******************************************************** DC.Title = AGON, SULTAN de BANTAM, TRAGÉDIE DC.Author = VAN HAREN, Onno Zvier DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:43:34. DC.Coverage = Indonésie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/HAREN_AGON.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** AGON, SULTAN de BANTAM TRAGÉDIE en cinq actes et en vers, Traduite du Hollandais M. DCC. LXX. De Monsieur O. Z. van HAREN, Noble Frison À LA HAYE, Aux dépens du Traducteur, et se vend Chez CONSTAPEL, Libraire. PRÉFACE DE L'AUTEUR Le Royaume de Batam, situe sur la côte occidentale de l'île de Java, a été longtemps gouverné, de même que toute la partie orientale des Indes, par des Rois du sang Malais et de la Religion Mahométane. Le père d'Agon, Sultan de Bantam, ayant par une révolution perdu ses États : Agon, âgé de vingt ans, les reconquit en 1634. Il régna environ cinquante ans avec beaucoup de gloire et de sagesse ; et se rendit surtout redoutable aux Hollandais, qui, comme on le sait, ont le siège capital de leur Compagnie des Indes-Orientales à Batavia, près de Bantam. Agon, âgé de Soixante-dix ans, veut abdiquer sa Couronne en faveur de ses deux fils. Il destine Bantam à son fils aîné, Abdul ; et Tartasse, fruit de ses conquêtes, à Hassan, son fils cadet. Paduca Siri, Roi de Macassar et de Boni dans l'île de Célèbes, a été chassé depuis seize ans de ses Etats par Speetman, Général des Hollandais. La Reine, son épouse, lui fut enlevée par un boulet de canon, á la prise de la Forteresse de Samboupo ; et lui se réfugia avec sa fille Fatime, encore au berceau, à Bantam, chez Agon : à la Cour du quel il mourut. Agon est d'intention d'unir Fatime à son fils Hassan, en lui cédant Tartasse. La pièce commence à la pointe du jour marqué pour l'abdication. PRÉFACE DU TRADUCTEUR. Ce n'est qu'en tremblant que je donne aujourd'hui Cette Traduction. Je sens trop combien elle s'éloigne des beautés de l'Original, ne pas craindre que son sçavant Auteur ne me reproche, avec injustice, d'avoir défiguré son Ouvrage. Tout ce que je puis alléguer en ma faveur : c'est, qu'étant Hollandais, il m'a été impossible de saisir assez les finesses de la Langue Française, pour rendre avec toute l'énergie nécessaire les pensées concises et nerveuses de l'Original. Aussi n'ai-je entrepris cette Traduction que dans la vue d'engager- quelque plume, plus capable que la mienne, à travailler sur un sujet qui mérite, d'être connu des étrangers. C'est du Théâtre Hollandais que je veux parler ; qui,à mon avis, en vaudrait du moins autant la peine que quelques-uns de ceux qu'on a déjà traduits en Français. J'ai choisi la Tragédie d'AGON, de Monsieur Onno Zwier van Haren, parce qu'elle ne s'écarte en aucune façon des unités requises, et qu'elle est dépourvue de ces disparates et trop grandes métaphores que nos pièces ont la plupart de commun avec celles du Théâtre Anglais, ce qui m'a épargné tout changement à faire. En cas donc que cette Traduction ne fait pas goûtée, qu'on n'en impute la faute qu'à ma faiblesse, et non à l'Original. Peut- être me dira-t-on, qu'il vallait autant n'avoir rien fait, que d'avoir mal fait. On aura raison, mais : ACTEURS. AGON, Sultan de Bantam. ABDUL, Fils aine. HASSAN, Fils cadet D'Agon. FATIME, Princesse de Macassar et de Boni. SINAN, Capitaine des Gardes d'Agon. NADINE, Confidente de Fatime. JEAN LUCAS de STEENWYCK, Renégat Hollandais, Confident d'Abdul. SAINT-MARTIN, Général des Hollandais et Chef suprême du Conseil des Indes. IBRAHIM, Imam ou Grand-Prêtre de la Mosquée Royale de Bantam. SADI, Officier de Java. GRANDS, de Java. La Scène se passe dans le Palais des Rois de Bantam dans l'île de Java, à douze lieues à l'Ouest de Batavia. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. AGON. Je vais jouir enfin des douceurs de la paix ! Mes jours dans le repos vont couler désormais ! Les soins, les embarras, les noirs soucis du Trône, Et ces vaines grandeurs que la crainte empoisonne Vont céder à l'espoir dont se flatte mon coeur. Fortune, dont longtemps j'éprouvai la rigueur, Mon âme ne craint plus tes frivoles Caprices, Et je puis en ce jour braver tés injustices. Maître de l'Univers, qui naquit à ta voix, Toi, qui par Mahomet nous as dicté tes lois, Ô toi ! de qui je tiens et l'Empire et la vie, Reçois les humbles voeux de mon âme attendrie ! (Grand Dieu ! qui dans mon coeur dans tous les temps as lu Le mépris des faux biens, l'amour pour la vertu : Écoute, ô Dieu puissant ! écoute la prière Qu'Agon t'ose adresser au bout de sa carrière ; Confonds l'orgueil jaloux de ses fiers ennemis, Et fais régner la paix dans le coeur de ses Fils ! SCÈNE II. Agon, Sinan. SINAN. Seigneur, à tous les Grands de la Cour étonnée J'ai fait savoir la loi du Conseil émanée. Tons, selon vos désirs, viendront en ce Palais Pour, souscrire en silence à vos tristes projets. Quoique depuis longtemps Bantan ait dû s'attendre Au sort que par ma bouche il vient enfin d'apprendre, Il n'en ressent pas moins de trop justes douleurs ; Et ce moment fatal pénètre tous les coeurs. AGON. Quelque grande, Sinan, que soit cette amertume, Elle s'adoucira ; du moins je le présume. Un vieux Roi disparait et s'oublie aisément, Quand un jeune Héros, tel qu'un astre brillant, Sait fixer tous les yeux par son noble courage. SINAN. Votre Peuple du moins attend pour dernier gage De ces rares bontés que vous êtes pour lui , Que vous lui donnerez un digne et ferme appui, Qui, comme vous, Seigneur, père de la patrie, Soit le fléau du vice et de la tyrannie. Voilà ce qu'il attend de ces soins vigilants Qu'il vous vit prodiguer aux Princes vos enfants. Mais quelle, à cet égard, que soit son espérance, Il aimerait mieux vivre encor sous la puissance D'un Roi dont les vertus et les rares talents Ne sont point affaiblis par le nombre des ans ; En qui, malgré le poids de la sage vieillesse, On voit briller encor l'ardeur de la jeunesse. AGON. Hélas ! S'il connaissait le Trône et ses chagrins, Ce Peuple applaudirait bientôt à mes desseins Tranquille en sa maison, où mon bras le protège, Il croit que je jouis du même privilège ; Tandis qu'en mon Palais, entouré de soucis, Au bonheur de ses jours je consacre mes nuits. SINAN. Seigneur, s'il connaissait l'ennui qui vous dévore, Son amitié pour vous serait plus grande encore. AGON. Je suis trop convaincu de ton intégrité Pour ne point te parler en toute liberté. Apprends donc le sujet de ma douleur mortelle, Et vois de mes deux fils la discorde cruelle. Tu sais, Ami, tu sais, qu'à mes travaux constants Cet Empire orageux doit ses succès brillants ; Et tu n'ignores point que ma main y fit naître La liberté, l'honneur, et la gloire peut être : Mais, malgré ma prudence et mes attentions, Mes fils vont tout changer par leurs divisions. Je vois depuis longtemps la fière Batavie Fixer ses yeux jaloux sur ma chère patrie : Je la vois en secret forger pour nous ces fers Dont son orgueil voudrait enchaîner l'Univers. L'ambitieux Batave attend l'heure fatale Qui doit faire éclater la discorde infernale Qui règne entre mes fils ; il attend que leur voix Demande son secours pour leur donner des lois. Et quoique l'Orient déjà lui rende hommage, Java flatte surtout son superbe courage. Ce froid Européen, par notre or arrêté, Conserve ici son flegme et sa duplicité : Bien moins ardent que nous, son coeur ferme et tranquille Ne fuit point les transports d'une ardeur indocile ; Mais sans-cesse épiant nos tristes passions , Il fonde sa grandeur sur nos divisions. Telle est sa politique. Ainsi de ma patrie Je veux fixer le sort en étouffant l'envie Que je vois à regret diviser mes enfants. Je prévois nos malheurs, et crains que nos tyrans Ne troublent quelque jour ma cendre à peine éteinte. Je veux donc aujourd'hui dissiper cette crainte Dont la seule pensée alarme mes esprits. Je crois, j'espère au moins, que lorsqu'entre mes fils J'aurai su partager mon Empire et ma gloire, On verra les Chrétiens respecter ma mémoire : Voilà tous mes projets. SINAN. Si vous craignez, Seigneur, Le pouvoir du Batave et son flegme imposteur : Pourquoi donc diviser les forces de l'Empire ? D'où vient que par vos fils vous vous laissez réduire ? Le Sceptre de Tartasse, entre vos mains échu Pour pris de vos combats et de votre vertu, Affermit votre Trône et fixe sa puissance. Honorez donc un fils de votre présence, Ou bien que tour à tour ils goûtent ce bonheur. AGON. Non : ton premier projet est contraire à mon Coeur, Et le second fatal à mes fils, à l'Empire. Toujours ambitieux, toujours prêts à se nuire, Jamais le fier Abdul, ni l'intrépide Hassan Ne pourront se résoudre à ne régner qu'un an. Je connais trop d'Abdul l'âme fière et hautaine, C'est pourquoi de Bantan la grandeur Souveraine, Les droits sacrés du Trône, et les soins généreux De rendre cet État et mes sujets heureux Lui sont par mon Conseil destinés en partage. Tartasse moins puissant, mais fruit de mon courage, Est pour mon second fils. Je sais que ce destin Suffit à son grand coeur si l'on y joint la main Et les attraits touchants de la belle Fatime. Son père , tu le sais, malheureuse victime De l'aveugle fortune et du Dieu des combats, Vint chercher un asile au sein de mes États. Mais tu n'es pas instruit qu'à son heure dernière, Lorsque ma main fermoit sa mourante paupière, Au Roi de Macassar je promis, chez Sinan, Que son aimable fille, unie au brave Hassan, Un jour serait placée au trône de Tartasse, Grâce à la main du Ciel ! La fortune surpasse Mes soins et mes désirs : puisque pour ces beaux noeuds Aujourd'hui l'amour même a prévenu mes voeux. Que de leur union le bonheur puisse naître !Sinan, entre mes fils il faut choisir un Maître : Qui, d'Abdul ou d'Hassan, doit jouir à son tour De ta fidélité ? Nomme moi sans détour Qui de mes deux enfants ton amitié préfère. SINAN. S'il est vrai qu'à vos yeux mon amitié soit chère ? Permettez donc, Seigneur, que par vous retenu Sinan puisse admirer encor votre vertu ; Que je vous suive enfin, que ma, vive tendresse Vous prodigue toujours... AGON. Non, Sinan. La vieillesse, Succombant sous le poids des ans et des travaux, Seule à droit de prétendre aux douceurs du repos. Cinquante ans de soucis, de dangers et d'alarmes Ont à peine fixé le destin de, mes armes. Guerrier, législateur, au Conseil, au Combat, Ma main dans tous les temps fut utile à l'État, Et des Européens balança la puissance. J'ai vécu, j'ai rempli mon fort avec confiance ; Et ce n'est qu'à ce prix, qu'au déclin de mes ans, J'abandonne ces soins aux Princes mes enfants. Pour toi, tu dois encor les beaux jours de ta vie Au bonheur de mes fils, au Peuple, à la Patrie. Remplis donc la carrière où le sort t'a jeté, Et mérite à ton tour de vivre en liberté. SCÈNE III. Agon, Fatime, Nadine. AGON. J'eusse été