne parole ne pue point, ce malin diable ne me disait-il pas, te voilà bien embarrassée, chié là, personne n'y touchera, et tu retrouveras aisément la place, vous sentez bien notre maître, que j'eus de la peine à prendre la résolution de m'y résoudre, se mettre là le cul en l'air en pleine campagne, ça n'est pas modeste, cependant l'intérêt m'y engagit ; mais hélas malheureusement en me réveillant au lieu d'un trésor, je ne trouvai dans mon lit qu'un gros tas de merde. Dame voyez-vous, Gilles se fâchit de ça, il disait qu'on avait eu tort de me marier, puisque je n'étais pas nette de nuit, il m'appliquait cinq ou six coups de poing, et je nous gourmandimes, car révérence parler, je ne suis pas endurante, mais ça ne durit pas, nous lavâmes les draps, et je fis bientôt la paix. Gilles prononce caracataqué, se regarde dans le miroir, passe de l'autre côté, se prend le nez comme si cela sentait encore mauvais, repasse à sa place, et dit caracataca.Miséricorde, je viens de voir encore l'ombre de Gilles. GILLES. Est-tu folle ma pauvre Gillette ? GILLETTE. Ah, Monsieur, je l'ai vu, il se tenait le nez bouché, comme si j'étions encore couchés ensemble. GILLES. Eh fi, Gillette, ne pensez plus à cet animal-là, je vous aime, je vous l'ai dit. Il veut la caresser. GILLETTE. [Note : Ciron : Très petit animal qui est une espèce de petit ver rond et blanc, qui s'engendre d'une humeur acre, et aduste en plusieurs endroits du corps, mais principalement en la main, et qui en se traînant sous le cuir le ronge petit à petit. [F]]Vraiment, je vois bien que les mains vous démangent, elles sont composées de la chair de Ciron. GILLES. Vous me rebutez, vous ne voulez donc pas m'aimer, et consentir... la... Vous m'entendez bien. GILLETTE. Mais ce n'est pas que je vous refuse. GILLES, aparte. Fort bien, gare la mouche, me voilà plus d'à moitié cocu. GILLETTE. Mais... C'est que tenez... Voyez-vous... Vous n'avez pas ce qu'il me faudrait. GILLES. Je l'ai bien autant que Gilles. GILLETTE. Oh, que nenni, nous autres femmes sommes connaisseuses sur cette matière, je sentons notre avoine d'un quart de lieue de loin. GILLES. Elle a ma foi raison. Oh ça Gillette, vous y ferez réflexion, vous viendrez dans mon cabinet dans un quart d'heure, je vous veux donner de l'argent pour vous mettre en deuil. GILLETTE. Dame ça s'appelle mettre un bouchon au cabaret. GILLES, feint de sortir, et après avoir prononcé caracataqué, il court et renverse Gillette. Oh parguenne je l'ai échappé belle. GILLETTE. Ah ? Je suis morte, mon Maître, mon Maître. GILLES. Est-tu folle, femme, de ne me point reconnaître, parguenne je suis ton mari cependant. GILLETTE. Ça ne se peut, car il a été pendu. GILLES. Eh non, te dis-je, j'ai pensé l'être, mais je me suis sauvé des mains de Sans-Quartier. GILLETTE. Tout de bon. GILLES. Et parguenne si t'en doute, tâte-moi depuis les pieds jusqu'à la tête, tu me trouveras tout envie. GILLETTE. Il a raison, c'est lui-même, c'est mon pauvre Gilles, je ne me sens pas de joie, il faut un peu que je t'embrasse. Elle saute au cou de Gilles qui prononce caracataca.Ciel ! Que vois-je, c'est mon Maître, oh dame il y a de la tricherie là-dessous. GILLES, caracataqué. Tu extravagues, regarde-moi donc bien encore. GILLETTE. Par ma figuette, baise-moi tant seulement en gaudinette. GILLES. Oh! volontiers... Il prononce caracataca. GILLETTE. Miséricorde ! Gilles, Gilles, à mon secours. GILLES, caracataqué. À qui diable en as-tu ? GILLETTE. Je te dis, et je te douze, que c'est Monsieur de Parlaventrebleu que je baisais tout à l'heure. GILLES. Et non, c'était moi. GILLETTE. C'était toi ? GILLES. Oui, parguienne, mais il faut te conter le tout, Gillette, c'est un Seigneur Magot qui m'a rendu ce service. GILLETTE. Qu'est-ce