trop heureux, jeune et belle Fatime, Si le fort secondant l'amitié qui m'anime, Ma main eut pu fixer la fortune à mon char, Pour vaincre, et sous vos lois remettre Macassar. Mon coeur s'était flatté que l'Inde assujettie, Rougissant de se voir si longtemps asservie, Aurait brisé le joug du Batave orgueilleux ; Que de l'Asie enfin les Sultans généreux, Écoutant une ardeur qui jadis leur fut chère, Auraient vengé Fatime, auraient vengé son père ; Et que trempant leurs mains dans le sang d'Occident, Ils auraient su tarir les pleurs de l'Orient, Mais puisque, malgré moi, la fortune ennemie, A trompé de mon coeur la plus flatteuse envie, Recevez d'un ami tout ce qu'il peut pour vous : Le Trône de Tartasse et mon fils pour époux.Je me flatte, Madame, en vous nommant ma fille, De remplir vos désirs et ceux de ma famille ? FATIME. Seigneur, lorsque le sort, fatal à tous les miens, Fit tomber Macassar au pouvoir des Chrétiens ; Lorsque Samboupo vit le sang de mes ancêtres Rougir le fer cruel de nos injustes maîtres ; Et que ces Ravisseurs, dignes de l'Occident, Usurpèrent les droits du brave Musulman : Il restait à mon père et sa fille, et la gloire. Je le suivis ici. Vous seul à sa mémoire Daignâtes rendre hommage ; et vous seul, en effet. Libre dans l'Orient et né pour le bienfait, Pouviez au malheureux offrir an saint asile ; Tandis que de nos Rois, la valeur inutile Dût céder au pouvoir d'un Conseil de Marchands. Mon père, à votre Cour passant ses derniers ans Eut goûté le bonheur, si son âme attendrie N'eut regretté sans cesse une épouse chérie. Comblé de vos bienfaits, il mourut dans mes bras En plaignant mon destin, son Peuple et ses États. Pardonnez donc, Seigneur, pardonnez si ces larmes Pour mon coeur accablé semblent avoir des charmes. Je les dois aux malheurs d'un père vertueux, À la reconnaissance, à vos soins généreux Je vous dois tout, Seigneur ; et par un sort prospère, Votre amitié pour moi de jour en jour plus chère Veut me combler enfin de gloire et de bonheur,En me liant à vous par un noeud si flatteur. AGON. Je sais que vos vertus, égales à vos charmes, Pour enflammer les coeurs sont de puissantes armes ; Mon fils Hassan, Madame, en a senti les coups, Quel sera son bonheur s'il est aimé de vous ? FATIME. Oui, votre fils m'est cher ; et ce noble partage Me flatte d'autant plus que, plein de son courage, Mon coeur ose espérer que, vengeant mon affront, Son bras vainqueur un jour placera sur mon front D'un père infortuné la Couronne royale. Oui, sa guerrière main, à l'Europe fatale, Du Prophète sacré plantera l'Étendart, En dépit des Chrétiens, aux champs de Macassar, Et domptera l'orgueil de ces tyrans perfides ; Si l'essaim redoublé de leurs soldats avides Ne prévient le succès de son bras valeureux. Mais, si vous abdiquez un pouvoir dangereux. Qui pourra donc, Seigneur, soutenir sa jeunesse ? AGON. L'amour du bien public, la crainte et la sagesse Ont dicté mes projets ; mais surtout le bonheur De mes fils, de Fatime a su régler mon coeur. Trop heureux si ma main, en étouffant l'envie, Peut du Batave encor suspendre la furie ; Si mes deux fils enfin, de leurs destins contents, Rendent plus que jamais leurs États florissants :Avant que les Moussons, au Batave propices, Amènent vers java ses flottants édifices.L'intérêt de mes fils, et le vôtre, et le mien Est d'attendre l'instant où le lâche Chrétien En proie à la mollesse, à l'amour, à l'envie, Sent couler dans son sein les langueurs de l'Asie ; Que son coeur, enivré de funestes plaisirs, Éprouve l'ascendant de nos fougueux désirs. Alors, Madame, alors écoutant la vengeance, Nous pourrons dans son sang laver notre imprudence. Mais il faut avant tout jusqu'à ce temps heureux Lui cacher avec soin nos desseins courageux. FATIME. Après tant de malheurs, de soucis et de larmes, Quoi ! Différer encor le succès de nos armes ? Quoi ! Ce Peuple odieux, Tyran de ces climats, Doit posséder encor mon sceptre et mes États ? AGON. Ma tendresse pour vous partage votre injure, Et plus que vous, Madame, en secret je murmure ! Mais cinquante ans de règne et de travaux constants M'ont appris l'art de feindre et tout le prix du temps. Un Roi, s'il veut cueillir le fruit de sa vaillance. Doit de ses ennemis connaître la puissance ; Et ne point prodiguer le sang de ses soldats, En livrant par fierté d'inutiles combats.Ce pouvoir du Batave, à l'Inde si funeste, Que semble seconder la colère céleste, Eut dans mes jeunes ans aux mains des Portugais, Et Gama le premier, au nom d'un Dieu de paix, Du pur sang de nos Rois fit rougir ce rivage. Attiré par notre or des bords fleuris du Tage, L'avide Portugais vit ses lâches neveux Fuir le fer des vainqueurs ou ramper devant eux ; L'Inde, croyant venger l'honneur de ses ancêtres, Plia sous d'autres lois, se choisit d'autres maîtres ; Et Macassar surtout, par ses soins imprudents, Sut fixer le pouvoir de ses nouveaux Tyrans. Mais du Batave ici la grandeur passagère Devra céder un jour à la main étrangère Que l'espoir des trésors conduira sur ces lieux. Oui, je me promets tout et du temps et des Cieux ! Attendez donc, Madame ; et que notre prudence Suspende quelque temps le fer de la vengeance : Bientôt nous le verrons ces avides Chrétiens Se disputer entr'eux notre or et nos faux biens ; L'immense éloignement de nos deux hémisphères À leur cupidité met de faibles barrières. SCÈNE IV. Agon, Fatime, Nadine, Sinan. SINAN. Les deux Princes, Seigneur, par votre ordre appelés, Semblent de vos desseins également troublés. Tous deux veulent en vain cacher leur défiance ; On les voit l'un de l'autre éviter la présence. AGON, à Sinan. Il suffit.... À Fatime.Tous les deux je vais les accorder, Et remettre en leurs mains l'honneur de commander ; De l'indocile Abdul adoucir la rudesse, Et dans le coeur d'Hassan répandre l'allégresse En lui parlant de vous. SCÈNE V. Fatime, Nadine. FATIME. Nadine, quel bonheur, Quel agréable espoir vient de flatter mon coeur ! Quoi ! Je puis écouter une flamme si chère ? Hassan aura ma main ! Agon sera mon Père ! Agon, mon bienfaiteur, le seul, avec Hassan, Digne d'être honoré du nom de Musulman, Et le seul en ce jour que le Prophète anime ! Du Peuple et de l'État malheureuse victime, Reine aux yeux du public, vile esclave en effet, Sous de vaines grandeurs languissant en secret,Épouse sans désirs d'un époux insensible, Abandonnée au sort par un père inflexible, Méprisant un Sultan qu'elle n'a pu charmer, Qui la trahit sans-cesse et la punit d'aimer : Tel est le triste sort des Reines de l'Asie, Dont mon coeur ne craint plus l'influence ennemie. NADINE. Je rends grâces au Ciel ! Qu'après tant de malheurs Il daigne enfin tarir la source de vos pleurs, Que le bandeau royal doive orner votre tête, Et que de votre hymen la pompe ici s'apprête. Ah ! Puisse votre époux par ses exploits guerriers Dans les champs de Boni moissonner des lauriers Et joindre Macassar au trône de Tartasse ! Puisse-t-il, le destin secondant son audace, Du Batave à vos yeux confondre la fierté, Et remettre à jamais Célèbe en liberté ! Puisse- t-il, en vengeant l'Ombre de votre mère, Arracher de ses mains la foudre meurtrière Si fatale à la Reine ; et de ce feu pervers, Accablé de remords, le plonger aux enfers !Mais pardonnez, Madame, à mon âme indignée De parler de vengeance en un jour d'hyménée. FATIME. La vengeance, Nadine, est bien douce à mon coeur : Il aime avec transport, il hait avec fureur ; Et, par un sort heureux, mon union prochaine Sert en un même jour mon amour et ma haine. Si j'estime d'Hassan l'esprit et la valeur, Si, dès ma tendre enfance, il captiva mon coeur ; J'adore en lui surtout cette haine constante Qu'il porte à nos Tyrans. Déjà sa main vaillante A puni, tu le sais, ces fiers Tartassiens Qu'à la rébellion excitaient les Chrétiens, L'Inde de mon amant admire la victoire, Java de son bras seul attend toute sa gloire, Et du Batave altier la fière ambition Craint sa noble valeur et frémit à son nom. NADINE. Mais, puisque le Sultan, aujourd'hui, par prudence, Veut entre ses deux fils partager sa puissance :Est-il sur que d'Abdul l'orgueil capricieux Entre son frère et vous approuvera ces noeuds ? Tous deux ils ont passé près de vous leur jeunesse, Et, peut-être, tous deux ont la même tendresse. FATIME. Quoi ! De l'amour Abdul connaîtrait la douceur ?... Non, l'ambition seule occupe tout son coeur. NADINE. Vos droits sur Macassar vous en font Souveraine, Et du riche Boni vous devez être Reine ; Mais croyez vous qu'aux mains du Prince votre époux Les Bataves verront, sans en être jaloux, Passer, par votre hymen, cette double couronne ? Craignez que leur Conseil autrement n'en ordonne. FATIME. Si le Ciel aujourd'hui forme un lien si doux, Conseil, Batave, Abdul, mon coeur vous brave tous, ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Fatime, Hassan. FATIME. Oui, Seigneur, je craignais que Fatime aujourd'hui N'eut pu voir de Java le vengeur et l'appui ; Que du Héros de l'Inde admirant la victoire, Seule je n'aurais pu rendre hommage à sa gloire. HASSAN. Mes premiers pas, Madame, en venant à la cour, Auraient, sans doute été dirigés par l'amour ; Et, quoique tout couvert d'une noble poussière, Fatime aurait reçu mes respects la première, Si le devoir sacré de fils et de sujet N'eut de quelques moments retardé ce projet. À mon Père, à mon Roi, mon coeur fut rendre hommage En posant à ses pies les fruits de mon courage : De Tartasse vaincu j'ai remis dans ses mains Les otages, les clefs, et les chefs des mutins.De vous les offrir tous il m'a chargé, Madame. Il veut que dès ce jour le Divan vous proclame Sultane de Tartasse ; et que mon faible bras, Dirigé par vos soins, défende vos États, J'accepte avec transport tout ce qu'Agon désire, Si, par bonté, Fatime y daigne aussi souscrire, Et me croit digne enfin d'obéir à fa voix. Mon coeur, depuis longtemps asservi sous vos lois, Fera tout son bonheur de vous être fidèle. FATIME. Seigneur, vous le savez, la fortune cruelle Ravit à mes yeux leur sceptre et leur grandeur : Il me reste donc qu'à vous offrir mon coeur.Mais si de Macassar j'étais encor la Reine, Ou si l'Asie en moi voyait sa Souveraine : Malgré nos vains Sultans sur leur Trône engourdis, Ma main de votre amour serait le juste prix : Oui, vous seriez l'époux que choisirait Fatime.Mais Hassan connaît-il cette ardeur qui l'anime ? Sait-il que la vengeance, et la haine, et les pleurs Sont les tristes liens qui vont unir nos coeurs ? Mon Trône renversé, le Sceptre de mes pères Que brisa le chrétien de ses mains sanguinaires : Les murs de Macassar, les remparts de Boni En Proie à la fureur du Batave ennemi : Samboupo gémissant sous sa cendre fumante, Et l'Ombre d'une mère irritée et sanglante ; Un père détrôné, proscrit et fugitif, Confiant son destin au gré d'un faible esquif Et traînant avec lui fa fille malheureuse : De Fatime voilà quelle est la dot affreuse ; Seigneur, voilà le sort qu'il vous faut partager, Et tels sont les malheurs que vous devez venger ! HASSAN. Oui, je les vengerai. Je jure que ces armes Puniront nos Tyrans, feront cesser vos larmes. Ma Seule crainte était qu'un guerrier plus heureux Pour mériter Fatime eut prévenu mes voeux. Mais je vois à regret que l'impuissante Asie, Plus que jamais encor sous le joug asservie, A vu tarir enfin le sang de ses héros. Hélas ! Pour l'Orient quels outrages nouveaux ! Lorsque Bantan verra les superbes Bataves Nous forger dans ses murs de nouvelles entraves ; Qu'Abdul... FATIME. Quoi ! Dans ces murs ?... Vous troublez mes esprits ! Abdul, le fils d'Agon, au Batave soumis ! Quoi ! Votre frère... HASSAN. Hélas ! Malgré votre surprise, C'est un de ces soupçons que la crainte autorise. FATIME. Ô Ciel ! HASSAN. Depuis un temps rongé par les soucis, Agon a résolu de céder a ses fils Et de leur partager son trône et sa puissance. Abdul à ce décret s'est soumis en silence Et semble, ainsi que moi, content de son destin. Mais le souple Stenvic, par un secret chemin, S'est jusques à deux fois su rendre à Batavie : Stenvic qui, reniant ses Dieux et sa patrie, Qui, dédaignant les lois, l'honneur, la liberté, Est né pour la bassesse et l'infidélité : Stenvic qui, méprisant l'orgueil de ces ancêtres, Ne reconnaît qu'Abdul et l'intérêt pour maîtres : En faveur de mon frère a, depuis peu de jours, Du Batave en secret demandé le secours.Je sais que les Chrétiens, charmés de nos querelles. Arment déjà leur flotte et leurs mains criminelles ; Que, secondant d'Abdul la haine et la fureur, Ils tournent contre nous leur métal destructeur Et qu'au premier signal leur foudre meurtrière...... FATIME. Quoi ! De ce noir complot le Sultan votre père.... HASSAN. La preuve en est encor trop faible pour Agon. Héritier de son Sceptre, héritier de son nom, L'impérieux Abdul a, malgré sa rudesse, De son coeur paternel captivé la tendresse. Et soit que le Traité ne se fut pas conclu, Ou bien que le Batave, avec lui convenu, Ne doive s'annoncer que par le bruit des armes : Le partage à ses yeux parut avoir des charmes, Et les soins du Sultan semblaient flatter son coeur.Mais puisque l'or enfin, des Chrétiens le moteur, Me permet de percer leur noire politique, J'espère prévenir ce complot tyrannique. Un esclave affidé, comblé de mes bienfaits, En secret de Stenvic doit fonder les projets, Et m'instruire au plutôt pourquoi la Batavie S'arme au sein de la paix qui règne dans l'Asie : Trop heureux si je puis, dissipant leurs desseins, Mériter votre coeur et calmer vos chagrins. SCÈNE II. Fatime, Hassan, Nadine. NADINE. Seigneur, un Inconnu vient ici de se rendre, Dans la cour du Palais seul il veut vous attendre Et dit que vous devez en sçavoir les raisons... HASSAN, à Nadine. Je vais l'entretenir. À Fatime.Si j'en crois mes soupçons, Madame, ce sera cet esclave fidèle, Qui du traité secret m'apporte la nouvelle. Grâce à nos vains trésors, je vais, par cet avis, Faire voir an Sultan lequel de ses deux fils A mérité le mieux son coeur et sa tendresse. SCÈNE III. FATIME. Ô Ciel ! De mon Amant dirige la sagesse, Confonds du vain Abdul la superbe fierté, Et punis le Chrétien de sa rapacité. Que l'or, ce vil métal, qui fait couler nos larmes, Soit notre seul soutien, dissipe nos alarmes. Oui, que cet or si cher au Batave envieux Fasse échouer ici ses complots odieux. Mais non : que dis-je, hélas ! Quel indigne langage ! Quoi ! D'Hassan à ce point avilir le courage ? Que Fatime plutôt, le suivant aux combats, Subisse à ses côtés un glorieux trépas En voyant triompher son amant invincible ! Non, la mort à ce prix pour moi n'a rien d'horrible, Et plutôt... Mais qui vient ?... C'est Abdul, sort affreux ! SCÈNE IV. Fatime, Abdul. ABDUL. Déjà depuis longtemps j'attends l'instant heureux De vous rendre, Madame, un tribut légitime, Et de vous déclarer le beau feu qui m'anime. J'ose donc en ce jour, plein d'un espoir flatteur, Vous offrir et Bantan, et ma main, et mon coeur ; Et je m'estime heureux si ce faible partage De votre injuste sort peut adoucir l'outrage. Vous le savez, Madame, au sortir du berceau, L'amour de notre hymen alluma le flambeau, Et mon coeur, de tous temps, fut touché de vos charmes. FATIME. Quand mon père, Seigneur, dut par le sort des armes Abandonner Célèbe, il me remit ici Entre les mains d'Agon, qui seul fut mon appui , Et de qui seul encor dépend ma destinée. Mais sachez que ma main ne peut être donnée Qu'au mortel généreux qui m'osera venger ;Que ce n'est qu'à ce prix..... ABDUL. Non, je ne puis songer Que Fatime, écoutant une vaine espérance, Ose encor du Batave irriter la vengeance Et veuille s'attirer les foudres d'Occident. FATIME. Le sang de Macassar, si cher à l'Orient, Ne peut dégénérer de sa noble origine, Non, rien ne peut fléchir l'ardeur qui me domine ; Rien ne peut arrêter mon trop juste courroux ; Et je ne veux enfin pour ami, pour époux, Que celui qui voudra seconder ma vengeance ! ABDUL. Du Batave jamais je n'ai crains la puissance, Et Fatime, en ce jour, à ma guerrière ardeur Met un trop faible prix pour mériter son coeur. Que sa main daigne donc commander à mes armes Quelques faits glorieux plus dignes de ses charmes ? FATIME. Eh bien ! Si vous voulez, Seigneur, me mériter ? Au nom du Saint Prophète osez me protester, Que, soutenant les droits de vos braves ancêtres, Bantan n'aura jamais les Bataves pour maîtres : Qu'écoutant de mon coeur et la haine et l'ennui, Vous ferez des Chrétiens l'éternel ennemi : Qu'arrachant Macassar à leurs mains téméraires, Vous me replacerez au trône de mes pères : Que le feu consumant leurs superbes cités Éclairera par tout vos pas ensanglantés : Qu'enfin je vous verrai punir leur arrogance. Et dans leur sang impur assouvir ma vengeance : À ce prix de ma main vous pouvez ordonner, Et de ce pas, Seigneur, je vais vous la donner Sur les débris fumants de ma triste patrie. Oui, Fatime est à vous ; et son âme ravie Croit entendre déjà nos avides tyrans, S'efforcer de fléchir, parleurs cris impuissants, Du brave et fier Abdul la trop juste colère ! ABDUL. Si la paix de l'Asie à Fatime était chère, On la verrait choisir quelques moyens plus doux. Et ne point suivre ainsi les transports du courroux. Ce ne serait qu'en vain, qu'armant ses mains fidèles, Bantan voudrait venger vos injustes querelles : Mais n'en espérez rien ; puisqu'à vos ennemis Déjà tout l'Orient est aujourd'hui soumis ; Que l'Inde, accoutumée à porter ses entraves, Ne sait plus qu'obéir aux généreux Bataves. Peut-être, se flattant d'obtenir votre coeur, Hassan épousera votre injuste fureur : Il le peut ; mais craignez sa fougue téméraire. FATIME. Quelque soit le mortel que mon coeur vous préfère, Aux projets du Batave il saura mettre un frein ; Et si j'ai pu descendre à vous offrir ma main, C'est que j'ai su prévoir toute votre bassesse. SCÈNE V. ABDUL. Je saurai vous punir, trop superbe Princesse, D'écouter à ce point la vengeance et l'orgueil. Dans peu vous vous plaindrez de cet indigne accueil, Si le brave Stenvic a conclu l'alliance, Et si la Batavie écoutant ma vengeance, Peut prévenir d'Agon le décret inouï. Quoi donc, un père injuste après m'avoir ravi, En dépit de nos lois, en faveur de mon frère, La moitié de son sceptre à mon coeur la plus chère ; Après avoir remis Tartasse aux mains d'Hassan, Il joint encor Fatime à ce don éclatant ? Croit-il que Bantan seul suffise à mon courage, Tandis qu'Hassan obtient tous mes droits en partage ; Et que ce fier rival, enflé de sa grandeur, Bientôt superbe et vain deviendra mon vainqueur ; Et joignant Macassar au Trône de Tartasse, Voudra me voir plier au gré de son audace.Non, plutôt mille fois ramper sous les Chrétiens, Que de craindre l'orgueil et la haine des miens. Mais quoi ! J'ignore encor si, par un sort prospère, Le Batave voudra seconder ma colère ? Du délai de Stenvic quelle est donc la raison ? Dois- je le soupçonner de quelque trahison ? Hélas ! Je crains d'avoir commis une imprudence En mettant en ses mains le soin de ma vengeance. Pour l'Europe, peut-être, il sera reparti ?... Mais non, je l'aperçois... SCÈNE VI. Abdul, Stenvic. ABDUL. Quoi ! Trop cruel ami, Laisser ainsi languir mon ame impatiente ! STENVIC. Si j'ai tardé, Seigneur, au gré de votre attente, Ne me soupçonnez pas d'oubli ni de lenteur. Non, malgré tous mes soins, mon zèle et mon ardeur, À vos désirs plutôt je n'ai pu satisfaire, Ni du Conseil Chrétien fléchir l'humeur austère ; Et peut-être qu'encor, sans vos nouveaux bienfaits, Le Batave au traité n'eut consenti jamais. ABDUL. Eh bien ? STENVIC. Tout est conclu. D'Hassan ni de Fatime Ne craignez plus, Seigneur, que la main vous opprime. Le Batave d'Hassan hait l'orgueil dangereux, Autant qu'il est sensible à vos soins généreux. Il craint en lui surtout cette guerrière audace Depuis peu si fatale aux mutins de Tartasse. ABDUL. Mais sais tu bien, Ami, quel destin plein d'horreur Vient d'augmenter encor ma jalouse fureur ? Sais tu ? Que dans ce jour l'injuste Agon transfère Le trône de Tartasse et Fatime à mon frère. Non, que mon coeur regrette ou Fatime, ou sa main ; Mais tu connais les droits liés à son destin. Tu sais que le Batave, approuvant l'alliance, De nouvelles grandeurs flattait mon espérance. STENVIC. Oui, Seigneur, on m'a dit, en entrant à la Cour, Qu'Agon pour abdiquer avait fixé ce jour. Mais la flotte chrétienne a déjà dès l'aurore Croisé sur cette rive ; et pourra même encore, Si le vent du midi seconde son effort, Avant la fin du jour arriver dans le port. Le Batave, irrité du projet téméraire,Doit troubler les desseins de votre injuste père ;Et du Conseil de l'Inde, aujourd'hui, le Consul Doit offrir à Fatime avec la main d'AbdulDu fertile Boni le Sceptre et la Couronne.Saint-Martin même ici doit venir en personneComme son Général et son Ambassadeur,Pour soutenir vos droits et venger votre honneur. Seigneur, voilà pour vous tout ce que j'ai pu faire. Mais la flotte pouvant, par un destin contraire, N'arriver que demain ; il vous faut retarder , L'heure où de votre sort Agon doit décider. ABDUL. Tu peux compter, Stenvic, sur ma reconnaissance, Mais j'ai plus que jamais besoin de ta prudence : Tous les Grands de Bantan déjà sont à la Cour, Et dans peu le partage est conclu sans retour. Hassan va posséder et Tartasse et Fatime, Sans que je sois vengé d'un Rival qui m'opprime. Que dois-je faire, Ami ? STENVIC. Dissimuler, Seigneur ; Au Sultan avec soin cacher votre coeur Le secret important ; de la flotte Chrétienne Attendre encor un jour la vengeance certaine. ABDUL. Mais lorsque le Batave aura quitté Bantan, J'aurai plus que jamais à redouter Hassan. STENVIC. Ne craignez plus, Seigneur, sa