à dire, perds-tu le peu d'esprit que tu as ? GILLES. Non, te dis-je. GILLETTE. Un Magot. GILLES. Oui, un Magot, c'est-à-dire, un Magicien, qui avec deux mots m'a donné le pouvoir d'être tantôt mon Maître, et puis celui de redevenir Gilles. GILLETTE. Mais quelle apparence. GILLES. Tiens regardes-moi bien, pour qui me prends-tu ? GILLETTE. Pour Gilles. GILLES. Eh bien ne me perds pas de vue, caracataca. GILLETTE. Oh Ciel ! C'est le Maître. GILLES, faisant l'important. Viens ma mignonne que je t'embrasse tout à l'heure, avancez donc. GILLETTE, caressée. Nommez, nommez. Elle le repousse rudement.[Note : Mornifle : Soufflet ; coup de la main sur le visage. [F]]Il y là quelque anguille sous roche, finissez donc, ou je vous baillerai une mornifle. GILLES, caracataqué. Sans diable tu as la main bien dure. GILLETTE. Oh dame je n'entends point raillerie pour ce qui est du cas de l'honneur, je suis pis qu'un dragon. GILLES. Mais Gillette, tu n'étais pas tout-à-fait méchante et si revêche au commencement. GILLETTE. Dame, vois-tu, la chair est quelquefois fragile, les absents ont toujours tort, et pis il ne faut qu'une pelure de poire, pour faire trébucher une honnête femme. GILLES. Morguenne tu as raison, mais je crois apercevoir Sans-Quartier ; à ça rentrons un moment pour concerter ensemble de quelle bonne manière je l'étrillerai. SCÈNE III. SANS-QUARTIER, seul. Cet imbécile de Gilles à qui je ne voulais que faire peur, s'est imaginé bonnement qu'on allait le pendre, il s'est sauvé, c'est ce que je souhaitais, cela me facilitera la facilité de voir sa femme ; pour en être mieux reçu, j'ai pris dans la garde-robe de mon Maître, un de ses vieux habits. En effet il est censé naturel qu'un intendant soit habillé d'une manière indécente ; mais je vois Gillette, elle me paraît de mauvaise humeur, il faut l'aborder civilement. Ils se font plusieurs révérences. SCÈNE IV. Sans-Quartier, Gillette. GILLETTE. Eh, Monsieur l'Intendant, trêve de chapeau. SANS-QUARTIER. Ah ! Mademoiselle Gillette, trêve de fesses, eh bien, ma belle enfant, qu'avez-vous, vous êtes toute chose ? GILLETTE. Ah ! Plut à Dieu que cela fût. Monsieur, mais voyez-vous, quand on a du chagrin on n'est pas gaie. SANS-QUARTIER. Vous êtes donc toujours fâchée, vous avez tort au fond, vous étiez mal à votre aise avec Gilles, vous serez contente avec moi, je veux vous épouser. GILLETTE. Monsieur, épouser, quoi Gilles est donc pendu ? SANS-QUARTIER. Non vraiment, mais il s'est sauvé, qui quitte la partie la perd, et voilà votre mariage rompu. GILLETTE. Cela est-il possible ? SANS-QUARTIER. Oui vraiment, mais je vois bien que vous ne voulez pas le faire, car vous me faites toujours la mine. GILLETTE. Oh, Monsieur l'Intendant, si je vous la faisais, vous l'auriez meilleure que vous ne l'avez ; d'ailleurs je n'aime point le mariage qui se casse comme un verre, et si je vous épousais, je voudrais, Monsieur, m'unir à vous par un lien si raide, qu'il ne se rompit jamais. SANS-QUARTIER. Ah, ma reine, je puis vous assurer qu'il ne pliera jamais de mon côté. GILLETTE. Vous êtes donc bien fort, ah quelle gasconnade, et allez, allez, la plus petite femme est plus vaillante que l'homme le plus grand. SANS-QUARTIER. Pourquoi cela ? GILLETTE. C'est qu'un homme ne saurait porter deux femmes, et qu'une femme portera six hommes sans se fatiguer. SANS-QUARTIER. Pour ce qui est en cas de ça, vous n'avez pas tort, mais il est question de savoir si vous voulez bien m'épouser, après tout c'est bien de l'honneur pour vous, entendez-vous la belle. GILLETTE. De l'honneur ? SANS-QUARTIER. Oui vraiment, sachez que Monsieur mon père était le premier de Saint-Denis en France. GILLETTE. Le premier ? SANS-QUARTIER. Oui, il en était le portier ; voilà ce qui s'appelle