haine ou sa colère. On doit laisser ici le sceptre à votre père : Mais, pour que votre coeur n'ait rien à redouter, Le Batave saura toujours vous assister. Du vain nom de Sultan Agon, peut se repaître, Mais vous seul en effet ferez ici le maître. ABDUL. Agon souffrira- t-il ces projets violents ? STENVIC. La ruse et le pouvoir sont deux moyens puissants. ABDUL. Mais enfin si du Roi la fierté peu commune... STENVIC. Qu'il n'impute qu'à lui pour lors son infortune... Mais si ce faible objet peut vous troubler, Seigneur, pourquoi donc d'un rival tant craindre la valeur ? Si la haine d'Agon, l'orgueil de votre frère, Si de Fatime enfin le fougueux caractère . Étaient dignes de vous, pourquoi donc aujourd'hui Demander par ma voix le Chrétien pour appui ?Qui veut régner, Seigneur, ne craint point le parjure, Et doit fermer son âme aux cris de la nature ?Saint-Martin à Bantan va se faire un rempart Où du Batave il doit arborer l'étendard, Et sa flotte contient les guerriers nécessaires, Pour réprimer d'Agon les efforts téméraires. Vous connaissez, Seigneur, l'ambition d'Hassan ; Vous savez qu'il méprise et les lois du Coran, Et ces scrupules vains dont la voix importune D'un vil Peuple retient l'âme faible et commune. Craignez donc s'il arrive un jour qu'il soit instruit De ces hardis projets, qu'il me cueille le fruit De vos divisions ; et qu'enfin sa puissance Ne vous fasse payer votre lâche indolence.Pour moi je m'abandonne à sa juste fureur, Et j'attends sans frémir le prix de cette ardeur Que l'on me vit toujours pour mon illustre maître. Je me soumets au sort, le plus cruel peut-être ? Mais je ne saurai point, par un triste revers, Vous voir aux pieds d'Hassan, ou mourir dans ses fers. ABDUL. Qu'ose tu dire, Ami ? Moi, dépendre d'un frère ! Moi, ramper à ses pieds, et craindre sa colère ! Non : que l'Enfer plutôt engloutisse à l'instant L'injuste Agon, mon frère, et moi-même, et Bantan ! Si l'on croit me priver des droits de ma naissance, Je saurai me servir du fer de la vengeance. Oui, Stenvic, tes discours ont dessillé mes yeux ; Je vais mettre à profit tes soins officieux. Viens, vengeons mon opprobre ; et que ta main vaillante M'aide à punir d'Hassan l'audace pétulante ; L'ambition, la haine, et la nécessité, Tout demande le sang d'un rival détesté ! ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Agon assis sur un trône élevé de trois ou quatre marches. Ibrahim debout du côté gauche du Trône, tenant le Coran de ses deux mains contre la poitrine. Sinan pareillement debout du côté droit du Trône. Abdul assis dans un fauteuil un peu devant Sinan. Hassan dans la même attitude du côté opposé. Les Grands de Java assis sur des gradins des deux côtés-de la scène. On voit au milieu de la Salle trois tables de front : sur chacune de celles qui font les coins, il y a sur des coussins un sceptre et une couronne ; et sur celle du milieu seulement un coussin. Les Gardes font rangés derrière les Gradins et au fond de la salle. Agon assis sur un trône élevé de trois ou quatre marches. Ibrahim debout du côté gauche du Trône, tenant le Coran de ses deux mains contre la poitrine. Sinan pareillement debout du côté droit du Trône. Abdul assis dans un fauteuil un peu devant Sinan. Hassan dans la même attitude du côté opposé. Les Grands de Java assis sur des gradins des deux côtés-de la scène. On voit au milieu de la Salle trois tables de front : sur chacune de celles qui font les coins, il y a sur des coussins un sceptre et une couronne ; et sur celle du milieu seulement un coussin. Les Gardes font rangés derrière les Gradins et au fond de la salle. AGON. J'ai depuis cinquante ans gouverné cet Empire, Et depuis cinquante ans, si j'ose ici le dire, On m'a vu soutenir sa grandeur, son éclat, Et faire aux ennemis respecter cet État.Il est temps d'abdiquer la puissance suprême ; Il est temps qu'aujourd'hui ce brillant diadème Orne le jeune front d'un Guerrier généreux, Qui, par les mêmes soins, rende mon peuple heureux. Je sens qu'à chaque instant l'Éternel me réclame, Et l'Ange de la mort, prêt à trancher ma trame, Sans-cesse m'avertit de nommer un Sultan Qui soit digne de moi, de vous, et de Bantan. Mais, avant de quitter ce trône et ma puissance, Avant que de jouir du fruit de ma prudence ; Je me dois à moi-même, à mon peuple, à mes fils, Le compte de mes jours que je leur ai promis. Je veux y satisfaire, et j'ai l'orgueil de croire Qu'il ne servira point à ternir ma mémoire.Amis, vous le savez : vos illustres Aïeux m'ont vu tromper l'espoir d'un tyran odieux : Ils m'ont vu relever le trône de mes pères, Arracher leurs États à des mains étrangères Et fixer dans ces lieux l'auguste liberté. Ces peuples, languissants dans la captivité, Ont joui sous mes lois d'une grandeur nouvelle ; Et leur lustre aujourd'hui, par mes soins, par mon zèle, S'étend depuis l'Empire où règne l'Ottoman [Note : Ternate : Ile de 65Km² de l'archipel indonésien. Colonisé par les Hollandais en 1522. Première région des Moluques à être islamisée.Spécialité : clou de girofle et noix de muscade.]Jusqu'aux lieux où Ternate est instruit du Coran : Tartasse, pour Bantan jadis si redoutable, [Note : Batan : Petite île de l'archipel des Philipinnes.]Devant Bantan a dû plier son front coupable : Ce Sultan qui se crut le maître de Java, Recherche une amitié que jadis il brava : Et ces Brigands du Nord, ces superbes Bataves, Qui, libres, ont voulu nous donner des entraves, Malgré leur flotte altière et leurs fiers bataillons, Devant eux n'ont point vu baisser mes pavillons. Seul j'ai su de tous temps braver leur arrogance, Et leur orgueil ici craint encor ma puissance. Bien plus : en dépit d'eux, j'ai reçu dans mes bras L'infortuné Siri chassé de ses États : Lorsque du fier Speelman la main victorieuse [Note : Célèbes : Grande île à l'est de Bornéo et à l'ouest des Moluques. La principale ville est Makassar.]À l'Europe soumit Célèbe malheureuse ;Et malgré les transports de leur coeur irrité, Ils ont dû respecter mon hospitalité.Ce bonheur, cette gloire, et cette indépendance, Je les dois, mes amis, à vous, à ma prudence ; Mais ils sont avant tout les fruits de l'union Qu'on a vu de tous temps régner dans ma maison. Et si cette concorde, à l'État nécessaire, Peut subsister toujours entre Abdul et son frère, Je me flatte qu'ici bientôt mes yeux mourants Verront avec honneur commander mes enfants.Le Ciel qui m'a donné ces deux fils en partage, M'a comblé par bonheur de ce double héritage. Bantan, par droit d'aînesse, Abdul, revient à toi. Hassan, tu dois donner à Tartasse la loi. Je n'y retiens pour moi qu'un hameau solitaire, Où j'espère que rien ne pourra me distraire, Où rien ne frappera mes sens appesantis Que l'éloge flatteur des Vertus de mes fils.Respectable Ibrahim, au nom du Saint-Prophète, Implorez du Très-Haut l'assistance secrète ; Exposez à nos yeux ce livre de la loi, Ici, l'Iman pose de lCoran sur la table du milieu, et l'ouvre.L'espoir du vrai croyant, des parjures l'effroiVous, mes fils, approchez : Les deux princes se lèvent et vont l'un et l'autre vers la table qui se trouve de leur côté.Par cette loi suprême Jurez moi que toujours ce peuple qui vous aime Retrouvera dans vous un père, un bienfaiteur ; Que Dieu, que cette loi, gravés dans votre coeur, Y maintiendront la paix , la vertu, la justice ; Qu'on ne vous verra point, au gré d'un vain caprice, Sacrifier l'État à votre ambition. Me le promettez vous ? ABDUL. Je le jure. HASSAN. Moi, non.Je désire, Seigneur, que vous gardiez l'Empire ;Mais si vous refusez à mes voeux de souscrire,Je demande qu'Abdul, la main sur le Coran,À mon exemple avoue à l'auguste Divan ; « Qu'il ne mérite point le Sceptre de son Père,Si jamais par ses soins un indigne TraitéEst funeste à l'Empire, est funeste à son frère ;Si le Batave un jour, par son ordre excité, Ose exercer ici sa tyrannie altière, Et ravir à Bantan ses droits, sa liberté. »Que dites vous, Abdul ? Osez vous le promettre. ABDUL. Qui, moi !... Je veux... en tout... au Sultan me soumettre. AGON. Tu te troubles, Abdul, et tu parais saisi ! Hassan, de quel traité veux tu parler ici ?... Abdul, explique toi ! Crains qu'un plus long silence À la fin n'autorise un soupçon qui t'offense. ABDUL. Oui, je dois l'avouer, cette indigne noirceur M'a troublé, malgré moi, pour un instant, Seigneur. Quoique souvent déjà, par bonté, par faiblesse, J'aie excusé d'Hassan la perfide bassesse : Je ne m'attendais pas que sa haine eut jamais Pu porter sa fureur à de pareils forfaits ! Mais j'espère qu'on jour le Ciel fera connaître Lequel est de nous deux l'imposteur et le traître. AGON. Parle à ton tour, Hassan mais si la vérité Ne règne en ton discours, crains..... HASSAN. Voici le Traité. Il vous instruira mieux de cet affreux mystère,Et qui de vos deux fils cherche à trahir son père. La flotte du Chrétien déjà vogue ici près, Et dans peu doit couler le dernier sang Malais ! ABDUL, à part. Ô Ciel ! Quel coup affreux ! AGON. Ô crime ! ô perfidie ! Il n'est donc plus pour moi de bonheur dans la vie ! Fils ingrat et barbare ! ABDUL. Eh bien ! Ai-je donc tort De vouloir éviter l'esclavage ou la mort ? Quoi ! Mon frère obtiendrait et Tartasse et Fatime, Et d'un injuste choix je serais la victime, Sans que ma main osât venger un tel mépris ! Non, je veux... SINAN, le prévenant, lui tient son poignard sur le coeur. Les Grands se lèvent tous, tirent leurs poignards, et fixent Agon. Sinan, la main à ses armes, reste immobile. Arrêtez ! AGON, avec transport. Sinan, il est mon fils ! À Abdul.Rends toi, cruel. Aux Gardes.Allez en prison le conduire, Aux Grands.Ce crime affreux changeant le destin de l'Empire,Amis, rassemblez vous pour défendre l'État,Et que tout s'arme ici pour me suivre au combat. SCÈNE II. Agon, Hassan. HASSAN. Quoiqu'on ne parle point dans cet écrit funeste De son indigne auteur : la preuve est manifeste Que le traître Stenvic est le seul dans ces lieux Qui puisse révéler ce complot odieux. AGON. Quel rayon d'espérance, ô Ciel ! Vient de me luire. Quoi ! Stenvic seul, dis-tu, de tout pourra m'instruire ? Oui, je le prévoyais, ce souple renégat Aura poussé mon fils à ce lâche attentat. Il aura su tromper sa jeunesse imprudente Par l'espoir des grandeurs et d'une vaine attente. Je connais trop Abdul : non, son coeur généreux Jamais n'eut commis seul ce fratricide affreux. Hassan, que ta valeur seconde ma colère ; Sois le soutien du Trône et l'appui de ton père. Une seconde fois cours, arme toi, mon fils ; Va punir le Batave et sauver ton pays, En suivant de ton coeur l'ardeur accoutumée. HASSAN. Je vous obéirai, Seigneur. Toute l'armée Depuis longtemps aspire après l'heureux moment De combattre de près ce Chrétien insolent Que nous avons vu fuir devant nous à Tartasse. Mais le Batave, instruit du sort qui le menace, N'osera plus, Seigneur, enfreindre le Traité. AGON. Tu te trompes, mon fils ; sa basse avidité Voudra cueillir le fruit que promet cette guerre. De sa fourbe nouvelle il attend le salaire, Et se flatte déjà de nous ravir nos biens. Du Trône de Bantan les illustres soutiens Sauront bien réprimer sa superbe insolence. Mais si vous soupçonnez qu'aujourd'hui leur vaillance Ne puisse pas suffire à défendre vos droits : Employons le secours des Anglais, des Danois. Ces Peuples, on le sait, tous Chrétiens et barbares. Sont tous ambitieux, tous jaloux, tous avares. Flattons pour un moment leur avide fureur Du butin de la flotte et des droits du vainqueur ; Et nous pourrons après, si vous voulez m'en croire. Leur disputer, Seigneur, le prix de la victoire.Leur alliance n'est d'aucun prix à mes yeux , Et je méprise trop leurs bienfaits odieux : Oui, je redoute, Hassan, leur politique affreuse. Leur amitié toujours est perfide et trompeuse, Un intérêt sordide en est le vrai lien ; Et l'or est en effet le seul Dieu du Chrétien. Dédaignons leur secours ; et que notre courage Triomphe seul ici : voilà notre partage. Il est digne de nous ; et nos braves guerriers Vont s'illustrer encor par de nouveaux lauriers. Va donc, prépare nous le champ de la victoire. Et dans peu je te suis pour partager ta gloire. SCÈNE III. AGON. Je te rend grâce, ô Ciel ! De me laisser un fils Qui puisse me venger de mes fiers ennemis, Et qui soit digne encor de toute ma tendresse ! Mais ne puis-je d'Abdul excuser la faiblesse ? Il est jeune, il est vif, et son coeur innocent Se sera laissé pendre au discours séduisant De l'indigne Stenvic, ce Renégat infâme, Qui par l'ambition a corrompu son âme, Et des moeurs de l'Europe y versant les poisons A su contre son frère aigrir ses passions. Oui, mon fils, c'est Stenvic, c'est lui seul qui te guide, C'est lui qui t'inspira ce cruel fratricide. Je saurai te venger de ce perfide ami... Garde, avertis Sinan que je l'attends ici... Barbare Européen, ton supplice s'apprête ! Ma vengeance bientôt va tomber sur ta tête, Et je vais t'immoler au bonheur de Bantan, Au repos de mes jours..... SCÈNE IV. Agon, Sinan. AGON. Cours, généreux Sinan, Va saisir ce Chrétien dont la fourbe maudite S'est voilée à nos yeux sous un masque hypocrite. Cours arrêter Stenvic à la mort condamne. Et qu'Abdul à l'instant ici soit amené, SCÈNE V. AGON. Quels moments douloureux pour ma triste vieillesse Quel mélange effrayant d'horreur et de tendresse !Ô Dieu ! Soutenez moi ! Qu'à vos décrets soumis, Mon coeur puisse être juste en condamnant mon fils ; Ou rendez le plutôt à sa vertu première. SCÈNE VI. AGON, ABDUL, Gardes au fond du Théâtre. AGON. Malgré ton crime affreux tu vois encor un père. Je dois être ton juge, et je suis ton ami. Réponds moi, fils ingrat ! Tu m'avais donc trahi ? Seul libre en Orient, tu veux te rendre esclave, Et livrer ta patrie et ton père au Batave ! Parle, quel est ton but, et quel fut ton dessein, En t'osant allier à ce peuple inhumain ? Réponds moi, si tu peux, ou crains que ma colère... ABDUL. Soit que je trouve en vous ou mon juge, ou mon père, Je ne crains point ici de vous parler, Seigneur. Je connais trop d'Agon la tendresse et le coeur, Pour redouter jamais, innocent ou coupable, Que sa main paternelle injustement m'accable Sans vouloir écouter un fils qui le chérit ! À moins que dans son coeur Hassan ne m'ait détruit, Et n'ait su lui cacher la douleur que m'inspire.... AGON. Vains discours... On t'accuse et de trahir l'Empire, Et d'avoir appelé le Batave en ces lieux. Si tu peux, lave toi de ce crime odieux ; Mon coeur sera charmé de voir ton innocence. Parle. ABDUL. Malgré mes soins et mon obéissance, De mon père jamais je ne gagnai le coeur ; Mon frère m'a toujours ravi cette faveur. AGON. Ingrat ! Depuis l'instant que tu vis la lumière ; Depuis le même jour que ton roi, que ton père Te reçut dans ses bras comme un présent du Ciel : On l'a vu te presser sur son sein paternel ! On l'a vu prodiguer ses soins et sa tendresse À toi, qui déshonore aujourd'hui sa vieillesse ! Le Dieu de Mahomet m'est témoin en ce jour Si je mérite, Abdul, ta haine ou ton amour. Lui seul sait à quel point le bonheur de ta vie Fut sans-cesse l'objet de ma plus chère envie. J'ai tout fait, j'ai tout dit, (il est vrai je l'ai dû) Pour t'inspirer l'honneur, la gloire, et la vertu. J'ai fait plus : me flattant que ta sombre rudesse Dont s'offensa ma Cour dès ta tendre jeunesse, Se serait laissé vaincre aux conseils de l'Iman : J'ai, malgré la sagesse et la candeur d'Hassan, Voulu te préférer ; et mon âme enivrée N'a pu croire qu'enfin ta main dénaturée Plongerait aujourd'hui le poignard dans mon sein. L'Iman, toute la cour, ton frère même, en vain, M'ont voulu dévoiler ton audace cruelle ; Et tu viens accuser ma bonté paternelle Lorsque tu me trahis, et que mon coeur, hélas ! Ose douter encor de tes vils attentats ! Est-ce là, fils cruel ! Le prix de ma confiance À prévenir tes goûts, à former ton enfance ? Serait-ce là le fruit de mes soins imprudents À te faire acquérir tous ces divers talents, Tous ces arts dangereux, ces efforts du génie, Dont l'âme, en s'éclairant, est souvent pervertie. Stenvic, à qui j'avais confié cet honneur, Des crimes de l'Europe aura nourri ton coeur ; Tu te seras instruit, par son conseil perfide, À vaincre le remords qui suit le parricide !Je me flattais, Seigneur, que mes justes raisons Auraient pu dissiper ces indignes soupçons : Mais mon coeur, pénétré des bontés de mon père, À ce triste devoir ne saurait satisfaire. Je remets donc ici mon sort entre vos mains ; Trop malheureux déjà de causer vos chagrins. Mais j'ose en attester notre divin Prophète, Que c'est votre coeur seul que mon âme regrette. La plus cruelle mort ne saurait m'attrister, Si je pouvais du moins en mourant me flatter D'emporter vos regrets ; si mes vives alarmes À vos yeux attendris arrachaient quelques larmes ! SCÈNE VII. Agon, Abdul, Sinan. SINAN. Une flotte Batave arrivée ici près, Vient de caler la voile et ranger ses agrès. Soit qu'elle en veuille à nous, soit à quelqu'autre rive Il est certain, Seigneur, que cette flotte active, Par ses drapeaux volants, le bruit de ses tambours, Semble annoncer l'orage et menacer nos jours. Une barque déjà vient de conduire à terre Deux de ses chefs suivis d'une troupe guerrière, Et l'esquif en partant à, malgré mon effort, Su m'enlever Stenvic, qu'il conduit à son bord. AGON. Stenvic ? ABDUL, à part. Je suis sauvé ! SINAN. Caché près du rivage, Le traître de ce trouble a saisi l'avantage, Et s'est enfin soustrait à votre bras vengeur.Un de ces Officiers vous demande, Seigneur, Un entretien secret sur un objet qui presse ; Et veut, dit-il, aussi parler à la Princesse. AGON. Dis lui qu'à cet honneur aujourd'hui Je l'admets ; Conduis le chez Fatime, où je te suis de près. SCENE VIII. Agon, Abdul. AGON. Fils cruel ! vois le coup que ta main me prépare. Grand Dieu ! ABDUL. Ma main, Seigneur ? Quel reproche barbare ! J'espérais que Stenvic, contraint par les tourments, Aurait justifié mes secrets sentiments. Il est vrai, par mon ordre il fut chez le Batave ; Mais je ne réponds point des desseins d'un esclave Qui m'a trompé, sans doute, et qui vous a trahi. Je craignais seulement qu'Hassan, enorgueilli Par son nouveau triomphe, et fier de son audace, Ne réunit un jour mes États à Tartasse, Voilà ce qui m'a fait rechercher un secours Dont l'indiscrétion est fatale à mes jours. Mais d'où vient qu'à vos coups Stenvic s'est pu soustraire ? Lui seul pouvait, Seigneur, dévoiler ce mystère,Et pouvait faire voir que ce secret traité N'est qu'un mensonge adroit par Hassan inventé. Il forge une alliance... Eh bien ! L'ai-je signée ? Pourquoi donc me bannir de votre âme indignée ? Je le confesse, Hassan excita mon courroux, Et ma vivacité peut mériter vos coups. Mais quelle âme bien née, ou quel Prince en Asie Aurait pu supporter une telle infamie ? Quel mortel put jamais s'entendre, sans effroi, Accuser de trahir sa patrie et son roi ? J'ai manqué, je le sais, de respect à mon père :Aussi je me soumets à sa juste colère, Mais je me flatte encor que son coeur bienfaisant... AGON. Je ne puis satisfaire aux lois en ce moment ; Mais débrouillant bientôt un doute qui m'accable, Je serai ton vengeur, ou ton juge implacable. Gardes, ce prisonnier à vos soins est commis ; Mais, malgré son arrêt, songez qu'il est mon fils. Ici un des Gardes rend les armes à Abdul, qu'on lui avait ôté comme criminel d'État, suivant l'étiquette Malaïe. SCÈNE IX. ABDUL. Je me suis donc tiré de ce péril extrême ! Et je pourrai, peut-être, avant cette nuit même, Me venger d'un rival qui causait mes malheurs, Et m'abreuver enfin de son sang, de ses pleurs ! Je t'invoque, ô vengeance ! à mon âme si chère, Étouffé la Nature, et soutiens ma Colère ! ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Agon, Fatime, Hassan. AGON. Madame, dissipez une crainte inutile, Et n'appréhendez point de perdre votre asile, Ni qu'Agon abandonne un dépôt précieux Qu'un père en expirant lui remit dans ces lieux. Calmez surtout, calmez ce superbe courage Dont l'ardeur peut vous nuire, et dont l'excès m'outrage. Je saurai vous défendre, et veux vous consoler ; Mais apprenez qu'aux Rois l'art de dissimuler, Quoique vil en effet, est parfois nécessaire, Et leur sert souvent plus qu'une ardeur téméraire. FATIME. Quoique mon courroux soit à son plus haut degré, Seigneur, je me soumets à votre ordre sacré. Mais malheur à ce peuple insolent et perfide Qui vient aigrir encor la douleur qui me guide.... Le rebut de l'Europe oser dicter des lois ? À l'épouse d'Hassan, à la fille des Rois ! AGON. Vous êtes libre encor ; et vous savez, Madame, Que, quelque soit l'auteur de cette indigne trame, Le projet du Batave est pour nous inconnu ; Qu'il ne m'a point sommé, moins encore vaincu. HASSAN. J'espère que leur chef aura trop de prudence Pour vouloir de Bantan défier la puissance, Ou pour oser, Madame, attenter en ces jours.... AGON. Il ne faut point ici se borner aux discours : Quelque soit mon pouvoir, quelque soit ton courage, Mon fils, dans ce moment le parti le plus sage Est de dissimuler, est de bannir l'orgueil. L'amour-propre des Rois est souvent un écueil Où l'on voit échouer le vaisseau de l'Empire ! J'ai vu le fier Batave, occupé de nous nuire, Tour à tour attaquer les plus puissants États ; Et j'ai vu que toujours le destin des combats, Malgré sa flotte altière et sa foudre enflammée, A dépendu du Chef qui commandait l'armée. S'il n'eut donc contre nous armé que ces guerriers Dont la honte à Formose a terni ses lauriers ; Si Saint-Martin ici ne fut venu lui-même, On ne me verrait point cette prudence extrême. Mais je connais ce Chef, et sais qu'à la valeur Il joint ce grand sang froid nécessaire au