de bonne noblesse cela. GILLETTE. Ah ! Parguenne, si j'avais pour deux liards de pareille noblesse dans le ventre, je prendrais pour cinq cents écus de rhubarbe pour la chasser, mais on peut dire sans vanité que c'est mon père qui était de la condition la plus élevée. SANS-QUARTIER. La plus élevée ? GILLETTE. Sans doute, puisqu'il était couvreur ; mais comme il pensa se casser le col, il prit un autre emploi qui lui donna le pas devant les plus grands seigneurs de la Cour. SANS-QUARTIER. Quel fichu conte. GILLETTE. [Note : Postillon : Valet de poste qui conduit les gens qui courent le poste. C'est aussi le courrier qui porte l'ordinaire. C'est aussi un palefrenier, ou valet de cocher, qui monte sur le premier cheval d'un attelage, quand il y a six, ou huit chevaux. [F]]Il n'y a pas de conte, il se fit postillon. SANS-QUARTIER. Ah, ah, Gillette, mais concluons donc ; voulez-vous être ma femme oui ou non ? GILLETTE. J'en aurais t'assez d'envie, mais hélas franchement, Gilles me tient trop au coeur. SANS-QUARTIER. Eh fi donc, pouvez-vous encore pensez à ce benêt-là ? je gage que ce butor aura eu si grand peur, qu'il sera passé dans les pays étrangers. GILLETTE. Il y a-t-il bien loin aux pays étrangers ? SANS-QUARTIER. [Note : Lieue : Mesure des chemins, elle valait 3,898 km depuis 1674. ]Il peut y avoir dix à douze mille lieues. GILLETTE. Dix ou douze mille lieues, si je savais ça je vous dévisagerais tout à l'heure, entendez-vous ? SANS-QUARTIER. La, la, que vous êtes vive. , feignant de pleurer. Quoi je ne verrai plus mon pauvre cher homme ; ah misérable que tu est... Je ne sais à quoi il tient que je ne prenne le parti de t'étrangler. SANS-QUARTIER. Tout beau Gillette, comme vous y allez, tranquillisez-vous donc. GILLETTE. Je ne le veux pas, moi. SANS-QUARTIER. Écoutez, il n'y a qu'un mot qui serve, j'ai le moyen de vous rendre riche, je viens de rompre l'armoire de notre Mmaître, je lui ai volé cent louis, argent comptant. GILLETTE, riant. Tout de bon. SANS-QUARTIER. Oui vraiment, vous voyez bien que c'est une petite fortune pour nous, nous passerons en Hollande. GILLETTE, riant. En Hollande, Monsieur l'Intendant ? SANS-QUARTIER. Oui en Hollande, et par ce moyen nous serons à l'abri de toute poursuite. GILLETTE. Baillez-moi la main, Monsieur de Sans-Quartier, me voilà en vérité toute déterminée. SANS-QUARTIER. Le Ciel soit loué. GILLETTE. À vous faire pendre ; ah Monsieur le fripon, au voleur, au voleur, au Guet, au Commissaire. SCÈNE V. Sans-Quartier, Gillette, Gilles. GILLES, caracataca. Quel tintamarre est cela ? GILLETTE. Ah ! Monsieur notre Maître, vous voilà de retour bien à propos. SANS-QUARTIER. Voilà bien le diable, tâchons de nous sauver. GILLETTE. [Note : Branler : Se mouvoir en deçà et en delà, chanceler, ne pas tenir ferme. [F]]Si tu branles je t'étrangle. Monsieur voici un fripon qu'il faut faire pendre. GILLES. Le pendre, qu'a-t-il fait pour cela ? SANS-QUARTIER. Elle a l'esprit dérangé. GILLETTE. Oui, oui, notre Maître, ce fripon sauf votre respect, en a voulu à mon honneur, dame il fallait beau jeu bon argent, Gilles heureusement est venu à mon secours bien à propos. GILLES. Enfin. GILLETTE. Enfin ce fripon d'Intendant, pour se venger des coups de bâton, l'a fait pendre. GILLES. Cela n'est pas possible. SANS-QUARTIER. Eh non. Monsieur, c'est une frime que j'ai faite, parce qu'il m'avait manqué de respect, et il s'en est enfui. GILLES. Cela ne va point à la corde. GILLETTE. Ce n'est pas le tout, ce scélérat, Monsieur, vous a volé cent louis dans votre armoire qu'il a fracassée. GILLES. Oh diable le cas est pendable, mais il faut le fouiller... Il veut s'enfuir. GILLETTE. Jour de gueux, si tu remue de la place, je te hacherai en morceaux à belles dents. GILLES, le