vainqueur. Non, que je craigne encor la fatale puissance, Mais son grand nom exige au moins la défiance.Il désire aujourd'hui nous parler à tous deux : C'est à vous de fonder son coeur ambitieux, Madame, c'est à vous de lui faire connaître Que libre dans ma Cour vous y vivez sans maître, Et que personne ici ne vous prescrit la loi. Ensuite, s'il le veut, qu'il s'explique avec moi ; Je pourrai près de vous lui donner audience. Toi, mon fils, quelque soit un projet qui t'offense, Rassemble sous nos murs tous nos guerriers épars, Et que leurs bataillons entourent nos remparts. SCÈNE II. FATIME. Quelque soit le destin que le sort me prépare, Je ne redoute plus la fortune barbare ! Mon père a vu périr par le fer des Chrétiens Une épouse adorée, et son trône, et les siens ! Et moi, de ses malheurs triste et faible héritière, J'ai perdu dans ces murs mon espoir et mon père ! Et le Batave encor, pour combler mon courroux, Pour aggraver mes maux, m'offre Abdul pour époux ! Abdul, ce fils ingrat ! La honte de l'Asie ! L'opprobre de Bantan !... Ah, fortune ennemie ! Si tu peux contre moi déployer ta fureur, Ne compte pas pouvoir disposer de mon coeur ! SCÈNE III. Fatime, Saint-Martin. SAINT-MARTIN. Je ne m'étonne plus, adorable Fatime, Qu'on rende à vos attraits un tribut légitime, Puisque l'on voit en vous le plus bel ornement Qui jamais ait paru dans les Cours d'Orient. La Batavie aspire à combler votre gloire, Madame, en couronnant des mains de la victoire Ce front noble et modeste où siège la candeur : Elle veut pour toujours bannir de votre coeur L'odieux souvenir de nos tristes querelles ; Et je viens pour donner des preuves solennelles De son zèle pour vous ; je dois enfin sécher Les larmes que sa gloire a pu vous arracher. FATIME. Le nom de Saint-Martin et sa sage prudence Ne sont pas moins connus que sa haute vaillance ; Et si l'espoir encor pouvait flatter mon coeur, J'attendrais tout des soins d'un tel ambassadeur : Non, l'Europe jamais, pour fléchir ma colère, N'eut pu choisir un chef qui sut moins me déplaire. Mais, après mes malheurs, comment puis-je jamais Pardonner au Batave, ou souscrire à la paix ? De quel bandeau royal veut-il ceindre ma tête ? Après m'avoir ravi par sa triste conquête, La fertile Célèbe ; après que sa fureur M'enleva dans un jour mon trône et ma grandeur. Seigneur, quel est enfin le projet de vos maîtres ? SAINT-MARTIN. Si la belle Fatime, ainsi que ses ancêtres, À Célébe aujourd'hui pouvait donner des lois ; Si sa main possédait ce pouvoir qu'autrefois L'Inde vit exercer à son illustre père ; Où si quelque Sultan, épousant sa colère, Arborait l'étendard de la rébellion, Et pouvait lui former la moindre faction :Elle pourrait alors avec raison prétendre Un compte plus exact que je ne dois lui rendre. Mais puisqu'un sort heureux, déjà depuis seize ans, A fait palier Célèbe aux Chrétiens triomphants ; Et puisque l'Inde enfin n'a pour lois, n'a pour maître, Que ceux que le Batave y veut bien reconnaître : Je crois que la prudence aujourd'hui lui suffit Pour choisir le parti que sa gloire prescrit. Le Batave touché, Madame, que vos charmes Sans-cesse soient en proie à de tristes alarmes, Veut calmer vos chagrins, et vous donne en ce jour Le trône de Boni : mais il faut sans retour Renoncer à des droits qui vous sont inutiles. Et puisque nos guerriers, triomphants et tranquilles, N'ont plus à redouter votre effort impuissant, Je crois que vous devez regarder ce présent Comme un gage certain de la secrète estime Qu'inspirent à nos coeurs les vertus de Fatime. Mais comme ces climats ne vous sont pas connus, Que votre Peuple même ignore vos vertus,Le Batave vous offre un plus digne partage : Il veut que vos attraits brillent sur ce rivage ; Il veut vous rendre heureuse ; et la gloire sera De vous voir préférer le séjour de Java À ce Peuple mutin, à ces pays barbares. FATIME. Quoique ces vains discours me paraissent bizarres, Je voudrais bien savoir à quel Roi les Chrétiens Veulent ravir pour moi sa couronne et ses biens ? De quel État par eux la perte enfin se trame ? SAINT-MARTIN. Nous n'usurpons jamais. Mais apprenez Madame, Que la gloire de l'Inde est remise en nos mains, Que nous devons fixer pour jamais ses destins, Et que lorsqu'il nous plaît nous donnons des couronnes. Et puisqu'Agon enfin abdique ses deux trônes, Nous avons trouvé bon de nommer pour Sultan, Abdul, dont les vertus illustrent l'Orient. Il est digne de vous. Et le Batave espère Qu'un tel époux saura de votre humeur sévère Fléchir l'austérité ; que cet hymen heureux Réparera les torts d'un sort trop rigoureux. FATIME. Lorsque seize ans passé, par un destin injuste, Je dus suivre mon père à cette Cour auguste : J'appris dès ma jeunesse à respecter son Roi. Lui seul peut disposer de ma main, de ma foi. Mais jamais l'intérêt ne ferrera mes chaînes. Je laisse cet opprobre à vos femmes Chrétiennes, Je cherche dans l'hymen le bonheur le plus doux, Et ce bonheur fera la vertu d'un époux. D'un sort trop inconstant si je fus la victime, C'est au sort à rougir et non pas à Fatime ! Mais je ne croyais pas que jamais Saint-Martin Eut pu me reprocher mon malheureux destin ; Que d'avides marchands eussent osé prétendre Qu'aujourd'hui de leur choix ma main devait dépendre ; Et qu'enfin leur orgueil voudrait dicter des lois Au généreux Agon, au plus digne des Rois. Ils n'ont crû voir ici que des lâches esclaves, Mais l'Inde compte encor des Rois libres et braves Qui sauront me venger. SAINT-MARTIN. Il m'est très douloureux D'apprendre que l'on croit que mes soins généreux, Que mes sages conseils ne sont que des outrages, Et que Fatime enfin dédaigne mes hommages.Mais ceux que, par mépris, elle appelle marchands, Fondent toute leur gloire leurs destins brillants Sur ce nom ; et leur bras, utile à la Patrie, A vaincu l'Amérique et subjugué l'Asie : Le Sultan de Cochin, qu'ont soumis nos exploits, À ces mêmes marchands doit son Sceptre et ses droits : La fertile Ceylan, du Portugais l'esclave, Sur les murs de Candi vit l'étendard Batave, Et quant à la valeur de vos braves guerriers, L'Inde peut aujourd'hui la voir dans nos lauriers. FATIME. Le sort des Nations dépend de la fortune ; Leurs chutes ont souvent une cause commune : Tour à tour le jouet d'un aveugle destin, Telle brille aujourd'hui qui s'éclipse demain. Mais l'Orient, Seigneur, jamais n'aurait pu croire Qu'un Peuple libre et fier eut pu ternir sa gloire Par la soif des trésors ; et que le Japonais Lui verrait abjurer et profaner la Croix. SAINT-MARTIN. Madame, je vois bien qu'il ne m'est pas possible De dissiper l'erreur de votre âme inflexible. J'espère que bientôt le Batave, en ces murs. Vous persuadera par des moyens plus sûrs ; Et l'amitié d'Agon préviendra, sans doute, Les suites des conseils que votre coeur écoute. SCÈNE IV. Agon, Fatime, Saint-Martin. SAINT-MARTIN. Un Peuple triomphant, vainqueur de ces climats, L'arbitre de l'Asie et l'appui des États ;Qui, guidé par l'honneur, conduit par la victoire, Jouit de ses hauts-faits dans le sein de la gloire :Vient d'apprendre, Seigneur, avec étonnement. Qu'une vaine dispute, un dessein imprudent Pourrait bien de Java troubler la paix publique, Si l'on ne prévenait ce complot chimérique. Le Batave attentif à calmer les soucis, Sait abaisser l'orgueil et venger ses amis : Et quoiqu'il veuille en tout le bonheur de l'Asie, Java fixe surtout les yeux de ma Patrie. Elle y veut maintenir la justice et la paix, Et vous fait par ma bouche annoncer ses décrets. Elle a mis en mes mains son glaive et sa balance, Agon peut, s'il le veut, abdiquer sa puissance,Et le trône par lui peut être abandonné, Mais il doit respecter les droits d'un fils aîné. AGON. Est-ce là tout, Seigneur, ce qu'on devait m'apprendre ? SAINT-MARTIN. Je ne crois pas avoir ici de compte à rendre,Je viens pour publier à la Cour de Bantan La loi que le Batave impose à l'Orient ; Je viens pour annoncer sa volonté suprême À Fatime , à vos fils , et surtout à vous même. Abdul est votre aîné ; lui seul doit hériter Le trône de Bantan que vous voulez quitter. Lorsqu'à ce point, Seigneur, je vous verrai souscrire Du reste de mes soins je pourrai vous instruire. AGON. Quel droit ose alléguer le Batave en ce jour ? Pour me donner la loi dans le sein de ma Cour, Et pour vouloir ici m'imposer cette honte. SAINT-MARTIN. La victoire, Seigneur, qui jamais ne rend compte Au Peuple subjugué qui tremble sous ses lois, Et qui règle à son gré la fortune des Rois. Quel Peuple en Orient, quelle Mer en Asie Ne vit pas chaque jour triompher ma Patrie ? Quel Sultan à la gloire a-t-on vu s'opposer Partout où ses Guerriers à peine ont pu percer ; Des rives où l'aurore éclaire cet Empire, Jusqu'aux bords de ces mers où le Soleil expire, Coromandel, Ceylan, Malacca, Malabar, La victoire vous a tous liés à son char. [Note : Jacob van Heemskerk (1567-1607), amiral des Provinces unies, mort à Gibraltar.][Note : Rijcklof van Goens (1619-1682), laissa de nombreux écrits sur l'Inde, Java et Ceylan, il fut le gouverneur général des Indes orientales. ]Ô Hemskerk et Van Goens ! De qui les mains vaillantes Ont su nous conquérir trois Couronnes brillantes ; Houtman, Coen, Matelief, vous Héros immortels Dont les nobles exploits méritent des autels,Votre gloire dans l'Inde illustra ma Patrie En chargeant de ses fers les Sultans de l'Asie ! Si ces haut-faits, Seigneur, ne vous suffisent pas, Vous y pouvez encor joindre d'autres États ; Leur bras victorieux des plus riches Provinces, Subjugua tour à tour vos plus superbes Princes. Macassar, abattu sous ce bras triomphant, Remit en leur pouvoir les clefs de l'Orient : [Note : Amboine, capitale des îles de Moluques en Indonésie. Les portugais décrouvrirent l'île en 1515.]Banda, la riche Amboine et nombre d'autres îles Durent à ces Héros céder leurs champs fertiles ; Et lorsque le Flamand domptAit le Bouginois» Et de Ceram rangeAit les côtes sous nos lois : [Note : Van der Stel (1639-1712), gouverneur de la province du Cap.]Le brave Van der Stel d'une main bienfaisante Défrichait une terre aride et languissante, Voyait germer la Vigne et faisait la moisson Où jadis habitaient le Tigre et le Lion. Les monts affreux du Cap et ses forets terribles, Changés par son génie en des plaines paisibles, Lui doivent leur bonheur et leur fertilité, Et si nous imitons sa noble activité, J'espère que dans peu l'on verra dans l'Afrique Notre pouvoir s'étendre au delà du Tropique. Du Batave, Seigneur, voilà quels sont les droits. AGON. Admirer des héros et vanter leurs exploits Est plus aisé, Seigneur, que de pouvoir répondre A de justes raisons qui doivent vous confondre. Mais quiconque connaît tous vos subtils détours Doit s'attendre sans-cesse à de pareils discours. Je m'aperçois pourtant (soit oubli, soit prudence) Que vous passez ici d'autres faits sous silence. Formose subjugué par le lâche Chinois, Qui sut faire trembler votre flotte deux fois ; L'infortuné Cojet banni par vos Grand-hommes, À la honte de l'Inde et du siècle où nous sommes : Mozambique, en dépit de vos fiers Généraux, Trompant jusqu'à trois fois l'espoir de vos héros : Et quoique l'on ignore à quel titre servile Le Batave au Japon sut trouver un aSile, Malgré ce qu'il en dit, je doute fort, Seigneur, Que son séjour y fait le fruit de sa valeur Et que le Japonais lui cède la victoire. À Java même encor, pour y combler sa gloire, Il manque quelque chose à son ambition, Qu'il ne peut obtenir.... SAINT-MARTIN. C'est ? AGON. De soumettre Agon. SAINT-MARTIN. Tout est prêt pour cela. Cette réponse altière Va vous faire sentir le poids de sa colère. Madame, le Batave aspirant à vous voir, En partant m'a chargé de remplir cet espoir, Et de vous emmener : que dois- je lui répondre ? FATIME. Que l'on verra la terre et le Ciel se confondre Avant que je souscrive à ce projet affreux ! SCÈNE V. Agon, Fatime, Hassan. HASSAN. Sans doute, ayant prévu nos desseins généreux, L'ennemi va, Seigneur, descendre sur la rive ; Et, si j'en crois mes yeux, bientôt sa flotte active Doit nous donner des fers ou va les recevoir. Le peuple de Java, fidèle à son devoir, À mon premier signal vient ici de se rendre. Le glaive étincelant, prêt de tout entreprendre. Arme déjà sa main : il n'attend plus que nous Pour marcher au combat, pour diriger ses coups ; Et nos braves Guerriers, pleins d'un noble courage, Ne respirent que sang, que vengeance et carnage. AGON. Allons : il en est temps, marchons aux ennemis ; Punissons leur audace, et que nos bras unis, Prévenant leurs desseins, défendent nos murailles. Allons tenter, Hassan, le destin des batailles. Nous les passons en nombre et peut-être, en valeur : Mais le nombre, mon fils, n'est pas toujours vainqueur, Et l'on voit quelque fois triompher le moins braves. Tache donc d'imiter les ruses du Batave : Retiens de nos Soldats l'impétueuse ardeur, Ce courage fougueux qui tient de la fureur. Souviens toi que tu vas combattre pour Fatime, Et que tu dois punir le tyran qui l'opprime ; Que tu défends ton peuple, et ton père, et ton Roi, Que tu dois triompher, ou mourir avec moi ! SCENE VI. Fatime, Hassan. HASSAN. Madame, le destin me paraît moins barbare, Puisqu'enfin au combat le Sultan se prépare ; Qu'il ne redoute plus ces fiers Républicains Dont l'orgueil veut régler les droits des Souverains. Je me flattais aussi de calmer vos alarmes, Mais je vois vos beaux yeux obscurcis par les larmes, Et j'entends vos soupirs. Ce superbe étranger Aurait- il eu l'audace ?.... Ou bien, de ce danger Qui menace nos jours votre âme est elle atteinte ? Mais non, votre grand coeur ne connaît point la crainte. Malheur donc à celui qui cause vos douleurs ! FATIME. Ce n'est point sur mon sort que je verse des pleurs. Au dessus d'un destin qui trompa son attente, Rien ne peut étonner le coeur de votre amante.Je tremble pour vous seul : vous me voyez frémir Quand je pense aux dangers que vous allez courir. Mon âme est trop liée au sort de votre vie Pour ne point redouter la fureur ennemie, Qui rappelle sans-cesse à mes sens alarmés Ces globes destructeurs, ces foudres enflammés, Que précède la mort et que suit la victoire, Que vous feront braver la patrie et la gloire. Songez que je préfère Hassan à l'Orient, Et que Fatime, hélas ! Perd tout en vous perdant !Mais non, Seigneur, mais non : je sens trop que mon âme,Rougit de vous montrer ces faiblesses de femme. Partez, puisque l'amour doit céder à l'honneur. Allez sauver Bantan et revenez vainqueur ; Soyez grand, généreux en dépit de mes larmes ! HASSAN. Madame, quelque soit le destin de nos armes, Soit que j'obtienne enfin la vengeance ou la mort, Mon coeur sera content de son glorieux sort. Où trouver, en effet, un mortel qui n'envie Celui qui doit défendre et vous, et sa patrie, Qui doit vous posséder s'il revient triomphant, Ou qui du moins aura vos regrets en mourant. Mais si quelque souci peut me troubler, Madame, Ou si la moindre crainte intimide mon âme, Ce n'est pas que mon coeur redoute de mourir ; C'est votre sort cruel qui m'oblige à gémir ! Hélas ! Après ma mort que deviendra Fatime ? Si l'on voit triompher le tyran qui l'opprime ! S'il vous contraint un jour de prendre pour époux Un Prince indigne, hélas ! De son sang et de vous ! FATIME. Ne craignez point, Seigneur, de pareilles disgrâces : Je brave le Batave et crains peu ses menaces. Les flots de l'Océan, élancés jusqu'aux Cieux, Déroberont Sumatre et Célébe à nos yeux, Bornéo périra par la fureur de l'onde, Et la foudre céleste écrasera ce monde, Avant que le Batave apaise mon courroux, Avant que cette main accepte un autre époux !Mais si, dans le combat, vous pensez à Fatime, Si quelque tendre soin pour elle vous anime : Au milieu du péril, dans le sein du malheur, Ne redoutez jamais de voir fléchir son coeur, Ou que sa main un jour puisse ternir sa gloire. Partez, Seigneur, volez au champ de la victoire. Souvenez vous toujours qu'un aveugle hasard Ne règle point le sort du sang de Macassar ; Que je suis de ce sang, que j'en suis la dernière, Qu'Hassan est mon époux, que sa gloire m'est chère, Et qu'avant de trahir ou mon sang, ou mes voeux, Ce poignard préviendra la honte de tous deux ! ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. FATIME. Non, Hassan, non jamais le superbe Batave Ne me verra ramper à ses pieds en esclave, Et malgré ses efforts son conseil arrogant Ne pourra me contraindre à trahir mon amant. L'Orient qui des miens connut toute la gloire, Ne me verra jamais obscurcir leur mémoire Par la moindre bassesse ; et si le Ciel enfin, Poussant jusque au bout mon malheureux destin, Rend encor aujourd'hui mes espérances vaines, Et veut tarir le sang qui coule dans mes veines : Je descendrai du moins avec gloire au tombeau ! Au tombeau !... Mais aurai-je, hélas ! Un sort si beau ? Qui sait ? Si le jouet d'une aveugle colère, Je ne subirai point le destin de ma mère ! Si de mon corps sanglant les membres dispersés Ne feront pas un jour au Batave exposés ! Si l'on ne verra point sur cette triste rive Fatime abandonnée, errante et fugitive ! Ciel ! Tel serait mon sort au plus beau de mes ans ! Moi, qui devais jouir des jours les plus brillants, Moi, qui, dès le berceau, fus destinée au Trône, Et qui pouvais prétendre une double Couronne. Mais non, mes pleurs cessez : il est temps que mon coeurFasse éclater enfin sa haine et sa fureur.Ô toi ! De qui l'orgueil, sans doute, nous prépareLe joug le plus honteux, le sort le plus barbare ! FATIME. Daigne le juste Ciel à la fin te punir, Et t'accabler des maux que tu m'as fait souffrir !Puissai-je voir, Batave, à mes heures dernières,Tes enfanTs étouffés dans le sang de leurs pères ;Et puissent tes Guerriers, l'un sur l'autre expirants,Voir contre nos remparts écraser leurs enfants ! Qu'aux coups du Cingalais et de l'Arabe en bute,Tout l'Orient charmé puisse admirer ta chute ;Ou que, pour plus d'horreur et d'opprobre à la fois,Tu puisse succomber sous le lâche Chinois !Mais le bruit foudroyant de ton artillerie De la mort qui s'avance annonce la furie ;Et peut-être déjà nos plus braves guerriersSuccombent sous l'effort de tes coups meurtriers !...L'Iman ne revient pas : sa débile vieillesseSemble oublier combien son retour m'intéresse. SCÈNE II, Fatime, Ibrahim. FATIME. Ibrahim, est-ce vous ? Quel espoir consolant Pour Agon, pour Fatime et pour tout l'Orient Venez vous m'annoncer ? IBRAHIM. Du haut de nos murailles J'ai vu la flotte altière et l'apprêt des batailles. La Mer et nos remparts paraissent animés. Tandis qu'on voit au loin les vaisseaux enflammés, Que l'Ange de la mort vient planer sur nos têtes, Et semble présager de funestes tempêtes. J'ai vu, près de nos murs, en de nombreux esquifs, Descendre le Batave ; et ses soldats actifs, Profitant du canon qui lance au loin l'orage, D'une intrépide main planter sur le rivage Les drapeaux déployés de ce fier conquérant Sous lequel aujourd'hui gémit tout l'Orient. Pour un moment il règne un horrible silence, Dans cet instant l'armée et se forme, et s'avance. Sortant de leurs vaisseaux ces divers bataillons Courent tous se ranger près de leurs pavillons : Leurs Soldats courageux à l'envi se succèdent, Tandis qu'un feu roulant et la mort les précédent. Au centre on aperçoit le tranquille Chrétien, Et sur les deux côtés le bruyant Indien ; Qui, soumis à l'Europe, en triste et lâche esclave, Vient traîner à Java les vils fers du Batave. L'or qui brille à l'armure et d'Agon et des siens Va fléchir sous le plomb et le fer des Chrétiens ; Et malgré leur éclat, nos guerriers magnanimes D'un métal destructeur vont être les victimes. L'or n'est que pour celui qui sait user du fer, Et le fer du Batave ici sait triompher. Quelle que soit enfin notre ardeur, notre audace. L'art de l'Européen de beaucoup nous surpasse ; Et je tremble qu'Agon ne perde en ces moments Un Sceptre que sa main posséda cinquante ans, Un Sceptre qu'il ne doit qu'à son noble courage, Et dont il sut toujours faire un si digue usage. FATIME. Que fait Hassan ? IBRAHIM. Hassan, à la tête des siens, Est le seul qui s'oppose aux efforts des Chrétiens ; Et soit qu'il se défende ou marche à la victoire, Il ne s'écarte point du chemin de la gloire. Son bras plonge aux enfers le Macassarien Qui brava si longtemps l'orgueil européen ; Le Timoré veut fuir sa valeur indomptable, Tous craignent de tomber sous son fer redoutable.Agon sent la vieillesse, et que nos derniers ans Doivent couler en paix loin des dangers pressants :La plus fière valeur en ses yeux étincelle, Mais on voit dans ses mains son poignard qui chancelle.Sinan pare les coups qui fondent sur Agon, Et par ses nobles faits illustre sa maison, FATIME. Il est temps, cher Hassan, qu'au combat je te suive. Voudrait-on que Fatime, indolente et craintive, Se bornât à pleurer les malheurs de Bantan, Tandis que tu combats notre commun tyran ? Non, je veux à tes yeux braver la Batavie, Combattre pour Agon, pour toi, pour ta patrie ; Égaler ta valeur, ou mourir près de toi. Le sang de Macassar ne connAit point l'effroi ! Dans un pareil danger ma mère courageuse Périt à Samboupo d'une mort glorieuse. Si je n'ai pu des miens hériter la grandeur. J'en ai du moins appris à mourir sans frayeur. Je veux montrer que j'ai leur audace en partage. Et que l'Europe tremble au bruit de mon courage. Iman, guidez mes pas : il ne faut plus ici Se borner à des pleurs, du faible seul l'appui. Il faut venger les miens, il faut venger l'Asie, Allons, il faut punir la fière Batavie. En quelqu'endroit que soit l'armée en ce moment, Mon coeur y saura bien découvrir mon amant ! IBRAHIM. Daignez calmer, Madame un instant ce