fouillant. Ah ! Voilà ma bourse. Eh bien, pendard, qu'as-tu à dire à cela ? SANS-QUARTIER. Monsieur, c'est une petite espièglerie. GILLES. [Note : Espièglerie : Petites malice, qui fait un enfant vif et éveillé. [F]]Une petite espièglerie, Monsieur le fripon, son procès est tout fait, et comme j'ai justice haute, moyenne et basse, qu'on l'aille tout-à-l'heure accrocher dans mon jardin au plus grand arbre qui se trouvera. SANS-QUARTIER, à genoux. Ah ! Monsieur, ayez pitié de moi. GILLETTE. Point de pitié. SANS-QUARTIER. Ne pourrait-on point au lieu d'être pendu, en être quitte pour les galères, ou pour quelques coups de bâton. GILLETTE. Non, non, je veux avoir le plaisir de le pendre moi-même. SCÈNE VI, et dernière. Le Maître, Sans-Quartier, Gillette, Gillles. LE MAÎTRE. Que ce fut d'un rude vilain, Que la poste eut son origine, Il avait trois plaques d'airain, Autre part qu'en la poitrine.[Note : Pelisson, Paul (1624-1693) : Premier commis de Fouquet, il partagea sa disqrâce et fut embastillé en 1661. Cinq ans après, de retour en grâce, il fut nommé historiographe du roi et est admis à l'Académie Française. ]Voilà de la prose d'un certain Pellisson qui est assez bien troussé, si je m'en étais souvenu, je n'aurais point fait la sottise de vouloir courir la poste avec des hémorroïdes qui m'ont obligé de revenir sur mes pas ; mais que vois-je, un autre moi-même : ai-je la vue trouble ? SANS-QUARTIER. Miséricorde, mon maître est double : ah, Monsieur, qui que vous soyez, je vous demande aussi sincèrement pardon. LE MAÎTRE. Et de quoi ? GILLES, d'un air important. Et qui êtes-vous, s'il vous plaît, vous qui me ressemblez si fort ? LE MAÎTRE. Qui je suis ? Ceci m'étonne au point que je ne sais que répondre. GILLES. Pour moi, je suis Monsieur de Parlaventrebleu, prince de Bas-le-vent, marquis de Fleur-à-mon-cul, qui vient d'ordonner que l'on branche ce fripon, pour avoir voulu débaucher Gillette, faire pendre Gilles, et de plus pour m'avoir avec effraction, volé cette bourse de cent louis d'or que je viens de lui reprendre. LE MAÎTRE. Ô Ciel ! mais c'est moi qui suis ce Monsieur de Parlaventrebleu, et cette bourse m'appartient. SANS-QUARTIER. Accommodez-vous, Messieurs, pour moi je n'y prétends plus rien. LE MAÎTRE. Je le crois bien. Je n'aurais pas cru Sans-Quartier capable d'une pareille friponnerie, elle mérite une punition exemplaire ; mais ce n'est pas ce qui m'inquiète, c'est de voir qu'un autre passe pour moi, et devienne le maître dans ma maison. GILLES. Si vous voulez vous joindre avec moi pour faire pendre ce fripon, je vous éclaircirai ce mystère. LE MAÎTRE. Oh, de tout mon coeur, pourvu que l'on me rende ma bourse. GILLES. La voilà, il ne nous en coûtera rien pour l'exécution, je le brancherai moi-même, caracataqué. LE MAÎTRE. Ah, ah, voilà Gilles. SANS-QUARTIER. C'est le Diable. GILLES. Oui, Monsieur, voilà toute l'histoire. LE MAÎTRE. Je n'y comprends rien. GILLES, caracataca. Qu'en dites-vous ? LE MAÎTRE. Je m'y perds, je ne sais plus où j'en suis, il faut que Gilles soit devenu un franc Magicien. GILLES, caracataqué. Pas tout-à-fait, mais il ne s'en faut guère ; tenez, notre Maître, il ne s'en est rien fallu que notre femme fut déshonorée par ce pendard-là et sans un fameux Magicien qui est venu à mon secours, j'étais pendu, et vous volé à présent, je vais lui rapporter cette bague et ce miroir. LE MAÎTRE. Cela est merveilleux, mais je vous demande grâce pour ce misérable, qu'il reçoive seulement cent coups de bâton de la main de Gilles et de sa femme, et qu'il soit chassé de ma maison. SANS-QUARTIER. Je n'appelle pas de la sentence ; j'en suis quitte à bon marché. Gilles et Gillette le rossent, et finissent ainsi. ==================================================