courage ; Nadine, par son zèle amenée au rivage, Viendra de notre sort vous instruire en ces lieux. La voici. FATIME. La douleur est peinte dans ses yeux ! SCÈNE III. Fatime, Ibrahim, Nadine. FATIME. Ah ! Je ne lis que trop, Nadine, dans tes larmes Et le destin d'Hassan, et le sort de nos armes ! NADINE. Hassan vit et combat, mais Agon est blessé, Apprenez en tremblant tout ce qui s'est passé Pour la troisième fois le courage inutile De nos braves guerriers repousses vers la ville À l'aspect nos murs semblait renaître enfin, Et, peut-être, aurait-il triomphé du destin. Ils voient sur nos remparts leurs femmes effrayées, Invoquant le Prophète et dans les pleurs noyées : Le désespoir redouble et soutient leur valeur. Les Bataves allaient éprouver leur fureur, Déjà même on voyait fuir leurs fières Cohortes : Lorsqu'on entend soudain, à l'une de nos portes, Un bruit confus mêlé de mille cris perçants : Voici, dit-on, Abdul, dont les coups triomphant Dans le sang des Chrétiens doivent laver sa honte ! Agon, qui craint d'abord une rumeur si prompte, Est père, croit enfin qu'un noble repentir A su toucher son fils, et cède à ce plaisir. Il montre au loin Hassan : vois, dit-il, vois ton frère, Et sois ainsi que lui le vengeur de ton père ! Le traître en ce moment, dans un calme odieux, S'avance vers Agon et le frappe à nos yeux ! Va, dit-il, ou bientôt mon frère te doit joindre, Et juge si son bras pour Abdul est à craindre ! Il dit, et fait briller son poignard tout sanglant, Puis fixe ses regards sur son père expirant, Mais frémit néanmoins lorsqu'il voit sa blessure. Dieu, qui l'abandonna, fait parler la nature. Le poignard du remords déjà navre son coeur, Et l'on voit dans ses yeux le désespoir vengeur. Chacun reste immobile à ce coup qui le tue, Et les guerriers Chrétiens vers nous tournent la vue : Ces hommes qui sans-cesse affrontent le trépas, Et qui bravent le feu, la mer et les combats, Reculent tous d'horreur ; et leur coeur inflexible A paru détester cet attentat horrible ! Le fidèle Sinan prend ce moment d'effroi Pour conduire à la ville et pour sauver son Roi ; Tandis que nos Guerriers, pour défendre leur maître, Fondent avec fureur sur les soldats du traîtreMalgré le plomb cruel qui déchire leurs flancs, Mais un désordre affreux se met dans tous leurs rangs : Hassan, qui voie des siens la valeur inutile, Cède, mais en Héros, et revient vers la ville Pour sauver les débris de ses fiers bataillons. FATIME. Est-il donc ici bas, grand Dieu ! Des Nations Qui ne puissent jamais apaiser ta colère ? Ou ferait-il aussi des mortels sur la terre Que ta main abandonne aux caprices du sort ! À quoi sert donc ta foudre ! À quoi sert le remord ! Si ces humains pervers dont noua sommes victimes, D'un front calme et serein jouissent de leurs crimes ! Qui donc de l'innocent pourra tarir les pleurs ? Si la vertu succombe à de si grands malheurs ! Que sert au digne Agon le tendre témoignage De son peuple admirant ses vertus, son courage ; Et d'avoir consacré ses travaux, ses bienfaits, À protéger le juste, à maintenir la paix ! IBRAHIM. Ne bornons point de Dieu la sagesse éternelle, Et n'accusons jamais son amour paternelle. Si nous voyons le juste opprimé du méchant, Et l'injuste jouir d'un bonheur apparent ; Si la vertu paraît inutile, ou funeste : Madame, espérons tout de la bonté céleste Qui fera triompher les vertus à leur tour. Si tout n'est pas parfait, tout le doit être un jour ! FATIME. Le crime en attendant semble régir la terre, Et couronne aujourd'hui l'assassin de son père ! Agon, que sa sagesse à l'Empire éleva, Arrose de son sang les rives de Java !Mais qu'ai-je à redouter pour me laisser abattre ? Puisqu'Hassan vit encor, puisqu'Hassan peut combattre. Le noble sang Malais, qui sait braver le sort, À des liens honteux préférera la mort. Le Batave d'Hassan ignore le courage, Mais il saura bientôt comme il venge l'outrage, Il apprendra quel sang anime son grand coeur, Et sentira le poids de son glaive vengeur, Agon, Agon, quoique blessé, dans ce péril extrême, Peut le forcer encor à trembler pour lui-même. NADINE. Non, j'ai vu le Sultan ; il ne peut plus, hélas ! Présider au Conseil, ni marcher aux combats. Agon se sent frappé d'une funeste atteinte, Et n'attend que la mort, mais il l'attend sans crainte ; Et malgré la pâleur qui couvre tous ses traits, Ses yeux brillent toujours de cette douce paix. Que donne la vertu, que soutient le courage. Et qui du héros seul peut être le partage. Mais que nous veut Sadi ? Son regard inquiet Semble nous annoncer quelque nouveau forfait. SCÈNE IV. Fatime, Ibrahim, Nadine, Sadi. SADI. Hassan, par l'ennemi repoussé vers la ville, Traça ce peu de mots dans un moment tranquille :Si vous daignez, Madame, en croire son avis, Il vous faut prévenir les pas des ennemis, Et ne pas différer d'un instant à me suivre. FATIME. Donne moi. Cher Amant ! Dois -je mourir ou vivre ? Elle lit.Fatime daignez joindre au plutôt votre époux, Puisqu'ici, hors l'honneur, tout est perdu pour nous !Viens, Sadi, conduis moi. Dans ce malheur extrême. Ce que je crains le moins, Hassan, c'est la mort même ! SCÈNE V. IBRAHIM. Hélas, c'est donc ainsi que les tristes mortels Doivent subir, grand Dieu ! Tes décrets éternels ? Quand la brillante aurore annonçait la lumière, Et que l'astre du jour commençait sa carrière, Trop malheureux Agon, qui jamais aurait crû Qu'aujourd'hui ton pouvoir eut encor disparu. Divine Providence ! Immortelle sagesse ! Non, je n'en doute point, ta prudente tendresse Cache aux yeux des mortels le livre des destins, Pour que l'homme ici bas remplisse tes desseins. C'est par là que son coeur, au sein de la souffrance, Jouit du moins encor de la douce espérance : Espérance propice ! Heureuse obscurité ! Qui soutient les humains dans la calamité. Et qui pourrait, ô Dieu ! supporter sans murmure Les malheurs dont ta main afflige la nature : Si l'on n'espérait pas en tous temps, en tous lieux, Que tout ce que tu fais, tu le fais pour le mieux !Mais quels tristes accents !... Hassan, quoi ! Ta vaillance A dû céder ?... Mais non : c'est le Roi qui s'avance. J'entends les cris du peuple, et vois couler ses pleurs. Hélas ! Que ces regrets présagent de malheurs ! Ô vous, de qui la main jadis séchait nos larmes, Que dans ce jour d'horreur vous nous causez d'alarmes ! SCÈNE VI. Agon soutenu par Sinan, Ibrahim. IBRAHIM. Ô Gloire de l'Asie ! Ô Sultan généreux ! Vous, qui fûtes toujours l'appui des malheureux, Vous, dont la vertu seule animait la grande âme, Quoi ! La mort de vos jours, va donc trancher la trame. AGON, assis. Oui, de l'humanité je vais remplir le sort, Et puisque j'ai vécu je dois subir la mort. Trop heureux, cher Iman, à mon heure dernière, De pouvoir sans remords voir finir ma carrière. Il m'est bien douloureux, sans doute, d'expirer Par la main de mon fils ; mais qui peut pénétrer Les suprêmes décrets d'un Dieu clément et juste Qui cache les ressorts de sa puissance auguste.... Fatime est elle ici ? IBRAHIM. Non : Hassan l'a tantôt Fait prier par Sadi de le joindre au plutôt. AGON, à Sinan. As tu quelque réponse ? SINAN. Oui, Seigneur : celui- même Que nous avions chargé de votre ordre suprême, M'a dit, que votre fils, fidèle à son devoir, Dans peu, quoi qu'à regret, remplira votre espoir ; Qu'aux remparts de Tartasse et que dans l'Inde entière, Dans le sang du Batave il vengera son père ; Et que, dès que Fatime aura rejoint ses pas, Il marche pour sauver son peuple et ses États. AGON. Amis, puisque le Ciel, au bout de ma carrière, Ne permet point qu'Hassan me ferme la paupière : Instruisez ce cher fils des secrets sentiments Qui remplissent mon âme en ces derniers moments ; En ces moments où loin et du crime et du monde, Elle va du tombeau goûter la paix profonde. Dites lui que son père ainsi que lui, jadis Fut errant, fugitif, mais craint des ennemis ; Qu'un jour, ainsi que moi, remontant sur le trône, Il jouira des biens que la vertu nous donne. Que seul libre en Asie et ne redoutant rien, J'ai toujours méprisé le Conseil du Chrétien ; Ce superbe Conseil, de qui la main perfide Ne m'a pu vaincre ici que par un parricide.Iman, dis-lui qu'Agon, par Abdul égorgé, Par le Batave même en peu sera vengé ; Que ce monstre sera leur première victime. Qu'il saura d'eux comment le Ciel punît le crime ; Et qu'enfin le Batave à des traits ennemis Lui même cédera... Mais quels lugubres cris Viennent troubler mon âme en cet instant suprême ? Quoi ! C'est Nadine, ô ciel ! Ah,je perds l'espoir même ! SCÈNE VII et DERNIÈRE. Agon, Ibrahim, Sinan, Nadine. NADINE. Ciel ! Est-ce là le prix que tu dois aux vertus ? Seigneur, de nos malheurs fâchez les tristes suites. Lorsqu'aux pieds de nos murs Sadi nous eut conduites, Qu'il nous eut fait entrer dans un chemin couvert, Où votre digne fils, avec lui de concert, Devait se joindre à nous pour défendre Fatime : Elle sent redoubler le transport qui l'anime. Malgré l'obscurité, malgré notre embarras, Elle vole, et je suis avec peine ses pas. À la fin la lumière à nos yeux est rendue : Mais, ô Ciel ! quel objet vient frapper notre vue ! C'est Hassan égorgé, qui, noyé dans son sang, A de son assassin le poignard dans le flanc. Je m'écrie, et Fatime en un morne silence , Levé les yeux au Ciel, puis vers Hassan s'élance ! Elle reste immobile auprès de votre fils. L'infidèle Stenvic, le seul des ennemis Qui s'approche de nous, ose toucher Fatime. Mais à l'instant sa main, que la douleur anime, Arrachant le poignard du corps de son amant, Dans le coeur de Stenvic le plonge encor fumant. AGON. Que fait Hassan, Nadine ? NADINE. Ô coups inattendus ! Telle on voit dans les airs une foudre imprévuePour punir les mortels s'élancer de la nue !Puis, ô malheur affreux ! Elle frappe son seinDu poignard qu'a souillé le sang de l'inhumain ! J'y cours, mais c'en est fait : elle était chancelante.Malgré moi, sur Hassan elle tombe expirante :Trop cher Amant ! dit-elle, au moins j'ai su vengerTon trépas glorieux, que je vais partager !J'ai puni l'inhumain dont l'âme criminelle Osa servir d'Abdul l'ambition cruelle !Hélas ! Que n'ai-je pu, dans ce triste revers,Plonger tous les Chrétiens d'un seul coup aux enfers !À ces mots, elle touche au terme de sa vie,Mais son poignard menace encor la Batavie, Et son oeil en mourant fixe les ennemis ! AGON. Cher Hassan ! Ô Fatime ! Ô ma fille ! Ô mon fils ! Quoi ! Ton sang, mon trépas, un affreux parricide Conduisent donc au trône un fils ingrat, perfide, Ô vous ! Qui seuls ici faisiez tout mon bonheur, Je vous suis , et j'expire avec vous de douleur ! L'Inde de tes vertus, Fatime, était indigne, Et de jouir, mon fils, de ta valeur insigne ! Le courage et l'honneur ici sont expirants, Et je laisse l'Asie en proie à ses tyrans ! Il meurt. ==================================================